Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Annie David. Vous le voyez, madame la ministre, mes chers collègues (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.), les salariés sont attachés…
Mme la présidente. Merci !
Mme Annie David. … à leur entreprise. Je n’accepterai donc pas cet article 2 en l’état.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Face au trouble que provoque l’article 2, un responsable politique engagé pour la défense des travailleurs et des salariés ne peut lui aussi qu’être troublé et s’interroger.
Aujourd’hui, les droits sociaux sont menacés non seulement par ceux qui les remettent en cause politiquement, mais aussi par les rapports de force dans l’entreprise : quand il n’y a pas de syndicat dans une entreprise, ce n’est généralement pas bon pour les salariés… Un projet de loi qui essaie de prendre à bras-le-corps cette question, de faire en sorte que le syndicalisme français, très minoritaire au sein du salariat, trouve une véritable légitimité, notamment dans les PME, où 80 % des salariés sont employés, doit donc être regardé de près.
C’est vrai que la loi protège, mais elle peut changer selon les majorités politiques.
M. Bruno Sido. Heureusement !
M. David Assouline. En revanche, le rapport de force imposé dans l’entreprise par les syndicats, lui, demeure. Et ce rapport de force, il dépend du nombre d’adhérents d’un syndicat et non de la majorité politique en place ! Par conséquent, quand on veut renforcer le syndicalisme dans l’entreprise, je regarde plutôt ça d’un œil positif.
Cela étant, je comprends le trouble, car les dispositions prévues supposent l’existence de partenaires loyaux et responsables. Or, au cours de ces dernières années, ceux qui ont parlé au nom du patronat ont fait preuve d’irresponsabilité. Voyez ce qui s’est passé avec le pacte de responsabilité et de solidarité : les promesses n’ont pas été tenues !
Ce qui sème le trouble dans le pays, c’est aussi l’attitude du patronat français. D’autres patronats ont demandé des sacrifices aux salariés, mais, eux, ils ont tenu leurs engagements au moment où la croissance revenait. Le patronat de M. Gattaz provoque et ne donne pas confiance aux salariés…
M. Gaëtan Gorce. Tout n’est pas à jeter dans cet article 2. Je pense en particulier à la volonté de regrouper les branches, pour en diminuer le nombre aberrant.
Développer et encourager la négociation d’entreprise, rapprocher ces questions des salariés, c’est également une bonne idée. En théorie, l’idée est même parfaite, mais, en pratique, elle se heurte à de très nombreuses objections. La principale a été évoquée par nombre d’entre nous : la faiblesse de la représentation syndicale dans les entreprises, qui est le résultat d’une histoire qu’on ne peut ignorer. Une autre objection tient au contexte dans lequel cette négociation d’entreprise est encouragée : les salariés n’ont pas de grain à moudre, puisque leur emploi est menacé et qu’il s’exerce une forte pression sur les salaires. Tout les poussera à négocier des accords de régression, puisqu’il s’agit d’abord de sauvegarder l’entreprise.
Voilà un certain temps, j’ai été le rapporteur de la loi sur les 35 heures. Dans le cadre de son examen, nous avions pris soin d’encourager la négociation d’entreprise, et ce de différentes manières, notamment en prévoyant comme contrepartie le bénéfice d’aides et, plus particulièrement, de baisses de cotisations. Cela permettait aux salariés de négocier en matière de salaire et d’emploi dans un cadre plus équilibré. Ainsi, en 2001, soit au moment où la loi sur les 35 heures a été votée, on comptait en moyenne 35 000 accords par an. On est ensuite passé à plus de 75 000, notamment dans les petites entreprises. Je note que ce chiffre est aujourd'hui retombé à 35 000.
Le problème n’est pas de savoir si nous voulons favoriser la négociation d’entreprise, qui n’est d’ailleurs pas remise en cause. Certains prônent un système décentralisé. Or rien n’empêche aujourd'hui les entreprises de négocier. La question est de savoir quels sont les objectifs d’une telle négociation.
Aujourd'hui, la négociation d’entreprise doit s’insérer dans le cadre fixé par la loi et la branche. C’est à ce principe que nous restons attachés. Nous estimons en effet qu’il existe un déséquilibre très net des rapports de force et qu’il n’est donc pas souhaitable – je reviendrai sur ce point – d’encourager une dérégulation supplémentaire, alors que tout va dans le sens d’une individualisation du droit du travail, qu’il s’agisse des salaires, du temps de travail ou de la reconnaissance. Un tel mouvement présente trop de risques pour les salariés. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne devons pas aller dans le sens qui nous est proposé. (M. Jean Desessard applaudit.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 rectifié bis, 41 et 865.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 250 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 38 |
Contre | 301 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 473 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 963 rectifié est présenté par MM. Durain, Godefroy et Cabanel, Mme Lienemann, MM. Labazée et Gorce, Mme Ghali et MM. Néri et Courteau.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Pour l’application des dispositions du présent livre, la convention ou accord d’entreprise ne peut être que plus favorable aux salariés que l’accord de branche et l’accord de branche ne peut être que plus favorable aux salariés que les lois et règlements en vigueur et les règles supplétives prévues par ce livre.
La parole est à Mme Annie David, pour présenter l’amendement n° 473.
Mme Annie David. Par cet amendement, nous proposons de rétablir le principe de faveur. Je m’appuierai de nouveau sur un exemple local pour illustrer mon propos.
Le groupe Sequana, propriétaire, avec la BPI, la Banque publique d’investissement, de l’entreprise Arjowiggins, spécialisée dans les papiers et cartons de communication, a décidé de fermer le site flambant neuf de Charavines dans l’Isère, pour concentrer la production sur sa filiale située en Écosse. Durant des mois, les salariés d’Arjowiggins ont tenté de contrer la stratégie du groupe Sequana, dont la seule intention était de retrouver un repreneur qui détruise l’outil industriel, afin qu’il ne puisse pas un jour se trouver en concurrence avec l’usine située en Écosse.
Pour les salariés, l’important était de préserver leur savoir-faire et leurs emplois. Pour ce faire, ils ont étudié plusieurs pistes de reprise. L’une d’entre elles était un projet assis sur la chimie verte et fondé sur un nouveau procédé, la chromatogénie. Il permet la fabrication de papiers et cartons totalement résistants à l’eau, qui conservent leurs qualités de recyclage et de biodégradation. Il présente de nombreux atouts, sur le plan tant environnemental que de la santé publique. Il s’agit d’un procédé innovant, économique, qui trouve ses débouchés dans de nombreux domaines : l’emballage, l’ameublement, mais aussi la construction et la rénovation de logements.
Le projet porté par les salariés d’Arjowiggins présentait en outre le grand avantage de s’adapter à l’outillage en place dans l’usine papetière de Charavines, permettant un redémarrage immédiat de la production et la reprise immédiate des 80 salariés du site, avec la perspective, à moyenne échéance, d’emplois supplémentaires, ainsi que la préservation des emplois indirects affectés, dans le bassin d’emploi, par l’arrêt de l’activité de l’usine de Charavines.
L’opportunité d’un tel projet, économiquement et socialement compétitif, utile, innovant et respectueux de l’environnement, aurait pu conduire l’actionnaire, la BPI, et les ministres de l’économie et du développement durable, auxquels, avec d’autres élus, je me suis adressée, à tenter de convaincre le groupe Sequana de changer de stratégie. Il lui aurait été possible, soit de favoriser ce projet de reprise industrielle, soit de conserver sur le site la production qui ne concurrençait pas ses activités écossaises. Il n’en a rien été.
Aujourd’hui, les salariés ont été licenciés et les machines détruites. Le site est toujours en cours de cession à un repreneur qui n’envisage pas d’embaucher plus de 35 salariés pour sa nouvelle activité et ne s’est engagé qu’à une chose : ne surtout pas reprendre les salariés d’Arjowiggins, jugés « trop créatifs ».
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l'amendement n° 963 rectifié.
M. Jérôme Durain. Dans un monde idéal, l’accord conclu au plus près de l’entreprise et de son activité est effectivement la meilleure solution. Il garantit la souplesse, la réactivité, l’efficacité. Dans un monde idéal, le dialogue et la confiance prévalent, les négociations apaisées et équilibrées sont la règle.
Malheureusement, je fais partie de ceux qui estiment que nous ne vivons pas dans un tel monde et que le contexte économique et social est profondément défavorable aux salariés : les rapports de subordination sont plus durs que jamais, le poids des syndicats est loin d’être celui qu’il devrait être. Dans le monde dans lequel nous vivons, il existe parfois des syndicats « maison », des référendums d’entreprise qui peuvent être organisés, comme chez Smart, contre l’avis des syndicats majoritaires, contre l’intérêt des salariés, pour des raisons économiques douteuses.
Pour toutes ces raisons, cet amendement de repli tend à prévoir un filet de sécurité, une garantie, contre le dumping social et la concurrence déloyale. Il vise également, madame la ministre, à permettre une ouverture politique en faisant évoluer ce texte vers une version acceptable par le plus grand nombre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. L’adoption de ces amendements reviendrait à effectuer un bond de trente-quatre ans en arrière. En effet, cette histoire n’est pas nouvelle : c’est l’ordonnance Auroux du 16 janvier 1982 qui a pour la première fois autorisé les accords de branche à déroger à la norme supérieure, dans un sens favorable ou défavorable aux salariés. L’histoire de France nous enseigne également que des ministres communistes siégeaient à l’époque au gouvernement. Ils ne l’ont pas quitté pour autant ! Vous avez donc vous-mêmes, chers collègues communistes, ouvert la brèche (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), et elle s’est petit à petit élargie.
Aujourd’hui, par cohérence, nous estimons qu’il revient aux salariés eux-mêmes, à travers leurs organisations représentatives, de parvenir avec leurs employeurs, au regard des conditions locales, aux équilibres et aux faveurs qui leur conviennent. Donnons la parole au terrain !
M. Jean-Pierre Bosino. Mais bien sûr ! Que chacun se débrouille !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Comme je souhaite me faire bien voir de ma hiérarchie, je prendrai l’exemple de La-Roche-sur-Yon, en Vendée, un département agréable. Sur le site Michelin, des accords de compétitivité ont été conclus. Devinez qui a signé cet accord ? Le syndicat SUD ! Pas moins !
Cet accord prévoit un certain nombre d’assouplissements : les salariés auront à travailler davantage en période de pic d’activité et devront piocher dans leur compte épargne-temps lorsque l’activité diminue. Les délégués de SUD ont estimé qu’il s’agissait, localement, d’un bon accord pour les salariés.
Je le répète, faisons confiance au terrain. C’est site par site, branche par branche, que les équilibres seront trouvés, dans un sens nécessairement favorable aux salariés. En effet, si un accord est conclu, c’est que tout le monde s’y retrouve.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je vous ferai grâce des propos que j’ai déjà tenus hier sur la question du principe de faveur. Il me semble tout de même important de vous rappeler que notre souhait est de donner la possibilité aux acteurs de terrain de se mettre d’accord,…
M. Jean-Pierre Bosino. Cette possibilité existe déjà !
Mme Myriam El Khomri, ministre. … avec cependant une règle essentielle : faute d’accord, c’est le droit actuel qui s’appliquera.
Je voudrais répondre à ce qu’a dit M. Godefroy en évoquant les lois Aubry. En effet, des dérogations existent depuis de nombreuses années. Mais, à l’époque où les lois Aubry ont été votées, un syndicat pouvait ne représenter que 5 % des salariés de l’entreprise et malgré tout signer un accord ; la règle des 30 % n’avait pas encore été créée. La vraie différence est là ! Nous, nous proposons l’instauration du principe de l’accord majoritaire. Cette évolution historique mérite d’être relevée.
La question du dumping social soulève beaucoup d’interrogations. Je comprends les inquiétudes, mais, je le répète, je n’oppose pas un niveau à un autre. Depuis l’ouverture de la négociation d’entreprise en 1982, chaque avancée dans ce sens a été taxée de régression sociale. À chaque fois, le risque du dumping social a été brandi. André Bergeron était déjà contre les lois Auroux. Mais à quoi sert-il d’avoir raison en théorie et tort dans la réalité ? Les lois successives en la matière ont-elles entraîné un dumping généralisé ? Certains répondront « oui » ! À ceux-là, je demande : à quel moment situez-vous l’âge d’or ?
M. Jean-Pierre Bosino. C’est l’âge des acquis sociaux !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Dans les années soixante, quand les ouvriers travaillaient à la chaîne, usés, avec une espérance de vie dépassant à peine l’âge de la retraite ? N’idéalisons pas le passé ! Soyons capables de le regarder avec lucidité, tout en reconnaissant le caractère essentiel des luttes sociales et des acquis existant dans notre pays.
J’ai déjà rappelé l’extension des conventions de branche et le fait que nous ne touchions ni au SMIC ni à la durée légale du travail. Monsieur Montaugé, le projet du Gouvernement est bien de maintenir une durée légale du travail de 35 heures. Il faut être particulièrement clair là-dessus !
De quoi parle-t-on quand on parle de dumping social ? Du salaire ! Or, sur ce sujet, le projet de loi est clair : le salaire minimum et les classifications sont déterminés au niveau de la branche, et les accords d’entreprise ne peuvent être que plus favorables aux salariés. C’est la réalité du texte qui est présenté aujourd’hui !
Il s’agit d’une vraie différence, par exemple, avec les positions du gouvernement conservateur espagnol, qui, lui, a donné la primauté à l’accord d’entreprise en matière de rémunération et surtout la possibilité de déroger à l’accord de branche par décision unilatérale de l’employeur. Cela n’a absolument rien à voir avec le projet qui est porté par le Gouvernement. Ce que nous faisons est complètement différent ! Et je ne dis pas que si notre projet de loi est de gauche, c’est parce que des gouvernements conservateurs vont faire pire.
M. Jean-Claude Carle. Non, mieux !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je dis que la généralisation du principe majoritaire issu de la position commune des syndicats en 2008 est un acquis essentiel.
À l’évidence, le développement des accords d’entreprise est un mouvement irréversible. Il est nécessaire de permettre aux entreprises de s’adapter beaucoup plus rapidement aux circonstances économiques ; mais nous prônons l’adaptation par le dialogue social, via un accord signé par des organisations syndicales représentant 50 % des salariés.
De surcroît, dans notre pays, le SMIC existe. C’est aussi une donnée essentielle ! On parle beaucoup de l’Allemagne, mais, jusqu’à cette année, la question du salaire minimum faisait une vraie différence avec la situation allemande. Je salue d’ailleurs, comme je l’ai déjà fait, le travail essentiel effectué en la matière par mon homologue Andrea Nahles, ministre du travail allemande.
Si, en France, on décidait de s’en remettre aux branches pour le salaire minimum, de nombreux salariés gagneraient moins que le SMIC.
Mme Nicole Bricq. Absolument ! On l’oublie !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je vous l’ai dit hier : quarante-deux branches ont un coefficient inférieur au SMIC. Voilà aussi ce que nous montre le terrain !
Le dumping social peut également s’appliquer à la durée légale du travail, qui détermine le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Le Gouvernement ne touche pas aux 35 heures,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Vous le faites, mais sournoisement !
Mme Myriam El Khomri, ministre. … qui ne peuvent être modifiées ni par accord de branche ni par accord d’entreprise. C’est, là encore, une grande différence avec les décisions du gouvernement conservateur espagnol, ainsi qu’avec le projet de la majorité sénatoriale.
Concernant l’organisation du travail, nous maintenons la primauté des accords de branche pour les points les plus sensibles. Je pense au travail de nuit, au temps partiel, aux heures d’équivalence. En vérité, il est ridicule de soutenir que nous opposerions les différents niveaux de négociation. Nous cherchons, au contraire, le bon niveau, le niveau le plus efficace, en fonction des thèmes. En effet, nous considérons que, s’agissant de thèmes tels que les temps de pause, les temps d’habillage et de déshabillage, les heures de récupération des heures perdues, les délais de prévenance ou les amplitudes horaires, le bon niveau est celui de l’entreprise.
Aujourd’hui, l’accord d’entreprise peut décider de 70 % des paramètres de l’organisation du travail. Vous avez raison, de nombreuses dérogations sont déjà possibles.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Myriam El Khomri, ministre. En matière d’organisation de la vie quotidienne, nous souhaitons continuer à donner davantage de marge de manœuvre aux acteurs locaux. Notre objectif est notamment de revitaliser le syndicalisme.
Il n’est pas illégitime que les syndicats puissent négocier au plus près de l’entreprise sur ce qui fait le quotidien des salariés. La condition sine qua non, c’est que de tels accords soient conclus par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés.
Aujourd’hui, des accords minoritaires sont signés concernant l’organisation de la modulation du temps de travail ou la négociation des contingents d’heures supplémentaires et des forfaits-jour. Or a-t-on constaté un dumping social généralisé ? Les salariés de Total n’ont évidemment pas les mêmes conditions de travail que les salariés de TPE ou de PME ; mais la réponse est non ! Cela ne veut pas dire que les abus n’existent pas, mais ils sont particulièrement minoritaires.
Pour quelle raison, alors, au moment où nous passons au principe de l’accord majoritaire, la situation empirerait-elle ? Qui peut me présenter un accord majoritaire qui s’est conclu à l’encontre de l’intérêt des salariés ? Je pose cette question à tous les dirigeants d’organisations syndicales que je rencontre. Personne !
M. Didier Guillaume. Eh oui ! C’est évident !
Mme Myriam El Khomri, ministre. De tels accords sont d’ailleurs, à près de 85 %, signés par toutes les organisations syndicales.
Le problème est que l’on manque d’accords, notamment dans les plus petites entreprises. La promotion par le Gouvernement des accords types de branche et du recours au mandatement syndical dans les TPE et les PME vise précisément à favoriser la négociation dans les plus petites entreprises.
Enfin, quels salariés continueraient à voter pour des syndicats qui iraient contre leurs intérêts ?
Mme Laurence Cohen. On pourrait poser la même question aux électeurs de François Hollande !
Mme Myriam El Khomri, ministre. La représentativité syndicale dans l’entreprise a un sens !
Les syndicats qui se sont engagés dans la conclusion des accords chez Renault, PSA ou Michelin ont-ils été sanctionnés après coup par les salariés ? Non ! Les craintes sont légitimes, mais les faits sont têtus.
Concernant les heures supplémentaires, je voudrais également mettre fin à certains fantasmes et apaiser certaines inquiétudes. Un accord majoritaire est un sacré verrou. Si vraiment les salariés ne devaient céder que le pistolet sur la tempe, alors, dans les treize branches où, depuis dix ans, il est possible de signer des accords d’entreprise dérogatoires – dans ces treize branches, les heures supplémentaires peuvent donner lieu à une majoration de salaire de 10 % seulement : le verrou des 25 % n’existe pas –, des centaines, des milliers d’accords d’entreprise auraient été conclus. Mais, là encore, ce n’est pas le cas !
M. Didier Guillaume. Ce sont de bons arguments, très clairs !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Il n’y a pas eu de dumping social : voilà la réalité ! Je peux vous l’assurer, en tant que ministre du travail et au regard de tous les accords d’entreprise qui, depuis six mois, ont été portés à ma connaissance. Le travail effectué autour de ce projet de loi aura d’ailleurs eu le mérite d’instaurer une forme d’open data en matière d’accords d’entreprise ; cette transparence accrue fait du bien.
Par ce projet de loi, nous réaffirmons le rôle de la branche, nous posons le verrou de l’accord majoritaire – il s’agit, comme je l’ai dit, d’une évolution historique –, nous augmentons de 20 % les heures accordées aux délégués syndicaux, nous prévoyons la mise en place d’accords de méthode, nous introduisons le principe de loyauté de la négociation : voilà un vrai projet de société, au service du développement du dialogue social, bon pour le progrès économique et bon pour le progrès social ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Très bonne argumentation !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous ne serez pas étonnés, chers collègues, que je défende le principe de faveur.
Madame la ministre, vous souhaitez des négociations dans l’entreprise. Je vous fais une proposition qui va donner du grain à moudre, comme disait André Bergeron : conditionnez le versement du CICE à la conclusion d’un accord d’entreprise !
Mme Nicole Bricq. Nous verrons ça lors de l’examen du projet de loi de finances !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Là, oui, il y a de l’argent public, donc du grain à moudre, et de la faveur possible ! Les contreparties pourraient concerner l’investissement, les garanties d’avenir, les salaires ou encore la modernisation de l’outil de production : quel beau champ des possibles ! Mais non ! Ce n’est pas possible ! On donne des crédits publics à des chefs d’entreprise qui savent mieux que tout le monde ce qu’il convient d’en faire…
Certes, le salaire n’est pas touché, mais, sur la feuille de paie qu’il reçoit à la fin du mois, le salarié ne regarde pas dans le détail ce qui correspond au salaire brut ou aux heures supplémentaires.
Vous le savez très bien, madame la ministre, de la souplesse pour organiser le temps de travail, il en existe déjà autant qu’un évêque peut en bénir ! Le problème, c’est que les heures supplémentaires, il faut les payer ! C’est ce qu’une partie du patronat refuse, en prônant la baisse des rémunérations et du seuil de déclenchement des heures supplémentaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. Ladislas Poniatowski. Et nous, nous comptons les coups !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Cela n’arrive pas si souvent, monsieur Poniatowski. Ne boudez pas votre plaisir…
Mes chers collègues, c’est avec un peu de peine que j’ai entendu les sanglots longs des violons de la nostalgie. Je suis moi aussi, en tant que socialiste, l’héritier des longues luttes qui ont été menées pour améliorer le sort des salariés, et je ne me sens pas traître au motif que je soutiens le projet de loi qui nous est soumis. Je ne suis simplement pas d’accord pour que nous en restions là. Où en sommes-nous, en effet ?
Les embauches se font à 90 % en CDD. La France est le deuxième pays de l’Union européenne au nombre de CDD d’une durée inférieure à un mois ; les jeunes signent, au titre de leur première embauche, des CDD d’une semaine sans espoir de renouvellement. La situation actuelle convient-elle vraiment à tout le monde ? Au motif que beaucoup de gens sont dans la rue, que l’opinion publique n’y serait pas favorable, devrions-nous modifier notre projet ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Louis Tourenne. Allons-nous désormais mener notre politique à coups de sondages ? La noblesse de la politique n’est-elle pas précisément d’être à l’avant-garde, de faire œuvre de pédagogie et de conduire notre pays loin vers l’avant ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Là n’est-elle pas notre responsabilité ?
Je suis pour les accords d’entreprise : c’est le moyen de faire de chaque ouvrier un acteur de son entreprise.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Jean-Louis Tourenne. En encourageant les accords d’entreprise, nous reconnaissons que l’ouvrier n’est plus mineur, mais qu’il est capable de réfléchir aux meilleures solutions et d’apporter sa contribution, adaptée à la situation locale, de sorte que, lorsque l’afflux de commandes arrive, les acteurs de l’entreprise soient capables d’y faire face ensemble, en étant prêts à innover et à modifier, le cas échéant, les conditions de production.
M. Jean-Claude Carle. Bravo !
M. Jean-Louis Tourenne. Chaque ouvrier, chaque salarié, pourra y trouver le sens de son engagement et même l’occasion de s’enthousiasmer pour le travail qu’il fait. C’est ce qui fait trop fréquemment défaut, conduisant parfois à des dégradations de la santé des travailleurs.
Nonobstant quelques points qui pourraient faire l’objet d’améliorations, je soutiens le projet de loi : il est nécessaire à notre pays, et je vous remercie, madame la ministre, de le porter avec autant de courage et de volonté. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.)