Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je regrette vivement que la rédaction proposée par le Sénat n’ait pas été retenue par l’Assemblée nationale.
En acceptant le débat en première lecture, nous souhaitions rendre moins contraignant le contrôle exercé sur les sociétés de presse et de communication. Parallèlement, dans un souci de consensus, nous avions maintenu plusieurs dispositions visant à assurer la protection de la liberté d’expression.
Malheureusement, il a été impossible de parvenir à un accord lors de la réunion de la commission mixte paritaire à laquelle j’ai participé. En effet, le Gouvernement souhaite manifestement faire de cette proposition de loi un outil de communication sur son attachement à des valeurs autoproclamées « de gauche » – la liberté d’expression, le pluralisme – à moins d’un an de l’élection présidentielle. Ces principes, dont nous souhaitons tous la défense, courent-ils un tel danger qu’une nouvelle loi doive être adoptée en urgence ? Comme pour la plupart des textes de circonstance que nous sommes amenés à étudier en cette fin de législature, l’idéologie a pris le pas sur la réalité.
À juste titre, notre rapporteur a dénoncé la précipitation entourant l’examen de la proposition de loi, l’absence de réflexion, de concertation, d’étude d’impact. Quand cesserons-nous de légiférer de cette façon ? (M. David Assouline s’esclaffe.)
En définitive, nous ne pouvons que constater le paradoxe d’un texte censé garantir des libertés qui vient, au contraire, imposer de nouvelles contraintes au fonctionnement des rédactions de presse et des médias, signe d’une défiance généralisée à l’égard des professionnels concernés.
Mme la rapporteur vient d’évoquer les points de clivage les plus importants entre nos deux assemblées.
Tout d’abord, notre groupe est particulièrement opposé à la rédaction de l’article 1er, qui risque d’entraver le fonctionnement normal des rédactions de presse en étant source de contentieux. L’Assemblée nationale a finalement supprimé le terme « intime » qualifiant la « conscience professionnelle » susceptible d’être invoquée par le journaliste, mais cette modification est purement cosmétique et ne change rien sur le fond.
L’extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel est une autre pierre d’achoppement : ses missions comprendront dorénavant un contrôle exercé a priori sur la déontologie et l’indépendance des médias. Le CSA dispose ainsi d’un nouveau droit de regard qui ressemble fort à de l’ingérence.
De même, la généralisation des saisines des « comités d’éthique », lourdement rebaptisés « comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes » risque de conduire à la multiplication de contestations en tout genre.
Plus inquiétantes encore sont les dispositions adoptées en matière de protection du secret des sources. Le texte vient rompre l’équilibre entre la liberté d’information, que nous appelons tous de nos vœux, et les intérêts majeurs de notre société, comme le secret de l’instruction ou la protection du citoyen contre des déclarations calomnieuses. Notre collègue rapporteur pour avis de la commission des lois, Hugues Portelli, qui a rappelé la valeur constitutionnelle de ces principes, n’a pas été entendu.
Au final, les seules dispositions véritablement utiles de la proposition de loi sont des mesures qui ne figuraient pas dans le texte initial. Je pense notamment au rétablissement du financement de la presse d’annonces légales par la publicité pour les cessions de fonds de commerce, aux incitations fiscales à investir dans les entreprises de presse, ou bien encore, à l’article 10 ter, à la question récurrente de la numérotation des chaînes, adopté sur l’initiative de Mme la rapporteur, Catherine Morin-Desailly – je la félicite pour sa détermination –, qui prévoit une solution équilibrée répondant à la multiplication des offres audiovisuelles.
Hormis ces quelques points qui rencontrent notre adhésion, cette proposition de loi tend à apporter un message négatif aux entreprises.
Les professionnels du secteur sont dans l’attente d’autres mesures, qui les aideraient à faire face à la crise économique qu’ils traversent depuis le développement du numérique et qui, elles, justifieraient l’urgence !
Certes, sur la question de la presse, vous venez de faire un geste, madame le ministre, en publiant un décret qui étend à tous les périodiques l’aide réservée aux titres à faibles ressources publicitaires. Cependant, cette décision ne règle aucunement les problèmes structurels du financement de la presse, financement dont je rappelle le saupoudrage et l’absence de cohésion d’ensemble. Or les médias ne sont complètement libres et ne peuvent jouer leur rôle de contre-pouvoir que lorsqu’ils disposent de moyens financiers suffisants.
Après une loi sur la création muette sur ces questions, la présente proposition de loi marque simplement le décalage existant entre les besoins réels de nos entreprises et la vision du Gouvernement.
Notre groupe votera donc la motion tendant à opposer la question préalable qui va nous être présentée, afin d’éviter un nouveau débat qui ne pourrait être que stérile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, est-il besoin de rappeler le contexte – non pas politique, politicien ou électoral, mais social – dans lequel nous avons discuté de cette proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ?
Pour mémoire, faut-il rappeler le niveau extraordinaire de concentration d’une presse française aux mains d’une douzaine d’industriels milliardaires qui sont bien plus préoccupés de renforcer leurs capacités d’influence dans les affaires ou dans la commande publique qu’intéressés par le droit au savoir de nos concitoyens ?
Faut-il rappeler les immenses difficultés, notamment financières, de la presse écrite d’information générale et politique quand elle ne bénéficie pas de l’intérêt de ces industriels ?
Faut-il rappeler les difficultés dans la prise en compte de la révolution numérique ? À ce sujet, faut-il rappeler la remise en cause de l’universalité de la diffusion quand, à l’instar des exploits de M. Drahi, la neutralité du net est remise en cause ?
Faut-il enfin rappeler les conditions de travail des journalistes et des équipes rédactionnelles et les pressions qui, trop souvent, les empêchent d’assurer une information libre, pluraliste et honnête ?
C’est dire la nécessité et l’urgence d’un texte majeur en la matière.
Madame la ministre, chers collègues, ce texte aborde la question de la concentration des médias, mais il le fait de manière trop superficielle. C’est pourtant déjà à cet enjeu démocratique que le Conseil national de la Résistance avait tenté de répondre dans ses ordonnances, qui inspireront cette belle formulation selon laquelle la presse est comme une « maison de verre », une presse qui n’est pas « un instrument de profit commercial », mais « un instrument de culture », ayant pour mission « de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain. »
Il ne s’agissait pas, madame Mélot, d’invoquer des valeurs « autoproclamées » de gauche,…
Mme Colette Mélot. Si !
M. Patrick Abate. … il était simplement question de valeurs, au sens propre du terme.
J’en reviens au présent texte. Celui-ci confie au CSA une mission qu’il ne peut remplir que partiellement, vu son champ d’action, alors même que des structures journalistiques auraient pu venir en appui. Tel était le sens de certains de nos amendements.
Par ailleurs, concernant les comités de déontologie, la rédaction de l’article 7 a certes progressé, mais elle reste encore bien insuffisante. En outre, comme nous l’avons déjà exprimé, il ne faudrait pas que cette évolution tende à faire peser sur les seules épaules des journalistes la responsabilité de l’indépendance de la presse.
En la matière, nous persistons à le dire, la démarche consistant à souscrire à des chartes de déontologie « maison » peut apparaître au mieux comme superflue, au pire comme contre-productive en termes de protection des journalistes. Je voudrais rappeler que l’ensemble des organisations syndicales du pays sont signataires de la charte de Munich, texte fondateur européen et pilier des droits et des devoirs des journalistes, transposé au niveau international, qui doit rester le texte de référence.
Je dirai encore un mot concernant les lanceurs d’alerte. Nous avions, ici même, déjà fait valoir notre détermination en la matière à l’occasion de la discussion du projet de loi pour une République numérique et nous l’avons rappelée lors de l’examen de cette proposition de loi. Il est indiscutable que des progrès ont été réalisés, mais insuffisamment à notre avis, notamment concernant les fonctionnaires et le secret des affaires. On nous a expliqué, madame la ministre, que le projet de loi Sapin II viendrait utilement compléter le dispositif – oui, mais toujours insuffisamment.
Les lanceurs d’alerte bénéficient d’une protection certes améliorée, mais le lanceur d’alerte devrait être considéré au même titre que celui qui porte assistance à personne en danger, bien qu’il s’agisse en l’espèce de porter assistance à « société en danger ». Il s’agit bien d’inverser la logique avec laquelle on aborde ces problèmes.
De la même façon, et en dépit de la vision très restrictive de la majorité sénatoriale, ce texte contient des mesures allant dans le bon sens sur le secret des sources, même s’il nous semble que la rédaction pourrait encore être améliorée, notamment en matière de qualification des faits justificatifs de la levée du secret des sources. Cependant, on ne peut que se réjouir que le délit de recel soit abrogé.
Nous aurions aimé discuter avec vous, madame la ministre, d’une rédaction de compromis entre l’état du droit, tel qu’il est issu de la loi Dati, et la proposition retenue par le texte, mais cela sera certainement impossible. J’y reviendrai.
Parmi les mesures allant dans le bon sens, je citerai les articles 11 et 11 bis sur la suspension des aides publiques pour des publications ne respectant pas la liberté et l’indépendance de la presse, ainsi que ceux qui portent sur la transparence à l’égard des lecteurs en ce qui concerne la composition du capital.
Enfin, on ne peut que se féliciter des mesures sur la reconnaissance des associations de défense de la liberté d’information, ainsi que de la mesure sur la numérotation logique des chaînes, ou encore de celles qui concernent le dispositif dit Charb auquel, vous le savez, nous sommes très attachés.
Nous regrettons forcément de ne pas pouvoir débattre – dans l’éventualité de l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable – de ce texte pourtant nécessaire, attendu, auquel nous aurions pu ne pas nous opposer, voire que nous aurions pu approuver sous réserve de certains enrichissements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai beaucoup entendu dire ici et là, depuis que nous débattons de ce texte, y compris lors des auditions que nous avons menées au Sénat, que cette proposition de loi était non seulement inutile, mais aussi néfaste en jetant la suspicion sur le monde médiatique.
Mme Mélot vient de confirmer qu’elle est le relais dans cet hémicycle de cette position. C’est vraiment méconnaître les enjeux et les interrogations auxquels nous sommes confrontés pour tenter d’apporter des réponses lors de la discussion de cette proposition de loi. C’est avec émotion que je redis notre satisfaction qu’elle devienne bientôt la loi de la République.
Le monde politique et la presse traversent actuellement une crise de confiance. Nous avons beaucoup à faire pour la surmonter, restaurer la crédibilité des médias et pour répondre à l’irrationalité qui s’étend dans un nouveau contexte où la rumeur a autant de poids qu’une information vérifiée, où les campagnes de propagande pour promouvoir telle ou telle contrevérité pèsent autant que d’autres informations. Si cette orientation se confirmait, cela constituerait une véritable régression.
Nous devons donc agir pour asseoir de nouveau cette crédibilité et, surtout, garantir à nos concitoyens une information libre, indépendante et pluraliste. Ils doivent pouvoir choisir, car la vérité n’est jamais monolithique et ne provient jamais d’un seul vecteur.
Penser que tout cela est secondaire et que le débat risquerait de faire naître le discrédit, c’est passer à côté de l’état d’esprit des Français, qui éprouvent déjà une suspicion maximale. Il faut au contraire lever toute suspicion.
Si nous avons jugé qu’il fallait légiférer assez vite, c’est parce que, ces derniers temps, ont éclaté des affaires, des controverses, liées à ce qui était considéré par des journalistes, et de façon plus large par une partie de l’opinion publique, comme des ingérences ou des pressions d’actionnaires détenant des médias.
La représentation nationale peut décider de rejeter ces arguments en estimant qu’ils relèvent de la suspicion, ou au contraire réfléchir aux moyens d’action concrets contre ce phénomène. C’est en ce sens que j’ai déposé une proposition de loi sur le bureau du Sénat et que Patrick Bloche a fait de même à l’Assemblée nationale. Nous avons fait inscrire ces deux textes à l’ordre du jour de nos travaux, avant d’entamer la discussion à partir du texte de nos collègues députés pour avancer sur ce sujet.
Si aucun d’entre nous n’a déposé de motion tendant à opposer la question préalable lors de la première lecture, c’est parce que nous avons tous estimé que le débat était nécessaire. Sinon, le dépôt d’une telle motion dès le départ, comme le font certains de nos collègues aujourd’hui, aurait permis de gagner du temps.
Je le dis sans ambages à l’intention du groupe CRC, la concentration des médias, presse comprise – la presse quotidienne régionale est la plus lue en France – a atteint un niveau inégalé. Cette concentration constitue parfois, en termes de compétitivité, un atout par rapport à de grands groupes internationaux, mais elle joue dans notre pays plutôt en faveur d’industriels, de financiers, de sociétés dont les activités et les intérêts principaux sont très différents de ceux du monde de la presse, des médias et de l’information. Ces personnes qui détiennent l’essentiel des mass media peuvent être tentées d’empêcher la diffusion d’informations susceptibles de nuire à leurs intérêts. Or l’information libre, c’est celle qui ne s’arrête jamais, qui ne peut se laisser enfermer par des pressions politiques, économiques ou financières, même si elle dérange des intérêts particuliers.
On ne peut pas prétendre que ce texte est hors contexte, qu’il est inutile ou élaboré en vue de nuire. En réalité, dans la situation actuelle, il était nécessaire. On ne résoudra pas aujourd’hui – sur ce point, nous sommes d’accord – les questions relatives à la concentration, puisque nous n’avons pas déposé de nouveaux textes en la matière, contrairement à ce que j’avais fait en 2009. Ce sujet mérite une longue réflexion nourrie de nombreuses auditions et un débat très pointu qui permette de dégager des consensus, y compris avec le monde de l’économie, tout en conservant un regard sur l’ensemble des enjeux mondiaux et européens.
Au demeurant, si nous ne pouvons pas changer rapidement une situation dominée par les concentrations, nous devrons nous y atteler, car nous avons légiféré et encadré ces pratiques bien avant le gigantesque bouleversement médiatique et la révolution numérique qui, depuis, ont créé une autre situation. Nous avons pris des mesures s’agissant, entre autres, des seuils de capital, de couverture, mais personne ne conteste aujourd’hui l’utilité de nouvelles normes dans un paysage totalement transformé.
Il faudra légiférer de nouveau sur les seuils, mais cela ne pourra pas se faire n’importe comment, parce qu’il s’agira d’encadrer sans affaiblir la puissance de groupes engagés par ailleurs dans la compétition internationale. Je ne préciserai donc pas ces seuils aujourd’hui par amendement, au doigt mouillé !
Puisque l’on ne peut pas agir ainsi et qu’il existe déjà des ingérences, des suspicions de pressions s’exerçant sur la liberté des journalistes, nous devions alors, dans le cadre existant, protéger la liberté des journalistes, la liberté de l’information. Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui était nécessaire. C’est pourquoi il serait très regrettable de nous empêcher de poursuivre la discussion de ce texte en nouvelle lecture afin de continuer à l’améliorer et de trouver des précisions et des convergences.
En réalité, seulement 11 articles font encore l’objet de vraies divergences, et beaucoup d’apports du Sénat ont été intégrés dans le texte par l’Assemblée nationale, ce dont je me réjouis. Je citerai la numérotation logique des chaînes de télévision, ce que nous avons fait pour les chaînes parlementaires, les lanceurs d’alerte, le dispositif Charb, etc. Nous avons apporté des améliorations et nous avons trouvé des accords sur des points très importants.
Cependant, vous le savez, nous avons très vite achoppé sur une divergence de taille, sur laquelle les points de vue ne pouvaient pas se rapprocher. Le désaccord provenait en effet, non pas de la commission de la culture, mais de la commission des lois et de son rapporteur pour avis, désireux que l’on en revienne à la loi Dati, qui avait pourtant choqué et fait la une de l’actualité à l’époque, car elle remettait en cause le secret des sources des journalistes et avait même permis des condamnations judiciaires pour ingérence. Vous pensez bien que la liberté des journalistes, sans protection de leurs sources, ne peut pas exister.
Nous allons plus loin dans cette proposition de loi en étendant aux collaborateurs des journalistes la protection pour qu’elle soit réelle et totale. C’est une avancée, qui était attendue par tous ceux que nous avons auditionnés, dans le monde du journalisme, de l’investigation. En principe, vous êtes toujours satisfaits d’une bonne émission d’enquête – il y en aura une ce soir – qui, au lieu de nous dire ce que l’on sait déjà, « gratte » un peu plus ; les autres, vous les regardez à peine ! Pour que ces émissions continuent d’exister, il faut absolument protéger le secret des sources.
Ce texte est d’actualité, car nous voyons apparaître dans le débat public, à la faveur de l’élection présidentielle, les propositions que les candidats susceptibles d’être élus et de diriger notre pays demain mettent sur la table.
J’ai entendu Nicolas Sarkozy dire qu’il fallait supprimer « la dérision et l’investigation racoleuse » dans les médias – qui veut le racolage, qui veut la dérision ? –, faisant concrètement écho au passage à l’acte du patron d’un grand groupe d’information et de médias cherchant à supprimer tout ce qui pouvait être un peu impertinent, qu’il s’agisse d’un magazine d’investigation ou de la tonalité critique à l’égard du monde des puissants, de la finance ou même de la politique. Est-ce à cela que l’on veut nous préparer ? Je ne parle même pas des propositions visant à supprimer le CSA, à affaiblir le service public, ce pôle d’indépendance et de liberté garanti par la loi que nous avons votée.
Nous avons raison de légiférer pour apporter des solutions face à une situation qui peut s’aggraver demain, si un certain nombre de propositions émanant notamment de la droite venaient à s’imposer. (Mme Colette Mélot s’exclame.) Je vous l’assure, ce texte renforcera l’indépendance des journalistes. Il nous a permis d’avancer de façon significative. Si, demain, certains veulent s’amuser à le remettre en cause, ils nous trouveront face à eux dans l’hémicycle pour assurer sa défense.
Pour conclure, je ne répéterai pas toutes les avancées obtenues. Je citerai juste la protection des journalistes et du secret de leurs sources, qui était très attendue. Enfin, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait progressé sur des interrogations que j’avais moi-même exprimées ici.
Selon moi, on ne peut juger de façon objective et rationnelle de l’« intime conviction ». On sait, en revanche, ce qu’est la « conviction professionnelle » : celle-ci résulte du travail de recoupement et de vérification des informations que conduisent les journalistes.
Il faut promouvoir une déontologie journalistique qui s’appuie sur les chartes existant dans chaque entreprise. C’est une façon d’adosser le droit d’opposition tout à fait concrète en termes de valeur et de conscience professionnelles. J’avais défendu cette idée et je suis content que le texte ait progressé en ce sens.
Je suis également satisfait que Patrick Bloche ait souligné, à l’Assemblée nationale, que le contrôle du CSA se faisait non pas a priori, mais a posteriori et que l’on n’étendait donc pas ses pouvoirs de manière incroyable. J’entends que des critiques commencent à peser sur le CSA. Peut-être voudra-t-on, demain, le supprimer… Je peux vous dire qu’il faudra alors trouver un moyen de régulation pour garantir l’indépendance des médias !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. David Assouline. Je compléterai mon propos lorsque je m’exprimerai contre la motion préalable.
En tout état de cause, les membres du groupe socialiste sont très heureux que cette loi puisse voir le jour très prochainement…
Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue !
M. David Assouline. … et je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accompagné cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée est, à mon sens, un déni de réalité. Comme l’a bien exprimé notre rapporteur, Catherine Morin-Desailly, il n’est pas utile de poursuivre un examen normal de ce texte.
Nous avons recherché un équilibre entre les objectifs éthiques et la nécessité que ceux-ci n’aboutissent pas à un blocage des médias, surtout à l’heure où l’économie du secteur est devenue particulièrement concurrentielle.
Si nous avons profité des débats pour enrichir le texte, la commission mixte paritaire a échoué. Elle a achoppé sur la création d’un régime spécifique de protection du secret des sources journalistiques, c’est-à-dire sur un aspect du texte qui, pour être important en soi, ne figurait pas dans le texte initial.
Or, après l’échec de la commission mixte paritaire, comme cela a été largement développé tout à l’heure par mes collègues et par Mme le rapporteur, l’Assemblée nationale a quasiment opposé une fin de non-recevoir à nos propositions en nouvelle lecture. (Mme la rapporteur approuve.)
Certes, elle a adopté conformes un certain nombre de dispositions, telles que l’obligation de transmission de la charte aux journalistes ou les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte et à la numérotation des chaînes. Mais, faute de conciliation possible, elle est revenue à son texte sur la protection des sources, ce qui est compréhensible, mais également sur de nombreux autres points, aussi importants que la définition de la « conviction professionnelle », les modalités de saisine des comités de déontologie, les pouvoirs du CSA et même sur la transparence de l’actionnariat des entreprises de presse.
Dans ces conditions, il paraît inutile de poursuivre plus longtemps ce qui semble devenu un dialogue de sourds, raison pour laquelle nous soutiendrons, madame le rapporteur, la motion tendant à opposer la question préalable que vous avez déposée.
À titre personnel, vous me permettrez cependant d’exposer quelques raisons supplémentaires de voter cette motion.
D’une part, la proposition de loi suscite la double opposition des journalistes et des éditeurs de presse – excusez du peu !
D’autre part, les textes qui nous sont soumis – je pense aussi à la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine – ont désormais comme caractéristique, voire comme manie – je le dis sans vouloir être discourtois –, de proclamer le principe de liberté dans leur titre et dans leur texte, généralement à l’article 1er, et de multiplier aux articles suivants des dispositions toujours plus contraignantes. En d’autres termes, nous ne cessons, dans ce pays, de parler de liberté et d’agir en sens inverse.
Selon moi, la principale critique que mérite le texte proposé est qu’il nie les réalités et oublie l’essentiel. Au-delà de la volonté très claire de cliver idéologiquement, quelle est son utilité ? Nous ne disposons pas d’une étude d’impact, puisqu’il n’y en a pas eu, qui nous démontrerait que la presse française deviendrait plus forte et plus indépendante après l’adoption de ce texte. Pourtant, telle est bien la question, mes chers collègues, et, pour ma part, je suis convaincu du contraire.
Madame la ministre, je veux vous alerter sur les erreurs commises concernant les enjeux de la presse en 2016 à travers trois exemples qui matérialisent ce qu’est, selon moi, la réalité.
Premier exemple : la situation de l’Agence France-Presse, l’AFP. Son déficit s’est élevé à 4,5 millions d’euros en 2015 et devrait atteindre 8,3 millions d’euros en 2016. Sa dette consolidée se monte, quant à elle, à 71,6 millions d’euros. Nous avions attiré l’attention de votre prédécesseur sur cette situation et lui avions proposé des solutions lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.
Deuxième exemple : la fiscalité. Ce matin, la commission des finances et la commission des affaires européennes du Sénat recevaient notre commissaire européen, M. Moscovici, qui nous a fait part de sa satisfaction de voir aboutir une mesure dite « de neutralité du support », laquelle permettrait demain à la presse numérique de bénéficier des taux de TVA réduits. Je peux comprendre l’argument, mais j’aimerais connaître l’incidence de cette mesure sur la presse écrite, en particulier sur la presse d’information départementale, dont je vois mal quelle pourrait être demain la destinée, si la presse numérique est favorisée dans les mêmes conditions fiscales.
Troisième exemple : la diffusion de la presse écrite. Comme vous, j’ai consulté, en juillet dernier, soit peu de temps avant la publication de votre décret du 26 août réformant les aides à la presse – voilà un vrai sujet, à mon sens plus important –, le rapport publié par le Conseil supérieur des messageries de presse. Nous savons tous que la diffusion de la presse écrite est en baisse, mais je pensais que les chiffres en la matière étaient en voie d’atteindre un plateau. Ce n’est pas du tout le cas ! Non seulement la diminution se poursuit, mais elle s’accélère, puisque, en 2015, le volume des ventes au numéro a diminué de 6,5 % par rapport à 2014, ce qui est considérable. Je pourrais également évoquer la baisse des créations de nouveaux médias, qui est supérieure à 15 %. Enfin, nous avons connu un millier de fermetures de diffuseurs en 2015.
Mes chers collègues, nous sommes tous attachés à la liberté de la presse. J’entends qu’il existe un risque de prise de contrôle par des groupes internationaux, susceptible de mettre en cause l’indépendance des médias, pour reprendre la formule que vous avez utilisée au début de votre intervention, madame la ministre. J’entends, chers collègues Patrick Abate et David Assouline, qu’il existe un risque de concentration. Cependant, tous les éléments que vous avez évoqués ne sont pas liés à l’état de notre législation ! Les risques que vous dénoncez sont liés à la faiblesse structurelle de l’économie des médias en France. Tel est le vrai sujet sur lequel le Gouvernement devrait travailler !
Je crains que le texte présenté ce jour n’ait pas l’effet positif attendu, ce qui me conduira, comme je l’indiquais tout à l’heure, à soutenir la proposition de notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)