Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs (n° 711, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques jours après la première grande manifestation à Paris pour la défense du service public, nous engageons, avec l’examen de cette proposition de loi, la première étape parlementaire de la réforme ferroviaire.
Je le dis d’emblée, les sénatrices et sénateurs de mon groupe soutiennent tous les agents du service public, qui œuvrent chaque jour, et même chaque nuit, pour que notre droit à la mobilité soit garanti. Ces agents exigent, avec dignité, le respect du dialogue social et la préservation de leur outil de travail. Nous serons donc à leurs côtés dans toutes les actions collectives qu’ils décideront de mener pour s’opposer à la casse du service public ferroviaire.
Venons-en à cette proposition de loi.
Le Gouvernement, qui fait peu de cas des institutions démocratiques, dont le Parlement, a fait le choix de passer son « nouveau pacte ferroviaire » par ordonnances et dans la précipitation. Pour répondre à cette provocation, la conférence des présidents du Sénat a fait le choix d’inscrire à notre ordre du jour, en urgence également, la présente proposition de loi, pour qu’elle devienne le support législatif de ce nouveau pacte ferroviaire. Nous sommes tous d’accord ici pour dire que le ferroviaire est un sujet trop structurant pour nos territoires pour le laisser à la seule discrétion du pouvoir exécutif. La représentation nationale doit pouvoir exercer ses prérogatives.
Cette posture gouvernementale se double d’une certaine idée du dialogue social, cette méthode étant utilisée comme un moyen de faire pression sur les partenaires sociaux. Le chantage est le suivant : soit vous êtes raisonnables et l’on transforme progressivement les ordonnances en dispositions législatives ordinaires, soit vous vous obstinez, et tout vous échappera.
Nous partageons donc pleinement la volonté du Sénat de signifier au Gouvernement notre refus de légiférer par ordonnances sur un tel sujet, notre refus de voir le dialogue social si malmené. Nous exprimons aussi l’idée qu’il faut donner le temps nécessaire au travail législatif. Cependant, sur ce point, nous sommes un peu gênés : même si nous comprenons l’urgence d’une réponse rapide du Sénat, celle-ci conduit dans les faits à malmener les droits des parlementaires. La proposition de loi ayant été inscrite à l’ordre du jour voilà deux semaines, il est impensable de demander aux parlementaires, a fortiori à ceux des petits groupes, un travail législatif rigoureux dans des délais si contraints. Ces délais contraints se conjuguent en outre avec un déficit d’information. Sur un tel sujet, il nous semble indispensable de disposer d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. Or nous n’avons eu connaissance de l’avis du Conseil d’État que lundi, et nous attendons toujours l’étude d’impact.
Nous nous trouvons donc dans une situation où nous partageons le message envoyé au Gouvernement, tout en ne partageant pas le message envoyé aux sénatrices et sénateurs appelés à adopter cette proposition de loi comme un élément de contestation, mais sans avoir à se prononcer sur son contenu. Or, sur le fond, nous nous trouvons face à une variation sur un même thème, celui du quatrième paquet ferroviaire, qui entérine l’ouverture à la concurrence des transports de voyageurs, lignes à grande vitesse comme trains régionaux.
Les sénateurs du groupe CRCE sont radicalement opposés à cette démarche qui condamne le service public ferroviaire. En effet, il est illusoire de penser que l’on peut marier une politique d’aménagement du territoire avec la libéralisation du rail, qui conduit à des politiques de court terme, centrées sur la rentabilité de l’offre. Nous y opposons l’intérêt général, la réponse aux besoins exprimés en termes d’aménagement du territoire, de droit à la mobilité ou de transition environnementale. Nous considérons ainsi – c’est ce qui motive cette motion – que cette proposition de loi ne doit pas être le support de la réforme ferroviaire.
En premier lieu, nous estimons que les directives européennes sont faites pour être révisées si elles ne répondent pas à leur postulat de départ, en l’occurrence une amélioration du service. Nous estimons ainsi que la France, forte de son expérience en matière d’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, laquelle s’est traduite par un recul du rail au profit de la route, une rétraction du réseau – et même son abandon parfois – ainsi que la fermeture de triages, devrait pouvoir demander la renégociation de l’ensemble des paquets ferroviaires.
En deuxième lieu, les expériences étrangères nous démontrent que cette voie n’est pas souhaitable pour les usagers. En effet, les tarifs explosent, comme on le voit en Grande-Bretagne, sans compter les aspects de sécurité ferroviaire, celle-ci étant bien plus difficile à obtenir avec la multiplication des opérateurs.
Par ailleurs, la proposition de loi comporte des éléments particulièrement inquiétants, qui vont plus loin que les exigences du quatrième paquet ferroviaire. Tout d’abord, elle anticipe les dates d’ouverture à la concurrence des transports conventionnés. Ensuite, le droit européen est muet sur le régime de propriété des entreprises qui assument un service public.
Il n’est aucunement exigé par le droit européen que Gares & Connexions change de statut. C’est une décision purement idéologique, partagée d’ailleurs par le Gouvernement, qui souhaite changer le statut de l’ensemble de l’entreprise publique. Pour notre part, nous sommes opposés à tout changement de statut. Nous considérons que la forme publique est la plus adaptée à l’exercice du service public. En l’occurrence, les gares sont des structures d’aménagement du territoire qui ne doivent appartenir qu’à la puissance publique, sous une forme garantissant cette pleine maîtrise publique.
Il s’agit enfin d’une transposition particulièrement défavorable au service public, puisque les exceptions d’ouverture à la concurrence ouvertes par le règlement sur les obligations de service public, ou règlement OSP, sont directement refermées par cette proposition de loi, qui interdit de les utiliser pour maintenir en certains lieux le monopole de la SNCF. Nous nous trouvons, là aussi, face à une posture idéologique. Même le projet gouvernemental est plus souple, en retardant l’ouverture en Île-de-France du fait de la densité des réseaux. Nous pensons, pour notre part, que ces exceptions pourraient être invoquées pour l’ensemble des régions.
Concernant les modalités d’ouverture à la concurrence, j’entends l’argument selon lequel la proposition de loi vise à définir des lots de lignes et qu’une telle démarche assurerait mieux l’aménagement du territoire pour l’offre à grande vitesse. Certes, c’est mieux que l’open access prévu par le Gouvernement, mais nous restons dubitatifs. Pouvez-vous réellement nous assurer que, malgré ce redécoupage, certaines lignes ne seront pas purement et simplement abandonnées ? De plus, quelles que soient les modalités choisies, c’est bien la cohérence globale de l’offre de transport qui perd du sens et de la pertinence. Avec un service qui sera à géométrie variable en fonction de la région habitée, des territoires entiers regarderont passer les trains…
Cette ouverture à la concurrence sous toutes ses formes ouvre donc bien la voie à la balkanisation du service public ferroviaire et de la SNCF, une posture fortement accidentogène qui va perturber la cohérence du système ferroviaire.
Concernant le statut des cheminots, l’attaque est moins frontale que celle du rapport Spinetta, mais elle est pernicieuse. Le transfert des salariés aux autres entreprises ferroviaires n’est pas encadré. Aucune obligation préalable n’incombe à la SNCF en matière de reclassement. Une sorte de portabilité des droits est mise en place, mais comment la garantir sur le long terme par des entreprises privées ? La possibilité de licencier un cheminot qui refuserait son transfert est incompatible avec le statut des cheminots, qui garantit la continuité du service public, et donc de l’emploi.
Au final, il existe plusieurs points communs entre toutes ces propositions, projets de loi et rapports. Deux constantes peuvent être relevées : l’ouverture à la concurrence et l’idée qu’il faut en finir avec toute notion publique dans les transports ferroviaires.
Nous nous inscrivons en faux contre cette vision qui se place d’un strict point de vue organisationnel, structurel et financier. Nous considérons que, pour faire une réforme efficace, il convient d’abord de prendre en compte les besoins. Or les usagers n’ont pas besoin d’avoir le choix, ils ont besoin d’avoir des trains qui fonctionnent, qui soient ponctuels, en nombre suffisant et en tous points du territoire. Pour cela, il faut s’atteler aux véritables maux qui affectent le service public ferroviaire : le sous-financement chronique des infrastructures, la charge de la dette, qui obère les capacités d’investissement, l’abandon de certaines dessertes ou de certaines activités sur des critères comptables, ou encore l’avantage concurrentiel de la route.
Aujourd’hui, il nous semble important de soutenir le service public ferroviaire, en trouvant de nouvelles sources de financement, en retrouvant une politique de massification et de développement de l’offre et en supprimant les avantages pour la route, notamment par le retour d’une écotaxe poids lourds.
Il nous semble nécessaire de s’intéresser aux politiques d’aménagement pour éviter de créer toujours de nouveaux besoins de mobilité par l’étalement urbain et de réfléchir à de nouvelles complémentarités entre les différents modes de transport.
Il convient de renforcer les péréquations au lieu d’organiser la balkanisation des opérateurs et des territoires. La régionalisation, renforcée par ce projet de loi, est une impasse, y compris pour les régions elles-mêmes, qui se trouvent lestées d’une charge trop lourde et souffrent du renoncement à une politique ferroviaire de dimension nationale, laquelle ne peut se limiter à l’offre grande vitesse et aux rescapés des trains d’équilibre du territoire.
Il s’agit aussi, en soutenant le service public ferroviaire, de promouvoir la transition environnementale et de se doter des outils permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour respecter les engagements de l’accord de Paris. Autant de problématiques absentes de cette proposition de loi ! Voilà les raisons qui nous ont conduits à déposer cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, contre la motion.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je prends la parole contre cette motion, car il me paraît incompréhensible de fustiger la volonté du Gouvernement de légiférer par ordonnances sur la réforme de notre système ferroviaire, ce qui empêche toute discussion au Parlement, et de refuser dans le même temps tout débat par le biais d’une question préalable déposée sur une proposition de loi traitant du même sujet.
Mme Éliane Assassi. Nous ne refusons pas le débat : nous contestons le contenu de ce texte !
M. Guillaume Chevrollier. Ce refus de débat est préjudiciable à l’expression démocratique et à la Haute Assemblée, qui utilise pleinement le pouvoir d’initiative donné aux parlementaires par la réforme constitutionnelle de 2008, laquelle a vraiment renforcé le pouvoir du Parlement.
La proposition de loi que nous examinons a été préparée par le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Hervé Maurey, et notre ancien collègue, Louis Nègre, grand spécialiste des questions relatives aux transports, au cours de l’année 2017. Elle a pour objet de définir un cadre juridique adapté à la réforme ferroviaire, sans en anticiper les échéances.
À l’origine, cette initiative visait à permettre aux parties prenantes de se préparer en amont, alors que l’insuffisante préparation de la libéralisation du fret ferroviaire a eu, nous le savons tous, des conséquences très négatives, surtout pour l’opérateur historique.
Pour préparer ce texte, les auteurs ont recueilli, lors de plusieurs dizaines d’heures d’auditions, les positions des différents acteurs concernés : les usagers, les syndicats, les régions, l’ARAFER, l’Autorité de la concurrence, le groupe public ferroviaire, les nouveaux entrants, les ministères concernés. Ils ont aussi entendu des universitaires et ont ensuite procédé à une consultation par voie écrite.
Cette proposition de loi a été déposée le 6 septembre 2017. À la demande du président du Sénat, elle a fait l’objet d’un avis du Conseil d’État, rendu le 22 février 2018 et publié, ce qui est rare. Cette procédure a permis d’identifier les améliorations possibles du texte sur le plan juridique.
Le travail en commission, avec l’adoption d’amendements inspirés de l’avis du Conseil d’État, nous a permis d’aboutir à un texte juridiquement solide. Il nous paraît donc important que nous puissions examiner cette proposition de loi, afin d’avoir un vrai débat parlementaire, chose que le projet de loi d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances, je le répète, ne nous permettra pas.
Mes chers collègues, par de nombreux aspects, notre système ferroviaire a été une réussite : un vaste réseau, une grande vitesse très développée, un transport régional et local dense. Et nous savons combien le transport ferroviaire peut être facteur de compétitivité, d’attractivité pour nos territoires et gage de mobilité pour tous ! Malheureusement, à la veille de l’ouverture à la concurrence, les performances de notre système ferroviaire apparaissent clairement insuffisantes et nécessitent modernisation et adaptation.
La qualité de service s’est dégradée au fil des années et plusieurs accidents majeurs ont également terni l’image du groupe public ferroviaire en matière de sécurité. Le réseau demeure vieillissant, malgré les travaux de régénération.
Après vingt ans de réformes successives, notre système ferroviaire ne semble toujours pas prêt pour la concurrence. Pourtant, il y a urgence. Le quatrième paquet ferroviaire, adopté en deux temps dans le courant de l’année 2016, généralise le droit d’accès au réseau, jusqu’à présent réservé aux services internationaux de transport de voyageurs et aux dessertes intérieures effectuées dans le cadre de ces services, à l’ensemble des services de transport de voyageurs à partir du 1er janvier 2019, pour une application effective à partir du 14 décembre 2020, soit au début de l’horaire de service 2021. De plus, ce texte européen enjoint les États membres à en assurer la transposition au plus tard le 25 décembre 2018.
Il est donc urgent de fixer le cadre juridique de l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires, conventionnés ou non, non seulement pour respecter les échéances européennes, mais aussi pour permettre aux différentes parties prenantes, y compris l’opérateur historique, de s’y préparer dans des conditions convenables, tant pour ses personnels que pour les usagers. Nous ne pouvons plus faire la « politique de l’autruche » en nous focalisant sur des dérogations ou en feignant de ne pas voir que, si la concurrence progresse partout en Europe sur le trafic intérieur des États membres, la France ne pourra rester isolée, a fortiori lorsque la SNCF opère sur les marchés étrangers en étant compétitive !
Nous le savons bien, cette ouverture à la concurrence sera sans doute limitée et progressive, mais la prudence et la lucidité obligent tous les opérateurs à s’y préparer. La concurrence de sociétés privées sur le marché ferroviaire ouvert aura des conséquences pour la SNCF, mais il n’y a pas de raison pour que la SNCF ne profite pas, à son tour, de l’ouverture, en assurant des dessertes intérieures dans d’autres pays.
Par ailleurs, si le réseau à grande vitesse est d’ores et déjà ouvert à la concurrence sur les lignes internationales depuis plusieurs années, qu’il s’agisse de Paris-Bruxelles ou de Paris-Londres, aucun concurrent ne s’est manifesté… L’ouverture du marché peut donc être source de gains si l’entreprise SNCF fait valoir ses atouts.
On le voit, tous les pays qui ont mené des ouvertures à la concurrence réussies ont, en parallèle, mis en place les conditions d’un équilibre économique global du système ferroviaire et ont renforcé sa gouvernance. La France n’a toujours pas effectué cette nécessaire « remise à plat », avec une dette ferroviaire qui continue d’augmenter, un effort de modernisation qui reste insuffisant et des services qui pourraient être renforcés dans certaines zones. Cette nouvelle réforme du système ferroviaire français semble donc plus que nécessaire.
L’ouverture à la concurrence, que nous appelons de nos vœux, permettra, nous en sommes convaincus, de renforcer la compétitivité de l’opérateur historique et sera également bénéfique aux usagers du transport ferroviaire comme aux contribuables français.
Pour toutes ces raisons, nous désapprouvons cette motion de procédure, qui marque le refus de poursuivre le débat sur un sujet essentiel pour notre pays. En conséquence, le groupe Les Républicains votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Longeot, rapporteur. Cette motion tend à opposer la question préalable sur cette proposition de loi.
Pour notre part, nous estimons indispensable d’avoir un débat parlementaire sur la mise en œuvre de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, une réforme majeure ayant des impacts sur les personnels, les usagers et les territoires. En effet, on ne peut pas à la fois dénoncer le choix du Gouvernement de recourir à des ordonnances et refuser le débat qu’autorise cette proposition de loi, même si nous avons des divergences sur le fond.
Cette discussion offre l’opportunité de prendre des positions fortes en faveur de l’aménagement du territoire. Je vous remercie d’ailleurs, madame la présidente Assassi, de reconnaître la pertinence de notre proposition de traiter ensemble les lignes rentables et non rentables. Le Sénat joue pleinement son rôle en prenant cette initiative. Nous devons conserver le maillage du territoire en préservant les dessertes menacées.
Au-delà de ce sujet, d’autres questions importantes doivent être traitées. Les conditions de transfert des personnels en cas de changement d’opérateur – nous examinerons à ce propos un amendement présenté par notre collègue Gérard Cornu à l’article 8 –, la gestion des gares, les conditions de transmission des informations nécessaires aux autorités organisatrices, la propriété des matériels roulants et des ateliers de maintenance, la vente des billets ainsi que l’information aux voyageurs sont autant de points qui méritent débat.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Comme je l’ai indiqué, le Gouvernement propose une réforme ambitieuse. Le projet de loi, qui a été présenté en conseil des ministres le 14 mars dernier, fait actuellement l’objet de concertations.
Cette réforme globale et cohérente repose sur quatre axes : améliorer le service public, avec un programme d’investissements massifs pour remettre à niveau un réseau qui souffre de décennies de sous-investissement ; préparer une ouverture progressive à la concurrence des TER et des TGV ; mettre en place un cadre social protecteur et équitable, pour tenir compte de l’ouverture à la concurrence ; donner tous les atouts à la SNCF pour réussir dans ce nouveau contexte d’ouverture à la concurrence, grâce notamment à une organisation plus unifiée, plus efficace et un modèle économique équilibré.
Le Gouvernement aborde ce débat avec une volonté d’écoute et d’échanges, mais il ne pourra pas se prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi.
Dans ces conditions, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur la motion présentée.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Le groupe socialiste s’abstiendra lors du vote de la motion tendant à opposer la question préalable. Nous n’approuvons pas pour autant les dispositions de cette proposition de loi, mais nous souhaitons saisir l’opportunité de son examen pour nous exprimer sur la situation du transport ferroviaire et sur les propositions que le Gouvernement entend mettre en œuvre par voie d’ordonnances. Olivier Jacquin interviendra dans quelques minutes pour expliciter les points que nous souhaitons défendre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 78 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 266 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je voudrais commencer par remercier les auteurs de ce texte de nous donner l’occasion de débattre de ce sujet si important pour notre pays : le train, la SNCF, ce monument des services publics qui a tant fait pour notre République, notamment pour son unité, grâce à son réseau en étoile. Merci, donc, à MM. Maurey et Nègre, que je salue, d’avoir su préparer une réflexion qui a de l’intérêt et qui anticipe efficacement l’échéance du 25 décembre 2018.
Le premier mérite de ce texte est de nous permettre de débattre du ferroviaire. Ce débat a été confisqué par le Premier ministre, le 26 février, lorsqu’il a annoncé que le Gouvernement recourrait aux ordonnances, alors même que, contrairement à la réforme du code du travail, le Président de la République n’en avait pas parlé lors de sa campagne présidentielle. Je m’interroge quant à ce contournement délibéré des chambres…
Conséquence directe de cela, madame la ministre, vous nous avez conduits à agir en urgence, comme vient de le dire Hervé Maurey, alors que cette proposition de loi était prête fin 2017 et que cette échéance de fin 2018 est connue depuis deux ans. Je note par ailleurs que la réforme de 2014 a été utile, appréciée, et même salutaire, et qu’elle n’a pas eu besoin d’ordonnances. Nous pourrions apporter les améliorations aujourd’hui nécessaires de cette même manière.
Votre intention de départ était pourtant louable. Vous nous proposiez, en juillet, une belle et grande loi sur les mobilités, à la hauteur de la LOTI de 1982, consacrant la nouvelle logique de mobilités, plutôt que de transports, et proposant l’intermodalité, l’interconnexion et la conjugaison des modes afin que nos concitoyens puissent relier efficacement et écologiquement un point A à un point B. Vous nous aviez d’ailleurs mis l’eau à la bouche avec les intéressantes Assises nationales de la mobilité.
La SNCF et le ferroviaire ont besoin d’un véritable débat démocratique et non pas de concertations en marge d’ordonnances.
M. Yves Daudigny. Eh oui !
M. Olivier Jacquin. Vous vous attaquez là à une institution totémique, au patrimoine commun des Français. Pis, le Premier ministre a voué la SNCF et les cheminots aux gémonies, mettant le mythique statut en pâture, faisant croire qu’il serait le problème.
Le problème, nous le savons, il réside aujourd’hui pour l’essentiel dans cette dette considérable, cette dette qui n’est pas celle des cheminots, mais bien davantage celle des différents gouvernements, qui, depuis des décennies, envoient des injonctions contradictoires à la SNCF, lui intimant plus d’économies et, en même temps, plus d’investissements pour les LGV, et ce au détriment de l’entretien des réseaux.
Le problème, il est aussi dans le financement des infrastructures et de la tarification usager du ferroviaire, qui intègre dans le prix du billet le paiement du réseau, sans comprendre, à aucun moment, les externalités positives du ferroviaire. Ce réseau est un héritage et un patrimoine considérables ; nous ne pouvons l’évaluer à l’aune des seules annualités budgétaires. Nous devons prendre en compte la transition écologique, la pollution, les congestions automobiles et l’ensemble des services rendus.
Enfin, il y a aussi l’aménagement du territoire, puisque c’est aussi et presque surtout de cela qu’il s’agit. Si les régions sont les chefs de file incontestés en matière de transport depuis la loi NOTRe, c’est bien par elles que passera le développement des offres de mobilités de demain. Votre volonté de leur confier la gestion des lignes de catégorie 7 à 9 sans imaginer, pour le moment, les moyens financiers pour les faire vivre revient de fait à les condamner. Nous ne pouvons pas nous résoudre à abandonner la ruralité en sacrifiant les gares après les bureaux de poste !
J’en viens à la proposition de loi sur laquelle nous allons être amenés à nous prononcer. Elle a le mérite, je le répète, d’ouvrir la discussion sur le sujet du ferroviaire, mais elle a le défaut de nous propulser dans une situation d’urgence pire encore que celle des ordonnances. Nous avons eu à peine quinze jours entre son inscription à l’ordre du jour et le début de l’examen en séance. Dont acte ! Banco ! Nous jouons le jeu, car nous préférons le débat, et nous profitons de cette occasion avant l’examen des ordonnances.
Madame la ministre, si un débat permet de mettre en avant les points d’accord, il nous faut également parler des désaccords.
Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si nous sommes pour ou contre l’ouverture à la concurrence. Le quatrième paquet ferroviaire l’a tranchée.
Mme Éliane Assassi. Normal, vous l’avez votée !
M. Olivier Jacquin. La question est bien de savoir si nous abordons ce dossier de manière dogmatique, en préconisant d’ouvrir au maximum et le plus rapidement possible à toute concurrence, quitte à surtransposer la directive européenne – c’est un risque !
Il y a une autre solution : pour notre part, nous sommes favorables à une ouverture raisonnée et maîtrisée, qui préserve l’opérateur historique. Nous préférons dynamiser plutôt que dynamiter !
Je ne tiendrai pas un discours manichéen sur le sujet de l’ouverture à la concurrence. En effet, elle a pu bien fonctionner dans certains pays et être catastrophique dans d’autres, l’un des pires exemples étant la libéralisation du fret ferroviaire dans notre pays en 2006, mal préparée, mal évaluée, mal anticipée. Résultat : un effondrement du volume de transport et une explosion du nombre de camions sur nos routes, déjà trop nombreux à l’époque. Pas de dogme, donc, en la matière !
La SNCF a d’ailleurs anticipé l’ouverture à la concurrence en augmentant et en diversifiant son offre de transport, notamment au travers de Ouigo, et en proposant des services renforcés à des prix parmi les plus faibles d’Europe, il faut le répéter, bien que ceux-ci restent trop élevés pour la moyenne de nos concitoyens.
Autre constat qui montre que tout n’est pas noir : depuis 2004 et la régionalisation, le nombre de passagers des TER a augmenté de 44 % et l’offre a été décuplée, et ce malgré un dialogue parfois difficile entre nos collègues élus régionaux, la SNCF et ses différentes composantes.
Une fois que la loi sera votée, il faudra du temps aux acteurs, aux autorités organisatrices et aux opérateurs pour bien préparer l’ouverture raisonnée à la concurrence. C’est pourquoi il nous semble primordial de garder 2023 comme date limite d’ouverture à la concurrence pour les régions tant les situations sont diverses. Surtout, gardons-nous de surtransposer en retenant l’hypothèse la plus rapide proposée par la Commission européenne !
Pour cette ouverture à la concurrence, le mode opératoire sera déterminant. C’est pourquoi nous serons nuancés et prudents devant votre proposition reprenant le principe dominant des franchises, philosophiquement intéressant, mais dans les faits difficile à mettre en œuvre, aux niveaux tant de la répartition des lots que des continuités de service entre eux. Il pourrait également impacter fortement l’opérateur actuel. Le libre accès, pour autant, nécessite de très fortes régulations, qui restent encore à imaginer, pour éviter l’écrémage. Il y aura certainement des candidats pour reprendre le Paris-Nancy, mais qui voudra de son prolongement vers Mirecourt, voulu par les élus locaux et le président Poncelet ?
Concernant le personnel, cette proposition de loi a été rédigée avant que le Premier ministre n’annonce la fin du statut pour les nouveaux recrutements. Il y aura à dire ! Je note que, s’agissant des mouvements entre opérateurs, il est proposé ici de garantir les conditions d’origine au-delà du premier transfert, là où le rapport Spinetta ne parle que du premier transfert. En revanche, nous nous inquiétons du durcissement de la législation actuelle, qui est inscrite à l’article 8. Si le mythique statut prémunit les cheminots contre le licenciement économique, ils peuvent d’ores et déjà être licenciés en cas de refus de mobilité, mais seulement au bout du troisième refus. Nous ne pouvons donc accepter une disposition visant à mettre fin au contrat de travail dès le premier refus.
Vous proposez également de rendre publiques les données de la SNCF, y compris celles qui seraient couvertes par le secret industriel ou commercial. Nous présenterons un amendement dont l’adoption permettrait, je pense, de mieux garantir le risque de fuites de données essentielles vers les concurrents de notre opérateur actuel.
Il en va de même concernant le matériel roulant ou les ateliers de maintenance. Il conviendra de veiller à un meilleur équilibre entre deux risques : celui qui verrait la SNCF devoir gérer seule les parties les moins intéressantes et celui qui verrait les nouvelles autorités organisatrices hériter d’une charge trop lourde. Nous avons besoin d’approfondir la question.
Je terminerai par un dernier sujet, et pas des moindres : les gares. Nous nous inquiétons de la volonté de transformation de l’entité Gares & Connexions en société anonyme. Nous plaidons résolument pour le maintien de la maîtrise publique des gares. Elles font partie du patrimoine national.
Madame la ministre, chers collègues, vous l’aurez compris, nous sommes heureux d’entamer ce débat, qui nous offre la possibilité de nous exprimer sur le ferroviaire, mais nous le voyons comme un hors-d’œuvre, un galop d’essai avant d’aborder le contenu des futures ordonnances et des textes importants à venir en matière de mobilité. En effet, c’est bien ainsi qu’il faut aborder la question : sortir de la logique des transports pour entrer dans celle des mobilités du XXIe siècle. Sur ces sujets, nous nous positionnerons selon trois axes de progrès.
D’abord, il y a l’aménagement du territoire et la poursuite de la décentralisation. Ces réformes doivent permettre plus d’égalité entre les hommes et entre les territoires, car il n’y a pas de petits territoires : il y a la République française !
Ensuite, il convient de respecter les cheminots et les travailleurs des transports. Alors que certains rêvent de précarisation et de dumping social, nous pensons qu’il doit y avoir une véritable continuité dans la protection des travailleurs des transports, qu’ils soient dans un train, un tram, un bus. Je vous pose la question, chers collègues : pourquoi ne pas imaginer une convention collective des transports terrestres ?
Enfin, nous nous battrons pour conserver une maîtrise publique des services publics : pas question de brader au plus offrant notre patrimoine commun !
Alors, je vous le répète, il nous faut dynamiser, sans dynamiter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)