Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 46, présenté par Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rapport annexé
I. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
et, de manière indissociable, contribuer à la construction de l’autonomie stratégique européenne au moyen d’
par les mots :
sans contradiction avec
II. – Alinéa 8
Supprimer les mots :
et pour l’Europe
III. – Alinéa 14
Supprimer les mots :
et sur ceux de l’Europe
IV. – Alinéas 40 à 45
Supprimer ces alinéas.
V. – Alinéa 56, première phrase
Supprimer les mots :
et européenne
VI. – Alinéa 289
Supprimer cet alinéa.
VII. – Alinéa 352, première phrase
Remplacer les mots :
construction d’une culture stratégique européenne commune
par les mots :
continuité d’une solidarité européenne telle que prévue par l’article 42 du Traité sur l’Union européenne
VIII. – Alinéa 353
Après le mot :
discriminantes
supprimer la fin de cet alinéa.
IX. – Alinéa 365
Supprimer cet alinéa.
X. – Alinéa 366
Supprimer cet alinéa.
XI. – Alinéa 369, quatrième phrase
Supprimer les mots :
(en particulier ceux identifiés dans le cadre de l’Initiative européenne d’intervention)
XII. – Alinéa 375, première phrase
Supprimer les mots :
Essentielles à l’Initiative européenne d’intervention,
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. En matière d’Europe de la défense, il faut reconnaître que la France se veut ambitieuse. Fonds européen de défense, création de forces d’intervention communes : Paris ne ménage pas ses efforts pour faire émerger une défense fédérale au niveau européen.
Permettez-moi tout de même, chers collègues, de vous faire part de nos réserves. Peut-être, madame la ministre, serai-je rassurée par les réponses que vous m’apporterez.
Un premier écueil tient à la coordination de cette Europe de la défense avec nos partenaires non européens, au premier rang desquels les États-Unis et l’OTAN. Tous les pays de notre continent ne sont pas parties prenantes à l’Alliance atlantique : comment réussir à coordonner une position européenne et une position atlantique dans ce même cadre ?
La création d’un nouvel organe de défense pourrait créer une confusion semblable à celle qui existe déjà entre l’ONU et l’OTAN. À moins que cette Europe de la défense ne soit conçue comme un levier pour amener les pays européens non membres de l’OTAN à intégrer cette organisation… Cette inquiétude est d’autant plus prégnante que le Fonds européen de défense est fortement convoité, nous semble-t-il, par les grands groupes états-uniens de défense.
Second écueil : le proto-fédéralisme qu’implique une Europe de la défense. Quelle force de gouvernance, alors même que l’Union européenne est avant tout monétaire et économique ? Mener cette réflexion est d’autant plus essentiel que le projet s’articule autour d’une rationalisation des industries de défense, destinée à éviter les doublons. Cette situation nous fait craindre une incapacité de la France à maintenir un semblant d’indépendance industrielle et de défense et un nouveau drame humain dans l’emploi industriel.
L’épisode des ventes d’armes à l’Arabie saoudite est symptomatique de ce problème : Paris réaffirme sa volonté de poursuivre son commerce avec Riyad et le Groupe d’États contre la corruption, le GRECO, s’oppose fermement aux ventes d’armes à ce royaume.
Aujourd’hui, il nous faut réaffirmer le caractère solidaire de l’Union européenne, sans remettre en cause le principe de souveraineté des peuples et des États, à moins, bien évidemment, que l’instauration d’une défense commune ne soit soumise à consultation populaire.
Mme la présidente. L’amendement n° 50, présenté par Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rapport annexé
I. – Alinéa 45
Supprimer les mots :
, au travers d’un degré de dépendance mutuelle consentie adaptée aux technologies concernées
II. – Alinéa 123, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
III. – Alinéa 262, deuxième phrase
Supprimer les mots :
et pour accompagner les exportations (400 sur 2019-25).
IV. – Alinéa 381
1° Supprimer les mots :
les rapprochements industriels susceptibles de consolider la base industrielle et technologique de défense (BITD) à un niveau européen seront
2° Remplacer le mot :
encouragés
par le mot :
encouragées
V. – Alinéas 383 à 386
Supprimer ces alinéas.
VI. – Alinéa 441
Supprimer les mots :
et de mieux intégrer dans les projets les perspectives d’exportation
VII. – Alinéa 499
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Ce rapport fait l’objet d’un débat suivi d’un vote au Parlement en séance plénière. Le Gouvernement veillera par ailleurs à demander l’inscription à l’ordre du jour du Parlement d’un débat non suivi d’un vote lors de la signature de gros contrats de vente, impliquant la France sur de nombreuses années et engageant des flux financiers importants.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Un tiers : voilà ce que représentent aujourd’hui les exportations dans notre production d’armement. Elles occupent une place stratégique en termes de diplomatie et de recherche d’équilibre de la balance commerciale.
Le chiffre d’affaires lié aux contrats d’armement a triplé, tandis que la quantité d’armes en circulation dans le monde n’a jamais été aussi grande. La France porte une lourde responsabilité dans cette situation.
De l’avis de la plupart des experts, notre pays est particulièrement peu regardant sur les destinataires des armes qu’il vend. On pense bien évidemment à l’Arabie saoudite, mais aussi aux ventes simultanées d’armes à l’Inde et au Pakistan, deux pays en conflit pour le Cachemire, ou à Israël, qui occupe les territoires palestiniens au mépris du droit international.
L’emploi sert très souvent de paravent magique à la volonté de développer l’exportation d’armements. Pourtant, l’emploi industriel dans ce secteur est en baisse constante, malgré la multiplication des contrats, du fait de la libéralité de la France en matière de transferts de compétences et de recours au travail détaché.
Par ailleurs, je m’étonne que l’on tire argument de la sauvegarde de l’emploi quand le projet de loi relatif à la programmation militaire prévoit, dans le cadre du développement de l’Europe de la défense, une rationalisation de la production.
Mme la présidente. L’amendement n° 103, présenté par Mme Conway-Mouret, MM. Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rapport annexé, alinéa 262, deuxième phrase
Supprimer les mots :
et pour accompagner les exportations (400 sur 2019-25)
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Si le ministère des armées participe aux exportations d’armement, cette mission n’est pas sa vocation première. Or, sur les 6 000 emplois dont la création est prévue, 400 sont prioritairement ciblés sur l’accompagnement des exportations.
L’État accompagne depuis toujours les efforts des entreprises d’armement françaises à l’international, aujourd’hui fortement soutenus aussi par notre diplomatie. Au cours du quinquennat précédent, un accent particulier a été mis sur la diplomatie économique, dont les ambassades, les missions économiques, les chambres de commerce et les conseillers du commerce extérieur sont les relais.
N’oublions pas non plus la diplomatie parlementaire : je pense en particulier à la mission du Sénat en Australie sur le suivi de la mise en œuvre du contrat de construction de sous-marins.
Les acteurs qui concourent à cet effort sont nombreux. On trouve au premier rang nos industries de défense elles-mêmes, qui disposent d’un service dédié ; elles se montrent d’ailleurs très efficaces.
Contrat dit « du siècle » de construction de sous-marins pour l’Australie en 2016, vente de trente-six Rafale conclue avec l’Inde : les contrats d’exportation d’armements ont battu ces dernières années des records, sans que le ministère des armées dispose d’effectifs dédiés. Ce qui fait le succès des exportations françaises d’armements, c’est la mobilisation conjuguée, à tous les niveaux, de tous les acteurs de l’« équipe France ».
Dès lors, affecter 400 personnes au soutien à l’exportation ne nous paraît pas vraiment justifié. Affecter ces effectifs aux besoins opérationnels nous semblerait plus pertinent, sachant que certains régiments et unités souffrent d’un déficit de personnel ; c’est le cas, par exemple, du service de santé des armées, au sujet duquel notre commission a exprimé sa préoccupation.
Mme la présidente. L’amendement n° 51 rectifié, présenté par Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rapport annexé
I. – Alinéas 383 et 384
Supprimer ces alinéas.
II. – Alinéa 385
Rédiger ainsi cet alinéa :
La politique d’exportation des armements permet de renforcer et moderniser les capacités de défense des pays alliés et partenaires confrontés aux mêmes défis engendrés par les nouvelles menaces. La France veillera tout de même à s’inscrire dans une logique d’équilibre entre les articles 26 et 51 de la Charte des Nations unies.
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Cet amendement vise à mentionner explicitement dans la loi les articles 26 et 51 de la Charte des Nations unies.
Aujourd’hui, le choix de la France de faire de l’exportation d’armements une variable d’ajustement de sa balance commerciale tend à rompre l’équilibre entre ces deux articles.
De fait, c’est bien un équilibre qu’il faut trouver entre la nécessaire raréfaction des armes en circulation et le droit des États à assurer leur sécurité. Dans ce cadre, on ne peut pas sérieusement interdire l’exportation d’armements, eu égard au fait que certains États n’ont pas les capacités industrielles propres à satisfaire leurs besoins en matériels de guerre ou de police.
Toutefois, la France ne peut pas s’exonérer de ses responsabilités dans la prolifération des armements. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, le SIPRI, qui fait figure de référence en la matière, 172 milliards d’armes classiques ont été exportées entre 2012 et 2016 ! On ne saurait guère s’étonner, dans ces conditions, que les armes classiques causent plus de 300 000 morts par an…
Cette situation, humainement inacceptable, pose par ailleurs la question des menaces. On constate aujourd’hui un véritable cercle vicieux, puisque, du fait de conflits, de pressions territoriales, ainsi que de l’émergence de nouvelles formes de terrorisme, les États engagent un important effort de réarmement. Or cette prolifération est à la source de la recrudescence des conflits armés et, indirectement, de l’activité des groupes terroristes.
Tout le schéma est donc à repenser. En raison de son universalité, le cadre onusien doit s’appliquer : c’est la condition sine qua non d’une raréfaction globale de la production et de l’exportation d’armements, qui suppose de sortir des logiques purement régionales ou nationales.
Voilà pourquoi, madame la ministre, il nous semble essentiel que la France réaffirme son engagement à l’égard de l’ONU et du texte fondateur de celle-ci.
Mme la présidente. L’amendement n° 106, présenté par Mme Conway-Mouret, MM. Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Todeschini, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rapport annexé, alinéa 386
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 103.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cambon, rapporteur. Concernant l’amendement n° 46, la commission a un désaccord politique majeur avec Mme Prunaud et son groupe, notamment à propos de l’articulation entre l’autonomie stratégique de la France et l’autonomie stratégique de l’Europe.
Le projet de loi relatif à la programmation militaire promeut bien évidemment l’autonomie stratégique de la France, mais, dans un autre chapitre, tout aussi important, il soutient les coopérations européennes, dont nous avons absolument besoin, ne serait-ce que pour notre propre défense.
Je rappelle que, à propos de la situation au Sahel, nous avons, à de très nombreuses reprises, manifesté notre souhait de voir nos partenaires européens nous épauler. Avec 4 500 hommes pour couvrir 5 millions de kilomètres carrés, nous aimerions que d’autres pays européens comprennent que c’est aussi sur leur sécurité que nous veillons dans cette région du monde.
Au juste, que veut-on ? Établir la neutralité politique de la France ? Je rappelle que notre pays est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et est le seul, en Europe, à disposer d’une armée capable de se projeter en dehors de son territoire national, et donc susceptible d’aider à la sécurisation d’un certain nombre d’autres pays, d’où émanent des menaces pour notre sécurité au quotidien. La neutralité n’est ni notre histoire ni notre destin !
Nous devons travailler à conforter l’Europe de la défense. Nous ne sommes pas des rêveurs : nous savons bien qu’elle est très difficile à constituer. J’ai dit moi-même qu’elle devrait commencer par des achats communs, qui faciliteraient l’interopérabilité entre les forces armées. Il y a un long chemin à parcourir, mais notre seul destin, c’est l’Europe !
Telle est en tout cas notre conviction. Je comprends que les auteurs de l’amendement n° 46 ne la partagent pas, mais j’émets un avis défavorable sur celui-ci.
L’adoption de l’amendement n° 50, relatif à la politique d’exportation et de coopération dans le domaine de l’armement, remettrait en cause les objectifs de la coopération européenne.
Au demeurant, mettre en cause la politique d’exportation des armements dont la France a besoin, c’est remettre en question l’efficacité de nos propres forces armées. En effet, l’exportation est un formidable aiguillon pour l’innovation : chaque fois que nous améliorons nos armes pour les vendre dans un contexte de concurrence internationale féroce, nous renforçons nos propres moyens de sécurité. Nous le verrons bien avec les équipements plus performants dont nos forces disposeront bientôt. Songeons par exemple à la cyberdéfense : croit-on que la France pourrait assumer seule les efforts nécessaires ? Pour la mise au point du futur chasseur qui remplacera les Rafale, il faudra investir la bagatelle de 25 milliards d’euros en recherche !
La politique d’exportation et de coopération dans le domaine de l’armement étant absolument essentielle pour notre propre sécurité, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 50.
S’agissant du SOUTEX, madame Conway-Mouret, je maintiens les arguments que j’avais avancés en commission, parce que je les ai fait vérifier. J’avais moi-même entendu dire, y compris par certains industriels, qu’affecter 400 postes au renforcement de cette mission n’était peut-être pas utile. Or il n’en est rien : en effet, ces postes sont attachés à l’exécution de ce que l’on a coutume d’appeler le contrat du siècle, c’est-à-dire la construction de douze sous-marins nucléaires d’attaque de type Barracuda avec l’Australie, pour un montant de 35 milliards d’euros ou de 50 milliards de dollars. Ce contrat liera nos deux pays pendant une cinquantaine d’années ! La création de ces postes au titre de la Direction générale de l’armement est donc absolument nécessaire.
Dans ces conditions, si l’amendement n° 103 n’est pas retiré, j’y serai défavorable.
L’amendement n° 51 rectifié vise à supprimer les mentions relatives à l’exportation d’armements dans le rapport annexé. Je répète que l’exportation d’armements nous permet aussi de conserver notre base industrielle et technologique de défense, c’est-à-dire notre savoir-faire et notre expérience dans ce domaine, qui sont de très haut niveau et nous permettent de faire profiter nos armées d’équipements de très haute définition à un moindre coût.
Madame Prunaud, soyez rassurée : cette politique d’exportation d’armements est parfaitement conforme à la Charte des Nations unies. De même, la France se conforme rigoureusement à l’ensemble des sanctions mises en œuvre par les Nations unies, l’Union européenne ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe : elle s’interdit tout transfert ou vente d’armes à des pays sous embargo. Nous respectons bien évidemment les procédures de notification et, le cas échéant, les dérogations sollicitées.
Je vous renvoie au rapport annuel sur les exportations d’armements, qui comprend de très nombreux développements sur ce sujet, et même une annexe spécifique traitant des embargos sur les armes.
S’agissant enfin de l’amendement de coordination n° 106, je coordonne mon avis avec celui que j’ai donné à l’amendement n° 103… Avis défavorable donc, si l’amendement est maintenu.
Par ailleurs, madame Conway-Mouret, il est assez regrettable que vous proposiez de supprimer la référence à l’« équipe France », qu’est venu nous présenter Christophe Lecourtier, qui fut un formidable ambassadeur de France en Australie : nous lui devons en partie la réussite de cette équipe, qu’il est en train de reconstituer en fédérant toutes celles et tous ceux qui, notamment au sein du SOUTEX, s’efforcent de conquérir des marchés nouveaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. Le rapport annexé, dont nous entamons l’examen, est d’une nature un peu particulière, puisqu’il exprime une vision en termes de politique étrangère, de politique de défense et de politique européenne.
Nous ne partageons pas plus que la commission la vision défendue par Mme Prunaud au travers de l’amendement n° 46, qui consiste, au fond, à éliminer toute référence à la politique européenne. Au contraire, le Gouvernement fait de la coopération européenne et de la construction d’une Europe de la défense, tant attendue et qui émerge enfin, l’une de ses priorités politiques.
Le Président de la République, dans un discours prononcé en septembre dernier à la Sorbonne, a exprimé l’ambition qui est la sienne en matière de politique européenne et de coopération. Cette ambition se manifeste dans bien des domaines, dont la politique de défense. Lors de ses vœux aux armées, il a rappelé combien les coopérations européennes en matière de défense sont importantes.
Le projet de loi relatif à la programmation militaire que j’ai l’honneur de défendre devant vous repose ainsi sur l’hypothèse que le nombre de programmes construits en coopération avec nos partenaires augmentera de plus d’un tiers.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 46, tout en respectant le point de vue que Mme Prunaud a exprimé.
L’amendement n° 50 a trait aux industries d’armement, qui sont très importantes pour notre économie et nos emplois, mais aussi pour l’excellence de notre innovation.
Ces industries contribuent également à atténuer le coût des programmes d’équipement pour lesquels la France investit pour elle-même. C’est d’ailleurs un sujet dont nous discutons avec les industriels de l’armement : au moment où la France rencontre tous les succès à l’export rappelés par Mme Conway-Mouret, il faut aussi que le contribuable français puisse toucher, en quelque sorte, les dividendes de l’investissement que la Nation a consenti pendant des années. Ils doivent permettre d’atténuer, voire de réduire, le coût des équipements pour les finances de l’État.
Dans ces conditions, il ne nous paraît pas du tout souhaitable de renoncer à nos ambitions en matière d’exportation.
Au reste, les conditions dans lesquelles ces exportations sont consenties à différents pays font l’objet d’une très grande attention. Je rappelle que, en matière d’armements, le principe est qu’il n’y a pas de droit à l’exportation ; il s’agit d’une exception, soumise à une réglementation extrêmement stricte. Nous disposons d’ailleurs d’un mécanisme de surveillance et de contrôle interministériel, placé sous l’autorité du Premier ministre, que peu d’États ont pu mettre en place. Au premier rang des très nombreux critères pris en compte figure évidemment le respect des réglementations internationales.
Puisque Mme Prunaud évoque la tenue d’un débat sur la politique d’exportation d’armements, je souligne qu’un rapport annuel du Gouvernement au Parlement récapitule les décisions prises et les critères appliqués en la matière. Ce rapport, qui sera publié au mois de juin, comporte des éléments d’information importants.
S’agissant de l’amendement n° 103, je tiens à rassurer Mme Conway-Mouret : les 400 emplois créés en faveur du soutien à l’exportation permettront de décharger les forces opérationnelles qui accompagnent aujourd’hui la conclusion des contrats d’exportation. M. le rapporteur a mentionné les sous-marins destinés à l’Australie. Il y a aussi l’accompagnement des contrats de vente de Rafale, qui représente actuellement une très lourde charge et mobilise un très grand nombre de pilotes. Les emplois créés permettront à l’armée de l’air de récupérer d’importantes capacités opérationnelles.
L’amendement n° 103 me paraît donc satisfait. En tout cas, je crois avoir compris l’intention de ses auteurs.
Mme la présidente. Madame Conway-Mouret, les amendements nos 103 et 106 sont-ils maintenus ?
Mme Hélène Conway-Mouret. Je n’ai bien sûr jamais proposé que nous renoncions à nos efforts en matière d’exportation. Simplement, il me semblait que les 400 postes ciblés prioritairement sur cette mission auraient pu être affectés à d’autres services.
Par ailleurs, je veux rassurer M. Cambon : je suis une très grande supportrice de l’« équipe France ». Au gré de mes missions, j’ai eu la chance extraordinaire de pouvoir rencontrer tous les acteurs qui soutiennent nos exportations et notre présence économique à l’étranger.
Je retire les amendements nos 103 et 106.
Mme la présidente. Les amendements nos 103 et 106 sont retirés.
La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Bockel. Au nom du groupe Union Centriste et en tant que corapporteur, avec Mme Prunaud, du programme 178, je souhaite non pas contredire Mme Conway-Mouret, mais soutenir le propos de M. Cambon.
Au fil des auditions, on est sans cesse revenu à la charge sur cette question du SOUTEX, extrêmement importante et sensible. Le soutien aux exportations a été en quelque sorte victime de son succès. Les industriels font certes des efforts, mais ils ont leurs contraintes. Les personnels de la défense ont été très fortement mis à contribution, qu’il s’agisse des sous-marins ou des Rafale, ce qui a eu des effets sur leur disponibilité opérationnelle.
Notre souci a été de veiller à ce que les 400 postes créés soient suffisants. Il faudra vérifier, lors des rendez-vous intermédiaires, si c’est bien le cas. En tout cas, il ne faut surtout pas renoncer à cette affectation de postes.
De manière plus générale, nos sensibilités sont diverses : certains sont plutôt eurosceptiques, d’autres sont contre l’Europe telle qu’elle est, d’autres encore sont très européens, voire fédéralistes. Cependant, quelles que soient notre opinion sur l’Europe de la défense et notre conception d’une indépendance nationale compatible avec l’ambition européenne, il n’y aura ni Europe de la défense ni indépendance face à la montée des périls sans un outil militaire fort, qui ne peut exister sans une industrie de l’armement digne de ce nom. Or cette industrie ne peut exister sans exportations. Tout se tient : il faut assumer ces exportations, en respectant naturellement les règles qui existent au niveau international. Comme l’a dit M. le rapporteur, il y va tant de la sécurité de notre pays que de la construction européenne, à laquelle le groupe Union Centriste croit profondément.
Mme la présidente. L’amendement n° 52 rectifié, présenté par Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rapport annexé
I. – Alinéa 12, première phrase, et alinéa 369, deuxième phrase
Remplacer le mot :
jihadiste
par les mots :
à composante fondamentaliste, raciste et politique
II. – Alinéa 85, dernière phrase
Remplacer les mots :
d’inspiration jihadiste
par les mots :
à composante fondamentaliste, raciste et politique
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Cet amendement a pour objet de rappeler l’engagement à lutter contre le terrorisme, quelle que soit l’idéologie à laquelle il se réfère.
De fait, assimiler exclusivement le terrorisme au terrorisme djihadiste me semble réducteur. Certes, les actes terroristes commis par des islamistes djihadistes, des groupuscules ayant fait allégeance à Daech ou à une autre organisation fondamentaliste sont les principales menaces contre la sécurité de nos concitoyens. Cependant, il nous faut aussi tenir compte des attentats violents racistes, fascistes. Par exemple, l’arrestation en Ukraine d’un jeune nationaliste Français, qui cherchait à acquérir des explosifs et tout un arsenal de guerre en vue de l’Euro 2016 de football, relève-t-elle de la lutte antiterroriste ? La même question se pose à propos de l’interpellation de dix personnes qui avaient planifié des attaques contre des personnalités politiques, en octobre dernier, ou de celle, en février 2017, de deux admirateurs d’Anders Breivik, l’individu d’extrême droite ayant abattu soixante-dix-sept jeunes travaillistes en 2011 en Norvège, qui planifiaient des attaques contre des réfugiés et contre Emmanuel Macron.
Je crains les confusions quand j’entends le président turc Erdogan accuser tout un peuple, en l’occurrence les Kurdes laïques du nord de la Syrie, d’être « terroriste », comme il l’a fait quand la Turquie a envahi sans autorisation cette région. Pour notre part, nous considérons plutôt ces Kurdes comme des résistants aux islamistes, comme nos alliés.
Mes chers collègues, nous avons tous en tête les attentats qui touchent la France depuis 2015. Dans la mesure où le texte évoque ces attaques, on se trouve engagé dans un débat sur la définition même du terrorisme. Personnellement, celle qui figure dans le rapport annexé me convient, mais, afin de permettre l’émergence d’un consensus, je propose de la compléter en introduisant la notion de fondamentalisme, qui permet de dépasser la référence au seul islamisme.