Mme Frédérique Espagnac. Cet amendement vise à rétablir l’article 31 dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale.
La commission des affaires économiques, à la demande de M. le rapporteur pour avis, a en effet profondément réduit la portée du dispositif en supprimant la possibilité, pour le président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, de saisir le président du tribunal de commerce en cas de refus de dépôt des comptes annuels. Elle a également supprimé la mise en place de sanctions en cas de non-respect de ce dépôt de comptes.
Je tiens à préciser que nous sommes très étonnés de cette position, qui ne semble aller dans le sens ni de la transparence ni, en conséquence, de l’intérêt des agriculteurs.
Par ailleurs, la commission a également supprimé plusieurs alinéas, introduits à l’Assemblée nationale par différents groupes politiques, visant à compléter les missions de cet observatoire dans un sens souhaitable.
En somme, si cet article restait en l’état, il serait totalement vidé de sa substance. Le groupe socialiste et républicain souhaite donc son rétablissement.
Mme la présidente. L’amendement n° 456, présenté par M. Le Scouarnec, Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-391 du 31 mars 2016 recodifiant les dispositions relatives à l’outre-mer du code rural et de la pêche maritime, est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour ce faire, il peut demander directement aux entreprises les données nécessaires à l’exercice de ces missions. » ;
2° Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il examine la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de commercialisation des produits agricoles. » ;
3° Après le quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il compare, sous réserve des données disponibles équivalentes, ces résultats à ceux des principaux pays européens. » ;
4° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque les dirigeants d’une société transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits alimentaires n’ont pas procédé au dépôt des comptes dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce, le président de l’observatoire peut saisir le président du tribunal de commerce afin que ce dernier adresse à la société une injonction de le faire à bref délai sous astreinte. Le montant de cette astreinte ne peut excéder 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction.
« L’observatoire remet chaque année un rapport au Parlement.
« L’observatoire procède, par anticipation au rapport annuel, à la transmission des données qui lui sont demandées par les commissions permanentes chargées des affaires économiques et par les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat sur la situation des filières agricoles et agroalimentaires. »
II. – Au 8° de l’article L. 621-3 et aux premier et dernier alinéas de l’article L. 621-8 du même code, la référence : « L. 692-1 » est remplacée par la référence : « L. 682-1 ».
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental, à travers la guerre des prix dans la grande distribution, la plupart des acteurs perçoivent la violence et l’absurdité d’un système qui déséquilibre la chaîne de valeurs, fragilise tous les acteurs économiques, sape la cohésion sociale et entraîne défiance et suspicion.
Depuis le milieu des années 1970, l’indice des prix alimentaires a diminué de 10 %, alors que celui des prix agricoles à la production a perdu 40 % de sa valeur. Dans le secteur de la transformation, plusieurs marchés sont entre les mains d’un nombre très restreint d’acteurs. Dans le secteur de la viande bovine, notamment, le groupe Bigard domine en réalisant plus de 50 % des abattages en France. Dans le secteur des produits laitiers, dix grands groupes industriels ou coopératifs collectent plus de 85 % du lait de vache produit.
Aussi l’article 31 avait-il pour vocation de favoriser la transparence et la lisibilité à toutes les étapes de la relation entre le producteur et l’industriel transformateur. En effet, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, à l’occasion de la crise du lait, il est apparu qu’un certain nombre de transformateurs utilisaient la possibilité qui leur est donnée par la loi, moyennant une amende, de ne pas publier leurs comptes annuels. À titre d’exemple, les comptes des groupes Lactalis et Bigard ne sont pas publiés : pour Lactalis, il s’agit de près de 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires, comme cela a été souligné lors des débats à l’Assemblée nationale.
Il y a clairement une distorsion de marché. Cette situation induit une défiance qui nuit aux négociations entre, d’une part, les producteurs et les transformateurs et, d’autre part, les transformateurs et les distributeurs. L’article 31 tendait à remédier à cette situation par un mécanisme financier coercitif d’astreintes renforcées visant à assurer le dépôt des comptes annuels des sociétés transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits alimentaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 541 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall et Hue, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-391 du 31 mars 2016 recodifiant les dispositions relatives à l’outre-mer du code rural et de la pêche maritime, est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour ce faire, il peut demander directement aux entreprises les données nécessaires à l’exercice de ces missions. » ;
2° Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il examine la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de commercialisation des produits agricoles. » ;
3° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque les dirigeants d’une société commerciale transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits alimentaires n’ont pas procédé au dépôt des comptes dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce, le président de l’observatoire peut saisir le président du tribunal de commerce afin que ce dernier adresse à la société une injonction de le faire à bref délai sous astreinte. Le montant de cette astreinte ne peut excéder 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction.
« L’observatoire remet chaque année un rapport au Parlement.
« L’observatoire procède, par anticipation au rapport annuel, à la transmission des données qui lui sont demandées par les commissions permanentes chargées des affaires économiques et par les commissions d’enquête des assemblées parlementaires sur la situation des filières agricoles et agroalimentaires. »
II. – Au 8° de l’article L. 621-3 et aux premier et dernier alinéas de l’article L. 621-8 du même code, la référence : « L. 692-1 » est remplacée par la référence : « L. 682-1 ».
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’objet de cet amendement est similaire à celui des deux amendements précédents. Monsieur le rapporteur pour avis, je vous avoue que nous comprenons mal la position de la commission des affaires économiques sur cet article.
Notre amendement vise à revenir à la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale : cela arrive ! Je tiens à rappeler que la création, en 2010, de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires a constitué sans aucun doute une avancée, dans la mesure où elle a permis de mieux percevoir la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne alimentaire. C’est ainsi, d’ailleurs, que l’on peut constater, hélas – et ce n’est pas une surprise –, la faible part de l’agriculture dans la valeur finale de la consommation alimentaire. Le dernier rapport de l’Observatoire a établi cette part à 18,3 %.
Il est donc absolument primordial d’avoir les données les plus précises sur la formation du prix pour détecter l’origine des déséquilibres dans les relations commerciales. Dans cette perspective, l’article 31 étend les missions de l’Observatoire. La commission a choisi de revenir sur cet élargissement pour mettre en place un mécanisme de mauvaise publicité.
Notre amendement vise donc à rétablir en grande partie la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Il était notamment – cela vient d’être rappelé, à juste titre – permis à l’Observatoire de demander des données directement aux entreprises.
Cet amendement tend également à rétablir le renforcement des sanctions en direction des entreprises qui ne déposeraient pas leurs comptes dans les délais légaux. Nous avons dans ce pays, à l’échelon des producteurs, un grand problème de suspicion. Nous examinons un texte de transparence. Il paraît donc absolument nécessaire d’obtenir une avancée sur ce point. Nous n’apportons pas toujours nos suffrages au mot de « transparence », tellement il est galvaudé, mais dans le cas présent, il faut absolument rétablir la confiance envers nos producteurs. Les entreprises qui, dans ce secteur, ne déposent pas leurs comptes – Lactalis est un exemple parmi d’autres – ont un comportement inadmissible, qui entraîne des réactions négatives, que l’on peut parfaitement comprendre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. L’amendement n° 286 vise à rétablir l’article 31 du projet de loi dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
En commission, nous avions souhaité privilégier une procédure de publicité des non-réponses à l’Observatoire de la formation des prix et des marges, ce afin d’inciter les entreprises à la transparence.
En effet, le code de commerce prévoit déjà une procédure permettant au président du tribunal de commerce de faire injonction aux entreprises de publier leurs comptes. Cette procédure avait été mise en place pour la prévention des difficultés des entreprises.
Nous ne voyons pas trop l’intérêt de créer un deuxième dispositif donnant, lui aussi, au président du tribunal de commerce, la possibilité d’enjoindre les entreprises de publier leurs comptes, sous astreinte.
Par ailleurs, la rédaction à laquelle souhaitent revenir les auteurs de cet amendement accroît les demandes vis-à-vis de cet observatoire et prévoit également qu’un pré-rapport soit adressé au Parlement. Donner du travail en plus à l’Observatoire, qui reste une petite structure avec des moyens modestes, risque de perturber sa tâche et, au final, de casser un outil qui fonctionne aujourd’hui plutôt bien.
Ces considérations ont amené la commission à modifier l’article 31. Je souhaite que ces modifications soient conservées et non pas remises en cause par l’adoption de l’un des trois amendements que nous examinons.
La commission des affaires économiques est donc défavorable à ces amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce sujet relève des engagements que j’avais pris et qui ont été intégrés dans ce projet de loi. Rappelez-vous la crise de l’élevage qui sévit encore : certaines entreprises expliquent qu’elles répercutent des prix bas aux éleveurs du fait de leurs propres difficultés. Pourtant, quand on leur demande quelle est la réalité de leur situation économique, elles répondent que ce point doit rester secret. Il y a tout de même là un problème !
Vous connaissez ce sujet par cœur. Comment rétablir la confiance sans transparence ?
Les agriculteurs se plaignent de ne pas obtenir les prix désirés. Ils se tournent vers le ministre pour connaître la répartition de la valeur ajoutée. Bonne question : une fois que les flux entrent dans l’entreprise, les comptes disparaissent !
L’industriel, quant à lui, prétend que la grande distribution lui prend tout. Et la grande distribution affirme avoir payé ce qu’elle devait conformément aux accords passés avec ses partenaires.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons vraiment besoin de cette transparence. C’est une bonne chose que l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires soit bien informé. Mais si les entreprises ont la possibilité de ne pas déposer leurs comptes sans que cela leur coûte rien, elles ne s’en priveront pas.
Comment voulez-vous discuter des prix, de la vente à perte, entre autres sujets, si nous ne disposons pas de ces informations ?
Même si je ne remets pas en cause les propositions du rapporteur pour avis sur l’Observatoire, je suis donc tout à fait favorable à ces trois amendements, dont le premier tend à revenir à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je suis désolé pour M. le rapporteur pour avis, mais je voterai en faveur de l'amendement n° 286. Il me paraît en effet tout à fait pertinent, pour les raisons développées par M. le ministre.
En outre, la rédaction du présent article par la commission des affaires économiques, qui tend à privilégier la publicité à la sanction en faisant valoir que cette dernière existe déjà, pourvu qu’elle soit appliquée par le président du tribunal de commerce, mérite d’être revue.
Intégrer la publicité dans cet article n’est pas une mauvaise idée, mais les amendements dont nous discutons me semblent aller dans le sens recherché par tous : vers plus de transparence. Nous saurons ainsi peut-être enfin comment se partage la valeur ajoutée entre les trois acteurs de la filière.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Je suis moi aussi désolé pour M. le rapporteur pour avis, mais il y a tant de suspicion autour du partage de la valeur ajoutée que je ne peux qu’être favorable à ces trois amendements.
Je ne crois pas que les entreprises dévoileront spontanément leurs comptes, si elles sont seulement incitées à le faire.
Je voterai donc ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Nous voterons bien sûr l'amendement n° 286, dont le dispositif est proche de celui que j’ai présenté.
Je suis assez souvent d’accord avec vous, monsieur le rapporteur pour avis, mais je dois dire que je ne comprends absolument pas la motivation des avis défavorables que vous venez d’exprimer.
Vous l’avez rappelé, le président du tribunal de commerce peut dans tous les cas convoquer les dirigeants d’une entreprise qui ne dépose pas ses comptes.
Le présent amendement vise seulement à donner au président de l'Observatoire la possibilité de « saisir le président du tribunal de commerce afin que ce dernier adresse à la société une injonction de le faire à bref délai sous astreinte », laquelle ne peut excéder 2 % du chiffre d’affaires journalier. C’est un moyen de disposer des comptes !
Vous connaissez parfaitement la situation des producteurs de lait. J’ai rappelé il y a un instant que le groupe Lactalis payait la tonne de lait 257 euros – rendez-vous compte ! – et qu’il était réticent à produire ses comptes, alors que c’est une obligation légale.
Nous connaissons tous, au-delà de nos étiquettes politiques, l’étendue de la crise qui frappe le monde agricole. Le Gouvernement essaie de faire face à ces difficultés, qui sont considérables : des milliers d’entreprises sont à la limite du déséquilibre, et certaines vont devoir cesser leur activité.
Il n’est pas raisonnable, dans ces conditions, d’envoyer le message que nous voulons maintenir la situation actuelle. C’est le meilleur moyen de susciter non seulement l’incompréhension, mais aussi une véritable colère des exploitants.
J’ai sous les yeux un courrier en date d’aujourd'hui qui m’a été envoyé par la Fédération nationale des producteurs de lait. Elle n’est pas du tout contente de la situation ! Cela ne veut pas dire qu’il faut systématiquement l’écouter, bien sûr, mais cela témoigne d’un véritable problème.
Peut-être avez-vous des arguments importants à faire valoir pour défendre vos avis sur ces amendements, mais je persiste à penser que ne pas les voter ne serait pas un bon signal. (M. Michel Le Scouarnec applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Je voterai moi aussi l’amendement n° 286.
Le prix du lait baisse en France et en Europe. Il est aujourd'hui de 257 euros la tonne. Dans certains départements comme le Cantal, l’Ain ou en Bretagne, il approche même les 200 euros. En deux ans, la baisse est de plus de 100 euros : c’est dramatique !
Les entreprises transformatrices, quant à elles, s’en sortent bien ; certaines font des profits, parfois records.
Pour rétablir la confiance entre les producteurs et les transformateurs, je trouve tout à fait normal d’instituer la vérité des prix et des comptes. Le présent projet de loi est « relatif à la transparence » : appliquons donc ce principe aux entreprises. Sans publication de leurs comptes, celles-ci se verront imposer des astreintes. C’est un moyen coercitif, mais efficace.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour explication de vote.
Mme Frédérique Espagnac. Nous l’avons tous dit : les temps sont difficiles pour les agriculteurs, et laissent place à beaucoup de suspicion. Nous avons parlé des groupes Lactalis, Bigard…
Pour y faire face, il est important de mettre nos actes en adéquation avec les principes que nous défendons. Il est temps de voter l’amendement n° 286, si possible à l’unanimité. C’est important pour les producteurs, qui ne comprendraient pas qu’il en aille autrement.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis.
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. Je ne voudrais pas qu’il y ait d'ambiguïté. En rédigeant le présent article, la commission des affaires économiques avait en tête le même objectif que les auteurs de ces amendements : la transparence.
Le vote de la commission sur cet article s’explique par la volonté de donner toute sa place à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, mais sans faire d’amalgame, sans vouloir donner à ce dernier un rôle ou des missions qu’il n’a pas. Son rôle n’est pas de sanctionner, il est de fournir des informations.
Je voudrais vous lire deux articles très précis, mes chers collègues.
Le premier, l’article L. 611-2 du code de commerce que Jacques Mézard connaît mieux que moi dispose : « Lorsque les dirigeants d'une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut, le cas échéant sur demande du président d'un des observatoires mentionnés à l'article L. 910-1 A, leur adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte.
« Si cette injonction n'est pas suivie d'effet dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, le président du tribunal peut également faire application à leur égard des dispositions du deuxième alinéa du I », autrement dit procéder à la convocation des dirigeants ou demander des informations aux commissaires aux comptes et aux administrations. Tout est déjà prévu !
Le second, l’article L. 123-5-1 du code précité, va encore plus loin, mais on ne l’a jamais utilisé : « À la demande de tout intéressé ou du ministère public, le président du tribunal, statuant en référé, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires.
« Le président peut, dans les mêmes conditions et à cette même fin, désigner un mandataire chargé d'effectuer ces formalités. »
Pourquoi créer une procédure spécifique au secteur agroalimentaire ? Il suffit d’appliquer le droit commun !
Autre argument : est-ce vraiment le rôle du président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires de déclencher des procédures de publication de comptes et de prendre parti entre des acteurs de filière ?
M. Alain Vasselle. Oui !
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. Lors de son audition par notre commission, le président de l’Observatoire nous a indiqué que son institution ne pouvait en outre se fonder uniquement sur les comptes sociaux – c’est ce dont nous parlons – pour obtenir des éléments sur la formation des prix et des marges. C’est parce qu’il a des relations avec des entreprises qui acceptent d’aller plus loin et de lui fournir des informations sur les prix et les marges qu’il peut produire ce rapport annuel si intéressant.
Ne faisons pas jouer à l’Observatoire un rôle qui n’est pas le sien ! L’Observatoire nous renseigne en nous fournissant des éléments objectifs dans son domaine. Lui accorder un pouvoir de contrainte n’enrichira pas son expertise, cela l’appauvrira plutôt.
Je le répète, l’esprit qui nous anime est le même que le vôtre. Seulement, chacun doit rester à sa place. Faire sortir l’Observatoire de son rôle serait un signe de faiblesse. Les dispositions existantes n’ont jamais été appliquées, alors que tout intéressé peut déclencher la procédure menant à la publication des comptes des entreprises. Mais il est vrai que peu d’acteurs de la filière connaissent les deux moyens d’action que j’ai évoqués.
Moi aussi, monsieur Mézard, j’ai reçu hier soir un texto du président de la Fédération nationale des producteurs de lait, qui me remerciait du travail déjà effectué, et espérait que cet article serait voté aujourd'hui par le Sénat.
Alors, n’entretenons pas la confusion sur le rôle de l’Observatoire, qui doit seulement fournir des éléments sur la formation des prix.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vais être le plus clair possible. Tout ce que vous venez de dire est exact, monsieur le rapporteur pour avis. L'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires doit bien fournir des informations, et les entreprises sont bien tenues de transmettre leurs comptes.
Mais il se trouve que certaines d’entre elles ne le font pas. La seule question à se poser, c’est : pourquoi ? La réponse est simple : parce que l’amende sur injonction est de 1 500 euros.
M. Alain Marc. C’est cela !
M. Stéphane Le Foll, ministre. On peut toujours invoquer les articles du code de commerce. Mais restons simples, faisons « agricole » : si la sanction est tellement faible qu’une entreprise n’encourt en réalité aucun risque à ne pas publier ses comptes, elle ne les publiera pas.
Certaines, bien sûr, procèdent à une publication. Les sociétés cotées par exemple, car elles ont besoin de capitaux.
L’absence de transparence m’a suffisamment mis en difficulté, pendant la crise de la viande, par exemple. Et la question se pose toujours des prix et du transfert des marges. Les transformateurs disent ne pas pouvoir payer plus cher les producteurs, et en reportent la responsabilité à la grande distribution.
Comment puis-je en juger ? Comment expliquer que Lactalis, qui a un mix produits laitiers à haute valeur ajoutée, baisse ses prix d’achat ? Lactalis peut très bien expliquer perdre de l’argent, mais rien ne permet de le vérifier : aucun compte n’est disponible ! Si nous ne renforçons pas les sanctions, nous n’aurons jamais les résultats de ces entreprises.
Nous avons tous déposé des amendements relatifs à la prise en compte des coûts de production dans les prix, à la formation des prix, à la répartition de la valeur ajoutée… La moindre des choses pour y voir clair est que les comptes soient transparents ! Cela permet de discuter, d’aider les entreprises en difficulté.
Nous avons besoin de voir cet amendement adopté. Sans sanction, je le répète les entreprises n’ont aucun intérêt à publier leurs comptes. En augmentant les sanctions, nous augmentons aussi nos chances qu’elles le fassent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis.
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. Je crois que vous ne m’avez pas bien écouté. Deux moyens existent déjà pour exiger la publication des comptes : la sanction, qui est effectivement d’un montant ridicule, mais il y a aussi l’astreinte, qui s’additionne à la sanction, et qui s’applique sur une base quotidienne.
Il ne faut pas raconter d’histoire aux producteurs, les laisser croire qu’une sanction plus importante résoudra leurs problèmes. Les outils juridiques existent déjà !
M. Alain Vasselle. Pourquoi ne sont-ils pas utilisés ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. La publication ne changera pas fondamentalement la donne pour les producteurs.
Nous allons mettre en place des organisations de producteurs, nous voulons aller plus loin en matière de contrats, ajouter des références dans les formules de prix retenues entre agriculteurs et transformateurs, entre transformateurs et distributeurs. Mais rien ne dit, monsieur le ministre, que la publication des comptes entraînera une augmentation des prix.
Un amendement que nous examinerons dans un instant vise à comparer les résultats obtenus par l’Observatoire de formation des prix et des marges des produits alimentaires aux résultats obtenus dans les principaux pays européens. C’est très important, car l’Observatoire a besoin d’un maximum d’informations pour remplir correctement sa mission, ce que ne permettent pas, vous le savez, les comptes sociaux.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. La crise est si profonde qu’il faut envoyer un signal aux producteurs. On peut très bien faire de grands discours et avancer que tous les dispositifs existent déjà, mais à quoi servent-ils s’ils sont dans les tiroirs depuis des années sans que personne s’en serve ? Nous devons faire ce petit effort, adopter une solution qui s’ajoute à ce qui existe déjà ; c’est urgent.
Vous connaissez tous cette situation, particulièrement vive en Bretagne. Les hypermarchés sont envahis par les syndicalistes ; les journaux sont remplis de témoignages de producteurs, qui se plaignent du manque de transparence : les prix à la vente sont toujours plus élevés, les produits viennent d’ailleurs, les productions locales ne se vendent plus ou alors à des prix très bas. La crise est immense !
Il est urgent, mes chers collègues, d’envoyer un signal aux producteurs. C’est pour eux que nous nous battons !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.