M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite avant tout remercier l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Patrick Chaize. Par son initiative, la question de l’accès au numérique, question vitale pour le désenclavement et le développement des territoires ruraux et de montagne, revient au cœur de l’hémicycle.
Nous partageons l’objectif de cette proposition de loi : clarifier et encourager les investissements dans le numérique afin d’atteindre les objectifs du plan France très haut débit, soit la couverture en 2025 de 100 % de la population par la fibre optique. Nous considérons en effet ce réseau par fibre comme essentiel pour les populations, d’une importance équivalente au réseau électrique ou ferroviaire que la puissance publique a su déployer en d’autres temps.
Aujourd’hui, l’accès à ces technologies est déterminant non seulement en termes d’attractivité des territoires, mais également pour le droit à l’information et à la communication, pour l’accès aux œuvres et aux savoirs. Autant de considérants qui ont conduit l’ONU à définir l’accès au numérique comme un nouveau droit de l’homme.
Par ailleurs, pour nos territoires, l’économie numérique pourrait devenir l’outil privilégié de lutte contre les fractures territoriales : un véritable moteur de développement.
Pour toutes ces raisons, nous sommes très soucieux du retard pris par la France, qui se place au vingt-septième rang parmi les pays européens en matière d’accès au numérique fixe. Ce retard est la conséquence directe des politiques de libéralisation totale de ce secteur et du désengagement de l’État, qui ne définit pas un cadre juridique contraignant, lequel serait pourtant favorable au développement du très haut débit.
La politique numérique de la France se résume très simplement : liberté totale pour les opérateurs selon un schéma habituellement délétère où l’on socialise les pertes et où l’on privatise les profits. Un plan qui permet aux opérateurs d’intervenir là où la rentabilité est assurée et qui partout ailleurs, soit 90 % du territoire, appelle les collectivités à prendre en charge le financement des infrastructures déficitaires.
Cette structuration du marché permet aux majors des télécommunications de dégager d’importants profits. En 2016, le bénéfice d’Orange a progressé de 10,7 %, s’élevant à 2,93 milliards d’euros. Pour SFR, ce sont 3,6 milliards d’euros de bénéfice.
À l’inverse, pour les collectivités qui doivent investir en zone non rentable, cet effort est de plus en plus difficile à produire du fait de la baisse continue et importante des dotations.
Par rapport à cette situation, la proposition de loi permet d’introduire quelques correctifs sur cette structuration de marché, mais uniquement pour les zones dites « intermédiaires ». Il s’agit des zones ni très denses ni trop peu denses, où l’État a émis des appels à manifestation d’intérêt pour faire pression sur les opérateurs et obtenir des engagements de leur part. Or, aujourd’hui, dans ces zones dites « AMI », les engagements des opérateurs, dans le cadre des conventionnements, ne sont assortis d’aucune obligation de résultat ni même de moyens. En cas de défaillance, la seule option est celle de l’intervention du secteur public pour pallier les manquements.
Cette proposition de loi préconise dans ce cadre plusieurs évolutions positives : d’abord, une meilleure connaissance des engagements pris ; ensuite, l’obligation de respecter ces engagements sous peine de sanctions ; enfin, l’interdiction pour les opérateurs d’intervenir à un endroit où un autre opérateur a déjà manifesté son engagement d’intervenir. Il s’agit clairement de répondre à l’offensive de SFR, qui avait annoncé être en mesure de « fibrer » l’ensemble du territoire.
Nous sommes donc favorables à ces évolutions tout en regrettant leur périmètre circonscrit et leur caractère limité. En effet, cette proposition de loi préserve malgré tout un modèle hybride, injuste, qui entérine les fractures territoriales : rien sur la zone dense et rien non plus pour aider les collectivités à assumer leur mission de service public local reconnu par la présente proposition de loi.
Nous estimons, pour notre part, que c’est l’ensemble du modèle qu’il faut repenser. Il est indispensable de remettre de la cohérence, de la transparence et de la responsabilité politique pour garantir des droits nouveaux pour nos concitoyens.
La rentabilité à court terme ne peut plus être la seule boussole de notre développement. Il faut sortir de ce prisme et redonner une dimension d’intérêt général à ce secteur.
Nous voyons ici les limites du tout-privé et de la dérégulation. Les solutions existent pourtant. Un seul exemple : la « rente du cuivre », qui a permis d’offrir de généreux dividendes aux actionnaires d’Orange, aurait d’ores et déjà permis de « fibrer » l’ensemble du territoire national.
Nous avons déjà perdu trop de temps.
Deux options uniquement s’offrent à nous pour répondre au défi de la couverture numérique du territoire : soit le public, au sens large, prend la responsabilité d’intervenir partout pour engager une péréquation permettant, dans des conditions acceptables, la création de ce réseau ; soit cette responsabilité est confiée au privé, avec un cahier des charges, des obligations de service public dans le cadre du service public universel qui serait alors étendu au très haut débit.
Si l’objet de cette proposition de loi reste donc loin de cette « révolution du numérique » que nous appelons de nos vœux, elle permet tout de même de corriger certains dysfonctionnements.
Cette proposition de loi a le mérite d’apporter un meilleur encadrement et un début de régulation dans le secteur du numérique. C’est bien sûr une avancée, mais, nous l’avons rappelé, dans un système général qui ne fonctionne pas. C’est pourquoi le groupe CRCE portera une abstention constructive sur ce texte. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre ami et collègue Patrick Chaize, et je voudrais m’associer aux orateurs précédents pour rendre hommage au travail réalisé à travers ce texte.
À l’instar du dernier rapport d’information publié en 2015 compilant les recommandations du groupe de travail sur l’aménagement numérique du territoire, notre commission réalise depuis plusieurs années déjà un important travail de vigilance sur ce sujet tout en se montrant force de proposition.
Si les retards de déploiement et le manque d’investissement public ont longtemps été la norme dans notre pays – ce qui se matérialise par la dix-huitième place qu’il occupe parmi les vingt-huit pays européens au classement de la performance numérique –, je me réjouis que ce temps soit désormais en passe d’être révolu grâce à une ambition politique renouvelée.
Une bonne partie du chemin a été tracée au cours du précédent quinquennat, sous l’impulsion de François Hollande, avec le lancement du plan France très haut débit. Mobilisant des sommes jamais investies jusqu’alors, ce plan a fait le choix de développer la fibre optique jusqu’à l’abonné et plusieurs objectifs ambitieux à l’échéance de 2022.
Aujourd’hui, malgré des retards et des difficultés parfois observées sur le terrain, la dynamique de cette tendance ne saurait se démentir. Mieux, elle doit selon moi être soutenue et même renforcée afin de bénéficier au plus grand nombre de nos concitoyens.
Comme toute dynamique, elle comporte également des dérives, en l’espèce une concurrence déloyale de certains opérateurs comme nous l’avons vu au cours de l’été 2017.
Cette proposition de loi arrive donc à point nommé ; elle est une réponse à ces difficultés et propose un cadre législatif raffermi indispensable à la dynamique des déploiements, à la prévisibilité et à la confiance nécessaire pour ce type d’investissement.
L’ARCEP, dont je salue la qualité du travail, ne s’y était d’ailleurs pas trompée : dans plusieurs de ses avis, elle a appelé à préserver l’articulation public-privé instituée par l’appel à manifestation d’intentions d’investissement réalisé en 2011.
Aussi, je souscris pleinement aux objectifs du texte : conforter les investissements publics dans la fibre et permettre aux collectivités de mieux contrôler les dynamiques de déploiement sur leur territoire. Il vise à préserver l’indispensable équilibre entre les acteurs grâce à plusieurs propositions importantes rappelées avant moi. Pour ma part, je souhaite m’attarder sur deux de ces dispositions, prévues aux articles 4 et 5, qui rendent opposables les engagements des opérateurs en instaurant des sanctions.
Ce mécanisme est au cœur du texte et en constitue à mes yeux un des apports principaux : il complète l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques tel qu’institué par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique grâce à un amendement du groupe socialiste et républicain. Il confie à l’ARCEP le soin de contrôler le respect du calendrier de déploiement et de veiller au respect de la répartition entre opérateurs et collectivités tel qu’établie par la liste arrêtée par le ministre chargé des communications électroniques. La sanction comportant toujours un effet de dissuasion, le texte prévoit que l’ARCEP pourra désormais être susceptible de prononcer une sanction pécuniaire à l’égard d’un opérateur fautif.
Autre sujet d’importance à mes yeux, et qui doit contribuer à encourager le passage du cuivre à la fibre : il était impératif de définir les modalités d’octroi du statut de zone fibrée et d’en définir plus précisément les contours. En consolidant la compétence de l’ARCEP en la matière, le texte répond à une revendication des collectivités et précise les conditions de rachat des infrastructures cuivrées.
À ce stade de la discussion, vous l’aurez compris, notre groupe votera ce texte.
M. Bruno Sido. Ah ! Bien !
M. Claude Bérit-Débat. Toutefois, je souhaite faire quelques observations pour conclure, en forme de points de vigilance. Certaines de ces observations, que je vous adresse tout particulièrement, monsieur le secrétaire d’État, font écho à des interrogations que vous avez pu entendre lors de votre récente audition par notre commission.
D’abord, concernant la zone d’initiative publique, face à la volonté exprimée par certains opérateurs de contribuer dans une plus grande proportion aux déploiements inscrits dans le cadre de l’AMII de 2011, j’estime, comme le fait d’ailleurs l’ARCEP, qu’il y aurait tout à gagner à réattribuer une partie des zones AMII selon un ciblage et des critères précis. Cette démarche pragmatique permettrait, outre le fait de parer à certaines insuffisances chroniques et persistantes, d’accélérer le déploiement dans certaines zones sous-équipées.
Ensuite, il est clair que l’objectif de « bon débit pour tous » pour la fin de 2020 ne pourra être atteint qu’en exploitant au maximum les synergies entre les déploiements fixes ou mobiles dans les zones moins denses, c’est-à-dire rurales. Aussi, dans cette optique de complémentarité où le réseau mobile doit jouer toute sa part, je souhaite que vous puissiez affirmer des objectifs précis de couverture à échéance datée.
De même, la définition de critères de priorité les plus ambitieux possible pour inciter les acteurs privés à investir massivement dans les anciennes zones blanches est d’après moi un impératif majeur.
Les maires de nos petites et très petites communes rurales attendent impatiemment vos annonces sur ce sujet. Je vous remercie de leur répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Jean-Paul Émorine, Alain Fouché et Bruno Sido applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue tout d’abord le travail remarquable de l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Patrick Chaize, engagé pour l’aménagement numérique du territoire depuis déjà plusieurs années, ainsi que Marta de Cidrac, rapporteur.
Ce projet d’infrastructure – le très haut débit pour tous – est une révolution technologique et industrielle indispensable pour lutter contre la fracture numérique et permettre le désenclavement de nos territoires ruraux, pour doper leur attractivité et accompagner leur compétitivité.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, c’est un sénateur plein d’optimisme qui s’adresse à vous. Cet optimisme, vous le devinez, je le dois à la signature le 9 novembre dernier, en votre présence, de la délégation de service public relative à la conception, l’établissement, le financement et l’exploitation du déploiement du réseau très haut débit dans mon département de la Mayenne, par Olivier Richefou, président du département, le président du syndicat mixte Mayenne très haut débit, Stéphane Richard, président d’Orange, et Xavier Niel, président de Free. Cet accord historique permettra à mon département de la Mayenne d’être le premier 100 % fibré en 2021.
Cet accord est historique pour deux raisons : il repose sur une alliance inédite entre deux opérateurs ; il prouve aussi que collectivités territoriales et opérateurs peuvent parfaitement s’entendre pour servir ensemble l’intérêt général.
Cet accord est historique, et je m’en félicite, mais il est une exception dans le paysage national. Et c’est parce que l’intérêt public et les intérêts privés ne convergent pas toujours qu’il est de notre responsabilité aujourd’hui de voter cette proposition de loi ! En effet, chaque mois, chaque semaine, nous apprenons que des réseaux d’initiative publique, ou RIP, voient leur modèle économique fragilisé par le déploiement d’une seconde boucle locale optique mutualisée dans une zone déjà couverte. Ces situations ne peuvent pas être tolérées. Des territoires, des collectivités et des élus attendent que nous agissions.
Personne dans cet hémicycle ne pense que la situation peut rester en l’état. Votre récente audition par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable l’a prouvé, monsieur le secrétaire d’État. Vous avez reconnu, sans difficulté aucune, que certains investissements publics avaient été fragilisés et que cette situation n’avait aucune raison de ne pas se reproduire. Vous avez admis que cette proposition de loi, en dehors de son axe central sur la lutte contre le doublement des réseaux en zone rurale, apporte des précisions utiles.
Alors oui, bien sûr, il faut le reconnaître, des interrogations subsistent, notamment en ce qui concerne le calendrier. Quand faut-il légiférer ? Faut-il attendre la nouvelle réglementation européenne sur le secteur des communications électroniques ? Doit-on transposer la nouvelle réglementation dans ce texte ou ailleurs ?
Toutes ces questions sont légitimes et certaines réponses nous font aujourd’hui défaut. Pour autant, elles restent anecdotiques, dérisoires, par rapport à l’esprit de la loi, si proche des ambitions affichées par le Gouvernement. En effet, depuis son arrivée aux responsabilités, le Gouvernement a fixé un cap. Le déploiement de la fibre est un enjeu prioritaire, et les objectifs sont chiffrés : un accès au numérique avec un bon débit en 2020 et très haut débit en 2022 ; une consolidation du plan France très haut débit avec un financement de 3,3 milliards d’euros ; ou encore une redéfinition plus juste des « zones blanches ».
Le Gouvernement a donc affiché les ambitions fermes d’une politique publique, et nous sommes aujourd’hui dans l’attente de sa concrétisation.
La proposition de loi de Patrick Chaize, monsieur le secrétaire d’État, vous propose sur un plateau d’argent la mise en œuvre d’une politique publique à laquelle le Gouvernement souscrit. Il me semble donc qu’il serait malvenu de lui réserver le même sort que la proposition de loi Eau et assainissement portée par le Sénat et cassée ensuite par la majorité à l’Assemblée nationale.
Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur votre soutien pour le vote de ce texte afin de lutter réellement contre la fracture numérique dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’interviens en complément de notre collègue Joël Guerriau sur cette proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit.
Lancé au début des années 2010, le plan France très haut débit devait ouvrir la voie au droit à la connexion pour tous. Si ce plan a permis de grandes avancées, la France est toujours dans le peloton de queue de l’Europe concernant l’éligibilité des foyers au très haut débit, qu’il soit fixe ou mobile. On dénombre en effet encore des centaines de « zones blanches » où la connexion au réseau de téléphone est limitée, hésitante, voire inexistante et l’accès à internet très difficile.
L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes l’affirme : il y a un risque réel d’exclusion à moyen terme de l’accès au très haut débit de certaines zones.
Il y a donc l’internet des villes et l’internet des campagnes. Une telle situation est décevante et doit être évitée par la mise en œuvre de politiques publiques adaptées.
Aujourd’hui, s’il n’y a pas d’internet, il n’y a pas d’économie. À l’heure de la dématérialisation de l’action publique, s’il n’y a pas d’internet, il n’y aura plus d’accès aux services publics. Cela signifie la mort d’un territoire et d’une population.
Ainsi, dans un objectif tant de cohésion que de compétitivité, il devient urgent d’accélérer la couverture numérique en haut débit et très haut débit sur l’ensemble du territoire national. Le réseau ne doit pas se contenter de se développer le long des grands axes de communication, mais il doit s’inviter dans les zones rurales au plus près des habitations. Plus que la couverture du réseau, c’est la proximité des habitations qui est essentielle.
Soit dit par parenthèses, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas avec la décision sans fondement des 80 kilomètres par heure que vous allez attirer les entreprises sur les routes secondaires ! Au contraire, vous les attirerez sur les axes principaux. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Vous le voyez, je ne suis pas le seul à le penser ! Il faut que le Gouvernement nous écoute.
Aucun territoire ne doit être oublié. Le Sénat se doit d’être là pour y veiller. La proposition de la loi de notre collègue Patrick Chaize va dans le bon sens, mais je ne veux pas oublier que, dans la ruralité, les infrastructures de réseaux sont le fait des collectivités et que ces dernières ont avant tout besoin de lisibilité et donc d’une stabilité législative et réglementaire.
Monsieur le secrétaire d’État, vous voudrez bien m’en excuser, je ne pourrai pas être présent pour écouter votre réponse, car je dois participer à une commission, mais, bien entendu, je la lirai volontiers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais à mon tour, comme l’ont fait mes collègues, saluer notre éminent collègue Patrick Chaize, qui nous parle sans arrêt du numérique. Cette proposition de loi se situe dans la droite ligne de la volonté politique affichée de couvrir la population en haut débit d’ici à 2020 et en très haut débit d’ici à 2022. Elle a aussi pour objectif d’accompagner et de sécuriser les investissements publics et privés en levant un maximum de difficultés opérationnelles. Concrètement, pour les collectivités, il s’agit de leur donner les moyens de lutter contre les tentatives potentielles de déstabilisation de l’économie de leurs réseaux et d’envisager un cadre d’engagement ferme de la part des opérateurs en rationalisant les permissions de voirie et en mettant en place les mécanismes de sanction indispensables.
J’insisterai, mes chers collègues, sur trois points qui me paraissent essentiels.
Le premier est la sécurisation des investissements. Nous avons tous en effet à l’esprit les velléités de certains opérateurs privés de déployer de la fibre optique dans des zones les moins denses, alors que la plupart des réseaux d’initiative publique sont déjà lancés ; le tout enrobé de garanties floues sur l’aménagement du territoire. Or il est primordial pour les territoires de sécuriser tout cela, en préservant bien évidemment le principe constitutionnel de liberté d’entreprendre, mais cela ne doit pas se faire au détriment de ces mêmes territoires.
Pour mémoire, ces réseaux de collectivités doivent couvrir en très haut débit 43 % de la population dans des zones où la carence des opérateurs privés a expressément été actée. Il s’agit de zones qu’ils n’ont pas voulu fibrer eux-mêmes en 2011 !
Ne soyons pas naïfs : l’action du privé, nécessairement guidé par la rentabilité, conduirait indubitablement à prioriser les investissements et à générer une nouvelle fracture numérique, en termes d’égalité de services et de délais, dans les territoires ruraux. Or nous ne pouvons pas prendre le risque de voir s’opérer un mitage du territoire.
L’avis rendu le 23 octobre dernier par le régulateur des télécoms, l’ARCEP, à la suite de la saisine du Sénat, est notamment très clair sur ce point en ce qu’il défend le principe de mutualisation en vue d’éviter la duplication des réseaux.
Le deuxième point porte sur la nécessité d’un cadre contraignant des engagements existants ou en projet en termes de péréquation, de complétude et de calendrier, assorti d’un mécanisme de sanction clairement établi.
L’objectif est simple : il s’agit d’un partage de responsabilités entre opérateurs privés et collectivités territoriales afin que toutes les parties prenantes contribuent à l’objectif du très haut débit pour tous en 2022.
Le cadre se devait d’être précisé, et ce sans fragiliser les initiatives existantes. Il est dès lors nécessaire que les engagements pris puissent être juridiquement opposables comme le prévoit cette proposition de loi.
Le troisième point concerne la facilitation de l’aménagement numérique du territoire que propose ce texte.
Toutes les mesures envisagées en termes d’encouragement et de soutien au déploiement, à la fois pour les réseaux fixes et mobiles, se doivent d’être soutenues activement pour que l’accès au numérique devienne une réalité pour tous et que cesse l’insatisfaction prégnante des utilisateurs.
Nous attendons beaucoup des mesures de simplification administratives en matière d’urbanisme et du plafonnement de l’IFER, qui, en l’état, se révèle un véritable frein aux initiatives de couverture.
J’insisterai enfin particulièrement sur la nécessité du basculement du cuivre vers la fibre, dont la facilitation est envisagée à l’article 8. À l’heure où l’objectif est bien l’entrée dans une société du gigabit dès 2025, cette bascule est nécessaire si nous voulons profiter pleinement des promesses technologiques induites. Je pense évidemment aux services de télémédecine, qui ne seront efficaces qu’avec la technologie fibre.
Pour conclure, et puisque cette proposition de loi a été votée à l’unanimité de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, je m’adresserai plus particulièrement à vous, monsieur le secrétaire d’État.
Vous avez effectivement acté un changement de paradigme – c’est le mot à la mode – en ce domaine lors de votre récente audition du 14 février dernier devant notre commission. Nous voici donc sur le point de rendre cela effectif : soyons audacieux sur l’importante question que constitue l’urgence à réduire la fracture numérique de façon pragmatique. Ne pas accepter cette proposition de loi pénaliserait une fois de plus nos territoires et montrerait vos trop nombreuses tergiversations.
À ce titre, au groupe Les Républicains du Sénat, nous soutenons et voterons cette proposition de loi dès aujourd’hui, car il est d’une impérieuse nécessité à la fois de redonner une stabilité au secteur en préservant un équilibre entre tous les acteurs, de même que d’offrir l’environnement réglementaire et concurrentiel adéquat en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le plan France très haut débit, nous notons année après année une succession d’appels à projets destinés à l’aménagement numérique et téléphonique de nos territoires.
Je salue bien évidemment les annonces du 14 décembre renforçant le niveau des investissements, ainsi que l’accord du 14 janvier rendant opposables des engagements des opérateurs à des exigences d’aménagement du territoire. Plus que jamais, il est nécessaire de réguler et d’encadrer ces investissements, d’autant qu’ils se déroulent dans un temps particulièrement contraint. Je salue de ce fait l’initiative de notre collègue Patrick Chaize de réaffirmer le rôle central des RIP, de protéger leurs positions dans un secteur mouvant.
Cette proposition de loi témoigne d’une prise de conscience, partagée sur toutes nos travées, que les collectivités locales ont un intérêt stratégique à maîtriser leurs infrastructures. Je suis à ce titre attentif à ce que les opérateurs de RIP ne puissent être soumis à l’IFER, ce qui serait un signal étrange à leur endroit.
Je salue également la réaffirmation du rôle de l’ARCEP. Nous devrons sans doute veiller, chers collègues, lors des discussions budgétaires, à ce qu’elle dispose de moyens suffisants pour accomplir sa tâche.
Mon intervention s’attachera plus précisément à la transition entre les différents projets et la définition des priorités d’action.
Je crois utile de rappeler que la redéfinition des cartes de couverture, issue de la loi Montagne, a été à ce titre déterminante, mais elle n’est pas prescriptive pour déterminer les priorités d’intervention. Je pense que le Sénat pourrait utilement donner quelques indications majeures sur celles-ci, mais, surtout, sur la communication essentielle et continue avec tous les élus.
Premier point, mes chers collègues : nous ne sommes pas sur un terrain totalement vierge. Des projets sont en cours, y compris dans les RIP, et il appartient de donner des perspectives aux projets publics existants, qui craignent – et on les comprend – d’être fortement concurrencés. Je pense aux contrats existants comme celui du syndicat mixte ouvert PACA très haut débit. Il est donc absolument nécessaire de sécuriser, y compris financièrement, les projets en cours. La fermeture du guichet du Fonds national pour la société numérique est source d’inquiétude pour les porteurs de projets anciens, dont le premier plan quinquennal a été acté. Ceux-ci ne disposent pas en effet d’une visibilité financière suffisante, alors qu’ils ont des contrats d’affermage de quinze ans.
Par ailleurs, si ce texte formule des propositions intéressantes pour éviter des doublons inutiles, il apparaît bien nécessaire de prévenir ceux qui pourraient exister non pas entre les RIP et les opérateurs privés, mais bien entre les opérateurs privés eux-mêmes. Ces batailles font perdre du temps et de l’argent.
Deuxième point : veillons à être pleinement acteurs de la priorisation des investissements, y compris en zones très peu denses. Élu de montagne, j’y suis évidemment très sensible.
À cela s’ajoute une autre caractéristique : la possibilité donnée par la loi Montagne de proposer d’autres infrastructures. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que nous identifiions dès maintenant avec les élus de montagne les endroits où les technologies alternatives pourraient être en priorité déployées ou non et leur articulation avec d’autres choix technologiques, y compris avec un lissage dans le temps.
Autre remarque, et non la moindre : ces investissements attendus dans nos territoires vont s’accompagner vraisemblablement d’une autre concurrence, celle de la main-d’œuvre. Je rappelle que l’observatoire des RIP avait noté une augmentation des effectifs entre 2012 et 2016 de l’ordre de 200 %. L’observatoire indique également qu’il faudrait former 40 000 personnes sur l’ensemble du territoire à l’horizon de 2020, dont près de 20 000 uniquement sur les RIP. Des accords de formations ciblés doivent à mon sens être pris dès à présent, en veillant à la répartition géographique.
Dernier élément et non le moindre : ce service public local, qui est en train de se mettre en place, ne pourra exister sans un plan des usages du numérique. J’ai eu l’occasion de vous remettre, monsieur le secrétaire d’État, des propositions relatives aux maisons de services au public. Je plaide en effet pour que l’accès aux infrastructures numériques s’accompagne notamment de la présence dans les mairies et maisons de services au public de personnels et d’équipements qui permettent d’aller vers ce changement sociétal majeur. Ces infrastructures, mes chers collègues, sont des moyens, jamais des fins. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)