M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, non, ce n’est pas un texte de trop ! Non, ce n’est pas un texte inutile ! Il tient compte des demandes des professionnels – policiers, magistrats, militaires –, qu’il ne suffit pas de remercier : il faut les écouter quand ils expriment leurs besoins en nouveaux moyens.
Le Sénat suivra, nous en sommes convaincus, la voie tracée très largement par l’Assemblée nationale pour lever un certain nombre de verrous procéduraux posant des difficultés aux enquêteurs. Certes, il n’est pas facile d’accepter la possibilité de perquisitions de nuit, mais, si elles sont nécessaires, il faut les autoriser. Quand l’obtention de témoignages se heurte aux risques pris par les témoins, il faut également trouver les moyens de protéger ces derniers, ce qui figure dans le texte.
En outre, il convient de tenir compte des évolutions technologiques et de ne pas priver les enquêteurs des moyens nouveaux, comme les IMSI-catchers, figurant déjà dans la loi relative au renseignement, ou les caméras mobiles. Il faut également lutter contre la cybercriminalité et contre le financement du terrorisme et du crime organisé. Enfin, nous devons déterminer – ce débat n’est pas simple – comment traiter le retour en France des personnes revenant de théâtres d’opérations terroristes.
Nous devons faire tout cela sans renier les valeurs de la démocratie, sans méconnaître ces lois fondamentales que sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne des droits de l’homme.
Nous attendons beaucoup de l’Europe ; nous devons donc aussi respecter les valeurs que nous avons en partage. Dans nos débats, nous ne devrons jamais oublier l’article 3 de cette convention, qui exclut les « peines ou traitements inhumains », son article 5, traitant du « droit à la liberté et à la sûreté », son article 8, garantissant le « droit au respect de la vie privée » et son article 6, assurant le « droit à un procès équitable ». C’est d’ailleurs au nom de cet article 6 qu’est incluse dans ce texte, plus général que le seul contenu de son intitulé, une réforme de la procédure pénale – incomplète, sans doute –, fondée sur les rapports des commissions présidées respectivement par le procureur général Nadal et par le procureur général Beaume, visant à renforcer le rôle de l’enquête préliminaire.
À cet égard, précisons que 98 % des affaires jugées font l’objet d’une enquête préliminaire et d’un renvoi direct devant un tribunal correctionnel ; la saisine du juge d’instruction reste donc exceptionnelle. En outre, il ne faut pas penser que le contradictoire est mieux assuré dans le cadre d’une commission rogatoire ordonnée par un juge d’instruction que dans un débat avec un procureur de la République. Cela n’est pas dans notre culture, mais nous devons avancer dans cette direction.
Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, un juge nouveau, le juge des libertés et de la détention, est en train de trouver sa place ; nous avons déjà eu un débat à son sujet lors de l’examen du texte sur la justice du XXIe siècle. Mettre en œuvre ces échanges contradictoires avant le renvoi devant une juridiction est aussi une façon de garantir la qualité des débats à l’audience.
Cela dit, nous devons aussi être conscients des moyens de la justice et rester pragmatiques. Dans le texte de l’Assemblée nationale, certaines dispositions sont sans doute aujourd’hui impossibles compte tenu de ses moyens. Nous partageons donc l’avis de la commission des lois à ce sujet : on ne peut continuer de demander davantage à la justice sans lui donner les moyens nécessaires. Tel est le débat que nous devrons avoir lors de l’examen des textes financiers en fin d’année. Monsieur le garde des sceaux, je sais que vous nous avez donné rendez-vous pour cela, et je profite de la présence du ministre des finances pour le lui faire savoir. Votre présence l’un à côté de l’autre aujourd’hui nous permet de grandes espérances. (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Il nous faudra également aborder la question de la sanction, puisque certains amendements vont en ce sens, et le faire sans tabou ni démagogie. Personne ne fera accroire que la réponse aux attentats dont nous sommes victimes et à ceux dont nous pourrions encore l’être sera la peur de sanctions extrêmement lourdes, s’agissant de terroristes prêts à perdre leur vie. Là ne se trouve pas la solution !
Acceptons aussi de respecter l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et les règles imposées par le Conseil constitutionnel.
Je souhaite que nous puissions avoir, mes chers collègues, des débats constructifs, tels ceux que nous avons eus en commission des lois, notamment lors des auditions. Il me semble utile de montrer que le Parlement est capable d’unité sur de tels sujets. Cela a eu lieu à l’Assemblée nationale ; il ne peut en aller autrement au Sénat, avec le devoir particulier qui nous incombe de faire respecter les valeurs de la démocratie. Soyons donc déterminés et pragmatiques ; ayons les débats nécessaires pour parvenir à une loi équilibrée et répondant aux enjeux de notre temps.
Enfin, pour répondre à certains esprits chagrins, si le Parlement est amené à légiférer de manière de plus en plus rapide, c’est parce que nous sommes dans un monde qui bouge bien plus vite que du temps de Colbert et de Portalis (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.) ; telle est aussi la réalité du moment. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous débattons du présent projet de loi est particulier : il y a une semaine, Bruxelles et tout le peuple belge étaient à leur tour la cible de terribles attaques revendiquées par Daech. J’exprime une fois de plus ici ma solidarité avec toutes les victimes, non seulement celles de Belgique, mais aussi celles d’Istanbul, de Lahore et de Bagdad. La gravité est la même, quelle que soit la distance.
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Esther Benbassa. Ce texte a été élaboré dans la précipitation, dans des conditions, hélas ! similaires à celles qui prévalaient le lendemain des attentats du 13 novembre dernier. Nous sommes dans l’exacte prolongation de la frénésie législative, qui touche tant l’exécutif que l’opposition et qui démontre d’abord notre faiblesse et notre difficulté à faire face, qu’exploitent d’ailleurs les criminels que nous combattons.
Pendant des années, la gauche s’est élevée contre un mécanisme qu’elle résumait par la formule : « Un fait divers, une loi ! » Aujourd’hui, notre exécutif a bel et bien mis le doigt dans ce terrible processus. On finira par conduire le pays vers un État de surveillance, puisque la sécurité est en train de se transformer en premier des droits au mépris de tous les autres, à travers un empilement de lois liberticides et, de surcroît, inopérantes.
On en vient ainsi à confondre le droit à la sûreté, inscrit dans la Déclaration de 1789, avec la sécurité à tout prix. Nos concitoyens ont besoin de cette sûreté, qui fait le lien entre sécurité et liberté, mais non de cette sécurité que vous tentez de nous imposer et qui tend à nous faire basculer dans un État de contrôle. Or notre État de droit n’est pas impuissant, il est seulement déboussolé par la complexité du phénomène terroriste, par la nouveauté de ses manifestations, par les failles de nos services de renseignement ou encore par le manque de coopération internationale.
Comme l’écrit Mireille-Delmas Marty, « la paix ne se gagnera pas en engageant le monde dans une surenchère répressive sans fin, mais en soumettant les pratiques de surveillance à un contrôle impartial et indépendant ». Seule la réaffirmation constante des principes de l’État de droit et de la démocratie peut constituer une réponse forte à des terroristes tentant de les mettre à bas.
Nous avons adopté trente lois antiterroristes entre 1999 et 2016. Ont-elles empêché le terrorisme d’opérer avec tant de facilité ? N’est-il pas temps de remettre la réflexion au centre ? Le présent texte est, à tous égards, emblématique, et il sera examiné en procédure accélérée. Or un projet de loi aussi dense et hybride, porteur de mesures conduisant à introduire dans le droit commun plus d’exceptions et de modifications majeures de notre procédure pénale, ne méritait-il pas que le législateur travaille dans de bonnes conditions plutôt que dans la précipitation ?
Je précise toutefois que les parties relatives à la protection des témoins et que les mesures financières sont plutôt positives.
Une fois encore, on nous demande de faire du replâtrage au lieu de conduire une réflexion d’ensemble sur l’architecture de la procédure pénale et de la sûreté intérieure. Au mieux, ce replâtrage rassure des politiciens en quête de gratification immédiate… Comme si une loi de plus, vite gravée dans le marbre, suffisait à témoigner de l’effort fait pour protéger la Nation ! N’oubliez pas, chers collègues, cette étonnante référence à la protection de la Nation dans l’intitulé du projet de loi constitutionnelle qui nous a été soumis récemment.
Comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans ses observations : « Une réforme de grande ampleur devrait se nourrir des apports de la recherche en sciences sociales. […] Connaître les causes est la première condition de la protection contre la menace. » Nous en sommes loin… Ces textes qui nous arrivent en flux continu ne sont que pansements posés sur des plaies vives, qui n’en resserrent pas moins à chaque fois l’étau sur nos libertés.
Souvenons-nous des mots de Jens Stoltenberg, premier ministre norvégien, à la suite de l’attentat d’Oslo et du massacre d’Utoya : « Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. » Ce projet de loi est aux antipodes d’une telle attitude et répond à la terreur par une diminution des libertés individuelles et de la protection des droits fondamentaux ; aussi, le groupe écologiste s’y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre que Daech mène contre nous est une guerre à nulle autre égale ; d’abord, parce qu’elle est asymétrique – d’autant plus, et à proportion, que Daech connaît des revers territoriaux – et, ensuite, parce que, tout simplement, elle nous a surpris. Elle nous a en effet pris de court, elle nous a saisis, nous, Occidentaux, Européens, Français. Jusqu’alors, nous croyions à cette chimère qu’est la fin de l’histoire – en tout cas certains d’entre nous y croyaient –, nous pensions que la démocratie universelle et le marché global allaient imposer sur toute la surface de la planète des valeurs que nous partageons, qui nous sont chères et que nous pensons naturelles ; mais voilà que le tragique s’est invité à la fête et que, comme le dit très bien Alain Finkielkraut, les attentats ont fermé la parenthèse de cette post-histoire ; la fête est donc finie.
Nous traversions aussi un moment particulier souvent en décalage avec la réalité ; il faut bien admettre que le réel dépasse l’entendement quand on est confronté à une violence aussi monstrueuse – ainsi, ceux qui se sont fait exploser à Lahore se sont approchés des balançoires pour faire le plus possible de toutes jeunes victimes. Cette violence monstrueuse fait d’ailleurs écho à une phrase, que vous connaissez sans doute : qu’objecter à celui qui veut gagner son paradis en voulant m’égorger ? Cette phrase n’a pas été prononcée par un contemporain, elle a été écrite par Voltaire en 1763, dans son Traité sur la tolérance.
Mes chers collègues, il est clair qu’on ne peut lutter contre cette violence, contre cette barbarie, uniquement en allumant des bougies ou avec des minutes de silence, même si ces gestes sont bien sûr nécessaires, voire indispensables. Il est également clair que nous devons quitter cette posture de l’angélisme compassionnel qui, trop souvent, a été la marque de fabrique de nos démocraties. Il faut faire la guerre, la faire vraiment, sans renoncer évidemment à aucune de nos valeurs, mais la faire sans répit, sans haine et sans hésitation.
La révision de la Constitution n’est sans doute pas ce que nous demandent nos compatriotes ; elle ne permettra pas de protéger mieux, demain, les Français contre cette barbarie. Sans doute conviendra-t-il de prolonger l’état d’urgence, mais, reconnaissons-le là encore, sortir de cet état impose de prendre des mesures à la hauteur de la menace à laquelle nous sommes confrontés. Nous devons donc renforcer notre arsenal juridique – nous sommes d’accord, monsieur le garde des sceaux –, et ce texte répond, bien que partiellement, à un certain nombre de ces préoccupations.
Je salue ici le président de la commission des lois et le rapporteur pour l’énorme travail réalisé par notre commission sur ce texte. En effet, si l’on peut affirmer que ce texte répond, même partiellement, à nos préoccupations, c’est parce qu’il intègre, notamment depuis son passage à l’Assemblée nationale, de nombreuses dispositions que nous avions nous-mêmes portées et adoptées lors de l’examen de la proposition de loi de Michel Mercier et Philippe Bas.
Ainsi, ce texte augmente les moyens d’investigation ; je pense notamment aux perquisitions de nuit, à l’adaptation de notre droit au nouvel environnement numérique – accès aux messageries, traitement des données, utilisation des nouvelles technologies, dont les IMSI-catchers. Bref, ce qui a été donné à nos services de renseignement doit aussi être mis à la disposition de la justice pour en assurer une plus grande efficacité.
Je pense également au renforcement des peines pour les actes terroristes et au suivi socio-judiciaire. À ce sujet, je veux dire un mot de la peine incompressible de perpétuité. Le Sénat l’a adoptée sur la proposition de Michel Mercier, et l’Assemblée nationale l’a reprise par voie d’amendement. Je pense que l’on peut aller plus loin, grâce aux propositions de la commission des lois et à certains amendements, notamment ceux de notre collègue Roger Karoutchi, qui nous permettront d’indiquer aux Français que nous ne voulons pas qu’un terroriste puisse bénéficier de la moindre clémence. La perpétuité, dès lors qu’il s’agit d’actes terroristes, doit être une perpétuité effective.
On pourrait longuement discuter non seulement des décisions du Conseil constitutionnel, bien sûr, mais aussi et surtout des différentes jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, celle de 2008 comme celle de 2014. Il faut cependant absolument que nous votions, parce que c’est juste, les mesures concrètes que les Français attendent de nous pour protéger notre société.
Lorsque je disais que le présent projet de loi ne répondait que partiellement aux préoccupations relatives à un « réarmement » juridique et même judiciaire, je pensais à plusieurs dispositions, notamment à toutes celles qui permettent de ne pas réduire les peines. Le Gouvernement serait donc bien inspiré de soutenir les amendements qui lui seront présentés pour éviter toute mesure de clémence et d’aménagement de peine.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Dès lors qu’il s’agit de terroristes, on ne peut pas, y compris avec la contrainte pénale, les faire bénéficier de ces régimes. Les Français, encore une fois, ne le comprendraient pas.
Il y a aussi une lacune s’agissant de délits dont nous avions proposé la création dans notre proposition de loi. Je pense notamment au délit de fréquentation des zones de terrorisme à l’étranger, qui doit absolument être institué dans notre droit, ainsi qu’au délit de consultation habituelle de sites djihadistes, sites qui doivent par ailleurs pouvoir être bloqués. Évidemment, le délit de consultation ne concernerait pas les chercheurs ou les journalistes.
Je souligne par ailleurs un oubli, monsieur le garde des sceaux. Il est désormais avéré qu’il y a un lien entre la délinquance et le terrorisme, et il y a un lien entre le manque de places dans nos prisons et la radicalisation. Michel Mercier avait ébauché avant la fin de son « mandat », si j’ose dire, un programme de construction de prisons. Au regard de l’état de nos prisons, notamment de leur surpopulation, c’est une exigence fondamentale, à laquelle il faudra, même s’il n’a pas été possible de le faire dans ce texte, que vous puissiez répondre.
Comme à l’accoutumée, mes chers collègues, le Sénat fera son travail, pour améliorer la loi bien sûr, mais aussi avec pour seule obsession, pour seul objectif de veiller à la protection et la sécurité des Français. Messieurs les ministres, vous pouvez compter sur la majorité sénatoriale pour vous appuyer dans chacune de vos missions dès lors que vous visez ce même objectif.
Mais il nous faut aussi répondre aux défis formidables qui nous sont lancés par les terroristes. Moussab al-Souri, dit « le Syrien », qui a, si j’ose dire, « rénové » voilà une dizaine d’années la doctrine terroriste, parlait de l’Europe comme du ventre mou de l’Occident. Eh bien, il nous montre en même temps une sorte de chemin de combat : ne rien céder sur nos valeurs, rétablir l’autorité de l’État partout et en tout lieu, rappeler systématiquement, encore et toujours, les exigences de la laïcité et, aussi, refuser tout compromis avec le communautarisme ! Nous devons réinventer cette fierté d’être français et redessiner les contours d’une nouvelle amitié civique.
Ce sont des défis qu’il nous faut relever avec intelligence, mais aussi avec courage et détermination. Messieurs les ministres, vous trouverez la majorité sénatoriale à vos côtés dès lors que vous prendrez les moyens de relever ces défis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est dans une atmosphère pesante que nous abordons l’examen de ce texte. Chaque semaine, chaque jour s’accompagne d’une longue liste de victimes, à Paris, à Bruxelles, à Lahore et ailleurs : des enfants, des hommes et des femmes dont nous avons le sentiment douloureux de ne pas avoir pu assurer la protection.
Pesanteur aussi, parce que la succession de textes qui traitent de la lutte contre le terrorisme peut donner l’impression que nous n’y arrivons pas, que nous sommes sur la défensive. Bien sûr, il faut s’adapter aux nouvelles technologies quand on a la charge de l’enquête et que l’on doit réprimer, mais, la pesanteur, on la ressent aussi dans le resserrement du champ des libertés et, peut-être, dans la dénaturation progressive des principes auxquels nous sommes si attachés.
Mais je crois qu’il ne faut pas s’arrêter à cela, car, si nous sommes ici, c’est pour agir. Sinon, il ne faut pas être là ! Agir nécessite de tenir compte d’un monde qui évolue. Agir nécessite aussi de mettre notre procédure pénale en conformité avec les exigences progressivement dégagées par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi qu’avec les directives communautaires.
Je voudrais dire à ceux qui pensent que nous allons légiférer sous le coup de l’émotion que ce n’est pas le cas : le texte que nous abordons est dans la droite ligne de celui qui était issu du grand travail mené par Philippe Bas et Michel Mercier pour rédiger leur proposition de loi et que nous avons voté voilà déjà quelques mois.
Mme Éliane Assassi. C’était après janvier 2015 !
M. François Zocchetto. Nous ne sommes pas dans l’émotion : un réel travail a été fait.
Nous devons aussi tirer les conséquences d’une justice engorgée, et je salue les mesures de simplification qui sont contenues dans le texte que nous allons aborder tout à l’heure.
Enfin, il faut bien évidemment donner aux enquêteurs et aux magistrats de nouveaux moyens d’investigation et de poursuite. Ce qui était valable précédemment ne l’est plus forcément aujourd'hui.
Certains diront que le projet de loi a été alourdi ; d’autres, qu’il a été enrichi. Je préfère cette seconde approche, notamment pour tout ce qui concerne les mesures de prévention en matière de contrôle administratif et de lutte contre le financement du terrorisme.
Vous l’aurez compris, nous ne contestons pas la nécessité de telles réformes, car nous sommes aussi conscients du fait que nous ne pourrons pas rester éternellement sous le régime de l’état d’urgence. Bien sûr, on peut déplorer que certaines dispositions de ce régime puissent être, au moins dans leur esprit, retrouvées dans le texte qui sera, je l’espère, voté. Mais il faut accompagner la nécessaire sortie de l’état d’urgence, et je crois sincèrement que ce texte, qui, je le répète, vient dans la ligne de celui que nous avions déjà étudié, nous permettra de sortir de cette situation exceptionnelle.
Le Gouvernement n’a pas souhaité se saisir, comme il aurait pu le faire, du texte déjà adopté par le Sénat. Dont acte ! Cela n’empêchera pas notre assemblée d’apporter sa contribution, tant à travers les travaux de la commission des lois qu’au travers de nos débats.
Je précise que nous sommes favorables à un certain nombre de mesures telles que les perquisitions de nuit, les dispositions relatives à la fouille des bagages ou encore la procédure de retenue en cas de suspicions sérieuses. Quant aux mesures relatives au financement du terrorisme, elles sont primordiales. L’une des clés de la prévention et de la répression du terrorisme est le contrôle et l’entrave des moyens financiers dont disposent les organisations pour attirer et maintenir en leur sein des combattants et organiser leurs actions criminelles. Nous approuvons à ce titre les mesures qui concernent les compétences de TRACFIN ou celles qui visent à lutter contre le trafic d’armes. Je sais bien que ces dispositions peuvent paraître technocratiques et un peu éloignées des grandes valeurs que nous défendons, mais elles sont nécessaires. Il faut entrer dans le détail, car nous sommes en matière de procédure pénale et de procédure douanière.
La commission des lois a réalisé depuis plusieurs semaines un important travail. Son texte complète le projet de loi en intégrant plusieurs des dispositions qui figuraient dans la proposition de loi de Philippe Bas et Michel Mercier. Je vois en particulier un apport considérable dans le fait que soit prévue une circonstance aggravante permettant de criminaliser certains délits d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et de faciliter la saisie des correspondances stockées, et j’espère que le Sénat retiendra ces dispositions.
Il en va de même pour le placement en retenue administrative, une mesure qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais je pense que le travail de Michel Mercier a permis d’assortir le dispositif de plusieurs garanties et que nous arrivons à un équilibre judicieux.
Les dispositions relatives à l’usage des armes par les forces de l’ordre, que l’article 19 prévoit de réformer, peuvent paraître secondaires. Elles sont au contraire importantes, et je salue la rédaction adoptée par notre commission.
Enfin, nous avons renforcé une mesure indispensable à mes yeux : le contrôle administratif des personnes de retour de théâtres d’opérations terroristes. La commission a allongé, à juste titre, la durée de l’assignation à résidence pour la porter de un à deux mois.
S’agissant du renforcement du caractère contradictoire des enquêtes, je dirai simplement que nous revenons d’assez loin, car les débats tels qu’ils s’étaient engagés à l’Assemblée nationale ne nous permettaient pas d’être très optimistes à ce sujet. Le texte initialement voté par les députés en commission était en effet, selon les termes mêmes du Gouvernement, « totalement inapplicable et sur le fond profondément injustifié ». Nous proposons un texte réaliste qui doit permettre l’ouverture d’une « fenêtre » de contradictoire pour les enquêtes préliminaires les plus longues sans remettre en cause leur efficacité.
La critique souvent justifiée, et peut-être l’est-elle aussi en l’espèce, sur le fait que le Gouvernement ait engagé la procédure accélérée a été avancée. Moi aussi, je regrette le recours à cette procédure, sauf que nous travaillons tout de même depuis un moment sur le sujet ! J’ai donc la faiblesse de penser que nous avons à peu près cerné les problèmes. En revanche, messieurs les ministres, je m’inquiète davantage de la capacité du Gouvernement à présenter des amendements en cours d’examen du texte. C’est toujours un indice inquiétant, et j’espère que vous nous rassurerez…
Quoi qu’il en soit, l’important travail fait par Michel Mercier et Philippe Bas ainsi que par tous ceux qui les ont accompagnés dans leurs travaux me rassure. C'est la raison pour laquelle, avec mon groupe, je voterai en faveur du projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je demande une suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de la commission des lois, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux tout d'abord exprimer à mon tour, au nom de l’ensemble des membres de la commission des lois, notre indignation et notre effroi après les crimes ignobles qui ont été commis la semaine dernière à Bruxelles.
Je tiens aussi à rendre hommage au travail accompli par les forces de sécurité et par le ministère public au cours de ces derniers mois, particulièrement de ces dernières semaines et de ces derniers jours.
Par ailleurs, je veux souligner que, dans la lutte contre le terrorisme, il faut naturellement être particulièrement attentif à réduire les foyers de tensions au Proche-Orient. À cet égard, le recul des combattants de Daech en Syrie est assurément une bonne nouvelle, même si beaucoup de chemin reste à parcourir pour éradiquer ce mouvement terroriste.
Je veux également souligner l’importance du texte dont nous délibérons.
Mardi dernier, nous avons adopté le projet de loi de révision de la Constitution, dont l’importance politique et symbolique est certaine, mais dont chacun s’accorde à reconnaître qu’il n’augmente pas les capacités d’action de l’État dans la lutte contre le terrorisme.
En revanche, le texte de la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de présenter avec Michel Mercier, Bruno Retailleau et François Zocchetto, comme celui du présent projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, apporte des moyens nouveaux de lutte contre le terrorisme.
Pourquoi intervenir de nouveau par la loi, alors que plusieurs textes ont d'ores et déjà été adoptés par le Parlement sur ces sujets au cours des dernières années ? Pour une raison très simple.
Ce n’est pas à cause de l’émotion qui s’est emparée du pays, sans nous épargner, à la suite des attentats particulièrement meurtriers qui ont frappé la France depuis le mois de janvier 2015 et qui frappent aujourd'hui la Belgique. Rien ne serait pire que de répandre l’illusion que de nouvelles dispositions législatives sont la clé de la solution au problème du terrorisme. Nous ne souhaitons pas adopter des lois de circonstance.
Or le projet de loi qui nous est soumis n’est précisément pas un texte de circonstance. Il s'agit de s’adapter à des formes d’action du terrorisme qui ne cessent d’évoluer et qui ont recours à des technologies qui, elles aussi, ne cessent de se moderniser.
Il s'agit aussi de répondre à des lacunes de notre droit qui ont été parfaitement identifiées par les services de police et de gendarmerie, ainsi que par les juges de la section antiterroriste du parquet à l’occasion du combat contre les manifestations les plus récentes du terrorisme.
Enfin, il est de notre devoir à tous de nous assurer, par la loi, qu’aucun terroriste condamné ne puisse être un jour en situation de récidiver.