M. Philippe Dallier. Ça, c’est vrai !
M. Claude Raynal. Quand on fait des choix, on doit les assumer jusqu’au bout.
Monsieur le secrétaire d’État, nous aurons plus de considération pour la deuxième grande mesure fiscale de ce projet de loi de finances, à savoir celle portant sur la taxe d’habitation, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le parti socialiste a toujours considéré que cette taxe était particulièrement injuste pour les ménages et inéquitable pour les collectivités.
Ensuite, il s’agit de la seule mesure qui permette de redonner rapidement un peu de pouvoir d’achat aux Français – celle consistant à prendre aux retraités pour augmenter dans le temps le salaire net des salariés n’ayant pas notre assentiment. Nous ne voterons donc pas l’amendement de suppression présenté par la majorité sénatoriale, mais nous voulons être clairs.
En 2018, et les années suivantes, les collectivités locales ne doivent en rien être impactées par cette mesure de dégrèvement. Les bases nouvelles doivent être prises en compte, tout comme les éventuelles augmentations de taux.
L’exposé des motifs de l’article 3, selon lequel « un mécanisme de limitation des hausses de taux décidées ultérieurement par les collectivités sera discuté dans le cadre de la conférence nationale des territoires », est loin de nous rassurer, monsieur le secrétaire d’État. Nous attendons votre réponse sur ce point précis.
Enfin, dans notre esprit, et je crois que cette idée progresse, 2018 devra être, à l’issue de la mission Bur-Richard et en lien avec les commissions des finances des deux assemblées, l’année de la réforme en profondeur de la fiscalité locale, tant notre système apparaît à bout de souffle. À cet égard, 2018 doit être une année décisive.
Après moi, mon collègue Thierry Carcenac reviendra plus longuement sur l’appréciation que nous portons sur les sujets touchant plus particulièrement au financement des collectivités locales.
Au moment où s’ouvre le débat sur ce projet de loi de finances pour 2018, permettez-moi de résumer ainsi la position du groupe socialiste du Sénat : hostile à la réforme de l’impôt sur la fortune ; consterné par la brutalité des décisions concernant les emplois aidés et les aides au logement notamment ; mais ouvert à une première tranche de dégrèvement sur la taxe d’habitation, sous réserve que soit élaboré, en 2018, un projet de loi portant sur la réforme de la fiscalité locale en association avec les deux chambres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme Bruno Retailleau l’a rappelé, il y a finalement peu de baisses de dépenses dans ce projet de loi de finances. Mais s’il est un secteur particulièrement mis à contribution en 2018, ainsi que dans le triennal 2018-2020, c’est celui du logement. Je dois dire que je ne comprends pas la méthode du Gouvernement, non plus que son discours, en la matière.
Chacun s’accorde à dire que nous vivons toujours une crise du logement, malgré l’embellie certaine que nous connaissons après le creux dramatique des années 2013-2015. Pour paraphraser Clemenceau, il n’y a qu’une solution à cette crise : construire, construire et encore construire.
M. Bruno Retailleau. Bravo !
M. Philippe Dallier. Encore faut-il se poser les bonnes questions : construire quoi, construire où et à quel coût ?
Ce n’est pourtant pas du tout ainsi que le Gouvernement aborde le problème. Certes, il affiche un discours volontariste, nous parle de réforme structurelle et de choc d’offre, mais je ne vois, dans ce PLF, que des mesures de rendement budgétaire.
Ayant dit cela, monsieur le secrétaire d’État, je ne plaide pas pour une augmentation sans fin des moyens destinés à la politique du logement, car j’ai bien conscience que les résultats ne sont pas à la hauteur des 40 milliards d’euros que nous y consacrons. Mais je ne crois pas non plus que la nécessaire réduction de la dépense publique, sans réforme structurelle préalable, sans vision d’ensemble, soit la bonne solution. Or c’est ce que vous faites dans ce PLF, à travers l’article 52, mais pas seulement.
Vous supprimez l’impôt de solidarité sur la fortune pour ne conserver qu’un impôt sur la fortune immobilière, qui touchera les seules classes moyennes et classes moyennes supérieures et pas les grandes fortunes.
Vous supprimez la taxe d’habitation pour ne conserver que la taxe foncière, laquelle restera la variable d’ajustement des budgets communaux.
Vous supprimez l’aide aux maires bâtisseurs – elle n’était pas très élevée, mais elle existait.
Vous recentrez le dispositif Pinel et celui du PTZ.
Vous supprimez la prime d’État pour les titulaires d’un plan d’épargne logement.
Vous supprimez l’APL-accession, alors que, dans le même temps, vous souhaitez voir la vente d’HLM atteindre 40 000 logements par an – j’ai un peu de mal à comprendre votre logique.
Vous taxez cette même vente d’HLM.
Vous abaissez à 50 millions d’euros la participation de l’État au FNAP, rompant la promesse d’une parité entre les moyens apportés par l’État et ceux des bailleurs sociaux.
Vous pérennisez le coup de rabot de 5 euros sur les APL, mesure inintelligente, selon le Président de la République, mais pérenne, puisqu’elle rapportera 400 millions d’euros en 2018.
Enfin, l’article 52 de ce PLF prévoit non pas un nouveau coup de rabot, le terme est trop faible, mais une extrême ponction de 1,5 milliard d’euros sur les APL, doublée d’une baisse imposée des loyers, qui coûtera aux bailleurs sociaux près de 1,7 milliard d’euros en raison des effets d’aubaine dont bénéficieront certains locataires.
Avec tout cela, monsieur le secrétaire d’État, vous pensez sérieusement déclencher un choc d’offre, trouver des investisseurs, publics ou privés – car il en faut pour construire – et mobiliser les collectivités territoriales très inquiètes pour leur dotation, pour leur autonomie budgétaire et en raison des emprunts qu’elles ont garantis ?
Vous aurez beau, dans un second temps, simplifier les normes et les procédures – ce que tout le monde réclame –, vous aurez beau engager une restructuration souhaitable des bailleurs sociaux, mais qui demandera du temps pour produire des effets, vous prenez le sérieux risque de donner un coup de frein au secteur du logement.
Qu’auront gagné l’économie française et le budget de l’État à retomber dans les mêmes erreurs, à retrouver la situation ayant suivi l’adoption de la loi ALUR de Mme Duflot ? N’avez-vous tout simplement pas mis la charrue devant les bœufs ? Il est encore temps de vous poser la question.
La politique du logement est un tout, une chaîne, dont la fragilisation d’un maillon fragilisera à coup sûr l’ensemble. Or ce maillon faible, dans ce PLF, c’est le logement social, avec 200 bailleurs qui pourraient se retrouver au tapis dès l’an prochain. Certains seront même, dès 2018, en autofinancement négatif, et beaucoup d’autres en autofinancement si faible qu’ils auront du mal à entretenir le parc existant.
Je connais bien la petite musique de fond, que l’on entend depuis longtemps à Bercy, selon laquelle les bailleurs sociaux sont assis sur un tas d’or et qu’on trouverait là une réserve de moyens disponibles. C’est oublier un peu vite, monsieur le secrétaire d’État, que tous les bailleurs ne sont pas dans la même situation : certains concentrent les publics allocataires de l’APL et seront donc particulièrement touchés par vos mesures ; quant aux « dodus dormants » – et il y en a –, ils ne sont pas majoritaires et se trouvent rarement en zone tendue.
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Philippe Dallier. Vous proposez aux bailleurs des mesures censées compenser cette perte sèche de recettes. Mais comment ne pas relever que c’est la veuve de Carpentras, que l’on aimait invoquer en commission des finances, qui va payer la facture finale du gel du taux du livret A ? Avec un taux bloqué à 0,75 %, alors que le taux du marché est de 1,25 %, elle va perdre la différence. Qui va encaisser cette différence ? Eh bien, ce sont les banques ! Dès 0,25 % de différentiel, elles réalisent un profit de 900 millions d’euros. Avec 0,50 %, cela représente 1,8 milliard d’euros, soit le montant de la réforme, dont on ne peut pas dire qu’elle sera perdue pour tout le monde.
Vous demandez ensuite à la Caisse des dépôts et consignations de proposer aux bailleurs sociaux des prêts de haut de bilan, pour 2 milliards d’euros, considérés comme des quasi-fonds propres. Vous proposez également aux bailleurs des prêts bonifiés et un rééchelonnement de leur dette. Mais des prêts, monsieur le secrétaire d’État, fussent-ils bonifiés ou rallongés, restent des prêts qu’il faut un jour rembourser. Or la baisse des ressources propres des bailleurs impactera leur capacité à entretenir leur patrimoine et à construire de nouveaux logements.
Il n’est pas inutile de rappeler ici, au Sénat, que ce sont nos collectivités territoriales qui garantissent les prêts contractés par les bailleurs sociaux. Jusqu’à présent, il n’y a jamais eu d’accident – la CGLLS est faite pour cela. Mais il ne faudrait pas, à force de vouloir tout faire faire à la Caisse de garantie du logement locatif social, donner l’idée aux banques ou aux agences de notation d’évaluer le niveau d’endettement des collectivités en fonction des garanties d’emprunts qu’elles ont accordées. Certaines ne trouveraient alors plus personne pour les financer – ou à quel prix ?
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Philippe Dallier. Voilà beaucoup de raisons, sur beaucoup de sujets, qui me conduisent à dire, chers collègues, que le Sénat ne peut maintenir en l’état les dispositifs adoptés par l’Assemblée nationale.
S’agissant de l’article 52, et même si nos collègues députés ont cherché à étaler dans le temps les effets du dispositif du Gouvernement, le compte n’y est pas. On ne peut en rester là. Le compromis que nous recherchons toujours ne peut passer que par un adoucissement de la baisse trop importante de la part de l’État pour équilibrer le FNAL.
Comme nous ne souhaitons pas dégrader le solde budgétaire, monsieur le secrétaire d’État, nous proposerons, en première partie de ce PLF, de relever le taux de TVA sur les opérations de constructions et de réhabilitations en prenant garde d’exclure ceux qui n’étaient pas concernés par votre dispositif initial. Nous pensons ainsi trouver environ 600 millions d’euros, même si nous devons encore calibrer le dispositif. Pour ce faire, nous avons besoin de l’aide des services de Bercy, aide que nous avons eu bien du mal à obtenir jusqu’à présent.
Nous irons chercher le reste en seconde partie. Plusieurs solutions sont envisageables. Nous n’avons pas encore trouvé le bon compromis, celui qui suppose que chacun fasse de nouveau un pas vers l’autre.
Le Gouvernement et les bailleurs en ont fait un premier en acceptant le principe du relèvement de la TVA. Reste, me semble-t-il, pour avancer en seconde partie, à obtenir du Gouvernement, et c’est là le point le plus important, monsieur le secrétaire d’État, la garantie que ce partage des 1,5 milliard d’euros entre recettes nouvelles et baisses des dépenses, que nous pouvons encore calibrer, soit la solution pérenne sans monter en charge dans les trois prochaines années. Voilà les conditions que le Sénat y met !
Monsieur le secrétaire d’État, la balle est maintenant dans le camp du Gouvernement. Le Sénat est prêt à jouer tout son rôle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Dominique de Legge. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’effort financier consacré par l’État en 2018 aux territoires ultramarins s’élève à 17,2 milliards d’euros, contre 16,6 milliards d’euros en 2016 et 16,2 milliards d’euros en 2015. Les dépenses fiscales étant estimées à 4,2 milliards d’euros, l’effort total de l’État devrait s’élever à 21,4 milliards d’euros, selon le document de politique transversale outre-mer.
M. Victorin Lurel. C’est contestable !
M. Georges Patient. Ce document présente la quasi-totalité de l’effort budgétaire et financier consacré par l’État aux territoires ultramarins. Cet effort, il faut le préciser, correspond à 3,9 % du budget général, alors que les populations ultramarines représentent 4,3 % de la population nationale, même s’il est indiqué dans le document de politique transversale que les crédits inscrits ne traduisent pas le « coût des outre-mer », mais la mise en œuvre budgétaire des politiques publiques conduites par l’État pour ces territoires.
La hausse de 1,26 % de ce budget par rapport aux exercices précédents s’inscrit dans une certaine continuité, en dépit d’une situation financière nationale toujours contrainte.
Ce budget se présente comme un budget de responsabilité au regard de la priorité donnée au Gouvernement de rétablir les comptes publics de la France, mais surtout comme un budget de transition pour les territoires ultramarins, dans la perspective des Assises des outre-mer. Le Gouvernement s’est en effet engagé à s’appuyer, pour les prochains projets de loi de finances, sur le Livre bleu outre-mer, qui résultera des Assises des outre-mer, lancées en octobre 2017 et devant s’achever au printemps de 2018.
Monsieur le secrétaire d’État, les Ultramarins auront-ils la patience d’attendre demain, alors que la situation est aujourd’hui plus qu’alarmante ? Tous les voyants sont au rouge : emploi, insécurité, immigration, éducation, finances locales, pour ne citer que ces domaines.
Les maires des communes d’outre-mer que j’ai rencontrés au congrès des maires sont tous en ébullition. Les socio-professionnels sont excédés, confrontés à une chute de leurs commandes et à des grèves qui se multiplient. Tous exhortent le Gouvernement à agir urgemment, évoquant le risque d’explosion sociale, les événements de Guyane de mars et avril derniers étant encore dans toutes les mémoires.
Je sais le Président de la République très attentif et conscient des enjeux. Il a l’expérience de ces dossiers. Pour autant, monsieur le secrétaire d’État, il y a urgence à agir dès ce budget pour 2018 en envoyant des signes positifs sur des sujets très sensibles.
Je pense aux accords de Guyane, qui manquent de visibilité dans ce budget, notamment le plan d’urgence qui semble avancer le frein à main tiré.
Je pense aussi à la suppression brutale des contrats aidés, sujet unanime de mécontentement dans les outre-mer. Il semblerait que des dispositions particulières pour ces territoires soient prises, mais elles mériteraient d’être davantage mises en lumière.
Je pense encore aux dispositions d’incitation fiscale à l’investissement productif et dans le secteur du logement. Un moratoire sur la défiscalisation, en attendant d’aller plus loin, serait bienvenu.
Le CICE outre-mer, porté à 9 %, est également un sujet sensible. Pourquoi ne serait-il pas maintenu ?
La baisse de plus de 8 % des crédits affectés au logement est un autre sujet sensible, de même que la baisse des crédits affectés à la mobilité, à la continuité territoriale.
Je pense enfin aux finances locales : la Cour des comptes a elle-même constaté, dans son dernier rapport d’octobre 2017, que le système de péréquation actuel était défavorable aux communes d’outre-mer.
Sur ces différents points, je proposerai des amendements visant à offrir des opportunités de plus grande adaptation de ce budget à nos réalités ultramarines. J’espère que vous leur donnerez une suite favorable.
Pour terminer, à la lumière de toutes les difficultés que vous rencontrez pour faire rentrer dans ce budget les attentes des populations ultramarines, je veux insister sur la nécessité d’instaurer dans nos territoires la responsabilité d’un réel développement propre, de façon à sortir de cette dépendance budgétaire que vous-même vous ne souhaitez pas non plus.
La croissance par les transferts publics a atteint ses limites. Le Président de la République lui-même veut donner une nouvelle marque, un nouveau souffle aux politiques publiques. Ce qui vaut pour la France doit aussi pouvoir servir d’objectif à la réflexion des outre-mer sur leur avenir – les moyens ne pouvant évidemment être identiques.
Les outre-mer doivent sortir par leurs propres moyens de l’économie de transfert. Le développement endogène devient une nécessité urgente. Nous devons penser notre développement en fonction de nos réalités, de notre environnement complexe, de nos caractéristiques mentales et sociales propres. Il ne saurait y avoir d’égalité réelle sans émancipation réelle, pour reprendre les mots de notre collègue député Serge Letchimy.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis, au nom du groupe Union Centriste, d’examiner le projet de budget cette année. Vous vous rappelez tous que, le 30 novembre de l’année dernière, sur proposition du rapporteur général, dont je salue le retour, nous avions décidé de ne pas examiner le projet de loi de finances pour 2017, qui présentait des signes d’insincérité. L’audit confié par le nouveau gouvernement, dès son entrée en fonction, à la Cour des comptes a confirmé cette insincérité, évaluée à 8 milliards d’euros. Le président de la Cour des comptes, dans son analyse, a évoqué des risques de dérapage résultant d’une sous-estimation des dépenses de l’État et d’estimations volontairement optimistes de l’impact de certaines mesures.
Tout cela, nous l’avions décelé lors de l’examen du projet de budget en commission. Nous nous inquiétions notamment de la croissance de la masse salariale, des conséquences des augmentations des dépenses de sécurité et de défense et des grands travaux d’infrastructures annoncés.
L’élection présidentielle a apporté un nouveau souffle, tout d’abord en raison de la très bonne image dont bénéficiait le nouveau Président de la République en France et, surtout, à l’étranger. Lors de sa campagne électorale, ce dernier a défendu l’esprit d’entreprise et annoncé un certain nombre de mesures de soutien à l’économie de nature à restaurer la confiance, dont nous avons tant besoin, dans notre pays.
Le groupe Union Centriste partage la volonté de réforme du Président de la République, qui nous semble absolument nécessaire. La France est dans une situation très préoccupante : la dette publique a fortement augmenté – 32 points de PIB en dix ans – et devrait représenter, pour l’État, plus de 1 750 milliards d’euros en 2018. Il y a de quoi être inquiet ! Très récemment, le Venezuela a failli se retrouver en cessation de paiement pour une dette publique de 150 milliards… C’est dire combien il est urgent d’agir. Il est d’ailleurs paradoxal de constater que les intérêts de la dette ne cessent de diminuer – 43 milliards d’euros en 2014, contre 40 milliards d’euros dans ce projet de budget –, alors que la dette continue d’augmenter en valeur.
Notre déficit public est également particulièrement préoccupant. Il s’élèvera à 83 milliards d’euros en 2018, ce qui appelle des réformes.
Il en va de même de notre balance commerciale : notre déficit s’élève à 34 milliards d’euros sur le premier semestre de 2017, quand l’Allemagne dégage un excédent commercial de plus de 110 milliards d’euros, et alors même que les cours du pétrole restent relativement bas. Il faudra sans doute s’engager dans un processus de baisse des charges sociales pour permettre à nos entreprises de retrouver de la compétitivité à l’exportation.
Lors des questions au Gouvernement, le dogme de la dépense publique a été évoqué. Oui, nous sommes préoccupés par la question de la dépense publique : elle est la plus élevée d’Europe avec 56 % du PIB, soit près de 10 points de plus que la moyenne des pays de la zone euro. C’est dire l’importance de l’effort à engager.
À elle seule, la croissance ne nous permettra pas de résorber ce déficit particulièrement important. Or il est essentiel, eu égard à nos engagements européens, mais aussi dans un souci de bonne gestion de nos finances publiques et afin de restaurer la confiance de nos concitoyens, de s’attaquer à ce problème.
S’agissant des recettes, je salue les propositions du Gouvernement dans un certain nombre de domaines, notamment le logement et le travail. Il s’agit d’un premier pas qui en appelle d’autres.
Je voudrais aussi saluer la volonté, manifeste dans ce budget, de réduire les prélèvements obligatoires. Ces dernières années, le ras-le-bol fiscal de nos concitoyens a été largement commenté. Il est nécessaire que des mesures soient prises pour y remédier. À cet égard, j’applaudis la volonté de corriger la trajectoire de l’impôt sur les sociétés afin de fixer son taux, d’ici à 2022, au niveau de celui des autres pays européens.
Il faut également saluer les mesures de soutien à l’investissement productif, notamment l’instauration du PFU et la baisse des charges sociales, qui a été annoncée.
En revanche, s’agissant de l’impôt de solidarité sur la fortune, et eu égard aux différentes dispositions analogues qui ont été prises par le passé, la proposition d’imposition forfaitaire sur l’immobilier ne me paraît pas la meilleure solution. Il aurait été plus astucieux, me semble-t-il, de conserver l’impôt sur la fortune…
M. Philippe Dominati. Non, non !
M. Michel Canevet. … le temps que l’état des finances publiques s’améliore, avant, le cas échéant, de le supprimer, par l’exonération, tout à fait légitime, des actifs relevant de l’investissement productif. Il faut tenir compte de la situation des finances publiques avant de supprimer une ressource, quelle qu’elle soit.
Restent quelques points sur lesquels notre vigilance s’exercera tout particulièrement. Je pense notamment aux moyens des opérateurs de l’État, ainsi qu’à la trajectoire par mission des dépenses de l’État. Nous devrons y être attentifs.
Notre taux de croissance s’annonce positif, à hauteur de 1,7 %, un peu en deçà de la situation moyenne de la zone euro néanmoins. Nous aurons donc à travailler pour restaurer la confiance. De ce point de vue, on peut saluer le choix de Paris pour l’installation de l’Agence bancaire européenne, premier signe positif en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Julien Bargeton applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Carcenac.
M. Thierry Carcenac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2018 permet de définir les orientations que souhaite mettre en œuvre le Gouvernement : au-delà des mots, nous pouvons juger sur pièces ses premiers choix.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, le « vivre ensemble », auquel vous êtes, avec le Gouvernement, très attaché, comme nous tous ici, quelles que soient nos convictions économiques, ne concerne pas seulement les individus ; il existe des structures qui le rendent possible et le font vivre, au premier rang desquelles les collectivités locales, aux échelons reconnus par la Constitution et dans la limite des compétences qui leur sont dévolues.
Par ailleurs, je rappelle les termes, fixés dès 1789, de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Dès lors, l’exonération des revenus des plus aisés par l’instauration, certes subtile, et néanmoins injuste, d’une « flat tax » ou par la suppression de l’ISF – je préfère d’ailleurs l’ancien nom d’IGF, impôt sur les grandes fortunes, et j’en profite pour rendre hommage au Président Mitterrand, qui savait ce que les mots veulent dire –,…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Excellent !
M. Thierry Carcenac. … ainsi que la suppression de tout lien fiscal entre certains contribuables, même s’il s’agit des plus modestes, et la collectivité nationale ne sont pas de bons signaux envoyés à nos concitoyens. En effet, les classes dites moyennes, inférieures ou supérieures, ont le sentiment d’être les « dindons de la farce », les oubliés du nouveau monde dont vous nous rebattez tant les oreilles.
Discriminer ce qui serait un investissement productif d’un autre désigné à la vindicte populaire comme improductif est également un mauvais signal adressé à nos concitoyens. C’est ainsi qu’il sera préférable d’alimenter un compte bancaire, totalement exonéré, plutôt que d’investir dans des biens immobiliers destinés à la location, opération économique qui participe de la chaîne productive et de son dynamisme. Dans nos territoires, l’adage « Quand le bâtiment va, tout va » retrouve tout son sens. Claude Raynal a déjà évoqué brillamment ces choix fiscaux inopportuns et injustes.
Mais revenons à mon propos, qui concerne, dans son premier moment, les collectivités locales, instances privilégiées de la cohésion nationale et du « vivre ensemble ».
Monsieur le secrétaire d’État, la problématique du financement des collectivités locales, telle qu’envisagée dans votre projet de loi de finances, vous conduit à mettre la charrue devant les bœufs. Pourquoi, alors que vous nous annoncez une réforme globale à venir de la fiscalité locale, procéder dans l’immédiat par ajustements, en ne menant ni travail de réflexion ni concertation approfondie avec les principaux intéressés, à savoir les représentants des collectivités locales ?
Nous qui étions à la tête d’un exécutif le savons bien : nous avons en mémoire la réforme de la taxe professionnelle de 2010, qui s’est traduite, pour certains départements, par un plafonnement des compensations d’équilibre, et qui est peut-être à l’origine de situations particulièrement difficiles pour ces territoires. Ce précédent inquiète à juste titre les élus ; il s’agit certes d’un dégrèvement de fiscalité, mais ce dispositif est-il appelé à évoluer dans la durée ?
S’agissant de l’exonération de taxe d’habitation, l’objectif annoncé est qu’elle doit concerner 80 % des ménages, au motif que cette taxe serait injuste, tant dans son principe qu’en raison des valeurs locatives sur lesquelles elle est assise. Cet argument de l’injustice perdurera pour les 20 % de ménages qui resteront assujettis à cet impôt, mais également pour l’assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Ce qui est injuste ici, donc, ne le serait plus là ? Qu’en est-il du devenir de l’expérimentation de révision des valeurs locatives réalisée sur cinq départements et qui a vocation à être étendue à l’ensemble du territoire national ?
La suppression de la taxe d’habitation, si elle s’appliquait en l’état, outre qu’elle ne résoudrait pas les problèmes d’injustice, pourrait être considérée comme inconstitutionnelle – cela dépendra de ses modalités d’application. Monsieur le secrétaire d’État, vous prenez là un grand risque, cette mesure étant emblématique du programme du Président de la République et destinée à compenser la hausse de la CSG, et non simplement à accroître le pouvoir d’achat. De surcroît, cette disposition mécontente et inquiète la communauté des élus. Les maires vous en ont fait part récemment au cours de leur congrès.
S’agissant des départements, qui sont déjà en grande difficulté financière, leurs dépenses sociales, notamment les allocations individuelles de solidarité – je citerai le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie, la prestation de compensation du handicap et l’aide sociale à l’enfance pour les mineurs non accompagnés –, ne sont pas des dépenses de fonctionnement dont l’évolution serait maîtrisable. Fixer un nouveau ratio d’endettement ainsi qu’une règle d’or renforcée, qui imposerait d’affecter prioritairement les capacités d’autofinancement au désendettement, conduirait les départements à ne plus investir. Or, depuis 2010, la baisse des dépenses d’investissement est un fait établi. Il convient pourtant d’entretenir le réseau routier départemental ou de répondre aux besoins de nos collégiens en construisant des établissements scolaires. Dans la conjoncture actuelle et au vu de la situation de l’emploi, qui s’est encore dégradée, nous nous interrogeons donc sur la pertinence de ce choix.
L’option consistant à soutenir les départements les plus en difficulté, qui sont, nous dit-on, au nombre de dix-neuf, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2017, par un fonds d’urgence de 100 millions d’euros prélevés sur la CNSA, n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Le précédent gouvernement avait proposé 200 millions d’euros, et le compte n’y était pas. Je précise que certains départements ne rembourseront plus l’avance mensuelle du RSA effectuée par les caisses d’allocations familiales, décalant ainsi à l’année suivante le remboursement de cette allocation, ce qui a l’air de ne préoccuper personne, et surtout pas les préfets.
S’agissant des régions, la compensation du transfert de la compétence économique par l’attribution de 1 point de TVA, impôt dynamique, paraît satisfaisante ; mais le compte, là encore, n’y est pas : 450 millions d’euros étaient annoncés, et cet engagement n’a pas été respecté. C’est pourquoi il serait préférable d’envisager une révision générale des financements des collectivités locales, au lieu d’additionner les décisions prises en urgence, visant à sortir au coup par coup d’une impasse budgétaire ou d’une autre.
Nous entrerions dans une quatrième phase de la décentralisation ; mais cette phase ressemble plutôt à une phase I de recentralisation ! En effet, le préfet disposait déjà du pouvoir d’attribution des crédits de la DETR, dans lesquels seront intégrés cette année les contrats de ruralité ; il voit son rôle accru par la mise en œuvre de la contractualisation avec 319 collectivités territoriales, voire davantage, et par la responsabilité qui lui échoit du suivi de l’endettement – si les engagements ne sont pas respectés, ce suivi pourrait conduire à ce qui ressemblerait à une mise sous tutelle de la collectivité concernée par le préfet et par la chambre régionale des comptes, sans parler du malus sur le montant des dotations.
La règle d’or, qui interdit le financement par l’emprunt des dépenses de fonctionnement, encadre déjà efficacement les budgets des collectivités territoriales. Dans le même temps, la collectivité nationale poursuit son endettement, avec une hausse de 4,5 % en 2018, qui vient d’être critiquée par la Commission européenne. L’État ne s’applique pas à lui-même la rigueur qu’il impose aux autres.
En outre, le Gouvernement fixe l’objectif d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement à 1,2 % par an ; le Sénat, beaucoup plus raisonnable, retient un chiffre de 1,9 %.
Devant le comité des finances locales, dans le monde ancien donc, l’objectif d’évolution de la dépense locale n’avait pas de valeur contraignante pour les collectivités locales ; il était analysé en fonction de la nature des collectivités, une différenciation étant faite entre pôle communal, département et région. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?
Plutôt que de ne retenir que les dépenses, ne pourrait-on pas, à l’avenir, envisager de définir un « panier » moyen de dépenses par collectivité, afin d’y adapter les ressources ? L’appréciation du reste à charge serait rendue plus juste pour les départements, s’agissant des allocations individuelles de solidarité, alors même que la compensation diminue d’année en année.
Que dire par ailleurs des ressources inégalement réparties ? En macroéconomie, on évoque toujours la hausse des recettes des DMTO. Mais, là encore, en dépit d’une péréquation dite horizontale, les inégalités sont flagrantes entre les territoires.
Enfin, ne sont pas évoquées les conséquences de décisions unilatérales de l’État concernant le protocole PPCR ou l’augmentation du point d’indice.
On avance vraiment à l’aveugle, ici dans l’attente du rapport de MM. Alain Richard et Dominique Bur, là au gré des décisions fluctuantes d’un préfet, lesquelles ne seraient assorties d’aucune possibilité d’appel.
Des rapports existent, comme celui de MM. Carrez et Thénault, publié en 2010, sur l’évolution des dépenses locales, tombé dans l’oubli, comme beaucoup de rapports, hélas, qui mériteraient d’être exhumés.
Monsieur le secrétaire d’État, il est à craindre que, dans les années à venir, si vous poursuivez dans cette logique strictement comptable sans prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrit la vie des collectivités territoriales, le contrat social existant entre nos concitoyens et lesdites collectivités soit mis à mal, par renoncements successifs à certains services.