M. Charles Revet. C’est très important !
M. Philippe Bas. Mes chers collègues, tels sont les motifs pour lesquels Michel Mercier, entre autres, et moi-même avions présenté la proposition de loi que je viens d’évoquer et que vous avez adoptée à une très large majorité le 2 février dernier.
Cette proposition de loi a été en très grande partie reprise dans son texte par le Gouvernement, qui y a ajouté des dispositions relatives aux pouvoirs des forces de sécurité, quand notre texte portait exclusivement sur les pouvoirs du parquet.
En votant la loi relative au renseignement, nous avons renforcé les pouvoirs dont la police dispose pour prévenir des attentats. Nous devons désormais donner les mêmes moyens au parquet, pour la mise en œuvre des enquêtes visant à rechercher les auteurs des attentats.
Faciliter les enquêtes des procureurs, tel est, de fait, le premier objet du projet de loi.
Celui-ci autorise des perquisitions de nuit et le recours à des techniques de renseignement, comme les IMSI-catchers – la captation à distance de contenus informatiques. Il rend aussi possible la création de nouvelles incriminations, permettant d’élargir les différentes motivations des enquêteurs pour renvoyer devant un tribunal les auteurs de crimes et délits en lien avec le terrorisme – en commission, nous avons adopté des dispositions en ce sens et émis un avis favorable sur des amendements ayant le même objet.
Il s'agit, ainsi, d’assurer la continuité de l’enquête. Il faut faire en sorte que le procureur saisi au titre de la flagrance ait les moyens de poursuivre son enquête suffisamment longtemps sans devoir s’en dessaisir trop vite auprès d’un juge d’instruction, la reprise du dossier du parquet entraînant une discontinuité susceptible d’être préjudiciable à l’enquête.
Il s'agit, enfin, d’accroître les peines infligées aux terroristes et de rendre plus sévères les conditions d’application de celles-ci. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans le texte de la commission des lois, la criminalisation du délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons écarté tout aménagement de peine en faveur d’un terroriste : celui-ci ne pourra bénéficier ni de permissions de sortie ni de mesures de semi-liberté, de placement sous surveillance électronique ou de placement extérieur. Ainsi, les conditions d’exécution des peines seront rendues beaucoup plus sévères qu’actuellement pour les terroristes.
Nous avons décidé d’allonger la période de sûreté – ce point a donné lieu à de nombreux débats dans les jours qui ont précédé l’examen du texte. À l’heure actuelle de vingt-deux ans, la période de sûreté serait portée à trente ans pour les terroristes. Autrement dit, aucune demande de réduction de peine effectuée par un condamné à perpétuité avant trente ans de réclusion ne pourrait être examinée.
Cependant, nous avons souhaité aller au-delà de ce que nous avons nous-mêmes adopté le 2 février dernier et de ce que l’Assemblée nationale a voté. Pour être certains de l’efficacité du dispositif, nous proposons de rendre la procédure encore plus restrictive, en imposant, d’une part, que les parties civiles soient consultées et, d’autre part, que cinq magistrats de la Cour de cassation donnent leur agrément à la décision du tribunal d’application des peines. Ainsi, nous sommes convaincus qu’aucun terroriste dangereux ne pourra jamais être libéré.
Pourrions-nous aller plus loin ? Nous ne le pensons pas. Le mieux est l’ennemi du bien ! Soyons certains que des mesures portant la période de sûreté à quarante ou cinquante ans seraient écartées par le Conseil constitutionnel. Dès lors, en voulant trop bien faire, nous nous retrouverions à la case départ, ce qui rendrait notre travail inutile, alors qu’il est tellement important d’apporter à nos concitoyens la garantie que les criminels terroristes ne sortiront pas de prison.
Je dois dire aussi que nous avons envisagé l’application de la rétention de sûreté à d’autres délinquants ou criminels condamnés pour des faits en lien avec le terrorisme à des peines inférieures à la perpétuité qui, de ce fait, sortiront forcément un jour de prison : de la même façon qu’elle été introduite pour les criminels sexuels, la rétention de sûreté pourrait être appliquée aux délinquants et criminels condamnés pour terrorisme.
Enfin, ce texte vise, sur l’initiative de M. le ministre de l’intérieur, à accroître les pouvoirs de la police dans deux cas essentiels : celui du retour d’un individu de lieux proches des centres d’entraînement des terroristes – l’intéressé pourrait alors être assigné à résidence le temps nécessaire à la réunion d’un certain nombre d’éléments prouvant son implication – et à l’occasion de contrôles d’identité – une rétention de quatre heures serait alors possible. En tout état de cause, c’est ce qu’a souhaité la commission des lois.
Ainsi, ce texte me semble comporter des éléments très pragmatiques et très concrets, qui permettent de répondre à l’attente des policiers, des gendarmes et des juges, pour plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi doit se placer sous le signe de la permanence, et non de l’événementiel, parce que nous savons – j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle – que l’offensive contre la société démocratique européenne qui est engagée depuis maintenant bien des années est durable. Cette offensive aura d’autres manifestations, nous connaîtrons sous peu d’autres périls, parce que la source d’impulsion du mouvement meurtrier qui nous frappe par ses actions terroristes est toujours là. Nous l’identifions aujourd'hui comme l’État islamique, mais nous savons aussi, ne serait-ce que par ce qui se passe, par exemple, en Afrique de l’Ouest ou dans la péninsule arabique, que cette source peut connaître des démultiplications.
Même si l’État islamique se trouve pour le moment affaibli militairement, nous savons bien que cela ne ralentira pas – en tout cas, pas à court terme – sa capacité d’organiser de nouvelles actions meurtrières.
Le projet de loi que nous examinons cet après-midi vise à renforcer la lutte à la fois contre le terrorisme et contre la grande criminalité.
De fait, il y a de sérieuses raisons de rapprocher ces deux phénomènes, qui, l’un comme l’autre, exploitent différents trafics, notamment le trafic des armes et des stupéfiants, recourent au blanchiment…
En outre, nous voyons bien, à mesure que les enquêtes sur les actes de terrorisme déjà perpétrés se déploient, qu’un très grand nombre des auteurs de tels actes et de leurs complices étaient déjà engagés dans le milieu de la criminalité – souvent, dans une criminalité d’« habitude ».
Le projet de loi comporte une série de mesures relatives à l’action de la justice ; de nombreux orateurs les ont déjà évoquées.
Pour ma part, je veux plutôt appeler l’attention du Sénat sur les moyens de prévention qui y sont développés.
Nous devons être conscients – il me semble que tous les membres de cet hémicycle le sont – de la difficulté que pose l’anticipation des préparatifs d’actions terroristes. En effet, il n’existe pas, en la matière, de science exacte ni de mécanisme garanti pour identifier à l’avance les individus effectivement dangereux.
Pour que cette prévention soit efficace, un éventail de mesures est nécessaire. Certaines d’entre elles existent déjà.
L’expérience de l’état d'urgence a montré la différence entre une situation dans laquelle on doit attendre la réalisation des délits et des crimes et la période au cours de laquelle une action préventive est possible.
Sur ce plan, le présent projet de loi contient des outils d’action préventive supplémentaires qu’il faut soutenir et saluer.
Le premier consiste à améliorer l’information rapide sur les individus repérés, mais que l’on situe à la limite d’entreprendre des actions terroristes : c’est la retenue de quatre heures.
Nous disons presque tous dans cette enceinte que cette mesure permet de consulter les fichiers. En réalité, s’il ne s’agissait que d’une consultation, qui est un acte quasi instantané, la durée de quatre heures ne serait pas véritablement justifiée.
Pourquoi ce laps de temps est-il nécessaire ?
D’une part, pour lever les doutes pouvant exister sur l’identité de l’individu contrôlé, car de multiples faits ont démontré, ces derniers mois, la capacité « quasi industrielle » – comme M. le ministre de l’intérieur l’a souvent qualifiée – des mouvements terroristes à fabriquer de faux documents. Au reste, même si l’on parvient à mettre en place une meilleure coopération à l’avenir, les faux documents ne disparaîtront pas du jour au lendemain !
D’autre part, le fichage qui permet d’identifier un individu peut être plus ou moins sérieusement et plus ou moins complètement documenté.
Par ailleurs, s’agissant de mouvements très internationalisés, qui traversent les frontières, les vérifications ont nécessairement un caractère international. Dans le cas du contrôle d’un ressortissant étranger, nos services ont besoin de disposer d’un certain délai pour effectuer les recoupements nécessaires avec les informations relevées à l’encontre de cette personne par les services de renseignement étrangers.
Il s’agit donc bien d’un outil préventif qui permet de fiabiliser les renseignements recueillis sur une personne au prix, il est vrai, d’une sorte de préavis : l’individu placé en retenue de quatre heures aura compris qu’il était identifié comme un complice éventuel d’actions terroristes et se montrera d’autant plus prudent. Mais cela peut aussi s’avérer positif.
Dès que les informations suffisantes seront recueillies, la procédure basculera vers une mise en examen, sur la base de faits vérifiés.
Autre mesure de prévention ou d’anticipation, le repérage des participants aux actions armées menées à l’étranger. On arrive à identifier, parfois plusieurs semaines après leur retour sur le territoire, les personnes ayant choisi d’accompagner les mouvements armés de l’État islamique ou d’autres formations terroristes à l’étranger.
La mesure de contrôle administratif permet, comme on le dit chez les enquêteurs, de « loger » ces personnes en leur imposant une limite géographique, une obligation de pointage et une interdiction de contacts. Cela permet de disposer d’un minimum de temps – le rapporteur et la commission ont retenu une durée de deux mois, alors que l’Assemblée nationale et le Gouvernement proposaient un mois – pour vérifier si la personne est encore dans un circuit de préparation d’actes terroristes, auquel cas elle sera soumise à la justice, ou s’il s’agit d’un individu en phase de reprise avec la société, notamment d’une personne qui reconnaît l’erreur qu’elle a commise en se rendant auprès des militaires terroristes et dont l’aide peut s’avérer utile au repérage d’autres tentatives.
Nous sommes donc à la limite de la procédure judiciaire et de la prévention, puisque cet outil permet soit de poursuivre la personne à l’encontre de laquelle d’autres faits ont été relevés, soit de recueillir de précieuses informations.
D’autres mesures vont également dans le sens de la prévention. Je songe, par exemple, au resserrement du contrôle de la détention d’armes à travers l’interdiction individuelle de détention d’armes décidée par le préfet, à l’autorisation de la technique d’infiltration en matière de trafic d’armes pour la police nationale, la gendarmerie et les douanes et à l’extension du fichage génétique aux trafiquants d’armes de manière, là encore, à repérer les réseaux.
Michel Sapin a évoqué les mesures visant à renforcer l’efficacité de la lutte contre le financement du terrorisme. Il s’agit d’un aspect très important de ce texte.
Je voudrais enfin dire un mot d’un autre dispositif à caractère préventif, bien qu’il se situe déjà dans le cadre de la procédure judiciaire, et dont je ne peux pleinement me satisfaire : il s’agit de la protection des témoins.
Nous voyons bien, à travers les enquêtes, qu’un certain nombre de personnes, appartenant au second cercle des connaissances des auteurs ou des complices d’actions terroristes, auraient pu transmettre des informations. Et si elles n’ont pas témoigné, c’est sans doute, pour beaucoup d’entre elles, par crainte des représailles.
Le code de procédure pénale permet aujourd’hui de protéger partiellement les témoins grâce, par exemple, au huis clos ou au témoignage anonyme. Ces dispositifs permettent de protéger le témoin contre les agresseurs extérieurs au procès qui risqueraient de l’identifier.
En revanche, les personnes poursuivies dans le cadre du procès n’ignorent rien du témoin, ce qui nourrit la crainte de ces membres du second cercle. S’ils témoignent, ils savent que l’auteur de l’acte pourra les identifier.
Le décret d’application de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et qui met en place une protection complète des témoins n’a été pris qu’en 2014 ! Il me semble que nous n’avons, ni les ni les autres, à nous en enorgueillir… Je n’ose demander au Gouvernement combien de personnes bénéficient aujourd’hui de ce dispositif, craignant que les doigts d’une main ne suffisent largement à les dénombrer.
Il me semble que le Gouvernement doit réfléchir à ce sujet en matière d’actes terroristes graves. Aujourd’hui, les témoins ne sont pas assez protégés.
Nous allons avoir un débat approfondi sur ces questions. La preuve en est l’indulgence inhabituelle de M. le président (Sourires.),…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue. (Mêmes mouvements.)
M. Alain Richard. … indulgence dont je n’abuserai pas.
Ce débat aura de multiples dimensions. Je crois que le Sénat, en tout cas la plupart de ses membres, va le mener dans un esprit de travail, d’écoute des praticiens et de refus des facilités quelque peu médiatiques en jouant son rôle de chambre de réflexion. Nous visons la fermeté, mais une fermeté bien dirigée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Je remercie les orateurs de la pondération de leurs propos et de l’argumentation qu’ils ont pu défendre.
L’ensemble des intervenants a évoqué l’État de droit. Il s’agit en effet de la mesure de l’ambition du Gouvernement et de la réalité de son action. L’État de droit n’est pas qu’une figure de style : c’est un État qui décide de s’obliger par lui-même ; un État qui se fixe ses propres limites ; un État qui donne la primauté au droit, à la prévisibilité du droit, c’est-à-dire au refus de l’arbitraire.
C'est la raison pour laquelle je ne peux adhérer à toutes les critiques, notamment à celles de Mme Cukierman, relatives au fait que nous construirions un État d’exception. Bien sûr, nous faisons face à une situation exceptionnelle. Toutefois, nous nous inscrivons dans la cohérence du dispositif français de lutte antiterroriste, lequel, de 1982 à la loi de novembre 2014, poursuit exactement les mêmes objectifs.
Mme Éliane Assassi. Mais cela ne marche pas !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il est vrai que certaines des mesures que nous proposons s’inspirent directement de ce que nous avons pu observer dans ces situations exceptionnelles, ce qui nous amène à faire évoluer notre droit. Mais c’est l’inverse que l’on pourrait nous reprocher !
Hier, l’organisation terroriste que nous combattons principalement et les modes opératoires qu’elle a développés n’existaient pas. J’évoquais dans mon propos introductif l’attentat de la rue de Rennes : le mode opératoire des terroristes d’alors n’avait rien à voir avec celui des terroristes d’aujourd’hui. Dès lors, nous devons adapter notre droit.
M. le ministre de l’intérieur le formulerait mieux que moi : aucune mesure applicable dans le cadre de l’état d’urgence n’est transposée en droit commun. Toutes tiennent compte de ce que nous avons pu observer, toutes sont nourries des carences que nous avons pu constater.
Jacques Bigot disait très justement qu’il ne faut pas se contenter de saluer les policiers et les magistrats, que ceux-ci appartiennent au parquet ou au siège, mais qu’il faut aussi entendre leurs appels au législateur et au Gouvernement. Ils nous indiquent ce qui a été mal conçu et qu’il nous faut améliorer, resserrer ou adapter. À nous de les écouter !
Il s’agit d’ailleurs de l’une des raisons de l’épanouissement de ce texte. J’ai entendu les observations de M. Zocchetto sur la capacité du Gouvernement à déposer des amendements tout au long du parcours parlementaire de ce projet de loi, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
À l’origine, le texte présenté par le Gouvernement comportait 34 articles. À l’issue des travaux de la commission des lois de l’Assemblée nationale, il en comptait une soixantaine. Les députés, en séance publique, ont porté ce total à quelque 90 articles. À son tour, comme il se doit, la commission des lois du Sénat a examiné ce texte. Elle y a ajouté 21 articles…
M. Michel Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les 60 amendements du Gouvernement n’y sont pas étrangers !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je n’imagine pas que le Sénat, en séance publique, n’ajoute encore quelques articles supplémentaires…En tout cas, je n’en prendrai pas le pari. S’il s’agit d’un mal, assumons-en collectivement la responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Le Gouvernement adapte, mais les parlementaires disposent. Je ne vis pas ce fait comme une carence ou une dérive. Là aussi, la progression se fera avec le débat.
Le 2 février dernier, lors de l’examen de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, j’avais dit que, sur bien des aspects, nous avions le même objectif, que nous cheminions sur des voies parallèles et qu’il nous fallait faire en sorte que ces deux voies se rejoignent. C’est aujourd’hui largement le cas : sur les 102 articles de ce projet de loi, je ne distingue – à l’instar de Philippe Bas, qui n’a souligné que deux ou trois points de discorde – que six désaccords de principe qui seront probablement confirmés en séance publique.
Le Sénat et sa majorité ont des convictions, le Gouvernement a les siennes. Il est des aspects sur lesquels nous sommes en désaccord, non pas sur le diagnostic, mais sur la thérapie. Tout cela n’est pas bien grave, dans la mesure où l’objectif est commun et où le verre est aux trois quarts plein.
Oui, de nombreux textes sur ce sujet sont adoptés. Il est probable qu’aucun d’entre nous n’en avait fait un argument de campagne électorale – je pense d’ailleurs que la plupart des parlementaires auraient préféré ne pas avoir à les voter. Mais la réalité est là : nous sommes agressés.
Le Gouvernement a la responsabilité de proposer une riposte à l’Assemblée nationale et au Sénat. Et cela ne s’arrêtera pas. Si, demain, nous repérons de nouvelles failles dans notre dispositif, nous vous proposerons de l’ajuster. Nous ne voudrions pas qu’un jour, on nous reproche l’inverse !
Je souhaiterais enfin rassurer M. Retailleau sur la détermination du Gouvernement en matière d’établissements pénitentiaires. Nous ne disposons pas, aujourd’hui, de places de prison en nombre suffisant.
Une grande majorité de nos établissements est totalement vétuste. J’évoquais ce matin la maison d’arrêt de Troyes située dans le centre-ville, ancien couvent des Cordeliers bâti en 1258 et transformé en prison au XIXe siècle. Il est impossible de faire évoluer ce bâtiment : il faut le détruire pour en construire un nouveau.
Il faut également bâtir de nouveaux établissements pour mettre à la disposition des magistrats tout l’éventail des réponses pénales. Ce n’est pas le Gouvernement qui incarcère ; ce ne sont pas l’Assemblée nationale ou le Sénat qui prononcent les sanctions.
Le taux de suroccupation actuel non seulement rend les conditions de détention indignes, mais menace aussi les conditions de travail des personnels. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous, dans les départements dont vous êtes élus, des établissements pénitentiaires. Partout, les organisations syndicales ou les directeurs vous préviennent de la menace. J’ai appelé une surveillante agressée ce matin, à neuf heures. Si elle a subi cette agression, c’est parce qu’elle s’est retrouvée dans une situation impossible à gérer. Je ne peux accepter de voir de telles situations se reproduire !
Il faut bien évidemment construire des établissements pénitentiaires. Encore faut-il qu’ils soient adaptés et bien localisés. Alors que certaines prisons, notamment dans les outre-mer, sont surpeuplées, 3 000 places sont vides : c’est l’un des paradoxes auxquels nous sommes confrontés et qu’il nous faut résoudre.
Le Gouvernement est prêt à engager des programmes immobiliers. Dans son livre intitulé Pour un État fort, que j’ai lu ce week-end, Alain Juppé propose de créer 10 000 places de prison. Bruno Le Maire, quant à lui, ne donne pas de chiffres – je cite tous ceux qui ont écrit des ouvrages sur ce sujet. Il est vrai que ma bibliothèque grossit à vue d’œil en ce moment et que je n’ai pas eu le temps de tout lire, mais je m’y engage ! (Sourires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Partons du chiffre évoqué par Alain Juppé : 10 000 places de prison, c’est 2 milliards d’euros ! Je suis prêt à prendre la responsabilité d’engager ces crédits. Et si le Sénat – je prends à témoin le rapporteur général de votre commission des finances – et l’Assemblée nationale aident le Gouvernement à construire son budget, alors nous pourrons apporter les réponses nécessaires et décider la construction de places de prison. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi en commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Mézard et Collombat, d'une motion n°96.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n°492, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous le savez, ce projet de loi contient plus d’une centaine d’articles, dont beaucoup d’une grande technicité juridique et aux effets encore mal évalués. D’autres, je pense à ceux qui concernent le dispositif de lutte contre le financement du terrorisme – je regrette d’ailleurs que le ministre du budget nous ait quittés –, sont trop légers à mon goût, s’agissant d’une question aussi essentielle.
Sommes-nous sûrs d’avoir strictement limité les mesures les plus restrictives de liberté – nombreuses dans ce texte – à la lutte contre le terrorisme et contre la délinquance organisée ? Sommes-nous sûrs d’avoir strictement limité la réutilisation possible des informations recueillies par les techniques d’IMSI-catcher ne concernant pas les personnes surveillées ? Sommes-nous sûrs d’avoir défini, avec suffisamment de précision, les conditions du déclenchement de la retenue administrative ? Avouez que l’expression « ensemble d’éléments de nature à constituer un faisceau d’indices suffisant pour présumer l’existence d’un lien entre les agissements de cette personne et des activités à caractère terroriste » manque un peu de précision, ce qui pourrait conduire à des « bavures » qu’il vaudrait mieux éviter. Cette question fera probablement l’objet d’une future loi, à l’occasion d’un scandale médiatique…
Inversement, si le désir d’introduire le contradictoire dès le niveau de l’enquête procède d’une bonne intention, cette innovation pourrait se révéler être, à l’usage, un nid à recours aux effets dévastateurs pour la justice.
Pour reprendre l’expression utilisée en commission par M. le rapporteur – je le cite de mémoire –, ce texte pourrait comporter presque autant de discussions générales que d’articles, tant les sujets abordés sont nombreux, divers et techniques, aux effets incertains.
Or c’est tout le contraire qui se passe : une séance marathon de la commission des lois pour examiner un texte profondément remanié et adopter 160 amendements du rapporteur. Que l’on doive saluer la continuité de ce dernier dans le travail et sa persévérance ne justifie pas une telle occultation du débat en commission. J’ai encore pu constater ce matin que les jeux étaient faits lors de l’examen des amendements de séance, déposés un jour et demi après le dépôt du rapport, rédigé en un temps record. Mais, encore une fois, le problème n’est pas la rapidité, bien au contraire…
Trois demi-journées de débats en séance publique, entrecoupées des nouvelles lectures d’une proposition de loi organique de modernisation – oui, cela s’appelle ainsi ! – des règles applicables à l’élection présidentielle et d’une proposition de loi portant sur le même thème et d’une séance de questions au Gouvernement, trois demi-journées au cours desquelles se succéderont trois, voire quatre ministres, cela ferait presque douter que nous soyons en « guerre » contre le terrorisme, comme on ne cesse de nous le rappeler pour justifier cette précipitation.
Cerise sur le gâteau : l’usage de la procédure accélérée à propos d’un texte dont certaines dispositions tirent, certes, les enseignements des tragiques événements du mois de novembre 2015, mais dont d’autres étaient dans les tiroirs depuis bien plus longtemps !
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Pierre-Yves Collombat. Et je ne dirai rien des pratiques qui, au nom de l’urgence, se sont passées jusque-là de la « sécurisation » législative nécessaire, pour m’exprimer dans le patois des bureaux.
Puisque nous légiférons, prenons le temps de le faire pleinement, ce dont l’absence de seconde lecture, l’absence de dialogue entre les deux chambres, ce qui justifie pourtant le bicamérisme, va nous priver.
Mes chers collègues, s’agissant de nos conditions de travail, je ne fais que relayer ce que nous n’avons de cesse de répéter, texte après texte, sur toutes les travées de cet hémicycle, sans que rien ne change.
Sans remettre en cause le travail de M. le rapporteur, le RDSE vous propose de mettre nos actes en accord avec nos paroles en cette occasion qui le mérite, lors de l’examen d’un texte dont la portée et les implications sont difficilement contestables.
N’étant pas Alexandre, monsieur le ministre, je vous proposerai non pas de réciter l’alphabet grec dans les deux sens, mais, pour mieux assurer notre réflexion, de renvoyer ce texte à la commission.
Ni chagrins ni angéliques, en faisant cela – n’en déplaise, cette fois, aux esprits béats –, nous ne perdrons pas de temps, mais en gagnerons. Surtout, nous ferons œuvre utile pour la sécurité et les libertés de nos concitoyens, affirmant ainsi le rôle du Sénat, dont la caractéristique première n’est pas, en principe, d’être le plus réactif aux mouvements de l’opinion. (M. Jacques Mézard applaudit.)