M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 750, présenté par Mme Françoise Gatel, rapporteur, au nom de la commission, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 640 rectifié.
Vous avez la parole pour le défendre, madame la rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je me suis engagée à reprendre cet amendement sur lequel la commission spéciale avait émis un avis favorable et qui vise à clarifier la rédaction du nouvel article L. 1321-2-1 du code du travail, introduit dans le cadre de la loi Travail.
J’aimerais connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement. Il nous manque en effet quelques éléments d’information…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Kanner, ministre. Je vais essayer d’être très précis sur ce sujet sensible.
Cet article issu de la loi Travail a été largement discuté et approuvé par tous les groupes lors de l’examen de ce texte, qui a donné lieu à de nombreuses contestations, et dans quelles conditions ! Dura lex, sed lex…
L’encre de la loi est à peine sèche – la publication au Journal officiel date du 6 août dernier – et des accords sont en cours de discussion dans les entreprises sur cette question délicate.
La possibilité d’imposer la neutralité lorsque certaines circonstances le justifient répond à un vrai besoin des entreprises et des DRH de plus en plus souvent confrontés à des demandes de nature religieuse.
Selon l’étude récente conjointe de l’institut Randstad et de l’Observatoire du fait religieux en entreprise, l’OFRE, 65 % des personnes interrogées en 2016 ont déclaré avoir observé des faits religieux au travail, contre 50 % en 2015 et 44 % en 2014.
Près de la moitié des faits religieux au travail a nécessité une intervention managériale en 2016, contre 38 % en 2015 et 24 % en 2014. Ces faits ne sont – heureusement ! – pas toujours conflictuels. Ils impliquent néanmoins de fixer des bornes pour éviter des débordements contraires à l’esprit républicain laïque, comme le précise la Constitution.
C’est ce qu’a fait la loi Travail en donnant un fondement clair aux employeurs, qui doivent limiter les expressions religieuses. Ce phénomène a été évoqué, abordé, traité, arbitré.
La neutralité ne sera pas la règle, l’entreprise n’étant pas le service public, mais elle pourra être imposée lorsque les circonstances l’exigent, autrement dit lorsque certaines revendications sont incompatibles avec le bon fonctionnement de l’entreprise ou avec les droits et libertés des autres salariés.
Ces deux conditions sont clairement définies par la loi. Le ministère du travail publiera prochainement un guide du fait religieux pour aider les entreprises et les DRH à appliquer ces principes dans l’esprit du texte adopté au mois d’août dernier.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. Patrick Kanner, ministre. Par ailleurs, je suis opposé à ce que la loi se restreigne, comme vous le réclamez, à la religion. Il n’y a aucune raison de distinguer l’expression religieuse d’autres formes d’expression individuelle susceptibles de perturber la communauté de travail.
L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen met ces libertés sur le même plan en disposant : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
Je refuse donc d’appliquer à la religion des règles spécifiques qui seraient vécues comme une forme de stigmatisation. Je pense, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement, avec l’aide du travail des parlementaires, a pris une mesure équilibrée permettant aux entreprises de lutter contre le communautarisme tout en ne stigmatisant personne. Il ne souhaite pas y revenir.
Je m’étonne que le groupe du RDSE, qui était à l’origine de la disposition initiale dans la loi Travail, souhaite revenir dessus par cet amendement qu’il a rédigé et que vous avez repris, madame la rapporteur.
Pour ces raisons, je vous demanderai de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour une raison que j’ignore – peut-être est-ce dû au caractère pléthorique de notre administration ? –, je n’étais pas signataire de cet amendement, que je soutiens.
La formulation retenue par la loi Travail mérite d’être précisée, car elle pourrait laisser entendre qu’il s’agit d’une atteinte aux droits syndicaux. Les craintes qui se sont exprimées ne correspondent toutefois aucunement à l’intention des auteurs de la proposition initiale.
Le présent amendement tend à répondre à un problème réel. La formulation, tout à fait claire, vise les cas où le bon fonctionnement de l’entreprise est perturbé.
J’ai cru comprendre que le Gouvernement était divisé sur le sujet, les uns, comme M. le ministre, ne voulant pas du tout entendre parler de cette précision ; les autres, la considérant fort utile… Quand il y a un problème, il faut le régler ! Quant aux autres difficultés, monsieur le ministre, vous les réglerez entre membres du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. Je rejoins la position de M. le ministre.
Comment pourrait-on insérer un tel article dans le règlement intérieur d’une entreprise privée ? Cela me semble assez compliqué…
Je ne sais quelle religion est visée, même si je le subodore, mais je rappelle que nous sommes sous un règne catholique : les vacances de Pâques et de Noël sont imposées. Faut-il aussi que nous interdisions tous les insignes religieux ?
Nous avons déjà eu ce débat au sein de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte.
Nous voterons contre cet amendement, qui ne se justifie pas et dont le fondement est discriminatoire.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre. Monsieur Collombat, il n’y a qu’une seule position du Gouvernement, celle que j’exprime au banc des ministres. Je ne vous autorise pas à évoquer d’éventuelles dissensions au sein du Gouvernement sur ce point. Je vous invite à faire preuve de prudence dans vos affirmations.
Nous parlons d’une loi adoptée voilà un peu plus de deux mois. Je vous demande de bien vouloir lui permettre d’être appliquée dans des conditions raisonnables.
La formulation retenue n’emporte aucun risque d’atteinte aux droits syndicaux ou politiques. Les restrictions figurant dans le règlement intérieur d’une entreprise sont toujours appréciées en fonction de leur finalité et de leur proportionnalité au regard de l’activité professionnelle. Il n’y a donc aucun risque de débordement.
Pour cette raison, je maintiens ma demande de retrait, madame la rapporteur.
Je ne comprendrais pas que nous modifiions la loi Travail avant même qu’elle soit appliquée et qu’elle ait pu démontrer sa pertinence sur le terrain.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je suis étonné qu’un amendement déposé sur un texte relatif à l’égalité et à la citoyenneté vise à donner le droit aux entreprises de discriminer.
J’apprécie toujours l’attachement du RDSE et de son président à une loi bien écrite et à éviter tout mélange des genres. Or, en l’espèce, vous nous proposez de discuter à la sauvette d’un sujet dont nous avons largement débattu il y a moins de trois mois et qui poserait de nouveaux problèmes. Je ne vous comprends pas.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous passons notre temps à rediscuter de dispositions que nous venons de voter !
M. Jean-Yves Leconte. Habituellement, vous dénoncez ces turpitudes ! Conservez votre cohérence !
Le débat a été tranché dans la loi Travail. Ne mélangeons pas tout en profitant de ce texte relatif à l’égalité et à la citoyenneté pour donner aux entreprises privées un droit à la discrimination religieuse.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. À certains moments, je me suis sentie quelque peu étrangère à ce débat entre amis, débat que j’ai cependant suivi avec beaucoup d’attention... (Sourires.)
J’ai repris l’amendement initialement déposé par M. Mézard et un certain nombre de ses collègues, comme je l’ai fait pour d’autres amendements sur lesquels la commission spéciale avait émis un avis favorable.
Après avoir entendu les explications du Gouvernement qui apportent un éclairage complémentaire sur cet amendement, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 750.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 63
(Supprimé)
M. le président. L'amendement n° 548, présenté par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Il est institué un fonds de participation au financement de l’action de groupe, chargé d’apporter une aide financière dans le cadre d’une action de groupe exercée en justice et alimenté par le prélèvement d’une fraction des sommes issues de la réparation des préjudices ordonnée par le juge dans le cadre d’une action de groupe. Les règles d’organisation et de fonctionnement du fonds, les conditions d’octroi de l’aide financière et la fraction des sommes constituant ses recettes sont déterminées par décret en Conseil d’État.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Il est regrettable que la commission spéciale du Sénat soit revenue sur le fonds de participation au financement de l’action de groupe.
Comme l’a souligné M. Razzy Hammadi devant la commission spéciale de l’Assemblée nationale, ce fonds, inspiré notamment de l’exemple québécois, est soutenu par le Défenseur des droits en ce qu’il est de nature à faciliter le recours à l’action de groupe.
À cet égard, il sera d’autant plus nécessaire si la majorité de l’Assemblée nationale a confirmé de nouveau à l’occasion de l’examen du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle sa volonté d’ouvrir aussi l’action de groupe aux associations déclarées depuis plus de cinq ans. Sauf à vider le mécanisme d’une partie de son utilité, il importe que le coût de la procédure ne soit pas un frein à son utilisation.
Ce dispositif ne porte pas nécessairement atteinte au principe de la réparation intégrale du préjudice. Comme l’a aussi souligné M. Razzy Hammadi, les juges appliqueront bien évidemment ce principe lorsqu’ils fixeront le montant global de la réparation.
Pour ces raisons, l’instauration de ce fonds semble une avancée à la fois nécessaire et pertinente. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons, mes chers collègues, de rétablir l’article 63.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il semble que cet amendement trouverait davantage sa place dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Au demeurant, il nous paraît clairement anticonstitutionnel. En effet, le taux de prélèvement qui serait créé n’est pas défini, contrairement aux exigences de l’article 34 de la Constitution.
La commission demande le retrait de cet amendement, qui est contraire à sa position. À défaut, elle se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Kanner, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, pour des raisons de méthode législative aussi bien que de fond.
Du point de vue de la méthode, il convient de rappeler que le dispositif de l’action de groupe relève du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, adopté définitivement cette semaine par l’Assemblée nationale. Le présent projet de loi n’est donc pas le vecteur approprié, monsieur le sénateur, pour examiner l’instauration d’un fonds de financement, qui, s’il était retenu dans son principe, n’aurait pas vocation à s’appliquer au seul domaine des discriminations, mais pourrait concerner aussi les autres champs où l’action de groupe sera ouverte, à savoir la consommation, la santé, l’environnement et les données personnelles.
Sur le principe, la création d’un fonds de participation au financement de l’action de groupe ne paraît pas conforme à la conception de l’action de groupe dans notre droit interne. En effet, un tel fonds n’a été institué ni pour l’action de groupe en matière de consommation ni pour l’action de groupe en matière de santé. Il n’a pas non plus été retenu dans le cadre du projet de loi précité de modernisation de la justice. À chaque fois, le législateur a fait le choix de confier la responsabilité de l’action à des associations disposant d’une certaine légitimité, dans le respect des règles communes du droit processuel.
Conformément à la règle générale de notre droit, la partie finance le procès, et le perdant est condamné aux dépens. Ce dernier supporte également, en application du droit commun, les frais d’avocat.
Le dispositif prévu par l’article 63 conduirait à la création d’une structure ad hoc, qui serait financée par un pourcentage des indemnisations obtenues, prélevées donc sur des sommes censées revenir aux victimes, ce qui, en fin de compte, porterait atteinte au principe de la réparation intégrale des préjudices qui est protégé par notre droit.
Complètement étrangère à notre culture judiciaire, une telle proposition me semble inopportune, tant sur la forme que sur le fond. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Jean Desessard. Dans ces conditions, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 548 est retiré.
En conséquence, l’article 63 demeure supprimé.
Article 63 bis
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 292 rectifié, présenté par M. Yung, Mmes Conway-Mouret, Khiari et Lepage et M. Leconte, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 21-16 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, par dérogation au premier alinéa, et sous réserve que la demande soit formalisée dans le délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … relative à l’égalité et à la citoyenneté, peuvent être naturalisés les étrangers qui, n’ayant pas leur résidence en France, répondent aux conditions prévues au 8° de l’article 21-19. » ;
2° L’article 21-19 est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° L’étranger qui répond aux trois conditions suivantes :
« a) Être né dans un territoire alors sous souveraineté française, de parents qui y sont eux-mêmes nés ;
« b) Ne pas avoir été saisi par la loi de nationalité de ce territoire lorsqu’il a accédé à son indépendance, ni avoir acquis sa nationalité ou toute autre nationalité ;
« c) Résider au moment de la demande de naturalisation dans un État ou un territoire dont la langue officielle ou l’une des langues officielles est le français. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le présent amendement vise à rétablir l’article 63 bis, que la commission spéciale a malencontreusement supprimé.
Inséré par l’Assemblée nationale, sur l’initiative de plusieurs députés du groupe socialiste, écologiste et républicain, cet article prévoyait la création d’une procédure dérogatoire de naturalisation au profit de ceux que l’on appelle communément les« oubliés de Madagascar ».
Lorsque la Grande île a accédé à son indépendance, ces personnes d’origine indienne nées à Madagascar avant 1960 n’ont pu obtenir ni la nationalité française ni la nationalité malgache, qui est essentiellement une nationalité de filiation. Elles n’ont pas non plus pu acquérir la nationalité indienne, la preuve d’une lointaine ascendance indienne étant difficile à apporter.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations, cette population, dite « sans nationalité », n’est même pas couverte par le statut d’apatride, dans la mesure où Madagascar a dénoncé dès 1965 la convention relative au statut des apatrides et n’a pas encore adhéré à la convention sur la réduction des cas d’apatridie.
Actuellement, les membres de cette communauté n’ont pas la possibilité d’acquérir la nationalité malgache par naturalisation. Selon le ministère de la justice malgache, les demandes de naturalisation émanant de personnes de nationalité indéterminée formulées sur le critère de résidence ou de naissance à Madagascar ne peuvent aboutir.
Ces mêmes personnes ne peuvent pas non plus acquérir la nationalité française par naturalisation, car l’article 21-16 du code civil dispose que « nul ne peut être naturalisé s’il n’a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation », et les exceptions prévues aux articles 21-21 et 21-26 du code précité ne sont pas applicables aux oubliés de Madagascar.
Soucieux de mettre un terme à la situation kafkaïenne à laquelle sont confrontées ces personnes, nous proposons de créer une dérogation à l’obligation de résider en France au moment de la signature du décret de naturalisation, accompagnée de conditions strictes, sachant que le nombre de cas se limite à 150 personnes voire 200 personnes.
Concrètement, nous souhaitons rendre possible l’attribution de la nationalité française aux personnes qui remplissent trois critères cumulatifs : premièrement, être nées dans un territoire alors sous souveraineté française de parents qui y sont eux-mêmes nés ; deuxièmement, ne pas avoir acquis la nationalité de ce territoire ni toute autre nationalité ; troisièmement, résider, au moment de la demande de naturalisation, dans un État dont l’une des langues officielles est le français.
Ce dispositif juridique s’inspire des propositions formulées dans le rapport qu’un ancien magistrat a récemment remis, sur cette question, au ministre de l’intérieur. S’il était adopté, il n’aurait pas pour effet d’ouvrir une brèche aux conséquences incalculables dans nos principes du droit de la nationalité.
En effet, il importe de préciser que le dispositif proposé serait applicable pendant une période relativement courte – six mois à compter de la publication de la loi – et aurait vocation à bénéficier à un nombre très limité de personnes, estimé à environ 200.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent amendement. Il vise à corriger une erreur de l’histoire s’agissant de personnes, qui, oubliées au moment du processus de décolonisation, en appellent, depuis plus de cinquante ans, à leurs racines françaises.
M. le président. L'amendement n° 301, présenté par M. Gattolin, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 21-16 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, par dérogation au premier alinéa, et sous réserve que la demande soit formalisée dans le délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° … du … relative à l’égalité et à la citoyenneté, peuvent être naturalisés les étrangers qui, n’ayant pas leur résidence en France, répondent aux conditions visées au 8° de l’article 21-19 du présent code. » ;
2° L’article 21-19 est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° L’étranger qui répond aux trois conditions cumulatives suivantes :
« a) Être né dans un territoire alors sous souveraineté française, de parents qui y sont eux-mêmes nés ;
« b) Ne pas avoir été saisi par la loi de nationalité de ce territoire, lorsqu’il a accédé à son indépendance ni avoir acquis sa nationalité ou tout autre nationalité ;
« c) Résider au moment de la demande de naturalisation dans un territoire ou un État dont la langue officielle ou l’une des langues officielles est le français. »
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 292 rectifié ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Cet amendement concerne des apatrides, appelés les « oubliés de Madagascar », qui sont dans une situation particulière extrêmement difficile. Sont concernées 164 ou 165 personnes, apatrides à la suite des différentes étapes de l’histoire de la décolonisation, intervenue à Madagascar en 1960.
Au XIX e siècle, un certain nombre de dispositions avaient été prises par la France, pour permettre à des personnes nées à Madagascar d’avoir la nationalité française. Au fil de l’histoire, les choses ont évolué. Chacun le sait, au moment d’une décolonisation, les relations entre le pays dit colonisateur et celui dit colonisé ne sont pas des plus amicales ou des plus coopératives. Madagascar a refusé de donner la nationalité malgache à ces 164 personnes, qui ne répondent pas, vous l’avez dit, mon cher collègue, aux conditions de naturalisation telles qu’elles existent dans notre pays.
Nous avons rencontré les représentants des oubliés de Madagascar, dont je respecte le combat, monsieur Leconte. Il s’agit en effet d’une question d’humanité.
À l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur n’a pas émis un avis favorable sur cette disposition, qui soulève une vraie question, celle de son élargissement – personne ne peut affirmer qu’il est impossible – à d’autres anciennes colonies françaises.
Dans le contexte actuel, les conditions de naturalisation, on n’a cessé de nous le répéter, notamment les lois de 1880 et de 1905, « ne se touchent pas », mais « se regardent ».
Le cabinet du ministère de l’intérieur, avec qui nous avons échangé sur ce sujet, nous a assuré que la situation particulière de ces personnes serait considérée avec une extrême attention au vu des conditions de naturalisation.
En l’état, considérant les risques qu’une telle disposition ferait courir, j’émets donc un avis défavorable sur cet amendement. Monsieur le ministre, je souhaite vraiment disposer d’informations et d’explications sur cette question extrêmement précise et difficile.
M. le président. Veuillez conclure, madame la rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Monsieur le président, les oubliés de Madagascar méritaient que je dépasse un peu mon temps de parole !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Kanner, ministre. Naturellement, le Gouvernement partage la préoccupation humanitaire de M. Leconte. Le problème, c’est d’y répondre dans de bonnes conditions, sans remettre en cause le totem que vous avez évoqué, madame la rapporteur. Je veux bien sûr parler de la « main tremblante » qui doit être celle du législateur avant de modifier les textes fondamentaux qui animent notre République.
J’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement. Je confirme, monsieur le sénateur, madame la rapporteur, que le Gouvernement a entrepris d’examiner au cas par cas la situation particulière des oubliés de Madagascar, afin d’éviter des phénomènes de jurisprudence qui ouvriraient la boîte de Pandore dans tous les anciens territoires sous souveraineté française, aujourd'hui décolonisés.
Néanmoins, il m’est impossible à ce stade du processus de préciser le nombre de dossiers qui feront l’objet d’une régularisation favorable. Quoi qu’il en soit, notre volonté politique est réelle. Nous serons donc attentifs aux situations que vous voulez résoudre, monsieur le sénateur, tout en veillant à ne pas introduire dans la loi des dispositions qui pourraient soulever des difficultés par la suite.
Je vous demande par conséquent de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur Leconte ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Leconte, l’amendement n° 292 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, madame la rapporteur, des informations complémentaires que vous avez apportées, ainsi que de votre intérêt pour ce sujet. J’ai bien noté votre réponse, monsieur le ministre, s’agissant de l’attention particulière du Gouvernement pour les 150 à 200 cas humanitaires que sont les oubliés de Madagascar.
Par cet amendement, nous proposons non pas de modifier le code de la nationalité française, mais de gérer de manière ponctuelle, par la loi, grâce à une intervention du législateur, une situation précise par une disposition de courte durée.
Selon moi, il serait plus risqué de ne rien changer et de créer 160 dérogations au code de la nationalité. Il vaut mieux adopter une disposition chirurgicale et temporaire pour répondre à un problème donné, plutôt que d’aménager l’application du code pour 160 personnes. En termes de jurisprudence, ce serait préférable, afin d’éviter tout risque.
Quoi qu’il en soit, nous devons régler la situation. C’est la raison pour laquelle je maintiens cet amendement, tout en remerciant mes interlocuteurs de leur attention sur cette question. Nous serons vigilants aux 160 à 200 cas dont il est question. Mon expérience me l’a montré, l’examen au cas par cas n’est pas toujours suffisant s’agissant, en matière de nationalité, de situations ressenties comme profondément injustes. Il vaut mieux laisser au législateur une pleine souveraineté.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Le groupe écologiste votera cet amendement, qui vise à rétablir l’article 63 bis, adopté, je le rappelle, par l’Assemblée nationale.
M. Philippe Dallier et Mme Françoise Gatel, rapporteur. Nous sommes au Sénat !
M. Jean Desessard. En l’occurrence, je m’adressais surtout à M. le ministre ! Mais peut-être les députés ont-ils suivi une autre logique…
Il s’agit de combler un vide juridique et de respecter la signature de la France. La République française a en effet signé la convention de New York relative au statut des apatrides, adoptée le 28 septembre 1954. Elle se doit de respecter ses engagements. En vertu de ce texte, la France doit conférer la nationalité française à des personnes susceptibles de l’avoir.
Je veux parler du cas spécifique des immigrants d’origine indo-pakistanaise et appartenant aux ethnies khojas, bhoras et banians, qui n’ont pu acquérir ni la nationalité malgache ni la nationalité française lors de l’indépendance de Madagascar en 1960.
Depuis plus de cinquante-six ans, cette situation perdure. Ne pensez-vous pas qu’il est temps d’y mettre un terme ? Vous avez évoqué 160 personnes concernées ; les chiffres dont je dispose sont moindres. J’ajoute que ces apatrides sont âgés de plus de 55 ans. Il s’agit donc d’un problème limité !
En adoptant cet amendement, vous permettrez, mes chers collègues, de naturaliser des étrangers nés dans un territoire alors sous souveraineté française, qui sont sans nationalité et n’ont jamais acquis ni la nationalité française ni la nationalité locale. Vous ferez œuvre de justice et permettrez à la France de respecter sa parole. Cette mesure paraît à la fois nécessaire, évidente et de bon sens. Ne serait-ce pas préférable à l’examen de 200 cas particuliers ? On est dans une totale incohérence !