Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Le Gouvernement soutient cette disposition, qui comble un vide juridique auquel nous pourrions être confrontés après le 30 juin 2018. Évidemment, nous ne savons pas si le projet de loi sur l’asile et l’immigration sera adopté avant cette date.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je pensais enfin pouvoir obtenir une réponse à la question précise – je ne parle pas des autres – que je vous ai posée au sujet des centres de rétention. Vous m’avez indiqué que les conditions de rétention ne se sont pas brutalement dégradées depuis que vous êtes en poste. Probablement, monsieur le ministre d’État.
Sur ces questions, je ne suis pas du tout dans l’exagération. Depuis que je me suis engagé en politique, je n’ai jamais varié et ai toujours porté une attention particulière aux conditions d’accueil des migrants et aux conditions de vie dans les centres de rétention, et ce quel que soit le gouvernement : ce gouvernement, celui d’avant, que j’ai globalement soutenu sur le plan politique, et ceux qui l’ont précédé. Vous ne me prendrez pas en défaut.
Je ne fais donc pas de faux procès. En revanche, je vous ai posé une question précise, à laquelle vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre d’État : avant même son entrée en vigueur, ce texte est-il appliqué de façon anticipée, et donc illégalement ? Vous ne m’avez pas répondu. Vous parlez de la République tchèque, mais est-ce ce pays qui a été condamné ? C’est la Cour de cassation, en France, qui a rendu un arrêt déclarant illégal le placement en centre de rétention des « dublinés ». Or, cette situation est très fréquente : lors d’une visite que j’ai effectuée dans l’un de ces CRA, son chef m’a confirmé que certains « dublinés » arrivaient le soir pour y passer la nuit, ce qui est illégal dans notre pays tant que ce texte n’est pas adopté.
Pouvez-vous faire cesser ces pratiques si elles existent ? Et pouvez-vous me dire, précisément, si elles existent ?
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je voudrais expliquer pourquoi il me semble important de rejeter cet amendement n° 29.
Le Conseil constitutionnel a observé que la motivation du maintien d’une mesure de contrainte telle que celle que nous examinons en ce moment, applicable dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, devait être renouvelée dans le temps.
Je pense que l’auteur de l’amendement reconnaît que cette mesure de contrainte est justifiée. Sont visés des individus engagés de longue date dans un mouvement terroriste, condamnés, et qui, une fois leur peine accomplie, devraient être renvoyés hors de France aux termes de la loi, dans la mesure où ils ont une autre nationalité. Pour des raisons tenant à la sauvegarde de leurs droits, ces personnes ne sont pas renvoyées, bien qu’elles représentent un danger majeur pour notre sécurité nationale. Il est donc parfaitement justifié de leur opposer une mesure de contrainte.
Le texte adopté par la commission sur la proposition, bienvenue, du rapporteur consiste à donner une base régulière à cette décision, fondée sur des éléments objectifs et pouvant être contestée devant le juge au regard de la situation de chaque personne. Il me paraît donc vraiment injustifié de s’opposer à cette mesure et je n’ai entendu aucun motif convaincant en faveur de cette position.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Sans refaire la discussion générale, je formulerai deux remarques.
Monsieur le ministre d’État, la situation dans les centres de rétention administrative a quand même profondément évolué depuis quelques mois. En effet, à la suite du drame de Marseille, du limogeage du préfet du Rhône et de nouvelles instructions données à la PAF, les CRA sont particulièrement engorgés ces derniers mois, pour atteindre un taux d’occupation globalement proche de 100 %, rendant très difficiles les conditions de travail des agents de la PAF, comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Sylvie Robert, tout comme les conditions de vie des personnes retenues.
C’est un changement fondamental par rapport à la situation qui prévalait antérieurement.
Moi-même, je me suis déplacé dans un CRA il y a peu de temps, et j’ai rencontré des personnes qui avaient rendez-vous en préfecture un mois ou un mois et demi plus tard pour déposer une demande d’asile. Elles étaient pourtant en centre de rétention !
La situation a donc profondément changé ces derniers mois, il faut le dire. Le fait que nous ayons soutenu ensemble un gouvernement précédent n’a pas empêché des évolutions… (M. Philippe Dallier rit.)
Enfin, comme cela a été dit au sujet de la procédure Dublin, dont nous savons qu’elle ne fonctionne pas, il n’est pas raisonnable de voter un texte autorisant le placement en centre de rétention de personnes en situation régulière sur le territoire.
Nous l’avons d’ailleurs constaté, certains pays présentent des « défaillances systémiques ». Une personne qui « matchera » avec EURODAC pourra être placée en centre de rétention, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’on ne pourra pas la renvoyer vers l’État par lequel elle est entrée au sein de l’Union, par exemple la Hongrie ou la Grèce. Entre-temps, elle aura été privée de liberté et, monsieur le ministre d’État, sa demande d’asile n’aura pas été étudiée en France.
Vous pouvez dire, comme le Président de la République, qu’il faut réduire les délais, mais alors à quoi bon placer pendant plusieurs semaines une personne en centre de rétention plutôt que de lui permettre de faire valoir son droit à l’asile le plus vite possible ?
C’est bien là le problème de la procédure Dublin : les demandeurs d’asile qui n’ont pas déposé de demande dans un autre pays d’Europe, qui « matchent » sur EURODAC parce qu’ils sont passés par l’Italie, la Grèce, l’Espagne, la Hongrie ou un autre pays, ne pourront pas voir leur demande examinée rapidement, alors qu’elle pourrait être considérée comme légitime en France !
Je crois qu’il faut fondamentalement changer les choses.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, il faut différencier les personnes déboutées dont la demande d’asile a été examinée correctement dans le pays de leur choix de celles qui n’ont pas déposé une telle demande. Or cette proposition de loi n’établit aucune différence, ce qui constitue une attaque à l’encontre d’un principe constitutionnel depuis le début de la IVe République. Nous ne pouvons pas accepter cette rupture !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. On a bien compris, à travers ces débats, que cette proposition de loi est un texte de circonstance, qu’il s’agit de poser une rustine rendue nécessaire à la suite de la décision du Conseil constitutionnel.
Je voudrais demander au ministre de ne pas engager la procédure accélérée sur le projet de loi qu’il nous soumettra. Nous avons besoin de débattre d’un vrai texte, de mettre les choses à plat et de prendre du temps pour ce faire.
Monsieur le ministre d’État, les règles de droit en matière d’asile sont devenues plus kafkaïennes encore que notre droit fiscal. C’est peu dire ! Il est donc grand temps de poser un certain nombre de problèmes auxquels nous sommes confrontés de façon à pouvoir les régler démocratiquement. Il n’y a pas les gentils d’un côté et les méchants de l’autre. Ces sujets sont difficiles à traiter et ce serait l’honneur du Parlement de prendre enfin son temps pour mettre à plat l’ensemble des dispositifs en vigueur.
Par ailleurs, aucun dispositif national ne sera viable sans un dispositif européen efficace. Et là, monsieur le ministre d’État, c’est aussi l’honneur de la France que de porter, au niveau européen, une législation en matière de droit d’asile et de flux migratoires, de manière à introduire plus de cohérence et de fluidité, l’une et l’autre faisant terriblement défaut aujourd’hui, et à prévoir plus de moyens.
Je le répète, monsieur le ministre d’État, j’espère que le prochain texte que vous nous soumettrez ne sera pas examiné en procédure accélérée, car le sujet mérite que l’on s’y attarde. C’est dans ce cadre qu’il nous faudra juger les dispositifs à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. C’est ma dernière intervention, je vous rassure, je serai donc très brève.
Sans faire preuve d’aucun esprit taquin, monsieur Buffet, en ce qui me concerne, je dirais que les femmes, les hommes passent, les politiciens aussi. Mais l’Histoire reste, et elle vous jugera sur l’accueil que vous aurez réservé aux réfugiés.
Vos prédécesseurs socialistes n’ont pas été davantage à la hauteur, monsieur Collomb. Or vous venez de cette grande famille qui se dit de gauche !
J’ajouterai, pour finir, que la convention de Genève de 1951 a été élaborée sur fond de culpabilité, cette culpabilité européenne directement liée à la gestion des réfugiés et des apatrides pendant la Seconde Guerre mondiale.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Cette proposition de loi arrive à la rescousse, pour combler un vide juridique à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation interdisant le placement des « dublinés » en centre de rétention. Il appartenait donc au législateur, moyennant un certain nombre de garanties, de prévoir cette possibilité.
Pour autant, j’affirme que cette pratique avait déjà cours, illégalement, et je n’ai pas été démenti par le ministre.
Ce débat en amorce un autre, que j’espère plus global et plus profond. La façon dont on aborde le sujet paraît simple : nous nous donnons les moyens d’accueillir et d’intégrer ceux qui entrent légalement sur notre territoire, les autres ayant vocation à être reconduits à la frontière – grande sévérité, donc. Or l’hypocrisie persiste : non seulement il va devenir de plus en plus compliqué de trier les migrants, les motifs d’émigration ne pouvant être catalogués, comme je l’ai dit tout à l’heure, mais encore ces migrants – et c’est la différence avec la situation qui prévalait sous le quinquennat précédent, indépendamment de ceux qui nous gouvernaient –, comme j’ai pu le constater vendredi dernier, sont majoritairement constitués des jeunes âgés de 20 ans à 30 ans, présents en France depuis plus de dix ans, avec des enfants nés en France et qui, probablement, seront non pas reconduits dans leur pays, mais relâchés du centre de rétention.
Auparavant, ils étaient convoqués, et non pas placés en centre de rétention. Depuis l’attentat de Marseille, la prudence l’emporte sans doute, les préfets cherchant à se couvrir en prenant ce genre de mesure afin d’éviter de porter, le cas échéant, le chapeau. Et vous n’avez aucune proposition à faire en faveur de cette population qui n’a pas de papiers, qui vit et travaille en France, qui a une famille en France.
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Assouline.
M. David Assouline. C’est le débat que nous aurons prochainement sur les centres de rétention.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. J’ai écouté avec attention l’ensemble des interventions. Je voudrais tout de même que l’on se rappelle que la France est un pays qui respecte le droit d’asile.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est un pays dans lequel la Constitution elle-même affirme l’exigence de l’asile pour les persécutés politiques. Et nos engagements européens y ajoutent la protection subsidiaire.
Si je dis cela, ce n’est pas pour enfoncer une porte ouverte. C’est parce que, dans notre débat, j’ai le sentiment que l’on compte pour rien le fait que 70 % des demandeurs d’asile dans notre pays se voient déboutés du droit d’asile. C’est bien un signe évident – il nous faut le prendre en compte dans notre législation, sans faire preuve d’aveuglement – qu’il y a, d’un côté, le droit d’asile et, de l’autre, l’abus du droit d’asile.
Que nous cherchions, à travers ce premier texte ou celui que prépare le Gouvernement, à faire en sorte que l’abus du droit d’asile ne vienne pas disqualifier la demande d’asile en général est légitime. Il faut savoir prendre nos responsabilités.
Mme Éliane Assassi. C’est trop facile !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Par ailleurs, je voudrais dire aussi avec une certaine fermeté que le droit d’asile n’est pas reconnu au bénéfice des personnes qui entreprennent de grandes migrations à cause du réchauffement climatique. Cette tentation de revenir en permanence vers un assouplissement ou une extension des règles me paraît infiniment suspecte, car c’est une véritable dénaturation des règles du droit d’asile qui est à l’œuvre derrière ce discours politique.
De la même façon, vouloir aujourd’hui considérer que, parce que les pays d’arrivée en Europe ne parviennent pas eux-mêmes à traiter les demandes d’asile, il faudrait offrir à tous les demandeurs d’asile présents en Europe le meilleur traitement, c’est-à-dire celui qu’on offre en France, serait une grave erreur politique que les Français ne nous pardonneraient pas ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Jean-Yves Leconte. Alors, que fait-on des demandeurs ?
Mme Éliane Assassi. On les rejette à la mer ? C’est incroyable d’entendre cela !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je crois que l’esprit de responsabilité doit nous animer au moment d’adopter ces dispositions. Nous n’avons pas à ouvrir les portes de la France à tous les demandeurs d’asile qui sont arrivés par la Grèce et l’Italie…
Mme Esther Benbassa. L’Allemagne l’a bien fait ! La Suède aussi !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … sous prétexte que le traitement administratif qu’on leur réserve est meilleur que dans les autres pays européens. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Jean-Yves Leconte. Vous voulez tous les laisser à la Grèce et à l’Italie ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Au fond, vous critiquez le traitement offert aux demandeurs d’asile en France, mais vous demandez par ailleurs qu’on l’applique à tous les demandeurs d’asile qui arrivent en Europe. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Il y a là une contradiction fondamentale que vous n’avez pas réglée ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Il faudra bien vous y faire !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen.
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
5
Candidature à une commission
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Physicien médical et qualifications professionnelles
Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ratifiant l’ordonnance n° 2017-48 du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et l’ordonnance n° 2017-50 du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé (projet n° 183, texte de la commission n° 217, rapport n° 216).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens aujourd’hui devant votre Haute Assemblée présenter en nouvelle lecture le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
Comme vous le savez, cette ordonnance transpose en droit interne trois dispositifs nouveaux mis en place par une directive européenne de 2013 ; il s’agit de la carte professionnelle européenne, ou CPE, du mécanisme d’alerte et de l’accès partiel. Elle introduit par ailleurs au niveau législatif une procédure pour sécuriser et harmoniser la reconnaissance des qualifications professionnelles des ressortissants européens pour les cinq métiers de l’appareillage et pour l’usage du titre de psychothérapeute.
Enfin, l’ordonnance supprime, pour répondre à la demande de la Commission européenne, la condition d’exercice de trois années imposée aux ressortissants de l’Union européenne pour l’accès en France à une formation de troisième cycle des études médicales ou pharmaceutiques.
J’ai eu l’occasion de vous dire, lors de nos précédents débats en septembre dernier, que je mesurais les inquiétudes que la présentation de ce texte a pu susciter auprès des professionnels de santé, comme parmi un certain nombre des membres de votre assemblée, au travers de l’introduction des dispositions relatives à l’accès partiel.
Je m’étais alors attachée à vous expliquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement était dans l’obligation de procéder à la transposition de la directive dans les conditions dans lesquelles il l’a fait. Je m’étais également efforcée de présenter les conditions dans lesquelles j’entendais que le sujet soit pris en charge, soucieuse de préserver la qualité et la sécurité des soins prodigués aux usagers de notre système de santé.
La sensibilité de ce sujet est, je le sais, toujours importante, comme en attestent l’échec de la commission mixte paritaire sur ce point et l’adoption par votre commission des affaires sociales de l’amendement de suppression.
Je voudrais donc revenir brièvement sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à présenter ce texte sous cette forme, en vous donnant notamment des informations sur la position de la Commission européenne à l’égard de la France et en vous précisant dans quelles conditions la mise en œuvre de ce dispositif s’opérera.
La directive communautaire relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles du 20 novembre 2013 aurait dû être transposée dans le droit français depuis le 18 janvier 2016, au plus tard.
Depuis cette date, la France était exposée à deux avis motivés de la Commission européenne pour défaut de transposition. Ce manquement à ses obligations constituait la dernière étape avant la saisine par la Commission de la Cour de justice de l’Union européenne.
Comme vous l’avez probablement appris, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis l’annonce des risques dont je vous faisais part au mois de septembre dernier, le collège de la Commission européenne a décidé le 7 décembre d’une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours contre la France, mais également contre la Belgique et l’Allemagne. Le motif de cette saisine est malheureusement sans surprise : le manquement à l’obligation de transposition.
Le risque n’était donc pas hypothétique, voire nul, comme certains pensaient pouvoir l’affirmer, mais bien réel et désormais effectif.
Il est possible que la publication du décret, le 2 novembre dernier, puis des sept arrêtés attendus, au mois de décembre, témoigne auprès de la Commission du respect à présent réalisé par notre pays de ses obligations de transposition complète. C’est à espérer, car cela permettrait de ne pas obliger au paiement de l’astreinte associée à la saisine de la Cour de justice. Aujourd’hui, elle s’élèverait à 50 000 euros par jour.
Comme je l’avais fait devant vous au mois de septembre dernier, je souhaite affirmer avec la même détermination que je serai particulièrement vigilante quant aux conditions de déploiement de l’accès partiel au sein de notre système de santé. Cette vigilance pourra justifier d’en appeler à la raison impérieuse d’intérêt général dès lors que l’autorisation d’un professionnel à accès partiel fera courir un risque à la qualité et à la sécurité des prises en charge.
Ce risque ne peut en effet pas être évacué dans un système où les compétences respectives des professionnels de santé sont complémentaires et articulées entre elles, et parfaitement connues des professionnels eux-mêmes, comme des usagers du système de santé.
Les conditions de l’examen de chaque dossier déposé en vue d’obtenir une autorisation d’exercice partiel seront pour cela arrêtées et suivies de manière particulièrement rigoureuse.
En premier lieu, la directive prévoit trois conditions génériques qui doivent nécessairement être remplies ; elles seront scrupuleusement contrôlées.
D’abord, le professionnel doit être pleinement qualifié pour exercer dans son État d’origine l’activité pour laquelle il sollicite un accès partiel.
Ensuite, les différences entre l’activité professionnelle exercée et la profession qui pourrait correspondre en France sont en outre si importantes que l’application de mesures de compensation de formation reviendrait à faire suivre au demandeur un cycle complet d’enseignement.
Enfin, l’activité sollicitée en accès partiel peut être objectivement séparée d’autres activités relevant de la profession « correspondante » en France. Si l’une de ces trois conditions n’est pas remplie, l’autorisation d’exercice partiel ne pourra pas être délivrée.
En deuxième lieu, le processus d’examen des dossiers des demandeurs fait par ailleurs appel, je le rappelle, à l’expression d’un avis par chaque commission compétente, ainsi que par l’ordre compétent pour les professions à ordre. Nous avons pris une sécurité supplémentaire. Ce second avis, non prévu par la directive, a été ajouté par le Gouvernement, afin de renforcer le processus d’analyse des dossiers.
En troisième lieu, un décret en Conseil d’État a précisé les conditions et modalités de mise en œuvre de la procédure d’instruction. Je vous avais indiqué que j’entendais être extrêmement attentive à ce que sa rédaction puisse éclairer et guider les parties prenantes dans la manière dont les dossiers devront être examinés au cas par cas.
C’est ce qui a été traduit dans le décret du 2 novembre 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
Tout en respectant le droit à la libre circulation des ressortissants européens, le décret dispose en effet, dans le but de garantir la qualité et la sécurité des soins, que les avis que les commissions d’autorisation d’exercice et les ordres seront appelés à émettre porteront notamment sur les points suivants : premièrement, l’identification précise et strictement délimitée du champ d’exercice ou des actes que les professionnels seront autorisés à réaliser sous le régime de l’accès partiel ; deuxièmement, la description de l’intégration effective de ces actes dans le processus de soins et leur incidence éventuelle sur la continuité de la prise en charge ; troisièmement, la lisibilité des actes réalisés sous le régime de l’accès partiel, pour les professionnels de santé comme pour les usagers du système de santé ; quatrièmement, toute recommandation de nature à faciliter la bonne insertion du professionnel auquel l’autorisation d’exercice partiel serait accordée.
La rédaction de ce décret a été, vous l’aurez compris, animée par la motivation de garantir la qualité et la sécurité des soins, ainsi que l’information des professionnels de santé comme des usagers du système de santé.
Comme je m’y étais engagée devant les deux assemblées, je vous confirme par ailleurs que j’ai sollicité la Commission européenne afin d’obtenir une cartographie des professions de santé existantes dans l’Union européenne.
La nouveauté induite par le déploiement du mécanisme d’exercice partiel au sein des pays de l’Union justifie en effet de disposer d’un tel état des lieux permettant d’identifier, pour chaque système national de santé, les périmètres d’exercice des professionnels susceptibles de solliciter une reconnaissance d’accès partiel.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, tels étaient les éléments les plus importants que je souhaitais porter à votre connaissance sur la dimension qui demeure la plus sensible de l’ordonnance objet du présent projet de loi de ratification qui vous est soumis.
Vous comprendrez, dans ces conditions, que je ne puisse pas être favorable à la version du projet de loi issue des travaux de votre commission des affaires sociales, supprimant les références à l’accès partiel.
Mais vous aurez aussi compris, je l’espère, que, en lien étroit avec les professionnels du système de santé, je serai particulièrement attentive au suivi et à l’évaluation de la mise en œuvre de ces dispositifs, afin de garantir, dans cette matière comme dans d’autres, la qualité et la sécurité des soins dispensés par notre système de santé.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Corinne Imbert, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné dans cet hémicycle, le 11 octobre dernier, trois projets de loi procédant à la transposition de quatre ordonnances dans le domaine de la santé, qui ont été prises sur le fondement de la loi du 26 janvier 2016.
Après la réunion d’une commission mixte paritaire, le 5 décembre dernier, un seul de ces projets de loi reste en discussion, faute d’accord entre les deux chambres du Parlement : c’est celui qui concerne la profession de physicien médical et la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé. Notre désaccord avec l’Assemblée nationale porte en réalité sur une seule des nombreuses dispositions de ce texte ; il est cependant majeur !
Vous le savez, notre commission, suivant en cela l’avis quasi unanime des professionnels de santé, a supprimé en première lecture les dispositions relatives à la procédure d’accès partiel. L’Assemblée nationale les a rétablies en nouvelle lecture.
S’il semble donc que notre désaccord soit consommé sur le sujet, permettez-moi cependant de vous rappeler brièvement les raisons qui ont poussé notre assemblée à se prononcer en ce sens. Je pense en effet que la question est d’importance, compte tenu des conséquences majeures qu’elle pourrait entraîner pour l’organisation et la cohérence de notre système de santé.
En premier lieu, nous avons été frappés par le degré d’impréparation entourant la mise en place d’une évolution aussi fondamentale. À l’heure où il nous est demandé de ratifier cette ordonnance, on ne dispose toujours d’aucun d’élément d’évaluation sur le nombre de professionnels susceptibles de formuler une demande en France ou sur la nature même des professions qui pourraient être concernées. Madame la ministre, permettez-moi de m’interroger : comment, sans même connaître les professions en jeu, avez-vous pu préparer un texte d’application garantissant la sécurité de l’ensemble des situations ? Il me semble que l’on avance ici à l’aveugle, en autorisant et en réglementant un dispositif dont nous ne connaissons pas la réelle portée concrète.
En second lieu, cette mesure nous a semblé de nature à perturber en profondeur l’organisation de notre système de santé. Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention aux professionnels formés dans d’autres pays, dont nous ne remettons pas en cause la compétence. C’est sur la compatibilité de l’accès partiel avec l’organisation et l’efficacité de notre système de santé que nous nous interrogeons. Il nous a, de ce point de vue, semblé que la reconnaissance d’un accès partiel ne pourra qu’aboutir à une fragmentation des professions, dont on peine encore à mesurer toutes les conséquences.
Nous redoutons que les éventuels problèmes de qualité et de sécurité des soins ne frappent d’abord les patients les moins informés, et donc les populations les plus fragiles. On pourrait même craindre, sans céder à une trop forte méfiance, que ces professionnels ne puissent être opportunément recrutés par des établissements de santé en pénurie de personnels ou par nos collectivités frappées par la désertification médicale : cela serait évidemment de nature à renforcer les inégalités territoriales de santé.
Plusieurs difficultés pratiques ont été pointées : d’abord, le surcoût potentiel pour la sécurité sociale, si des patients se trouvent contraints de consulter deux professionnels au lieu d’un seul compte tenu de la limitation des compétences du premier ; ensuite, l’effet d’aubaine pour les formateurs étrangers notamment, alors que la formation des personnels médicaux et paramédicaux fait déjà l’objet d’un marché très disputé dans certains pays de l’Union européenne ; enfin, la question de la sécurité réellement garantie au patient, alors que des difficultés importantes sont d’ores et déjà constatées dans le cadre de la procédure de reconnaissance automatique, s’agissant notamment de la compétence linguistique des professionnels ou de leur niveau réel de formation.
Le décret publié le 2 novembre dernier ne nous a guère rassurés sur l’ensemble de ces points, s’agissant notamment des compétences d’encadrement et de contrôle dévolues aux ordres.
Je dois d’ailleurs vous dire, madame la ministre, que nous avons été quelque peu surpris de constater que ce décret intervenait sans même attendre la fin de nos travaux parlementaires, ce qui témoigne assez de l’absence de débat de fond sur ce texte, il est vrai élaboré par le gouvernement précédent.
Je tiens enfin à souligner que le Sénat a bien pris la mesure des obligations communautaires pesant sur la France ; il ne saurait être taxé d’irresponsabilité sur ce point.
Il nous a cependant semblé que notre responsabilité consistait au contraire à ne pas faire passer la satisfaction d’une obligation d’ordre juridique avant l’intérêt des patients. J’ai d’ailleurs été frappée de constater que l’argumentation développée par l’Assemblée nationale à l’appui de la ratification de cette mesure, lors de la réunion de notre commission mixte paritaire, ne portait que sur le respect des obligations communautaires de la France, et non sur l’intérêt intrinsèque de la procédure d’accès partiel pour l’avenir de notre système de santé. Cette position me paraît tout à fait révélatrice des conditions de transposition de ce dispositif. On a fait l’économie d’une véritable concertation de fond avec les professionnels de santé, sans même explorer la possibilité d’une autre transposition, plus respectueuse du fonctionnement de notre système de santé.
Il nous a dès lors paru invraisemblable de sacrifier, contre l’avis de tous les acteurs de la santé, la cohérence de notre système de santé et la qualité des soins à des considérations essentiellement juridiques.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales s’est à deux reprises prononcée pour la ratification de l’ordonnance qui nous est présentée, moyennant la suppression du dispositif d’accès partiel.
Madame la ministre, tout comme vous, nous ne pouvons pas accepter que l’accès partiel fragilise les deux piliers fondamentaux de notre système de santé : la qualité des soins et la sécurité des patients.