M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je note que vous ouvrez la perspective d’un rapprochement entre les départements et la métropole, même si cela prendra du temps. La loi de 2015 a créé une première étape ; il faudra ensuite gravir les différents échelons.
C'est dans ce sens, d’ailleurs, que le débat avait été conduit en 2015. J’espère contribuer à la réflexion avec une proposition de loi que j’ai déposée, visant à aller dans le sens du modèle lyonnais.
Je l’avoue, j’ai été incité à accélérer le mouvement, car je suis inquiet du projet de fusion des départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine. De l’aveu même de leurs présidents, cette perspective n’a qu’un seul objectif, celui de saboter la métropole. J’incite donc le Gouvernement à être vigilant.
On ne peut pas accepter que deux départements qui n’ont pas grand-chose en commun fusionnent simplement pour permettre à leurs élus de conserver leurs pouvoirs et à leurs collectivités de garder leur coffre-fort financier pour éviter de le partager au niveau métropolitain. En définitive, je le redis, il s’agit uniquement de saboter la mise en place d’une métropole que tout le monde appelle de ses vœux et qui correspond aux aspirations de la population.
Nous sommes confrontés à une opération de déstabilisation. Il est très important que le Gouvernement rappelle que le projet de fusion entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines n’est pas souhaitable, que la perspective est bien la métropole du Grand Paris et, à terme – nous avons le temps d’y réfléchir d’ici à 2020 –, la fusion des départements et de la métropole pour créer une nouvelle collectivité.
Nous devons poursuivre nos réflexions dans cette voie. Je suis bien sûr disposé à y participer avec ma proposition de loi, qui peut, bien entendu, être discutée et amendée. Je suis tout à fait favorable à ce que le Gouvernement prenne vraiment les choses en mains dans ce dossier.
modalités de recensement des logements sociaux dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, auteur de la question n° 1343, transmise à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’existence de divergences entre le recensement des logements sociaux prévu par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », et celui qui est réalisé en application du code général des collectivités territoriales dans le calcul de la DGF, la dotation globale de fonctionnement.
Cette différence s’avère particulièrement préjudiciable pour les communes implantées en zone rurale et qui font des efforts en matière de mixité sociale. En effet, la part des logements sociaux dans le parc total de logements est un critère utilisé pour déterminer l’éligibilité à la DGF et le montant dû au titre de la DSU, la dotation de solidarité urbaine.
Or, alors que cette donnée est également au cœur de la mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU, le périmètre retenu au titre de la DGF est différent de celui qui est fixé pour l’inventaire annuel effectué en application de ce texte. Ainsi, l’inventaire au titre de la loi SRU intègre les logements sociaux appartenant à des personnes privées et conventionnées, c’est-à-dire ayant bénéficié de prêts aidés ou d’aides spécifiques de l’État, ainsi que les foyers d’urgence ou de réinsertion, tandis que le recensement des logements sociaux au titre de la DGF, effectué à la demande du ministère du budget, exclut ces données.
Par ailleurs, la législation actuelle instaure un système à deux vitesses pour les communes : celles qui font un effort en matière de construction de logements sociaux ne sont pas aidées par l’État si leur population est inférieure à 5 000 habitants, seules les communes dépassant ce seuil bénéficiant d’une bonification de leur DGF via la DSU.
Bien que justifiée par des considérations techniques, cette double différence dans le dénombrement des logements sociaux constitue une source d’incompréhension pour les collectivités rurales. En l’état du droit, l’inventaire des logements sociaux réalisé au titre de la loi SRU ne peut donc pas être utilisé pour le calcul de la DGF. Dans mon département, le président de l’union des maires s’est ému de l’exclusivité de l’attribution d’aides de l’État aux seules communes urbaines en matière de logement social.
Eu égard à l’amélioration substantielle de ce recensement, et dans un souci de simplification des modalités de calcul de la DGF, la suppression de l’une de ces deux techniques de dénombrement – celle du ministère du budget ou celle du ministère du logement – devrait être examinée. Cela pourrait s’accompagner d’une ouverture des aides publiques aux petites communes rurales qui construisent des logements sociaux.
Aussi, je vous demande d’indiquer les clarifications, modifications, précisions réglementaires et législatives que le Gouvernement serait susceptible d’adopter ou de proposer en ce sens.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Bernard Cazeau, si les logements sociaux n’ont pas d’effet sur la dotation forfaitaire des communes, ils constituent effectivement l’un des critères de charges utilisés pour la répartition de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, et pour le calcul du reversement du FSRIF, le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France.
La possibilité d’une harmonisation a été étudiée par les groupes de travail du Comité des finances locales sur la réforme de la DGF entre mars et juillet 2015, réforme à laquelle nous travaillons d’ailleurs toujours.
Toutefois, plusieurs obstacles s’opposent à une telle harmonisation. D’une part, le champ des communes concernées par la loi SRU ne correspond pas à celui des communes potentiellement bénéficiaires de la DSU ou du FSRIF, c’est-à-dire les communes ayant une population supérieure à 5 000 habitants, vous l’avez rappelé. À titre d’exemple, en 2015, sur les 2 159 communes de France métropolitaine ayant une « population DGF » supérieure à 5 000 habitants, seules 1 437 étaient comprises dans le champ des communes SRU. Si les données issues de la loi SRU avaient été reprises pour le calcul de la DSU, les logements sociaux de 722 de ces communes n’auraient pas pu être comptabilisés.
En outre, le recensement des logements sociaux effectués dans le cadre de la répartition des concours financiers de l’État ne comprend que les communes ayant une population supérieure à 4 500 habitants – vous l’avez aussi souligné.
Les services de mon ministère recensent les logements sociaux des communes de 5 000 habitants et plus, mais également ceux des communes de 4 500 à 4 999 habitants, au cas où celles-ci dépasseraient le seuil des 5 000 habitants l’année suivante, afin de pouvoir observer la variation de leur parc de logements sociaux d’une année sur l’autre. Il n’est donc pas non plus possible d’utiliser ce recensement dans le cadre de la loi SRU, puisque les données des communes ayant une population inférieure à 4 500 habitants manqueraient.
Du fait de ces différences méthodologiques de recensement des logements sociaux, il n’est donc pas possible de fusionner les recensements effectués dans le cadre de la loi SRU et ceux qui sont réalisés dans le cadre de la répartition des concours financiers de l’État.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le ministre, je vous remercie. Je prends note de votre réponse en ayant bon espoir qu’une évolution interviendra en ce domaine pour ces petites communes rurales que vous avez pour habitude de défendre.
6
Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des lois ont proposé trois candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame MM. Cyril Pellevat, Jean-Yves Roux et Jean-Pierre Vial membres du Conseil national de la montagne.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
7
Désignation d’un sénateur en mission temporaire
M. le président. Par courrier en date du 10 mai 2016, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L. O. 297 du code électoral, Mme Odette Herviaux, sénatrice du Morbihan, en mission temporaire auprès de lui.
Cette mission portera sur la simplification des normes applicables aux exploitations agricoles.
Acte est donné de cette communication.
8
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration du Centre scientifique et technique du bâtiment.
Conformément à l’article 9 du règlement, la commission des affaires économiques a été invitée à présenter une candidature.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
9
Prorogation de l’état d’urgence
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (projet n° 574, texte de la commission n° 582, rapport n° 581).
Mes chers collègues, comme je l’ai annoncé en conférence des présidents, nous voterons, à ma demande, par scrutin public sur l’ensemble de ce projet de loi, conformément à l’article 60 de notre règlement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en raison de la persistance de graves menaces terroristes susceptibles de nous frapper sur l’ensemble du territoire national, le Gouvernement soumet à votre examen une troisième loi de prorogation de l’état d’urgence pour une durée supplémentaire limitée à deux mois.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant toute chose, je tiens à remercier particulièrement le président Gérard Larcher, qui témoigne dans ses relations avec l’exécutif, depuis le 13 novembre dernier, sur les sujets qui relèvent de notre souveraineté et de la sauvegarde de notre modèle républicain, d’un sens de l’État qui hisse très haut votre institution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Je remercie aussi le président de la commission des lois, Philippe Bas, qui a permis l’examen de ce projet de loi dans des délais extrêmement contraints.
Je souhaite également adresser un message à Michel Mercier, qui, dans le cadre de ses missions de contrôle, a su faire la synthèse entre un examen intransigeant des prérogatives de l’État et la mesure de la dimension du contexte, qui appelle à une solidarité nationale.
Cette solidarité, je l’ai retrouvée chez les sénateurs de l’ensemble des groupes – même si tous ne voteront pas pour ce texte – et je tenais, au moment où nous examinons une nouvelle loi de prorogation, à témoigner de la reconnaissance du Gouvernement à l’égard de tous pour la qualité du travail mené. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Chacun a pu constater que l’état d’urgence n’était pas synonyme d’arbitraire, et que les décisions prises et les actes effectués sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par la loi, tout comme les raisons justifiant d’y avoir recours et de le prolonger.
De la même manière, les mesures de police administrative que nous prenons en application de l’état d’urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles doivent être strictement proportionnées à la nature de la menace et à l’ordre public qui en découle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs très clairement rappelé le 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence doivent concilier « la prévention des atteintes à l’ordre public » avec « le respect des droits et des libertés », parmi lesquels figurent le droit et la liberté « d’expression collective des idées et des opinions ».
J’ai eu à le dire durant les séances de questions d’actualité : l’état d’urgence n’est pas un état de convenance politique et ne doit pas être détourné de son objet initial, qui consiste à prévenir la commission de nouveaux attentats terroristes. Il en va de la solidité de notre démocratie. Pour la même raison, je veux rappeler le principe essentiel selon lequel l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps que nécessaire.
Aujourd’hui, nous en demandons à nouveau la prorogation, en raison de la persistance d’un péril terroriste et dans un contexte particulier marqué par l’organisation d’événements de dimension internationale qui contribuent au rayonnement de la France.
En ce qui concerne l’intensité de la menace, le 22 mars dernier, Bruxelles a été victime à son tour d’un attentat multisites d’une extrême violence qui a provoqué la mort d’une trentaine de victimes. Le 24 mars suivant, à Argenteuil, grâce à l’action de nos services, nous avons mis en échec un nouveau projet d’attentat, et même sans doute plusieurs.
Si les investigations menées à l’échelle européenne ont permis d’arrêter, au cours de ces dernières semaines, la plupart des membres identifiés appartenant au réseau terroriste ayant fomenté et exécuté les attentats de Paris et de Bruxelles, nous savons que la menace demeure à un niveau élevé. Nous savons aussi que les attentats de Bruxelles ont été commis dans cette ville faute, pour leurs auteurs, d’avoir pu bénéficier du temps nécessaire pour frapper à nouveau la France, car tel était bien leur projet.
Songez que, depuis le début de l’année, les services spécialisés de police ont procédé à 101 interpellations en lien direct avec le terrorisme djihadiste, lesquelles ont donné lieu à 45 mises en examen et à 33 mises sous écrou. Ces chiffres illustrent à eux seuls le niveau de la menace…
L’organisation l’été prochain de l’Euro 2016 et du Tour de France nous impose de faire preuve d’une vigilance redoublée. Ces événements populaires et d’ampleur internationale constituent en effet des cibles potentielles pour les terroristes.
Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre et des résultats qu’elles nous ont permis d’obtenir dans le cadre de la deuxième phase de l’état d’urgence.
Comme vous le savez, dans les premiers jours de l’état d’urgence, en novembre dernier, les forces de sécurité ont conduit plusieurs centaines de perquisitions administratives dans le but de déstabiliser les filières terroristes. Le risque d’une réplique immédiate des attentats qui venaient de frapper notre pays était en effet très élevé, comme l’a démontré la neutralisation, au cours d’une opération à Saint-Denis le 18 novembre dernier, d’Abdelhamid Abaaoud, alors qu’il projetait de commettre un nouvel attentat.
Globalement, il a été procédé à 3 427 perquisitions administratives durant la première période de l’état d’urgence, c’est-à-dire jusqu’au 26 février. Une fois ce considérable travail accompli par les forces de sécurité, le nombre des perquisitions a logiquement diminué pour s’établir à 145 entre le 27 février et le 9 mai.
Vous noterez toutefois que, en dépit de cette baisse du nombre des perquisitions, 162 armes supplémentaires ont encore été saisies au cours de cette deuxième phase, attestant que des personnes particulièrement dangereuses avaient été ciblées. Au total, depuis le déclenchement de l’état d’urgence, 750 armes ont été neutralisées, dont 75 armes de guerre.
En outre, ces perquisitions ont permis de conduire un important travail de renseignement, de levée de doutes et de mise à jour des fichiers. Ce travail s’est poursuivi durant la deuxième phase de l’état d’urgence.
Quant aux suites judiciaires des mesures que nous avons prises, sachez que 594 perquisitions administratives ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure judiciaire, dont 223 du chef d’infraction à la législation sur les armes et 206 du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. À l’issue de ces procédures, 28 informations judiciaires et 67 peines ont été prononcées, et 56 personnes ont été placées en détention, résultats là encore particulièrement significatifs.
Pour ce qui concerne les assignations à résidence, sur les 268 procédures en vigueur au 26 février dernier, 69 ont été renouvelées. Trois nouvelles assignations ont été décidées au cours de cette deuxième phase, ce qui porte à 72 les décisions d’assignations à résidence.
Par ailleurs, deux suspensions ont été prononcées par le juge administratif et une assignation a été abrogée sur l’initiative de l’administration, car, de façon concomitante à l’abrogation, la personne concernée a été expulsée du territoire national.
Je rappelle que, depuis le début de l’état d’urgence, 216 recours en référé ont été engagés devant le juge administratif contre les mesures d’assignation à résidence ; 16 suspensions ont été prononcées et 12 mesures ont été annulées lors de leur examen au fond. Par ailleurs, 9 perquisitions ont fait l’objet d’une annulation contentieuse.
Ces chiffres montrent précisément à la fois que le contrôle exercé par le juge administratif a été rigoureux – contrairement à ce que certains avaient redouté – et que l’administration a agi avec discernement, puisque la très grande majorité des mesures prises ont été validées.
À ce jour et depuis 2013, pas moins de douze attentats ont été déjoués, dont sept depuis janvier 2015. Je veux par conséquent saluer le travail réalisé par les services de renseignement et notamment par la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure. Je rappelle que cette direction est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités terroristes.
J’en viens à présent à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons à nouveau absolument nécessaire.
Au cours de ces derniers mois, plusieurs attentats, qu’ils soient d’ampleur comparable ou inférieure à ceux du 13 novembre dernier, ont été commis à l’étranger contre nos intérêts et nos ressortissants. Les groupes djihadistes ont également visé des alliés directs de la France.
Grâce aux investigations, nous savons que les terroristes impliqués dans les attentats de Bruxelles du 22 mars dernier appartenaient à la même cellule que celle qui a planifié et exécuté les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis. En outre, le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats de Bruxelles, qui ont tué 32 personnes et en ont blessé plus de 300, avaient initialement été envisagés et programmés pour être exécutés en France, avant que les terroristes, pris de cours par les investigations judiciaires menées en Belgique, ne soient contraints de précipiter leur action dans la capitale belge.
À l’heure actuelle, la menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé. La France représente clairement une cible prioritaire en raison du combat résolu qu’elle mène contre les djihadistes au Sahel, en Irak et en Syrie, mais aussi, plus profondément, en raison des principes universels de liberté, de laïcité et d’émancipation qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles et qui font horreur aux terroristes djihadistes.
Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l’abri, ni de considérer que le « péril imminent » qui a justifié, en novembre dernier, la proclamation de l’état d’urgence a disparu.
J’ajoute que, dans les mois qui viennent, les enjeux de sécurité seront d’autant plus complexes à gérer que nous nous apprêtons à accueillir un nombre très important de visiteurs étrangers à l’occasion de l’Euro 2016, du 10 juin au 10 juillet prochain. Comme je l’ai déjà dit, ce grand événement festif d’ampleur internationale constitue une cible potentielle pour les groupes terroristes.
Selon les déclarations faites à la presse belge par le parquet fédéral belge, la France, comme d’autres pays de l’Union européenne, continue d’être visée par des projets de nature terroriste.
Bien entendu, un effort considérable a déjà été engagé, dans le cadre du droit commun, pour renforcer notre dispositif de lutte antiterroriste, avec, notamment, le rétablissement de contrôles aux frontières et le déploiement, sur l’ensemble du territoire national, de 110 000 policiers, gendarmes et militaires de nos armées dans le cadre de l’opération Sentinelle. En outre, le vote de la loi Savary et l’examen en cours du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale nous permettront de prendre le relais.
Cependant, même si nous prenons par ailleurs les précautions qui s’imposent pour garantir la sécurité dans les stades et dans les « fans zones », et même si la mobilisation des forces de l’ordre sera à cette occasion maximale, nous avons besoin de pouvoir recourir à des mesures prévues par l’état d’urgence dans ce contexte spécifique, caractérisé par une absolue nécessité.
La demande de prorogation que le Gouvernement soumet à votre approbation n’est donc ni une mesure de confort ni une facilité. Elle est dictée par l’existence de menaces et par l’ensemble des événements que nous avons pu connaître dans un passé récent.
Avant de conclure, je veux apporter certaines précisions concernant les mesures que nous comptons mobiliser dans le cadre de cette troisième prorogation de l’état d’urgence.
Comme l’autorise la loi du 3 avril 1955, le Gouvernement envisage de ne pas activer, dans ce cadre, l’article 11, qui permet de mettre en œuvre des perquisitions administratives dans des lieux dont on pense qu’ils sont fréquentés par des individus constituant une menace pour l’ordre et la sécurité publics. En effet, cette mesure, que nous avons largement utilisée après les attentats du 13 novembre, ne présente plus aujourd’hui le même intérêt opérationnel, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l’objet d’investigations poussées.
En outre, l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition permettant de réaliser copie des données informatiques recueillies au cours des perquisitions administratives fait perdre une partie de son utilité à cette mesure.
En revanche, les autres mesures continueront d’être mobilisées pour maintenir les individus assignés à résidence, pour interdire à ceux qui font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire, mais qui n’ont pas été assignées à résidence de se trouver à proximité de certains lieux jugés sensibles, ou encore pour établir des périmètres de protection. Les mesures de maintien de l’ordre public en situation de crise grave seront bien sûr activées si elles s’avèrent nécessaires, et ce en conformité parfaite avec les principes de droit posés par la jurisprudence et la Constitution.
Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence, dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement, a de nouveau pour objet de concilier la protection de l’ordre et de la sécurité publics dans le contexte d’une grave menace terroriste avec la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution.
C’est avec cette ambition que le Gouvernement vous soumet cette demande. La commission l’ayant soutenue, nous espérons qu’il en sera de même pour le Sénat dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains – Mme Aline Archimbaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, comme vient de nous le rappeler M. le ministre de l’intérieur, nous sommes saisis aujourd’hui par le Gouvernement d’une nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence.
Il s’agit pour nous de répondre à une question simple : le Gouvernement a-t-il besoin de maintenir l’état d’urgence pour pouvoir remplir sa mission de maintien de l’ordre public ?
Au-delà du bilan de l’état d’urgence depuis le mois de novembre dernier, bilan que vous trouverez dans le rapport législatif et qui, bien entendu, corrobore celui que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur, nous devons apporter une réponse à cette interrogation au regard des conditions que pose la loi de 1955.
Dans ce court exposé, je voudrais souligner, car cela mérite de l’être, que, s’il n’y a pas eu de réforme de la Constitution pour introduire l’état d’urgence dans notre loi fondamentale, il y a désormais un droit constitutionnel de l’état d’urgence, constitué par les trois décisions du Conseil constitutionnel.
Existe-t-il un risque imminent d’atteinte grave à l’ordre public qui justifie le recours à l’état d’urgence, ou plus précisément à sa prorogation ?
M. le ministre nous a expliqué, tant aujourd’hui que lors de son audition devant la commission des lois, que la menace terroriste était permanente, diffuse et largement présente sur le territoire national et dans les pays voisins. En d’autres termes, le risque d’attentat est à un niveau élevé, comme le démontrent trois événements au moins : les attentats de Bruxelles, ceux qui ont été perpétrés en Afrique sahélienne, où nos soldats mènent la lutte contre Daech, et également les opérations menées à Argenteuil, près de Paris, où les services de l’État ont déjoué une tentative d’attaque terroriste sur le point d’être menée.
La menace terroriste existe donc bel et bien. Même si nous avons appris, un peu, à vivre avec, elle n’en demeure pas moins très actuelle, et elle nécessite un engagement total des forces de l’ordre, auxquelles nous tenons à rendre hommage : depuis le mois de novembre, gendarmes, policiers et soldats assurent la sécurité des Français de façon tout à fait admirable.
La situation est rendue plus complexe encore par l’organisation de deux événements sportifs très importants : l’Euro 2016 de football et le Tour de France. Le Conseil d’État, dans l’avis rendu sur le présent projet de loi, souligne que « la conjonction d’une menace terroriste persistante d’intensité élevée et de ces deux très grands événements sportifs » qui vont entraîner de grands mouvements de foule, caractérise le « péril imminent » tel qu’il est exigé par la loi de 1955 pour que soit mis en œuvre l’état d’urgence.
On peut donc répondre sans crainte par l’affirmative : les conditions sont aujourd’hui réunies pour proroger l’état d’urgence.
La demande du Gouvernement est de surcroît réduite par rapport aux deux précédentes, puisqu’il nous est demandé de voter une prolongation de deux mois, c’est-à-dire jusqu’au 26 juillet 2016, lorsque ces deux événements auront pris fin. À cette date, également, le projet de loi destiné à lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme aura été définitivement voté. La commission mixte paritaire ayant lieu demain, nous pouvons tous souhaiter qu’elle aboutisse.
Certes, le péril est imminent, mais il est permis de réduire le délai, parce que l’État sera armé autrement. Grâce au vote du texte que je viens d’évoquer, les procédures de droit commun seront plus efficaces pour lutter contre le terrorisme. Celui-ci ne disparaîtra pas avec la fin de l’état d’urgence, mais nous le combattrons avec d’autres moyens, ceux du droit commun.
Enfin, le Gouvernement ne nous demande plus de prévoir la possibilité de procéder à des perquisitions administratives, lesquelles, comme M. le ministre vient de le rappeler, ont largement perdu de leur efficacité. En effet, d’une part, les services ont déjà perquisitionné ce qu’il y avait à perquisitionner et, d’autre part, le Conseil constitutionnel a réduit l’efficacité de ces mesures dans sa décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 19 février 2016.
Aussi, je le répète, nous pouvons répondre favorablement à la demande du Gouvernement.
Pour terminer, je voudrais insister sur un point qui a souvent fait débat : l’état d’urgence est-il synonyme de la fin de l’État de droit ? Permet-il aux forces de l’ordre d’agir sans contrôle ? Le pouvoir exécutif peut-il faire ce qu’il veut dans ce cadre ?
Peut-être n’y avons-nous par prêté une attention suffisante, mais je crois pouvoir dire qu’il s’est développé, depuis le mois de novembre dernier, un droit spécifique de l’état d’urgence.
Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont intervenus pour fixer une jurisprudence, nouvelle en ce qui concerne le second, qui ne s’était jamais prononcé sur le sujet.
Le Conseil d’État a également fixé des règles très claires et très strictes quant aux procédures d’urgence. Je rappelle qu’il a notamment indiqué qu’en cas d’assignation à résidence, lorsque le juge administratif était saisi par la voie du référé, la condition d’urgence était toujours remplie, ce qui veut dire que la personne visée par la mesure a toujours le droit, reconnu par le juge administratif, de plaider son cas devant une instance juridictionnelle. Après, il appartient au juge de trancher dans un sens ou dans l’autre, mais la personne visée a le droit d’aller à l’audience, principe important et remarquable. À cet égard, le Conseil d’État a été, une fois encore, le juge des libertés publiques.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans trois décisions, a construit un droit constitutionnel de l’urgence. On peut regretter, ou pas, qu’il n’y ait pas eu de réforme constitutionnelle, mais force est d’admettre qu’une telle révision n’est plus utile, puisque le Conseil constitutionnel vient de fixer le droit constitutionnel de l’état d’urgence au travers de trois QPC, dans lesquelles il a pu traiter des perquisitions, des assignations, des limites à la liberté de réunion, et également des limites à la liberté d’utiliser des données informatiques copiées.
De ce point de vue, le juge constitutionnel est resté fidèle, là aussi, à sa ligne traditionnelle de défense des libertés publiques. Il a été fort sourcilleux sur la conciliation équilibrée que doit réaliser le pouvoir exécutif entre la nécessité de prévenir les atteintes à l’ordre public et le respect des droits et des libertés.
En conclusion, sous le bénéfice de ces observations, je vous invite tout d’abord, au nom de la commission des lois du Sénat, à voter le texte tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, aucun amendement n’ayant été déposé.
Je précise que le comité de suivi de l’état d’urgence, dont les membres ont aussi été chargés de travailler sur la réforme pénale, se réunira deux fois dans les semaines qui viennent : l’une pour entendre les services du ministère de l’intérieur, l’autre pour auditionner le président de la section du contentieux du Conseil d’État, qui viendra nous faire part des dernières décisions de cette juridiction. (Applaudissements sur les travées du groupe UDI-UC, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)