M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Bricq. (Exclamations amusées.)
Mme Laurence Cohen. Une fois n’est pas coutume !
M. Alain Milon, rapporteur. Oui, c’est un événement ! (Sourires.) Un rapport, ça peut servir, madame Bricq, mais à condition d’avoir été fait.
Mme Nicole Bricq. Celui-là l’a été !
M. Alain Milon, rapporteur. La plupart des rapports demandés ne le sont pas, vous le savez très bien, et ceux qui sont faits ne sont pas lus. Le problème est là.
Je rappelle encore une fois que – et M. le secrétaire d’État s’en souvient – plus d’une trentaine de rapports ont été demandés dans le cadre de la loi El Khomri. Dans celui de la loi Santé, dont j’étais le rapporteur, il y a eu cinquante demandes de rapport ! Si nous avions voté toutes ces demandes, pas un seul de ces cinquante rapports n’aurait pu être rédigé et l’être dans les délais.
Les rapports servent donc à quelque chose, mais uniquement quand ils sont faits et quand ils sont lus.
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Le télétravail est une source de développement : c’est l’avenir, comme les espaces tiers et le coworking ; il n’est pas réservé aux personnes en situation de handicap.
Mme Dominique Gillot. Bien sûr que non !
M. René-Paul Savary. Je suis toujours un peu inquiet quand on commence à parler de dispositifs « pour les personnes handicapées ». L’intégration réelle des personnes handicapées, qui est ce à quoi notre attention doit tendre, passe par leur intégration dans tous les dispositifs législatifs.
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. René-Paul Savary. Le télétravail est une des possibilités pour créer des emplois nouveaux dans les bassins de vie. On rejoint là, en matière d’aménagement du territoire, la question du développement du très haut débit et de la téléphonie, fixe ou mobile, développement pour lequel il faut continuer à nous battre, parce que c’est ainsi que nous sortirons les territoires enclavés de leur isolement.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 177 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier, Rapin, Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Compléter cet alinéa par les mots :
et assouplissant la possibilité de modifier l’organisation du travail en cas de nécessité de retour du salarié dans l’entreprise
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Dans un arrêt du 31 mai 2006, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que l’employeur ne peut unilatéralement demander à un salarié travaillant à domicile d’exécuter sa prestation au siège de l’entreprise, une telle décision modifiant l’organisation contractuelle du travail. L’accord du salarié est ainsi requis, quand bien même son contrat de travail prévoirait une clause de mobilité.
Il convient d’assouplir cette règle, faute de quoi les employeurs risqueront de ne pas prévoir ce mode d’organisation, dès lors qu’il se révèle définitif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Malheureusement défavorable, mais le Gouvernement pourra peut-être enfin émettre un avis favorable sur l’amendement n° 178 rectifié ter, qui sera examiné plus tard…
Vous avez fait référence, madame Morhet-Richaud, à un arrêt de la Cour de cassation sur les travailleurs à domicile. Or cela répond à un régime dérogatoire n’ayant rien à voir avec celui des travailleurs ordinaires qui ont choisi des modalités d’exécution de leur travail leur permettant, de façon partielle, d’œuvrer dans ces lieux tiers qu’a mentionnés M. Savary. Il s’agit donc d’un sujet tout à fait distinct, pour lequel il ne semble pas à ce stade nécessaire de perturber l’équilibre.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Morhet-Richaud, l'amendement n° 177 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 177 rectifié ter est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 125 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 159 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 125.
Mme Laurence Cohen. Depuis 2015, la progression du nombre d’intérimaires serait de 16 %, s’approchant ainsi du record de 2007, avant la crise. Cette forme de travail voile d’incertitudes les lendemains de millions de travailleurs, précarisant leur travail et leur vie. C’est même un marché du travail précaire qui a explosé, faisant le bonheur d’un certain nombre d’entreprises.
L’alinéa 20 prévoit la possibilité de déroger par accord de branche à la législation relative au CDD et à l’intérim. C’est la raison pour laquelle nous en demandons la suppression. Nous avons, nous aussi, organisé des auditions et rencontré des organisations syndicales à ce sujet.
Si c’est la loi qui fixe les règles de recours au CDD et à l’intérim, c’est bien pour protéger les salariés, car, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Vous avez reconnu la célèbre citation de Lacordaire…
Le contrat de travail est un lien de subordination que vous semblez ignorer dans ce texte, monsieur le secrétaire d’État. Penser qu’employés et patrons discutent sur un pied d’égalité et dans la bienveillance serait une erreur.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 159.
M. Jean Desessard. En laissant la possibilité aux branches de déterminer les règles relatives au contrat à durée déterminée ou à l’intérim, le Gouvernement entend faciliter le recours à des contrats courts. Or ces contrats sont, par définition, précaires pour les travailleurs.
L’absence de salaire garanti à l’issue du contrat de travail a des conséquences néfastes sur la vie du salarié, nous l’avons souvent souligné, celui-ci ne pouvant se projeter dans l’avenir et mener des projets à long terme. Au quotidien, l’accès au logement est compliqué : les propriétaires exigent quasi systématiquement plusieurs bulletins de salaire et un contrat à durée indéterminée avant de louer leur bien. De la même façon, les banques imposent une certaine stabilité de revenus pour accorder des prêts, donc faciliter l’accès à la propriété. Au-delà des conséquences matérielles, le travail précaire engendre du stress, du mal-être et nuit à la santé des travailleurs.
Pour toutes ces raisons, la précarisation du monde du travail nous inquiète au plus haut point.
Si les contrats courts peuvent être nécessaires dans certaines situations, comme les remplacements ou les pics d’activité, ils doivent rester exceptionnels. En assouplissant trop la possibilité de recourir au contrat court, on affaiblit le CDI, pilier de notre droit du travail, et, avec lui, l’ensemble des chômeurs et des travailleurs précaires.
C’est pourquoi nous nous opposons à la facilitation des contrats courts à l’échelon de la branche.
Je ne peux pas m’empêcher de dire par avance à Mme Bricq, qui répondra que les contrats courts permettent de s’adapter à l’économie, que, quand on parle de la flexisécurité, il ne faut pas s’arrêter à « flexi », il faut aussi garantir la « sécurité ».
Ceux qui veulent un peu plus de flexibilité, quelle sécurité apportent-ils pour que les travailleurs précaires puissent avoir un accès au logement et à un prêt et que ces contrats courts soient sécurisés dans leur vie sociale ?
Vous créez le contrat court et multipliez la précarité sans rien en échange, alors que l’on sait que c’est néfaste !
M. le président. L'amendement n° 153 rectifié, présenté par Mme Primas et M. Mouiller, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Compléter cet alinéa par les mots :
, et permettant l’accès à ces contrats dans certains secteurs d’activité où les contrats d’usage sont par nature successifs et temporaires
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. J’ai déposé des amendements ayant un objet identique plusieurs fois, amendements que les gouvernements précédents m’avaient promis de considérer, mais, à l’évidence, le dossier n’avance pas.
Il s’agit des contrats à durée déterminée d’usage, notamment de ce que l’on appelle les extras dans la branche hôtels, cafés, restaurants, contrats prévus pour faire face à la fluctuation de l’activité auxquels recourent particulièrement les traiteurs.
Toutefois une jurisprudence de la Cour de cassation du 24 septembre 2008 a remis en cause les bases légales de ce dispositif, en considérant que la qualification conventionnelle de contrat d’extra dépendait de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère « par nature temporaire » de l’emploi.
Or la preuve du caractère par nature temporaire de l’emploi est bien souvent impossible à démontrer. En effet, le recours aux extras est une nécessité liée à un besoin temporaire, comme une réception ou un mariage. Les traiteurs sont souvent dans l’impossibilité d’avoir une vision claire de leur activité, qu’ils ne peuvent parfois prévoir à plus de quinze jours. En revanche, les emplois qualifiés de serveur ou de maître d’hôtel qui sont confiés aux salariés ne sont naturellement pas par nature temporaires.
Aussi, faute de pouvoir apporter la preuve du caractère par nature temporaire de l’emploi et même si l’employeur respecte strictement les dispositions conventionnelles, les juridictions requalifient la relation de travail en CDD en CDI, la relation de travail à temps partiel en temps complet.
Ces décisions, qui aboutissent à des condamnations de plusieurs centaines de milliers d’euros, risquent de conduire au dépôt de bilan plusieurs entreprises déjà fragilisées, notamment chez les traiteurs.
Parallèlement, dans un rapport d’évaluation publié au mois de décembre 2015, l’IGAS a proposé de transformer le contrat déterminé d’usage en contrat à durées déterminées successives, ce qui sécuriserait l’équilibre économique et social des secteurs concernés.
À ma connaissance, les auteurs de ce rapport n’ont pas auditionné les entreprises du secteur, notamment les représentants du petit syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs.
Dans un tel contexte, cet amendement vise à faire reconnaître dans la loi la nature successive et temporaire des contrats d’usage.
J’invite par là même le Gouvernement à se prononcer car, monsieur le secrétaire d’État, du fait de cette situation qui perdure depuis des années, des entreprises sont aujourd'hui confrontées à des difficultés majeures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 125 et 159.
J’en viens maintenant à l’amendement n° 153 rectifié.
En effet, par deux arrêts en date du 23 janvier 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en exigeant désormais que le recours à des contrats à durée déterminée d’usage successifs soit justifié par des raisons objectives, c’est-à-dire par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
En pratique, il ne suffit plus que l’emploi occupé relève de ceux pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir à des contrats à durée indéterminée ; il faut que l’employeur soit en plus capable de montrer, dans chaque cas de figure, que les conditions d’emploi concrètes rendent le poste temporaire.
Même si cette exigence paraît justifiée sur le fond, la mettre en œuvre est en pratique très compliqué, et vous avez eu raison de le souligner, ma chère collègue. Ce durcissement des règles entourant le CDD d’usage pose aux employeurs, dans un certain nombre de secteurs – cinéma, hôtellerie-restauration, loisirs, sport, BTP – des difficultés réelles, qu’il faudra bien un jour lever, comme l’avait reconnu M. Macron, en séance publique au Sénat, au mois de mai 2015.
Il avait alors dit que ce sujet pourrait être traité dans le cadre d’une loi sur le dialogue social, mais, depuis, aucune décision n’a été prise.
Comme vous, madame Primas, la commission demande donc au Gouvernement si l’ordonnance sur les CDD abordera la question des CDD d’usage et tirera les conséquences du rapport, très critique, de décembre 2015 de l’IGAS. Elle souhaite en outre connaître son avis sur l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Sur les amendements identiques nos 125 et 159, qui visent à supprimer purement et simplement l’alinéa 20 de l’article 3, l’avis est défavorable.
Du fait que les branches auront désormais pour mission de travailler sur la gestion et sur la qualité de l’emploi, il leur reviendra – et Mme Pénicaud l’a d’ailleurs dit lors de la discussion de l’article 1er –, dans le cadre de cette nouvelle mission qui a émergé des concertations de ces derniers jours avec les partenaires sociaux, d’adapter les curseurs pour les contrats de ce type au regard des spécificités de leur secteur d’activité.
Il est toujours mieux de faire du sur-mesure, et c’est d’autant plus un progrès que ce sera la branche elle-même qui sera amenée à conduire ce travail. Le souci qui avait été exprimé ici lors de la discussion de la loi El Khomri s’agissant du rôle des branches a donc été entendu.
S’agissant de l’amendement n° 153 rectifié, cela fait en effet plusieurs années que Mme Primas se penche avec attention sur les branches hôtels, cafés, restaurants et les contraintes de ces secteurs.
Grâce à l’innovation dans les missions des branches que je viens d’évoquer, les branches HCR et assimilées vont elles aussi pouvoir délibérer et intervenir sur la gestion et la qualité de l’emploi, et donc apporter des ajustements pour prendre en compte les spécificités.
Au-delà de cette réponse de principe – elle signifie tout de même, madame Primas, que la branche pourra s’emparer du dossier ! –, je suis très allant pour que nous regardions ensemble comment le dossier évolue et comment la branche, justement, s’en emparera.
Hier, j’ai reçu M. Héguy, président confédéral de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, l’UMIH, et M. Chenet, président du GNI-SYNHORCAT, à l’occasion d’un comité interministériel sur le tourisme. Naturellement, ces sujets sont au cœur de nos préoccupations pour que la destination France soit attractive et compétitive. M. le Premier ministre s’est lui-même assez fortement engagé avec Jean-Yves Le Drian sur ce dossier que je m’attacherai à suivre, à leurs côtés, dans le détail.
Si je m’engage à ce que nous le suivions ensemble, madame Primas, ce n’est pas une clause de style pour obtenir le retrait de votre amendement ! Je comprends que des travaux ont déjà été conduits, qu’il y a des attentes et que l’on ne peut pas se satisfaire de différer les solutions de débat en débat. Cet engagement de travail, je le prends, et je n’ai pas l’habitude de ne pas tenir mes engagements.
Au bénéfice de ces explications, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Pour certains d’entre vous, les contrats courts sont l’horreur absolue et synonymes de précarité. Il ne faut pas que les abus qui peuvent être commis, à savoir le recours systématique, répétitif et permanent aux contrats courts, disqualifient ces contrats qui ont des côtés positifs. Des abus ont d’ailleurs été commis dans le secteur privé, mais aussi dans le secteur public – le ministère de la justice et le groupe La Poste étaient quand même les grands spécialistes des contrats courts, avec des dizaines de CDD renouvelés. Le groupe La Poste a d’ailleurs été largement condamné voilà quelques années par les prud’hommes.
Je tiens à rectifier certains éléments qui ont été donnés de manière imprécise. Si 50 % des embauches aujourd’hui sont bien des CDD, le stock de CDI demeure stable, entre 85 % et 90 %. Cette distorsion entre le flux et le stock s’explique tout simplement par le fait que l’intérim et le CDD sont des moyens d’insertion dans la vie professionnelle. Lorsqu’une entreprise fait appel à un CDD ou à un intérimaire, elle peut de nouveau faire appel à lui en cas de besoin s’il a donné satisfaction, voire l’embaucher de façon définitive si le besoin devient permanent.
L’intérim et le CDD doivent être considérés comme pouvant être des moyens d’insertion dans le monde professionnel et dans l’entreprise. À cet égard, il est bien normal que la branche ait un rôle de régulateur et puisse étendre, restreindre ou encadrer le dispositif des contrats courts, qu’il faut cesser de diaboliser.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Cet alinéa 20 prévoit « d’adapter par convention ou accord collectif de branche […] les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement ».
Jean-Marc Gabouty parle de 50 % d’embauches en CDD ; les informations que je détiens indiquent 75 %, pour une durée maximale d’embauche de dix-huit mois d’embauche, ce qui est en effet très précaire…
Pourquoi pas un CDI, demanderont certains ? Si l’entreprise n’a pas la visibilité économique pour un CDI, l’employé doit être remercié. Il revient donc à la branche, au sein de laquelle siègent bien évidemment des représentants syndicaux, de mettre en place les dispositions pour que le contrat de travail temporaire soit plus long. Cet état de fait est très fréquent dans les entreprises, notamment les PME-TPE.
L’alinéa 20 prévoit donc pour moi une bonne mesure, à l’avantage de l’employeur, certes, mais aussi de l’employé, qui trouvera peut-être ensuite un CDI. Il faut donc le conserver.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le secrétaire d’État, du sur-mesure sur les branches, cela s’appelle de l’élagage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Trêve de plaisanterie : je sais que vous êtes partisan du revenu universel, que vous avez voté ici même.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. J’allais y venir ! Vous m’enlevez les mots de la bouche !
M. Jean Desessard. À titre personnel, vous proposez donc une solution au temps court et au temps partiel, celle d’assurer un revenu minimum pour tous, ce qui permettrait de garantir une certaine stabilité et de combiner la précarité avec un revenu assuré. Reste que ce n’est pas la position du Gouvernement aujourd’hui !
Par conséquent, ni les parlementaires du groupe La République en marche ni vous-même au nom du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, n’avez répondu à la question de la contrepartie à proposer face à l’accroissement de la précarité.
J’entends bien que, pour l’entreprise, le recours à de tels contrats permet de ne pas se mouiller, mais comment enchaîner les CDD et les contrats courts à l’échelle d’une vie ? D’ailleurs, les contrats courts ont augmenté et les contrats sont de plus en plus courts. Le temps d’embauche se réduit. L’employeur fait son marché et peut embaucher quelqu’un pour quinze jours.
Comment s’organiser sans avoir une vision à long terme ? Pour les citoyens, ce n’est pas une solution.
Les contrats courts peuvent présenter un intérêt pour les entreprises, mais ils ne sont pas une solution pour les salariés. Sinon en défendant à titre personnel le revenu de base universel, monsieur le secrétaire d'État, vous n’avez pas apporté de réponse à cette question au nom du Gouvernement, et les parlementaires d’En Marche non plus.
Il n’est toujours question que de flexibilité, et non pas de la sécurité de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je soutiens cet amendement, dont la dimension est bien plus vaste que celle que nous sommes en train de lui prêter. Sa portée va bien au-delà des besoins ponctuels des secteurs du tourisme ou de la restauration. Le secteur industriel et l’artisanat sont également concernés.
J’évoquerai un exemple que mes collègues de Franche-Comté connaissent très bien, celui du Mont d’Or. Réglementairement, cette spécialité fromagère ne peut être fabriquée que du mois de septembre au mois de mars. De fabrication souvent artisanale, elle nécessite une forte main-d’œuvre, dont j’ajoute qu’elle est souvent composée par des femmes et des hommes très heureux de le retrouver annuellement leur emploi.
Je pourrai également citer l’exemple des travaux publics évoqué par mon collègue ou de nombreux autres exemples industriels.
Je voterai l’amendement de Mme Primas si elle le maintient, car il représente un nombre significatif d’emplois dans nos territoires, pour les jeunes, mais aussi pour les moins jeunes.
Les contrats que nous évoquons constituent souvent une réponse sociétale satisfaisante pour les familles, en particulier dans le tourisme. Je pense ainsi au secteur des remontées mécaniques, où les emplois sont par nature saisonniers.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Mon explication de vote portera sur les amendements de suppression nos 125 et 159, et non pas sur l’amendement n° 153 rectifié, qui est différent.
À ceux qui prônent la suppression de l’alinéa 20, je rappellerai que, comme l’a déjà indiqué M. le secrétaire d’État dont je reprends une partie de l’argumentation, ce travail sera confié aux branches. Les branches, qui sont organisées par secteurs d’activité, sont capables de prendre en compte la diversité de notre tissu économique.
En général, pour répondre aux commandes, l’industrie – je pense à la mécanique, à la construction navale, au bâtiment bien sûr, secteur pour lequel les contrats de chantier ont été créés – a recours à la fois à de l’intérim et à une main-d’œuvre qualifiée, pour des durées variant entre deux et trois ans, voire cinq ans lorsque les commandes sont importantes. Mme la ministre du travail a cité l’exemple de STX. Sans cette souplesse, cette entreprise n’aurait pas décroché certaines commandes. Or je crois qu’à Saint-Nazaire on est plutôt content d’avoir des carnets de commandes pleins pour quelques années…
À l’inverse, les entreprises du secteur de la chimie, par exemple, ne sont pas très intéressées par les emplois temporaires ; elles préfèrent une main-d’œuvre au long cours.
Les branches sont capables d’apprécier ces situations. Le fait qu’elles soient capables de faire des propositions est tout de même un progrès. Cela donne une visibilité globale aux entreprises tout en leur apportant une certaine sécurité.
Mes chers collègues, vous avez beaucoup insisté l'an dernier pour que l’on privilégie les accords de branche plutôt que les accords d’entreprise. Que les branches s’intéressent à ce sujet est quand même un fait nouveau par rapport au début de la discussion, puisque c’est arrivé hier !
Enfin, je rappelle à M. Desessard, qui m’a interpellée, comme il a interpellé Gouvernement, ce que j’ai dit lors de la discussion générale : le véritable élément de sécurité professionnelle, c’est le volet, que je souhaite voir figurer en haut de l’agenda du Gouvernement, de la formation professionnelle et de l’élévation des compétences des travailleurs en France. C’est un véritable sujet de compétitivité.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Daniel Gremillet a évoqué l’exemple du Mont d’Or, excellent fromage, que je vous conseille, comme le comté d’ailleurs.
M. Antoine Lefèvre. Et le maroilles !
M. Martial Bourquin. Face à la précarité dans des secteurs tels que celui-ci, l’avancée la plus importante a été l’annualisation du temps de travail. Plusieurs entreprises du Haut-Doubs qui fabriquent ce fromage, mais aussi de la charcuterie, ont mis en place des horaires différents en hiver, où la demande est forte, et en été. C’est une première réponse, mais, ne nous voilons pas la face, l’appel à l’intérim reste massif.
Mme Isabelle Debré. De moins en moins !
M. Martial Bourquin. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas toujours demander aux mêmes de faire des efforts et de subir la précarité. C’est terrible pour certains ! Je rencontre des personnes âgées de quarante ou quarante-cinq ans qui ont encore besoin, pour obtenir un prêt ou louer un appartement, de la caution de leurs parents. C’est ça la vie dans la précarité ! J’attire votre attention sur le fait que les dispositions qui nous sont proposées seront elles aussi sources de drames humains.
L’explosion de la précarité pose également de réels problèmes aux entreprises, à tel point que certaines d’entre elles commencent à se dire qu’elles sont allées trop loin. Cela fait un an que l’on dit aux dirigeants de PSA que, compte tenu du niveau de leur production et de leurs bénéfices, il faut qu’ils embauchent leurs salariés en CDI ; ils commencent à y réfléchir…
J’ajoute que 35 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires au cours du premier semestre de cette année. La France, il faut le savoir, est championne d’Europe des versements aux actionnaires ! Ce que je vais dire n’est pas une attaque personnelle, mais, quand on gagne 1,3 million d’euros en une journée à la suite de la suppression de 900 emplois,…
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. Des noms ! Des noms !
M. Martial Bourquin. … il est difficile de demander aux salariés d’en faire toujours plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande de prendre en compte l’amendement de Mme Primas. Vous avez la possibilité d’étendre le champ des ordonnances ; nous, nous ne l’avons pas. Nous avons donc besoin de votre bénédiction, monsieur… Lemoyne. (Sourires.) Toutes mes excuses pour mon impertinence !