Sommaire
Présidence de Mme Isabelle Debré
Secrétaires :
Mme Corinne Bouchoux, M. Jean-Paul Émorine.
2. Remplacement de sénateurs nommés au Gouvernement
3. Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
4. Renforcement du dialogue social – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur pour avis
Clôture de la discussion générale.
Demande de priorité de l’article 9 et des amendements portant articles additionnels après l’article 9. – M. Alain Milon, rapporteur ; Mme Muriel Pénicaud, ministre. – La réserve est ordonnée.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Isabelle Debré
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Corinne Bouchoux, M. Jean-Paul Émorine.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 20 juillet 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Remplacement de sénateurs nommés au Gouvernement
Mme la présidente. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, M. le président du Sénat a pris acte de la cessation, le vendredi 21 juillet, à minuit, du mandat sénatorial de Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, et de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, par décret du 21 juin 2017 relatif à la composition du Gouvernement.
Conformément à l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, a fait connaître qu’en application de l’article LO 319 du code électoral Mme Noëlle Rauscent a remplacé, en qualité de sénatrice de l’Yonne, M. Jean Baptiste Lemoyne.
Le mandat de notre collègue a débuté le 22 juillet 2017 à zéro heure.
Au nom du Sénat, je lui souhaite la bienvenue parmi nous. (Applaudissements.)
Par ailleurs, M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, a fait connaître que, le suppléant de Mme Jacqueline Gourault étant décédé, le siège de sénateur de Loir-et-Cher restera vacant jusqu’au prochain renouvellement de septembre.
3
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 21 juillet 2017, trois décisions relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur : la validation de la compensation du transfert de la TASCOM aux communes et aux EPCI à fiscalité propre (n° 2017-644 QPC) ; le huis clos de droit à la demande de la victime partie civile pour le jugement de certains crimes (n° 2017-645 QPC) ; le droit de communication aux enquêteurs de l’AMF des données de connexion (n° 2017-646/647 QPC).
Acte est donné de ces communications.
4
Renforcement du dialogue social
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (projet n° 637, texte de la commission n° 664, rapport n° 663, avis n° 642).
La parole à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons appris, voilà quelques jours, que l’enveloppe de l’aide personnalisée au logement allait subir une baisse de l’ordre d’un peu plus de 30 millions d’euros par mois. Cette diminution ne sera pas sans conséquence pour un certain nombre de ménages.
Nous sentons bien poindre une vive inquiétude sur nos territoires, inquiétude qui tient non seulement à la baisse en elle-même – c’est la première fois qu’il s’en produit une –, mais également aux conditions dans lesquelles cette décision a été prise.
Mme Nicole Bricq. Ça leur va bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous ne savons pas si c’est le gouvernement précédent qui l’a décidée, comme l’affirment certains représentants du gouvernement actuel, ou si c’est le contraire.
Toujours est-il qu’il me semble important que le Sénat puisse recevoir les explications nécessaires. Or il n’y a pas de séance de questions d’actualité cette semaine et la séance des questions orales qui aura lieu demain portera sur des questions ayant précédé l’annonce de cette mesure.
Alors que nous allons discuter du renforcement du dialogue social cette semaine, je n’imagine pas qu’aucun espace ne soit laissé à une discussion sur le logement, car il est nécessaire que l’on nous explique ce qu’il en est.
Je ne voudrais pas que vous vous sentiez directement interpellée, madame la ministre du travail, mais c’est vous qui siégez au banc du Gouvernement. C’est donc à vous que je m’adresse : je souhaite que celui-ci puisse, d’une façon ou d’une autre, nous apporter des explications cette semaine, afin que nos concitoyens soient informés.
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre du travail.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la présidente, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, « régler le présent d’après l’avenir déduit du passé », telle est l’équation, formulée par Auguste Comte, que nous devrons résoudre collectivement pour rénover durablement notre modèle social.
« Régler le présent », c’est trouver des solutions opérationnelles pour lutter efficacement contre le chômage de masse, qui frappe durement et frappe en premier lieu nos jeunes, nos seniors et nos travailleurs peu qualifiés, en particulier dans certains territoires.
C’est aussi prévenir la précarisation et le mal-être au travail d’un nombre croissant d’actifs, en donnant plus de sens au travail lui-même. Pour ce faire, il convient de considérer l’entreprise comme une communauté humaine au service d’un objectif de croissance.
C’est enfin permettre à nos entrepreneurs d’innover, de créer de l’emploi et de défendre avec audace et confiance l’excellence de la créativité et du savoir-faire français partout dans le monde, pour que notre croissance soit durable, inclusive et surtout riche en emplois.
Régler le présent « d’après l’avenir », c’est faire en sorte que les solutions soient pérennes et robustes face aux mutations de grande ampleur que nous pressentons déjà, qu’il s’agisse des révolutions technologiques, du défi écologique ou de l’accélération de l’internationalisation des échanges.
Il s’agit de les anticiper pour en saisir les formidables opportunités et répondre aux nouvelles aspirations des entreprises et des salariés, mais il faut aussi en devancer les risques réels pour mieux protéger les entrepreneurs et les actifs.
« Déduit du passé », cela veut d’abord dire qu’il est indispensable de tirer les leçons de nos échecs collectifs de ces trente dernières années : échecs à changer le regard sur l’entreprise, à instaurer un climat de confiance dans le dialogue social, en somme à lever les obstacles à l’embauche et à libérer les énergies.
Par « déduit du passé », j’entends aussi la fidélité aux valeurs fondamentales qui sous-tendent notre modèle social, à savoir celles de la République : l’égalité et la liberté, socles de la fraternité. Par conséquent, faire table rase du passé ou transposer un modèle étranger tel quel constituerait une erreur majeure.
Rénover, c’est concilier ces trois temporalités : le présent, l’avenir et le passé. C’est donc adapter pour poursuivre, pour faire vivre en le rénovant un héritage auquel nous sommes attachés.
Rénover le modèle social français, c’est faire en sorte qu’il produise davantage d’égalité et davantage de liberté dans le monde à venir.
Cette ambition, empreinte de pragmatisme, a présidé à l’élaboration du premier texte de loi que j’ai l’honneur de porter, au nom du Gouvernement, devant la chambre haute cet après-midi.
Ce texte constitue la première pierre d’un projet plus vaste de rénovation de notre modèle social, annoncé par le Président de la République pendant la campagne présidentielle, engagé par le Gouvernement et très attendu par nos concitoyens, comme en atteste l’issue des dernières échéances électorales.
Le projet de loi d’habilitation pour le renforcement du dialogue social et les ordonnances qui en découleront n’ont pas la prétention de résoudre à eux seuls l’ensemble des défis que je viens de citer. Ils donneront leur pleine puissance en résonance avec les prochains chantiers que le Gouvernement engagera ces dix-huit prochains mois : réforme de l’assurance chômage et de la formation professionnelle, mais aussi réforme de l’apprentissage, que je défendrai conjointement avec le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et réforme des retraites, que portera la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn.
Ils s’articulent aussi avec l’action du Gouvernement en faveur de la diminution du coût du travail, de la baisse de la fiscalité et du soutien au pouvoir d’achat.
Pourquoi, me demanderez-vous, commencer par cette réforme plutôt que par les autres et pourquoi recourir aux ordonnances ?
L’habilitation que nous vous demandons aujourd’hui pour cimenter cette première pierre est essentielle à l’équilibre global de la rénovation de notre édifice commun : le modèle social français.
Sur la méthode, tout d’abord, je souligne que ce véhicule législatif n’est en aucun cas un blanc-seing, puisque c’est un mandat sur un champ et avec des objectifs précis, et qu’il satisfait à un double impératif : répondre à l’urgence avec efficacité.
Il y a urgence à améliorer notre situation économique et sociale, que vous connaissez particulièrement bien sur vos territoires. Par conséquent, il y a urgence à sortir rapidement du statu quo grâce à l’applicabilité immédiate des mesures contenues dans les ordonnances.
S’agissant de l’efficacité, cette méthode nous offre l’opportunité d’expérimenter une démarche inédite de coconstruction simultanée, qui articule en permanence démocratie politique, d’où l’importance de nos débats cette semaine, et démocratie sociale avec les huit organisations représentatives des salariés et des employeurs. L’une ne peut aller sans l’autre si nous voulons aboutir à des solutions calibrées, opérationnelles, comprises par nos concitoyens, acceptées et dont la mise en œuvre sera ainsi facilitée. J’en ai été encore plus convaincue par nos échanges en commission mardi dernier et par la première lecture à l’Assemblée nationale, ainsi que par les trois cycles de concertation approfondie avec les partenaires sociaux que nous venons d’achever.
Nous faisons le diagnostic que notre droit du travail souffre de deux handicaps.
D’abord, il est devenu peu à peu inadapté à l’économie de notre temps, non pas dans ses principes, mais dans ses détails les plus précis. Il a été conçu implicitement, et c’est compréhensible, sur le modèle de l’emploi à vie dans la grande entreprise industrielle et il a été pensé pendant des décennies pour ce type d’entreprise, mais, aujourd’hui, le développement économique et la création d’emplois relèvent davantage des TPE, des PME, et des jeunes entreprises innovantes. Rappelons-le, 55 % des 18 millions de salariés du secteur privé travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés. Tout texte législatif doit prendre en compte cette réalité.
Ensuite, le droit du travail est parfois inadapté à la réalité de ce que vivent et de ce qu’attendent les entreprises, mais aussi les salariés. Il néglige trop souvent la capacité d’un employeur et de ses salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau, au bénéfice de leurs intérêts respectifs, voire de l’intérêt général.
Permettez-moi de prendre un seul exemple parmi d’autres que nous aurons l’occasion d’aborder au cours de la discussion, celui du télétravail, qui me paraît particulièrement emblématique de la nécessité de réformer.
Les salariés sont très demandeurs de ce type d’organisation du travail afin de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie privée. Aujourd’hui, il concerne 18 % des salariés et 61 % y aspirent.
Le télétravail offre plus de souplesse, car il allège notamment le troisième temps, le temps de transport, toujours caché, mais très lourd au quotidien. Il favorise en outre le maintien de l’emploi dans les zones rurales. Ce besoin de souplesse est aussi partagé par les entreprises, en particulier celles qui utilisent des espaces de coworking, comme on dit en bon français… J’espère que l’on trouvera une traduction !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Espaces de travail en commun !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Merci, monsieur le rapporteur général ! J’utiliserai dorénavant cette expression dans mes propos. (Sourires.)
Le code du travail n’ayant évidemment pu prévoir les nouvelles formes d’organisation du travail liées au développement d’internet, il se trouve dans l’incapacité d’apporter, avec la réactivité et la sécurité nécessaires, des réponses pertinentes à ce bouleversement.
Aujourd’hui, la demande est si forte que ni les salariés ni les entreprises ne sont sécurisés juridiquement dans un contexte de développement hors champ du télétravail, sans autre précaution que la condition du volontariat.
Si le télétravail est un enjeu d’amélioration de la qualité de vie individuelle, il constitue également une formidable opportunité d’amélioration de notre qualité de vie collective et de maintien de l’activité sur nos territoires. Il permet de répondre à certains problèmes liés au handicap ou à l’éloignement géographique. Je pense en particulier aux actifs éloignés des bassins d’emploi les plus dynamiques qui pâtissent au quotidien soit des méfaits de la congestion urbaine en matière de transport, soit de l’isolement rural.
Cet exemple, et le projet de loi en visera beaucoup d’autres, me donne l’occasion d’insister sur notre volonté de trouver des solutions pragmatiques pour tirer le meilleur parti des mutations que nous traversons, pour allier libération des énergies et justice sociale, et, en l’occurrence, pour répondre aux besoins de liberté et de sécurité à la fois des entreprises et des salariés.
Alors, que proposons-nous ?
Nous faisons un pari basé sur l’expérience : celui de la confiance.
Confiance dans la démocratie sociale et dans l’intelligence collective et individuelle, car nous croyons en la capacité des organisations syndicales et patronales comme en la capacité des employeurs et des salariés à apporter les solutions les plus pertinentes, au plus près du terrain, pour faire converger performance économique et justice sociale. Qui d’autre mieux qu’eux peut trouver le meilleur compromis en s’adaptant aux réalités quotidiennes ?
Confiance dans l’avenir, car nous sommes déterminés à lever les incertitudes juridiques qui pèsent lourdement sur les relations de travail et brident l’embauche. Il n’y a pas de modèle social durable qui repose sur des règles inconstantes ou anxiogènes.
À cet égard, l’efficacité de la réforme passe par trois maîtres mots complémentaires et interdépendants, qui charpentent le projet de loi : subsidiarité, lisibilité, prévisibilité.
Subsidiarité, car il faut impérativement mieux connecter la prise de décision à ceux qui devront la respecter. Dit autrement, nous voulons que les entreprises et les salariés puissent décider davantage des règles qui leur sont applicables et qu’ils soient coauteurs de la norme sociale.
La majorité des règles, jusqu’au moindre détail, relève de la loi. D’apparence égalitaire, ce cadre normatif crée en réalité trop de rigidité, de formalisme et de complexité. Cela entame par essence la possibilité de les adapter à la vaste diversité des situations du monde économique et social.
De fait, des droits justes inscrits dans le code du travail ne sont plus accessibles ; à cause de dispositifs d’application parfois kafkaïens, ils n’ont plus qu’une valeur incantatoire.
L’exemple de la prise en considération de la pénibilité est à cet égard symptomatique. Le compte personnel de prévention de la pénibilité, dit compte pénibilité, est une mesure de justice sociale dont nous approuvons pleinement l’intention. Que des salariés qui ont vu leur santé dégradée par l’activité physique puissent partir deux ans plus tôt à la retraite à taux plein nous paraît juste, mais l’exécution, telle qu’elle a été pensée, a soulevé des difficultés incontournables, notamment pour les TPE et les PME, privant du coup les salariés d’un accès effectif à cette juste compensation.
Face à ce décalage entre l’intention et la réalité, le Gouvernement, soucieux non seulement de maintenir l’ensemble des droits des salariés, mais aussi de libérer les petites et moyennes entreprises d’une complexité qui ne leur permettait pas d’avancer, a pris ses responsabilités. Le Premier ministre a donc annoncé la mise en place effective du compte pénibilité.
Je tiens à réaffirmer pour lever toute ambiguïté que les dix facteurs de risques professionnels prévus précédemment par le législateur sont maintenus. Seules changent les modalités déclaratives, lesquelles étaient absolument irréalistes, pour les quatre derniers facteurs, à savoir la manutention manuelle les charges, des postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Pour ces quatre critères, le Gouvernement propose de libérer les entreprises de la partie inapplicable de l’obligation de déclaration en externalisant le contrôle de la situation des salariés par des examens médicaux. En outre, la prévention des risques chimiques doit faire l’objet d’une réflexion spécifique.
Grâce à cette réforme pragmatique, qui ne remet pas en cause un principe, nous permettrons à une génération de salariés qui souffrent d’ores et déjà d’une incapacité de partir à la retraite dès les prochaines années sans attendre qu’ils aient cumulé suffisamment de points pour bénéficier de droits réels.
Des droits accessibles plus rapidement et plus simplement, voilà qui caractérise l’esprit de justice sociale. Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de l’exemple que je viens d’exposer, c’est toute la philosophie de notre projet de loi et de notre action.
Un droit s’il est formel et inapplicable n’est pas un progrès. Pour être réel, le droit doit être exerçable, quelle que soit la situation ou la taille des entreprises. La complexité est trop souvent un obstacle à l’exercice de droits réels, pour les salariés comme pour les entreprises.
Tenir davantage compte de la diversité des situations ne se traduit nullement par un affaiblissement du droit, mais par un saut qualitatif. C’est tout l’enjeu du dialogue social décentralisé.
Cela suppose cependant un changement des mentalités pour comprendre que, sans rien renier des droits fondamentaux fixés par la loi, nous devons desserrer l’étau de la norme trop détaillée et permettre aux entreprises et aux salariés de négocier les règles qui leur correspondent dans un cadre fixé par la loi.
Les branches professionnelles elles-mêmes prévoient souvent de façon extrêmement précise de nombreuses modalités sans faire confiance aux entreprises. Nous y reviendrons, mais c’est le cas, entre autres sujets, des primes d’ancienneté, de repas, d’assiduité, de vacances, qui sont la plupart du temps définies au niveau de la branche, sans aucune capacité de négocier dans l’entreprise, donc indépendamment des attentes des salariés ou des particularismes des secteurs et des entreprises.
Pourquoi ne pas laisser les entreprises et les représentants des salariés décider ensemble des priorités ? Ils sont les mieux placés pour savoir si la priorité est une mutuelle renforcée, une prime d’ancienneté ou une aide à la garde d’enfant. Encore une fois, faisons confiance aux acteurs du dialogue social, c’est-à-dire les employeurs, les syndicats de salariés et les élus du personnel, dans le cadre de la loi. (M. Serge Dassault applaudit. – Exclamations amusées sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je tiens à le réaffirmer solennellement : la loi est et demeurera le cadre dans lequel la négociation de branche et d’entreprise se déploiera. Elle est constitutionnellement supérieure aux autres normes sociales, quelles qu’elles soient, même si celles-ci peuvent néanmoins préciser, compléter ou définir des champs qui ne relèvent pas de la loi.
La loi doit définir l’essentiel, les principes, l’encadrement des acteurs, mais nous voulons décentraliser davantage la négociation opérationnelle pour trouver les meilleurs compromis de terrain, tout en garantissant le rôle de la loi en matière de droits fondamentaux, comme les droits à la formation et à l’assurance chômage, l’égalité entre les femmes et les hommes ou l’interdiction des discriminations ou du harcèlement.
De la même manière, les règles fondamentales à la vie des entreprises, comme la nécessité d’avoir une représentation du personnel ou les normes de santé et de sécurité, ne seront évidemment pas négociables.
La branche continuera de jouer un rôle important, et je dois d’ailleurs vous dire, comme je l’ai déjà fait devant la commission, qu’à la demande des partenaires sociaux, tant patronaux que syndicaux, nous avons finalement choisi de renforcer non seulement l’accord d’entreprise, mais également l’accord de branche, principalement pour tenir compte du très grand nombre de TPE-PME dans notre pays, lesquelles ont besoin de supports et de repères.
Nous considérons que la clarification de cette articulation et la sécurisation de l’ensemble supposent de définir trois niveaux.
Au premier niveau, les accords de branche priment impérativement sur les accords d’entreprise. C’est le cas pour les minima conventionnels, les classifications, la mutualisation des financements paritaires ou encore les compléments d’indemnités journalières. En outre, nous proposons d’ajouter aux accords de branche la gestion de la qualité de l’emploi : durée minimale du temps partiel et des compléments d’heure, régulations des contrats courts, conditions de recours aux contrats à durée indéterminée de chantier. Il s’agit d’une nouvelle capacité de négociation dans la branche.
Bien évidemment, en l’absence d’accords de branche, c’est la loi actuelle qui continuera de s’appliquer. Notre système reste supplétif : faute d’accord d’entreprise, c’est l’accord de branche qui s’applique ; faute d’accord de branche, c’est la loi, et, dans certains domaines, cela ne peut être d’ailleurs que la loi ou l’accord de branche.
Autre point très important qui doit figurer dans tous les accords de branche : l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Si le principe figure évidemment dans la loi, les modalités de sa mise en œuvre ne sont toujours pas effectives, bien que la loi date d’une quinzaine d’années. C’est bien la preuve que la loi seule ne peut pas changer tous les comportements. Ce sujet sera une priorité pour les branches.
Le deuxième bloc serait constitué des domaines pour lesquels la branche peut décider ou pas de primer sur les accords d’entreprise. Dans le jargon des partenaires sociaux et de l’État, on parle d’accord « verrouillé », c’est-à-dire d’un accord de branche qui s’impose impérativement aux entreprises. Dans certains cas, la branche peut décider que son intervention n’est pas pertinente et qu’il ne lui revient pas d’être la référence.
Pourraient faire partie de ce deuxième bloc la prévention de la pénibilité, des risques professionnels, le handicap et – c’est un élément nouveau – les conditions et les moyens d’exercice d’un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière des élus du personnel. C’est un point important. Si nous misons sur un dialogue social rénové, renforcé, plus proche du terrain, il faut que l’ensemble des acteurs soit en mesure de le mener. La reconnaissance des parcours et des carrières participe de cette idée.
Le troisième bloc, élément nouveau très structurant, est constitué par les domaines qui ne figurent pas dans les deux blocs précédents. Cela sonne comme une lapalissade, mais la conséquence est importante : lorsqu’il n’y a pas d’accord de branche ou que le domaine n’est pas couvert par les accords de branche en application de la loi, c’est l’accord d’entreprise qui prime sous réserve, bien entendu, du respect des dispositions prévues dont j’ai déjà parlé. Concrètement, cela signifie que beaucoup plus de domaines et d’interactions entre les domaines pourront être négociés au niveau de l’entreprise.
C’est en permettant aux entreprises d’adapter leurs règles pour faire face, par exemple, à une hausse ou une baisse rapide de leur activité, en élargissant le champ de la négociation, en donnant plus de « grain à moudre » aux différents acteurs et en encadrant de façon pragmatique la liberté de négocier que l’on créera plus d’espaces d’initiative pour les entreprises et, pour les salariés, une protection renforcée qui correspondra cependant à la réalité du terrain.
C’est dans cette même logique de clarification et de pragmatisme que vient s’inscrire notre deuxième maître mot : la lisibilité.
Nous sommes l’un des rares pays à être dotés d’un système aussi complexe de représentation des salariés, puisqu’il existe quatre instances différentes dès lors que l’entreprise compte cinquante salariés.
Outre son caractère chronophage pour les deux parties, cette segmentation prive les salariés et leurs représentants d’une vision stratégique d’ensemble et d’une compréhension économique et sociale globale qui leur permettent de peser sur l’avenir de l’entreprise, ce qui suppose de discuter en même temps non seulement les enjeux économiques, la marche des affaires, l’organisation, mais aussi les conditions de travail et les sujets du quotidien. Aussi faut-il rendre plus lisible ce système, et simplifier et renforcer le dialogue social en réduisant le nombre de ses instances.
Pour mettre fin à ce morcellement des négociations qui n’apporte rien aux uns et aux autres, nous proposons de fusionner les trois instances d’information et de consultation : le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ces trois instances formeraient une nouvelle entité que nous proposons d’appeler le comité social et économique.
Par accord d’entreprise majoritaire ou de branche, ce comité pourrait aller plus loin et devenir une instance unique, dénommée conseil d’entreprise, intégrant également la compétence de négociation.
Il ne s’agit évidemment pas de diminuer, à l’occasion de la fusion, le champ des responsabilités et des attributions des instances fusionnées.
J’ai entendu les réserves exprimées lors des travaux de votre commission s’agissant de l’intégration du CHSCT au sein de l’instance fusionnée. Cette proposition ne vise en aucun cas à « baisser la garde » sur la santé et la sécurité au travail, sujets sur lesquels nous avons fait de très grands progrès collectifs ces dernières décennies. D’une part, rien n’empêche la constitution d’une commission spécialisée au sein de l’instance fusionnée bénéficiant de la vision stratégique globale. D’autre part, et c’est le fruit des concertations, la compétence d’ester en justice sur les sujets de santé et de sécurité au travail sera transférée à la nouvelle instance.
Par ailleurs, pour obtenir un dialogue de qualité, il faut que les acteurs disposent des moyens appropriés. Le principe de recours à des expertises, que vous avez d’ailleurs encadré lors des travaux de votre commission, la discussion sur le nombre d’heures de délégation, la formation et les parcours de carrière font partie du sujet.
C’est pourquoi j’ai confié à Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues, une mission visant à recenser les pratiques les plus innovantes et avancées des branches et des entreprises en matière de parcours syndicaux, et à formuler des propositions opérationnelles dans ce sens. Celles-ci ont vocation à s’intégrer dans les ordonnances.
Enfin, je sais que vous partagez avec moi le souci de trouver une solution opérationnelle pour encourager un dialogue social structuré, efficace et pragmatique dans les très petites et moyennes entreprises, qui, comme je l’ai déjà dit, constituent la majorité des entreprises et des salariés de notre pays. Ce n’est pas simple. L’intention est claire, mais il est vrai qu’après plusieurs décennies d’effort et l’adoption de nombreux textes on dénombre seulement 4 % de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés.
Le système actuel de mandatement ne fonctionne pas. Plusieurs pistes sont envisagées pour permettre à la négociation de s’engager, y compris en l’absence de délégué syndical. Les concertations sur ce sujet n’ont pas encore permis d’aboutir à une vision convergente. Nous continuons à y réfléchir, et je compte beaucoup sur nos débats, car le Sénat bénéficie d’une proximité particulière avec les entreprises sur le territoire, pour affiner ce point essentiel sans pour autant nous fermer des portes pour la rédaction des ordonnances.
Enfin, notre troisième et dernier maître mot pour restaurer la confiance, notamment dans l’avenir, est la prévisibilité. Il faut l’accroître, en réduisant les incertitudes juridiques.
L’insécurité juridique pénalise d’abord les entreprises, surtout les plus petites, qui ne connaissent pas parfaitement à l’avance les règles du jeu quand elles veulent se réorganiser, adapter leurs effectifs ou prendre des initiatives. L’enchevêtrement de normes peu lisibles doublé d’une jurisprudence évolutive et parfois inconstante est particulièrement dissuasif, d’une part, à l’embauche pour les petites entreprises et, d’autre part, pour les investisseurs étrangers.
Si un tel arsenal normatif peut paraître protecteur pour les salariés, il est en fait souvent contre-productif, car les incertitudes et les rigidités qu’il génère conduisent non seulement à freiner l’embauche, notamment dans les petites entreprises, mais aussi à donner le sentiment que l’équité n’est pas au rendez-vous.
La probabilité qu’un licenciement sur cinq se solde par un contentieux est une réalité. Les contentieux durent en moyenne 21,9 mois, et 29 mois en cas de formation de départage. Vous en conviendriez aisément, il s’agit d’une perspective extrêmement angoissante, tant pour l’employeur que pour le salarié, ni l’un ni l’autre ne pouvant se projeter sereinement dans l’avenir.
Cela est d’autant plus vrai qu’un nombre significatif de condamnations portent sur des vices de forme et que l’issue du contentieux devant les conseils de prud’hommes, pour le même préjudice et avec la même ancienneté, peut être très aléatoire : un salarié peut se voir octroyer des dommages et intérêts qui vont d’un à quatre en fonction du conseil devant lequel est portée l’affaire. Cela nuit à la prévisibilité et à la sécurité, ainsi qu’à l’équité.
Les entreprises comme les salariés ont besoin de repères. C’est pourquoi nous voulons instaurer des barèmes planchers et plafonds pour les dommages et intérêts qui s’ajoutent aux indemnités de licenciement légales et conventionnelles.
Une exception à la notion de plafond sera toutefois faite dans les cas de harcèlement et de discrimination, où il n’est pas seulement question d’emploi, mais aussi d’atteinte à l’intégrité de la personne. Il ne nous paraît donc pas pertinent de raisonner de la même façon.
Plus largement, nous devons trouver un système qui favorise la résolution des litiges en amont en encourageant, lorsque la rupture est inévitable, la rupture conventionnelle, la transaction et la conciliation.
Il ne s’agit donc évidemment pas de toucher aux indemnités de licenciement, qui sont connues à l’avance et clairement définies. J’ai d’ailleurs annoncé à l’Assemblée nationale l’engagement du Gouvernement à en augmenter le montant dans le même esprit de lisibilité en amont, préférable à une inflation du contentieux en aval.
Restaurer un climat de confiance dans l’avenir en levant les incertitudes juridiques est indispensable pour assurer l’équité et la sécurité juridique tant des employeurs que des salariés, mais aussi et surtout pour restaurer la confiance dans une croissance porteuse d’emplois.
Évidemment, pas plus que le code du travail à lui seul, cette réforme ne suffira pas pour dynamiser le marché du travail, mais elle peut rendre possible une reprise.
La récente note de conjoncture de l’INSEE fait apparaître très clairement deux autres obstacles majeurs, qui relèvent en partie du champ public, à l’embauche pour les entreprises : premièrement, le coût du travail – c’est la raison de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en baisse de charges pérenne pour les entreprises – et, deuxièmement, la difficulté à trouver les compétences requises.
Il nous faut impérativement renforcer les compétences, à la fois pour répondre aux besoins des entreprises et pour doter les actifs de protections actives face au chômage. Pour cela, le levier de la réussite est la formation.
C’est l’enjeu majeur du plan massif de développement des compétences des jeunes, des demandeurs d’emploi et de l’ensemble des actifs que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre dès cet automne sous la forme d’un plan d’investissement dans les compétences et, ultérieurement, de la réforme de la formation professionnelle que nous entendons mener.
Nous sommes dans une situation paradoxale, avec des territoires où la croissance est repartie et où l’on ne trouve pas les compétences, et d’autres territoires où elle ne repart pas et où les demandeurs d’emploi n’ont pas d’espérance devant eux. L’investissement dans les compétences et la mobilité des actifs sont donc deux sujets essentiels.
La réforme de la formation professionnelle s’inscrira dans le droit fil de l’existant tout en renforçant les droits individuels à la formation. Cette logique centrée sur l’individu doit aussi inspirer la réforme de l’assurance chômage, comme cela a été annoncé pendant la campagne présidentielle.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’aujourd'hui, et cela sera encore plus vrai demain, les actifs n’ont pas un seul statut dans leur vie professionnelle : salariés, entrepreneurs, indépendants, élus, les statuts sont et seront multiples.
Or tous nos systèmes de protection, que ce soit l’assurance chômage ou le système de retraite – seule la formation fait exception, grâce à la création du compte personnalisé de formation –, sont des protections par statut et non pas liées à la personne.
Nous souhaitons aussi accompagner et sécuriser les choix et les nécessités de changements de carrière en intégrant dans l’assurance chômage les indépendants et, dans certaines conditions, les démissionnaires.
Cette réflexion sur une protection « transportable » de la personne qui lui assurera davantage de droits fait partie de la ligne de fond de l’ensemble de la réforme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, gardons à l’esprit pendant nos discussions l’objectif ultime qui est le nôtre en bâtissant ensemble ces réformes successives et interdépendantes afin de rénover la maison commune que constitue le modèle social français. Cet objectif, c’est celui de redonner du sens au travail.
Cette réforme y contribuera significativement, en induisant des changements profonds dans le sens d’une meilleure performance économique, d’une plus grande liberté, ainsi que d’une plus grande proximité et d’une décentralisation du dialogue social.
Cette rénovation de notre modèle social a pour but de répondre non pas à des questions théoriques, mais aux vraies questions que se posent tous les jours les entreprises et les salariés quels qu’ils soient – ceux qui n’ont pas de travail et en voudraient, ceux dont la situation est précaire, les entreprises situées dans des territoires qui sont parfois oubliés ou celles qui veulent aller de l’avant, innover, créer de l’emploi et porter le flambeau de la France dans le monde.
Cette rénovation de notre modèle social, qui mise sur un dialogue social et économique renforcé, est un levier majeur pour plus de confiance, plus de liberté et plus de sécurité. J’attends avec beaucoup d’intérêt les débats du Sénat sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche. – Mme Dominique Gillot et M. Philippe Mouiller applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous commençons cette mandature, dans la continuité des soubresauts du précédent quinquennat, par une réforme, qu’on annonce structurelle, de notre droit du travail.
Il est indéniable que les employeurs, les salariés et ceux qui recherchent un emploi sont pénalisés par une réglementation trop rigide et parfois illisible, voire ubuesque.
Le Sénat tente depuis plusieurs années d’apporter des solutions pragmatiques aux difficultés rencontrées par les acteurs économiques sans remettre en cause les droits fondamentaux des salariés.
Le Gouvernement semble partager notre volonté d’adapter notre modèle social aux réalités de l’économie du XXIe siècle. C’est pourquoi nous approuvons la philosophie du présent projet de loi d’habilitation.
Toutefois, ce soutien n’est pas inconditionnel, madame la ministre. Des sujets essentiels aux yeux de la majorité sénatoriale, comme la fixation par accord de la durée hebdomadaire du travail ou le relèvement des seuils sociaux, sont absents du texte.
Le risque d’alimenter par ordonnances l’inflation législative, que dénonce avec raison le Conseil d’État, ne doit pas non plus être sous-estimé.
Quant à la méthode retenue, elle est pour le moins singulière et sans précédent depuis 2007.
Certes, il n’y a pas de recette miracle pour réformer le code du travail. Le précédent gouvernement avait d’abord privilégié la négociation d’accords nationaux interprofessionnels, avant de prendre la responsabilité de réformes législatives. Mais il s’est arrêté à des demi-mesures sur lesquelles sa majorité s’est déchirée et qui n’ont pas véritablement traité les problèmes de fond pour autant.
Mme Nicole Bricq. Il ne faut pas exagérer !
M. Alain Milon., rapporteur. Le nouveau gouvernement a, quant à lui, décidé d’agir sans tarder, dès le début du quinquennat. Il y a effectivement urgence. Trop de temps a été perdu.
Mme Nicole Bricq. Par tout le monde !
M. Alain Milon, rapporteur. Des discussions ont été menées simultanément au Parlement et avec les partenaires sociaux sur près d’une quarantaine de sujets techniques, mais d’inégale importance. Les orientations du Gouvernement demeurent toutefois floues et changeantes, pouvant tout aussi bien témoigner d’une stratégie réfléchie que d’une succession d’hésitations. Nous ignorons à ce jour quelle sera la portée réelle des futures réformes.
Madame la ministre, nous pouvons parfaitement comprendre que, sur certains sujets, vous nous demandiez une habilitation de principe, vous laissant le temps de la concertation et de la réflexion. Je pense, par exemple, à l’articulation entre accords de branche et accords d’entreprise, question à laquelle il n’y a pas de réponse évidente.
En revanche, sur d’autres points que vous avez prévu de trancher rapidement, avant la fin de l’été, nous aurions parfaitement pu débattre dans le cadre d’un projet de loi ordinaire. Vous avez d’ailleurs relevé, devant la commission, que le Sénat avait pu se forger une idée très précise des enjeux en cause lors des discussions de différents textes ces dernières années.
Comment encourager les accords collectifs dans les petites entreprises ? Quel régime appliquer au licenciement d’un salarié qui refuse un accord ? Quelles compétences donner à l’instance unique ? Quel délai raisonnable prévoir pour contester un licenciement ? Quel périmètre géographique retenir pour apprécier les difficultés économiques d’une entreprise appartenant à un groupe ?
Toutes ces questions, nous en avons largement débattu lors de la discussion des projets de loi Rebsamen, Macron et El Khomri. Nous connaissons les positions des différentes organisations représentatives et nous savons qu’elles ne sont pas d’accord entre elles, mais c’est notre responsabilité de législateur d’apporter des réponses claires. Et c’est parce qu’elle a pris ses responsabilités que la commission des affaires sociales a précisé les habilitations demandées, même si elle n’est pas opposée à ce que la rédaction détaillée des différents textes nécessaires soit déléguée à l’exécutif sous la forme d’ordonnances.
Nous n’accepterons donc pas que l’on nous reproche d’avoir préjugé de l’issue des concertations. Celles-ci se sont d’ailleurs achevées vendredi dernier. Ce chapitre est désormais clos, et maintenant doit s’ouvrir celui de la démocratie parlementaire.
Cela fait des années que nous travaillons sur tous les sujets que je viens de citer, et puisqu’il s’agit de questions qui relèvent du domaine de la loi, c’est à nous, parlementaires, qu’il revient en dernier ressort de décider.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales a adopté une trentaine d’amendements visant à renforcer l’ambition du projet de loi autour de trois objectifs : développer la compétitivité et l’attractivité de l’économie, tenir compte des spécificités des petites entreprises et rationaliser notre droit du travail au profit des salariés et des employeurs.
À l’article 1er, nous avons autorisé l’employeur, dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, à conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel et, en leur absence, directement avec le personnel, sans interdire, bien entendu, le recours au mandatement.
Nous souhaitons ainsi développer le dialogue social dans les petites entreprises en valorisant le rôle des délégués du personnel.
La commission soutient la volonté du Gouvernement d’encourager les référendums en entreprise pour valider un accord, mais l’employeur doit pouvoir en prendre l’initiative, et pas uniquement les syndicats.
Nous avons également obligé les signataires d’un accord de branche à accorder une attention particulière aux petites entreprises dépourvues de représentants du personnel.
S’agissant du licenciement des salariés refusant l’application d’un accord collectif, nous avons tranché en faveur d’un motif spécifique afin d’unifier les régimes actuels.
Nous avons écarté l’application des règles du licenciement collectif à ces salariés, tout en invitant le Gouvernement à les faire bénéficier d’un dispositif d’accompagnement équivalant au contrat de sécurisation professionnelle.
La commission est revenue sur la disposition adoptée par l’Assemblée nationale qui réduisait de trois ans à dix-huit mois le délai prévu pour la restructuration des branches. Elle a refusé d’accélérer la généralisation des accords majoritaires en raison du blocage du dialogue social qu’elle pourrait entraîner.
À l’article 2, nous avons approuvé la fusion des institutions représentatives du personnel en une instance unique et lui avons donné compétence en matière de négociation des accords d’entreprise, sauf accord majoritaire contraire.
Nous avons souhaité que l’ordonnance traite de la formation des membres de cette nouvelle instance, sujet crucial en raison de l’étendue de ses missions. Le nombre de mandats successifs de ses membres a été limité à trois, afin de garantir un lien entre les élus et l’activité quotidienne de l’entreprise.
Les obligations en matière de transparence financière applicables aux comités d’entreprise, qui ont vu le jour grâce à la pugnacité de notre collègue Catherine Procaccia, devront par ailleurs être étendues à l’instance unique.
Enfin, tout recours à une expertise devra être précédé d’une mise en concurrence pour limiter les coûts supportés par les employeurs.
Soucieuse de lutter contre l’instabilité du droit, la commission a en outre supprimé trois demandes d’habilitation.
La première, à la rédaction imprécise, visait à augmenter le nombre de sujets soumis à un avis conforme des institutions représentatives du personnel, au risque de remettre en cause le pouvoir de direction de l’employeur.
La deuxième prévoyait de modifier la représentation des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises, alors même qu’aucune évaluation des dispositifs mis en place depuis 2013 n’a été réalisée et que la dernière réforme date seulement de 2015.
Quant à la dernière habilitation, elle autorisait une refonte des missions des commissions paritaires régionales interprofessionnelles, les CPRI, qui n’ont été installées que le 1er juillet dernier et auxquelles le Sénat s’est toujours opposé.
À l’article 3, la commission a autorisé l’employeur à rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement. Nous avons souhaité la réduction au moins de moitié du délai de contestation d’un licenciement économique, actuellement fixé à un an.
Nous avons également adopté un amendement ayant pour objet d’ouvrir un débat sur le coût des inaptitudes d’origine non professionnelle qui pénalisent parfois fortement les petites entreprises.
À l’instar d’un grand nombre de nos voisins européens, nous avons retenu un périmètre national pour apprécier la cause économique d’un licenciement collectif lorsqu’une entreprise appartient à un groupe international. Ce faisant, nous avons souhaité combler un vide juridique qui permet au juge de choisir un périmètre européen, voire mondial, pour contrôler le bien-fondé d’un licenciement économique nuisant gravement à l’attractivité de notre territoire.
Enfin, nous avons précisé que les accords de branche fixant les règles d’utilisation du CDI de chantier devront respecter un cadre fixé par la loi afin de garantir un socle commun aux salariés et aux employeurs relevant d’une même branche.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, c’est donc un texte clarifié et réellement utile pour la vie de nos entreprises que nous demandons au Sénat d’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur pour avis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la commission des finances a reçu une délégation au fond de la commission des affaires sociales concernant l’article 9 du projet de loi d’habilitation.
Je le dis d’emblée, cet article n’a pas de lien, direct ou indirect, avec le reste du texte, puisqu’il traite du report de l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Que je sache, il ne s’agit pas d’un projet de loi sur le dialogue fiscal, mais bien sur le dialogue social !
L’article 9 a d’ailleurs si peu de rapport avec le reste du texte que je remarque, madame la ministre, que vous ne l’avez même pas évoqué dans votre propos liminaire.
Véritable serpent de mer du débat fiscal français, le prélèvement à la source a fait l’objet de nombreuses tentatives de mise en place depuis les années 1950 qui se sont toutes soldées par un échec. À cet égard, je rappellerai que l’une des causes de l’abandon de la réforme en 1973 était l’effet psychologique du « bas de la feuille de paie » et la crainte d’une détérioration des relations entre employeurs et salariés. Sans doute le même écueil guette-t-il la réforme du prélèvement à la source votée en décembre dernier.
Par ailleurs, si le dispositif inscrit à l’article 60 de la loi de finances pour 2017 est sans doute l’un des projets les plus aboutis d’instauration du prélèvement à la source en France, il s’illustre aussi par son extrême complexité et ses imperfections.
Comme je l’avais détaillé dans mon rapport d’information de novembre 2016, la réforme crée un « choc de complexité » pour les contribuables comme pour les tiers collecteurs.
Elle instaure en effet un système d’impôt sur le revenu à deux étages, dans lequel de nouvelles règles d’assiette et de taux propres au prélèvement à la source viennent s’ajouter aux règles actuelles de calcul de l’impôt.
De plus, le prélèvement à la source présente des inconvénients notables pour les contribuables, comme l’absence de prise en compte des réductions et crédits d’impôt dans le montant du prélèvement, ou encore des conditions de recours au taux « neutre » particulièrement dissuasives pour ceux qui souhaiteraient protéger la confidentialité de leurs données personnelles.
Dans un récent article, l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, aboutit d’ailleurs à une conclusion similaire à celle que j’avais formulée à l’automne dernier : le prélèvement à la source présente peu d’avantages et beaucoup d’inconvénients.
L’étude commandée par la délégation aux entreprises du Sénat qui nous a été présentée récemment confirme, quant à elle, les coûts d’adaptation élevés inhérents à la collecte de la retenue à la source par les entreprises. Au total, ce coût est estimé à 1,2 milliard d’euros, dont les trois quarts pèseraient sur les très petites entreprises.
Dans cet article 9, le Gouvernement justifie le report d’un an par la nécessité d’« assurer un meilleur accompagnement dans la mise en œuvre de la réforme » et d’approfondir les travaux de préparation. Il faut croire que tout n’était pas si prêt !
Cette proposition, qui n’est guère surprenante compte tenu de la précipitation avec laquelle cette réforme a été adoptée et du calendrier de mise en œuvre particulièrement serré fixé par le précédent gouvernement, est donc tout à fait acceptable.
En dépit des efforts importants fournis par les services de la direction générale des finances publiques, la fiabilité du dispositif est encore incertaine. En complément de l’expérimentation qui sera menée cet été avec les entreprises et les collectivités territoriales volontaires, qui ne sont d’ailleurs pas très nombreuses, le Gouvernement propose ainsi de réaliser un audit concernant la « robustesse » de la réforme et la charge induite pour les tiers collecteurs.
Il eût certainement été préférable de faire figurer cette mesure de report dans un autre texte que le présent projet de loi d’habilitation, qui renvoie à un tout autre débat que celui du prélèvement à la source.
Toutefois, une intervention rapide est sans doute nécessaire pour clarifier le traitement des revenus perçus par les contribuables en 2017 et éviter que leur taux de retenue à la source ne soit transmis aux employeurs à l’automne prochain.
Dans l’attente des résultats de l’expérimentation et de l’audit mené par le Gouvernement, il serait prématuré de supprimer le prélèvement à la source. Pour autant, je souhaite non pas, et c’est d’ailleurs la position très majoritaire de la commission des finances, que nous en restions au statu quo, mais que nous recherchions d’autres moyens d’améliorer la contemporanéité de l’impôt sur le revenu, autrement dit, de ne pas solliciter de tiers collecteurs.
C’est dans cet esprit que j’ai proposé à l’automne dernier une solution de compromis : le prélèvement mensualisé et contemporain, c'est-à-dire sur la base des revenus présents, de l’impôt sur le revenu. Ce dispositif reposerait sur un système d’acomptes, dont le montant pourrait être modulé à tout moment par le contribuable en cas de variation des revenus ou de modification de sa situation familiale.
C’est tout le sens de l’amendement que nous avons adopté et dont l’objet est d’enrichir le contenu du rapport qui devra être remis par le Gouvernement au Parlement avant le 30 septembre prochain. Nous pourrons ainsi disposer de toutes les informations utiles avant de statuer sur l’avenir du prélèvement à la source.
Remettons donc le débat de fond, et réjouissons-nous de ce report en espérant qu’une autre solution puisse être trouvée que celle qui avait été retenue dans la loi de finances pour 2017. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi, M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 52.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 664, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi d’habilitation constitue une nouvelle agression contre le droit du travail, qui – faut-il le rappeler ? – organise la protection des salariés face à la puissance patronale et à celle de l’argent.
Le code du travail n’est pas un frein au développement de notre société ; il est le fruit de décennies de luttes sociales pour imposer l’humanisme face à la dictature du profit.
Le code du travail, c’est l’expression de la spécificité française : la primauté de la loi pour définir le droit du travail, loin, en la matière, de l’arbitraire du droit anglo-saxon que vous semblez privilégier, madame la ministre.
C’est la loi, expression du peuple souverain, qui a longtemps garanti les droits fondamentaux des salariés.
En toute logique, le projet de loi que nous examinons remet en cause tout ce qui constituait le programme du Conseil national de la Résistance : suppression de l’assurance chômage, suppression du régime de retraites par répartition… Dans les ordonnances, antidémocratiques par essence, vous avez l’intention de fusionner les quatre instances représentatives du personnel, de plafonner le niveau des indemnités prud’homales en cas de licenciement, d’étendre la primauté des accords d’entreprises sur les accords de branches et de généraliser le recours aux CDI de chantier. Vous poursuivez la démolition pure et simple du code du travail. Ce faisant, c’est l’ensemble du pacte républicain issu de la Résistance que vous déstabilisez.
La loi, vous la voulez pour servir l’économie et non plus pour satisfaire les besoins humains et sociaux. Elle devient un outil de dérégulation, alors même que les constituants de 1946 et de 1958 l’ont élaborée comme une protection des plus faibles.
Qu’importe le stress au travail, les cadences infernales, les suicides sur les lieux de travail ! Leur diminution et leur suppression, ce n’est pas votre priorité !
Ce qui importe, c’est de répondre encore et encore au diktat du profit, qui exige toujours plus de disponibilité, de compétitivité et de rentabilité et donc toujours plus de précarité pour les travailleurs !
L’État est censé garantir les droits des travailleurs énoncés dans le Préambule de la Constitution de 1946 face à la loi du marché. Les sénatrices et les sénateurs communistes considèrent qu’il importe, pour des raisons sociales, économiques, environnementales, de faire prévaloir le social sur l’économie. Cette conception d’une économie au service des hommes, qui se construit par solidarité et non par la concurrence, nous la nommons « société de progrès ».
Les exigences d’un nouveau monde sont celles de la construction d’une société de partage et de solidarité, d’une société qui protège les droits et les développe. Tel était le sens du Préambule de la Constitution de 1946. Vous devez cesser cet affichage trompeur de la modernité, alors que vous faites ressortir les vieilles ficelles libérales. Nos concitoyens commencent à voir clair dans votre jeu – un jeu libéral !
En présentant cette motion et par la suite, nous vous démontrerons combien cette loi est, en réalité, un outil entre les mains du patronat pour rendre les salariés corvéables à merci.
Demain, les salariés seront contraints de négocier individuellement non seulement leur contrat de travail, mais aussi l’ensemble des droits qui ne seront plus couverts par les accords de branche.
Nous sommes là au cœur de votre projet : l’individualisation de la négociation, de l’organisation et de la durée du travail, voire de leurs droits à la protection sociale ! Avec vous, c’en est fini de notre société de solidarité et d’égalité !
Ainsi, de manière insidieuse, vous répondez à une demande ancienne et récurrente du patronat et du MEDEF, laquelle consiste à mettre fin à toute conception collective du travail pour renvoyer la relation de travail à la seule relation individuelle entre employeurs et salariés, que vous dénommez désormais collaborateurs ou associés.
Vous tentez, par exemple, de faire croire aux salariés qu’il est possible de se libérer en devenant son propre patron. Sauf que cet eldorado n’est pas aussi rose que vous voulez le faire croire ! En 2016, seulement 30 % des autoentrepreneurs étaient encore actifs trois ans après avoir choisi ce statut et moins de 2 % avaient quitté la microentreprise pour le régime général. Cela signifie qu’ils sont très peu à avoir dépassé les plafonds de chiffre d’affaires, soit, par an, 82 000 euros pour la vente et 32 900 euros pour la prestation de services. De fait, les trois quarts des entrepreneurs toujours actifs après trois ans déclarent un chiffre d’affaires inférieur à 15 000 euros par an !
Si l’entreprise est un « bien commun » aux salariés et à l’employeur, vous le savez bien, madame la ministre, le lien de subordination déséquilibre la relation au détriment du salarié, qui est le plus souvent perdant dans les négociations. Pour cette raison, il est indispensable de garantir aux travailleurs la possibilité de se syndiquer et d’avoir recours à des représentants syndicaux pour défendre leurs droits.
Le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 garantit que « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Ce principe est remis en cause dès lors que l’on individualise les relations entre les travailleurs et l’employeur, qui peut organiser un référendum dans l’entreprise pour faire accepter les baisses de salaires.
Il est tout de même contradictoire d’annoncer vouloir renforcer le dialogue social et d'utiliser, dans le même temps, tous les moyens possibles pour marginaliser les organisations syndicales dans les entreprises, par exemple, en fusionnant les instances représentatives du personnel ou en cassant le monopole syndical.
Personne n’ignore que le syndicalisme se construit précisément sur l’exigence de la défense collective d’intérêts collectifs.
Votre texte est, ensuite, contraire à la décision du 28 décembre 2006 du Conseil constitutionnel, qui garantit le droit des travailleurs à participer à la détermination collective des conditions de travail. Ce droit n’est plus effectif dès lors que le comité d’entreprise, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le délégué du personnel et le délégué syndical sont fusionnés en une seule instance.
La future instance unique de représentation du personnel aura-t-elle les mêmes compétences que les instances actuelles ? Aura-t-elle le même nombre d’élus du personnel ? Ces derniers disposeront-ils des mêmes moyens pour mener leur mandat ? L’instance unique aura-t-elle la personnalité juridique ? Pourra-t-elle ester en justice ?
Madame la ministre, vous aviez pourtant participé à la rédaction d’un rapport sur la santé et le bien-être au travail, lequel préconisait « la mise en place d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail départemental interentreprises pour prendre en charge les risques psychosociaux au sein des petites entreprises ». Et vous décidez de faire disparaître totalement les CHSCT !
En supprimant le CHSCT, vous remettez en cause l’action des syndicats pour que soit enfin reconnue l’importance des règles de protection de la santé au travail dans les entreprises.
En supprimant le compte pénibilité, dont le rôle est de prévenir les maladies professionnelles, vous revenez sur un engagement, celui de permettre aux salariés qui exercent des métiers pénibles de partir en retraite anticipée.
Cette instance unique va encore éloigner les représentants du personnel des salariés. Il s’agit clairement d’une entorse au droit des salariés à participer à la gestion de leur entreprise, droit garanti par le huitième alinéa du Préambule de 1946.
Vous remettez en cause le monopole syndical en matière de négociation dans les TPE-PME.
Vous ouvrez la porte à des élus du personnel sans indépendance vis-à-vis du pouvoir patronal et à des négociateurs subordonnés à la direction de l’entreprise.
Mais il y a plus ! Outre l’individualisation, avec ce projet de loi, vous inversez également la hiérarchie des normes en étendant le champ de la primauté de l’accord d’entreprise.
Vous faites la règle de ce qui était l’exception – l’accord individuel ou la convention d’entreprise. Inversement, ce qui était la règle – les accords de branche et les conventions collectives – devient l’exception !
Cette inversion des normes ne vise qu’à instaurer une forme de dumping social interne, qui vient s’ajouter à la possibilité de déverrouiller les accords de branche, véritable élément de dumping social, européen cette fois !
Ne tentez pas de nous faire croire que les salariés auront quoi que ce soit à gagner dans cette concurrence entre entreprises.
Le marché du travail est tel que ce ne sont plus les salariés qui font valoir leurs droits : ce sont les employeurs qui imposent leurs exigences.
Le patronat parviendra toujours à s’organiser pour proposer le moins-disant le plus défavorable aux salariés. Quand il s’agit de gros sous, on peut leur faire confiance ! (Mme Nicole Bricq proteste.)
Les grands magasins vont pouvoir faire du chantage à l’emploi en demandant la réduction de la plage horaire du travail de nuit : la tranche de vingt et une heures à six heures pourra être raccourcie demain pour répondre aux désirs des acheteurs nocturnes impulsifs !
Enfin, votre texte porte atteinte à la justice prud’homale en plafonnant les indemnités en cas de licenciement abusif.
Initialement prévue par la loi Macron et censurée par le Conseil constitutionnel, la loi El Khomri avait repris cette mesure avant qu’elle ne soit retirée face à la mobilisation sociale.
Pourquoi insistez-vous donc tant pour limiter le montant des dommages et intérêts versés au salarié ? Parce que ce plafond imposé aux juges prud’homaux sera une provision comptable pour les entreprises qui souhaitent licencier librement !
L’employeur pourra ainsi choisir de respecter le droit du travail ou prendre le risque d’une condamnation, car il connaîtra à l’avance le montant de l’indemnité. Côté salarié, c’est le règne de l’arbitraire !
Le projet de loi d’habilitation est ainsi contraire à l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, ainsi que le respect d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties.
L’équilibre des parties est rompu dès lors que l’employeur peut donner a posteriori le motif de licenciement. Le patron pourra ainsi évoquer le motif de son choix pour éviter un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Robespierre, le 10 mai 1793, proclamait…
M. Éric Doligé. Où va-t-on ?
Mme Éliane Assassi. … que, « jusqu’ici, l’art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre et la législation le moyen de réduire ces attentats en système. Les rois et les aristocrates ont très bien fait leur métier. C’est à vous maintenant de faire le vôtre, c'est-à-dire de rendre les hommes heureux et libres par la loi ».
Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Assassi.
Mme Éliane Assassi. Votre projet, madame la ministre, est un retour à l’ancien monde, celui de l’oppression par les puissants !
Il est contraire à la République sociale, à notre Constitution et à ses préambules. Il est un acte de régression lourd de conséquences pour notre peuple.
Telles sont les raisons qui ont poussé mon groupe à déposer cette motion d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, contre la motion.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen, au travers de cette motion, nous invite à nous interroger sur la recevabilité du projet de loi.
Reconnaissons au groupe communiste républicain et citoyen la constance et la cohérence de son positionnement !
Les auteurs de cette motion invoquent, d’une part, la méconnaissance du Préambule de la Constitution de 1946 et, d’autre part, celle des règles législatives du dialogue social.
Je n’utiliserai pas d’arguments autres que juridiques pour répondre à une argumentation qui est juridique.
Je ne m’appesantis pas sur le second moyen soulevé, relatif à la méconnaissance de règles législatives, dès lors qu’elles n’ont, par définition, aucune valeur constitutionnelle. Elles n’entrent donc pas dans le champ d’application de l’article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat.
S’agissant de la méconnaissance du Préambule de la Constitution de 1946, je peine à trouver les articles auxquels vous faites allusion.
Mme Éliane Assassi. Vous avez mal cherché !
M. Yves Daudigny. Le droit de travailler et d’obtenir un emploi ? Le droit de défendre ses intérêts par l’action syndicale ? Le droit à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu’à la gestion des entreprises par l’intermédiaire des délégués ? Le droit de grève peut-être ?
Au-delà d’une approximation de la base légale qui fonde la motion, je ne vois, dans le Préambule de 1946, que des articles qui viennent en soutien des objectifs fixés par le projet de loi d’habilitation – soutien de l’habilitation et non, aujourd’hui, de la ratification.
Le champ de l’habilitation du présent projet de loi vise, en particulier, à favoriser le dialogue social.
Il encourage employeurs et salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau, au bénéfice de leurs intérêts respectifs. Il ne me semble pas que le Préambule de 1946 y fasse obstacle.
Le Préambule proclame le droit au travail. Il nous appartient, précisément pour respecter ce principe, de nous interroger et de débattre sur l’évolution d’un droit protecteur, fondamental et indispensable, mais qui, nous le savons, n’empêche malheureusement pas le cancer du chômage dans notre pays.
Ces quelques considérations conduisent à conclure non seulement que le projet de loi n’est pas contraire au Préambule de la Constitution de 1946, mais aussi qu’un texte est certainement nécessaire pour poursuivre la réflexion sur l’évolution du droit du travail engagée lors du précédent quinquennat.
L’avis défavorable que j’émets à l’égard de cette motion ne présage bien sûr en rien l’issue des votes sur le projet de loi d’habilitation et encore moins sur le futur projet de loi de ratification.
Il est avant tout question d’ouvrir le débat. L’adoption de cette motion priverait le Sénat d’une discussion utile. Elle priverait l’ensemble des sénatrices et des sénateurs d’une tribune. Elle nous priverait surtout d’un examen complet du projet de loi en séance publique. Mes chers collègues, je vous invite, au contraire, à faire vivre la démocratie parlementaire et le bicamérisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de la motion considèrent que le projet de loi d’habilitation est contraire à la Constitution, sans préciser toutefois leurs griefs dans l’objet de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je ne partage évidemment pas leur analyse. Je me limiterai à trois exemples emblématiques.
Premier exemple, l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Ce principe constitutionnel ne fait pas obstacle à ce que le législateur distribue les compétences entre l’accord de branche et l’accord d’entreprise, comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 avril 2004 sur la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Une seule limite est posée : la loi doit fixer les dispositions d’ordre public.
Le Gouvernement est donc fondé à rationaliser, à l’article 1er, l’articulation entre accords de branche et accords d’entreprise.
Deuxième exemple, l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. » Je précise qu’aucune disposition du texte ne remet en cause ce principe.
La commission a souhaité renforcer le dialogue social dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical, mais tout salarié demeure, bien entendu, libre d’être désigné délégué syndical et l’employeur pourra toujours conclure un accord avec un salarié mandaté.
Troisième exemple, le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 5 août 2015, que le principe même d’un barème obligatoire pour fixer les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’était pas contraire à la Constitution.
Pour toutes ces raisons, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je n’ai rien à ajouter sur le plan juridique : je partage totalement l’analyse qui vient d’être faite au nom de la commission.
Je me réjouis simplement que le débat qui s’ouvre soit l’occasion de lever des incompréhensions, car j’ai entendu dire sur les ordonnances un certain nombre de choses qui ne figurent ni dans la loi d’habilitation ni dans les intentions du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole à M. Serge Dassault, pour explication de vote.
M. Serge Dassault. Jusqu’à présent, je croyais que les syndicats et les communistes défendaient les salariés. Je constate qu’il n’en est rien…
Mme Éliane Assassi. Oh !
M. Serge Dassault. … alors qu’on leur propose un projet de loi qui favorisera l’embauche !
Mme Éliane Assassi. Les entreprises n’embauchent pas !
M. Serge Dassault. Vous ne comprenez pas que les salariés ne peuvent trouver d’emploi que s’ils sont embauchés par des entreprises et que les entreprises n’embaucheront pas tant que subsistera l'actuelle rigidité de l’emploi, qui les empêche de licencier s’il n’y a plus de travail.
Vous êtes donc contre ce projet de loi, qui est très bon et que je défendrai !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Madame la ministre, il est dommage que le Gouvernement, qui a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale ait proposé d’ouvrir les débats de cette session extraordinaire, au Sénat, par un texte qui cède au populisme médiatique en jetant l’opprobre sur l’ensemble des parlementaires – je pense au projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique – et, l’Assemblée nationale, par ce projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social qui nous est maintenant soumis.
Un projet de loi ordinaire examiné en procédure accélérée aurait sans doute pu être définitivement adopté au début de l’année 2018, soit à peine quelques mois après la date de publication prévue pour vos ordonnances.
Force est de constater que vous ne donnez pas l’impression de rendre ne serait-ce qu’à votre majorité parlementaire et, par extension, au Parlement tout entier la confiance qui vous a été donnée. Cela, vous me l’accorderez, va à l’encontre du renforcement du dialogue.
C’est d’autant plus regrettable que nous aurions pu nous retrouver sur certains objectifs, par exemple, sur l’ouverture des droits à l’assurance chômage pour les salariés démissionnaires ou les indépendants.
Au-delà du peu de confiance que vous accordez aux parlementaires, je tenais donc, madame la ministre, à vous rappeler que ces ordonnances feraient suite à la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, qui a mis en place de réelles contreparties progressistes face à la baisse des risques existants pour les patrons des TPE-PME. Je pense au compte personnel d’activité, le CPA, au compte pénibilité, aux congés spéciaux, au droit à la déconnexion, aux droits liés aux emplois saisonniers, à la durée des congés en cas de décès d’un proche… Les impacts concrets de cette loi ne sont pas encore actuellement définis.
Vous proposez cependant d’aller d’ores et déjà beaucoup plus loin dans le sens d’une restriction drastique de la régulation nationale au profit du moins-disant social avec, pour seul lot de consolation, le droit de discuter dans l’entreprise sur deux ou trois points qui seront listés par vos soins.
Madame la ministre, la seule condition qui aurait pu rendre cette adaptation du dialogue social positive tant pour les entreprises que pour les salariés aurait été que vous puissiez présenter votre texte pendant les « trente glorieuses » !
Les mesures que vous proposez ne créeront très probablement que des régressions sociales comme celles que nous voyons en Allemagne ou au Royaume-Uni. Certes, il y a moins de chômage, mais il y a aussi beaucoup plus de salariés qui cumulent les temps partiels ou exercent des petits boulots, tous se situant sous le seuil de pauvreté.
Toutefois, pour laisser la porte ouverte au débat par voie d’amendements, je m’abstiendrai, madame la ministre, à l’image de mes collègues Gisèle Jourda et George Labazée sur les deux motions. J’aurai sans doute, dans les prochains jours, l’occasion de reparler, point par point, de ce texte…
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 52, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°53.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 664, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Dominique Watrin, pour la motion.
M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si nous saluons le travail et l’écoute du président de la commission et rapporteur du présent projet de loi, nous contestons le choix des ordonnances.
Nous sommes sur un champ législatif très large, aussi vaste et complexe que le code du travail, et, en quelques jours de débat parlementaire, nous devrions valider le cadre que vous nous proposez, madame la ministre, sans connaître tout ce qui s’est dit avec les organisations représentatives. Tout cela s’apparente à un blanc-seing !
Je rappellerai donc aux sénatrices et sénateurs qui s’apprêtent à vous suivre qu’ils abdiqueraient encore un peu plus leur pouvoir constitutionnel d’élaboration de la loi. En effet, même si, au final, les ordonnances n’étaient pas ratifiées par le Parlement, celles-ci s’appliqueraient quand même sous forme de décrets.
Ce passage en force ne nous surprend pas au groupe communiste républicain et citoyen. Il n’est que la conséquence du parti pris à 100 % patronal, à 100 % MEDEF de l’exécutif ! Force est de constater que, sous couvert de modernisation, vous reprenez en fait une à une toutes les vieilles lunes du cahier des revendications patronales : primauté de l’accord d’entreprise, contournement des organisations syndicales, nouvelle réduction du champ du principe de faveur, facilitation et sécurisation des licenciements économiques, extension du travail de nuit et du dimanche, remise en cause du compte pénibilité, et j’en passe ! Ce sont autant de reculs des droits individuels et collectifs des salariés.
Vous tentez de présenter cette énième réforme à une opinion publique mal informée comme une réponse aux bouleversements du travail, à la diversité des entreprises ou comme un levier pour dynamiser l’entrepreneuriat.
Derrière l’imprécision du texte d’habilitation se cache, en réalité, une main de fer, celle qui est résolue à imposer la décentralisation des négociations collectives au niveau de l’entreprise, c'est-à-dire là où le salarié est le plus en situation de faiblesse.
Avec le principe de subsidiarité que vous sanctuarisez, vous inversez, en réalité, la hiérarchie des normes.
Bien sûr, vous prétendez renforcer aussi le rôle des branches, mais hormis les domaines spécifiquement désignés par la loi ou les quelques possibilités de verrouillage, nombre de droits actuellement garantis par les conventions collectives de branche pourraient être remis en cause. Beaucoup s’en inquiètent, bien au-delà de notre sensibilité.
Et en même temps, madame la ministre, vous recentralisez tous les pouvoirs entre vos mains en supprimant la commission d’experts prévue à l’article 1er de la loi El Khomri, qui devait travailler à des propositions d’évolution du code du travail.
Notre question préalable s’appuie sur ces données incontestables, mais plus encore sur le respect que nous portons à ces millions de Françaises et de Français précarisés qui cherchent un emploi ou qui voudraient simplement vivre décemment du leur.
Le Président de la République a lui-même présenté ce texte comme un « préalable » à la modernisation de notre économie.
Il n’y aurait donc pas de flexibilité dans la législation et la réglementation actuelles ? Permettez-moi d’en douter ! Ainsi, lorsque je vais sur la zone de Capécure, à Boulogne-sur-Mer, je m’aperçois que plus de 50 % des postes de production sont occupés en permanence par des intérimaires, qui ont sans doute des difficultés pour construire un projet de vie ou contracter un emprunt !
Mme Nicole Bricq. C’est justement à eux que nous pensons !
M. Dominique Watrin. Autre exemple, lorsque je téléphone dans mon département natal, la Manche, une ancienne voisine me dit tout ce qu’une société peut aujourd'hui imposer comme contraintes et obligations à un jeune pour gagner 230 euros à distribuer des annuaires téléphoniques !
Or le nombre des contrats « sauvages », ces CDD de moins d’un mois, est passé de 1,5 million en 2010 à 4 millions en 2016.
Sans doute les patrons ont-ils compris que ce serait encore mieux si le CDI lui-même était précaire ! Et c’est ce que vous nous proposez, d’une certaine manière !
Si je vous ai bien entendue, madame la ministre, il faut redonner confiance aux chefs d’entreprise pour recréer de l’emploi. Mais que faites-vous de toutes les études qui montrent qu’il n’y a pas de lien entre la protection de l’emploi et la montée ou la baisse du chômage ? L’ensemble des contre-réformes précédentes, dont les dernières remontent à l’année passée et qui n’ont d’ailleurs jamais été évaluées, n’a pas résolu le problème du chômage de masse en France.
Toutes les études conduites par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation internationale du travail, la Banque mondiale et l’INSEE le démontrent, il n’y a pas de lien entre l’abaissement des droits et des garanties collectives et le règlement des problèmes de l’emploi et du chômage.
C’est également vrai à l’échelle européenne, avec les mini-jobs à l’allemande, les contrats zéro heure à l’anglaise, le Jobs Act à l’italienne ou encore les reçus verts à la portugaise. Peut-être ces pays ont-ils dégonflé artificiellement les statistiques du chômage, mais ils ont sûrement précarisé les travailleurs en plongeant nombre d’entre eux dans la misère, sans aucun effet réel sur l’emploi.
Selon la dernière note de conjoncture de l’INSEE, même les employeurs de notre pays ne placent la complexité du code du travail qu’au quatrième rang de leurs préoccupations comme frein à l’emploi, bien loin derrière l’incertitude économique, c’est-à-dire le niveau de croissance ou les difficultés à recruter du personnel qualifié et compétent.
En réalité, c’est un projet de loi d’habilitation très politique, déconnecté des réalités, dangereux pour la performance de l’économie et notre équilibre social que le Président de la République vous demande d’autoriser, mes chers collègues, un texte qui va même au-delà des recommandations de la très libérale Commission européenne, laquelle saluait, dans les textes précédents – lois Macron, Rebsamen et El Khomri –, des « progrès substantiels ». Mais le Président de la République voudrait absolument « taper sur la table »…
Nous disons stop, et c’est pourquoi défendons cette motion tendant à opposer la question préalable !
Ce que nous voulons, c’est construire un nouveau code du travail plus simple et plus protecteur, qui réponde aux défis du XXIe siècle, qui donne de nouveaux droits aux salariés et aux comités d’entreprise pour faire primer l’outil de travail sur la rapacité des fonds de pension prédateurs d’emplois ou les licenciements boursiers, un code du travail qui anticipe les mutations économiques, les évolutions technologiques, qui prenne aussi en compte les nouvelles aspirations des jeunes.
La question des plateformes numériques, par exemple, n’est pas traitée dans ce texte. Pourtant, il est urgent de protéger les travailleurs concernés, et ce serait possible même en leur préservant une large indépendance, avec la définition d’un nouveau contrat de « salarié autonome ».
C’est ce que propose le GR-PACT, le groupe de recherche pour un autre code du travail, qui a rédigé une version quatre fois plus courte que l’actuel code et qui devrait être la vraie base de travail pour une remise à plat digne de ce nom. Ce remarquable travail, que vous ignorez malheureusement, madame la ministre, a été effectué par une vingtaine d’universitaires sous la direction d’Emmanuel Dockès, en concertation avec des syndicalistes de toutes les confédérations représentatives des salariés, sans exception.
Mes chers collègues, parce que ce travail ne peut être ignoré, parce que le postulat sur lequel vous fondez ce projet de loi d’habilitation est manifestement erroné, parce que nous avons à cœur de défendre et le dynamisme de l’économie et la protection des salariés, je vous invite à voter la question préalable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, contre la motion.
M. Yves Daudigny. Les membres du groupe socialiste et républicain ne soutiendront pas la motion tendant à opposer la question préalable.
Nous pensons en effet que seuls le débat, l’expression d’opinions diverses, la confrontation des convictions, l’opposition des éventuelles argumentations font vivre, enrichissent et éclairent la démocratie.
Nous ne soutiendrons pas cette motion non seulement afin que l'Assemblée nationale n’ait pas l’exclusivité de l’expression et afin de ne pas donner d’arguments supplémentaires aux détracteurs du Sénat qui disent qu’il ne sert à rien, mais aussi parce que les citoyens souhaitent, et c’est leur droit, connaître les positions exprimées publiquement par leurs élus sur un projet de loi, fut-il d’habilitation, qui touche à une valeur fondamentale, le travail.
Dans une enquête récente réalisée dans 102 pays, la France est placée au premier rang s’agissant de la considération accordée à la valeur travail. La question posée était : « Quelle est l’importance du travail dans votre vie ? » Dans cette même enquête, la France se situe cependant à la 99e place s’agissant des relations entre les employés et les employeurs. La question posée était : « Ces relations sont-elles conflictuelles ou coopératives ? »
Mes chers camarades,… (Rires.)
Mme Éliane Assassi. Quel lapsus !
M. Yves Daudigny. C’était pour vous, mes chers amis !
Mes chers collègues, les travaux menés en commission démontrent qu’il y a bien intérêt à débattre en séance publique. Je souhaite que nous puissions, au cours des jours à venir, faire vivre la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de cette motion souhaitent que le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte. Je leur rappellerai deux choses.
La première, c’est que le texte n’a pas uniquement pour objectif d’accroître la compétitivité et l’attractivité de notre économie. Il vise aussi à simplifier, à rationaliser des dispositifs complexes issus d’une sédimentation de textes rendant le droit du travail parfois peu compréhensible, y compris d’ailleurs pour les spécialistes en la matière. Au final, de nombreux dispositifs n’offrent que des garanties formelles aux salariés, et non de réelles protections, tout en constituant une source de complexité juridique pour les employeurs.
La seconde, c’est que personne, à ma connaissance, n’a prétendu que la seule réforme du code du travail suffirait à rendre notre économie plus compétitive. Comme Mme la ministre l’a expliqué la semaine dernière devant notre commission, la confiance des entrepreneurs repose sur une multitude de facteurs, au premier rang desquels figure le carnet de commandes.
Vous le savez, mon cher collègue, l’économie, ce n’est pas que des statistiques, c’est aussi et surtout un état d’esprit. Nous devons donc créer un choc de confiance dans notre pays afin de redonner aux entrepreneurs l’envie de développer leurs activités. Ce choc de confiance passe, entre autres choses, par une réforme concertée du code du travail.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission, madame la présidente, a émis un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. La question posée nous permet de constater que nous avons tous le même objectif : dynamiser l’emploi et les entreprises.
À cet égard, permettez-moi de revenir sur l’enquête de l’INSEE réalisée auprès de chefs d’entreprise, enquête qui en corrobore d’autres.
Selon cette enquête, 50 % des chefs d’entreprise considèrent que les freins à l’embauche sont importants et leurs attentes en matière de réformes sont donc fortes.
Leur première préoccupation, c’est l’incertitude économique, leur capacité à décrocher des marchés, bien sûr, mais aussi les plans d’investissement et le soutien à l’investissement par la puissance publique. À cet égard, le plan d’investissement de 50 milliards d’euros qui sera mis en œuvre à partir de l’automne est un élément essentiel.
Nous avons la chance en France d’avoir une reprise de la croissance. Il serait très préoccupant que cette reprise n’entraîne pas des créations d’emplois. Les enquêtes européennes montrent que la croissance française est traditionnellement un peu moins riche en emplois que les autres. Notre objectif commun – c’est ce que j’ai compris dans votre interpellation, monsieur Watrin – est de trouver des solutions pour que la croissance se traduise par des emplois.
Ensuite, 27 % des chefs d’entreprise évoquent les difficultés, que j’ai déjà mentionnées, à trouver les compétences requises. Dans certains territoires, et les sénateurs concernés le savent mieux que moi, on ne trouve pas ces compétences. Cela empêche les entreprises de créer des emplois, mais également de remporter les marchés qui leur permettraient d’en créer. Il est donc essentiel d’agir sur ce point. Nous aurons l’occasion d’aborder cette question dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle et du plan d’investissement en faveur de la formation.
Par ailleurs, 23 % des chefs d’entreprise considèrent que le coût du travail est trop élevé. Nous transformerons donc le CICE en baisse de charges pérennes.
Il est clair qu’aucun de ces points ne constitue à lui seul un frein à l’emploi. C’est à l’ensemble de ces problèmes qu’il faut s’attaquer pour dynamiser le marché du travail. Encore une fois, personne n’a de baguette magique pour créer de l’emploi.
Enfin, 18 % des chefs d’entreprise disent qu’ils attendent d’abord une réforme du code du travail, parce que la réglementation est trop lourde, illisible, incompréhensible, et qu’elle freine la réactivité.
Quant aux investisseurs étrangers, leurs priorités sont inversées. Pour les avoir beaucoup rencontrés ces dernières années, je puis vous dire que leur première préoccupation est le code du travail. S’il est illisible pour nos très petites entreprises, il est incompréhensible pour les investisseurs étrangers. Or ces investisseurs représentent 2 millions d’emplois. Ils créent chaque année plus d’emplois qu’ils n’en détruisent. En France, environ 4 millions de personnes, y compris dans les entreprises sous-traitantes, vivent grâce à ces investissements étrangers.
Il ne s’agit pas d’avoir une pensée magique : aucune réforme ne suffira à elle seule. C’est en agissant à la fois sur les compétences, sur le coût du travail et sur la réglementation que nous créerons un environnement favorable. C’est l’ensemble de nos interventions sur ces points qui permettront aux entreprises de retrouver la confiance, de se projeter dans l’avenir et de créer des emplois.
Le débat ici est donc extrêmement important, car il porte sur les leviers structurels qui contribuent à donner confiance non seulement aux entreprises, mais aussi aux salariés qui retrouvent la possibilité d’accéder au marché du travail.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je suis contre cette motion.
L’affaire est grave, le malade est en mauvais état. C’est pour cela que la commission a nommé un rapporteur docteur en médecine, M. Milon. La commission a fait un travail extraordinaire. Elle propose d’aller encore un peu plus loin que vous, madame la ministre, afin de renforcer la liberté et la confiance attribuée au monde, employeurs ou collaborateurs, de l’entreprise. Nous suivrons la commission dans cette voie, bien évidemment.
Les employeurs ont besoin d’être en confiance. Sur le terrain, ils nous disent bien que les mesures de simplification des instances représentatives du personnel permettront d’assouplir les relations avec les salariés et d’instaurer une relation de confiance. De même, le plafonnement des indemnités prud’homales est une mesure de bon sens qui contribuera elle aussi à rétablir la confiance des employeurs.
Les salariés, tout comme les chefs d’entreprise, ont besoin d’un modèle pour le XXIe siècle. Vous avez, madame la ministre, parlé des espaces de coworking : ces espaces de travail collaboratif sont l’avenir. Or le travail collaboratif représente 10 % des emplois en France, contre 40 % aux États-Unis. C’est donc sur cette voie qu’il faut s’engager. En la matière, votre projet de loi, madame la ministre, ne va peut-être pas assez loin.
Nous serons obligés d’y revenir, car c’est une nouvelle évolution, les jeunes – tant mieux ! – ne voulant pas forcément du lien de subordination qui caractérise le CDI. Ils veulent une nouvelle entreprise, la liberté, la possibilité de travailler. Ils ne souhaitent plus faire la même chose toute leur vie. Le jour où cela ne va pas, ils font autre chose, ils évoluent. Il faut en prendre acte. La loi doit leur donner les moyens de s’exprimer à travers la valeur travail, qui est la valeur d’avenir, et de le faire dans tous les territoires, notamment grâce aux évolutions du numérique.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes contre cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Je n’entrerai pas dans le fond du sujet et je ne discuterai pas de l’utilité d’une réforme du code du travail. Je rappellerai juste que, même si je comprends les frustrations de certains de ne pas pouvoir discuter du contenu des ordonnances, nous avons déjà débattu de ces questions il y a un an pendant des centaines d’heures, en commission et en séance publique. Les réflexions qui ont alors été les nôtres nous seront utiles aujourd'hui pour faire des propositions complémentaires.
Notre groupe approuve la méthode des ordonnances, tout simplement parce qu’il est urgent de rendre la loi Travail, dite loi El Khomri, plus opérationnelle. Si cette loi prévoit un certain nombre d’orientations intéressantes, elle contient également des freins qui ne la rendent pas opérationnelle. Je pense notamment aux négociations et aux accords d’entreprise dans les TPE-PME, qui ont été largement ouverts, mais dont les modalités conduisent directement à un échec.
Nous approuvons également les orientations de ce projet de loi d’habilitation, ainsi que les infléchissements proposés par la commission des affaires sociales.
Parce que nous pensons que ce projet de loi est utile, nous nous opposons à cette motion, comme nous nous sommes opposés à la précédente.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Un des enjeux des débats est de…débattre. Une des craintes suscitées par ce projet de loi d’habilitation est qu’il n’y ait pas de discussion parlementaire digne de ce nom sur une réforme considérée comme étant l’une des plus importantes du quinquennat et touchant à des sujets aussi sensibles que le dialogue social et le code du travail.
On sait combien ces sujets sont sensibles, car nous en avons déjà débattu sous le précédent quinquennat.
Sans passer par les ordonnances, le débat a alors eu lieu, au Parlement et dans le pays. On peut tenter de l’esquiver aujourd'hui au motif qu’il a déjà eu lieu, mais c’est tout simplement faire fi de la volonté, exprimée lors des élections, de nos concitoyens de participer au débat contradictoire qui devrait précéder le renouveau démocratique, volonté qui est foulée aux pieds par la méthode des ordonnances.
La question qui nous est posée en cet instant est donc la suivante : devons-nous débattre de ce projet de loi ? La réponse est, oui, nous devons le faire, d’autant que le Gouvernement ne souhaite pas véritablement que nous le fassions. La meilleure réponse que nous puissions lui apporter est de nous emparer du minimum qui nous est octroyé, sachant que, concrètement, les ordonnances seront rédigées au mois d’août et que nous n’aurons pas la possibilité de participer à la traduction concrète du texte examiné par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce que je regrette profondément.
J’espère donc que le Sénat débattra des généralités qui sont mises sur la table aujourd'hui, qu’il ira le plus loin possible afin de montrer que les parlementaires sont là et que le recours aux ordonnances n’est pas approprié sur la question sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Je comprends que certains veuillent un débat défensif ; pour ma part, je pense qu'il faut être offensif !
Sans doute le débat pourrait-il recommencer dans le pays, mais je crois surtout que la France n’attend pas, que les chômeurs n’attendent pas, que les salariés n’attendent pas, que les entreprises n’attendent pas ! La France a besoin d’un choc de croissance. Il faut le créer légalement, non pas dans la précipitation, mais dans des délais qui nous permettront d’obtenir rapidement des résultats, pour le plus grand intérêt du pays.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre cette motion.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 53, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 126 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 20 |
Contre | 308 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays connaît depuis plus de trois décennies un chômage de masse et les politiques des différents gouvernements qui se sont succédé durant cette période n’ont eu qu’un impact marginal sur la courbe du chômage. Il est évident que nous devons entreprendre des réformes et adapter notre droit du travail aux nécessités de notre époque.
Pour reprendre vos propos, madame la ministre, lors de votre audition devant la commission des affaires sociales, il faut « libérer la dynamique de création d’emplois, tout en confortant les protections des salariés, réformées pour correspondre au monde d’aujourd’hui et de demain ».
Les différents gouvernements, de droite comme de gauche, étaient bien sûr tous convaincus qu’ils détenaient la solution. Il faut avouer qu’ils ont rivalisé d’imagination pour mettre fin à ce fléau. Pourtant, force est de constater qu’ils n’ont pas réussi. Je pense tout particulièrement à mon île et à l’ensemble des territoires ultramarins, où le taux de chômage avoisine 25 %.
Peut-être est-il temps d’observer chez nos voisins ce qui fonctionne.
Vous avez également déclaré, madame la ministre, que vous recourriez aux ordonnances parce qu’elles articulent la démocratie politique – grâce au débat au Parlement sur les projets de loi d’habilitation puis de ratification –, et la démocratie sociale, ce qui est bien le moins pour un projet de loi dont l’objet est de renforcer la démocratie sociale.
Je me félicite bien évidemment que vous ayez respecté l’article L. 1 du code du travail, cher au président Larcher, concernant les modalités de concertation des partenaires sociaux sur toute réforme, contrairement à votre prédécesseur !
Je ne peux cependant pas en dire de même concernant votre choix de recourir aux ordonnances, a fortiori sur un texte de cette importance, d’abord par principe. Les ordonnances constituent une forme de « législation déléguée » qui affaiblit le rôle du Parlement, au même titre qu’une interprétation trop restrictive du droit d’amendement ou le recours systématique à la procédure accélérée. Ce faisant, elles renforcent les postures manichéennes au lieu d’exploiter la force de proposition des parlementaires. Ce n’est pas notre vision du travail législatif.
Chacun devrait se rappeler que les ordonnances étaient à l’origine une procédure exceptionnelle destinée à faire face à une situation urgente et pour un délai limité seulement, comme le soulignait l’avant-projet constitutionnel en date du 29 juillet 1958.
En 2005, dans un retentissant article, dont chacun se souvient, intitulé L’été des ordonnances, le professeur Delvolvé avait à juste titre critiqué un « dérèglement juridique et politique » s’étant progressivement étendu à des pans entiers du droit, en premier lieu au droit de l’outre-mer. Année après année, nous constatons que ces mauvaises habitudes estivales ont la vie dure ! Nous voyons ainsi d’un mauvais œil le fait que le Gouvernement y ait recours dès ses premières semaines au pouvoir, sans que l’urgence soit véritablement caractérisée.
Dans le cas particulier de dispositions sur les conditions de travail, nous pensons que cela conduit à remplacer la démocratie parlementaire par la démocratie sociale, plutôt que de les articuler entre elles.
Certes, ce projet de loi d’habilitation est conforme à l’engagement pris pendant la campagne du Président de la République qui souhaitait légiférer par ordonnances « pour des raisons d’efficacité et de rapidité ». Pour autant, et le rapporteur l’a très justement rappelé, le champ de ce projet de loi d’habilitation est extrêmement vaste et certains aspects auraient pu être traités ultérieurement, et non dans des délais particulièrement courts alors même que la concertation avec les partenaires sociaux doit se poursuivre au moins jusqu’à la fin du mois de septembre.
Les membres du RDSE, comme sinon l’ensemble du moins la majorité des sénateurs, sont réticents au fait de signer un chèque en blanc au pouvoir exécutif, quel qu’il soit, s’agissant surtout d’une réforme d’une telle ampleur. Pour obtenir le feu vert du Parlement, le Gouvernement se doit d’être plus précis. Aussi, j’espère, madame la ministre, que vous comprendrez la nécessité d’apporter des précisions au cours de nos débats.
J’aborderai maintenant quelques points en particulier.
J’évoquerai d’abord le compte pénibilité.
Il est certes important de simplifier un dispositif dont l’application risque d’entraîner, il faut bien le reconnaître, quelques difficultés, mais qui représente un progrès social majeur pour les salariés exposés à des travaux pénibles. Pour autant, nous déplorons la démarche qui est la vôtre et qui consiste à associer la pénibilité à une réparation. En effet, le projet de loi d’habilitation n’autorise que le départ en préretraite des salariés déjà malades, dont le taux d’invalidité est au moins de 10 %. Ce n’est pas acceptable. Madame la ministre, nous devons absolument nous fixer pour un objectif de permettre aux salariés exposés à des travaux pénibles de partir en retraite en bonne ou assez bonne santé !
Par ailleurs, comme l’a rappelé Gilbert Barbier en commission, « la lettre du Premier ministre aux partenaires sociaux atteste de ce manque de prise en compte de la prévention des risques. Se contenter d’une visite médicale en fin de carrière pour évaluer les droits du salarié est un peu rapide ».
J’évoquerai maintenant les autres dispositions du texte.
Si un certain nombre de sénateurs du groupe du RDSE sont favorables au texte adopté par l’Assemblée nationale, la majorité de notre groupe ne pourra apporter son entier soutien à la version présentée par notre commission des affaires sociales, qui marque, il nous semble, un recul pour les droits des salariés.
Je pense en premier lieu aux modifications apportées à l’article 1er, et principalement à la représentation des salariés dans les petites entreprises, notamment celles de moins de cinquante salariés. Vous l’avez rappelé devant la commission, « sous ce seuil, où travaillent 55 % des salariés, seulement 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux ou de représentants du personnel mandatés par une organisation syndicale, ce qui revient à dire que le dialogue social ne peut aboutir à des accords d’entreprise, alors qu’on a particulièrement besoin de souplesse dans ces entreprises ».
Je regrette également la version adoptée en commission, qui prévoit notamment de contourner les organisations syndicales en permettant aux employeurs dans les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel et, en leur absence, directement avec le personnel.
Le texte dont nous allons débattre est un projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
Or, monsieur le rapporteur, selon nous, la version que vous nous proposez porte atteinte au dialogue social et à la présence des syndicats dans les petites entreprises.
Nous savons, madame la ministre, que vous recherchez des solutions pour permettre à ces salariés d’avoir accès au dialogue social. Je pense qu’il faut vous laisser le temps de trouver un dispositif qui réponde aux spécificités des petites entreprises.
Concernant l’article 3, relatif à la sécurisation des relations de travail, la commission des affaires sociales a adopté plusieurs modifications qui ne nous semblent pas aller dans le bon sens, telles l’instauration du droit à l’erreur au bénéfice de l’employeur pour lui permettre de rectifier des irrégularités en matière de motivation dans la lettre de licenciement ou la réduction à six mois du délai de recours sur la régularité ou la validité d’un licenciement pour motif économique.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, les sénateurs du RDSE seront particulièrement attentifs aux débats et détermineront leur vote final au regard des modifications qu’aura apportées la Haute Assemblée. (Applaudissements sur certaines travées du groupe La République en marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis mon entrée au Sénat, en 2014, j’ai vu arriver le compte pénibilité, le compte personnel d’activité, la commission paritaire régionale interprofessionnelle, les accords de prévention et de développement de l’emploi, et tout un ensemble d’autres inventions administratives.
Le code du travail n’a cessé d’enfler… Cela me désespère. Les entrepreneurs, eux, sont exaspérés. Parfois, ils sont contraints de trouver des accords avec leurs salariés en dehors de la loi… jusqu’au jour où ces derniers changent d’avis. Ils se retrouvent alors seuls pour affronter l’insécurité juridique qui découle de leur décision. Certains, découragés, abandonnent leur projet ou vendent leur entreprise. En France, les statistiques le démontrent, nous sommes plus « start » que « up ».
D’autres entrepreneurs, comme moi, veulent une vie simple et sereine. Ils préfèrent s’affranchir de toutes les règles franco-françaises et d’un coût du travail qu’ils jugent exorbitant. Ils font le choix d’entreprendre ailleurs. (M. Éric Jeansannetas s’exclame.)
Il y a deux ans, je proposais, via un amendement au projet de loi dit Macron, de modifier l’article L. 1 du code du travail pour inverser la hiérarchie des normes. À l’époque, alors que l’on me demandait de retirer mon amendement en séance, j’avais déclaré que je voulais qu’il soit mis aux voix « pour l’histoire ». Je refusais un droit du travail qui allait à contre-courant de ce qui est la norme des pays performants. Nous n’avions été que deux – mon collègue Michel Canevet et moi-même – à voter cet amendement. Cela m’avait valu de nombreux commentaires moqueurs émanant d’un certain côté de l’hémicycle…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ah, ces communistes ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. Olivier Cadic. Un an plus tard, soit l’année dernière, le rapport de M. Combrexelle a fait admettre la nécessité de cette inversion.
Dans tous les pays qui ont une compétitivité forte, le code du travail est réduit et la place de la négociation collective est prépondérante. La loi El Khomri a engagé le retournement que j’avais préconisé.
Madame la ministre, je me réjouis des perspectives tracées dans votre projet de loi, qui me permettent d’espérer que vous allez poursuivre dans cette voie ; j’y reviendrai. Quel dommage que, à l’époque, le ministre Emmanuel Macron n’ait pas fait adopter mon amendement : nous aurions gagné beaucoup de temps…
Faut-il aujourd’hui une nouvelle réforme du droit du travail ? Oui, car le chômage est toujours aussi important et la relance économique encore timide. Il est urgent de donner du souffle au monde du travail et de libérer les énergies. Notre droit du travail est devenu obsolète : il faut l’adapter aux nouveaux enjeux d’une économie mondialisée et dématérialisée, en donnant aux salariés les moyens de faire évoluer leur carrière tout en protégeant les plus fragiles.
La méthode des ordonnances est-elle pertinente ? Madame la ministre, je vous le dis dès à présent : le groupe Union Centriste vous soutient dans votre démarche, y compris sur la méthode.
Voilà maintenant un an, à la même époque, nous venions de terminer deux semaines de discussion du projet de loi El Khomri : plus de 1 000 amendements déposés, des jours et des nuits en séance à nous opposer ; au même moment, dans la rue, les manifestations et violences épuisaient nos concitoyens. La majorité sénatoriale avait proposé une version plus ambitieuse d’un texte qui, dès le départ, n’avait pas été pensé et présenté pour réussir. Si le gouvernement d’alors avait voulu l’échec de sa réforme, il ne s’y serait pas pris autrement…
Le recours aux ordonnances se justifie : au Parlement de donner un périmètre, au Gouvernement de concrétiser cette réforme. La discussion du projet de loi de ratification sera l’occasion de vérifier que le périmètre a été respecté. Il faut aller vite afin que les effets apparaissent.
En parallèle, le Gouvernement paraît vouloir corriger les erreurs de son prédécesseur, lequel n’avait pris le temps ni la peine de présenter sa réforme et de négocier avec les partenaires sociaux. Beaucoup ici, sur les travées de la gauche, avaient alors justifié cette façon de procéder.
Rien de tout cela aujourd’hui. Les nombreux rendez-vous pris entre vous, madame la ministre, et les partenaires sociaux témoignent d’une volonté d’associer ces derniers aux réformes.
Vous aurez ici, au Sénat, l’occasion de débattre, de coconstruire pour enrichir le texte voté à l’Assemblée nationale, où les discussions ont semblé bien timides aux observateurs.
Nous soutenons le principe du recours aux ordonnances en matière de droit du travail, car nous l’envisageons comme la première étape d’une série de réformes nécessaires et urgentes anticipées par le Gouvernement, portant sur la formation professionnelle, l’assurance chômage, les retraites.
Les ordonnances sur le droit du travail ont pour objectif de flexibiliser le marché du travail en donnant plus de place à la négociation d’entreprise. Le volet relatif à la protection et à la sécurité des salariés devra principalement se retrouver dans les réformes à venir : celles de la formation professionnelle pour adapter ses compétences et de l’assurance chômage pour les phases de transition. Cette vision d’ensemble conforte notre soutien.
Pourquoi est-il incontournable de rénover notre droit du travail ?
Il n’a échappé à personne – quoique, pour certains, j’en doute ! – que l’économie a changé depuis le tournant du siècle. Nous sommes au début d’une ère numérique, à l’aube de la troisième révolution industrielle, dans laquelle coexisteront et se développeront les biotechs, nanotechs, medtechs et autres cleantechs.
Ces nouvelles technologies transforment les métiers. Il faut cultiver des compétences transversales au cœur de métiers hybrides. Les collaborateurs devront être autonomes grâce à un travail en parallèle et interactif, s’affranchissant du temps et de l’espace.
Cette révolution numérique se fait au cœur d’une économie mondialisée. Les échanges sont globaux, de plus en plus rapides, les frontières disparaissent.
Puisque je suis un sénateur-entrepreneur, je partagerai mon expérience personnelle. Toutes les personnes qui contribuent à mon entreprise établie au Royaume-Uni sont des travailleurs indépendants : elles m’offrent leurs compétences depuis leur domicile, elles sont localisées aux quatre coins de la planète, elles s’organisent comme bon leur semble, travaillent au moment où elles le souhaitent. Plus jamais on ne me demande si elles peuvent partir en vacances ou quand. Seul le résultat compte. Vouloir être libre, c’est vouloir les autres libres.
Nous devons faire émerger un nouveau droit du travail qui encourage le dialogue social et économique,…
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas celui-là que nous voulons !
M. Olivier Cadic. … un droit qui prenne en compte les nouvelles formes de télétravail, ces exigences d’autonomie, ces parcours individualisés.
Si nous voulons attirer les entrepreneurs qui vont quitter le Royaume-Uni à la faveur du Brexit, il va falloir révolutionner notre système ! Il va falloir replacer le droit du travail au cœur des besoins des entreprises et de leurs salariés. Il va falloir libérer les énergies !
Ce sont ces objectifs qui doivent guider votre réforme, madame la ministre. Vous devez aller vite, mais vous devez surtout aller loin.
Les ordonnances vont vous permettre d’aller vite, mais nous sommes nombreux – je remercie Alain Milon d’avoir animé cette réflexion au sein de la commission des affaires sociales – à nous demander jusqu’où vous irez.
Jusqu’où irez-vous pour placer le dialogue social au plus près des salariés et de leur entreprise ?
L’article 1er de votre projet consacre une nouvelle fois l’inversion de la hiérarchie des normes que j’ai évoquée. Irez-vous jusqu’au bout ou allez-vous prévoir tellement d’exceptions que ce sera une nouvelle réforme pour rien ?
Vous devez replacer à l’échelon de l’entreprise, du groupe ou de la branche l’ensemble des règles applicables en matière de droit du travail et de formation professionnelle. La France est, avec la Belgique, l’Espagne et la Grèce, l’un des derniers pays à accorder une place prépondérante à l’État dans le dialogue social. Vous devez faire confiance aux partenaires sociaux en choisissant de les responsabiliser. De ce point de vue, vos propos m’ont réjoui.
Quant à la loi, son rôle s’inscrira dans le cadre strict de l’article 34 de la Constitution : le législateur continuera de fixer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la protection sociale.
Jusqu’où irez-vous pour améliorer le dialogue social dans les entreprises ?
La généralisation proposée d’une instance unique de représentation des salariés sera une excellente avancée.
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Olivier Cadic. Mais oserez-vous faire encore plus confiance aux salariés, en leur permettant de négocier directement dans certaines entreprises ?
La France est l’un des derniers pays de l’Union européenne pour le taux de syndicalisation. Maintenir à ce point le monopole des syndicats dans le dialogue social se justifie-t-il ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC. –Mme Évelyne Yonnet s’exclame également.) Permettez aux entreprises de dialoguer directement avec leurs salariés ; ils ont un destin commun.
Comme nous l’avons observé lors du déplacement à Londres de la délégation sénatoriale aux entreprises, 83 % des salariés britanniques ne dépendent d’aucune convention collective. Le marché du travail est si tendu dans ce pays que les employeurs font le maximum pour conserver leurs collaborateurs.
Il faut également et impérativement s’attacher à supprimer les effets de seuils, qui posent un vrai problème aux entreprises de notre pays. Ces seuils ne créent pas uniquement des difficultés en matière de mise en place des délégués du personnel avec les obligations qui en découlent, ils augmentent aussi fortement les coûts pour les TPE. Il faut au minimum relever les seuils fixés à 10 et à 50 salariés. J’avais proposé de nous en tenir aux seuils européens de 50 et 250 salariés.
Ces mesures sont compatibles avec l’instauration d’un dialogue social au plus près des salariés, directement, sans intermédiaire, comme nous le souhaitons. Je rappelle que, dans certains pays européens, il n’y a pas de seuils, et la démocratie y existe malgré tout !
À la lecture de votre projet de loi, madame la ministre, Jean-Marc Gabouty et moi-même avons regretté que vous n’abandonniez pas les commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Une telle organisation, que le Sénat avait rejetée, nous semble totalement inutile pour les TPE. On ne peut pas vouloir simplifier nos structures et poursuivre dans cette voie, le taux de participation aux élections ayant été inférieur à 10 %.
Justement, madame la ministre, jusqu’où irez-vous dans la simplification administrative et la réforme du rôle de l’administration ?
La délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par ma collègue Élisabeth Lamure, a formulé de nombreuses propositions sur le sujet. Chez nos voisins d’Europe du Nord, la simplification est un objectif politique transpartisan. Elle répond à une méthodologie rigoureuse, qui repose sur des objectifs et sur le suivi d’indicateurs. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, un organe indépendant contrôle la qualité des études d’impact. Pourquoi ne pas s’inspirer de leur exemple ?
Les entreprises étouffent sous le poids des procédures administratives : plus personne n’y comprend rien. C’est la conséquence de l’inflation de normes, qui noie les entreprises !
Certains affirment que c’est ce cadre contraignant qui protège les salariés. Je prendrai un exemple, qui me semble des plus parlants : la législation applicable aux raffineries est plus sévère en France que dans le reste de l’Europe. Pourtant, notre industrie du raffinage connaît plus d’accidents que la moyenne européenne : les raffineries françaises concentrent 26 % des accidents en Europe, alors qu’elles ne représentent que 10 % des sites.
Comment ne pas évoquer ici la médecine du travail ? À l’heure actuelle, environ 80 % des salariés travaillent dans le secteur tertiaire. Leur médecin traitant, qui les connaît depuis des années, ne serait-il pas compétent pour juger s’ils peuvent travailler assis derrière leur bureau ? (Mme Évelyne Yonnet proteste.) Pourquoi vouloir maintenir une médecine administrative ? Le médecin du travail serait-il un spécialiste de toutes les maladies que l’on peut attraper en travaillant ?
Nous devons nous demander si ce système est encore adapté à la grande majorité des salariés et s’il les protège réellement. En tout cas, l’éducation nationale semble avoir répondu à la question, elle qui s’en est affranchie.
Quant à l’administration, l’inspection du travail par exemple, elle devrait être au service des entreprises. Elle devrait les conseiller, et non être uniquement chargée de les contrôler.
Jusqu’où irez-vous pour flexibiliser le marché du travail ?
Vous proposez de fixer un barème des dommages et intérêts, ce qui est déjà une bonne nouvelle. Comment justifier, en effet, qu’il y ait, pour un même préjudice, des différences aussi importantes entre deux conseils de prud’hommes ? Comment justifier que le licenciement d’un salarié puisse, à lui seul, mettre en péril une entreprise, tant les indemnités demandées sont parfois colossales ? Pense-t-on aux autres salariés ? J’avais déposé des amendements visant à plafonner ces indemnités.
En ce qui concerne les licenciements économiques, que le juge contrôle le périmètre des difficultés, mais en aucun cas l’opportunité de licencier ! Une entreprise est libre de décider de créer un département et de recruter une équipe pour lancer un nouveau produit ; elle doit être tout aussi libre de le fermer et de licencier en cas d’échec commercial. Le juge ne doit pas avoir la faculté d’apprécier cette décision et, éventuellement, de la remettre en question.
Mme Évelyne Yonnet. Mais bien sûr…
M. Olivier Cadic. Nous sommes tellement bavards en élaborant le code du travail, nous avons tellement le souci de tout prévoir que nous créons nous-mêmes les futures chausse-trappes en omettant des situations.
La liquidation judiciaire n’étant pas expressément visée par un article de la loi El Khomri, cela permet aux salariés de remettre en cause le motif économique de leur licenciement, quand bien même ce motif est lié à une décision du juge-commissaire ou du tribunal de commerce. Je ne sais pas si chacun a bien conscience du point où nous en sommes : une liquidation judiciaire n’interdit pas à un salarié de contester son licenciement économique. C’est le pays d’Ubu !
Je ne parle même pas de la longueur des procédures : pendant plusieurs mois, les entreprises sont contraintes de payer un salarié qui ne travaille déjà plus !
Il faut enfin aller beaucoup plus loin sur les modalités de recours aux CDD, en en allongeant la durée maximale, instaurer un CDI à droits progressifs et prévoir que celui-ci puisse prédéfinir les motifs et conditions de sa rupture.
Je suis convaincu qu’une réforme profonde du droit du travail, allant dans le sens d’une plus grande rapidité en matière d’embauche et de fin de contrat, aurait une incidence directe sur le nombre de défaillances d’entreprises dans notre pays, à conjoncture économique égale.
Des administrateurs judiciaires témoignent avoir vu nombre d’entreprises mourir de ne pouvoir mettre en place un plan social rapidement ou d’être confrontées à des procédures prud’homales hors de proportions avec leurs capacités, s’agissant en particulier des TPE. On peut même envisager qu’une telle réforme ait un impact positif sur la conjoncture elle-même !
Jusqu’où irez-vous pour simplifier l’organisation du travail ?
Vous proposez de réfléchir aux nouvelles formes de travail, en favorisant l’accès au télétravail et au travail à distance. C’est un objectif essentiel : vous devez assouplir au maximum les règles permettant aux salariés d’y recourir et ne surtout pas entrer dans un système de contrôle administratif impossible à mettre en œuvre.
Jusqu’où irez-vous, madame la ministre ?
À la fin des années quatre-vingt, le PDG de la société Sun Microsystems a demandé à ses ingénieurs de faire rentrer l’informatique des ordinateurs les plus puissants, qui occupait une armoire, dans un volume équivalent à celui d’une boîte à pizza. Il a révolutionné son industrie.
Nous avons besoin de révolutionner notre code du travail, de le rendre simple, lisible et compréhensible par tous. Un jour il faudra avoir l’audace de ramener notre énorme code du travail aux dimensions du code du travail suisse.
Madame la ministre, la tâche qui vous attend est immense, les attentes sont nombreuses. En recourant à des ordonnances, vous prenez la responsabilité entière des décisions à venir et de leurs conséquences pour les entreprises et notre économie.
Parce que, foi de Jupiter, Rome ne s’est pas faite en un jour, et parce que je pense que vos objectifs vont dans le bon sens, je redis ici ce que j’ai déjà dit lors de votre audition devant la commission des affaires économiques : à propos de ce projet de loi d’habilitation, j’ai décidé de vous faire un chèque en blanc, considérant que vous avez besoin d’être pleinement soutenue pour bénéficier des meilleures chances de succès. C’est pourquoi, au long de cette semaine, vous pourrez compter sur l’appui de nombreux sénateurs constructifs, dont je ferai partie. Au-delà de ce terme, nous nous bornerons à observer les conséquences de vos décisions : je ferai alors partie des sénateurs du groupe Union Centriste tendance « contemplatifs ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, je serais tenté de résumer en une phrase les dix-sept minutes de temps de parole de l’orateur précédent : « Il faut supprimer le code du travail. » (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Levons tout de suite une ambiguïté risquant d’attenter gravement à la sérénité de nos débats : nous ne sommes pas opposés par principe à l’utilisation des ordonnances, pratique dérogatoire qui, parce qu’elle est dérogatoire, demande à être parfaitement justifiée.
En l’occurrence, la méthode est contestée de façon quasi unanime. Alors que le Président de la République prône de procéder à une évaluation avant toute réforme, le dépôt de ce texte n’a été précédé d’aucun examen des effets de la loi El Khomri.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh oui !
M. Jean-Louis Tourenne. Nous sommes condamnés à raisonner à l’aveugle sur un texte censé améliorer ou prolonger une loi n’étant accompagnée d’aucun bilan d’étape. Je rappelle que la loi El Khomri visait à améliorer la capacité d’adaptation des entreprises aux cycles économiques et les conditions de travail.
Situation surréaliste, pendant que nous débattions en commission, les auditions des partenaires sociaux se poursuivaient, apportant leur lot de propositions auxquelles nous n’avions pas accès. C’est là une procédure inédite et contraire au principe de la démocratie parlementaire…
M. David Assouline. Très bien !
M. Jean-Louis Tourenne. Le 49-3, si décrié, est-il si éloigné de cette procédure ? Il n’en diffère à mon sens que par quelques nuances. Ainsi, ratifiées ou non, les ordonnances, à l’élaboration desquelles nous n’aurons pas participé, seront applicables et, n’en doutons pas, seront appliquées en qualité de loi ou, à défaut, de texte réglementaire.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Oui, c’est scandaleux !
M. Jean-Louis Tourenne. Curieuse procédure ! Ni l’urgence ni une nécessité absolue ne sauraient justifier ici la dépossession du Parlement de ses prérogatives. Doit-on en déduire que le dialogue brandi comme méthode de gouvernement n’est qu’une illusion ? Pour l’heure, je me garderai bien de conclure.
Venons-en au contenu. Convenons qu’il est difficile, devant un projet aux orientations tellement vagues – si belles et si généreuses soient-elles dans leur libellé –, de se faire une opinion précise. Il faut aller chercher dans les déclarations auprès des organisations syndicales et professionnelles des bribes d’information qui, bien qu’indirectes, nous renseignent mieux sur les intentions réelles du Gouvernement. C’est donc souvent par ce qu’on devine de subliminal ou d’inscrit en filigrane que nous avons pu cerner un peu mieux le devenir de ces ordonnances.
La tentation aurait pu être grande de rejeter d’emblée la proposition pour « cause de vide ». Nous n’y avons pas cédé et avons souhaité apporter notre vision – déjà exprimée antérieurement – d’une modernisation fructueuse et dynamique du code du travail.
Le Gouvernement était guidé, était-il annoncé, par deux ambitions.
La première était de donner à nos entreprises de la compétitivité. Les indicateurs économiques affichant enfin une belle couleur verte, les nouvelles dispositions donneraient un coup de pouce supplémentaire à la croissance retrouvée.
La seconde ambition se dégageait des grandes déclarations : assurer aux salariés une plus grande sécurité dans un monde qui se transforme, s’engage dans le numérique, bouleverse la structure de l’emploi, exige le suivi de formations tout au long de la vie, droit qui doit être renforcé pour ceux dont la formation initiale est la plus légère, ce que la loi El Khomri avait largement pris en compte. Mais faute d’évaluation…
Or, si la première ambition de renforcer la compétitivité est bien servie, il apparaît clairement que la sécurisation des parcours professionnels, la reconnaissance syndicale ont été largement sacrifiées sur l’autel du libéralisme.
M. David Assouline. Très bien !
M. Jean-Louis Tourenne. Les amendements d’une droite fondue dans une majorité de circonstance ont encore aggravé le déséquilibre.
Je me contenterai, pour l’heure, de prendre quelques exemples particulièrement édifiants des intentions du Gouvernement et de la commission, qui ne laissent pas de nous inquiéter.
Concernant la réduction à six mois des délais de recours pour les salariés contre des décisions les concernant, certains d’entre eux, peu familiers des procédures juridiques, éprouveront des difficultés à agir dans les temps.
La présomption de légalité de l’accord d’entreprise dispensera le juge de rechercher les causes du préjudice et placera souvent le plaignant en situation de recours abusif.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Louis Tourenne. Nous cernons bien les motifs de l’instauration de la lettre type de licenciement, mais le risque est grand de faire du licenciement une banale formalité administrative. Licencier est un acte dramatique, qui peut détruire toute la vie du travailleur et celle de sa famille.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
M. Jean-Louis Tourenne. C’est un acte grave auquel nombre de chefs d’entreprise ne se résolvent que douloureusement et qui nécessite un peu plus d’humanité que le fait de renseigner un simple imprimé.
La mise en place du licenciement sui generis, qui viendrait remplacer les formes actuelles, se traduira par des indemnisations inférieures à celles qui sont attachées à un licenciement économique.
La fixation d’un plafond pour la compensation du préjudice subi du fait d’un licenciement apparaît particulièrement inacceptable et constitue une grave entorse à un principe fondamental de notre droit qui exige que tout jugement soit individualisé.
M. David Assouline. Évidemment !
M. Jean-Louis Tourenne. En l’occurrence, contrairement aux justifications que vous avancez parfois, madame la ministre, il ne peut exister, pour cette raison, deux situations exactement semblables.
Que dire des atteintes aux conditions de travail que constituent l’extension et la banalisation possible par accord d’entreprise du travail de nuit, lequel, aux termes de notre législation, doit toujours être considéré comme exceptionnel ?
On ira même jusqu’à utiliser la sémantique avec une délicieuse subtilité pour qualifier de CDI « de chantier » ou « de mission » des contrats dont la durée est limitée au temps de la réalisation du chantier et qui, bien que tout à fait précaires, privent le salarié du bénéfice de la prime de précarité et du licenciement à caractère économique, et rendent bien difficile l’obtention d’un prêt ou la location d’un logement.
Ainsi sont satisfaites les demandes patronales largement puisées dans le rapport « Propositions pour reconstruire la négociation sociale » de l’Institut Montaigne de Claude Bébéar et Henri de Castries.
Enfin, sont inacceptables les nouvelles dispositions sur la pénibilité. Six domaines ont été retenus sur les dix qu’avait définis le gouvernement Ayrault. Certes, les quatre autres sont difficiles à apprécier. Pour autant, abandonner toute démarche préventive pour se contenter de mesurer les dégâts au moment du départ à la retraite, c’est refuser de réduire cette injustice intolérable que constitue la moindre longévité en moins bonne santé d’un certain nombre de nos concitoyens confrontés à des risques lourds.
Mme Évelyne Yonnet. Très bien !
M. David Assouline. Bravo !
M. Jean-Louis Tourenne. Même si résoudre le problème posé n’est pas facile, c’est un devoir ardent et urgent d’en trouver la solution et de la mettre en œuvre. J’ose espérer que les ordonnances sauront apporter des réponses fondées sur la prévention des maladies et handicaps invalidants.
Je m’en tiendrai là sur ce sujet. La discussion nous permettra d’aller plus avant et d’alerter sur les conséquences toxiques des mesures qui se dessinent au travers de ce projet de loi d’habilitation, lourdement aggravées par les propositions de la commission des affaires sociales. L’hymne au dialogue social entonné par le pouvoir est bien loin de correspondre à la réalité du texte amendé tel qu’il nous est soumis aujourd’hui. Pour mener, comme cela est indispensable, un dialogue social fructueux, il faut des interlocuteurs reconnus, respectés, formés, indépendants. Rien de tel n’apparaît dans le texte proposé, au contraire !
Bien que 96 % des entreprises ne disposent pas de délégués syndicaux, les accords d’entreprise pourront être conclus entre le chef d’entreprise et le délégué du personnel, voire par interrogation directe du personnel. C’est en parfaite contradiction avec la volonté de développer l’audience des organisations syndicales !
M. David Assouline. Tout à fait !
M. Jean-Louis Tourenne. Dans la situation de subordination qui est celle des salariés, une négociation ne peut être menée de façon équilibrée quand le signataire désigné peut toujours craindre des représailles. Même s’agissant des entreprises où le dialogue est aisé, serein, constructif, penser que la négociation puisse être menée sans crainte et sans autocensure relève de la fiction. Angélisme ou machiavélisme, peu importe : la régression sociale risque d’être au bout du chemin.
La fusion de toutes les instances représentatives du personnel n’obtient pas la faveur de plusieurs syndicats, en raison de considérations qu’on peut largement partager. Elle exigerait de chaque représentant syndical qu’il dispose d’une polyvalence qui ne pourrait être acquise que par une formation lourde, en grande partie sur le tas. Cependant, la commission veut réduire le nombre de mandats consécutifs, ce qui va à l’encontre de l’acquisition des compétences nécessaires.
Mme Évelyne Yonnet. Très bien !
M. Jean-Louis Tourenne. Il faut laisser leur spécificité et la personnalité morale aux CHSCT, qui traitent de sujets essentiels – la santé, les conditions de travail – dans un monde qui va inévitablement voir se multiplier les risques sanitaires. L’exercice de ces responsabilités nécessite une grande indépendance par rapport aux considérations économiques : pensons au scandale de l’amiante. Le CHSCT, ou son ersatz, doit conserver la personnalité morale qui confère le droit d’ester.
Ainsi, au-delà des intentions déclarées, certaines propositions, issues notamment des votes de la commission, sont attentatoires à la qualité du débat dans l’entreprise, débat d’autant plus nécessaire que s’instaure avec force la primauté des accords d’entreprise.
Passé la fièvre des premiers jours de l’installation du nouveau gouvernement, apparaissent déjà de grands écarts entre les promesses de campagne et les premières mesures envisagées : contraintes imposées aux collectivités locales, réduction du pouvoir d’achat des plus démunis, par la baisse de l’aide publique au logement et la hausse de la CSG pour les retraités, renforcement des inégalités… Ici également, on constate un grand écart entre les ambitions affichées et la réalité qui s’annonce.
Madame la ministre, les partenaires sociaux ont été favorablement impressionnés par la qualité d’écoute que vous avez montrée. Soyez-en félicitée : c’est une attitude louable pour un élu, a fortiori pour un ministre. Mais il ne faudrait pas vous en tenir là. « Plaisir d’amour, » dit la chanson, « ne dure qu’un moment, chagrin d’amour dure toute la vie. » (Sourires.) Après le plaisir de la rencontre, souhaitons que les ordonnances à venir ne soient pas porteuses de grandes déceptions. C’est, hélas, ce qui s’annonce.
Personne ne souhaite l’échec du Gouvernement, pour des raisons que tout le monde comprendra. Aussi soyez assurée, madame la ministre, que nous examinerons avec rigueur et vigilance ce que vous nous proposerez, même si le Parlement ne sera pas concerné par l’élaboration des ordonnances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quarante ans, le chômage de masse touche notre pays. Il faut lutter contre ce fléau, et je n’ose imaginer, madame la ministre, que ce texte ne réponde pas à ce seul et unique objectif, et vise plutôt à faire plaisir à tel ou tel lobby patronal ou à obéir à telle ou telle injonction de Bruxelles…
Il faut pourtant reconnaître que les grandes lignes déjà connues de votre futur texte s’inscrivent tout à fait, comme la loi de votre prédécesseur, dans la ligne des « grandes orientations des politiques économiques » édictées par les technocrates de la Commission européenne. Ne croyez-vous donc pas que, pour lutter contre le fléau du chômage, plutôt que de bricoler – certains diront détricoter – le code du travail, il faudrait changer de modèle de développement, changer de politique économique ?
Cela fait quarante ans que vous essayez de corriger les dérives de ce modèle sans y parvenir. Je suis persuadé que, tout comme le modèle communiste s’est effondré, Dieu merci,…
M. Dominique Watrin. Le modèle fasciste aussi !
M. David Rachline. … le modèle mondialiste s’effondrera un jour. Ce modèle n’est au service ni de l’homme ni du bien commun ; il ne sert que quelques-uns, notamment les financiers. Avec ce modèle, votre modèle, pendant que les salariés grecs, sur injonction de Berlin, étaient payés en tickets restaurant, l’économie allemande gagnait 100 milliards d’euros !
Les puissances d’argent ont pris le pouvoir économique et l’économie est devenue une fin en soin au lieu d’être un moyen au service de l’humain, au service de la vie en société. Cela se traduit notamment dans le dialogue social, sujet de ce texte : syndicats de salariés comme syndicats patronaux ne recherchent plus un bien commun qui les dépasserait ; non, ils cherchent avant tout à exister ! C’est ce qui fait qu’ils sont si peu considérés par les Français, qu’ils sont si peu représentatifs !
Alors, avant de réformer le dialogue social, il eût mieux valu commencer par réformer les « dialogueurs », si vous me permettez ce néologisme. Ce n’est pas le chèque syndical déguisé que l’article 2 vous permettrait d’instaurer qui conduira les syndicats à se préoccuper du bien commun des salariés plutôt que de leur seul intérêt.
Je crois qu’aujourd’hui les Français, dans leur immense majorité, sont d’accord pour admettre qu’il faut réformer le code du travail ; mais cet accord ne vaut que si cette réforme sert une cause juste. Or nous ne croyons pas un instant que, grâce à ce texte, notre économie sera au service d’une société plus juste. Il ne fait, en réalité, qu’accompagner un modèle économique qui, depuis quarante ans, montre d’année en année ses limites !
Comment peut-on, lorsqu’on a la défense du bien commun chevillée au corps, comme c’est, j’en suis persuadé, votre cas, madame la ministre, continuer à promouvoir un système qui fait que les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres ? Je donnerai deux chiffres : la croissance française a été en 2016 de 1,2 %, ce qui fait que le PIB a augmenté, grosso modo, de 26 milliards d’euros ; dans le même temps, la fortune des trente-neuf milliardaires français a, quant à elle, augmenté de 42 milliards d’euros, soit près du double ! Bien sûr, ces milliardaires ne font pas des affaires qu’en France, mais la captation de la totalité de la croissance créée par la France en une année par seulement trente-neuf personnes ne vous émeut manifestement pas beaucoup !
En réalité, ce texte symbolise très bien l’obstination dans un modèle voué à un triple échec.
Échec social, d’abord, car les salariés vont devenir plus que jamais, pour les entreprises, des variables d’ajustement, jusqu’à arriver à l’entreprise sans salariés, comme certains défendaient hier l’industrie sans usines. Ainsi, l’élargissement du champ des CDI de chantier, à l’article 3, marque une nouvelle avancée vers une simple financiarisation des liens entre salariés et employeurs, cassant les relations existant aujourd’hui entre salariés et employeurs, certes imparfaites et fondées inévitablement sur un aspect pécuniaire, mais tout autant sur une adhésion à un projet collectif, sur la confiance, sur la solidarité et, bien sûr, dans la mesure du possible, sur la durée. Pourquoi encourager la marchandisation de toutes les relations humaines ?
Échec économique, ensuite, car ce texte n’aidera en rien les PME et les TPE qui forment la majeure partie du tissu entrepreneurial de notre pays ! Ce texte, qui permettra de privilégier les accords d’entreprise au détriment des accords de branche, entraînera une distorsion de concurrence entre, d’une part, les PME-TPE, et, d’autre part, les grands groupes. Cela mènera, à terme, à la disparition des premières au profit des seconds. Je crains que cela ne soit l’un de vos objectifs. Cette course à la grande taille ne me semble pas saine. Pour que les entreprises soient au service de l’homme et du bien commun, il me semble nécessaire qu’elles conservent une taille humaine. D’ailleurs, le dialogue social, même s’il y est moins codifié, est souvent bien meilleur dans les petites entreprises que dans les grands groupes. En effet, à cette échelle, on vit ensemble, on se serre les coudes, on gagne des marchés ensemble, on monte des projets ensemble, on innove ensemble et on fait face aux difficultés ensemble !
Une vraie simplification administrative et une vraie baisse des charges pour les PME, les TPE et les artisans, voilà l’urgence ! Votre collègue M. Bruno Le Maire nous a parlé la semaine dernière d’un texte en préparation ; espérons qu’il soit axé sur ces deux volets !
Échec écologique, enfin, car en renforçant ce modèle de développement, vous accentuerez encore l’exploitation sans limites des richesses de la terre. C’est intrinsèque à la mondialisation ! Nous préconisons quant à nous le patriotisme économique.
Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas ce texte, parce qu’il consacre l’idée d’une société nomade, d’une société de déracinés où les relations humaines reposent d’abord sur l’argent, les salariés devenant des mercenaires interchangeables. Nous ne voterons pas ce texte parce qu’il consacre une nouvelle fois ce modèle mondialiste que nous combattons. Nous ne voterons pas ce texte parce qu’il ne sert ni le bien commun ni les plus fragiles de nos compatriotes, « ceux qui ne sont rien », selon les mots du président Macron…
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. « Ce que nous avons à accomplir, c’est une véritable révolution », nous a dit le Président de la République lors du Congrès qui nous a réunis à Versailles, le 3 juillet dernier. Puisque nous sommes en période révolutionnaire, il ne faut pas s’étonner que nous utilisions des moyens inédits et que nous empruntions des chemins nouveaux. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Les ordonnances, ce n’est pas inédit !
Mme Nicole Bricq. Le Gouvernement a choisi de recourir aux ordonnances pour agir vite : notre pays en a vraiment besoin. Simultanément aux délibérations du Parlement, le Gouvernement mène la concertation avec les partenaires sociaux. Il faut se réjouir que, pour une fois, la démocratie sociale et la démocratie parlementaire cheminent côte à côte. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Je reconnais que la méthode est inédite et peut être vécue, par certains, comme quelque peu déstabilisante.
M. Loïc Hervé. Jupitérienne !
Mme Nicole Bricq. Cependant, à la différence de la nouvelle majorité de l’Assemblée nationale, nous sommes, au Sénat, en terre de connaissance. Cette terre, nous l’avons arpentée au cours de la précédente législature ; nous avons siégé jour et nuit pour examiner la loi Macron, la loi Rebsamen et la loi El Khomri. Prenons donc ces ordonnances pour ce qu’elles sont, le volet initial de réformes radicales qui vont se succéder durant ce quinquennat : celles de l’assurance chômage, de la formation professionnelle et des retraites –cette dernière nous occupera peut-être jusqu’au prochain quinquennat. C’est prises ensemble que ces réformes font sens et qu’elles assureront flexibilité et sécurité.
La chronologie de ces chantiers n’est pas encore précisée, mais j’insisterai sur la formation professionnelle. Les Danois ont consacré en 2015, dernière année pour laquelle les chiffres sont connus, 3,3 % de leur PIB aux politiques du marché du travail, contre 1,3 % pour la moyenne des pays de l’OCDE. Cela donne des résultats, puisque la croissance de l’emploi est de loin supérieure au Danemark à ce qu’elle est dans les autres pays européens.
Réclamer la mobilité pour les salariés, les indépendants, eux aussi concernés, et ceux, de plus en plus nombreux, qui sont à la fois salariés et indépendants, exige qu’ils puissent disposer d’une bonne couverture ; tel sera l’objet, notamment, de la réforme de l’assurance chômage.
Réclamer la fluidité du marché du travail exige de faire un effort sans précédent pour accompagner la mutation des métiers et des technologies. Il nous faut élever globalement le niveau de compétences et mobiliser toutes les parties prenantes de l’entreprise afin de préparer et d’accompagner les choix stratégiques de celle-ci. J’y reviendrai.
L’habilitation demandée par le Gouvernement a pour objet, comme l’indique le titre même du projet de loi, le renforcement du dialogue social. Dans le champ conventionnel, le choix est clairement fait de mener ce dialogue au plus près des acteurs, c’est-à-dire dans l’entreprise, en élargissant son périmètre tout en confortant le rôle de régulation des branches.
Cette réforme de fond du dialogue social participe d’une bataille culturelle, voire idéologique ; nous savons tous que les batailles de ce genre sont les plus difficiles à mener, parce qu’il faut passer d’une culture conflictuelle à une culture du dialogue. Celui-ci n’exclut pas les confrontations, mais il recherche les points de passage d’accord collectifs.
D’aucuns, je l’ai lu ou entendu, pensent qu’il n’était pas prioritaire de mettre en haut de l’agenda ce chantier, après les oppositions du printemps. Ils ont tort.
D’une part, nous l’avons vérifié, madame la ministre, lors des auditions des partenaires sociaux, ceux-ci vous ont tous donné quitus d’avoir respecté l’article 1er du code du travail instauré par la loi du 31 janvier 2007, dite « loi Larcher », et requérant la concertation. D’autre part, le contexte économique se prête à ce que l’on aille vite. En effet, la reprise économique qui a émergé au printemps 2016 se consolide aujourd’hui. Nous pensons vraiment, au sein de mon groupe, que la prise des ordonnances représentera un accélérateur de croissance : elle donnera de la confiance aux entreprises, qui n’hésiteront pas à investir et à recruter, notamment des jeunes, lesquels payent aujourd’hui au prix fort, celui de la précarité, leur entrée dans la vie professionnelle.
Le Gouvernement a donc eu raison d’avoir placé en haut de l’agenda de la session extraordinaire ce texte qui vise à remédier au panorama épouvantable que nous connaissons, fort bien décrit par M. Watrin : explosion du nombre de CDD, lesquels sont de plus en plus courts, croissance continue du recours à l’intérim, flux annuel de 400 000 ruptures conventionnelles – on en dénombrait encore 390 000 en 2016. Nous avons laissé s’installer, au fil des années, une situation de l’emploi décourageante, qui ronge la cohésion de la société.
Que fait-on, face à cette situation ? Conserve-t-on le statu quo ? Essaye-t-on d’avancer ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ça dépend dans quel sens !
Mme Nicole Bricq. Il ne faut pas continuer de regarder ailleurs, comme le disait un précédent président de la République au sujet du climat. Craignons, mes chers collègues, le jugement de l’avenir et de l’histoire si nous ne sortons pas franchement du statu quo !
Si nous sommes d’accord sur ce constat, cela devrait nous permettre d’éviter les postures et les slogans. Malheureusement, le texte de la commission ne s’est délivré ni des unes ni des autres. La majorité sénatoriale y a introduit, comme l’a souligné l’un de nos collègues en commission, ses « marqueurs » habituels. Cela révèle en fin de compte une volonté de tordre le bras de l’exécutif, engagé dans une concertation risquée, délicate, mais qui se passe finalement plutôt bien aux dires des acteurs.
Je me bornerai à relever quelques-uns de ces marqueurs, monsieur le rapporteur.
À l’article 1er, vous introduisez la possibilité, pour l’employeur, de décider seul la tenue d’un référendum d’entreprise. Vous revenez aussi sur l’accélération de la généralisation des accords majoritaires.
À l’article 2, vous supprimez les commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Elles ne sont en place que depuis le 1er juillet de cette année : laissez-les vivre, quand même !
À l’article 3, qui traite des licenciements économiques, vous donnez mandat impératif au Gouvernement en vue de la ratification. Vous imposez au juge le périmètre national pour apprécier la pertinence du motif économique d’un licenciement. En outre – et là, trop c’est trop ! –, vous réduisez de douze à six mois le délai de recours pour les salariés licenciés !
M. Alain Milon, rapporteur. Il est de treize jours en Allemagne !
Mme Nicole Bricq. L’Allemagne, c’est l’Allemagne, la France, c’est la France ! Du reste, je vais parler de l’Allemagne.
Il est dommage d’avoir apporté ces modifications au texte. C’est ne pas reconnaître les vertus de la concertation ni, a fortiori, le dialogue qui s’est instauré cet été par l’intercession du Gouvernement et qui se poursuivra sans doute, sous une autre forme, jusqu’à la ratification des ordonnances.
C’est pour laisser le maximum de chances de parvenir à des compromis positifs que le champ des ordonnances, tel que défini par le Gouvernement et modifié à la marge par l’Assemblée nationale, est volontairement large. Cela permet de balayer tous les sujets qui concernent le travail et ainsi d’identifier les blocages qui peuvent être levés par la négociation collective dans l’entreprise et dans les branches. Pour autant, cela ne signifie pas que nous retrouverons tous ces sujets dans le projet de loi de ratification qui sera présenté au Parlement.
Ce qui est important, c’est que les branches se trouvent confortées dans leurs domaines d’intervention, tant habituels que plus récents, à savoir l’égalité entre les femmes et les hommes et la prévention de la pénibilité. Il est essentiel que nous puissions débattre de ce dernier point.
L’articulation entre branche et entreprise, qui était déjà un sujet de débat avant que la concertation commence, est bien présente ; nous pourrons donc, cette fois, nous éviter la querelle stérile sur l’inversion de la hiérarchie des normes. Les accords de branche assurent la régulation, quand les accords d’entreprise assurent l’effectivité du dialogue au bon niveau, complètent et aménagent les règles. Quant au code du travail, il ne disparaît nullement !
En conclusion, mes chers collègues, je voudrais partager avec vous un vœu qui m’est en partie personnel, dans la mesure où mon sort, comme celui d’autres d’entre nous, sera en septembre dans les mains des grands électeurs : je souhaite que l’on ouvre plus grandes les portes aux représentants des salariés s’agissant des choix stratégiques de l’entreprise.
Dans sa version initiale, l’article 2, alinéa 4, que la majorité sénatoriale a supprimé en commission, habilite le Gouvernement à « déterminer les conditions dans lesquelles les représentants du personnel peuvent être mieux associés aux décisions de l’employeur dans certaines matières ». Est mentionnée comme exemple, à cet égard, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Cela est très bien, mais l’on peut s’interroger sur l’expression « certaines matières ». Je crains qu’elle ne soit un peu restrictive. Au sein de mon groupe, nous avons la conviction que le dialogue social aura une assise encore plus solide si les choix stratégiques des entreprises sont mieux partagés. Je rappellerai, à ce sujet, que la loi Rebsamen avait abaissé les seuils des effectifs des entreprises concernées par la participation de représentants des salariés au conseil d’administration tout en augmentant le nombre d’heures de formation de ces derniers.
Ces mesures récentes devaient être mises en œuvre après les assemblées générales d’actionnaires de 2016, et l’on ne dispose donc guère aujourd’hui du recul nécessaire pour évaluer cette réforme. Néanmoins, à la lecture de votre rédaction sur ce point, madame la ministre, je me dis qu’il existe peut-être un chemin plus opérationnel avec la fusion des instances représentatives du personnel et la création éventuelle du fameux conseil d’entreprise. Au demeurant, la représentation des salariés dans les conseils d’administration du code de commerce. Si le conseil d’entreprise est un véritable outil de gouvernance, le dialogue portera aussi sur les choix économiques ; nous suivrons, pour le coup, l’exemple de l’Allemagne, où le Betriebsrat est un pilier de la réussite du pays.
M. Alain Milon, rapporteur. L’Allemagne, c’est l’Allemagne, la France, c’est la France !
Mme Nicole Bricq. Cela relève de ce que certains appellent la codétermination, et c’est ce que préconisait le rapport Gallois en juillet 2012 pour rétablir la compétitivité de la « maison France ».
M. Didier Guillaume. Absolument !
Mme Nicole Bricq. Cette idée peut être travaillée. Si le conseil d’entreprise naît sous ces auspices, je crois que nous aurons vraiment fait la révolution ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche. – M. Didier Guillaume applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, le 3 juillet dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, a voulu justifier son recours aux ordonnances visant à prendre des mesures destinées à renforcer le monopole patronal dans les termes suivants :
« La modernisation de notre économie est nécessaire. Celle du marché du travail est un préalable : c’est une nécessité pour l’emploi. Nous ne pouvons rester parmi les rares pays affichant un tel niveau de chômage. Nous devons tirer les conséquences de la mondialisation, mesurer avec lucidité les mutations technologiques. Il faut s’en saisir, ne pas les subir. Il y a, dans notre beau pays, une aspiration à la liberté dans l’économie, dans les parcours de vie, et une attente de protection nouvelle face à ces changements. »
Qui peut contester ici un tel objectif ? La question est la suivante : comment comptez-vous, madame la ministre, réussir ce beau projet ?
Malheureusement, votre réponse va à l’encontre de l’objectif affiché, puisque vous voulez réduire les droits des salariés, faciliter le recours aux contrats précaires et aux licenciements et supprimer, autant que faire se peut, les obligations des grandes entreprises.
Vous dites vouloir faire de la politique autrement – M. Macron a même été élu sur cette promesse –, mais, dans les faits, vous poursuivez la politique libérale qui a été menée dans notre pays, depuis trente ans, par vos prédécesseurs et dont nous ne connaissons malheureusement que trop bien les conséquences.
« Il faut que tout change pour que rien ne change », disait Tancrède dans Le Guépard. Ce précepte ne correspond-il pas fort bien à la politique que vous voulez mettre en place ? Derrière votre injonction d’adapter notre société à un monde en pleine évolution, il y a, en réalité, une volonté de justifier votre projet idéologique de casser notre pacte social. Au nom de la modernité, tous les acquis sociaux devraient disparaître.
Ainsi, être moderne, c’est autoriser les employeurs à licencier contre un chèque équivalent à vingt mois de salaire en cas d’abus. Être moderne, c’est mettre en œuvre un CDI précaire, limiter le pouvoir des juges pour augmenter celui des employeurs. Être moderne, c’est supprimer les représentants syndicaux, qui contestent les plans de licenciement.
Pour la majorité présidentielle, les archaïques sont donc celles et ceux qui se préoccupent de la prise en compte réelle et effective de la santé des salariés, notamment en défendant la prévention au travers du maintien des CHSCT, dont le rôle de contrôle spécialisé des conditions de travail, de sécurité et de santé au sein de l’entreprise est primordial.
Les archaïques sont celles et ceux qui pensent que la représentation des salariés dans l’entreprise est nécessaire pour défendre leurs droits et que les syndicats sont un rempart démocratique pour négocier à égalité avec les employeurs.
Alors, je suis fière, mes chers collègues, comme chacun des membres de mon groupe, d’être archaïque !
Mme Éliane Assassi. Tout à fait !
Mme Laurence Cohen. Derrière le mot d’ordre « modernité », quel est le modèle que vous souhaitez mettre en place ?
Est-ce celui de la « flexisécurité » à la danoise, qui allierait une plus grande facilité de licenciement et une bonne indemnisation des demandeurs d’emploi ? Depuis les années quatre-vingt-dix, il a pourtant été démontré que la flexibilité des droits prend largement le pas sur la sécurité des salariés. Nous avons vu, lors de la crise de 2008, que ce modèle a moins bien résisté que le nôtre ; on a observé au Danemark une forte hausse du taux de pauvreté, notamment chez les jeunes.
En réalité, en France, la flexisécurité existe depuis longtemps. Comme le dénonce l’économiste Anne Eydoux, « dans les années 1980, lors de la réforme du temps partiel, le Gouvernement avait assuré que cette mesure allait enrichir la croissance, en amenant les femmes à l’emploi. Sauf que le taux d’emploi des femmes a à peine augmenté ; par contre le nombre de femmes en temps partiel a, lui, doublé en quinze ans. »
C’est bien la preuve que la flexibilité, loin de réduire les inégalités, les aggrave : 70 % des salariés se déclarant en situation de sous-emploi sont des femmes !
Madame la ministre, mes chers collègues, je suis au regret de vous dire qu’asservir les salariés en augmentant à votre guise leur temps de travail, en dégradant leurs conditions de travail ou encore en diminuant librement leur salaire, n’a rien d’un modèle et n’est en rien moderne.
Vous mettez en avant, comme contrepartie de la flexibilité, une sécurité renforcée pour les travailleuses et les travailleurs. La sécurité des salariés, à vos yeux, consiste donc à remplacer le compte de prévention de la pénibilité par un compte de réparation. La sécurité, c’est enfin, selon vous, la barémisation des dommages et intérêts, qui permettra aux employeurs de connaître à l’avance le prix d’un licenciement abusif, et donc de l’organiser.
Affaiblir le droit du travail pour promouvoir la négociation s’inspire aussi du modèle nordique, alors même que la construction du dialogue social est très différente dans notre pays. Contrairement au système de cogestion danois, la France a en effet inscrit les obligations de négocier dans le droit.
Le Gouvernement veut privilégier les accords d’entreprise au détriment des accords de branche. Mais aujourd’hui, dans les TPE, où il n’y a pas de représentants du personnel, ce sont les accords de branche qui servent de protection. Pourquoi l’ignorer ?
De bien mauvaise foi sont ceux qui nient aujourd’hui le lien de subordination existant entre un employeur et ses salariés. Vous pouvez le supprimer dans tous les textes que vous voudrez, il n’en cessera pas moins d’exister. Nous l’avons vu en commission : non seulement la majorité sénatoriale vous apporte son soutien le plus total, mais elle veut aller plus loin encore, en autorisant notamment les entreprises de moins de 50 salariés à s’affranchir tout bonnement de l’obligation de négocier avec les représentants du personnel. Gardons à l’esprit, mes chers collègues, que 95 % des entreprises ont moins de 50 salariés. Cela voudrait donc dire que, à l’avenir, 95 % des salariés ne bénéficieront plus d’aucune protection collective.
Non seulement cette liquidation en règle du code du travail ne réglera pas le problème du chômage, mais elle aggravera les conditions de travail dans les entreprises. Elle occasionnera burn-out, baisses de productivité, au rebours de ce que l’on est en droit d’exiger au XXIe siècle.
Libérer le travail, c’est au contraire, pour nous, lui redonner du sens, c’est soutenir la créativité des salariés, c’est mettre l’humain au cœur de l’entreprise en donnant des pouvoirs nouveaux aux salariés sur tout ce qui a trait à leurs conditions de travail mais aussi, plus largement, à la gestion même de l’entreprise. Libérer le travail, c’est assurer la sécurisation des parcours professionnels à travers l’emploi et la formation, comme nous le préconisons au moyen d’une proposition de loi.
Mes chers collègues, ne vous y trompez pas : le Gouvernement est parfaitement conscient d’opérer un hold-up législatif, sinon il n’agirait pas à ce point dans l’urgence. S’il y a urgence, c’est que le Gouvernement est conscient qu’un tel texte ne serait pas passé si facilement dans le cadre d’un processus législatif normal. Personne n’est dupe. Je me permettrai de pointer qu’il est tout de même assez cocasse de prétendre renforcer le dialogue social en passant par des ordonnances qui musèlent le Parlement.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Laurence Cohen. Le Gouvernement cherche délibérément à profiter des congés d’été des Françaises et des Français – congés payés acquis de haute lutte lors du Front populaire, faut-il le rappeler – pour empêcher toute mobilisation syndicale, toute manifestation d’envergure. La période estivale est évidemment propice à de telles manœuvres.
Il faut d’ailleurs croire qu’avec ce nouveau gouvernement, avec l’Assemblée nationale fraîchement élue et majoritairement aux couleurs du Président de la République, dont tout le monde feint d’avoir oublié qu’il a été un ministre zélé de François Hollande, la flexibilité ne doit s’appliquer qu’aux seuls salariés, en aucun cas au texte gouvernemental ! Ainsi, sur la centaine d’amendements déposés par notre groupe à l’Assemblée nationale, un seul a été adopté.
Vous nous reprochez souvent d’avoir une position idéologique. Outre que je ne trouve pas honteux d’avoir la prétention de changer le monde en s’appuyant sur l’émancipation humaine, permettez-moi de souligner que le dogmatisme dont vous faites preuve, et qui se veut moderne, ne cesse d’être contredit par les études internationales. Ces dernières, comme l’a rappelé mon collègue Dominique Watrin, ne constatent aucune corrélation entre la protection des salariés et le niveau du chômage.
Votre projet de société ultralibérale constitue, en réalité, un retour en arrière, une remise en cause de certains acquis des luttes sociales qui ne remédiera ni à l’explosion du chômage, ni aux injustes différences de traitement entre PME-TPE et grands groupes cotés en bourse, ni à la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyennes et concitoyens.
En quoi est-ce ringard, en 2017, à l’heure du bond prodigieux des nouvelles technologies, de la révolution numérique, de défendre une semaine de travail non pas de 40 heures, ni même de 35 heures, mais de 32 heures, sans perte de salaire ? En quoi est-ce ringard de défendre le droit au repos et aux loisirs ? En quoi est-ce ringard de s’opposer aux licenciements motivés uniquement par l’augmentation des profits de quelques actionnaires déjà fort nantis ? Je ne peux m’empêcher de penser ici aux « Fralib » : durant 1 336 jours, ils ont résisté, à juste titre, à la multinationale Unilever et réussi à sauver leur outil de travail, pour produire un thé de qualité.
Alors que des millions de chômeurs attendent de pouvoir travailler, la modernité réside-t-elle dans l’augmentation du temps de travail ? En réalité, cet argument de la modernité n’en est pas un : les projets que vous défendez sont profondément rétrogrades !
Les ordonnances envisagées s’inscrivent dans le prolongement de la loi El Khomri, massivement combattue dans la rue et passée en force à coups de 49-3, une loi inspirée par le MEDEF, dans le droit fil des politiques conduites par la droite.
Jusqu’où ces attaques sans précédent contre des droits sociaux durement acquis au terme de plus d’un siècle de luttes sociales iront-elles ? Peut-être allez-vous nous proposer demain, à l’occasion de la réforme de l’apprentissage, de revenir sur le travail à 16 ans ?
Parce que nous sommes contre l’instauration de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, telle que vous l’envisagez à l’article 1er, parce que nous sommes contre la fusion des instances représentatives du personnel prévue à l’article 2, parce que nous sommes contre la facilitation des licenciements et la mise en place d’un barème pour les indemnités prud’homales, parce que nous sommes contre les CDI de projet définis à l’article 3, parce que votre détermination à mettre à mal le compte pénibilité et votre volonté de prévoir plus de dérogations en matière de travail dominical nous inquiètent beaucoup, nous voterons contre ce projet de loi.
Après cette longue liste, j’opposerai un dernier argument à ce projet de loi. Vous profitez de ce véhicule législatif pour introduire, à l’article 9, le report d’un an de la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ; avec ou sans report, nous sommes défavorables à cette mesure, notamment parce qu’elle vise avant tout à remplacer les cotisations sociales, tout particulièrement la part patronale, par un surcroît d’imposition pour les particuliers via une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. On détourne l’attention de nos concitoyennes et de nos concitoyens, mais c’est là en réalité un coup terrible porté à la protection sociale !
Vous avez pu le constater, madame la ministre, nos arguments sont nombreux et étayés. Nous allons donc voter contre ce projet de loi d’habilitation, tout en formulant des propositions alternatives, comme le faisons pour chaque texte qui nous est soumis. Nous avons l’ambition de promouvoir un code du travail du XXIe siècle, respectueux des êtres humains et à la hauteur des défis économiques, sociaux et écologiques de notre temps.
Nous avons une autre conception de la révolution que La République en marche ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Évelyne Yonnet applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné M. le rapporteur, le présent projet de loi retient un grand nombre de propositions qui ont déjà été défendues par le Sénat.
Depuis longtemps, en effet, nous dénonçons le décalage existant entre la réalité des relations de travail et le cadre légal dans lequel vivent les entreprises et les salariés français.
Nous avons plaidé pour la primauté de l’accord d’entreprise, que nous retrouvons dans le présent texte, en partant du principe que la prise de décision doit se faire au plus près des acteurs, là où la relation de travail s’établit et où les objectifs de l’entreprise sont réalisés.
Nous avons demandé la réduction de la durée des procédures judiciaires, qui est tout de même, en moyenne, de vingt et un mois en France !
Nous avons recommandé la fusion des instances représentatives du personnel, pour simplifier les prises de décision, et expliqué l’utilité des contrats de mission.
Nous avons à plusieurs reprises déploré l’incroyable complexité des formalités imposées aux employeurs par la création du compte de prévention de la pénibilité.
Par une ironie des destins politiques, le présent projet de loi prévoit des dispositions inscrites dans un premier temps dans le projet de loi « travail », puis abandonnées sous la pression des syndicats et des « frondeurs ».
Ce fut le cas, notamment, de la création d’un barème obligatoire harmonisant les dommages et intérêts versés au salarié en cas de licenciement abusif. La France est l’un des rares pays à ne pas prévoir de plafond pour ces indemnités, et leur montant peut varier du simple au triple ! Cela crée une grande insécurité juridique pour les employeurs, notamment les TPE-PME, qui voudraient embaucher. La loi « travail », qui devait résoudre ce problème, n’a finalement rien réglé, car on a renoncé à donner un caractère impératif au barème.
De la même manière, lors de l’examen du même texte, le gouvernement précédent abandonna, après de longues discussions, la défense d’un périmètre national permettant d’apprécier les difficultés d’une filiale d’un groupe licenciant en France. De nouveau, la sécurisation des règles du licenciement était oubliée, et l’on maintenait des règles plus restrictives que celles qui existent dans la majorité des autres pays européens. Dès lors, comment s’étonner que les investisseurs fuient notre pays et son cortège de rigidités ?
Le présent projet de loi tendrait à revenir sur ces tentatives avortées du précédent gouvernement. J’emploie le conditionnel car, malheureusement, si nous connaissons la plupart des intentions du Gouvernement, grâce aux déclarations qui ont accompagné sa communication, tout est loin d’être clair, du fait de la procédure employée.
Bien que le format des ordonnances permette d’agir rapidement – ce qui est important en matière d’emploi –, la manière dont cette procédure a été mise en œuvre soulève des inquiétudes.
Tout d’abord, le flou entoure la plupart des articles. Vous nous répondrez, madame la ministre, que les précisions figureront dans les ordonnances. Mais un projet de loi d’habilitation, s’il fixe des objectifs, doit également indiquer le positionnement qui leur est attaché. Or, ici, même sur des sujets très importants, nous ne pouvons avoir aucune certitude, en raison du parallélisme entre l’examen du texte par le Parlement et la tenue de négociations avec les partenaires sociaux. Le travail parlementaire s’en trouve faussé.
Par exemple, à l’article 1er, un sujet important est évoqué, celui de la qualification du licenciement d’un salarié ayant refusé une modification de son contrat de travail par un accord de flexisécurité. Le texte du projet de loi vise simplement « l’harmonisation du régime juridique de la rupture du contrat de travail ». Or, de la nature d’un tel licenciement dépendra concrètement l’instauration ou non d’un plan de sauvegarde de l’emploi par l’entreprise, procédure lourde et contraignante. Vos déclarations sur le sujet, madame la ministre, traduisent votre volonté d’éviter une telle procédure, mais que sortira-t-il du texte issu de la concertation ? Nous savons qu’il s’agit d’un point de friction majeur avec les syndicats.
L’alinéa prévoyant de « faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord » constitue un autre exemple. Avouez, madame la ministre, que la formule est sibylline ! Chacun se doute, en raison de l’engagement de campagne du candidat Emmanuel Macron, qu’il s’agit de permettre à un employeur de prendre l’initiative d’un référendum lorsqu’il n’a pas été possible d’obtenir un accord majoritaire. Toutefois, la neutralité du texte permet n’importe quelle interprétation. Si le projet de loi n’apporte pas plus de précisions, si l’étude d’impact ne remplit pas son rôle, le texte devient une coquille vide, et l’accord des parlementaires reposera sur du sable. Rien n’est tranché, tout est remis aux « aléas » de la concertation.
Vous me direz que nous aurons l’occasion de voter une seconde fois, sur le projet de loi de ratification des ordonnances, mais tout sera déjà joué en réalité, puisque les ordonnances entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel, notre vote leur permettant simplement d’acquérir force de loi.
Je me réjouis donc que notre président-rapporteur, Alain Milon, ait scrupuleusement comblé les espaces vides, en inscrivant clairement dans le texte plusieurs avancées qui n’y figuraient que sous la forme de principes généraux et en l’enrichissant de plusieurs propositions.
Notre groupe, partageant le même esprit constructif, a déposé des amendements de simplification, afin de régler certaines difficultés rencontrées au quotidien par les entreprises.
Ce projet de loi fait figure de test, car si les concessions devaient s’y développer, il pourrait finir par ne plus ressembler du tout à ce qui était annoncé. Nous ne pouvons que vous alerter, madame la ministre, sur la désillusion que constituerait, pour les entrepreneurs, une loi qui ne déverrouillerait rien et qui complexifierait au lieu de simplifier. Je forme donc le vœu que les précisions apportées par le Sénat soient validées par le Gouvernement.
Il s’agira ensuite d’aller plus loin. Le facteur déterminant d’une décision d’embauche reste l’activité, le carnet de commandes. Les emplois sont créés s’il existe une dynamique économique dans le pays et si les entreprises peuvent s’y développer.
La Banque de France vient de relever sa prévision de croissance pour la France à 1,6 % en 2017, en raison d’une amélioration de l’environnement européen. C’est une reprise, mais elle reste modérée. Je rappelle que la France se situe en dessous des 2 % de croissance de la zone euro. Pour aller au-delà, il faudra davantage qu’un assouplissement de la réglementation sociale ; il faudra d’importantes réformes structurelles. Il s’agit là d’un autre débat, que nous devrons avoir le plus rapidement possible, dans le respect du pouvoir d’initiative et de contrôle des parlementaires.
Notre vote sur ce texte représentera une première étape et vous aurez compris qu’il marquera, plus encore qu’une approbation, une véritable attente. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les Français, aujourd'hui trop nombreux à être écartés du marché du travail, demandent que nous œuvrions à l’émergence de solutions pour enrayer ce terrible fléau qu’est le chômage.
Si je partage le diagnostic établi par le Gouvernement d’un monde du travail entré dans une phase de profonds changements du fait de la mondialisation de l’économie, de la transition écologique ou de la révolution numérique, je suis en désaccord avec la méthode adoptée. Je note aussi des oublis, rien n’étant prévu, par exemple, en matière de médecine du travail.
J’avais espéré, madame la ministre, que votre ambition était d’ajuster notre modèle social et d’affronter les mutations qui sont déjà à l’œuvre. Or, dans ce texte, je ne vois pas la « flexisécurité à la française » tant promise !
Ce constat est encore aggravé par le démantèlement du code du travail opéré par la droite sénatoriale majoritaire, qui profite de ce projet de loi pour rogner sur les droits des salariés et rendre notre marché du travail toujours plus précaire, comme elle l’avait d’ailleurs fait au moment de l’examen de la dernière loi « travail ».
Cela est allé jusqu’à faire disparaître, en commission des affaires sociales, la seule disposition, issue d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale, qui précisait le champ du présent projet de loi d’habilitation et des futures ordonnances en y intégrant l’objectif d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans l’entreprise. Ce n’est pas acceptable !
Je souhaiterais revenir, tout d’abord, sur la méthode.
Très récemment, à Versailles, le Président de la République insistait sur sa volonté de revaloriser le rôle du Parlement pour légiférer mieux, dans la concertation. Je partage totalement ce point de vue.
Si je ne suis évidemment pas opposée au principe du recours aux ordonnances, tel que prévu par l’article 38 de notre Constitution, je regrette que le Gouvernement agisse aujourd’hui dans la précipitation.
La concertation sociale n’est pas encore terminée que nous sommes amenés à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances. En somme, vous nous demandez de vous autoriser à œuvrer à notre place et en notre nom pour refondre entièrement le code du travail et notre modèle social !
Au moment où nous examinons ce projet de loi d’habilitation, il nous est encore impossible d’apprécier avec justesse l’équilibre de la réforme, entre la sécurité que vous promettez et la flexibilité que vous nous proposez.
Si le recours aux ordonnances a pu se justifier par le passé, lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre un véritable progrès social avec la cinquième semaine de congés payés ou la retraite à 60 ans, rien ne justifie aujourd’hui un tel empressement pour rendre les règles de licenciement plus souples, développer les CDI dits « de chantier », plafonner les indemnités de licenciement prud’homales, fusionner les instances représentatives du personnel ou faire évoluer le compte pénibilité.
Ce sont là les grands axes de cette réforme, qui aurait mérité un dialogue social et citoyen approfondi, ainsi qu’un débat parlementaire respectueux du pluralisme.
Ne pouvait-on pas faire une évaluation des réformes passées, notamment la loi de Mme El Khomri ou la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, avant de s’orienter vers une refonte de notre droit du travail ? Un examen du détail des dispositions qui nous sont soumises montre que ni l’urgence, ni la portée, ni la technicité des sujets ne justifiaient, en fin de compte, ce recours aux ordonnances.
Au-delà de la méthode, je m’inquiète aussi du contenu de l’article 5, visant à reformer le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P. Avec ce texte, le C3P est transformé en simple compte personnel de prévention. Pourtant, madame la ministre, beaucoup de Français ont aujourd'hui un travail pénible et sont en souffrance. Leur nombre est même en forte progression : le volume des maladies professionnelles a augmenté, en moyenne, de 4 % par an entre 2005 et 2012. Selon une étude de décembre 2016 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, la quasi-totalité des salariés relevant du régime général victimes de maladies professionnelles sont des ouvriers ou des employés. L’espérance de vie d’un ouvrier est toujours inférieure de plus de six ans à celle d’un cadre en France. En tant que représentants de la Nation, nous devrions nous accorder sur la nécessité de reconnaître la pénibilité au travail et ses conséquences.
Entré en vigueur par étapes depuis 2015, le compte personnel de prévention de la pénibilité permet aux salariés exposés à des travaux pénibles de cumuler des points afin de pouvoir partir plus tôt à la retraite, se former ou travailler à temps partiel sans perte de salaire. Si certains critères ne posent pas de problème, comme celui du travail répétitif ou de nuit, le Gouvernement souhaite écarter du dispositif quatre critères d’une importance majeure : la manutention manuelle des charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques. Pour ces quatre critères, on ne sera plus dans une logique de prévention : il s’agira uniquement de permettre à ceux qui sont atteints d’une invalidité de plus de 10 % de partir à la retraite plus tôt.
Le Gouvernement en revient ainsi à la loi Fillon du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, qui permettait de constater l’invalidité. On renonce à la logique de prévention, pour privilégier une logique de réparation. Pourtant, dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait déclaré que la prévention serait le pivot de la stratégie nationale de santé devant être examinée à l’automne. Dans les faits, les entreprises ne seront plus véritablement incitées à réduire les situations de travail pénible.
À cet instant, mes pensées vont aux salariés de l’entreprise Tréfimétaux de Dives-sur-Mer, dans mon département du Calvados, ainsi qu’à ceux de la « vallée de la mort », près de Condé-sur-Noireau, malades de l’amiante, qui a déjà causé bien trop de décès.
Cet exemple de l’amiante illustre parfaitement l’impossibilité de réparer des maladies professionnelles qui se déclarent après le départ à la retraite. On nous dit que le dispositif serait trop complexe, qu’il engendrerait trop de bureaucratie pour les PME. Je veux bien l’entendre, mais je note tout de même que certaines branches professionnelles, les plus volontaires, sont parvenues à établir un référentiel applicable à toutes les entreprises de leur secteur. À mon sens, quand un dispositif est complexe, il vaut mieux chercher à l’améliorer plutôt que de revenir sur ses principes fondateurs.
En conclusion, madame la ministre, je suis très attachée à la progression des protections et des droits des salariés, notamment de ceux qui travaillent le plus durement. Notre code du travail n’a pas été conçu, comme vous l’avez affirmé, « pour embêter 95 % des entreprises ». Fruit d’une histoire jalonnée d’avancées sociales, notre législation compte nombre d’acquis et de protections qu’il serait dangereux de supprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens, dans un premier temps, à saluer l’engagement du Gouvernement, dont l’un des premiers actes est d’entreprendre la réforme du dialogue social, nécessaire au développement de l’emploi en France.
Je tiens également à féliciter notre rapporteur, Alain Milon, pour la qualité de ses travaux, sa mobilisation dans des délais extrêmement courts et la pertinence de son rapport.
Nos échanges avec l’ensemble des partenaires sociaux, en commission, ont été riches d’enseignements.
Nous entamons l’examen du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, texte qui introduira la première d’une longue série de réformes sociales annoncées par le Gouvernement.
En effet, tous les acteurs économiques et la grande majorité des partenaires sociaux s’accordent à dire qu’une plus grande souplesse du code du travail et le développement d’outils de dialogue dans l’entreprise peuvent permettre de sécuriser à la fois les salariés dans leur parcours professionnel et les entreprises dans leur phase de développement.
Même si cette simplification ne constituera pas, à elle seule, la réponse dans le combat collectif que nous devons mener contre le chômage, elle est un des atouts nécessaires à la relance économique et sociale que nous attendons tous.
D’autres mesures urgentes sont à mettre en place, qu’il s’agisse de la réforme de l’apprentissage, de la formation professionnelle ou de l’assurance chômage, ou encore de l’évolution de nos régimes de retraite.
Je tiens à souligner que je partage le sentiment de notre rapporteur quant à la méthode employée par le Gouvernement. Je peux comprendre que, eu égard à la situation économique de notre pays, le temps presse et qu’il faille aller vite, mais le fait de légiférer sur l’habilitation alors même que les négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux sont en cours ne nous permet pas d’appréhender avec sérénité tous les enjeux dans le calendrier donné.
Le texte que nous allons voter doit permettre de moderniser le dialogue social dans l’ensemble des entreprises, notamment en prenant en considération les particularités des PME et des TPE. Nous disposons d’un vivier de petites entreprises, innovantes, imaginatives, combatives, qui se débattent au quotidien pour gagner des marchés, trouver du personnel compétent et motivé, s’adapter aux nouveaux besoins et faire face à la concurrence. Rappelons que, en France, 95 % des entreprises sont des TPE et des PME de moins de cinquante salariés, et que 55 % de l’emploi salarié se situe dans ces entreprises. Ce sont elles qui créent des emplois et peuvent en créer plus encore.
La commission des affaires sociales, sous l’impulsion de son rapporteur, a donc attaché une importance particulière à ce sujet, parmi d’autres.
Le texte dont nous entamons l’examen a été enrichi de dispositions adaptées aux plus petites entreprises, notamment à l’article 1er. En effet, beaucoup d’entre elles sont dépourvues de représentant du personnel ou de délégué syndical. Pour autant, le dialogue social existe en leur sein ; il ne reste qu’à le formaliser.
Ainsi, l’alinéa 12 de l’article 1er a été complété afin d’ouvrir la possibilité pour les employeurs, « dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel ou, en leur absence, avec le personnel ».
La commission des affaires sociales a également tenu à permettre à l’employeur d’organiser une consultation des salariés pour valider un accord.
J’ai souhaité aller plus loin, en déposant un amendement tendant à permettre à l’employeur, dans les entreprises employant moins de onze salariés et dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de représentant du personnel, d’appliquer un accord type ou de prendre une décision unilatérale dans les domaines et les conditions prévus dans l’accord de branche. Il s’agit d’offrir à l’entreprise une souplesse suffisante pour pouvoir s’adapter à sa situation et à l’état de son activité.
La dérogation n’est pas synonyme de moins-value pour le salarié : elle permet une adaptation dans l’entreprise, pour que celle-ci puisse fonctionner dans de bonnes conditions.
Je m’attacherai aussi à la proposition d’étendre le contrat de chantier à d’autres secteurs que le bâtiment. Il s’agit, là encore, de se donner de la souplesse.
Rappelons qu’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée par lequel un employeur engage un salarié pour la réalisation d’un ouvrage, de travaux ou d’opérations précis, mais dont la durée ne peut être préalablement définie avec certitude.
Le salarié bénéficiera de davantage de visibilité que s’il enchaîne des CDD ou des contrats d’intérim. En outre, sa vie personnelle se trouvera facilitée puisque, comme chacun sait et contrairement à certains propos tenus précédemment à la tribune, il est préférable de disposer d’un CDI pour trouver un logement ou conclure un prêt.
Pour aller plus loin, je soutiens l’idée de créer un contrat de croissance. Une entreprise confrontée à une croissance soudaine à la suite de la conclusion d’un nouveau marché qui lui apporte un surcroît de travail sur plusieurs mois, voire plusieurs années, pourrait conclure ce type de CDI afin de s’adjoindre les compétences dont elle a besoin. En cas de poursuite de la progression de l’activité, ce contrat de croissance aurait vocation à se transformer en CDI classique.
Ce qui fait hésiter les chefs d’entreprise à accepter des marchés nouveaux importants, et donc à recruter en conséquence, c’est le manque de visibilité. Ils sont réticents à recruter en CDI parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir conserver les salariés au-delà de l’exécution du marché en question. Nous proposons que ce contrat soit prévu par un accord de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi.
Afin de sécuriser les plus petites entreprises et les artisans qui ne sont pas dotés de service juridique, la commission a adopté, à l’article 3, un amendement tendant à permettre à l’employeur de « rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation si elles sont sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement ».
Cet amendement introduit dans notre législation l’ébauche d’un droit à l’erreur, attendu par les PME et les TPE. Il est temps de créer ce droit à l’erreur pour les chefs de petite entreprise, souvent de bonne foi, qui se voient suspectés, sanctionnés pour une simple erreur matérielle.
Je salue également l’initiative du Premier ministre, qui a enfin proposé de simplifier le C3P, source de tracasseries administratives, véritable usine à gaz pour les entreprises, et de mettre en place un compte professionnel de prévention. À titre personnel, j’aurais préféré la suppression pure et simple de ce compte et la mise en place de mesures générales pour prendre en considération la pénibilité.
En complément, je tiens à vous faire part d’un message émanant de bon nombre des chefs d’entreprise que je rencontre chaque semaine, notamment dans mon département. Il concerne la nécessaire évolution des relations entre l’administration et les employeurs.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Mouiller. Même si ce n’est pas une vérité générale, ces relations ne sont pas apaisées. Elles sont souvent axées sur le contrôle, voire la sanction. Que l’État exerce sa mission régalienne dans ce domaine est nécessaire pour éviter les abus, mais les chefs d’entreprise ont surtout besoin de conseils, d’accompagnement, que ce soit pour leurs projets de développement ou en période de difficultés. Une relation de confiance doit être développée, encouragée. Elle sera elle-même source de croissance et de création d’emplois.
En conclusion, nous voterons ce projet de loi d’habilitation tel qu’il a été amélioré par le Sénat, mais serons particulièrement attentifs au contenu des futures ordonnances. Je formule le vœu que notre commission puisse être associée très en amont à la rédaction des textes et participer ainsi activement à la mise en place de mesures favorables au développement de l’emploi en France. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, la discussion que nous menons aujourd’hui est évidemment source de frustration pour les parlementaires que nous sommes. Nous travaillons sur un texte d’habilitation portant sur des mesures dont nous ne connaissons pas la teneur précise, les discussions avec les syndicats venant de s’achever et la rédaction des ordonnances n’ayant pas commencé. Le Gouvernement a choisi d’œuvrer dans l’urgence, sans nous mettre réellement à contribution.
Pour autant, cela n’est en rien une surprise : le Président de la République avait annoncé ses intentions lors de la campagne, et les ordonnances sont un moyen constitutionnel de légiférer. Rappelons-nous, mes chers collègues, que c’est par voie d’ordonnances que nous avons instauré, en 1982, la semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, puis la retraite à 60 ans.
M. Martial Bourquin. Ces réformes allaient dans le bon sens. C’était différent !
M. Éric Jeansannetas. Si la méthode ne nous réjouit pas, nous respectons la démarche, en émettant, bien sûr, des réserves.
Nous partageons en partie le diagnostic : la situation du marché du travail n’est pas satisfaisante et il faut y remédier. Le rôle social du travail est essentiel et la lutte contre le chômage doit demeurer le cœur de nos priorités.
Nous sommes nombreux à être favorables à une refonte du droit du travail, afin de mieux l’adapter aux bouleversements liés, notamment, aux nouvelles technologies et au numérique.
Nous sortons toutefois d’un quinquennat riche en réformes dans ce domaine. Citons la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Certains de leurs dispositifs ne sont pas encore mis en œuvre que nous recommençons à légiférer. Veillons à ne pas être contre-productifs, en créant une instabilité juridique pour les entreprises !
Je tiens par ailleurs à souligner que les réformes menées par la précédente majorité commencent à porter leurs fruits. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, a récemment annoncé que 2 millions d’embauches ont été déclarées au deuxième trimestre de 2017, dont près de la moitié en CDI. Le dispositif « embauche PME » n’y est sans doute pas pour rien !
Il convient de s’interroger sur l’opportunité d’accumuler les réformes avant de connaître les effets réels de celles qui ont déjà été engagées. Je demande donc au nouveau gouvernement et à vous-même, madame la ministre, d’être intransigeants sur l’évaluation des dispositifs mis en place.
Le texte que nous étudions aujourd’hui vise seulement à déterminer le champ d’intervention des ordonnances à venir. Il est donc bien compliqué d’avoir un débat sur le fond, alors même que les négociations avec les organisations syndicales viennent de s’achever. Nous reconnaissons d’ailleurs la réalité du dialogue mis en place, que nous saluons. Nous demandons simplement, madame la ministre, que vous soyez extrêmement attentive aux revendications des syndicats de salariés.
En effet, nous souhaitons que vous aboutissiez à des textes équilibrés. Il est indispensable de renforcer les garanties accordées aux salariés et aux travailleurs indépendants. Sécuriser les employeurs ? D’accord, si cela peut favoriser les embauches, mais il doit y avoir des contreparties en termes de bien-être des salariés.
Nous serons donc particulièrement vigilants au moment d’examiner le contenu des ordonnances, s’agissant notamment du travail de nuit, qui doit rester exceptionnel. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale nous rappelle régulièrement, dans ses rapports, que le travail de nuit comporte des risques pour la santé. Il doit donc être particulièrement encadré.
Nous serons également prudents en ce qui concerne le champ du CDI de chantier. Pourquoi ne pas l’étendre à des missions précises, dès lors qu’elles sont limitées dans le temps, si cela peut favoriser l’embauche ? Cependant, ce type de contrat ne doit en aucun cas devenir la norme. Son utilisation doit rester circonscrite à des domaines spécifiques et clairement identifiés.
Nous serons aussi attentifs à l’éventuelle mise en place d’un barème obligatoire pour le calcul des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les syndicats de magistrats s’en inquiètent : selon eux, elle empiéterait sur le pouvoir d’appréciation des juges et déséquilibrerait le rapport de force entre employeurs et salariés. Par ailleurs, la réforme votée en 2015 créant un barème indicatif commence juste à entrer en vigueur : pourquoi ne pas procéder à une évaluation de cette mesure avant de se précipiter pour mettre en place un barème impératif ?
Enfin, nous sommes très attachés au compte personnel de prévention de la pénibilité. Madame la ministre, les propos que vous avez tenus lors de votre intervention liminaire nous ont quelque peu rassurés. Vous en avez appelé au pragmatisme et avez indiqué vouloir faire en sorte que le dispositif entre dans la réalité, afin que l’on n’en reste pas au stade des intentions.
Le texte que nous examinons aujourd’hui n’est toutefois pas exactement le même que celui qui est issu des travaux de l’Assemblée nationale. Nos collègues de la droite sénatoriale se sont chargés de le « personnaliser » en commission des affaires sociales… Par les modifications apportées, ils l’ont d’ores et déjà déséquilibré, en le durcissant. Ils ont explicitement ouvert la voie, à l’alinéa 13 de l’article 1er, au référendum d’entreprise sur l’initiative de l’employeur. Cela permettrait à ce dernier de court-circuiter les organisations représentatives du personnel et lui conférerait une marge de manœuvre bien trop importante, compte tenu de la relation de subordination existant entre lui et les salariés.
Les modifications apportées à l’article 3 ne nous conviennent guère plus. Nous ne souhaitons pas la réduction de moitié du délai de contestation d’un licenciement économique, qui est aujourd’hui d’un an. Nous n’approuvons pas davantage l’introduction de la possibilité, pour les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, de « conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel ». Accorder un droit à l’erreur à l’employeur en matière de rédaction des lettres de licenciement ne nous paraît pas non plus nécessaire.
Nous ne souscrivons pas davantage, à ce stade de la procédure législative, à la limitation à trois du nombre de mandats consécutifs pour les membres de la future « instance unique » de représentation des salariés.
Mes chers collègues, nous devrons patienter jusqu’à la discussion des textes de ratification des ordonnances pour débattre sur le fond. C’est à ce moment-là seulement que nous pourrons examiner des mesures concrètes.
En attendant, nous considérons que le texte adopté par la commission des affaires sociales du Sénat a été déséquilibré par la majorité sénatoriale : elle a donné au cadre que constitue cette loi d’habilitation la forme d’un trapèze penchant vers les intérêts du patronat et la flexibilité sans restriction. Nous nous y opposons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Ce texte comporte neuf articles, dont nous allons débattre au long de cette semaine.
La France, qui compte 5,864 millions de demandeurs d’emploi, ne parvient pas à enrayer le fléau du chômage, et que nous soyons amenés à « plancher » sur ce volet économique et social dès cette session extraordinaire constitue un bon signal.
Je déplore cependant, comme un certain nombre de mes collègues, les conditions d’examen de ce texte : des délais très contraints, une concertation avec les partenaires sociaux qui n’est pas terminée et le recours aux ordonnances, couvrant un champ immense.
Pour autant, en tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je me réjouis de l’orientation générale de ce texte, car nos entreprises devraient pouvoir gagner en simplification, et donc en compétitivité. L’emploi devrait, par voie de conséquence, en bénéficier.
Comme vous le savez, selon le critère du poids de la réglementation, le Forum économique mondial classe la France au 115e rang sur 138 pays. À cette surréglementation s’ajoutent l’instabilité du droit et l’insécurité juridique permanente due à la prolifération de règlements complexes, non différenciés en fonction de la taille de l’entreprise.
Dans ces conditions, si les objectifs du Gouvernement sont de redonner du sens au dialogue social, de rationaliser les institutions représentatives du personnel, de libérer l’embauche, nous ne pouvons que nous en féliciter !
Pour autant, si notre ambition est de promouvoir une société du travail, d’instaurer un climat de confiance avec les chefs d’entreprise pour créer des conditions favorables à l’embauche, nous devons aller plus loin. C’est pourquoi je tiens à saluer le travail effectué en commission des affaires sociales par Alain Milon et l’ensemble de mes collègues. Il prend en compte les spécificités des entreprises, en particulier celles des petites et très petites entreprises, et simplifie le droit du travail, au profit des salariés et des employeurs.
Il faut dire que la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a encore complexifié la législation, notamment pour les TPE-PME. Le droit actuel ne leur permet pas de s’adapter à la réalité des situations économiques, par exemple en zone de montagne, où elle se caractérise par le recours à l’emploi saisonnier.
L’article 1er doit permettre de sauvegarder le rôle essentiel de la branche professionnelle et de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel. J’estime qu’il ne faut pas accélérer la généralisation des accords majoritaires en cas de licenciements.
Tout ce qui va dans le sens de la rationalisation est bienvenu, et je suis favorable, à l’article 2, à la simplification des instances de représentation du personnel, avec la mise en place d’une instance unique, compétente en matière de négociation des accords d’entreprise.
Bien sûr, la sécurisation juridique des procédures de licenciement doit être mieux appréciée et les délais de contestation, comme les critères d’appréciation, doivent être davantage précisés à l’article 3.
S’agissant du compte personnel de prévention de la pénibilité, sa mise en œuvre sur le terrain a été un véritable échec et je suis favorable à sa transformation, comme proposé à l’article 5, en compte personnel de prévention, moins contraignant pour l’employeur, mais tout aussi favorable à l’employé.
Je voudrais m’exprimer plus en détail sur l’article 9, qui vise à reporter au 1er janvier 2019 le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. En effet, même si ce report est déjà une bonne chose, qu’il me soit permis de vous sensibiliser sur l’impact d’une telle mesure pour les entreprises.
Le 28 juin dernier, dans le cadre de la délégation sénatoriale aux entreprises, une étude d’impact réalisée par le cabinet Taj nous a été présentée. Outre la complexité des mécanismes du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, deux aspects importants ont été relevés : le coût que représente cette mesure pour les entreprises et le ressenti des employés et des employeurs.
Le coût administratif de la collecte, supporté par les seules entreprises, a été estimé à 1,2 milliard d’euros l’année de la mise en place du prélèvement à la source. Quant au coût récurrent, il est évalué à 100 millions d’euros par an. Cette réforme touchera en priorité les TPE, à hauteur de 70 %, puisqu’elles sont aujourd’hui en France au nombre de 1,6 million.
La réforme prévoit que les très petites entreprises, comptant moins de 10 salariés, pourront conserver pendant trois mois l’impôt dans leur trésorerie. Or cette mesure ne représente aucun gain financier pour les entreprises, eu égard au taux d’intérêt bancaire moyen.
Je me réjouis donc de l’adoption d’un amendement de notre collègue Albéric de Montgolfier instituant un prélèvement contemporain de l’impôt, fondé sur la transmission instantanée par les entreprises des informations sur les salaires, ce prélèvement étant effectué non plus par les entreprises, mais bien par l’administration fiscale.
En ce qui concerne les effets psychologiques de cette mesure, ils sont bien réels, même s’ils sont difficilement quantifiables, et leur impact pourrait dégrader le climat social au sein des entreprises, le salarié pouvant légitimement considérer que son employeur s’immisce dans sa vie privée.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce texte est loin d’être neutre. Il implique des changements importants en termes de rénovation de notre modèle social, des changements profonds du côté tant des employeurs que des employés. Pour échanger régulièrement avec les uns comme avec les autres, je sais que l’ensemble des acteurs, sur le terrain, sont prêts à se saisir de ces nouvelles opportunités.
Pour toutes ces raisons, je suis plutôt favorable à ce projet de loi, mais je serai très attentive aux différents amendements qui seront examinés en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault.
Monsieur le doyen du Sénat, puisqu’il s’agit là de votre dernière intervention en séance publique, je ferai exceptionnellement preuve d’indulgence si, d’aventure, vous deviez légèrement dépasser votre temps de parole… (Sourires.)
M. Serge Dassault. Ne craignez rien, madame la présidente !
Avant d’être sénateur, j’ai été président de la société Dassault Aviation et j’ai dû, à ce titre, gérer directement plusieurs conflits sociaux. J’ai compris que le dialogue social ne devait pas être réservé aux seuls syndicats, mais être aussi ouvert aux salariés.
En effet, les syndicats, sous prétexte de défendre les salariés, ne se préoccupent jamais de l’avenir des entreprises. Certaines ont fait faillite faute d’avoir pu licencier le personnel surabondant qu’elles ne pouvaient plus payer. Les salariés ont intérêt à ce que leur entreprise aille bien et, quand elle ne va pas bien, ils ont intérêt à l’aider à aller mieux, ce dont les syndicats ne se soucient pas.
Mme Laurence Cohen. Quelle caricature !
M. Serge Dassault. Le facteur clé pour réduire le chômage est la flexibilité de l’emploi, et non les emplois aidés ou les primes d’activité, qui coûtent des milliards pour rien.
Pour sa part, l’Allemagne multiplie les embauches par le biais des contrats d’intérim en s’inspirant des contrats à durée déterminée reconductibles, des contrats de chantier ou de mission, qui lui ont permis de faire passer son taux de chômage de 10 % à 5 % en créant 2,5 millions d’emplois, pendant que nous en restions à 10 % de chômeurs avec nos CDI irrévocables…
C’est pourquoi je suis très heureux de voir que certaines de ces mesures figurent dans le présent projet de loi d’habilitation.
Permettez-moi cependant, madame la ministre, de vous mettre en garde contre d’éventuels désordres et manifestations de rue, comme nous en avons connu lors de l’examen de la loi El Khomri. Il faudra bien expliquer à l’opinion et aux salariés que la précarité est le fondement même de l’emploi. Rien n’est éternel : la vie, la santé, les mandats électoraux et l’emploi sont précaires. Seuls les emplois de fonctionnaire ne le sont pas, mais ils sont payés par l’État, qui a des moyens que les entreprises n’ont pas. (M. Philippe Mouiller rit.)
Que les syndicats cessent de croire que les chefs d’entreprise veulent licencier leur personnel sans raison. C’est stupide ! Cela n’existe pas : au contraire, tous les chefs d’entreprise ne rêvent que d’embaucher et de développer leur activité.
Madame la ministre, j’espère que vous pourrez convaincre, par une large campagne d’information, tous les salariés et les jeunes de ne pas suivre les éventuelles consignes de grève des syndicats, car cela les conduirait au chômage.
Car il s’agit bien de cela, pour les jeunes : manifester contre la précarité, ce serait manifester pour qu’ils ne trouvent aucun emploi et qu’ils restent au chômage.
Madame la ministre, je regrette par ailleurs que, dans le champ des ordonnances à venir, ne figure pas la nécessaire mise en place d’une véritable participation aux bénéfices pour tous les salariés, à l’instar de ce qu’avait voulu le général de Gaulle en 1967 avec l’association du capital et du travail.
Permettez-moi de retracer brièvement mon expérience personnelle dans ce domaine.
Quand j’ai pris le contrôle de Dassault Aviation, en 1986, il n’y avait pas assez de commandes et les caisses étaient vides. J’ai réuni le personnel – et pas les syndicats – et lui ai dit que, pour préparer l’avenir, il fallait que je dispose de moyens suffisants pour étudier et construire de nouveaux prototypes. Dans cette perspective, je leur ai annoncé que, pendant trois ans, je serais obligé de n’accorder aucune augmentation de salaire et ne distribuerais aucun dividende, mais que, quand je disposerais des moyens nécessaires, ils auraient une part substantielle des bénéfices. Ils ont accepté et j’ai tenu parole.
Au bout de trois ans, j’ai mis en place un accord de participation dérogatoire qui a permis que, après autofinancement, le bénéfice distribuable soit divisé en deux parts égales : une pour les actionnaires, l’autre pour les salariés. C’est ainsi que, depuis quelques années, les salariés reçoivent trois mois de salaire comme prime de participation, ce qui leur fait seize mois de salaire au total.
C’est la véritable égalité capital-travail dont rêvait le général de Gaulle, avec partage égal de l’enrichissement de l’entreprise entre les actionnaires et les salariés. Cela plaît tellement aux salariés qu’un délégué CGT m’a un jour tenu les propos suivants : « Ce qui est bien dans votre système, c’est que nous ne travaillons plus uniquement pour le patron, mais aussi pour nous. » Voilà la solution à la lutte des classes : travailler pour le bien commun dans la paix sociale. Je n’entends plus le slogan : « Dassault peut payer ! » Dassault ne peut rien payer du tout : les salariés l’ont compris et ils constatent que ce système marche.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, c’est la dernière fois, malheureusement, que je m’exprime dans cet hémicycle, car je ne me représenterai pas en septembre, à mon grand regret. En guise de dernier message, permettez-moi de vous rappeler qu’il faut tout faire pour annuler nos divisions gauche-droite, qui nuisent à notre développement économique et à notre paix sociale. Elles n’existent plus dans de nombreux pays et elles ne mènent à rien. N’oubliez pas, mes chers collègues, qu’il n’y a pas un peuple de gauche et un peuple de droite, mais un peuple de France, qui doit pouvoir travailler pour le bien de tous.
Le président Emmanuel Macron a dit qu’il n’était ni de gauche ni de droite ; il a raison, c’est la bonne voie. « La bonne politique n’est ni de gauche ni de droite, c’est celle qui marche », a dit Tony Blair, qui a sauvé l’Angleterre de la récession.
Mes chers collègues, permettez-moi de former un dernier vœu : travaillez tous ensemble pour que cela marche. Au revoir, et amitiés à tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe La République en marche et du RDSE. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)
Mme la présidente. Je constate, mon cher collègue, que, pour une fois, vous n’avez pas dépassé votre temps de parole, alors même que je vous avais annoncé être disposée à faire preuve d’indulgence ! (Sourires.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sans revenir sur tous les points importants qui ont été évoqués – j’aurai l’occasion de le faire dans le détail au cours des prochains jours –, j’axerai mon propos sur deux éléments d’ordre général.
Premièrement, en ce qui concerne la méthode, le choix de recourir aux ordonnances, d’articuler démocratie sociale et démocratie parlementaire avait été annoncé dès la campagne présidentielle,…
M. Martial Bourquin. Ce n’est pas une raison !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. … ainsi que le contenu principal de cette réforme du code du travail. Personne n’a donc été pris par surprise.
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, il est extrêmement important que nous profitions du redémarrage de la croissance pour accélérer les effets de celle-ci sur l’emploi. C’est là notre responsabilité collective, confirmée par les résultats des élections présidentielle et législatives.
Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas eu de majorité !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. La possibilité de légiférer par ordonnances est inscrite dans la Constitution, même si ce n’est pas la pratique la plus fréquente. Un certain nombre de textes fondamentaux ont d’ailleurs été adoptés par voie d’ordonnances : deux des cinq lois Auroux et, dans un tout autre domaine, les textes accordant le droit de vote aux femmes et portant création de la sécurité sociale. Le recours aux ordonnances ne doit pas devenir un mode de fonctionnement normal et permanent, mais il est urgent de montrer à nos concitoyens, qui attendent un tel signal, qu’autre chose est possible dans ce pays, qu’un dialogue social et économique construit, positif permet de faire bouger les lignes, de libérer les entreprises, de leur donner confiance tout en protégeant les salariés.
Comment articuler les différentes formes de démocratie ?
En matière de démocratie sociale, les huit organisations représentatives des employeurs et des salariés ont été reçues par le Président de la République, avant de l’être par le Premier ministre et moi-même. Depuis le 9 juin, nous travaillons continûment et de façon approfondie avec les partenaires sociaux sur la teneur des ordonnances à venir. Nous avons organisé quarante-huit réunions, la dernière ayant eu lieu vendredi. Pour autant, la concertation n’est pas terminée. Dans le cadre du mandat que vous nous confierez, nous rédigerons des projets d’ordonnance avant de revenir vers les partenaires sociaux à la fin du mois d’août pour les leur présenter. Ensuite, nous consulterons les cinq organisations représentatives de salariés, ainsi que les syndicats patronaux. En parallèle, les projets d’ordonnance seront soumis au Conseil d’État. La concertation se poursuivra donc tout l’été.
Le président Larcher, quand il était ministre chargé de l’emploi et du travail, avait fait inscrire cette phase de concertation préalable avec les partenaires sociaux à l’article 1er du code du travail. Nous respectons complètement l’articulation entre démocratie sociale et démocratie parlementaire : les partenaires sociaux le reconnaissent, y compris ceux qui ne sont pas forcément d’accord sur le fond avec ce que nous envisageons.
En matière de démocratie parlementaire, sur 335 amendements examinés en première lecture par l’Assemblée nationale, 35 d’origine parlementaire, dont 5 émanant du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ont été adoptés. Nous avons donc accueilli favorablement, sans esprit partisan, des amendements issus de tous les bancs, selon une approche pragmatique. En revanche, nous nous opposons à l’inscription dans la loi d’habilitation ou dans les ordonnances de dispositions destinées à faire plaisir à tel ou untel, mais dont nous savons par expérience qu’elles ne fonctionneraient pas sur le terrain.
Notre fil rouge, c’est donc le pragmatisme, notamment pour ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, car si nous avons construit notre modèle social à une époque où l’emploi industriel dans les très grandes entreprises prédominait, tel n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Si l’on veut répondre aux attentes des entreprises comme des salariés, il faut s’inscrire dans le monde d’aujourd’hui et de demain, en prenant en compte, en particulier, la situation des entreprises de petite ou moyenne taille.
Le Sénat, plus que l’Assemblée nationale, dont beaucoup de membres sont nouvellement élus, connaît très bien ces sujets, sur lesquels il a beaucoup travaillé au cours des dernières années. Je compte donc sur vos avis et sur vos conseils. Nous pourrons aller loin dans la discussion et parvenir, je le pense, à une véritable coconstruction.
Le recours aux ordonnances est une forme un peu inédite d’articulation entre démocratie sociale et démocratie parlementaire, dans la mesure où l’une et l’autre interviennent non pas successivement, mais simultanément, ce qui peut, je le comprends, soulever des interrogations. Toujours est-il que le premier tour de concertation est achevé, ce qui me permettra d’exposer en séance plénière au Sénat plus précisément que je ne pouvais le faire voilà trois semaines quelles sont nos intentions et quels problèmes subsistent. Cela pourra alimenter vos débats et déterminer votre vote, que j’espère évidemment encourageant pour notre projet !
J’en viens à mon second point d’ordre général : l’articulation entre la loi, la branche et l’entreprise.
La loi fixe les dispositions d’ordre public. Il est important de le rappeler, car certains, en d’autres lieux, ont parlé d’inversion de la hiérarchie des normes. Or la loi s’impose à tous. Pour autant, a-t-elle vocation à régir dans le détail le quotidien de chaque entreprise ? Là est l’enjeu, et c’est pourquoi ce projet de loi est aussi un texte de décentralisation et de renforcement du dialogue social à l’échelon des entreprises.
Comme l’ont dit certains d’entre vous, cela signifie qu’il faut faire confiance aux acteurs. Si l’on croit que ni les employeurs, ni les organisations syndicales, ni les représentants élus du personnel ne sont aptes à discuter de ce qui les concerne, alors il ne faut pas voter ce projet de loi d’habilitation. Si l’on considère au contraire que faire confiance aux acteurs favorisera le progrès économique et social – sachant que, selon les sujets, le niveau le plus pertinent peut être soit la branche, soit l’entreprise –, on s’inscrit dans une démarche de changement culturel.
Notre rôle est à mon sens d’encourager le dialogue au sein de l’entreprise, de lui conférer davantage de matière. Cela permettra à la fois de saisir les opportunités de développement économique et de renforcer le dialogue social, et donc le progrès social.
Nous avons veillé à ne pas présenter un catalogue de mesures, car nous pensons que la question de fond est de savoir si l’on fait confiance aux acteurs économiques et sociaux pour saisir les opportunités de croissance et faire progresser la convergence économique et sociale. J’espère que le Sénat soutiendra cette démarche.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez abordé bien d’autres sujets : fusion des instances représentatives du personnel, petites entreprises, pénibilité, place du dialogue social dans la définition des orientations stratégiques, formation, parcours syndicaux, sécurisation des parcours professionnels, sécurisation juridique de différents éléments, relations entre l’administration et l’employeur, etc. Je reviendrai sur tous ces points au fil des débats.
Pour conclure, je m’adresserai en particulier à M. Dassault. L’intéressement-participation est effectivement l’une des réussites de ces dernières décennies, qui prouve que performance économique et justice sociale peuvent aller de pair. L’esprit de l’intéressement-participation rejoint tout à fait celui du dialogue social et économique, que nous souhaitons renforcer, avec votre contribution et votre soutien, au bénéfice des entreprises, des salariés et de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains. –MM. Guillaume Arnell et Éric Jeansannetas applaudissent également.)
M. Alain Milon, rapporteur. Madame la présidente, en application de l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, la commission demande l’examen en priorité de l’article 9 et de l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 9 lorsque nous reprendrons la discussion du texte, demain après-midi, à quatorze heures trente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie par la commission d’une demande de priorité portant sur l’article 9 et l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 9.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est donc l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?
Mme la présidente. La priorité est ordonnée.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 25 juillet 2017 :
À neuf heures trente : vingt-six questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 637, 2016-2017) ;
Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 663, 2016-2017) ;
Texte de la commission (n° 664, 2016-2017) ;
Avis de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 642, 2016-2017).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD