compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaire :
M. Jackie Pierre.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Renforcement du dialogue social
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (projet n° 637, texte de la commission n° 664, rapport n° 663, avis n° 642).
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 3.
Article 3 (suite)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :
1° De renforcer la prévisibilité et ainsi de sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et pour les salariés de droit privé, en :
a) Chargeant l’autorité administrative compétente de faciliter l’accès par voie numérique de toute personne au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles qui lui sont applicables et en définissant les conditions dans lesquelles les personnes peuvent se prévaloir des informations obtenues dans ce cadre ;
b) Modifiant les dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement, d’une part, en fixant un référentiel obligatoire, établi notamment en fonction de l’ancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par des actes de harcèlement ou de discrimination et, d’autre part, en modifiant en conséquence, le cas échéant, les dispositions relatives au référentiel indicatif mentionné à l’article L. 1235-1 du code du travail ainsi que les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par le même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail ;
c) Adaptant les règles de procédure et de motivation applicables aux décisions de licenciement ainsi que les conséquences à tirer du manquement éventuel à celles-ci, en amont ou lors du recours contentieux, en permettant notamment à l’employeur de rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation si elles sont sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement ;
d) Réduisant les délais de recours en cas de rupture du contrat de travail, notamment en diminuant au moins de moitié le délai de contestation portant sur la régularité ou la validité d’un licenciement pour motif économique ;
e) Clarifiant les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle et en sécurisant les modalités de contestation de l’avis d’inaptitude ;
e bis) (Supprimé)
f) Favorisant et sécurisant les dispositifs de gestion des emplois et des parcours professionnels ;
g) Favorisant et sécurisant les plans de départs volontaires, en particulier en matière d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que d’accompagnement du salarié ;
2° De modifier les dispositions relatives au licenciement pour motif économique en :
a) Définissant les éventuels aménagements à la règle selon laquelle les difficultés économiques et la sauvegarde de la compétitivité d’une entreprise appartenant à un groupe sont appréciées au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées en France et relevant du même secteur d’activité ;
b) Prenant toute disposition de nature à prévenir ou tirer les conséquences de la création artificielle ou comptable de difficultés économiques à l’intérieur d’un groupe à la seule fin de procéder à des suppressions d’emploi ;
c) Précisant les conditions dans lesquelles l’employeur satisfait à son obligation de reclassement ;
d) Définissant les conditions dans lesquelles sont appliqués les critères d’ordre des licenciements dans le cadre des catégories professionnelles en cas de licenciement collectif pour motif économique ;
e) Adaptant les modalités de licenciements collectifs à la taille de l’entreprise et au nombre de ces licenciements ;
f) Facilitant les reprises d’entités économiques autonomes ;
3° De modifier les règles de recours à certaines formes particulières de travail en :
a) Favorisant le recours au télétravail et au travail à distance en vue d’assurer une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale ;
b) Prévoyant la faculté d’adapter par convention ou accord collectif de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié ;
c) Favorisant et sécurisant, par accord de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, le recours aux contrats à durée indéterminée conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération ;
d) Sécurisant le recours au travail de nuit, lorsque celui-ci relève d’une organisation collective du travail, en permettant une adaptation limitée de la période de travail de nuit de nature à garantir un travail effectif jusqu’au commencement et dès la fin de cette période, ainsi qu’en renforçant le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit ;
e) Favorisant et sécurisant, par une adaptation des dispositions en droit du travail et en droit fiscal, le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif entre un groupe ou une entreprise et une jeune entreprise ;
4° D’encourager le recours à la conciliation devant la juridiction prud’homale, en modifiant les règles de procédure applicables durant la phase de conciliation, et de modifier le régime fiscal et social des sommes dues par l’employeur et versées au salarié à l’occasion de la rupture de contrat de travail, afin d’inciter à la résolution plus rapide des litiges par la conclusion de ruptures conventionnelles, de transactions, d’accords devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de toute autre modalité de règlement, notamment devant l’autorité mentionnée à l’article L. 5542-48 du code des transports ;
5° De prolonger jusqu’au 31 mars 2018 le mandat des conseillers prud’hommes sortants pour leur permettre de rendre les décisions relatives aux affaires débattues devant eux et pour lesquelles ils ont délibéré antérieurement durant leur mandat, à l’exclusion de toutes autres attributions liées au mandat d’un conseiller en exercice ;
6° De supprimer l’interdiction de cumuler le mandat de conseiller prud’homme avec, d’une part, celui d’assesseur du tribunal des affaires de sécurité sociale et, d’autre part, celui d’assesseur du tribunal du contentieux de l’incapacité.
M. le président. Nous en sommes parvenus, au sein de l’article 3, à cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 77 rectifié est présenté par M. Antiste et Mme Jourda.
L'amendement n° 121 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 77 rectifié.
M. Maurice Antiste. L’alinéa 7 de l’article 3 tend à réduire les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude et à diminuer les protections légales dont bénéficient les salariés, y compris en ce qui concerne la contestation de l’avis d’inaptitude. C’est pourquoi je propose de le supprimer.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l’amendement n° 121.
M. Dominique Watrin. Une nouvelle fois, le Gouvernement cède au fantasme selon lequel faciliter les licenciements crée de l’emploi. En proposant d’alléger les obligations de l’employeur en matière de reclassement des salariés rendus inaptes à leur poste, il s’apprête malheureusement à mettre en place une véritable trappe à chômage.
On peut d’ailleurs s’interroger sur les objectifs qu’il vise, mais je me doute bien que le fait que le premier motif d’annulation des plans sociaux par la justice soit l’absence de plan de reclassement joue un rôle déterminant. En effet, si le Gouvernement cherche à revenir sur cette obligation de reclassement dans le cadre des plans sociaux, il ne pourra le faire que si les obligations de reclassement sont remises à plat totalement, y compris pour les cas d’inaptitude.
La mesure proposée nous semble incorrecte, tant le nombre d’accidents et de maladies du travail incapacitants est important, et ce malgré un taux de non-déclaration élevé.
Concrètement, cette disposition ne pourra qu’accentuer l’omerta sur les accidents du travail et les incapacités faisant prendre des risques non seulement aux salariés concernés, mais aussi à leurs collègues.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer cet alinéa.
M. le président. L'amendement n° 42 rectifié, présenté par Mme D. Gillot, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
e) En prévoyant la faculté par accord de branche d’adopter une liste d’aptitudes reconnues suffisantes en cas de reclassement pour inaptitude au sein de la branche, en clarifiant les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude et en sécurisant les modalités de contestation de l’avis d’inaptitude ;
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la déclaration d’inaptitude professionnelle sont actuellement une double peine pour le salarié : d’une part, celui-ci subit les conséquences de son inaptitude dans sa vie quotidienne, en dehors du travail ; d’autre part, dans la très grande majorité des cas, l’avis d’inaptitude est suivi, à plus ou moins brève échéance, par un licenciement.
Dans son rapport du mois de novembre 2014 relatif aux liens entre handicap et pauvreté, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, particulièrement François Chérèque, dont je tiens en cet instant à saluer la mémoire et l’engagement, dresse un constat plus qu’alarmant sur les conséquences de l’inaptitude professionnelle.
Ce rapport fait écho aux résultats d’enquêtes régionales et à des données nationales sur le sujet : ainsi, dans une région, 97,5 % des salariés déclarés inaptes ont été licenciés ; 94 % dans une autre. Dans ce deuxième cas, un an après leur licenciement, 27 % sont inactifs et 43 % sont toujours au chômage ; seules 18 % des personnes occupent un emploi. Par ailleurs, seule une petite moitié des personnes licenciées est inscrite à Pôle emploi.
Comme on peut s’y attendre, dans les avis d’inaptitude rendus, les études relèvent également une surreprésentation des salariés peu ou pas qualifiés – 80 % sont titulaires d’un diplôme infrabac –, ainsi que des plus âgés. Or il s’agit de deux populations qui parviennent plus difficilement à reconstruire un parcours de formation dans un autre secteur d’activité.
Il est impératif que nous sortions de ce paradigme de l’inaptitude, selon lequel les personnes sont jugées et stigmatisées pour ce qu’elles ne sont plus en mesure de faire, alors que nous devrions valoriser ce qu’elles sont aptes à réaliser, avec leurs capacités restantes, à développer ou acquérir.
Avec cet amendement, nous proposons une nouvelle rédaction de l’alinéa 7 qui va dans cette direction, puisque nous souhaitons autoriser chaque branche professionnelle à définir en son sein les aptitudes recherchées suffisantes pour occuper un poste, et ainsi valoriser les aptitudes de travailleurs handicapés, ce qui devrait leur permettre de conserver ou de retrouver par conversion un emploi dans leur secteur d’activité. Cette disposition a également pour objet de clarifier les obligations de reclassement de l’employeur, et de contribuer à la sécurisation du parcours des salariés.
La situation actuelle est inacceptable, et il est urgent d’agir pour améliorer le système d’aptitude-inaptitude professionnelle, actuellement responsable d’un immense gâchis humain. Votons cet amendement, et je suis convaincue que le Gouvernement et les partenaires sociaux prendront leurs responsabilités pour que les dispositions en résultant soient utiles à l’ensemble de notre société.
M. le président. L'amendement n° 211 rectifié ter, présenté par Mme Gruny, MM. Perrin et Raison, Mme Mélot, M. Mouiller, Mmes Morhet-Richaud et Canayer et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après le mot :
clarifiant
insérer les mots :
et simplifiant
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Les procédures en matière d’inaptitude à l’emploi sont lourdes et compliquées. Il convient donc de les simplifier.
M. le président. L'amendement n° 223, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
de l’avis d’inaptitude
par les mots :
des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. En premier lieu, je vous prie d’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, l’absence de Mme la ministre du travail, Muriel Pénicaud, qui est retenue toute la matinée par des concertations qui se poursuivent avec le Premier ministre et les partenaires sociaux. Vous le savez, nous avons souhaité placer cette réforme sous le signe du dialogue et de la concertation, ce qui m’amène aujourd’hui à suppléer Mme la ministre.
Par cet amendement, le Gouvernement souhaite élargir le spectre des documents pris en compte aux propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail.
Cet amendement me semble positif et important.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. Les amendements identiques nos 77 rectifié et 121 visent à supprimer l’habilitation sur les règles d’inaptitude telles qu’elles ont été modifiées par la commission. L’avis est donc défavorable.
L’amendement n° 42 rectifié pose trois difficultés. Sur la forme, il pourrait être perçu comme un élargissement du champ matériel de l’habilitation, ce qui serait contraire à l’article 38 de la Constitution. Sur le fond, je ne suis pas certain que le niveau de la branche soit adapté pour définir une liste de postes de reclassement pour les salariés inaptes. L’échelon de l’entreprise me semble plus pertinent. Enfin, la nouvelle rédaction proposée écrase la distinction introduite en commission entre inaptitudes d’origines professionnelle et non professionnelle.
Pour toutes ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi elle y sera défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 211 rectifié ter, comme je l’avais déjà indiqué à ses auteurs la semaine dernière, je ne vois pas ce que la notion de simplification ajoute à celle de clarification. La commission ne souhaite pas alourdir le texte, et pense qu’il reviendra aux parlementaires de vérifier si le Gouvernement a rempli ses objectifs de simplification lors de la ratification des ordonnances. Elle demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle y sera défavorable.
Enfin, l’amendement n° 223, présenté par le Gouvernement, a pour objet de sécuriser les modalités de contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, et non plus seulement des avis d’inaptitude. La réforme de la médecine du travail prévue dans la loi Travail a en effet précisé la portée de ces différentes notions, notamment aux articles L. 1226-2 et suivants du code du travail qui traitent de l’inaptitude consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel. La commission est favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Le Gouvernement a les mêmes avis que la commission, mais je vais quand même les développer.
Le Gouvernement est défavorable aux deux amendements de suppression de l’alinéa 7. Monsieur Antiste, monsieur Watrin, avec cette habilitation, il souhaite examiner toutes les pistes possibles pour permettre au juge prud’homal de prendre sa décision dans des délais plus réduits et des conditions plus optimales. On a remarqué qu’un certain nombre de conseils des prud’hommes avaient du mal à se prononcer sur les avis médicaux. Il y a là un enjeu important pour les salariés comme pour les employeurs. C’est pourquoi le Gouvernement ne peut souscrire à la suppression pure et simple de l’alinéa en cause.
Madame Gillot, je comprends la philosophie de votre amendement n° 42 rectifié et j’y souscris. Néanmoins, demander à l’accord de branche de définir une liste des aptitudes nécessaire empêcherait une réelle appréciation personnalisée et sur mesure. Or nous le savons, en l’espèce, il faut tenir compte des situations particulières. Le Gouvernement ne souhaite pas que cette liste d’aptitudes se transforme en liste de compétences minimales. Il ne faudrait pas que le mieux soit l’ennemi du bien. À ce stade, il vaut mieux en rester à la rédaction proposée par le Gouvernement et légèrement modifiée par la commission. L’avis est donc défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 211 rectifié ter présenté par Mme Morhet-Richaud, il me paraît aussi que la notion de simplification est incluse dans celle de clarification, donc la rédaction actuelle permet de satisfaire votre préoccupation, madame la sénatrice. Même si je partage la philosophie de cet amendement, j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 77 rectifié et 121.
M. Martial Bourquin. L’objectif visé par ces amendements de suppression est de garder des protections légales, lesquelles risquent d’être mises en cause avec les ordonnances. Cette question fondamentale a été abordée aussi bien par Mme Gillot que par M. Antiste. On s’aperçoit qu’il y a peu de reclassements et que les entreprises préfèrent régler les problèmes par un départ des salariés déclarés inaptes. Ces personnes connaissent par la suite de graves difficultés pour retrouver un emploi, ce qui a pour effet de créer des trappes à pauvreté.
Aussi vouloir garder des protections légales est vraiment une bonne solution. Je vais vous donner un exemple, mes chers collègues. Vous avez vu que la presse économique titre aujourd’hui sur le résultat exceptionnel de PSA : plus 10,7 % de bénéfices ; en bourse, cela se traduit par des gains de 3,18 % à 18,66 %. M. Tavares nous dit fort justement qu’il faut se féliciter de ces bons chiffres, qui vont permettre de couvrir les investissements uniquement par la trésorerie, mais il faut aussi se souvenir que ce résultat a été obtenu par des sacrifices extraordinaires du personnel.
Il doit donc y avoir des embauches et ce que l’on appelle du salaire indirect, mais il faut aussi que, en cas de maladies professionnelles et d’incapacités, l’entreprise remplisse ses obligations. Si vous diminuez ces dernières, cela se traduira toujours par des licenciements de personnes qui ne pourront pas retrouver un travail et tomberont dans des trappes à pauvreté.
Mes chers collègues, faisons attention à ce que nous faisons. À mon sens, ces ordonnances sont très malvenues, car elles vont porter sur des questions essentielles. Il en résultera une augmentation de la pauvreté dans les villes où nous sommes élus, avec des personnes victimes de maladies professionnelles se retrouvant au RSA quelques années après.
C’est pourquoi je pense qu’il faut soutenir les deux amendements de suppression.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 77 rectifié et 121.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote sur l’amendement n° 42 rectifié.
Mme Dominique Gillot. Il est difficile d’imaginer que la liste des aptitudes décidée au niveau de la branche puisse se réduire ensuite à une liste de compétences minimales, ce qui créerait des obstacles au reclassement.
Néanmoins, il me semble important de considérer la personne handicapée en fonction de ses capacités et de ses aptitudes plutôt qu’en fonction de ses inaptitudes.
L’amendement du Gouvernement est dans cet esprit, mais je pense que confier cette responsabilité aux médecins du travail est un peu imprudent, compte tenu, non seulement, de la situation de la médecine du travail aujourd’hui, sujet dont nous avons abondamment discuté, mais également de l’inexpérience des médecins du travail sur les aptitudes nécessaires à un reclassement. Souvent, l’avis médical se conclut par une inaptitude au travail, qui se traduit par un rejet des capacités restantes, ou à développer, ou à acquérir.
Il est important d’avoir cette préoccupation. Il faut que la parole soit donnée au travailleur, au salarié, pour que, quand il est jugé inapte à un poste, il puisse prétendre à un autre poste dans la même branche, dans la même entreprise, en fonction des aptitudes restantes et en fonction des aptitudes qu’il peut développer par une formation adaptée ou par une adaptation de son poste de travail. Cela n’est pas forcément coûteux ou insupportable pour le chef d’entreprise.
C’est vraiment un changement de paradigme que j’appelle de mes vœux, pour nous éviter d’avoir 500 000 chômeurs en situation de handicap, et 150 000 supplémentaires chaque année, sans perspective de retrouver un emploi, frappés qu’ils sont par le classement « inaptitude au travail » ou « travailleur handicapé ». Il me semble que le dialogue social est le mieux à même de prendre cet aspect en considération. Peut-être faut-il privilégier le niveau de l’entreprise sur celui de la branche, mais il faut un guide. À mon sens, il n’est pas raisonnable de s’en remettre uniquement à l’avis du médecin du travail, qui, souvent, n’est pas qualifié pour proposer des reclassements.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Je reconnais beaucoup de cohérence à Dominique Gillot dans sa volonté, que nous avons prise en compte hier soir, de rendre effectif le droit des travailleurs handicapés à accéder à l’emploi. Ils doivent être pris en considération comme des citoyens souhaitant travailler avant d’être considérés comme des handicapés.
Nous avons quand même voté à l’article 1er des dispositions fondamentales qui portent sur l’articulation entre la branche et l’entreprise. Ce faisant, nous avons élargi le champ de la branche. En l’occurrence, il s’agit de postes de travail, donc c’est typiquement du niveau de l’entreprise. Il faut prendre en compte le secteur d’activité qui me paraît le critère le plus essentiel.
S’agissant des branches, nous avons adopté un amendement du Gouvernement, avec l’accord de la commission, qui réduit le délai dans lequel les branches doivent se structurer. Je rappelle qu’elles sont 650 aujourd’hui, or nombre d’entre elles ne correspondent plus à des métiers, et encore moins à des métiers de demain. Il faut prendre en considération cette situation.
Enfin, madame Gillot, vous avez évoqué la médecine du travail, que nous savons en carence. Hier soir, Mme la ministre a confirmé qu’elle avait demandé un rapport à l’IGAS, document qu’elle doit recevoir, je crois, à la fin du mois de septembre. À partir de là, il importe que la médecine du travail soit réformée, notamment que son attractivité soit améliorée. Cela fait partie des préoccupations du Gouvernement, mais aussi des nôtres. Il n’est qu’à se rappeler les débats que nous avons eus sur la loi dite « El Khomri ».
J’ai essayé de convaincre ma collègue en répondant à son argumentation, plutôt que de faire la sourde oreille, comme c’est le cas lors de l’examen de certains amendements…
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Cet amendement est très intéressant, et nous allons le voter.
Au-delà des explications qui viennent d’être données, en particulier sur l’intervention du médecin du travail pour apprécier l’aptitude, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il importe de rechercher l’adéquation entre le poste proposé et l’appétence du salarié à l’occuper. C’est vraiment l’objet du colloque singulier et fondamental entre le médecin du travail et le salarié concerné. Il faut donc insister sur le sujet très important de la médecine du travail et de ses carences, dont nous sommes tous collectivement coupables.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. C’est un sujet intéressant, monsieur le secrétaire d’État. Il faut bien différencier les causes et les conséquences de l’inaptitude. Certaines causes sont liées au travail, tandis que d’autres sont liées à la vie domestique. C’est le cas, par exemple, d’un accident sportif, qui peut entraîner une inaptitude au travail. À mon sens, il ne doit pas incomber systématiquement à l’entreprise de prendre en compte toutes les conséquences de l’accident ou de la maladie. Il faut bien distinguer selon l’origine de la pathologie.
D’autre part, la question du reclassement est différente selon que l’on appartient à une petite ou à une grande entreprise. Dans ce dernier cas, il y a quand même un éventail assez large, alors que, dans le premier cas, le reclassement est un peu plus contraint.
La réflexion entre branches et entreprises a également ses limites. Quand on est qualifié dans une branche, il n’y a pas forcément des entreprises de cette branche dans le même bassin d’emploi. L’ordonnance doit permettre de mener une réflexion par bassin d’emploi pour bien prendre en compte le besoin d’intégration locale de la personne. Il serait intéressant de voir comment il est possible de travailler, à l’échelle de Pôle Emploi ou autre, à un reclassement dans le bassin d’emploi, avec des actions de formation, pour tenir compte du lieu de vie de la personne à reclasser.
Enfin, j’aborderai la télémédecine du travail, qui est une avancée significative de la loi Travail, même si les résultats ne seront visibles que dans quelques années. Elle permet localement d’avoir une vision des types d’emploi sur un bassin et de mieux reclasser les personnes en difficulté.
J’invite donc le Gouvernement à véritablement travailler toutes ces pistes dans le cadre des ordonnances. Cela apportera un progrès dans la prise en compte des gens qui connaissent ces problèmes d’inaptitude.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Pour répondre à Mmes Bricq et Gillot, ainsi qu’à M. Savary, sur ce sujet du handicap, je veux rassurer sur l’intention qu’a le Gouvernement de prendre en compte cette dimension.
D’ailleurs, le troisième plan Santé au travail, présenté il y a peu, comprend justement un volet qui apporte des réponses pour lutter contre la désinsertion professionnelle, notamment des personnes handicapées. Ce plan a recueilli l’assentiment de l’ensemble des partenaires sociaux. Soyez vraiment assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la détermination du Gouvernement à être concrètement aux côtés de ces personnes.
Cependant, compte tenu des cadres qu’il souhaite assigner à la loi et aux ordonnances, le Gouvernement préfère en rester à la rédaction de la commission. Je vous demande donc d’être compréhensifs devant l’avis défavorable que j’ai exprimé en son nom.
Je remercie par ailleurs Mme Bricq de ses précisions et M. Savary des perspectives qu’il trace sur des sujets, certes un peu distincts, mais qui sont vraiment très importants en ce qu’ils prennent en compte la notion de territoire.