M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les textes que nous examinons aujourd’hui visent à répondre à la défiance de nos concitoyens à l’encontre non seulement de certains comportements de femmes et d’hommes politiques, mais aussi des vases communicants entre fonctions électives ou ministérielles, fonction publique et postes et intérêts privés.
La dernière campagne présidentielle, avec les affaires à tiroirs de l’un des candidats, a porté cette exaspération à son sommet.
Ce grand déballage a été vu comme l’aboutissement d’un parcours apportant régulièrement – trop régulièrement – son lot de révélations défrayant la chronique, de l’organisation de la campagne d’un ancien Président de la République à un ministre du budget avouant, sur une chaîne d’information, détenir des comptes bancaires secrets en Suisse.
Cette situation est insupportable, tant pour nos concitoyennes et nos concitoyens que pour la grande majorité des élus qui ont à cœur le débat politique et la défense de l’intérêt de leurs administrés.
Le nouveau chef de l’État a très vite annoncé sa volonté de présenter un projet de loi sur la « moralisation de la vie publique », rapidement devenu un projet de loi relatif à la « confiance dans la vie démocratique » pour finalement viser à rétablir « la confiance dans l’action publique ». Le président Bas nous propose, quant à lui, de « réguler » la vie publique.
Cette diversité sémantique provient, à mon avis, d’une difficulté à délimiter le champ d’intervention du législateur. Quelle est la source de la perte de confiance évidente de la population dans ceux qui font la politique, membres du Gouvernement et élus, en particulier parlementaires ?
Comment ne pas constater que le nouveau pouvoir fait déjà face un rejet dans l’opinion, notamment s’agissant des ordonnances qui s’attaquent au code du travail, alors même qu’une victoire importante aux élections législatives aurait dû s’accompagner d’une popularité inédite ?
De toute évidence, la raison de cette perte de confiance ne provient pas d’une vision désenchantée de l’exercice du pouvoir, mais plutôt d’un doute profond sur l’utilité du vote pour obtenir les changements attendus.
M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Or il ne s’agit pas seulement de supprimer les emplois familiaux ou d’assurer la transparence des revenus et du patrimoine des parlementaires ou des ministres. Le véritable changement, attendu depuis des décennies, c’est une vie meilleure, c’est le retour du plein emploi, ce sont des conditions de logement et de soins décents, ce sont des études gratuites et de qualité, ce sont des retraites permettant de vivre dignement, c’est une lutte résolue, efficace, pour une transition écologique échappant aux lobbies industriels et financiers.
Ce sont l’absence de résultats et les promesses non tenues qui exaspèrent nos concitoyens. Ceux qui « ne sont rien », ceux qui n’ont pas grand-chose, ne supportent plus l’image de certains qui réussissent en violant la loi, en profitant de la situation acquise à travers leur vote.
Nos institutions, qui ne permettent pas une juste représentation de la réalité politique du pays ni une réelle proximité entre représentants, gouvernants et citoyens constituent le deuxième élément de la perte de confiance du peuple.
Le dernier épisode des élections législatives est frappant : Emmanuel Macron et son gouvernement ont obtenu une large majorité à l’Assemblée nationale, alors qu’ils sont minoritaires dans le pays, comme l’a illustré le vote de confiance à l’Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, rapporteur. Très juste !
Mme Éliane Assassi. L’opposition est donc totalement minorée par le rouleau compresseur de la Ve République.
M. Philippe Bas, rapporteur. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Pourtant, le Président de la République, élu par un vote nécessaire face à Marine Le Pen et non par un vote d’adhésion, entend appliquer son programme à la lettre, armé des prérogatives exceptionnelles que lui accorde la Constitution de 1958, sans tenir compte le moins du monde de la relativité de son élection.
Bien au contraire, il repousse quasiment chaque semaine les limites de l’hyperprésidence.
Madame la garde des sceaux, rétablir la confiance dans l’action publique exige un débat sur le caractère de plus en plus monarchique de notre régime. Irriguer la démocratie demande de casser la verticalité rigide qu’impose le nouveau pouvoir alors que le mouvement En Marche, qui se voulait révolutionnaire, me semble-t-il, visait à privilégier l’horizontalité. Comme trop souvent, on annonce des choses et on fait le contraire une fois élu. C’est de cela que le peuple a assez.
Instaurer la proportionnelle intégrale et non un saupoudrage est une exigence pour rétablir la confiance. Le mode de scrutin actuel apparaît de plus en plus comme un miroir déformant et déformé de la volonté populaire. Il y a danger. Persister dans cette voie peut conduire à une remise en cause de l’institution parlementaire elle-même.
Redonner dans le même temps ses pouvoirs au Parlement doit être une priorité : fin du 49-3, droit d’amendement pleinement restauré, en particulier en matière budgétaire, et pouvoir de contrôle accru sont des exigences. Comment redonner confiance au peuple dans son Parlement si les pouvoirs de ce dernier s’amenuisent en peau de chagrin ?
Les sujets sont vastes, comme celui, par exemple, d’une justice au service de tous, accessible aux plus faibles et à l’indépendance confortée pour affronter les dérives constatées au sein du pouvoir politique.
Le fonctionnement de la haute administration et ses relations avec le pouvoir politique doivent aussi être profondément modifiés, et les allers et retours entre ces deux mondes interdits.
Que dire des excès du CAC 40, de l’explosion des fortunes, des profits indécents gagnés sur des vies asservies et parfois brisées, comme chez Whirlpool et GM&S ? La répartition des richesses est une clé essentielle du retour de la confiance dans notre système politique.
Enfin, comment moraliser et rétablir la confiance sans s’attaquer aux liens frappants entre médias, pouvoir politique et finance ? Qui n’a pas constaté, durant la dernière campagne présidentielle, l’influence de certaines chaînes d’information, tombées peu de temps auparavant aux mains d’hommes d’affaires comme MM. Drahi et Bolloré, qui avaient choisi leur camp et le défendaient bec et ongles.
M. Alain Fouché. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Comment ne pas noter également la proximité des instituts de sondage avec les allées du pouvoir ou de la bourse, voire des deux ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Le texte dont nous allons débattre peut apparaître utile pour poser quelques rustines sur un pneumatique au bord de l’explosion.
Interdire les emplois familiaux, remettre en cause les réserves parlementaire et ministérielle, s’interroger sur les moyens de fonctionnement des élus, améliorer encore le tracé des financements des partis politiques et des campagnes électorales : ces mesures constituent parfois des évidences et toujours des progrès incontestables.
Au cours de la discussion, nous apporterons notre soutien à de telles dispositions améliorées de façon souvent pertinente par le président et rapporteur de la commission des lois.
Nous proposerons toutefois d’aller plus loin, même dans ce champ restreint. Je pense notamment à la création d’un véritable statut des collaboratrices et collaborateurs parlementaires, pour répondre enfin aux préoccupations très vives qui s’expriment, particulièrement au sein de notre assemblée, à quelques semaines du scrutin sénatorial.
Nous avons déposé d’autres amendements visant à élargir le débat et à desserrer le cadre imposé par le Gouvernement. Je regrette d'ailleurs que la consultation publique envisagée à l’origine sur ces projets de loi ait été abandonnée. Un aller et retour démocratique sur un tel sujet aurait sans doute été profitable. Vous n’en avez plus voulu, madame la garde des sceaux, ce qui me semble très dommageable.
Mes chers collègues, un grand quotidien a produit un dossier sur la montée en puissance du secteur privé dans nos sociétés occidentales, tout particulièrement en France, vieux pays de mixité de l’économie, des intérêts privés, en un mot de l’argent, en montrant que les occasions de conflits d’intérêts se sont tellement multipliées que les penseurs officiels constatent leur normalité. Ces textes, comme d’autres, viseraient donc simplement à réguler cette nouvelle normalité.
C’est sur cette question de fond que nous divergeons avec les partisans, parfois béats, de ces projets de loi. Le poison de l’argent distillé dans la vie politique ne peut être régulé, il doit être combattu, il doit être éradiqué.
Pour reprendre les mots utilisés par le Premier ministre sur un autre thème, nous estimons nécessaire de « désintoxiquer » notre société de la finance, de l’argent facile, de l’argent qui corrompt.
Pour notre part, trois siècles plus tard, nous serons guidés par Montesquieu, qui écrivait, dans De l’Esprit des lois : « Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. Les forces des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre […]. Mais, dans un État populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Lenoir applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Citer Montesquieu, voilà qui élève le niveau !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, qu’il soit urgent de se préoccuper de la défiance des Français envers les institutions et le personnel politique est une évidence.
Nul besoin de sondages, d’ailleurs dénués de toute rigueur scientifique, pour s’en convaincre. Il suffit de regarder les résultats des dernières élections : Emmanuel Macron aura été élu par seulement 43,6 % des électeurs inscrits, l’abstention et les votes blancs ou nuls atteignant, quant à eux, 34 % des inscrits.
Le désintérêt pour les législatives a été encore plus grand : au second tour, l’abstention, plus les blancs et nuls, atteignaient 62,3 % du jamais vu pour une consultation de cette importance. Ce qui signifie donc que 32,8 % seulement des électeurs inscrits ont choisi leur candidat, soit un score moyen de l’ordre de 20 % pour les heureux élus. Merveilleux système qui transforme une poignée d’électeurs en majorité écrasante !
Et l’on voudrait nous faire croire que c’est avec des projets de loi tels que ceux que nous examinons aujourd’hui que l’on renforcera « le lien qui existe entre les citoyens et leurs représentants », que l’on affermira « les fondements du contrat social ». Les comportements indélicats, parfois clairement délictueux, d’un certain nombre d’élus ou d’administrateurs, s’ils n’arrangent évidemment pas les choses, ne sont pas l’explication fondamentale de la décrédibilisation de l’action publique et de ses acteurs.
Comme la loi d’octobre 2013, née de la panique de l’Olympe face à « l’affaire Cahuzac », cette loi d’exorcisme n’a pas plus de chance de rétablir «la confiance dans l’action publique » que de mieux « réguler la vie publique ». Elle la compliquera seulement un peu plus.
Destinée à faire oublier « l’affaire Fillon » et celles qui l’ont suivie, touchant, cette fois, la nouvelle majorité, elle n’est pas une réponse à cette sécession civique. Et ce d’autant moins qu’elle n’a plus grand-chose à voir avec l’intention première de son initiateur, François Bayrou, qui, lui, voulait « lutter contre l’influence des intérêts industriels et financiers dans la vie politique ».
L’origine de cette sécession, sur fond de langueur économique depuis 2008, de crainte de déclassement pour les classes moyennes, ou de précarisation pour les plus exposés, c’est le verrouillage du système politique, le constat que changer la tête de l’État ne revenait qu’à perpétuer la même politique particulièrement efficace.
On comprend que ce système, dépourvu de perspectives, finisse par lasser et engendrer ce qui ressemble de plus en plus à des « émeutes électorales » aux effets imprévisibles.
Réservant l’analyse du détail des projets de loi pour l’examen des articles, vous me permettrez de revenir sur les raisons de cette sécession civique et sur la fonction des boucs émissaires en post-démocratie libérale.
Custine définissait le régime tsariste comme une « monarchie absolue, tempérée par l’assassinat ». (Sourires.) Je dirais de la Ve République néolibérale qu’elle est une république oligarchique – oligarchie de la finance et de l’héritage, régulée par la lapidation médiatique.
Oligarchie, car la pratique constante, le Conseil constitutionnel et l’instauration du quinquennat jointe à l’inversion du calendrier électoral ont fait du président de cette république consulaire, à la fois le chef de l’exécutif et celui de la majorité parlementaire, à laquelle il « fixe le cap » devant le Congrès. Manque seulement un statut de la « Première dame », ce qui ne saurait tarder. (Rires.)
Pas de séparation des pouvoirs donc, sauf pour les constitutionnalistes ayant de bons yeux. La « gouvernance » de cette république s’apparente à une cogestion de la nébuleuse politique présidentielle, de la haute bureaucratie d’État et des fondés de pouvoir des milieux d’affaires – finance et très grandes entreprises.
À cette altitude, plus de distinction public-privé. Quel sens pourrait-elle avoir ? La fonction de l’État n’est plus de faire prévaloir un intérêt général, distinct des intérêts particuliers, mais d’assurer la « concurrence libre et non faussée » des acteurs, l’intérêt général résultant du bon fonctionnement du marché, non des équilibres dont l’État est le garant.
D’où la porosité de plus en plus grande entre administration publique et direction des banques ou des grandes entreprises privées : pantouflages et revolving doors rehaussés de passages par les cabinets ministériels ou élyséens. L’explosion des Autorités administratives indépendantes, la diversification des formes de partenariat public-privé, le développement des agences de conseil en tout genre adossées à l’État en sont l’expression.
Mention spéciale pour les opérateurs de téléphonie mobile et de numérique, régnant par ailleurs sur les médias, dont l’activité et l’enrichissement dépendent de l’autorisation d’exploitation du domaine public par l’État et de la régulation des agences. Les médias sont en effet essentiels à la stabilité du système : propriétés d’une dizaine de milliardaires largement adossés à l’État, ils fabriquent le consensus politique sans lequel il ne saurait se perpétuer.
Laurent Mauduit peut même écrire que « jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la liberté et le pluralisme de la presse n’ont à ce point été menacés ; jamais le droit de savoir des citoyens n’a été à ce point malmené. »
Ils protègent aussi ce bricolage menacé par une fièvre démocratique endémique en assurant une pression constante sur le seul vestige de pouvoir susceptible de perturber le business et cette belle harmonie : le Parlement. Telle est la fonction de la lapidation médiatique qui présente, en outre, l’avantage de faire vendre, pour un investissement intellectuel minimum et sans risque.
La manière dont François Fillon a été neutralisé au terme d’une longue carrière politique, traversée sans défrayer la chronique judiciaire, alors que sa candidature mettait en péril celle du meilleur candidat du système, est aujourd’hui un véritable cas d’école. Cette question mériterait de plus longs développements, mais le temps me manque.
M. François Pillet. Quel dommage ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. On veut des détails !
M. Pierre-Yves Collombat. Je vous donne rendez-vous à la discussion des articles de ces projets de loi devenus, grâce à notre commission des lois, un peu moins pires que ce qu’ils auraient pu être, mais toujours pas à la hauteur des enjeux. C’est au terme de cette discussion que les membres du RDSE, dans leur diversité, se détermineront. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les deux projets de loi qui nous réunissent aujourd'hui ont pour principal objet de répondre à un engagement de campagne du Président de la République, inspiré à cet égard par François Bayrou : moraliser la vie publique.
C’est un sujet ancien, presque éternel. J’ai relu sur ce point Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites », écrivait-il. On peut également lire, toujours dans L’Esprit des lois : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Trouver la bonne limite, empêcher les abus, tels doivent être nos objectifs, sans pour autant en venir à un autre danger. En effet, cultiver l’antiparlementarisme, flatter la dénonciation gratuite des élus de la République serait tout aussi choquant.
Oui, la transparence à l’égard des citoyens, la probité des élus et l’exemplarité de leur comportement, constituent autant d’exigences démocratiques essentielles. Toutefois, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, la quasi-totalité des élus exercent leur mandat avec rigueur, abnégation et un grand sens du service public, et il faut le réaffirmer ici.
Certes, la campagne électorale de 2017 a été ce qu’elle fut. Sans doute aurait-elle pu être d’une qualité supérieure. Il n’en demeure pas moins que les « affaires », une fois de plus et toujours une fois de trop, ont obstrué le débat public. Cette situation n’est pas neuve. Ces dernières années, on ne compte plus les chroniques relatant les turpitudes de tel ministre en délicatesse avec ses déclarations d’impôts ou de tel autre aux prises avec des comptes à l’étranger.
Il ne tient qu’à nous, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, d’y mettre un terme. Rien ne serait pire qu’une énième loi de circonstance !
Au demeurant, le Président de la République nous a communiqué lundi dernier lors de la réunion du Congrès son souhait d’ouvrir le débat sur la modernisation de nos institutions, notamment du Parlement. Nous avons donc une double exigence à respecter : être collectivement à la hauteur du débat que nos concitoyens attendent de nous et engager le chantier de la rénovation de nos pratiques institutionnelles.
Pour y parvenir, nous devons, au travers de l’examen de ces deux projets de loi, nous poser quatre séries de questions, dont la réponse aura nécessairement une grande importance dans les mois à venir.
La première question a trait au statut des parlementaires de demain. Je dirai ensuite un mot des collaborateurs parlementaires, puis des moyens d’action du parlementaire, enfin du financement de la vie politique.
La loi de 2013 interdisant le cumul des mandats et le futur texte visant à limiter le cumul dans le temps bouleverseront la démographie de la vie politique nationale. Nous avons vu de nombreux collègues députés renoncer à se présenter à un nouveau mandat. L’accélération des parcours politiques pose la question du statut, dans le sens où elle impose une réflexion sur la formation du parlementaire, sa reconversion et, donc, la prévention des conflits d’intérêts pendant l’exercice de son mandat.
À cet égard, le mécanisme de déport prévu par le projet de loi ordinaire interpelle. Comment évaluer les critères en fonction desquels un médecin devenu parlementaire serait de facto empêché de siéger à la commission des affaires sociales, sauf à renoncer à son droit de vote ? Faut-il que les anciens avocats cessent de participer à la commission des lois ? Derrière l’aspect provocateur de la question, on comprend la nécessité, madame la garde des sceaux, de définir un juste équilibre permettant à nos institutions de profiter de l’expérience passée acquise par les uns et les autres, tout en luttant, bien évidemment, contre le conflit d’intérêts.
Au passage, j’ose une deuxième provocation et un rappel : le meilleur moyen de lutter contre le conflit d’intérêts est de garantir l’attractivité du mandat parlementaire.
Le sujet de l’indemnité, même s’il est toujours difficile à aborder publiquement, mérite d’être éclairé. L’indemnité parlementaire – législative, disait-on à l’époque – a été créée par le décret du 5 mars 1848 instituant le suffrage universel. Dans l’esprit des révolutionnaires de 1848, l’indemnité participait de l’abolition du cens, qui concernait aussi les conditions d’éligibilité.
Ici, je citerai l’un de nos illustres prédécesseurs sur ces bancs, Georges Clemenceau, sénateur du Var : « Sous la Restauration, vous l’avez déjà deviné, pas d’indemnité. Sous Louis-Philippe, pas d’indemnité. Régime censitaire. » Clemenceau affirmait ainsi le caractère démocratique de l’indemnité parlementaire, qui assure aux représentants du peuple leur indépendance face aux pressions de toutes sortes. Par les temps qui courent, il me semble bon de le rappeler !
L’attractivité du mandat, c’est aussi la considération portée au travail parlementaire, souvent discret, hors du champ des caméras ou des fils d’information.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Vincent Capo-Canellas. Ce sont également les conditions de prise en charge des frais induits par l’exercice du mandat. Je salue, à cet égard, le travail de la commission des lois et de son rapporteur, qui a œuvré avec la précision et la prudence de l’horloger.
Plusieurs collègues auront des propositions à formuler pour nourrir un débat qui nous réunira à plusieurs reprises dans l’année qui vient. Je ne doute pas que nous parviendrons à définir d’ici à la révision constitutionnelle un équilibre satisfaisant sur lequel nous pourrons construire un Parlement avec, certes, moins d’élus, mais une efficacité qui n’en sera que plus grande.
Plus que du statut du parlementaire, ces deux textes posent frontalement la question du statut du collaborateur parlementaire. Personne n’en est dupe, ils trouvent leur origine dans l’article d’un hebdomadaire satirique bien connu daté du 26 janvier dernier.
Sans doute la pratique dite des « emplois familiaux » a-t-elle été montée en épingle. Combien d’emplois fictifs pour de vrais collaborateurs ? Très peu, évidemment, même si un seul serait déjà de trop. Ce texte conduira à la rupture de contrat de nombreux assistants de grande valeur, qui travaillent dans des conditions pour le moins assez frustes. Nous aurons des propositions à faire valoir au cours de ce débat pour sortir de cette situation avec humanité et dignité.
En deçà de ce problème, il apparaît que les dérives liées au détournement du crédit accordé pour la rémunération des collaborateurs procèdent de ce que ces derniers n’ont pas eu, pendant trop longtemps, d’existence textuelle avérée au-delà de leurs contrats.
À cet égard, les assemblées parlementaires ont effectué d’importants progrès ces dernières années. Le régime d’emploi des collaborateurs est désormais inscrit dans notre règlement. Bien évidemment, beaucoup reste à faire. C’est justement dans les interstices de cet édifice en construction que se nichent les voies de ceux, peu nombreux, qui abusent du système.
Les présents projets de loi ont le mérite de clarifier ce problème, bien qu’ils n’abordent pas la question dans sa globalité. Aussi prenons date, dès maintenant, pour engager le travail sur le parachèvement du statut de collaborateur parlementaire. Peut-être l’examen des amendements permettra-t-il d’avancer en la matière.
J’évoquerai brièvement la question des moyens d’action du parlementaire.
Le Parlement du non-cumul ne doit pas conduire à une fracture entre représentation nationale et action locale. Le mandat du parlementaire ne saurait être une mission purement juridique, textuelle et abstraite. L’action politique se nourrit du concret, donc de la relation à l’action locale. À cet égard, la suppression de la réserve parlementaire, certes compréhensible, peut susciter des interrogations.
En effet, la réserve demeure le seul moyen d’action locale propre au mandat parlementaire. J’entends par là le seul moyen concret, au-delà de l’influence et de la capacité que peut avoir un parlementaire à interpeller les pouvoirs publics sur les demandes des collectivités. Il est pourtant limité. La réserve représente en effet une somme de 146 millions d’euros, dont un peu moins de la moitié est dédiée aux collectivités territoriales.
Nous savons en outre que les finances locales, rigidifiées par la contribution au redressement des finances publiques, ne permettent pas à de nombreuses communes rurales, mais aussi urbaines, de réaliser des projets d’investissements importants tels que des travaux d’accessibilité, la réfection d’un monument ou l’équipement en défibrillateurs.
Je salue le travail réalisé par le rapporteur général de la commission des finances et par la commission des lois. Là encore, nous aurons un équilibre à définir en séance pour vous convaincre, madame la garde des sceaux, de sauvegarder un mécanisme de soutien à l’investissement local équilibré et dans lequel les parlementaires pourront jouer un rôle entier. La commission des lois a fait œuvre utile en la matière.
J’en viens à ma dernière question, à savoir le financement de la vie politique. Cette question nous concerne tous en tant qu’élus. Mesurons-le pleinement, après des évolutions électorales parfois brutales, aucune formation politique n’est désormais à l’abri du risque bancaire. Je pense à une crise de liquidité provoquée par le refus continuel d’une ligne de crédit. Les affaires, encore et toujours, ont conduit de nombreuses banques à considérer les partis politiques comme des débiteurs à risque, tout au moins en termes d’image. Il s’agit d’un immense problème de confiance entre les banques et la vie démocratique.
Comme beaucoup d’autres, j’ai pu expérimenter une telle situation, et je crains que le dispositif proposé par le Gouvernement ne soit quelque peu sous-dimensionné.
Concernant le médiateur du crédit, permettez-moi de formuler quelques réserves. Quels seront ses moyens d’action ? Comment l’État parviendra-t-il à le doter du capital de confiance nécessaire, dont il aura pour mission d’abonder les partis aux yeux des banques ?
Concernant la banque de la démocratie, nous craignons que le dispositif ne soit pas encore arrivé à maturité. En effet, sur le strict plan constitutionnel, il semble impossible que le Conseil constitutionnel, dont vous connaissez les habitudes mieux que nous, madame la garde des sceaux, valide une habilitation à légiférer par ordonnance dont le champ est fonction d’une enquête conjointe de l’IGA, l’Inspection générale de l’administration, et de l’IGF, l’Inspection générale des finances, toujours en cours.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, et deux projets de loi ne suffiront pas à rétablir la confiance de nos concitoyens dans la vie publique. Oui aux dispositions qui concourent à une meilleure régulation de notre vie publique, mais il faut, dans le même temps, doter les parlementaires d’un vrai statut, tout comme leurs collaborateurs, et de moyens d’action. De ce point de vue, vos textes restent, selon nous, au milieu du gué.
Madame la garde des sceaux, nos concitoyens n’ont rien à gagner d’un Parlement affaibli. Faire du Parlement une cible serait le symptôme d’une crise démocratique sans doute plus grave encore que la crise de confiance que ces deux textes cherchent à combattre. En disant cela, je ne vous en fais pas le procès. Au contraire, je souhaite que nous indiquions à tous, ensemble, que nous sommes attachés au parlementarisme, qu’il convient de rénover. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur tous.
Selon moi, nous pouvons, avec ces deux projets de loi, construire les fondations d’un nouvel acte de renforcement du parlementarisme à la française, après la révision du 23 juillet 2008. Nous devrons mener ce travail tout au long du chantier ouvert par le Président de la République, en gardant toujours à l’esprit qu’un Parlement affaibli est le symptôme d’une démocratie malade. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe La République en marche – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)