M. le président. L’amendement n° 234 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin et Collombat, Mme Costes, M. Guérini et Mme Jouve, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« – les délits prévus aux articles 222-7 à 222-16-3, 222-33, 222-33-2 à 222-33-2-2 et 223-13 du présent code.
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Il me semble que les dispositions de mon amendement vont encore plus loin que celles qui sont proposées par Mme Rossignol, mais le principe en est identique.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 1er du projet de loi réserve le nouveau régime de peines complémentaires d’inéligibilité aux crimes, ainsi qu’à une liste de délits. Or le problème des listes, c’est qu’elles sont rarement exhaustives. S’agissant des infractions susceptibles d’entraîner ces nouvelles peines d’inéligibilité, on peut s’étonner que les rédacteurs de l’article aient considéré que les délits financiers justifient un traitement spécial, mais oublié les atteintes aux personnes.
Il serait curieux de supposer que les Français n’entendent pas être représentés par des individus de petite probité, mais qu’ils acceptent de l’être par des personnes condamnées pour violences, harcèlement sexuel ou moral ou provocation au suicide !
De mon point de vue, partagé, je le crois, par nombre de nos concitoyens, le comportement des élus doit être irréprochable sur le plan financier, mais aussi dans leur rapport aux autres. C’est pourquoi je propose d’étendre les nouvelles peines aux cas d’atteinte aux personnes que j’ai mentionnés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Les deux amendements sont fort bien inspirés.
J’émets un avis favorable sur l’amendement n° 108 rectifié, qui a le mérite de la concision et de la clarté. Le vôtre, madame Laborde, n’est pas moins excellent, mais l’essentiel de ses objectifs sont satisfaits par celui de Mme Rossignol, au profit duquel je vous suggère donc de le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame Rossignol, madame Laborde, le sujet que vous soulevez est évidemment de première importance, et le Gouvernement y est très attentif. Avec ma collègue Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, j’ai d’ailleurs entrepris de travailler pour répondre à cette préoccupation. Nous espérons pouvoir avancer sur ce sujet dans un délai extrêmement bref.
Nous sommes cependant soucieuses des difficultés juridiques que pourrait soulever l’adoption de vos amendements dans leurs rédactions actuelles. Nous devons en effet être cohérents et respectueux de la Constitution, comme vous l’êtes – je n’ai évidemment aucun doute à cet égard.
Vous proposez d’étendre le mécanisme de peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux délits de harcèlement sexuel ou moral, et non à l’ensemble des faits de violence ou d’agression sexuelle. Les objets de vos amendements peuvent du reste entraîner une légère confusion à ce sujet. Or l’extension de la liste des infractions permettant le prononcé de cette peine obligatoire est délicate et ne doit pas nuire à la cohérence du dispositif, si l’on souhaite s’assurer de la proportionnalité de celui-ci, qui est une exigence constitutionnelle.
Le dispositif prévu vise les infractions en matière de probité, selon une acception déjà très large, ainsi que les infractions les plus graves, c’est-à-dire les crimes. L’élargissement de la liste des infractions concernées ne doit pas, de mon point de vue, susciter une extension difficilement contrôlable de celle-ci.
Or l’ajout à cette liste du délit de harcèlement conduirait nécessairement à envisager celui d’autres infractions visant à protéger des valeurs sociales similaires, en particulier de toutes les formes d’agression sexuelle, voire de l’ensemble des violences.
Le caractère limitatif du champ expressément retenu par le projet de loi permet de s’assurer du principe de nécessité des peines garanti par l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Dans ces conditions, il me paraît nécessaire de s’en tenir, pour le moment, à la liste initialement établie, tout en continuant à travailler pour déterminer une liste d’infractions à la fois cohérente et pertinente. Soyez assurées, madame Rossignol, madame Laborde, que Mme Schiappa et moi-même sommes très attentives, au nom du Gouvernement, à la question que vous soulevez, et que nous pensons pouvoir y apporter des réponses rapidement.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je me réjouis, madame la garde des sceaux, que votre collègue secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et vous-même soyez préoccupées par le harcèlement, dont le plus souvent les femmes sont les victimes.
Vous nous opposez la réticence qu’a souvent la Chancellerie à l’égard des listes. Cette réticence, madame la garde des sceaux, je la connais bien, pour avoir moi-même souvent dû composer avec elle…
Je constate que le bloc d’infractions en matière de probité retenu par le projet de loi comprend une longue liste de délits dont je vous épargne l’énumération. Dans le domaine de la probité, la Chancellerie a donc été capable de surmonter sa réticence pour établir une liste.
Je considère pour ma part que les faits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel, surtout quand ils sont ou ont été commis dans le cadre de fonctions publiques, ne sont pas dissociables des atteintes à la probité. Il n’est pas moins grave de harceler moralement ou sexuellement ses employés que de se rendre coupable de corruption ou d’établir un faux ! (Mme Éliane Assassi approuve.)
Par ailleurs, il convient d’envoyer à l’ensemble de la société française un signal important : décider que les élus s’appliquent à eux-mêmes des exigences qui sont, je vous le concède, élevées, c’est dire à tous, en particulier à toutes les femmes qui subissent un rapport hiérarchique intrusif, envahissant, que celles-ci sont protégées par l’exigence de moralité des élus.
Je regrette donc vivement, madame la garde des sceaux, votre position à l’égard de mon amendement, que, bien entendu, je maintiens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour explication de vote.
Mme Françoise Cartron. Pour appuyer la position de Laurence Rossignol, je tiens à témoigner du travail très important accompli au Sénat depuis maintenant plus d’une année, à la suite de faits malheureux qui se sont produits dans une autre assemblée et qui ont suscité un profond émoi parmi les collaboratrices et collaborateurs parlementaires autour des problèmes de harcèlement moral ou sexuel. Depuis un an, nous parlons de ces problèmes et nous travaillons à un code de déontologie, qui sera distribué aux nouveaux sénateurs.
Je ne comprends pas que, dans un projet de loi destiné à redonner confiance dans l’action publique et les élus, on n’accorde pas toute l’importance qu’elles méritent à des infractions fondamentales pour toutes celles et tous ceux qui, travaillant avec des élus, se trouvent par rapport à eux, en quelque sorte, dans une position de soumission.
Mes chers collègues, votons l’amendement n° 108 rectifié : ce sera un signe fort donné à toutes les collaboratrices et tous les collaborateurs d’élus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux et M. Joël Labbé applaudissent également.)
Mme Maryvonne Blondin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La proposition de Mme Rossignol vise à poursuivre le travail entrepris depuis plusieurs années, notamment par la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, pour la reconnaissance des atteintes que peuvent subir les femmes dans le cadre d’un rapport hiérarchique, à plus forte raison lorsqu’elles sont collaboratrices d’élu.
Je suis donc assez stupéfaite que l’on nous oppose une fois de plus l’argument de la liste, régulièrement servi quand nous parlons de faire progresser la protection due aux femmes, car ce sont souvent les femmes qui sont victimes de ces atteintes. Je souscris à l’argumentaire de Mme Cartron et je voterai donc avec chaleur et enthousiasme l’amendement de Mme Rossignol ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Les hommes aussi peuvent prendre la parole !
Mme Nathalie Goulet. Je voterai cet amendement, avec mes collègues, car il s’agit d’un signal fort.
De surcroît, M. le rapporteur a été suffisamment difficile pendant tout le travail en commission pour que, lorsqu’une fois il émet un avis favorable sur un amendement, nous ne le découragions pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste – Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. J’ai prévenu précédemment que je ne retirerais pas tous mes amendements, mais je veux bien retirer l’amendement n° 234 rectifié au bénéfice de celui de Laurence Rossignol, qui me paraît recueillir un large soutien. Il serait dommage que les voix s’éparpillent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je remercie l’ensemble des sénatrices qui ont pris la parole.
L’objectif que vous défendez, nous y souscrivons pleinement. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Je vous demande de me laisser poursuivre ! Je n’ai d’autre souci que de sécuriser le texte sur le plan juridique et d’assurer sa cohérence. (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. L’Assemblée nationale fera les rectifications nécessaires, au besoin !
M. Alain Bertrand. Ce n’est pas le Conseil constitutionnel qui fait la loi !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Non, mais je pense que nous devons veiller à ce que l’écriture de nos textes soit le plus possible conforme à la Constitution.
Le sujet que vous avez soulevé, mesdames les sénatrices, je souhaite y revenir, y travailler, y réfléchir. En effet, je ne voudrais pas que, après avoir proposé un dispositif, nous soyons finalement déçus. Je maintiens donc mon avis défavorable. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 108 rectifié.
(L'amendement est adopté.) – (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du RDSE et du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. L’amendement n° 233 rectifié quater, présenté par MM. Collombat, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli et Collin, Mme Costes, M. Guérini, Mme Jouve et M. Requier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« – les délits prévus aux articles 313-1 et 313-2 du code pénal, lorsqu'ils sont commis en bande organisée ;
« – les délits d'association de malfaiteurs prévus à l'article 450-1, lorsqu'ils ont pour objet la préparation des délits mentionnés au troisième alinéa du présent article ;
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous allons changer de sujet. Quand je considère le libellé de l’article 1er, je vois tout de même une liste… Le problème, c’est qu’elle comporte des trous, y compris dans le domaine qu’elle est censée traiter, celui des atteintes à la probité !
Des trous, il y en a notamment en matière de délits financiers.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est, naturellement, un hasard… (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Bien entendu !
M. Pierre-Yves Collombat. À la liste des délits susceptibles d’entraîner l’inéligibilité, je propose d’ajouter, au moins, les délits d’association de malfaiteurs et les infractions de grande délinquance économique et financière, délits qui, avouez-le, ne sont pas mineurs.
J’aurais souhaité que l’on puisse intégrer aussi les délits prévus à l’article 704 du code de procédure pénale, mais j’ai été convaincu que cela devenait vraiment très compliqué – tout ce qui est financier est toujours très compliqué… Aussi m’en tiendrai-je là.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Contrairement à ce que Mme Goulet a prétendu il y a quelques instants, la commission des lois a émis un avis favorable sur de nombreux amendements présentés par nos collègues, qui ont réalisé un travail remarquable.
Ainsi, une fois parmi beaucoup d’autres, j’invite le Sénat à adopter cet amendement, en remerciant M. Collombat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C’est un avis défavorable que je vais émettre au nom du Gouvernement. (Exclamations.) Cette fois encore, il s’agit de la cohérence du dispositif que nous proposons, à laquelle pourrait nuire un élargissement important de la liste des infractions.
Par ailleurs, monsieur Collombat, votre amendement ne nous paraît pas complètement satisfaisant du point de vue de sa rédaction, dans la mesure où le code pénal ne connaît que des infractions d’escroquerie et d’abus de confiance, sans distinguer parmi elles celles qui portent sur la TVA.
Mme Éliane Assassi. L’amendement a été rectifié une quatrième fois, madame la garde des sceaux !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne résiste pas à la tentation de souligner cette attention toute particulière du Gouvernement pour la délinquance financière.
Par ailleurs, si la chose n’était pas devenue habituelle, je m’étonnerais de voir que la cohérence et la beauté des textes l’emportent sur le fait de sanctionner ou non tel ou tel type de délits… Je me doutais déjà que nous ne servions pas à grand-chose, mais, excusez-moi, si l’on ne peut pas prendre en compte ce type de délits, je ne vois vraiment pas à quoi nous servons !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Madame la garde des sceaux, votre réponse portait sur la version antérieure de l’amendement de M. Collombat, qui a été rectifié pour ne plus viser que l’escroquerie en bande organisée. Je me demande si votre objection ne tombe pas compte tenu de l’effort de précision accompli par notre collègue.
Il s’agit tout simplement de considérer que les délits entachant la probité dans la gestion des deniers publics ne sont pas plus graves que la grande délinquance financière. Notre collègue a raison de souligner que, si l’on est disqualifié parce que l’on a mal géré les deniers publics, on doit l’être aussi quand on s’est rendu coupable de délinquance en matière de deniers privés.
M. le président. L'amendement n° 88, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« – les délits prévus aux articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce ;
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. La période politique que nous venons de traverser a mis en lumière la méfiance des citoyens envers certaines pratiques des élus politiques. Ce projet de loi est donc tout à fait bienvenu et nécessaire.
L’article 1er aborde une question centrale pour notre démocratie, celle de la probité des élus. Nous sommes attachés au principe de leur irréprochabilité.
Que ce soit dans le cadre de leur mandat ou dans leur vie professionnelle, certains élus peuvent se trouver en situation d’abus de biens sociaux. Ce délit se caractérise par le fait, pour les gérants, le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. Il constitue un délit d’appropriation illégitime, voisin de l’abus de confiance.
Ainsi, l’abus de biens sociaux est à l’exact opposé de la mission de l’élu. Il représente un manquement grave aux responsabilités dont il a la charge. Comment un édile coupable d’un tel délit pourrait-il garder la responsabilité de gestionnaire ou de législateur que nos concitoyens lui ont confiée ?
Notre amendement vise à ajouter le délit d’abus de biens sociaux, prévu aux articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce, à la liste des délits pour lesquels une peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoirement prononcée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je remercie nos collègues pour l’excellence de leur travail. Une fois de plus, la commission émettra un avis favorable, mais je vous préviens que ce ne sera pas toujours le cas ! (Exclamations et rires sur plusieurs travées.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Ce ne sera pas tout le temps le cas ! (Sourires.)
Je tiendrai le même raisonnement que précédemment : le Gouvernement a choisi d’adopter une liste déjà très large d’infractions ; si nous y ajoutions un certain nombre de nouvelles infractions – dont chacune d’entre elles peut avoir sa propre logique –, la question se poserait de la cohérence d’ensemble du dispositif. (Murmures sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.) J’ajoute qu’une autre question se poserait : jusqu’où aller et quand s’arrêter ? (M. André Reichardt s’exclame.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 432-12 du code pénal, les mots : « un intérêt quelconque » sont remplacés par les mots : « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ».
M. le président. L'amendement n° 205, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je propose un amendement visant à la suppression de l’article 1er bis qui modifie le délit de prise illégale d’intérêts.
La commission des lois du Sénat a adopté un amendement tendant à modifier la définition du délit de prise illégale d’intérêts, au motif que la jurisprudence retiendrait une acception trop imprécise de la notion d’intérêt, permettant notamment de sanctionner la prise d’un intérêt moral, voire une simple erreur de forme. Il en résulterait pour les élus locaux une forte exposition à un risque de condamnation pénale pour des manquements purement formels.
Le Gouvernement conteste une telle analyse et souhaite maintenir ce texte dans sa rédaction actuelle.
La prise illégale d’intérêts vise à s’assurer que le jugement des décideurs publics ne soit pas altéré par un autre intérêt que l’intérêt général, d’une part, et que ces décideurs ne puissent pas être suspectés de complaisance dans l’exercice de leurs prérogatives, d’autre part.
Cela permet ainsi de sanctionner des personnes dépositaires de l’autorité publique qui interviennent dans des décisions intéressant directement leurs proches.
La rédaction actuelle du code pénal permet, par exemple, de sanctionner la décision prise par un élu d’attribuer un immeuble appartenant à la commune au prix du marché à un membre de sa famille, dans l’hypothèse où l’élu aurait écarté d’autres candidats. Dans une telle situation, la collectivité locale ne subit aucun préjudice, bien que l’opération implique un manque d’impartialité de la part du décideur.
À l’inverse, la rédaction résultant de l’amendement aurait pour conséquence de dépénaliser toutes les situations dans lesquelles l'intérêt de l'élu, lorsqu'il participe à la décision, rejoint l'intérêt de la collectivité, alors que ces situations peuvent mettre en cause la probité de l’élu et favoriser des approches de type clientéliste.
Il convient enfin de souligner que les juridictions font une application particulièrement limitée de ces dispositions, dans la mesure où le nombre de condamnations annuelles pour des faits de prise illégale d'intérêts oscille autour d’une quarantaine de cas. Une modification de l’incrimination n’aurait donc d’autre effet que de faire diminuer encore davantage le nombre de ces condamnations.
C’est pourquoi l’article 1er bis doit être supprimé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Madame la garde des sceaux, je suis navré de devoir émettre un avis défavorable sur cet amendement.
En effet, comme vous le savez, la Constitution fait du Sénat le représentant des collectivités territoriales de la République. Or nous avons malheureusement constaté des excès de sévérité dans la condamnation d’élus dont les comportements ne portaient pourtant nullement atteinte ni à la probité ni même à l’objectivité, mais qui avaient pris part à des délibérations accordant des subventions à des associations auxquelles ils appartenaient, d’ailleurs souvent à la demande de la collectivité elle-même !
La notion d’« intérêt quelconque » pris par un élu à l’occasion des délibérations d’une collectivité est absolument floue. Le mot « quelconque » l’indique suffisamment.
Avec l’article 1er bis, la commission a cherché le meilleur équilibre, afin de ne punir que les faits qui sont réellement contraires à la probité. C’est notre collègue Pierre-Yves Collombat qui a suggéré cette rédaction équilibrée consistant à définir l’intérêt qui caractérise la prise illégale d’intérêts comme « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ».
En conservant l’article 1er bis, on adopterait une définition qui reste très large et qui offre suffisamment de garanties contre des décisions qui présumeraient d’un manque de probité de leur auteur, sans pour autant courir le risque de voir la Cour de cassation se croire obligée, en raison du flou de la rédaction adoptée par le législateur, de confirmer des condamnations qui ne sont véritablement pas justifiées. Faisons entrer un peu de pragmatisme et de bon sens dans les règles relatives à la prise illégale d’intérêts, tout en restant sévères à l’égard de tout comportement qui porterait atteinte à la probité !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. L’article 432-12 du code pénal tel qu’il est rédigé – il y est question d’un « intérêt quelconque », donc y compris moral – aboutit à des situations absolument ubuesques.
Pour vous donner un exemple récent, qui date d’il y a deux mois, j’évoquerai l’exemple d’un collègue, maire d’une commune située dans mon département, à quelques kilomètres de chez moi, qui a été condamné, parce qu’il a participé à une délibération modifiant le plan d’occupation des sols de sa commune, plan qui comprenait un terrain lui appartenant. Pourtant, la modification de ce document n’a rien changé à la situation dudit terrain, et le plan d’occupation des sols avait été voté à une époque où il n’était lui-même pas élu. La délibération en cause n’a donc rien modifié à une situation dont il n’était par ailleurs pas responsable.
Dans beaucoup de cas, les juges se trouvent dans une telle situation qu’ils appliquent la jurisprudence – davantage que la loi d’ailleurs ! – en infligeant des peines qui reflètent l’exact contraire de ce qui aurait nécessité une condamnation.
En l’espèce, le maire dont je parlais a été condamné à une amende avec sursis. Je connais également des cas, assez nombreux, où les personnes sont condamnées mais sont dispensées de peines. Voilà où on en est !
On essaie de nous faire croire que l’article 1er bis tel qu’il est rédigé laisserait aux élus la liberté de faire n’importe quoi… Non ! La situation actuelle est absolument aberrante et ubuesque !
Nous réclamons donc une chose assez simple : il ne doit y avoir de délit qu’en cas de prise d’« intérêt personnel ». Le juge est assez perspicace pour déterminer où se dissimulerait un comportement qui mériterait d’être sanctionné.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis.
(L'article 1er bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er bis
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 41, présenté par Mme Assassi, M. Bocquet, Mme Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales, les mots : « Sous peine d'irrecevabilité », sont remplacés par les mots : « Hors les cas de connexité avec d'autres infractions faisant l'objet d'une procédure judiciaire ou de découverte incidente dans le cadre d'une procédure pénale, ».
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage ! Cet amendement vise en effet à supprimer le « verrou de Bercy ». Cela étant, à voir les quatre amendements déposés par des sénateurs de sensibilité très différente sur ce sujet, j’ai tout à fait confiance dans cette nouvelle bataille !
La constitution d’un parquet national financier doté d’un certain nombre de prérogatives a représenté une des avancées les plus significatives du droit au cours de ces dernières années. Instrument essentiel de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière, le parquet national financier demeure cependant confronté à un problème, celui qui est posé par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, qui fait de la commission des infractions fiscales – la CIF –, organisme placé auprès du ministre de l’économie et des finances, le « juge d’instruction » des affaires de fraude pouvant donner lieu à une transmission au pénal. C’est ce que l’on appelle familièrement le « verrou de Bercy ».
Il importe que cette exclusive à la nécessaire prolongation de l’investigation lancée dans le cadre d’autres contrôles ou enquêtes soit levée, afin que les administrations ou les services qui, dans leurs activités courantes, auraient repéré une situation constitutive d’une fraude fiscale avérée puissent engager les poursuites nécessaires, quitte à mettre en œuvre des mesures conservatoires, comme la saisie de sommes en transit illégalement, par exemple, et à aviser l’administration fiscale au plus haut niveau du produit de leurs investigations.
Cette question a notamment été soulevée par un mémorandum remis en référé par le Premier président de la Cour des comptes au Premier ministre en août 2013. Ce document souligne la nécessité d’un renforcement de la coopération entre la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects.
En outre, par souci d’égalité des citoyens devant la justice et devant l’impôt, le « verrou de Bercy », système donnant à l’administration fiscale la main sur les poursuites pénales en matière fiscale, doit, selon nous et beaucoup d’autres, être supprimé.
C’est ce que nous proposons une nouvelle fois dans cet hémicycle. Nous nous réjouissons d’ailleurs que cette proposition soit reprise et partagée par des collègues siégeant sur d’autres travées.
Madame la garde des sceaux, avec votre accord, j’anticiperai sur les arguments que vous nous opposerez sans doute tout à l’heure. En effet, nous avons déjà entendu au moins cent fois dire que les procédures judiciaires sont longues, qu’elles ne garantissent pas la victoire au bout et qu’il vaut mieux utiliser cette arme pour faire pression sur les fraudeurs, afin de récupérer un peu d’argent dans les caisses de la République…