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Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à instituer le Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, présentée par M. Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 611 rectifié [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 320, rapport n° 319).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi.
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme je l’ai souligné lors de la discussion générale de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi, le texte dont nous allons maintenant discuter a aussi pour objet d’améliorer la fabrique de la loi à partir de l’implication effective et structurée des parlementaires dans le processus d’évaluation des politiques publiques.
L’article 24 de la Constitution donne explicitement au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques. Les missions d’enquête, les rapports d’information y concourent, les études d’impact abordent le sujet, mais aucune démarche ou organisation, propre à chaque chambre ou commune, n’est prévue dans la loi ou dans les règlements intérieurs des assemblées.
Les politiques publiques et leur évaluation constituent un champ de savoir et de recherche à part entière. Cette « science de l’État en action », comme certains l’appellent, est aussi la branche la plus récente de la science politique.
Si tous les acteurs de la société sont concernés de manière générale, au titre de leur citoyenneté, ils le sont aussi en tant qu’acteurs et sujets de politiques publiques sectorielles, spécifiques à tel ou tel champ de la société. Nous, législateurs, sommes particulièrement impliqués dans la fabrique des lois, l’appréciation de leur mise en œuvre et leur évaluation.
Au-delà de l’appréciation personnelle que chacun d’entre nous porte sur son expérience parlementaire, la question de l’efficacité, si ce n’est de l’efficience, de notre action collective et de notre contribution aux évolutions de la société française est posée dans le débat public. Réformer les institutions doit permettre d’y répondre, mais, pour ce qui est de l’évaluation des politiques publiques, la question de fond, selon moi, est de savoir comment s’y prendre pour engager effectivement, concrètement le Parlement dans cette voie.
Pour moi, la réponse est non pas institutionnelle, mais organisationnelle. C’est là tout le sens et la raison d’être de ce texte.
Les expériences antérieures de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, et même de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois n’ont pas été probantes.
Forts de ce constat, nous avons voulu, au travers de ce texte, complémentaire du précédent, faire des propositions visant à nous doter d’une démarche structurée à même de permettre aux parlementaires de monter en connaissance et en compétence sur le sujet, à la fois politique et technique, de l’évaluation des politiques publiques.
Ma conviction est que, en travaillant en lien avec les institutions spécialisées et le monde académique compétent sur ces sujets, en nous appuyant également sur les compétences et l’expertise remarquable des administrations de nos deux chambres, nous pourrions, nous parlementaires, beaucoup mieux remplir le rôle que nous a confié le constituant en matière de contrôle et d’évaluation.
Avant d’entrer dans le détail de cette proposition de loi, j’aimerais proposer une définition de la notion de politique publique : les politiques publiques sont le lieu où des sociétés définissent leur rapport au monde et à elles-mêmes ; une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique.
Quant à l’évaluation, c’est l’activité de rassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en œuvre et l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation de mesures nouvelles.
À partir de ces considérants, nous proposons, à l’article 1er, d’instituer une délégation parlementaire, dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », composée de dix-huit sénateurs et de dix-huit députés désignés à la proportionnelle des groupes et en respectant la parité hommes-femmes.
Cette délégation serait assistée d’un conseil scientifique pluraliste, composé de trente membres – économistes, sociologues, historiens, anthropologues… – désignés pour trois ans, dans le cadre du règlement de la délégation. La mission de ce conseil serait d’informer le Parlement sur les conséquences des politiques publiques sur le bien-être et sur leur soutenabilité, de mettre en œuvre et d’animer une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse – il s’agit là de la dimension citoyenne et participative qu’il est indispensable de donner à cette démarche –, d’organiser chaque année, lors de l’examen de la loi de règlement, une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
À l’article 2, nous proposons qu’un bilan d’évaluation des nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas soit réalisé tous les trois ans et que soient éventuellement formulées, à cette occasion, des propositions d’amélioration et d’adaptation.
L’article 3 prévoit qu’une contre-expertise indépendante du rapport prévu par la loi Sas soit réalisée en vue de favoriser l’objectivité de l’évaluation des politiques publiques portée au débat public, les organismes chargés de conduire cette étude étant désignés tous les deux ans par décret en Conseil d’État.
Des membres éminents de la commission des lois estimant que le dispositif présenté est trop lourd, trop complexe, le rapporteur proposera dans quelques instants le renvoi du texte à la commission, pour préserver la suite de la réflexion.
Bien entendu, j’aurais préféré que la proposition de loi soit approuvée et que le Sénat engage un dialogue avec l’Assemblée nationale sur cette base. Cependant, peut-être est-il plus sage que la chambre haute s’engage sur la voie de l’évaluation des politiques publiques dans le cadre d’une adaptation de son règlement intérieur donnant aux commissions toutes prérogatives en la matière.
Toutefois, je tiens à attirer l’attention sur un point qui me paraît fondamental : il faudra, si nous voulons être ambitieux – je souhaite que nous le soyons –, que nous travaillions ensemble sur nombre de politiques publiques présentant un caractère transverse. Les enjeux du développement durable, par exemple, ne souffrent pas les raisonnements « en silo », selon le périmètre strict de chaque commission. Il nous faudra bien envisager, à certains moments et sur certains sujets, d’entreprendre un travail commun, à l’aune des grands enjeux devant constituer le substrat, le postulat de nos raisonnements et de nos méthodes d’évaluation.
Si le périmètre des politiques publiques se borne parfois, dans des cas simples, à des secteurs de la société bien délimités, il concerne le plus souvent plusieurs secteurs à la fois, et partant plusieurs de nos commissions permanentes. La complexité de nos sociétés affecte nos politiques publiques. Il nous faudra donc trouver une organisation interne adaptée pour tenter d’appréhender cette complexité du réel dans notre travail d’évaluation.
Les nouveaux indicateurs de richesse, comme les objectifs de développement durable, reflètent la prise en compte de cette complexité. Considérer les premiers comme des éléments de décor et les seconds comme de simples éléments de comparaison serait un contresens manifeste.
C’est aussi pour cette raison que les nouveaux indicateurs de richesse tiennent une place importante dans notre texte et que nous souhaitons que leur pertinence soit évaluée et qu’ils puissent faire l’objet d’évolutions dûment documentées. Nous aurions pu inscrire dans notre texte, avec tout autant de pertinence, les objectifs de développement durable de l’ONU.
Enfin – il s’agit depuis peu d’un point d’accord entre des institutions libérales telles que le FMI et l’OCDE et des institutions moins orthodoxes –, nous pensons que la question des inégalités doit faire l’objet d’un suivi particulier, régulier, et que le Sénat, qui se veut défenseur des libertés, doit donner l’exemple en la matière. Il n’est pas, nous le savons tous, de pleine liberté quand on est victime d’inégalités. La République ne prend tout son sens que dans l’équilibre relatif des trois valeurs de sa devise. C’est dans cet esprit que nous proposons qu’une conférence nationale sur les inégalités soit organisée chaque année au Sénat.
Je voudrais, pour terminer, aborder la dimension démocratique de l’évaluation des politiques publiques.
L’analyse des politiques publiques doit nous permettre, au-delà des valeurs et des options partisanes qui sont les nôtres, de porter un autre regard sur le politique.
Le modèle d’action publique de la France a connu, depuis le XIXe siècle, des transformations profondes. Le mode d’action publique issu de l’après-guerre, qui s’est développé jusque dans les années soixante-dix, était construit sur le rôle central de l’État en matière de développement économique. L’élite politico-administrative de cette période avait développé les politiques publiques à partir d’un modèle fondé sur la place centrale de l’État dans le développement économique.
La place grandissante de l’Union européenne et l’ouverture à une économie de plus en plus mondialisée ont, petit à petit, débouché sur un affaiblissement de la centralité de l’État. La disqualification, voire le rejet, du politique – et des politiques – comme de l’État s’explique par le sentiment d’impuissance qu’éprouve un nombre croissant de nos concitoyens à l’égard des institutions en général. Les syndicats et d’autres formes de représentation collective n’échappent pas non plus à ce phénomène profond.
Selon Pierre Muller, chercheur honoraire au CNRS et spécialiste des politiques publiques, « cette crise […] débouche sur une profonde transformation de l’espace public, entendu à la fois comme lieu de production du sens et comme lieu d’expression des intérêts sociaux en même temps qu’à l’émergence de nouveaux rapports sociaux entre l’individu et l’action collective ».
Il ajoute que cette crise « doit surtout conduire à réfléchir sur la fonction politique aujourd’hui et notamment au découplage croissant entre la fonction d’élaboration des politiques publiques (policies) et la fonction de représentation politique (politics). […] Entre les contraintes liées au contexte extérieur qui déterminent de plus en plus clairement le contenu des politiques publiques et les demandes de nouvelles formes de participation politique formulées par les citoyens, les responsables politiques devront trouver de nouveaux modes de transaction sous peine de voir se développer les différentes formes de populisme porteuses de visions du monde à la fois simplistes et dangereuses. »
La révision constitutionnelle aurait pu être posée en ces termes. Mais ne désespérons pas des débats que, je l’espère, elle suscitera sur le nécessaire regain d’intérêt et d’engagement du citoyen pour la chose publique.
Eu égard aux enjeux de fond qui sous-tendent notre texte, je souhaite que le renvoi de celui-ci à la commission ne constitue pas un enterrement, fût-il de première classe. Si tel devait être le cas, nous aurions perdu une occasion de progrès collectif vers davantage d’efficacité dans notre propre action politique, et donc dans la réhabilitation du politique auprès de nombre de nos concitoyens. L’actualité européenne nous l’a encore rappelé ce week-end. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est un pouvoir qu’ont tous les membres du Gouvernement : celui de ne pas appliquer la loi… C’est scandaleux, et pourtant vrai : si un ministre décide de ne pas publier un décret d’application, la loi qui prévoit celui-ci ne s’applique pas. C’est scandaleux, car le premier devoir d’un ministre, qui est un serviteur de la loi, est de tout mettre en œuvre pour que la loi votée par le Parlement, fût-ce sur l’initiative de son prédécesseur, soit appliquée.
C’est pourquoi il est essentiel de parler de l’application et de l’évaluation de la loi, les deux étant indissociables.
M. Claude Kern. Exact !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, tout citoyen peut saisir la justice administrative et demander la condamnation de l’État pour non-application de la loi, mais il s’agit d’une procédure lourde, complexe et assez rarement mise en œuvre.
J’ai vécu, à cet égard, une expérience dont je me souviendrai toujours. En 2004, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Sénat a adopté, contre l’avis du Gouvernement, une disposition s’appliquant aux femmes exposées in utero au distilbène, médicament produisant des effets sur les filles, voire les petites-filles, des femmes auxquelles il a été prescrit. Le Sénat a considéré que ces femmes devaient bénéficier d’un congé maternité adapté. J’avais à l’époque travaillé avec l’association Réseau DES France.
Cette disposition a également été votée par l’Assemblée nationale. La loi a été promulguée le 20 décembre 2004 ; deux décrets d’application étaient prévus, concernant l’un les personnels de la fonction publique, l’autre les salariées du secteur privé. Toutes les femmes concernées ont salué l’adoption de cette disposition.
Or, mes chers collègues, il a fallu un certain temps pour que ces deux décrets paraissent. J’ai dû interpeller successivement trois ministres, multiplier les interventions et les questions, orales et écrites. Le second décret a été publié le 3 juillet 2009, soit exactement cinq ans, six mois et quatorze jours après la promulgation de la loi…
Les femmes qui nous avaient félicités d’avoir adopté cette disposition étaient extrêmement fâchées, contrariées de voir qu’une mesure votée ne s’appliquait pas. Certaines m’ont même demandé si le Gouvernement attendait, pour publier ces décrets, qu’elles ne puissent plus avoir d’enfants…
Une telle situation ne doit plus exister dans la République française. On pourrait citer des centaines d’autres exemples de cet ordre, monsieur le secrétaire d’État. C’est pourquoi il est nécessaire non seulement d’élaborer et de voter la loi, mais aussi de suivre scrupuleusement ses conditions d’application ou de non-application, à commencer par la publication des textes réglementaires. Il s’agit là d’une impérieuse nécessité. La Constitution confie d’ailleurs au Parlement la mission de contrôler le Gouvernement : nous sommes ici au cœur de cette mission de contrôle.
Franck Montaugé propose de créer un nouvel organe qui comprendrait trente-six parlementaires, dix-huit députés et dix-huit sénateurs. Le rapport présente l’historique des différentes instances qui ont été instaurées pour évaluer et contrôler l’application de la loi. La commission a jugé très pertinent l’objet de la proposition de loi de M. Montaugé, mais elle a considéré que l’instrument imaginé n’était pas forcément le plus adapté. Il nous a semblé préférable que le contrôle de l’application de la loi s’opère de la manière la plus concrète possible, c’est-à-dire en commission.
À titre d’exemple, un organe tel que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fait un travail remarquable, mais ne se réunit que trois ou quatre fois par an. Une instance créée sur ce modèle serait assez lourde et son mode de fonctionnement ne permettrait pas d’entrer dans le détail de l’écriture et de l’application des lois, ligne à ligne, alinéa après alinéa, paragraphe après paragraphe, article après article… En laissant aux commissions le soin de contrôler l’application des lois sur lesquelles elles ont travaillé, on atteindra sans doute à une plus grande efficacité.
C’est pourquoi, mes chers collègues, j’ai proposé à la commission des lois de voter le renvoi du texte à la commission. Cela ne veut pas dire que nous nous dessaisissions du sujet. Je tiens à rassurer Franck Montaugé : nous allons continuons à y travailler, d’autant qu’il sera certainement abordé dans le cadre de la réforme constitutionnelle à venir.
Je compte d’ailleurs déposer très prochainement avec Franck Montaugé une proposition de résolution relative au règlement du Sénat prévoyant que le rapporteur d’un texte le reste jusqu’à la fin de son mandat et présente chaque année devant la commission une communication sur l’état d’avancement de l’application de la loi. Ainsi, le rapporteur suivrait l’élaboration de la loi, mais aussi son application, année après année, et il pourrait, à ce titre, interpeller le ministre concerné si, par exemple, sur vingt décrets prévus, trois seulement sont parus. Le président de la commission compétente ne manquerait pas d’appuyer sa démarche. Il arrive très souvent que peu de décrets aient été publiés un an après la promulgation de la loi. Il s’agit donc d’une préoccupation tout à fait légitime.
Nous allons ensemble travailler aux différents outils qui nous permettront de progresser, de manière concrète et pragmatique, vers un suivi scrupuleux et vigilant de l’application de la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi nous permet de prolonger le débat entamé au travers de nos échanges sur la proposition de loi organique, et en particulier sur la pertinence du recours aux nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi Sas.
Si le sort de cette proposition de loi, sans préjuger le vote de votre assemblée, semble ne pas faire de doute – la commission ayant une nouvelle fois déposé une motion tendant à son renvoi à la commission –, son examen représente, pour le Gouvernement et le Parlement, l’occasion de réfléchir ensemble aux formes que pourrait prendre la mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.
La présente proposition de loi vise en effet « à favoriser le développement de nouveaux indicateurs de richesse, leur utilisation et leur appropriation citoyenne afin de faire rentrer dans les mœurs une autre culture de l’évaluation fondée sur des indicateurs alternatifs au PIB ». À ce titre, elle tend à enrichir la loi du 13 avril 2015, qui se borne à prévoir la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur ce sujet.
Ce texte prévoit la création d’une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, chargée « d’informer le Parlement sur la politique suivie par le Gouvernement, notamment en matière de choix budgétaires, au regard de nouveaux indicateurs de richesse ».
La proposition de loi prévoit également que ce conseil parlementaire évalue, tous les trois ans, la pertinence desdits indicateurs de richesse prévus par la loi Sas et formule des propositions.
Enfin, le texte précise que le rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de la loi Sas doit faire l’objet d’une contre-expertise par un ou plusieurs organismes indépendants.
Ce texte soulève en somme deux questions : comment doit s’organiser l’évaluation des politiques publiques ? Sur quels critères doit-elle s’appuyer pour être pertinente ?
La première question rejoint les réflexions dont je vous ai fait part tout à l’heure lors de mon intervention liminaire sur la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi.
La volonté du Gouvernement et du Président de la République est de donner au Parlement tous les outils pour renforcer ses méthodes d’évaluation des lois, ses capacités d’expertise des effets emportés par les dispositions votées et pour remplir au mieux sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.
Dans le système actuel, nous passons effectivement trop de temps à discuter des effets anticipés d’une disposition, et trop peu à les vérifier. Nous adorons prédire le meilleur ou le pire pour une réforme, mais rechignons souvent à quantifier et à qualifier ses échecs ou ses succès.
Il n’est pas sain, pour notre démocratie, de sembler n’avoir pas de suite dans les idées. Il n’est pas sain que le Gouvernement n’ait pas plus à rendre compte de son action auprès de la représentation nationale. Il n’est pas sain, donc, que le Parlement ne marche que sur une jambe. La représentation nationale doit pouvoir mieux assumer le deuxième versant de sa mission constitutionnelle : le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
Je sais le Sénat très désireux d’améliorer la capacité du Parlement à suivre l’application des lois, à les évaluer dans la durée, à exercer sa mission de contrôle. Les discussions entamées cette semaine par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle permettront précisément d’atteindre cet objectif et de renforcer cette évaluation.
Je pense, par exemple, au rôle nouveau que pourrait assumer la Cour des comptes dans les missions d’évaluation et de contrôle du Parlement, ou encore à la possibilité d’enrichir la semaine de contrôle, d’en faire l’outil qu’elle aurait dû être depuis sa mise en place, au service d’un contrôle efficace de l’action du Gouvernement et du suivi de l’application des lois.
Je l’ai dit lors de ma précédente intervention : nous devons rééquilibrer le travail et le calendrier parlementaires, favoriser notamment la tenue d’un débat budgétaire de printemps consistant, efficace, permettant de suivre l’application des lois dans la durée et d’analyser au mieux les résultats de l’action gouvernementale.
Là encore, le calendrier de l’examen de cette proposition de loi vient heurter celui de la révision constitutionnelle. L’adoption de ce texte pourrait contribuer à figer inutilement les positions.
À cet élément de calendrier, il faut ajouter quelques remarques de fond.
La présente proposition de loi tend à créer une délégation parlementaire dénommée « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être », sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, l’OPEL, et de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, l’OPEPP, communs aux deux assemblées et tous deux créés en 1996.
L’OPEPP a été supprimé en 2000, l’OPEL en 2009. Ce dernier a produit, en tout et pour tout, trois rapports en treize ans, malgré des moyens importants. Cela laisse à penser que la formule retenue n’est peut-être pas la bonne.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la sphère de l’État, le Gouvernement s’est fixé comme règle de ne plus créer d’instance nouvelle, de conseil ou de comité. Tout en respectant le principe de séparation des pouvoirs, il ne peut donc voir d’un œil particulièrement bienveillant l’apparition d’un nouveau conseil.
Il semble surtout que l’option déjà retenue par le Sénat de confier aux commissions permanentes le soin de veiller au suivi et à l’évaluation des lois soit plus pertinente et plus efficace. En effet, c’est en leur sein que se trouvent déjà toutes les compétences nécessaires à un suivi efficace des textes adoptés. Il est parfaitement logique de confier à la commission qui a longuement travaillé à l’élaboration d’un rapport, qui a ensuite voté un texte, qui s’est positionnée sur des amendements, le soin de se pencher ensuite, plusieurs mois ou années après, sur l’application et l’évaluation de la loi.
Le Gouvernement regardera donc d’un œil attentif le sort réservé à la proposition de résolution présentée par M. Sueur visant à modifier le règlement du Sénat pour que le rapporteur d’un texte puisse en suivre l’application pendant toute la durée de son mandat. Je ne peux m’empêcher, monsieur le rapporteur, en écho à votre intervention, de souligner que le secrétariat général du Gouvernement est désormais chargé d’établir un point semestriel sur la publication des décrets d’application, de manière à éviter les mésaventures que vous avez pu connaître.
Si le Gouvernement a des propositions fortes à faire au Parlement pour renforcer ses missions de contrôle et d’évaluation, il compte aussi sur le Parlement pour se saisir de ses pouvoirs et trouver les meilleures solutions pour renforcer son action de contrôle et d’évaluation.
La seconde question posée par cette proposition de loi a trait aux critères retenus pour mener à bien une évaluation satisfaisante des politiques publiques.
S’il ne revient pas au Gouvernement d’interférer dans le choix des méthodes retenues par le Parlement pour évaluer les lois et les politiques publiques, je puis du moins vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que les nouveaux indicateurs de richesse prévus par la loi dite « Sas », que la présente proposition de loi veut promouvoir, sont d’ores et déjà largement pris en compte dans de nombreuses administrations.
Ainsi, à Bercy, les indicateurs de niveau mission, qui rendent compte des grandes priorités des politiques publiques conduites par le Gouvernement, sont, pour la plupart, mis en cohérence avec ces nouveaux indicateurs de richesse dans les projets annuels de performance depuis 2017.
Dans la troisième édition du rapport annuel sur les nouveaux indicateurs de richesse, publiée voilà deux semaines, le Gouvernement s’est engagé à aller encore plus loin. Comme l’a annoncé le Premier ministre, « dès l’année prochaine, les principales réformes engagées par le Gouvernement seront ainsi évaluées à l’aune de ces indicateurs pour juger de leur adéquation avec notre volonté d’engager la France vers une croissance plus verte et plus inclusive ».
L’Assemblée nationale et le Sénat ont également pris les choses en main, avec la mise en place, au sein de leurs commissions du développement durable respectives, d’un groupe de travail chargé d’examiner les expériences étrangères de présentation du budget à l’aune d’objectifs de développement durable. Nous ne sommes encore qu’au début de l’aventure, mais les chantiers sont lancés, et l’ambition politique est là. Nous constatons qu’elle est partagée.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement estime utile la contribution de cette proposition de loi au débat sur l’évaluation des politiques publiques. Il est tout à fait vertueux que, dans cette période particulière de la législature – la première année, si importante pour les relations entre le Gouvernement et le Parlement, dans un moment essentiel pour l’avenir de nos institutions, celui des consultations menées par le Premier ministre en vue de la révision constitutionnelle –, nous prenions le temps du dialogue, de l’échange de vues sur des points qui structureront notre travail en commun.
C’est ainsi que, avec la commission des lois et son rapporteur, nous considérons cette proposition de loi comme un texte utile au dialogue et à la réflexion, mais probablement insuffisant pour répondre pleinement à tous les enjeux de l’évaluation des lois. C’est la raison principale pour laquelle le Gouvernement soutiendra la motion de la commission des lois tendant au renvoi du texte à la commission.