Mme la présidente. Mes chers collègues, pour expliquer le nombre de présents dans notre hémicycle, je veux préciser à tous ceux qui suivent nos débats que, concomitamment à la séance publique, se réunissent actuellement la commission des affaires économiques, le groupe Les Républicains, la commission d’enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures, la mission d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France ainsi que le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne.
M. Didier Guillaume. Très bien, madame la présidente !
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Joseph Castelli. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Joseph Castelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est inutile de vous dire combien je me félicite que notre assemblée se saisisse aujourd'hui d’un sujet aussi important et capital pour la Corse.
Dans un premier temps, je souhaite rassurer mes collègues du groupe les Républicains, particulièrement mon ami Jean-Jacques Panunzi. En effet, si j’avais souhaité intégrer par voie d’amendement cette proposition de loi dans le projet de loi visant à ratifier les ordonnances relatives à la Corse, c’était tout simplement pour ouvrir le débat sur ce sujet qui me paraissait essentiel. J’étais alors motivé par la crainte de ne pas voir ce texte inscrit à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée avant la fin de la session.
Cette proposition de loi, dite loi de Rocca Serra, que nous examinons aujourd’hui est portée, comme l’a relevé M. le ministre, par toutes les tendances politiques de notre île. Elle transcende les courants politiques ; c’est si rare qu’il convient de le souligner. Je tiens d’ailleurs à remercier toutes celles et tous ceux qui ont œuvré en faveur de ce texte, en particulier M. le ministre Jean-Michel Baylet. Cette proposition de loi est le fruit d’une réflexion consensuelle qui a rassemblé les forces vives de notre île.
En Corse, le droit de propriété ne peut s’exercer normalement du fait de l’absence de titre opposable ou de l’existence de biens non délimités. L’absence de titres de propriété concerne plus de 30 % du total des parcelles de l’île. Aujourd’hui, 33 % des parcelles cadastrées sont enregistrées comme appartenant à des propriétaires présumés décédés. Il existe aujourd’hui en Corse quelque 63 800 biens non délimités, c’est-à-dire des parcelles pour lesquelles les limites entre les différentes propriétés ne sont pas connues de l’administration. Cela représente un total de 6,4 % des titres, la moyenne nationale se situant à 0,4 %.
Cette situation, vous vous en doutez, est source d’une profonde insécurité juridique, qui n’est pas sans conséquence, tant pour les propriétaires, qui ne peuvent jouir pleinement de leurs droits, que pour les pouvoirs publics, qui ne peuvent recouvrer l’impôt de manière satisfaisante, faute d’identification des propriétaires de certains biens, ou prendre les mesures de protection du patrimoine et de la population qui s’imposent. Elle impacte également lourdement notre économie ; ses conséquences sont nombreuses : désertification du centre de la Corse, délabrement des territoires ruraux et frein à leur revitalisation. La Corse a été soumise pendant deux siècles à un régime d’imposition des successions sur les biens immobiliers dérogatoire au droit commun, un système sur lequel je ne reviendrai pas, car les orateurs qui m’ont précédé en ont parlé.
Le Conseil constitutionnel a censuré à deux reprises la prorogation du régime dérogatoire dans les décisions rendues à propos des projets de loi de finances pour 2013 et pour 2014. Il était donc nécessaire de réformer le système.
Le texte que nous examinons aujourd’hui a vocation tant à favoriser et à accélérer la reconstitution des titres de propriété qu’à mettre fin au désordre foncier et cadastral grâce à la mise en place de dispositifs incitatifs de nature civile et fiscale. Il s’articule autour de trois axes : rendre plus performant le processus de titrisation des biens dépourvus d’acte de propriété ; faciliter l’accomplissement d’actes de conservation et de gestion des biens ; adopter une fiscalité spécifique incitative.
J’évoquerai les dispositions de nature civile.
L’article 1er consacre le recours aux actes de notoriété acquisitive de manière limitée dans l’espace, pour les immeubles situés en Corse, et à titre transitoire, pour une durée de dix ans.
L’article 2 assouplit les règles de majorité applicables aux indivisions.
L’article 7 permet l’utilisation de la prescription acquisitive dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
J’en viens aux dispositions de nature fiscale.
L’article 3 prévoit une exonération de droits à hauteur de 50 % de la valeur de l’immeuble lors de la première mutation à titre gratuit d’un bien nouvellement titré.
L’article 4 proroge de dix ans l’exonération partielle à hauteur de 50 % des droits de succession des biens situés en Corse.
L’article 5 proroge de dix ans l’exonération des droits de partage de 2,5 % sur les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse.
Ces dispositions sont le prolongement des travaux du groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, le GIRTEC, créé par la loi de 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Il a été choisi d’y mettre un terme au 31 décembre 2027, date à laquelle le GIRTEC cessera de fonctionner.
Mes chers collègues, ce texte apporte des solutions concrètes aux préoccupations des habitants et des élus de la Corse. Il vient clore des années de travaux de concertation et de réflexion. Je souhaite, à l’instar de M. le ministre, que la Haute Assemblée se retrouve pour l’adopter à l’unanimité, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit français repose sur un principe très simple : l’égalité. La loi devant être la même pour tous, il est normal qu’elle s’applique uniformément sur tout le territoire. C’est la définition même d’une loi : c’est une norme générale d’application universelle.
Au cœur de notre droit se trouvent notre droit civil et notre régime de propriété. Ce droit-là, pour des raisons qui tiennent à l’histoire, à la coutume et à l’habitude, n’a jamais trouvé à s’appliquer totalement sur le territoire de la Corse. Ainsi, près de 30 % des parcelles foncières de l’île sont orphelines de titres de propriété. C’est un problème pour les Corses eux-mêmes, mais aussi pour les collectivités territoriales et la République d’une manière générale.
Concernant la population corse, il est assez scandaleux qu’un tel problème persiste depuis deux siècles. Sans titres, les possesseurs de biens ne peuvent jouir pleinement des droits qui s’attachent à la propriété, notamment en matière de donation entre vifs, de vente, d’établissement de baux, de mise en valeur des biens ou de règlements successoraux. De facto, en l’absence de titres bien établis, le tiers du foncier corse est soumis à une indivision de fait, qui entrave le bon fonctionnement du marché immobilier local déjà contraint par le relief et l’insularité de ce territoire.
Concernant les collectivités territoriales, l’absence de titres rend impossible la tenue d’un cadastre complet et obère par conséquent les ressources fiscales des pouvoirs publics. Comment prélever la taxe foncière ? À qui adresser la taxe d’habitation ? Comment imposer les successions et les mutations ? Tous les niveaux de collectivités ont été concernés, et, à l’heure où nous nous apprêtons à voir la collectivité unique instituée en Corse, il est évident que ce problème doit être résolu pour permettre à la collectivité unique de prospérer et de réaliser ses missions.
Enfin, c’est un problème pour notre République, car il n’est pas normal qu’un territoire français, même insulaire, puisse ainsi échapper à l’impôt et ne pas être soumis à la même loi civile que le reste de la population. C’est une question d’égalité territoriale qui me semble incontournable en tant qu’élu national.
La présente proposition de loi prévoit le régime de prescription acquisitive pour apurer le stock des parcelles orphelines. Cela fait deux siècles que la République tâche périodiquement de traiter ce problème, par voie administrative, juridictionnelle ou législative. Aussi, pourquoi ne pas essayer cette nouvelle méthode ? Elle semble à la fois équilibrée, progressive et respectueuse des droits des propriétaires.
Concernant les dispositions fiscales de la présente proposition de loi, celles-ci ont vocation, selon les auteurs du texte, à faciliter la reconstitution des droits de propriété. Concrètement, il s’agit de porter de 30 % à 50 % la part de la valeur des biens exonérés de droits de mutation pendant dix ans. Il en est de même en matière de succession. Il s’agit également d’exonérer les droits de partage.
Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions à plusieurs reprises pour des questions de procédure. Il a déjà eu en revanche l’occasion de rappeler sur le fond que ces dispositions n’ont pas toutes à voir avec la facilitation de la reconstitution de droits de propriété dans l’île. Si la demande est réelle, pourquoi cette exonération sur les mutations ?
Les droits de partage peuvent se justifier au regard de l’objectif poursuivi. Toujours est-il que plusieurs dispositions semblent relever davantage de l’effet d’aubaine que de la révérence au respect du droit civil. Plus globalement, cela pose un problème logique : pourquoi le législateur devrait-il contribuer à rétablir des droits de propriété s’il ne s’agit pas d’en profiter pour prélever enfin l’impôt ?
Le Conseil constitutionnel ne manquera pas de trancher cette question à l’occasion des litiges qui interviendront sûrement à l’avenir. Un propriétaire floué ou même l’administration fiscale pourront toujours soulever une question prioritaire de constitutionnalité pour éclaircir la portée de ces dispositions.
Au-delà du débat qu’ouvre ce texte sur la portée de son volet fiscal, il fait une tentative bienvenue pour ancrer encore un peu plus la Corse à la loi de la République. Dans ces conditions, le groupe de l’UDI-UC salue le travail équilibré des rapporteurs de la commission des lois et de la commission des finances. Les sénateurs centristes suivront ainsi la recommandation de la commission des lois et voteront majoritairement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE – M. le président de la commission applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est par l’un de ces obscurs hasards de l’histoire, en 1801, sous l’empire d’un Ajaccien, ou plus exactement sous son consulat, que fut abrogée la sanction pour non-déclaration de la succession d’un bien immobilier sis en Corse. L’État ne se résolut à tenter de rétablir le droit commun que deux siècles plus tard, en 1998, laissant ainsi au terroir corse bien plus de temps que nécessaire pour développer un luxuriant maquis cadastral. En effet, faute de contrainte, de nombreuses successions n’ont jamais été réglées, conduisant à une propriété foncière et immobilière de plus en plus informelle.
Cette situation s’avère préjudiciable pour les pouvoirs publics, notamment parce qu’ils ne sont pas à même de recouvrer convenablement les droits de mutation ou les impôts locaux, mais aussi pour les propriétaires supposés, qui se trouvent dans l’impossibilité d’exercer leurs droits comme d’assumer leurs devoirs.
Le retour à la normale se heurte à deux difficultés majeures : d’abord, reconstituer les nombreux titres de propriété qui ont disparu, faute d’avoir été notariés au fil des mutations ; ensuite, sortir des inextricables indivisions de fait, qui résultent de l’agrégation exponentielle de plusieurs générations d’héritiers, autour d’un même bien, jamais transmis.
Le premier véritable signe d’intérêt des pouvoirs publics à l’égard de ce désordre foncier historique remonte au début des années quatre-vingt. Sous l’impulsion du gouvernement d’alors, les notaires de Corse s’attelèrent, comme ils le purent, à la reconstitution des titres de propriété par le biais de la prescription acquisitive. Il fallut encore trente ans pour que naisse le groupement d’intérêt public, le fameux GIRTEC, qui apporte aux notaires et aux héritiers un soutien technique, tout à la fois indispensable et insuffisant.
Parallèlement, l’État a mis en place différents avantages fiscaux supposés transitoires et incitatifs, dont les échéances furent en fait prorogées d’année en année, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel décide récemment d’y mettre un terme, pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et les charges publiques.
Si l’on peut dire aujourd’hui que la situation est en voie d’amélioration, le rythme des régularisations reste toutefois peu satisfaisant au regard du stock encore à traiter. En effet, en 2015, on estimait encore à 34 % la proportion de parcelles corses dont le propriétaire est une personne décédée.
En dépit de son intitulé très général, cette proposition de loi vise donc à hâter la normalisation du cadastre et de la propriété foncière sur l’île de Beauté. Les deux premiers articles prévoient des dispositifs juridiques intéressants, que notre commission des lois a utilement encadrés dans le temps et dans l’espace de manière à éviter des effets indésirables. Ainsi, la mention dans la loi des actes de notoriété acquisitive renforcera la sécurité juridique de la propriété obtenue par prescription acquisitive. Quant à l’assouplissement des majorités de décisions relatives aux indivisions, il permettra de surmonter bon nombre de blocages qui surviennent mécaniquement en présence de très nombreux indivisaires.
En revanche, les trois articles fiscaux qui concernent le rétablissement, le renforcement et la prorogation de dix ans de différentes exonérations nous laissent un peu plus circonspects. Il n’est pas question ici de contester la nécessité d’incitations pour favoriser la résorption du désordre. Nous n’ignorons pas non plus qu’il se trouve des cas où le coût de la multitude d’actes nécessités par la régularisation excède plusieurs fois le prix du bien concerné. Pour autant, les exonérations proposées, en place pendant des décennies, n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, tout en entraînant des effets d’aubaine considérables. Peut-être ont-elles indirectement contribué – je le crois – à limiter la spéculation, en évitant un certain nombre de ventes lors du règlement des successions, mais tel n’était pas leur objectif affiché. Il nous semble donc qu’il faudrait préférer un mécanisme beaucoup plus ciblé.
En outre, une prorogation de dix ans nous paraît excessive et, sauf à s’adonner à l’instabilité fiscale, elle prive le Parlement d’une clause de revoyure. De ce point de vue, la position de notre commission des finances nous était apparue un bon compromis. Nous regrettons donc que la commission des lois n’ait pas suivi la commission des finances, déléguée au fond sur ce point, surtout sans avoir excipé d’une de ces argumentations généralement très bien étayées par lesquelles elle a l’habitude de nous convaincre.
Toutes ces raisons auraient pu – je dis bien « auraient pu » – nous conduire à l’abstention. Néanmoins, fidèles aux principes de la subsidiarité, attachés à la reconnaissance des spécificités territoriales et a fortiori insulaires, nous ne pouvions rester insensibles au consensus politique qui s’est établi sur ce sujet entre les différentes forces politiques locales. À cette aune, le groupe écologiste témoignera donc sa confiance aux institutions et à la population corses en votant ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Odette Herviaux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contexte ayant conduit à l’arrivée de ce texte, car il a été bien expliqué par le ministre et le président-rapporteur.
La démarche poursuivie depuis plusieurs années par le GIRTEC visant à rétablir les titres de propriété fondés sur la prescription acquisitive, laquelle a sa base dans le code civil – il s’agit donc bien ici d’appliquer le droit commun –, doit être améliorée. En effet, les conditions de la prescription acquisitive sont assez rigoureuses : une possession prolongée pendant trente ans assortie d’une série d’actes la prouvant.
L’article 1er de la proposition de loi, article principal, vise à donner une commodité pratique à la réalisation de la prescription acquisitive en la formalisant par un acte de notoriété rédigé par un notaire, lequel s’assure des justificatifs. Cela permet de rendre publique la possession et, par conséquent, d’établir un titre de propriété au bénéfice de la personne ayant entrepris la démarche. Ce dispositif de consolidation du constat de la possession durable de la propriété est, par définition, un processus lent : il suppose à chaque fois une prise d’initiative d’une personne affirmant posséder le bien et qui s’est assurée par ses contacts familiaux et de proximité que cette possession ne se heurtait à aucune objection.
Donc, il nous a semblé que le dispositif élaboré par les auteurs de la proposition de loi allait dans le bon sens. Toutefois, au terme d’un débat approfondi, la commission des lois lui a apporté des perfectionnements importants.
D’abord, nous avons constaté que cette disposition, dans la mesure où elle présente un caractère local et temporaire, n’avait pas sa place dans le code civil. C’est là l’un des principes premiers de la codification : dans un texte permanent et général, seules doivent figurer des dispositions à caractère pérenne. En l’occurrence, il s’agit d’une disposition dérogatoire, dont la finalité est de rétablir une situation locale dégradée – une mesure similaire, comme M. le président de la commission l’a souligné, est prévue pour les départements d’outre-mer dans un autre texte.
Ensuite, il fallait proroger l’allégement fiscal pour les opérations associées à la reconstitution des titres de propriété. À cet égard, nous avons travaillé sur le fondement des préconisations de la commission des finances, avec laquelle nous avons dialogué, de l’aide à la réflexion que le Gouvernement nous a fournie et, bien entendu, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lequel a marqué les limites de la dérogation fiscale susceptible d’être accordée en pareille situation. La possibilité de bénéficier d’un abattement de 50 % lors de la première vente jusqu’en 2027 est un dispositif équilibré. Il faut simplement que tous les acteurs, à commencer par nous-mêmes, fassent de leur mieux pour que le délai, légèrement supérieur à dix ans, qui est fixé soit suffisant pour reconstituer un dispositif d’établissement de la propriété foncière à peu près complet en Corse.
Le dispositif soumis à notre examen cet après-midi nous paraît donc satisfaisant. Il est, de plus, soutenu par le Gouvernement. Dans ces conditions, après que M. Gattolin a fait trembler la Haute Assemblée en faisant régner le suspense sur sa position (Sourires.), j’apaiserai l’atmosphère en vous indiquant que le groupe socialiste et républicain votera sans hésitation la proposition de loi.
J’ajoute que, tout autant qu’au reste, nous sommes favorables à l’article 7, une disposition spécifique qui marque en réalité plutôt un retour au droit commun : l’extension de la propriété acquisitive, dans les cas où elle est justifiée, aux deux départements d’Alsace et à la Moselle, où il existe un livre foncier.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’effort à poursuivre suppose une mobilisation de tous les acteurs économiques de Corse pour surmonter les obstacles. En effet, non seulement des désaccords ou des difficultés d’accès à l’origine de la propriété peuvent se produire, mais, en outre, les actes qui sont le support de la consécration de la propriété ont souvent, du fait de leur multiplication, un coût mal proportionné à la valeur des biens.
Je tiens, pour conclure, à saluer l’engagement des collectivités territoriales corses et de leurs élus, qui, à travers le GIRTEC, mais aussi leurs propres décisions locales, ont contribué de leur mieux à la restauration d’une situation nécessaire à la viabilité et au dynamisme de l’économie corse. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joseph Castelli applaudit également.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement au projet de loi visant à ratifier les ordonnances relatives à la Corse que nous avons examiné le 26 janvier dernier, la proposition de loi dont nous débattons cet après-midi est un texte abouti ; fruit d’un long travail, elle permettra de régler bien des problèmes dans des territoires qui subissent depuis trop longtemps des situations de désordre foncier, au premier rang desquels la Corse.
Je me dois donc de remercier tous ceux qui ont permis l’élaboration de ce texte, puis son cheminement. À commencer, bien sûr, par Camille de Rocca Serra, qui, depuis son élection, en 2002, n’a de cesse de s’investir sur cette question : après avoir déposé d’innombrables amendements, il a finalement pris l’initiative d’en regrouper les principaux dans un texte d’ensemble à la mesure de l’ensemble du problème, qui est à la fois civil et fiscal. Telle est l’origine de la présente proposition de loi.
Je me dois de remercier également les parlementaires qui s’y sont associés : d’abord, Sauveur Gandolfi-Scheit et Laurent Marcangeli, puis, au-delà des clivages politiques, Paul Giacobbi et François Pupponi.
Je remercie aussi les professionnels du notariat, qui ont accompagné la démarche, avec une mention spéciale pour Me Pieri, présent dans les tribunes ; notaire à Aléria et syndic de la chambre départementale des notaires de Haute-Corse, il a, nous le savons tous, apporté sa contribution experte à Camille de Rocca Serra dans l’élaboration juridique et légistique de la proposition de loi.
Je remercie l’Assemblée de Corse, qui a émis un avis très favorable sur le texte le 24 novembre dernier, à l’unanimité des votants, et plus particulièrement les présidents Simeoni et Talamoni, également présents dans les tribunes, pour leur soutien affiché.
Je remercie le Gouvernement, qui a permis que la démarche aboutisse, conformément à l’engagement pris par Manuel Valls, alors Premier ministre. Il témoigne que la République sait être à l’écoute des territoires qui la constituent lorsqu’ils ont besoin d’elle pour avancer. Bernard Cazeneuve a tenu les engagements pris, et vous-même, monsieur le ministre, n’avez pas ménagé votre peine pour que le texte puisse être examiné et adopté. Vous voyez que nous savons être justes quand il le faut…
M. Jean-Jacques Panunzi. Je remercie enfin l’Assemblée nationale, qui a adopté la proposition de loi, à l’unanimité, le 8 décembre dernier.
J’en viens au fond du problème.
Il existe dans notre pays un désordre de la propriété lié à l’absence de titres opposables et à l’existence de bien non délimités dont on ne connaît pas la contenance exacte des droits, qu’il s’agisse des droits de chacun des propriétaires présumés ou de l’existence de comptes cadastraux appartenant à des personnes décédées. Cette situation est marginale à l’échelle nationale, mais elle touche particulièrement certaines régions.
La plus touchée d’entre elles est la Corse, comme M. le ministre l’a rappelé. De fait, 63 800 biens non délimités y ont été dénombrés, soit un taux de 6,4 %, très supérieur à celui de 0,4 % constaté au niveau national. Songez, mes chers collègues, que la surface couverte par ces biens représente 15,7 % de la surface cadastrée de l’île !
La Corse n’est toutefois pas le seul territoire concerné. D’autres départements présentent en effet un taux de biens non délimités de 0,7 %, légèrement supérieur, donc, à la moyenne nationale : les Ardennes, l’Ariège, l’Aude, la Creuse, la Lozère, le Pas-de-Calais, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte. Ces territoires ont également besoin de mesures législatives encourageant une normalisation de la situation.
Reste que la Corse est le territoire le plus marqué par cette situation de désordre. Les fameux arrêtés Miot, source d’un droit spécifique historique fondé par cet administrateur des départements du Liamone et du Golo, ne reposaient pas initialement sur le principe de l’exonération, mais sur celui d’absence de sanction en cas de non-déclaration d’une succession, compte tenu du double constat d’une indivision généralisée et d’une extrême pauvreté. La suppression, en 1949, de la contribution foncière sur laquelle reposait la liquidation des successions a entraîné une exonération de fait.
Ce désordre foncier est source d’insécurité juridique et provoque des effets économiques néfastes. D’abord, l’absence de titres de propriété empêche les citoyens de recourir aux dispositions de droit civil relatives à la propriété immobilière. Ensuite, la détention de biens par de multiples héritiers censés détenir des droits indivis concurrents dilue les responsabilités et rend plus difficile l’entretien des biens concernés. Autant d’éléments qui participent au délabrement du patrimoine immobilier et alimentent des contentieux abondants dans les familles.
Cette situation est lourde de conséquences également pour les autorités publiques, État et collectivités territoriales. En effet, le recouvrement de l’impôt, foncier, d’habitation et surtout de transmission, relève souvent du parcours du combattant. De plus, les mairies sont en difficulté pour faire appliquer la réglementation environnementale et pour recourir à la législation des biens vacants et sans maître, ou à celle des immeubles menaçant ruine.
Loin d’être un privilège, ce désordre est donc un frein qui nuit à la Corse.
Or toutes les initiatives prises antérieurement par le législateur s’étaient, à tort, concentrées sur l’aspect fiscal, alors que le problème est avant tout civil. Fiscaliser du désordre ne fera qu’accroître la confusion… De là cette proposition de loi, qui combine dispositions civiles et fiscales : civiles pour parvenir à assainir la situation cadastrale de la Corse, fiscales pour inciter à organiser le patrimoine. Le but est d’engager sur la décennie à venir un réel processus dynamique de normalisation de la situation foncière dans tous les territoires concernés.
Il est important de rappeler que ce texte s’inscrit dans la continuité de la volonté exprimée par le législateur à plusieurs reprises sur ce sujet. Ainsi, en 2002, celui-ci a établi des périodes transitoires, le temps que la situation foncière soit normalisée civilement. Le groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, créé par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, n’a été opérationnel qu’à la fin de 2010 ; il perdurera, heureusement, jusqu’en 2027. Il est logique que, jusqu’à cette date, tous les moyens soient engagés pour venir à bout de la situation que j’ai décrite, après quoi la Corse pourrait éventuellement assumer cette fiscalité, qui, d’ailleurs, peut évoluer au niveau national – on le suppose pour les donations –, ou même au niveau régional, compte tenu des perspectives de transfert de fiscalité.
S’inscrivant dans la continuité des lois de 2002 et 2006, la proposition de loi s’inscrit aussi dans celle de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, qui a prévu, à la suite d’une initiative de Camille de Rocca Serra, la prorogation de l’exonération à 100 % des droits de succession sur les biens sis en Corse en raison du non-commencement des activités du GIRTEC. La continuité est identique avec la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 sanctionnant la prorogation à 100 %, mais sans remettre en cause l’exonération à 50 %.
Il s’agit donc d’un texte global, comportant des dispositions d’ordre général et d’autres spécifiques à la Corse, les unes pérennes, les autres transitoires. En somme, une vraie réponse au désordre de la propriété en cinq articles.
L’article 1er sécurise la procédure de titrement, qui, à ce jour, est une simple pratique notariale. Le décret prévu dans cet article permettra que la procédure soit explicitée. Il s’agit également de réduire le délai de l’action en revendication sur les titres constitués par cette pratique, en le faisant passer de trente à cinq ans. Il est important de mesurer que, actuellement, il faut faire valoir trente années de possession pour pouvoir engager une prescription acquisitive et que, une fois l’acte établi, celui-ci est attaquable pour une nouvelle durée de trente ans. Soit une double peine de soixante ans…
L’article 2 procède à l’abaissement des règles de majorité dans la gestion de l’indivision, afin que soient favorisés les règlements successoraux une fois les actes créés. Cette opportunité est réservée aux cas où l’indivision est constatée simultanément à la création d’un titre, pour que le partage puisse se faire à la majorité qualifiée des deux tiers.