Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre, pour deux minutes.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Delcros, vous avez pointé l’un des sujets dont j’ai fait une priorité lorsque je suis arrivée au ministère au mois de juillet dernier. Avec le Premier ministre, nous avons proposé dès le mois d’octobre un plan d’accès territorial aux soins où figurent les mesures que vous proposez, mesures que nous avons d’ailleurs déjà commencé à mettre en œuvre.
Il faut former des étudiants qui viennent des territoires. C’est pourquoi nous avons augmenté et allons continuer à augmenter le nombre des lieux, en dehors des facultés de médecine, où l’on peut passer le concours d’admission aux études de santé. Nous souhaitons accroître notre capacité à recruter des personnes qui ne viennent pas des grandes villes.
Le plan d’accès aux soins comporte quelques mesures spécifiques comme la hausse du nombre de lieux de stage hors hôpitaux, celle aussi du nombre de maîtres de stage à la fois dans les maisons de santé pluriprofessionnelles et dans les cabinets de médecine libérale habituelle. Nous souhaitons envoyer des externes, et pas seulement des internes, sur le terrain, afin qu’ils se forment à la médecine générale.
Je l’ai dit il y a quelques instants dans mon intervention liminaire, nous avons augmenté les rémunérations des maîtres de stage dans les zones sous-denses et allons accélérer leur formation. Il existe aussi une prime à destination des internes qui choisissent d’effectuer des stages ambulatoires en zone sous-dense.
Nous avons annoncé la création de 300 postes d’assistants partagés ambulatoires entre la ville et l’hôpital : en favorisant cet exercice mixte, nous avons décidé de donner davantage de temps médical à des villes qui se situent en zone sous-dotée.
Enfin, nous avons offert, dans les zones sous-denses, la possibilité de donner le statut de médecin adjoint à des étudiants en médecine remplissant les conditions pour obtenir une licence de remplacement. Cette disposition va dans le sens de ce que vous réclamiez.
Toutes ces mesures ont d’ores et déjà été engagées, mais il ne faut pas oublier qu’il est aussi indispensable de favoriser les coopérations interprofessionnelles, les délégations de tâches et de changer de paradigme. En tout cas, la découverte du territoire est un impératif pour nos professionnels de santé…
Mme la présidente. Merci, madame la ministre !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour deux minutes.
Mme Marie-Pierre Monier. Madame la ministre, mes chers collègues, malgré les initiatives de tous les gouvernements successifs, malgré les aides à l’installation en vigueur, le problème perdure : 2,5 millions de Français vivent encore dans un désert médical en 2018.
La formation des étudiants en médecine, leur répartition géographique et le rôle des stages sont cruciaux, afin d’endiguer la baisse du nombre de médecins généralistes dans ces territoires. En effet, leur nombre a diminué de 10 % en dix ans selon l’ordre des médecins.
Les CHU demeurent les acteurs centraux de la formation médicale pratique, mais ils valorisent sans doute trop une médecine hospitalière hyperspécialisée, au détriment de la médecine générale. Il faut non seulement renforcer la formation des étudiants à cette médecine, qui permet de prendre en compte le malade dans sa globalité familiale, sociale, culturelle et environnementale, ce que les CHU ne permettent pas, mais aussi inciter les étudiants à redécouvrir les pratiques spécifiques aux territoires ruraux, qui peuvent répondre à leurs attentes, notamment dans les hôpitaux locaux.
À Buis-les-Baronnies dans la Drôme, une initiative intéressante a été mise en place : l’accueil des stagiaires par des médecins généralistes ayant reçu une formation spécifique de maître de stage s’est déroulé en lien avec l’hôpital local de la commune, hôpital qui loge à titre gracieux les stagiaires dont il attend en retour qu’ils accompagnent leur maître de stage lorsque celui-ci se rend dans l’établissement pour y suivre ses patients.
Toutefois, cette organisation rencontre des obstacles, car il est encore difficile de faire reconnaître aux doyens des facultés et à leur département de médecine générale que les hôpitaux locaux puissent devenir des terrains de stage « validant ». Peut-être faudrait-il assouplir ces règles car, au-delà de cette initiative, les hôpitaux locaux peuvent jouer un rôle essentiel qu’il convient de développer pour lutter contre les déserts médicaux.
Madame la ministre, pouvez-vous me faire part de votre avis sur la place que le Gouvernement souhaite donner aux hôpitaux locaux dans le cadre des études de médecine ? Comment comptez-vous aborder le problème du manque d’incitation des futurs médecins à s’installer dans les zones sous-denses, sachant que les mesures dévoilées en octobre dernier semblent malheureusement insuffisantes ? (M. Jean-Michel Houllegatte et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est une bonne question !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, ma réponse va se rapprocher de celle que je viens de faire à M. Delcros.
Nous développons beaucoup les capacités de formation des étudiants, que ceux-ci soient externes ou internes, dans des zones en dehors des CHU, mais, bien sûr, dans des hôpitaux locaux. Les postes d’assistants partagés ont été créés pour que le temps médical soit partagé entre les hôpitaux locaux et les zones sous-dotées : cette mesure est donc clairement destinée à renforcer la présence médicale dans ces hôpitaux locaux. Ces derniers vont devenir des lieux de formation au même titre que les maisons de santé pluriprofessionnelles ou la médecine libérale.
Nous allons élargir l’offre de stages, que ce soit pour les étudiants en formation durant le deuxième cycle ou pour les internes pendant le troisième cycle. Cette mesure est d’ores et déjà totalement actée dans la stratégie que le Premier ministre et moi-même avons présentée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour deux minutes.
Mme Samia Ghali. Madame la ministre, cette semaine, le docteur Donata Marra rendait son rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé au Gouvernement.
Au cœur du malaise des étudiants en médecine, le rapport pointe du doigt le temps de travail des internes. En 2014, le gouvernement de l’époque s’était déjà mis en conformité avec la jurisprudence européenne en abaissant la durée de travail des internes. Néanmoins, dans les faits, les étudiants travaillent régulièrement 90 heures par semaine. L’ordre national des médecins parle d’ailleurs de burn-out à un stade d’évolution sévère pour près de deux internes sur trois. Un sur cinq développerait même des tendances suicidaires.
Les risques psychosociaux auxquels ces jeunes sont confrontés s’expliquent aussi par les pressions qu’ils subissent lorsqu’ils tentent de revendiquer leurs droits. C’est donc à l’État de protéger ces apprentis médecins. Cette recommandation de notre collègue Véronique Guillotin ne doit pas rester un vœu pieux. Sans des mesures incitatives ou coercitives, les choses n’évolueront pas pour les internes.
À l’image de ce qui se pratique en Grande-Bretagne pour les internes ou en France pour les praticiens hospitaliers, la réforme doit prévoir des dispositifs qui régulent les heures supplémentaires effectuées au-delà de 48 heures de temps médical hebdomadaire. En d’autres termes, il est préférable de rémunérer ou de faire récupérer des heures supplémentaires au-delà des 48 heures de travail hebdomadaire, afin d’inciter les services à recruter de vrais médecins, mais aussi de lutter contre la surpopulation des étudiants au sein des services.
On pourrait imaginer la mise en place de contrôles inopinés, opérés par l’ARS, l’Agence régionale de santé, dans le but de s’assurer que les règles sont bien respectées. Ce contexte…
Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, ma chère collègue !
Mme Samia Ghali. Vous avez raison, madame la présidente. J’en resterai là, mais vous avez bien compris le sens de ma question ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Ghali, je tiens simplement à rappeler que les internes sont à la fois des étudiants de troisième cycle inscrits à l’université et des agents publics affectés dans un CHU de rattachement, et rémunérés par ce dernier. En tant qu’agents publics, ceux-ci sont régis par un statut inscrit dans le code de la santé publique, qui prévoit des mesures relatives à leurs droits et à leurs obligations.
Les dispositions qui leur sont applicables en matière de temps de travail sont donc adaptées à la spécificité de leur situation. Généralement, leur temps de travail est comptabilisé en demi-journées. Avant 2015, leurs obligations étaient fixées à onze demi-journées par semaine. Aujourd’hui, elles sont de dix demi-journées par semaine, huit semaines en stage et deux hors stage, dont une réalisée sous encadrement universitaire.
Effectivement, en 2016, les représentants des internes ont formulé le souhait que leur soit ouverte la possibilité d’effectuer du travail additionnel. Cette demande a été présentée comme un moyen de faire reconnaître le temps de travail effectivement réalisé lorsque les internes dépassent leurs obligations de service, et comme une possibilité pour les internes ayant choisi des spécialités qui impliquent une forte participation à la permanence des soins de ne pas voir leur temps de formation de jour et en stage réduit.
Cette possibilité est actuellement étudiée par les services de mon ministère. Les garanties et conditions qui seraient susceptibles de l’encadrer sont particulièrement importantes en raison de la sensibilité que nous accordons tous aux questions relatives à la qualité de vie au travail.
Je suis personnellement très attentive à l’évolution des discussions avec les internes. Aujourd’hui, nous avons alerté les hôpitaux sur la nécessité d’une très grande vigilance par rapport au repos de sécurité et au temps de travail effectif des internes en médecine.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour deux minutes.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la progression de la désertification médicale témoigne non seulement de la difficulté à freiner ce phénomène, mais surtout de l’inefficacité des différentes politiques et actions mises en place depuis deux décennies. C’est ce constat accablant que la commission du développement durable du Sénat faisait déjà en 2013,…
M. Hervé Maurey. Eh oui !
M. Jean-Claude Requier. … dans un rapport de notre collègue Hervé Maurey.
S’attachant aux causes de ces déserts médicaux, le rapport apportait des réponses pragmatiques dans l’intérêt des territoires et de leurs habitants. Certaines visaient justement à faire évoluer les études de médecine, sans grand résultat jusqu’à présent. Et la désertification médicale est toujours aussi prégnante dans nos campagnes !
Madame la ministre, comment redonner vie à notre ruralité qui refuse de mourir ? Nous savons bien que la réforme des études de médecine ne produira pas d’effets avant une dizaine d’années. Il est donc nécessaire de prendre dès maintenant des mesures transitoires d’urgence, comme le préconise le professeur Patrice Diot, doyen de la faculté de Tours.
C’est dans cet esprit que celui-ci devrait prochainement expérimenter la création d’un statut post-DES, sorte de service civil qui consisterait pour les étudiants à aller pendant deux ans – cette période est renouvelable une fois –, après leur thèse et leur soutenance de mémoire de spécialité, dans un territoire en souffrance. Ce dispositif devrait évidemment reposer sur le volontariat et être fortement encouragé par l’attribution de droits sociaux, comme ceux des assistants d’hôpitaux, par exemple.
Madame la ministre, je souhaiterais connaître votre sentiment sur cette initiative, dernière chance d’obtenir une réponse concrète à une situation devenue dramatique ! (M. Joël Labbé et Mmes Françoise Laborde et Véronique Guillotin, ainsi que MM. Bernard Delcros, Hervé Maurey et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent.)
Mme Françoise Laborde. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur : nous observons effectivement une diminution de la démographie médicale, laquelle va se poursuivre jusqu’en 2025. On ne peut que constater que le phénomène n’a pas été anticipé. En effet, au-delà de la diminution du nombre de médecins, la façon d’exercer la médecine a changé.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Aujourd’hui, les médecins veulent davantage concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. (M. Bernard Delcros opine.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Exactement !
Mme Agnès Buzyn, ministre. De plus, la profession s’est féminisée et les médecins souhaitent un exercice du métier différent et beaucoup plus collectif.
Nous sommes face à une réalité qui n’a pas été anticipée. C’est pourquoi j’ai proposé un plan d’accès aux soins qui vise à changer de paradigme. En effet, nous ne pourrons pas installer un médecin dans chaque commune. Nous avons impérativement besoin de mieux coordonner les professionnels de santé dans les territoires, avant tout pour faire face aux maladies chroniques.
Si la profession médicale a changé, les pathologies ont également changé. Face aux maladies chroniques, beaucoup de pratiques peuvent être déléguées entre professionnels de santé, que ce soit dans le cadre du suivi d’un diabète ou d’une hypertension artérielle. Le plan d’accès aux soins comporte des mesures très pratiques pour coordonner les exercices et favoriser la médecine en zone rurale.
J’ai rappelé dans mes précédentes réponses toutes les mesures que le Gouvernement a mises en œuvre pour encourager la découverte des zones sous-denses par les professionnels au cours de leur cursus. Nous avons créé, je l’ai dit, 300 postes d’assistants partagés ayant vocation à exercer en zone sous-dense pendant deux ans. Ces postes seront pourvus par de jeunes médecins.
S’agissant de la proposition que vous faites, monsieur le sénateur, je tiens quand même à rappeler que les médecins terminent leur cursus entre trente et trente-cinq ans et que votre proposition les obligerait à rallonger le service qu’ils rendent pendant encore deux ans. Cette mesure nécessite une longue période de réflexion et de concertation, compte tenu de l’effort supplémentaire que l’on imposerait ainsi aux médecins.
Je préfère que l’on réfléchisse aujourd’hui à une organisation territoriale, à la nécessaire coopération entre professionnels, à la télémédecine et à ce qu’elle peut apporter en termes de gain de temps médical. Le plan que nous avons présenté apportera des réponses pragmatiques aux territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour deux minutes.
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer d’être brève. L’augmentation du numerus clausus national ne permet pas de répartir la hausse des étudiants de façon égale sur le territoire. Il y a davantage de médecins formés mais, en même temps, le rapport de la Cour des comptes l’a montré, des inégalités territoriales persistent en ce qui concerne le nombre de médecins formés par région.
La région Centre-Val de Loire paraît peu dotée en places de numerus clausus avec 15 places pour 100 000 habitants, contre 30 en Limousin, par exemple. Pourtant, avec ses 281 médecins pour 100 000 habitants en 2016, contre 421 en moyenne au niveau national, la région Centre-Val de Loire fait figure de désert médical.
Malgré la hausse générale du numerus clausus, il reste donc de fortes inégalités territoriales.
Le nouveau volet du pacte territoire-santé a permis de développer les stages des futurs médecins en cabinet de médecine générale et dans plusieurs spécialités médicales. Or aucune obligation n’existe sur la localisation de ces stages, notamment en zone peu dense.
Madame la ministre, je souhaiterais que se développe le statut du médecin adjoint, expérimenté avec succès en Eure-et-Loir. Je voudrais également savoir comment l’objectif de lutte contre les déserts médicaux pourrait être intégré dans le pacte territoire-santé ? Ne pourrait-on pas proposer des stages localisés dans les zones sous-denses ? En effet, ces stages pourraient peut-être aider à terme à l’installation de futurs médecins. (M. Jacques Grosperrin applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous me parlez des stages en zone sous-dense. Comme je l’ai dit, nous essayons de développer de façon très proactive les stages en zone sous-dense en favorisant l’émergence de maîtres de stage notamment dans les maisons de santé pluriprofessionnelles, mais aussi dans les cabinets d’exercice libéral. Nous avons financé cette émergence de maîtres de stage.
Nous rencontrons un problème à propos du logement des étudiants : ces derniers renoncent parfois à s’installer en zone rurale ou sous-dense à cause de cela. Les communes devraient davantage s’organiser pour proposer des logements. Nous avons d’ailleurs longuement discuté de ce sujet avec les maires de France.
Aujourd’hui, le numerus clausus a augmenté, puisqu’il a presque doublé ces six dernières années : nous sommes aujourd’hui à 8 700 étudiants formés en médecine chaque année. Il est évident qu’ils ne peuvent pas tous être formés dans les CHU. Nous avons impérativement besoin de diversifier l’offre de stage. La proposition que vous faites est déjà mise en œuvre : les ARS sélectionnent les offres de stages avec les doyens. Nous les encourageons et essayons de faire en sorte qu’un maximum d’étudiants aient la possibilité de s’installer en proposant des aides pour l’hébergement, des aides notamment financières, qui sont prévues dans notre plan d’accès aux soins.
Tout est mis en œuvre pour diversifier et faciliter l’exercice de la médecine dans les zones sous-denses.
Mme la présidente. La parole est à M. Abdallah Hassani, pour deux minutes.
M. Abdallah Hassani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Président de la République a visité le CHU de Rouen ce matin, notre pays fait face à une modification certaine de la démographie de manière générale, et de la démographie médicale en particulier.
Un plan pour renforcer l’accès territorial aux soins a été annoncé. Je félicite le Gouvernement d’avoir pris en compte la réalité de la situation. Comme vous le savez, il faut dix ans pour faire un médecin. Les études sont longues, le métier difficile. Si, en plus, on dit à des jeunes gens qui veulent choisir les études médicales qu’à la fin ils se retrouveront face à des mesures coercitives, j’ai peur qu’on ne les décourage encore bien davantage.
La question du numerus clausus est sur la table depuis quelques années, comme si l’ouvrir largement était une panacée. Nous savons bien que l’université comme l’hôpital ne sont pas en mesure d’accueillir aujourd’hui massivement plus d’étudiants.
Ces études sont trop concentrées sur l’hôpital. Si les étudiants apprennent leur art en milieu hospitalier, ils n’ont bien souvent aucune idée de ce qu’ils verront et feront en ville.
Néanmoins, je ne peux aborder la question de l’hôpital sans évoquer l’ensemble du personnel hospitalier, qu’il soit soignant, technique ou administratif. Je voudrais lui rendre hommage en ces temps où l’on parle beaucoup de souffrance au travail.
Il apparaît presque ironique que la communauté médicale, qui est au premier rang de la prise en charge de cette souffrance, compte parmi les professions les plus touchées par le burn-out.
Une ouverture sur la médecine de ville, via des stages dès le deuxième cycle, serait nécessaire pour permettre aux futurs médecins de mieux se préparer.
Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles sont vos intentions dans le décloisonnement ville-hôpital, et ce dès la formation des soignants ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Hassani, nous souhaitons encourager et diversifier l’offre de stages dès le deuxième cycle des études médicales. Nous n’attendons même pas que les étudiants soient internes et offrons la possibilité à des externes de découvrir un exercice différent de la médecine.
D’ailleurs, j’en profite pour indiquer que nous avons mis en place avec Frédérique Vidal le service sanitaire : celui-ci a été lancé et sera opérationnel dès le mois de septembre prochain pour les 45 000 étudiants en santé, dont les 8 700 nouveaux médecins.
Cet exercice sanitaire va permettre aux jeunes médecins de faire de la prévention et de l’éducation à la santé dans différents endroits, notamment les collèges ou les lycées, mais surtout dans des zones où très peu de professionnels interviennent. Dès le service sanitaire, ces médecins découvriront des territoires dans lesquels ils ont peu l’habitude d’aller, et de nouveaux publics, si je puis dire. C’est une autre façon de faire découvrir le terrain.
Je l’ai rappelé, nous encourageons les médecins à devenir maîtres de stage ; nous créons 300 postes d’assistants partagés entre hôpitaux locaux et zones sous-denses, afin que ceux-ci exercent à mi-temps dans des cabinets libéraux ou dans des maisons de santé pluriprofessionnelles et découvrent la spécificité de l’exercice.
Nous mettons donc tout en œuvre dans ce domaine et agissons pour accroître la diversification des lieux de stage, afin de répondre à l’enjeu dont vous nous parliez, qui est de découvrir le vrai métier que feront ces médecins sur le terrain ! (M. Jean-Pierre Corbisez applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour deux minutes.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, toutes les interventions révèlent un paradoxe : d’un côté, les déserts médicaux s’étendent ; de l’autre côté, on observe un manque criant de personnels de santé, notamment de médecins. Ma question sera simple : vous nous avez dit que vous alliez réfléchir à modifier le numerus clausus. Le candidat Macron avait effectivement dit que celui-ci serait réformé. J’aimerais connaître la raison pour laquelle vous ne supprimez pas carrément le numerus clausus ?
M. Yves Daudigny. Question courte ! Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Cohen, j’ai eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, la suppression du numerus clausus n’est pas la réponse aux déserts médicaux aujourd’hui, car son effet est différé. Or nous formons d’ores et déjà 8 700 médecins par an, c’est-à-dire deux fois plus qu’il y a six ans.
Ces médecins vont sortir de leur formation dans une dizaine d’années : en 2025, la démographie médicale sera plus élevée qu’à l’heure actuelle. Si nous ouvrons le numerus clausus aujourd’hui, les médecins formés à partir de 2018 sortiront sur le marché, si je puis dire, en 2030-2035. Or nous savons qu’à ce moment-là le nombre de médecins sera beaucoup plus important qu’aujourd’hui.
La question que nous nous posons à propos du numerus clausus concerne plutôt le profil de compétences que nous souhaitons trouver chez les futurs médecins. Aujourd’hui, ce profil est assez normatif et fondé sur les matières scientifiques. Ne peut-on pas diversifier le profil des étudiants qui intègrent les études de médecine ?
Nous avons un travail à engager sur les besoins en termes de démographie médicale en 2035–2040, parce qu’un certain nombre de métiers vont évoluer, notamment tous les métiers de l’imagerie qui vont se transformer grâce à l’intelligence artificielle. Nous avons un véritable travail d’anticipation à réaliser pour éviter de nous retrouver exactement dans la même situation qu’aujourd’hui, c’est-à-dire dans une situation où l’on n’aurait pas anticipé les besoins de demain et où l’on répondrait pour demain aux questions qui se posent aujourd’hui, comme celle sur le manque de médecins, alors qu’en 2035 nous ne manquerons plus de médecins.
Si l’on doit s’interroger sur le numerus clausus, c’est plutôt sur les compétences requises et la formation que nous souhaitons pour nos futurs médecins, pas sur la démographie médicale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique. Vous disposez d’une minute et vingt-sept secondes, ma chère collègue.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, je partage ce que vous venez de dire à propos des compétences et de la nécessaire diversification des profils. Il me semble par exemple qu’il faudrait renforcer la formation psychologique des médecins, et pas seulement leurs compétences scientifiques, qu’il faut par ailleurs évidemment maintenir.
Je pense quand même que la question du numerus clausus se pose. En effet, il y a encore trop d’étudiantes et d’étudiants qui échouent en première année. Je parle du numerus clausus pour les médecins, mais c’est vrai aussi pour d’autres professions, comme les orthophonistes.
Ensuite, il faut renforcer les maîtres de stage. Cela suppose donc de donner aussi davantage de moyens aux facultés. Si l’on veut plus de lieux de stage, il faudrait peut-être arrêter de fermer des hôpitaux et des services, comme c’est le cas notamment avec les groupements hospitaliers territoriaux.
Enfin, j’aimerais que l’on puisse aborder une question importante, à peine effleurée cet après-midi, celle du service sanitaire obligatoire. Vous avez raison, madame la ministre, il n’y a pas que le numerus clausus, il existe beaucoup de réponses pour tenter d’endiguer les difficultés liées au manque de médecins : le service sanitaire obligatoire en est une.
Je suis néanmoins soucieuse à ce sujet, parce que j’ai l’impression que l’on va demander à des jeunes de faire du bénévolat. Cela ne serait pas un bon moyen pour assurer la prévention. J’aimerais quelques éclaircissements sur cette question à l’occasion de vos réponses à d’autres interventions.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour deux minutes.
M. Hervé Maurey. Madame la ministre, vous avez fait part de votre souhait de réformer les études de médecine. Je ne peux que m’en réjouir puisque, dans notre rapport de 2013 Déserts médicaux : agir vraiment, nous préconisions déjà cette réforme.
Faisant le constat que l’on forme davantage de futurs praticiens hospitaliers que des médecins de ville – je rappelle que dès la troisième année de médecine les étudiants sont en quasi-permanence à l’hôpital –, nous proposions notamment de modifier les critères de sélection pour favoriser une plus grande mixité sociale et géographique, de diversifier l’enseignement en introduisant des matières favorisant l’installation en ambulatoire, que ce soit la gestion, la communication ou l’économie de la santé, et de rendre réellement obligatoire la réalisation d’un stage en médecine générale permettant de valider le deuxième cycle.
Ce rapport préconisait également de réformer les épreuves classantes nationales. Ce système où des QCM déterminent l’avenir des étudiants en termes de spécialisation et d’affectation géographique, sans prendre en compte leurs résultats aux examens antérieurs ou le bilan de leurs stages doit incontestablement être revu.
J’ajoute, mais vous le savez, madame la ministre, qu’un écart d’un dixième de point modifie parfois de plusieurs milliers de places le classement et, par là même, l’avenir des étudiants.
J’aimerais donc savoir si vous comptez revoir ce système. De même, si vous réduisez la présence des étudiants externes et internes dans les hôpitaux pour favoriser une meilleure connaissance de la médecine libérale, ce qui me semble souhaitable, comment fonctionneront les hôpitaux, sachant qu’ils bénéficient aujourd’hui de la présence en nombre d’étudiants à des coûts plus que modiques ? À titre d’exemple, un externe de troisième année perçoit environ 100 euros par mois pour un mi-temps. Comment l’hôpital pourrait-il fonctionner sans ces étudiants ?