M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Dans ce cas, monsieur le secrétaire d’État, le rapport aurait dû nous être transmis dans les délais !
M. Vincent Delahaye. C’est vrai, il faut respecter la loi !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En tout état de cause, cela ne rassure pas sur les méthodes gouvernementales !
Les annonces en question contredisent d’ailleurs largement les engagements réitérés par la France devant la Commission européenne il y a à peu près deux mois.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce n’est pas vrai, une fois de plus. Cette intervention commence mal !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette remarque de méthode étant faite, je reviendrai tout d’abord sur l’année 2015.
L’année dernière, la croissance s’est élevée à 1,3 %, contre 0,6 % en 2013 et en 2014. Cette hausse indéniable s’explique largement par des facteurs extérieurs favorables, dont la baisse de 40 % des prix du pétrole entre mai et décembre 2015. De même, la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne a apporté un surplus de croissance de 0,4 point et la reprise de l’activité en Europe a joué.
Toutefois, il faut malheureusement constater que la croissance en France demeure en retrait par rapport à celle de nos voisins. La hausse du PIB a en effet atteint en moyenne 2 % dans l’Union européenne et 1,7 % dans la zone euro en 2015.
L’exercice 2015 a été marqué par un léger recul du déficit public, qui est passé de 4 % à 3,6 % du PIB. Ce recul est inférieur à celui que l’on relève en moyenne dans la zone euro, alors que la France, hélas, fait partie des quatre derniers pays dont le déficit excède 3 % du PIB, avec la Grèce, l’Espagne et le Portugal.
L’objectif de solde structurel de la loi de programmation est respecté, mais la réduction du déficit structurel reste inférieure à la recommandation du Conseil de l’Union européenne de mars 2015. Surtout, la réduction du déficit public a été essentiellement permise par l’amélioration du solde des collectivités territoriales, qui a elle-même découlé de l’affaissement de l’investissement local, ce dernier ayant en effet baissé de 4,6 milliards d’euros en 2015, en lien avec la réduction de la dotation globale de fonctionnement.
Par ailleurs, le taux des prélèvements obligatoires, en recul de 0,1 point, s’est établi à 44,7 % du PIB en 2015. S’il y a lieu de se satisfaire de ce recul, même s’il est limité, il apparaît qu’il n’a pas profité aux ménages. En particulier, la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu n’a pas compensé les hausses des prélèvements obligatoires intervenues depuis 2011, d’autant qu’il faut prendre en compte des augmentations de la fiscalité indirecte, comme celles de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, ou de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE.
Concernant les dépenses, la Cour des comptes, dont nous avons entendu deux fois le Premier président en commission, a estimé que l’effort annoncé de 18 milliards d’euros n’avait pas été réalisé.
Au total, la « maîtrise de la dépense publique » avancée par le Gouvernement est artificielle. En effet, en 2015, la décélération de la dépense a, pour l’essentiel, découlé, d’une part, de la baisse de l’investissement local et de la charge de la dette, et, d’autre part, du recours à des « coups de rabot », avec en particulier les « gels » du point d’indice et des prestations sociales.
Enfin, la dette publique a atteint, en 2015, le niveau record de 2 096 milliards d’euros, soit 96,1 % du PIB.
Si l’on examine plus précisément l’exécution du budget de l’État, la norme de dépenses « en valeur » a été dépassée et la norme « en volume » est respectée seulement grâce à des économies de constatation sur la charge de la dette.
Pour être tout à fait objectif, on peut relever un unique point positif : les prévisions de recettes se sont révélées réalistes.
L’évolution spontanée des recettes fiscales s’est élevée à 1,7 % en 2015. Elle est positive pour la première fois depuis 2011. Cette augmentation est liée au dynamisme des recettes résultant des contrôles fiscaux : elles atteignent 12,2 milliards d’euros, soit une hausse de 17 % en un an.
Le déficit de l’État s’élève à 70,5 milliards d’euros en 2015, contre 85,6 milliards d’euros en 2014. Le Gouvernement se targue d’une amélioration de 15 milliards d’euros, ramenée à 3 milliards d’euros après retraitement du programme d’investissements d’avenir, le PIA.
Cependant, comme le souligne la Cour des comptes, la contribution française au mécanisme européen de solidarité versée en 2014 doit également être neutralisée. En réalité – cela figure noir sur blanc dans le rapport sur l’exécution du budget – l’amélioration n’est donc que de 300 millions d’euros.
J’en viens maintenant au débat d’orientation des finances publiques. Compte tenu du délai d’examen de quelques heures qui nous a été accordé,…
M. Michel Bouvard. Eh oui !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … je n’aborderai que quelques points significatifs.
Par ailleurs, les crédits par mission et les schémas d’emplois par ministère en 2017 nous sont parvenus hier au soir, trop tardivement pour que nous puissions les commenter ! On ne peut que déplorer ce délai d’examen plus que réduit.
M. Michel Bouvard. Tout à fait !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Tout d’abord, le Gouvernement confirme les hypothèses de croissance du dernier programme de stabilité, soit 1,5 % en 2016 et en 2017, 1,75 % en 2018 et 1,9 % en 2019. Il n’est donc aucunement tenu compte des effets possibles du Brexit. C’était peut-être prématuré, mais il aurait fallu au moins émettre une réserve. Le président de la BCE et nombre d’économistes ont pourtant estimé que cela pourrait avoir une incidence négative sur le PIB de la zone euro.
Le rapport gouvernemental ne comporte aucun élément précis sur l’évolution de la dette publique ou du solde structurel, mais confirme l’objectif d’un retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017. Pour l’atteindre, le Gouvernement semble cependant disposé à recourir à des artifices comptables. En particulier, à la suite des annonces du Président de la République, le pacte de responsabilité est modifié en profondeur pour 2017. Alors qu’étaient prévues la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, et une première réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, ces mesures ont été écartées au profit d’une prolongation du dispositif de « suramortissement » des investissements, d’un relèvement à 7 % du taux du CICE, d’un renforcement des allégements de cotisations pour les travailleurs indépendants et d’une réduction de l’impôt sur les sociétés pour les PME.
Si l’on peut regretter l’inconstance de la politique fiscale du Gouvernement, les mesures annoncées ont surtout l’avantage de ne coûter que 800 millions d’euros en 2017 en comptabilité nationale. Le gain fiscal effectif pour les entreprises sera extrêmement réduit.
Par ailleurs, le Gouvernement prévoit qu’une baisse de l’impôt sur le revenu, d’un montant maximal de 2 milliards d’euros, interviendra en 2017 « si la reprise économique est plus forte que prévu ». On ignore comment ce critère pourra être apprécié d’ici au dépôt du projet de loi de finances.
Enfin, je souhaiterais insister sur le dérapage des dépenses de l’État en 2017. Hors prélèvements sur recettes et charge de la dette, elles augmenteront de 7,2 milliards d’euros par rapport au programme de stabilité. Le Gouvernement affirme que cette hausse est ciblée sur trois secteurs prioritaires : éducation et jeunesse, emploi, sécurité. Pourtant, sur dix-neuf ministères, seize verront leurs crédits augmenter ! La cible parait donc bien large…
En dernier lieu, je souhaiterais évoquer brièvement la programmation des finances publiques, même si nous ne savons pas encore si le Gouvernement décidera de présenter un projet de loi à ce sujet cet automne.
Nous avons en effet souhaité publier notre propre « consensus de la croissance potentielle », issu de la consultation des principaux instituts de conjoncture. Celui-ci retient une estimation moyenne de 1,2 % pour la période de 2015 à 2021, qui est donc significativement inférieure au « consensus » retenu par le Gouvernement pour les années 2016 et 2017 et, dans une moindre mesure, pour 2018.
Retenir le « consensus » des économistes impliquerait ainsi de réaliser 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires entre 2016 et 2019, dont près de 7,5 milliards d’euros pour 2016 et 2017, afin de respecter les objectifs définis par le Gouvernement lui-même.
Ainsi, les hypothèses de croissance potentielle devront être définies avec le plus grand soin, de manière à établir une trajectoire de solde structurel compatible avec le rebond de l’activité économique, mais également garante d’un retour rapide à l’équilibre budgétaire.
En conclusion, je vous rappelle, mes chers collègues, que la commission des finances vous demande de rejeter le projet de loi de règlement, à la fois pour marquer notre désapprobation de la politique budgétaire et fiscale menée l’an passé et pour dénoncer les débudgétisations excessives, s’agissant notamment du PIA, qui rendent quelque peu difficile la lecture de l’exécution du budget de 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce débat d’orientation des finances publiques, j’évoquerai pour ma part les finances sociales. Représentant près de la moitié des dépenses publiques et plus de la moitié des prélèvements obligatoires, celles-ci concentrent une grande partie des enjeux de soutenabilité de nos finances publiques.
Après sept années de déficit des comptes sociaux, quatorze pour le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, le retour à l’équilibre est une priorité absolue. C’est non seulement une priorité économique, mais également un impératif pour la cohésion et la justice sociales.
Certes, le déficit du régime général se réduit. Il reste toutefois, avec celui du FSV, supérieur à 10 milliards d’euros à la fin de 2015. Mis en regard des efforts consentis en recettes, ce montant est encore bien trop élevé.
Les résultats des autres régimes se dégradent, en raison de ceux de l’assurance chômage. Si les évolutions de moyen terme semblent sous contrôle au sein des régimes de retraite complémentaire après l’accord du 30 octobre 2015, rien de tel ne se profile pour l’assurance chômage, les négociateurs s’étant séparés le 16 juin dernier sur un constat de désaccord. S’ils ne parviennent pas à un accord à l’automne, il reviendra au prochain gouvernement de réformer un régime d’assurance chômage qui aura produit plus de 30 milliards d’euros de déficits cumulés à la fin de cette année.
En conséquence de cette situation, le déficit des administrations de sécurité sociale, prises dans leur ensemble, ne se réduit que faiblement. Corrigé des résultats de la Caisse d’amortissement de la dette sociale et du Fonds de réserve des retraites, le déficit social est de 17,2 milliards d’euros en 2015, soit une amélioration de 1,4 milliard d’euros par rapport à 2014.
En conséquence des déficits accumulés, la dette sociale, qui a crû de plus de 4 points de PIB depuis la crise, a augmenté en 2015 malgré la baisse de la dette de l’ensemble constitué par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, et la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES. Elle s’établit à 220 milliards d’euros, soit plus de 10 % du PIB.
Déficit et dette persistent malgré l’effort consenti sur les recettes : le niveau de prélèvements obligatoires au profit des administrations de sécurité sociale, les ASSO, a augmenté d’un point de PIB depuis 2011. Ces chiffres ne sont pas contestables, monsieur le secrétaire d’État !
En 2015, malgré la première étape du pacte de responsabilité, qui prévoyait 6,5 milliards d’euros de baisse de charges, les prélèvements obligatoires affectés à la sécurité sociale n’ont reculé que de 0,2 point de PIB. Les effets des mesures antérieures, en particulier sur les retraites, représentent encore 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires ; elles sont donc supérieures à la réduction du déficit.
La première étape de la réalisation du plan de 50 milliards d’euros d’économies illustre la difficulté à maitriser les dépenses de façon pérenne.
Certes, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, est respecté, mais seulement grâce aux mesures de régulation de la dépense hospitalière. Le sous-secteur des soins de ville dérape, lui, à concurrence de 240 millions d’euros.
Le déficit de l’assurance retraite se réduit grâce aux augmentations de cotisations dont a bénéficié la branche et grâce à la loi de 2010, dont la mise en œuvre se traduit par la baisse du nombre de départs à la retraite. Dans le même temps, l’assouplissement du dispositif « carrières longues » a triplé la charge qui y est associée, pour un coût de 2,7 milliards d’euros.
Le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, déjà alarmant, se creuse encore, à 3,9 milliards d’euros, sans aucune mesure corrective. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un dispositif de solidarité que le déficit en est plus soutenable ou plus supportable !
Qu’on l’approuve ou qu’on la regrette, la réforme de la politique familiale de 2015 a reposé sur un choix, celui de la baisse des prestations pour certains publics et de la redistribution entre les familles. Cette politique produit ses effets sur le solde, de façon très significative.
La commission des affaires sociales avait exprimé quelques réserves sur la répartition des économies prévues dans le cadre de la contribution des ASSO au plan d’économies de 50 milliards d’euros. Elle avait notamment émis des doutes sur les 4 milliards d’euros prévus au titre des régimes à gestion paritaire. Cette contribution, initialement proportionnelle à la part des dépenses sociales dans les dépenses publiques, a tout d’abord été révisée à la baisse, puis rééchelonnée, avec une accélération en 2017, par le biais du dernier programme de stabilité. Nous avons enfin appris, il y a deux jours, que moins de trois mois après la présentation dudit programme de stabilité, le Gouvernement renonçait à assurer le financement des dépenses nouvelles par des économies !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Nous n’avons sans doute pas la même définition du mot « économies », monsieur le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Pour moi, ce mot a une signification très claire en comptabilité publique.
Ces dépenses nouvelles représentent, d’ores et déjà, dans le domaine social, plus de 1,5 milliard d’euros en année pleine : 500 millions d’euros pour les mesures de baisse de cotisations des non-salariés agricoles ; 600 millions d’euros de mesures portant sur la masse salariale hospitalière, avec des injonctions bien contradictoires pour les établissements de santé. Quant aux négociations conventionnelles entre l’assurance maladie et les professions de santé, elles se traduiraient, si l’on en croit la presse de ce matin, par 750 millions d’euros de dépenses supplémentaires sur les deux années à venir.
Annoncé il y a plus de trois ans, le pacte de responsabilité a, lui aussi, fait l’objet d’ajustements récents. Après le décalage de trois mois de la seconde phase, la troisième étape change de nature : avec l’augmentation du CICE, plutôt que la suppression de la C3S, l’objectif de prévisibilité, mais aussi de simplification, est largement perdu de vue. Pas de compensation à assurer à la sécurité sociale, une comptabilisation décalée en dépenses : bref, les objectifs de court terme auront prévalu !
En conclusion, si le Gouvernement considère que nous sommes revenus au niveau d’avant la crise pour les comptes sociaux, le principal défi de la maîtrise des dépenses reste à relever ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que les congés d’été approchent, nous examinons le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2015 et nous débattons des orientations des finances publiques pour 2017.
Comme l’an dernier, nous consacrons peu de temps à ce débat, de plus programmé un jeudi en fin d’après-midi,…
M. Michel Bouvard. Tout à fait !
M. Jean-Claude Requier. … alors que la discussion de la loi de finances initiale nous occupe pendant une grande partie de l’automne. (M. Michel Bouvard applaudit.)
Par ailleurs, l’examen du projet de loi de M. Sapin relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique aura mobilisé l’essentiel des énergies en cette première semaine de juillet, laissant peu de place au bilan et aux perspectives budgétaires.
Je commencerai mon propos en mettant l’accent sur une bonne nouvelle : alors que 2012, 2013 et 2014 ont été des années de croissance presque nulle, 2015 a été marquée par un rebond, avec une croissance de 1,3 % du PIB.
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. L’amélioration de la conjoncture, bien que timide, est réelle. D’ores et déjà, elle s’est traduite par un léger dépassement des objectifs de rentrées fiscales, ce qui constitue un progrès par rapport à l’an dernier.
La réduction des déficits s’est également poursuivie, sans toutefois que puisse être atteint le sacro-saint objectif des 3 %. À ce propos, alors que le choc du référendum britannique n’a pas encore fini de produire ses effets politiques, économiques et psychologiques,…
M. Philippe Dallier. Il n’a même pas encore commencé !
M. Jean-Claude Requier. … je rappellerai que le Royaume-Uni ne s’est jamais soumis au pacte de stabilité. Ainsi, l’État britannique se permet d’afficher, en 2015, un déficit nettement supérieur au nôtre : 4,4 %, contre 3,6 %.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Mais avec un taux de chômage bien inférieur !
M. Jean-Claude Requier. De part et d’autre de la Manche, le moins vertueux n’est donc pas forcément celui que l’on croit, sans parler de l’Espagne, qui affiche un déficit de plus de 5 %. (M. le secrétaire d'État et Mme Françoise Laborde applaudissent.)
La leçon à tirer est que nous devons poursuivre nos efforts, afin de restaurer la santé de nos finances publiques ainsi que notre crédit auprès de nos partenaires européens, mais qu’il convient aussi de nuancer les discours alarmistes présentant la France comme un État en faillite, le pire élève du continent.
À une conception dogmatique de la politique budgétaire, je préfère une approche plus pragmatique – j’allais dire plus radicale (Sourires.) –, privilégiant la réduction des déficits et l’assainissement des finances en période de croissance ; une souplesse accrue en période de ralentissement, afin de laisser la puissance publique jouer son rôle de stabilisateur et d’amortisseur de crise.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Toujours est-il que le recul dont nous disposons désormais depuis l’entrée en vigueur du pacte de stabilité m’amène à faire l’observation suivante : force est de constater que, depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, en 1999, les années où nous n’avons pas atteint l’objectif des 3 % de déficit ont été les plus nombreuses ! Cela laisse perplexe quant à l’efficacité de cette contrainte collective. À quoi bon se fixer des règles budgétaires que nous ne sommes pas capables de respecter la majorité du temps ?
Mme Nicole Bricq. S’il n’y en avait pas, ce serait bien pire !
M. Jean-Claude Requier. C’est le non-dit du débat sur le TSCG, ce traité, signé en 2011, censé renforcer les contraintes du pacte budgétaire et que le Président de la République n’a pas renégocié après son élection. A-t-il pour autant été véritablement appliqué ? Il semble bien que non.
Durant l’année 2015, nous avons perçu plusieurs signaux positifs : retour de la croissance, bas prix des hydrocarbures, retour d’une certaine compétitivité due à la faiblesse de l’euro, réduction de la charge de la dette. Le premier semestre de 2016 les a confirmés, une baisse du chômage, un regain de l’investissement privé et une restauration des marges des entreprises ayant même été enregistrés, ces aspects positifs pouvant cependant être hypothéqués par des incertitudes renforcées depuis le vote en faveur du Brexit.
Par ailleurs, malgré toutes les difficultés, gardons à l’esprit les points forts de la situation française par rapport à celle de ses voisins : un bon taux d’épargne des ménages et une administration fiscale efficace qui remplit correctement sa mission de recouvrement de l’impôt.
J’en viens maintenant aux axes d’amélioration. La pression budgétaire est supportée en particulier par les collectivités, qui ont vu leurs dotations de nouveau baisser en 2015, ce qui a entraîné naturellement une baisse de l’investissement public dommageable pour l’économie. Toutefois, les économies réalisées n’ont pas permis jusqu’à maintenant d’atteindre une véritable maîtrise des dépenses et de vrais risques de dérapage existent pour 2016 et 2017.
Pour réaliser cette maîtrise des dépenses, le Gouvernement devrait cesser de procéder à des « coups de rabot » indiscriminés à la marge. Il doit recentrer ses choix autour de grandes missions prioritaires, comme les missions régaliennes : sécurité, justice et défense.
La sécurité intérieure est bien sûr plus que jamais une priorité, en raison du risque terroriste persistant. Les moyens de la justice doivent aussi être significativement renforcés. Les auditions menées le mois dernier avec des représentants de la Chancellerie l’ont confirmé. Enfin, l’effort de défense apparaît toujours nécessaire, alors que les tensions persistent ou se multiplient au Sahel, au Proche-Orient, au Moyen-Orient et à l’est de l'Europe.
S’agissant du plan d’économies de 50 milliards d’euros, j’avais demandé des précisions lors du débat sur le programme de stabilité. Considérons que j’ai obtenu une réponse ! Il est vrai que nous sommes désormais entrés de plain-pied dans le cycle électoral pour 2017.
M. Philippe Dallier. Cela ne nous a pas échappé…
M. Jean-Claude Requier. Cela n’empêche pas de rappeler les effets positifs des politiques mises en œuvre au cours de l’année écoulée ; je pense au CICE, à la lutte contre la fraude fiscale, à une gestion active de la dette qui bénéficie de taux d’emprunt nuls, voire négatifs.
En conclusion, si l’on peut regretter que les réformes de fond restent timides et que la trajectoire des finances publiques ne s’infléchisse pas encore, il faut reconnaître les efforts réalisés et les améliorations. Le groupe du RDSE approuvera à une large majorité le projet de loi de règlement pour 2015. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « la dette est une construction artificielle créée par les banques avec le consentement des États pour dépouiller les peuples et en faire des esclaves à leur solde » (M. Philippe Dallier s’exclame.),…
M. Daniel Raoul. Ça commence fort !
M. Thierry Foucaud. … a dit un jour l’ancien Premier ministre Michel Rocard. (Sourires.)
M. Philippe Dallier. Dans sa jeunesse, alors !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. On lui fait dire tant de choses…
M. François Marc. C’était du temps du PSU !
M. Thierry Foucaud. Cette question récurrente et persistante de la dette publique imprègne le traité budgétaire européen, la loi de programmation des finances publiques et, à les entendre, le discours du Gouvernement comme celui de la majorité sénatoriale. Elle doit être considérée pour ce qu’elle est : une arme de terreur paralysante pour toute politique qui voudrait, pour l’État, la sécurité sociale ou les collectivités locales, s’écarter des dogmes libéraux aujourd’hui à l’œuvre et dont les limites sont pourtant chaque jour plus évidentes.
Le projet de loi de règlement dont nous débattons peut être résumé en quelques éléments.
Nourrie de l’austérité budgétaire – on se félicite ainsi d’avoir contenu les dépenses en 2015 et d’avoir réduit les dépenses, sur l’ensemble de la législature, de 9 milliards d’euros –, fondée sur des choix fiscaux profondément inégalitaires, la loi de finances pour 2015 a permis, dans les grandes lignes, d’atteindre l’objectif fixé : contribuer à la réduction de déficits demeurant élevés – environ 71 milliards d’euros – et d’un solde primaire négatif, déduction faite du service de la dette et des dépenses d’équipement de l’État.
Pourtant, le Gouvernement pouvait tirer parti de certains aspects macroéconomiques assez favorables. Le taux nominal de nos emprunts n’a ainsi jamais été aussi faible puisque, selon l’Agence France Trésor, les taux sont négatifs à six ans et n’atteignent pas 0,5 % à dix ans. Nous émettons des bons du Trésor à taux négatif depuis le 25 août 2014, les dernières adjudications s’étant réalisées avec des taux pondérés de - 0,5 % !
Ajoutons à cela une inflation presque nulle. L’ensemble des prix sont tirés vers la déflation et le prix des matières premières est orienté à la baisse, la pression des États-Unis s’étant particulièrement fait sentir pour assécher les gisements de devises de quelques pays émergents dont le rôle international allait grandissant… Je pense, bien sûr, à des nations dont l’expression internationale fait par trop d’ombre à la domination impériale de l’Amérique du Nord.
Malgré ces facteurs plutôt favorables, que constate-t-on cette année ?
La ligne budgétaire reste la même. Elle est fondée sur une contraction des dépenses, de nouveaux arbitrages douloureux entre ministères dits « sanctuarisés » et des lettres de cadrage assorties de suppressions d’emplois budgétaires pour les autres, le tout relevé par l’habituelle ponction sur les dotations aux collectivités locales destinée à solder les comptes… Et il suffit de 3 milliards d’euros de dépenses nouvelles, soit 1 % du budget, pour que hurlent les loups !
Ajoutons à cela la mal nommée « loi Travail », qui réduit les garanties sociales des salariés de ce pays et incite au moins-disant social par la baisse des rémunérations directes, et l’on se trouve face à une trajectoire budgétaire de dépression économique. La loi El Khomri, mes chers collègues, est en effet un plus sûr moyen que le Brexit pour affaiblir encore le peu de relance économique que notre pays est censé connaître en 2017.
Cela étant posé, le débat d’orientation budgétaire de cette année est assez virtuel, les échéances électorales du printemps 2017 risquant de modifier la donne.
Les Français sont confrontés au triste spectacle d’un gouvernement ne recourant plus qu’à l’autoritarisme le plus aveugle pour faire passer ses projets de fond, agitant l’épouvantail de l’extrême droite et du retour de libéraux décomplexés aux affaires, d’un côté, et, de l’autre, à celui d’une droite se livrant à un véritable concours Lépine des propositions les plus saugrenues et les plus irréalistes. Pour se plonger dans l’accumulation de projets plus inconséquents les uns que les autres commis par les candidats aux primaires des Républicains, il faut avoir le cœur bien accroché : baisse des dépenses publiques jusqu’à concurrence de 100 milliards d’euros, suppressions massives d’emplois publics – ce qui constitue une attaque directe contre le droit des femmes, majoritaires dans le secteur public, à exercer une activité professionnelle correctement rémunérée –, création de 10 000 places de prison ou d’établissements ultra-surveillés destinés à l’internement définitif de dangereux terroristes, sans oublier la fin du statut des fonctionnaires, que l’on pourra ainsi licencier, le retour aux 40 heures, la retraite à soixante-cinq ans pour tous, et j’en passe…
C’est qu’il faut réduire la dette et les déficits, n’est-ce pas ?
On promet donc aux Françaises et aux Français, déjà accablés d’efforts et de sacrifices depuis 1974, c’est-à-dire depuis que l’État se refinance sur les marchés financiers, de la sueur et des larmes. Eh bien, mes chers collègues, cela suffit ! Passons à autre chose ! Vouloir ramener la dette publique à zéro n’a pas beaucoup de sens et, au train où vont les choses, il faudrait quarante ou cinquante années d’austérité et de budgets excédentaires pour y parvenir ! Il est temps, grand temps, de changer de politique en France et de proposer autre chose aux Françaises et aux Français. Il est temps d’unir les forces du travail et de la jeunesse, les ressources de la création, de l’imagination, de l’innovation, des savoir-faire et des compétences pour apporter des réponses publiques efficaces et novatrices aux besoins collectifs.
Ainsi, la situation du logement demeure préoccupante dans notre pays. Facilitons l’innovation dans les programmes de construction sociale et axons-les d’abord et avant tout sur la situation des demandeurs telle qu’elle est, et non telle qu’on l’imagine ! Accroissons les capacités de financement de ces opérations à moindre coût, en mobilisant les ressources de l’épargne populaire de manière plus significative.
Pouvons-nous nous satisfaire que l’état sanitaire de la population se détériore au fil des ans sous l’effet d’une réduction continue de sa couverture par le régime général de sécurité sociale ?
Mes chers collègues, ne comptez pas sur nous pour supprimer l’aide médicale d’État, qui demeure le plus sûr moyen de nous prémunir contre tout risque sanitaire provenant de l’extérieur. Nous entendons poser clairement la question du financement de la sécurité sociale par l’accroissement des cotisations et la lutte déterminée contre la fraude sociale organisée à grande échelle, notamment dans les secteurs où l’on est habitué, si l’on peut dire, à ne pas payer les cotisations normalement dues.
Sortons de cette étatisation de la sécurité sociale que constituent les lois de financement, dont pas la moindre n’a réellement permis, depuis vingt ans, de résoudre le problème des déficits cumulés.
S’appuyer sur les forces du travail permettra de rendre aux salariés et aux travailleurs les droits et pouvoirs dont ils ont été privés dernièrement. Oui à la semaine de travail de 32 heures et au retour à la retraite à soixante ans, en donnant une priorité aux personnes ayant effectué des carrières longues ou exercé les métiers les plus usants.
Les choix budgétaires et les décisions prises en matière de finances publiques ne peuvent être durablement acceptés aujourd'hui que s’ils s’appuient sur un renforcement des droits sociaux et collectifs. Place donc à l’audace et au progrès ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)