M. Pierre Charon. Une minute et demie de dépassement !
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter votre temps de parole, sinon nous n’y arriverons jamais.
La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article.
Mme Claudine Lepage. J’interviens non seulement en tant que sénatrice socialiste, loyale vis-à-vis du Gouvernement, mais aussi en tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, dont 40 % au moins possèdent une seconde nationalité.
Je reconnais volontiers que, lorsque le Président de la République a annoncé la révision constitutionnelle, il ait pu sembler cohérent de signifier aux terroristes qu’ils se mettaient hors de notre communauté nationale. Une fois l’émotion passée, il apparaît assurément que la déchéance de la nationalité est tout simplement une fausse bonne idée.
Fausse bonne idée, parce que nous avons tous conscience que cette mesure est inefficace : bien entendu, elle ne saurait être dissuasive. Comme l’a rappelé Mme Taubira, les terroristes « ne meurent ni Français ni binationaux, ils meurent en morceaux » ! En l’occurrence, seul un binational franco-belge, terroriste survivant de 2015, aurait pu faire l’objet d’une déchéance de nationalité.
Fausse bonne idée aussi, parce que, si cette mesure ne peut être tout au plus qu’un symbole, c’est un symbole qui manque sa cible. En effet, comment notre Constitution peut-elle ainsi rompre la cohésion sociale en créant plusieurs catégories de Français ?
Quoi qu’on en dise, et malgré la nouvelle rédaction de l’article 2 – qui ne résout rien –, pour les Français qui ont cette chance de détenir une double culture, pour ces Français qui sont aussi une chance pour notre pays, son ouverture au monde et son rayonnement, la binationalité est désormais vécue comme un fardeau. Ne plus pouvoir se définir « comme des Français à part entière », tel que les socialistes représentant les Français établis hors de France l’ont toujours prôné, est ressenti comme une insupportable stigmatisation par ces concitoyens que je représente.
Fausse bonne idée, enfin, parce que, après les attentats, nous avions résolu de montrer au monde entier que nous continuerions à vivre librement, tous ensemble, sans distinction d’origine ou de religion, conformément à nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. En choisissant de modifier notre loi fondamentale pour y créer plusieurs catégories de Français, nous renions tout simplement cet engagement, et je ne puis m’y résoudre. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l’article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce débat sur la déchéance de nationalité tourne à la confusion.
Sans refaire l’historique de la volonté d’inclure dans la Constitution une mesure que l’ensemble de la gauche repoussait catégoriquement jusqu’à hier, comment ne pas s’étonner d’une décision prise dans la précipitation, sans concertation ? François Hollande a pris à contre-pied son propre camp lors de son discours devant le Congrès le 16 novembre dernier.
« L’esprit de Versailles », évoqué hier par certains, a vite été celui de l’incompréhension, du désarroi et même de la colère pour les femmes et les hommes de gauche. Comment accepter de bâtir une union nationale sur la base de la question de la nationalité ?
Cette proposition de déchéance de la nationalité, qui – il faut tout de même le rappeler – était portée jusqu’à présent par la droite, conduite par M. Nicolas Sarkozy, et surtout par le Front national, a provoqué une fracture profonde dans l’opinion, non seulement à gauche, mais aussi dans l’ensemble des partis politiques.
La confusion règne, car le Gouvernement, pour sauver son texte, a abandonné la référence aux seuls binationaux pour proposer une forme de « déchéance pour tous ». Ce semblant de recul n’a pas modifié le débat.
Certains analystes considèrent que, si la déchéance concerne l’ensemble des nationaux dans la Constitution, la loi d’application pourra, elle, ne concerner que les binationaux. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le garde des sceaux, sachant que l’avant-projet dont nous disposons pour la future loi d’application ne concerne toujours effectivement que les binationaux ?
Le refus exprimé par beaucoup de créer des apatrides revient logiquement à la déchéance pour les binationaux. La ratification par notre pays de la convention de New York de 1961 interdisant l’apatridie est loin d’être réalisée, d’autant plus que certains expliquent qu’elle nécessiterait une nouvelle révision constitutionnelle…
Le Gouvernement est resté sourd à toutes les propositions de repli provenant de son propre camp. Or, ne l’oublions jamais, Daech et ceux qui mènent le djihad n’espèrent qu’une chose : que notre pays renonce à ce qui a fait sa grandeur, à savoir la liberté et l’ouverture sur le monde !
L’heure est donc venue, à notre avis, de retirer cet article 2 de la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes Bariza Khiari et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Le 6 janvier dernier, le New York Times titrait « Un coup dur à l’idéal républicain » à propos de la déchéance de la nationalité qu’il nous est aujourd’hui proposé de constitutionnaliser.
Aveu de faiblesse de François Hollande, preuve que la mission républicaine de la France a échouée, cette décision d’inscrire la déchéance de la nationalité dans notre Constitution écorne le statut de millions de Françaises et de Français.
Comment rester muet quand un gouvernement « de gauche » s’apprête à inscrire dans notre Constitution un symbole d’extrême droite, une inégalité fondamentale entre Français, contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes de laquelle – il semble nécessaire de le rappeler ! – « les hommes naissent libres et égaux en droits ».
Je regrette que le Président de la République ait perdu sa boussole de gauche (M. Pierre Charon s’esclaffe.), alors que, dans un entretien avec deux journalistes réalisé le 16 juillet dernier, voici ce qu’il avait dit, au sujet d’idées qu’il refusait de faire siennes : « La déchéance de nationalité ou l’indignité nationale, vous savez, toutes ces choses de droite qui sont de l’ordre du symbolique et qui n’apportent rien à la lutte contre le terrorisme… » (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
M. Éric Doligé. Il a changé !
M. Philippe Dallier. Vérité d’hier…
Mme Éliane Assassi. Rappelons également que la fonction même de la Constitution est d’organiser et d’encadrer les pouvoirs des gouvernants, de garantir les droits et libertés des citoyens, et non de prévoir des sanctions. La Constitution n’est pas le code pénal, comme beaucoup l’ont rappelé.
Le texte que vous nous proposez met à mal l’esprit de la loi fondamentale et, avec lui, les droits fondamentaux que la Constitution garantit. Pourtant, ces droits ne peuvent être retirés à un individu, aussi barbare soit-il. C’est le principe de l’État de droit, c’est ce qui fait la force d’une démocratie et la dignité d’une République comme la nôtre.
Alors, on pourra nous objecter que la République a recouru à certaines périodes de son histoire à la déchéance de nationalité. Mais, comme le soulignait l’un de nos collègues à l’Assemblée nationale, la guillotine était républicaine, et c’est l’honneur de la République que de l’avoir abolie.
Au nom même du combat contre le terrorisme, il convient de ne pas céder sur nos valeurs, de faire preuve d’une détermination intacte à faire progresser l’État de droit contre la barbarie.
Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore, nous voterons résolument contre l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. L’idée de déchéance contient une forme d’« autoéxoneration ». On entend deux discours, celui qui affirme que ces terroristes ne sont pas de vrais Français et celui qui soutient qu’ils ne sont pas de vrais musulmans. D’un côté comme de l’autre, il y a à la fois du vrai et du déni. Or, pour combattre le terrorisme, nous avons besoin de percer le fonctionnement du terrorisme djihadiste. En brandissant la déchéance, nous enclenchons un engrenage de solidarités absurdes.
La déchéance est la plus mauvaise des réponses symboliques, car elle dessine des frontières juridiques au cordeau, en assignant en fonction de l’identité le camp des bons et celui des suspects. Ces suspects, par leur patronyme, leur aspect physique, leur foi réelle ou supposée, se retrouvent dans une injonction paradoxale : lorsqu’ils se taisent, ils sont forcément dans la complicité ; quand ils s’expriment, ils signent leur duplicité.
Pour ma part, je dénonce depuis des années la « wahhabisation » de l’islam mondial. Plus l’islam traditionnel, culturel, spirituel est mis en cause – la déchéance de nationalité a été vécue comme une mise en cause de cette nature pour les Français de confession musulmane –, plus les arguments des promoteurs du fondamentalisme prospèrent.
Je remercie Jean-Pierre Sueur de s’être élevé ici contre les propos de Jean Louis Masson, grand professionnel de l’amalgame, pour qui les binationaux seraient une cinquième colonne.
M. David Rachline. Il n’a jamais dit ça !
Mme Éliane Assassi. Vous n’êtes pas M. Masson !
Mme Bariza Khiari. Tout ce qui est excessif est vraiment insignifiant.
Pour combattre le terrorisme djihadiste, nous devons enrayer l’offensive de l’islam intégriste ; ce combat ne peut se mener sans les Français de confession musulmane. Pour associer nos compatriotes, il ne faut ni victimisation ni stigmatisation, et encore moins la suspicion. C’est pourtant le mode d’expression le plus répandu, le plus lâche et le plus sournois. Il faut juste les reconnaître comme des égaux, des Français à part entière. Or la déchéance donne une prime à l’identité sur la citoyenneté.
A contrario, si, collectivement, nous parvenons à promouvoir l’égalité formelle et l’égalité des chances, à endiguer l’intégrisme dans nos territoires et sur les réseaux sociaux sans stigmatiser les Français de confession musulmane, nous offrirons alors un beau visage à la laïcité et nous aurons avec nous, dans le combat contre le terrorisme, la Nation réunie. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.
M. Richard Yung. Je voudrais expliquer pourquoi je ne voterai ni l’article 2 ni l’amendement de la commission des lois. Pour moi, la bonne solution, c’est la suppression de cet article.
Au début n’étaient visés que les binationaux, stigmatisés par M. Masson. Puisqu’il n’est pas là, je ne vais pas développer. Sachez cependant que, parmi les Français de l’étranger, on compte entre 40 % et 60 % de binationaux. Or, c’est notre devoir de le dire, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ils ont vécu cela comme une remise en cause de leur attachement à la République.
Par la suite, ont été ajoutés les mononationaux. Ainsi, tout le monde était concerné… Seulement voilà, on s’est aperçu qu’on allait créer des apatrides. Et là, c’est le drame ! Je rappelle que la République n’a pas ratifié la convention des Nations unies de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie – heureusement, cinquante ans après, elle y songe.
Maintenant, on nous propose de viser les mononationaux, avec la promesse d’une loi ultérieure pour ratifier la convention de 1961. Ce montage est quand même quelque peu boiteux.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. En effet !
M. Richard Yung. N’oublions pas que la convention prévoit des exemptions, ce qui est parfaitement normal.
On va donc faire face à des difficultés d’application : que va-t-on faire de ces apatrides ? On les garde ? On leur met un bracelet ? On leur demande de passer au commissariat tous les matins ? On les expulse ? Dans cette dernière hypothèse, que se passera-t-il dans les pays d’accueil ? Qui nous dit qu’ils ne les laisseront pas filer dans la nature ?
Je le répète, ce montage est boiteux. C’est pourquoi, comme un certain nombre de mes collègues, je voterai contre cet article. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l'article.
M. Alain Néri. Monsieur le garde des sceaux, face aux attaques terroristes que notre pays a connues et peut encore connaître, pour dissuader ces terroristes fanatiques, vous les menacez de la déchéance de nationalité, laquelle, j’en conviens, est une sanction forte pour des citoyens raisonnables et respectueux des règles de la République. Mais qui peut penser qu’une telle menace peut être dissuasive pour des individus fanatiques et déshumanisés au point de commettre des attentats aussi lâches qu’odieux et des atrocités aussi barbares qu’inhumaines ? Votre proposition s’avère donc inefficace et, par là même, inutile. C’est pourquoi je ne la voterai pas.
Par ailleurs, la déchéance de nationalité est en contradiction flagrante avec les fondements mêmes de la République et son texte fondateur, la Constitution.
D’abord, parce que la France est le pays des droits de l’homme. Nous avons bien vu après les attentats de janvier et de novembre le soutien venu du monde entier dont ont bénéficié la République française et les Français, parce que nous sommes la République, parce que nous sommes porteurs des valeurs de liberté.
Ensuite, parce que la France est une République une et indivisible. Ses citoyens naissent libres et égaux, au moins en droits. C’est pourquoi toute discrimination est inacceptable et toute stigmatisation insupportable.
Si l’inscription de la déchéance de nationalité s’adresse aux seuls binationaux, alors elle est discrimination et stigmatisation ; si elle s’adresse à tous les citoyens, alors elle va créer des apatrides, en contradiction avec les accords internationaux. Dans les deux cas, elle est en opposition formelle avec les fondements mêmes de la République. Oui, monsieur le garde des sceaux, quelle que soit la façon dont on est ou dont on devient français, quand on est français, on n’est pas français à moitié, on n’est pas plus ou moins français : on est français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Aussi, pour répondre à ce problème et rester fidèle aux valeurs fondamentales de la République qui font la grandeur de la France partout dans le monde, je vous propose de supprimer la déchéance de nationalité ; dans un souci de consensus, je vous proposerai un amendement pour la remplacer par la déchéance de citoyenneté.
Je voterai la suppression de l’article 2 pour rester fidèle à mes convictions humanistes, fidèle aux valeurs de la République ; mais, si cette déchéance de nationalité était finalement inscrite dans notre Constitution, sachez qu’elle pourrait se révéler encore plus dangereuse entre les mains de gouvernants plutôt moins que plus respectueux des droits de l’homme et de la République – personne ne maîtrise l’avenir. Je ne veux pas être complice de ce qui pourrait être alors un crime contre les citoyens de France ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, sur l'article.
M. Gaëtan Gorce. La déchéance de nationalité, on l’a bien compris, pose des problèmes de principe. Comme l’a dit le Conseil d’État, en indiquant qu’il fallait en passer par une modification de la Constitution si l’on voulait l’étendre, elle revient à retirer un élément constitutif du statut juridique de la personne. Elle conduit donc à une sorte de mise à mort civique de l’individu visé.
Conscient du problème, le Gouvernement a souhaité dans un premier temps limiter cette déchéance aux binationaux, ne voulant pas créer d’apatrides. Cependant, les binationaux étaient déjà concernés, en tout cas ceux dont la nationalité avait été accordée par naturalisation ou par un autre mécanisme. Il s’agit donc d’élargir la déchéance aux binationaux de naissance, ce qui change totalement la donne.
Pour ceux qui se sont vu attribuer la nationalité française, on peut considérer qu’un contrat a été passé entre eux et la France et que ce contrat a pu être rompu à un moment donné, justifiant ainsi la déchéance. En revanche, pour les binationaux de naissance, qui ont été élevés dans la culture française et qui n’ont obtenu une autre nationalité le plus souvent que par une loi étrangère qui s’est appliquée automatiquement à eux – c’est le cas pour les ressortissants franco-algériens et franco-marocains –, cela signifie que nous les soustrayons au terreau dans lequel ils ont grandi, au cadre dans lequel ils ont pu s’affirmer. Bref, nous les excluons de la communauté nationale à laquelle ils ont toujours appartenu non pas aux termes d’un contrat, mais du fait des circonstances de leur vie.
Le législateur est bien conscient de cette situation puisque la loi, plusieurs fois modifiée, relative à la déchéance de nationalité des binationaux par attribution de la nationalité indique que cette déchéance n’est possible que dans un délai compris entre dix et quinze ans après l’acquisition de la nationalité. Cela démontre bien que, passé un certain temps, l’enracinement dans la société française est tel qu’on ne peut pas imaginer priver quelqu’un de sa nationalité française.
C’est donc une mesure injuste que vous nous proposez. Alors pourquoi souhaitez-vous la mettre en œuvre, de surcroît, si l’on suit les propositions qui sont faites, en envisageant la possibilité de créer des apatrides ? J’ai le sentiment, comme l’a dit Bariza Khiari, que nous faisons face à une sorte de déni de réalité. Il s’agirait au fond de dire que ces terroristes sont exclus de la communauté nationale symboliquement, comme s’ils n’y avaient jamais appartenu. Mais ces terroristes sont souvent des Français, qu’ils soient binationaux ou non ; ils ont été élevés, ils ont grandi dans la société française, et c’est un problème que nous devons assumer et traiter. Nous ne le réglerons pas symboliquement en les excluant de la communauté nationale.
Qu’y gagnerait la collectivité à les exclure de la communauté nationale ? Rien, ni en cohésion ni en force ! Est-ce que nous fragiliserions le terroriste en le frappant de cette manière ? Aucunement, et chacun reconnaît que cette mesure n’est pas efficace. La seule chose que nous fragilisons, c’est la personne humaine qui reste derrière chaque individu, chaque terroriste. Et ce n’est pas acceptable ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Notre pays, notre France, a été attaqué avec une violence et une lâcheté inouïes.
Les djihadistes islamistes ont précisément visé notre modèle républicain et ses valeurs universalistes, qui parlent au monde : la liberté, qui autorise des journalistes et des dessinateurs caricaturistes à moquer tous les pouvoirs ; l’égalité, qui permet aux hommes et aux femmes, ensemble et à visage découvert, d’écouter de la musique, de danser, de se rencontrer et de peupler les terrasses de café, ou aux Juifs de pouvoir vivre sans être discriminés, chassés ou tués ; la laïcité, qui n’oblige à aucune religion tout en les respectant toutes. C’est donc d’abord sur ces valeurs que nous ne devons rien lâcher ; c’est même avec ces valeurs que nous devons combattre ces terroristes.
Telle est la raison fondamentale de mon opposition à l’article 2 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, même s’il ne comporte plus ce que, ici, la droite veut réintroduire en consacrant dans la Constitution une rupture inacceptable d’égalité entre citoyens nés français ; nous y reviendrons.
Nous sommes tous d’accord pour dire que cette déchéance sous toutes ses formes n’a aucun rôle dissuasif et aucune efficacité concrète contre les terroristes. Or l’unité nationale, on l’a vu, n’arrive à s’imposer – c’est salutaire – que quand on prend des mesures législatives concrètes et efficaces et des moyens pour combattre le terrorisme.
Alors, reste l’argument du symbole. Je conteste que la Constitution puisse consacrer d’autres symboles que ceux qui sont dans sa fonction première, à savoir organiser l’État et garantir les droits et libertés des citoyens, sans jamais édicter elle-même des mesures punitives ou des sanctions qui l’altèrent. Par ailleurs, dans ce grand moment de confusion idéologique, justement sur l’identité, tout symbole qui accroît cette confusion est contre-productif et n’a de valeur symbolique que dans la manière dont il est investi par ceux qui doivent se rassembler autour.
Force est de le constater, pour les cinq millions de binationaux, comme pour tous ceux qui savent que la question a été mise au cœur du débat par la droite et l’extrême droite depuis plusieurs années pour les stigmatiser, la déchéance s’est imposée comme le symbole d’une conception de l’identité qui s’oppose à l’égalité, ce qui n’a rien à voir avec les intentions symboliques républicaines voulues par le Président de la République et le Gouvernement. Il faut acter que ce symbole n’est pas le même pour les uns et les autres, et donc ne rassemble pas ; au contraire, il divise même le camp républicain, qui pourtant a déjà fort à faire avec le camp antirépublicain, nationaliste et populiste qui monte…
J’ajoute pour finir (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) qu’on nous a expliqué qu’il fallait inscrire la déchéance dans la Constitution, parce que le Conseil d’État nous dit en quelque sorte qu’elle pourrait être déclarée non républicaine par le Conseil constitutionnel. Mais voyons, mes chers collègues, c’est justement parce qu’elle serait non républicaine qu’il ne faut pas l’inscrire dans notre Constitution républicaine !
Ma conviction profonde, en conscience, dans la continuité de mes engagements constants depuis plus de trente ans, est qu’il faut supprimer l’article 2, quelle qu’en soit la version proposée. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Duran, sur l'article.
M. Alain Duran. Fils de binational, profondément attaché aux valeurs républicaines, comme l’égalité totale de tous les citoyens, je tiens à manifester mon désaccord profond avec l’inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité, destinée en pratique à être étendue aux personnes ayant deux nationalités. En cela, je reste fidèle à mes engagements. Pour autant, je reste fidèle au Gouvernement, auquel j’apporte par ailleurs mon soutien sans hésitation.
La France est confrontée à des problématiques extrêmement graves et complexes avec cette résurgence du terrorisme, d’une violence inouïe, perpétré par plusieurs de ses citoyens. Comment des individus basculent-ils dans une haine anomique de la société à laquelle ils appartiennent ? Quelles mesures de fond les pouvoirs publics doivent-ils prendre pour prévenir la dérive de ces personnes qui sont en nombre important ? Comment assurer le meilleur niveau de sécurité possible face à la lourdeur extrême des menaces, sans renoncer à des principes essentiels de proportionnalité, de contrôle et de garantie des droits et libertés ?
Telles sont les questions essentielles auxquelles nous devons nous confronter ; telles sont nos vraies responsabilités. Laisser accroire qu’une réponse réelle puisse y être apportée par la voie d’une mesure symbolique n’est tout simplement pas à la hauteur de ces graves enjeux. C’est donc en conscience que je voterai l’amendement de suppression de l’article 2 déposé par ma collègue Bariza Khiari. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Le fait que je soutienne le Président de la République et le Gouvernement ne doit pas m’empêcher d’exprimer mon désaccord sur ce sujet important. Cette attitude me semble parfaitement cohérente. L’idée que je me fais du mandat parlementaire est que nous devons, dans certaines circonstances, si telle est notre conviction, ne pas souscrire à certaines propositions.
Comme beaucoup l’ont dit, la déchéance de nationalité n’aura pas d’effets concrets sur ceux qui sont animés par une folie meurtrière. Je voterai donc les amendements de suppression de l’article 2, qui, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, aurait pour conséquence de rendre applicable la déchéance de nationalité non seulement aux binationaux, mais aussi à ceux qui n’ont qu’une seule nationalité, à condition de voter un texte ultérieur qui créerait de l’apatridie.
Je ne souscrirai pas non plus à la rédaction de la commission des lois du Sénat, qui, derechef, supprime très clairement la possibilité d’apatridie, ce qui est différent de ce qui a été voté par l’Assemblée nationale.
Autrement dit, je suis en désaccord avec ces deux formulations ; je suis en désaccord avec l’article 2, tout simplement.
J’ai souvent répondu aux binationaux qui me parlaient de cette affaire que, n’étant pas des criminels, ils n’étaient pas concernés. Leurs nombreux témoignages m’ont toutefois convaincu que cette disposition avait été perçue comme une discrimination inacceptable.
M. Christian Cambon. Dites-le au Président de la République !
M. Jackie Pierre. C’est lui qui a provoqué ce débat !
M. Jean-Pierre Sueur. Je me demande comment ce débat a pu être ressenti par les cinq millions de binationaux qui sont nos compatriotes.
Telle est ma part de vérité. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. En cette période de menaces multiples pour notre nation, il était du devoir du Président de la République de réunir les conditions de l’unité nationale, dans l’action, avec, pour priorité, la sécurité de nos concitoyens. Ce fut chose faite dans les jours qui suivirent les attentats de novembre avec la réunion du Parlement à Versailles. Je rends hommage au Président de la République et à notre gouvernement, qui, fermement, dignement, ont fait face de la manière la plus responsable qui soit.
Alors que les alertes visant à frapper de nouveau notre nation au cœur sont toujours plus nombreuses, toujours plus sérieuses, notre devoir est bien de construire une réponse efficace au terrorisme.
Le premier impératif est d’assurer une sécurité accrue et constante à tous les Français. Pour cette raison, et comme la très grande majorité des membres de cet hémicycle, j’ai approuvé ce matin l’article 1er de ce projet de loi constitutionnelle : l’état d’urgence est l’outil approprié pour déjouer les menaces pesant sur notre territoire.
L’article 2, qui a pour objet d’inscrire la déchéance de nationalité dans notre loi fondamentale, pose, lui, plus de questions.
Nous sommes nombreux, peut-être unanimes, à considérer que tout individu portant atteinte à notre pays et à ses citoyens, comme ce fut le cas en novembre dernier, s’exclut de la communauté nationale. Doit-on pour autant invoquer la déchéance de nationalité, au risque, soit d’inquiéter les millions de nos compatriotes binationaux, soit de créer des cas d’apatridie, pourtant interdits par la convention européenne sur la nationalité de 1997 ? Comme le faisait remarquer Patrick Weil lors de son audition par la commission des lois, il est primordial de ne toucher qu’avec prudence aux notions de nationalité et de citoyenneté.