M. Michel Mercier. Nous attendons donc, monsieur le Premier ministre, que vous construisiez ce consensus. Vous ne pouvez pas nous dire : l’Assemblée a pris position, alignez-vous ! En toute honnêteté, nous aligner, nous ne savons pas le faire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) À titre personnel, je ne serais pas centriste si je savais m’aligner ! (Rires sur les mêmes travées.) Or je suis centriste jusqu’au plus profond de moi-même. Dès lors, monsieur le Premier ministre, ne l’espérez pas !
Quoi qu’il en soit, si vous voulez que nous participions à l’élaboration d’un consensus, c’est là encore à vous qu’il appartient d’en décider.
Alors, si nous voulons avancer, que faut-il faire figurer dans cette révision constitutionnelle ?
Il ne faut pas y mettre ce qui relève de la loi. Celle-ci doit se conformer à la Constitution, mais elle est faite pour s’adapter au temps. La Constitution, en revanche, sert à affirmer des valeurs permanentes de la République. Il s’agit donc, non pas d’introduire telle ou telle disposition pratique dans la Constitution, mais bien de fixer le cadre dans lequel le Parlement et le Gouvernement peuvent prendre les mesures exigées par les circonstances.
La question de l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution est en fin de compte assez simple. Je voudrais d’abord souligner que, depuis que l’état d’urgence a été mis en œuvre par le Président de la République et prorogé, à deux reprises, par le Parlement, un vrai contrôle en a été exercé par le Conseil d’État et, plus largement, par le juge administratif. Le Conseil d’État a affiné sa jurisprudence en matière de contrôle. En particulier, le juge des référés du Conseil d’État a montré qu’il allait jusqu’au bout du pouvoir que la loi lui donne : il a en effet reconnu, en quelque sorte, un droit à l’audience pour toutes les personnes affectées par des mesures spécifiques prises dans le cadre de l’état d’urgence.
Néanmoins, c’est le rôle de la Constitution d’organiser les relations entre les pouvoirs publics et de déterminer ce que fait le Parlement, le Gouvernement et comment cela fonctionne. Et c’est ce que le rapporteur propose d’inscrire dans la Constitution : on ne va pas évoquer les perquisitions, les assignations à résidence, on va parler des relations des pouvoirs publics entre eux. Tout cela doit se faire en respectant la compétence de l’autorité judiciaire. En un mot, réformer la Constitution, c’est accorder des garanties, veiller à ce que les libertés publiques, dans les temps de crise, soient respectées plus encore que d’habitude, et c’est notre réponse aux terroristes. Oui, on combat le terrorisme, mais avec les armes de la démocratie et pas n’importe comment. Tel est le sens profond, selon moi, de la révision constitutionnelle. Il s’agit non pas d’inscrire dans la Constitution la loi, ce qui n’aurait pas de sens, mais de déterminer nos valeurs, les règles dans le cadre desquelles on combattra le terrorisme.
Pour ce qui est de la nationalité, la question paraît plus complexe, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas, surtout si chacun va au bout de sa vérité.
Quels problèmes sont posés par la déchéance ou la perte de nationalité ? J’emploie ces deux termes, car, dans un certain nombre d’arrêts, le Conseil d’État a indiqué que les deux notions revenaient au même.
M. Michel Mercier. On peut tout à fait ne pas en convenir, monsieur le garde des sceaux, dans la mesure où chacune est détaillée dans une section spécifique du code civil, sections que je connais assez bien.
En fait, deux grands problèmes se posent : la relation entre les personnes et l’État, puis la relation entre l’État et les personnes. La nationalité se trouve au croisement du droit public et du droit privé, des questions personnelles et du rôle souverain de l’État. Pour ce qui concerne l’apatridie et sa prévention – c’est sur ce point que je fonderai mes positions –, nos textes ne comportent peut-être pas un principe général, mais il existe un usage républicain constant.
Ainsi, aux termes de l’article 23-7 du code civil, une personne qui se montre déloyale vis-à-vis de l’État dont elle est le national peut perdre la nationalité de cet État si elle a la nationalité d’un autre État : il n’y a donc pas d’apatridie possible !
Aux termes de l’article 25 du même code, si quelqu’un a été condamné pour un crime ou un délit grave portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, il peut être déchu de sa nationalité à la condition que cette déchéance n’ait pas pour résultat de le rendre apatride. Cette disposition résulte de la loi du 16 mars 1998, défendue par Mme Guigou.
On peut donc constater un continuum dans notre droit, un principe républicain essentiel.
Le texte qui nous est présenté aujourd’hui ne comporte rien d’autre. Voilà pourquoi il vous serait facile, monsieur le Premier ministre, de construire avec nous ce consensus. Vous nous affirmez qu’on réglera le problème par la ratification future d’une convention internationale qui devrait peut-être permettre un certain flou.
Toutefois, pour parvenir au résultat que vous appelez de vos vœux, il faudrait que quelqu’un propose d’enlever des articles 23-7 et 25 du code civil l’interdiction de créer des apatrides en cas de perte ou de déchéance de la nationalité. Je reste persuadé que quiconque proposera cela n’est pas encore né !
Ce principe de prévention de l’apatridie existe dans notre droit : autant le dire clairement. En effet, ce n’est pas la ratification d’une convention internationale qui changera quoi que ce soit. Aujourd’hui, les seules obligations qui s’imposent à nous en matière de prévention et d’interdiction de l’apatridie sont des règles de droit interne, non des règles de droit international : nous n’avons encore ratifié aucune convention internationale qui nous interdirait de faire des apatrides.
J’évoquerai à présent un second point, peut-être moins important, mais à coup sûr plus symbolique. Il s’agit de savoir comment prononcer la déchéance et qui doit le faire.
Vous nous expliquez, monsieur le Premier ministre, que ce sera une sorte de peine complémentaire, annexe à une condamnation pénale définitive, et qui sera prononcée par le juge judiciaire.
Pour ma part, je ne partage pas ce sentiment. Selon moi, l’État, ou plutôt le pouvoir exécutif – je n’ignore pas que l’autorité judiciaire aussi représente l’État –, quand il octroie au citoyen la nationalité française, lui accorde en même temps sa protection.
Michelet a clairement exprimé cette idée, quoique d’une façon quelque peu romantique.
M. Didier Guillaume. Ça fait du bien, le romantisme ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Nous nous souvenons tous de cette phrase : « Français de toute condition, de toute classe et de tout parti, retenez bien une chose, vous n’avez sur cette terre qu’un ami sûr, c’est la France. » Voilà le sens de la nationalité !
C’est pourquoi on ne peut ôter la nationalité par une décision prise, après la condamnation, lors d’une audience supplémentaire d’une cour d’assises spéciale. Non, c’est bien le Premier ministre, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, qui doit prendre cette décision : il s’agit en effet d’une position forte et essentielle.
Pas d’apatridie !
Hannah Arendt expliquait que l’apatridie permettait les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux des individus. Nous n’irons pas jusque-là ! Respecter le pouvoir exécutif, qui protège les citoyens, constitue aussi selon moi une piste qu’il faut creuser.
Voilà, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles la majorité des membres de mon groupe et moi-même voterons les propositions que nous a faites M. Philippe Bas, au nom de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les attaques que notre pays et notre peuple ont subies aux mois de janvier et de novembre 2015 ont été d’une rare violence. Cette violence barbare et les images d’un Paris meurtri et atteint en son cœur resteront à jamais gravées dans nos mémoires. Nos pensées vont aujourd’hui encore vers les familles endeuillées et vers celles et ceux qui pansent toujours leurs plaies.
Chaque jour, chaque semaine, cette violence affecte d’autres pays : la Côte d’Ivoire, de nouveau la Turquie et hier la Belgique. Cette violence, souvent vécue en direct par nos compatriotes, est profondément anxiogène.
Elle est pourtant réelle et elle a un nom : Daech, avec des groupes fanatisés qui ont fait de la mort leur outil de propagande le plus efficace ; Daech, qui porte la responsabilité de la vague de violence à laquelle est confrontée une partie croissante du monde.
Cet islamisme radical n’est pas apparu sans raison historique. Il ne se développe pas sans soutien. Agiter la peur sans expliquer la source du mal ni proposer une feuille de route pour mettre fin à cette crise du Proche et du Moyen-Orient qui déteint aujourd’hui sur le continent africain est inefficace et, à terme, dangereux pour la démocratie.
La présente révision constitutionnelle n’apporte aucune réponse à la crise internationale qui risque d’embraser cette région ; elle est à mille lieues d’une réponse à l’écho que trouve le fanatisme religieux auprès d’individus souvent exclus, sans repères culturels et en quête d’une reconnaissance que personne jusqu’à présent ne leur a offerte.
Monsieur le Premier ministre, il faut bien le reconnaître, le débat que vous avez relayé avec ardeur évolue aujourd’hui en pleine confusion.
Dans un premier temps, sous le choc des événements, les habitants de notre pays ont soutenu des dispositions dont ils ne maîtrisaient pas forcément les tenants et les aboutissants, tant leur complexité est indéniable. À l’heure actuelle, ils se sont détournés de votre projet, lassés par tant de manœuvres politiciennes.
Finalement, monsieur le Premier ministre, qui veut aujourd’hui de votre projet de loi constitutionnelle ?
Mes chers collègues, les deux principaux articles de ce texte peuvent paraître sans point commun. Néanmoins, ils partagent le même ADN. Ils ont en commun la peur que j’évoquais voilà un instant : pour ce qui concerne l’article 1er, la peur du quotidien et de la menace annoncée, sinon martelée ; s’agissant de l’article 2, la peur de l’autre.
Nous débattons aujourd’hui de cette révision constitutionnelle alors même que, depuis 1986, plus de vingt lois censées protéger notre pays contre le terrorisme ont été adoptées. Quelles ont a été leur efficacité, leur utilité à terme ?
L’inefficacité et l’inutilité sont deux reproches qui sont souvent sur les lèvres des nombreux détracteurs de votre projet de loi constitutionnelle, monsieur le Premier ministre. Or ces détracteurs sont présents sur toutes nos travées, y compris sur celles de votre propre parti.
Peut-être, avant de vous précipiter, dans un contexte peu propice à la réflexion, aurait-il fallu écouter, consulter, comprendre et sans doute raisonner « dans le silence des passions », comme le recommandait Jean-Jacques Rousseau.
Le premier article de votre texte, monsieur le Premier ministre, procède à la constitutionnalisation de l’état d’urgence.
La justification que vous en avez donnée, celle de la sécurisation d’un état d’exception, a vite été balayée par la plupart des observateurs et des professeurs de droit constitutionnel. Devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, vous avez même, si je puis me permettre, vendu la mèche, en déclarant : « Conférer une base constitutionnelle à l’état d’urgence, c’est consolider les mesures de police administrative définies par la loi de 1955. »
Le professeur Olivier Beaud, auditionné par la commission des lois, l’a affirmé sans ambages : « La constitutionnalisation n’est pas innocente : loin d’encadrer les conditions de l’état d’urgence, elle permet d’aller plus loin dans la répression et aggrave les atteintes aux libertés. »
En résumé, l’intégration de l’état d’urgence dans la Constitution couperait l’herbe sous le pied à d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité ou à d’autres recours en le plaçant au sommet de la hiérarchie des normes. En dehors de ce double objectif – affichage d’un volontarisme sécuritaire et sanctuarisation constitutionnelle –, cette disposition s’avère inutile.
À deux reprises, en 1985 et en 2015, le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 34 de la Constitution permettait la mise en place d’un tel état d’exception. Monsieur Bas, vous qui êtes président de la commission des lois et rapporteur sur ce texte, avez longuement démontré la reconnaissance multiple de la conformité à la Constitution de l’état d’urgence. Néanmoins, vous avez conclu votre démonstration, de manière sibylline, par ces mots : « À l’évidence, cela éclaire d’un jour nouveau le projet de révision constitutionnelle, qui ne peut s’autoriser d’une nécessité impérieuse tirée des exigences de la lutte contre le terrorisme, les moyens légaux à la disposition du Gouvernement dans le cadre de l'état d'urgence ayant été consolidés par le juge constitutionnel. »
Avec vous, monsieur le rapporteur, je m’interroge sur la volonté du Gouvernement de faire valider par anticipation, du point de vue constitutionnel, une extension du champ de l’état d’urgence, extension comprise dans l’avant-projet d’application des dispositions constitutionnelles relatives à l’état d’urgence.
En revanche, je ne vous suis plus du tout quand, après avoir démontré avec un brio certain l’inutilité, voire le danger, de l’article 1er du présent projet de loi constitutionnelle, vous justifiez en fin de compte son adoption au nom du respect de l’unité nationale. Votre affection bien connue pour les libertés publiques et leur respect semble stoppée par une exigence démagogique et, surtout, par le point de vue que vous partagez avec le Gouvernement quant à la nécessité d’affirmer l’ordre libéral dans notre pays. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Sur les dispositions mêmes de l’article 1er, je ferai quelques brèves remarques.
Un point important, que j’ai mentionné lors de l’une des auditions de la commission des lois, n’a pas, me semble-t-il, été approfondi : pour la première fois, l’ordre public trouve sa place dans le corps même de la Constitution, et ce sans aucune qualification. Le respect de la jurisprudence constitutionnelle aurait pour le moins exigé que soit mentionné que tout en assurant le respect de l’ordre public, l’État doit respecter les libertés publiques.
La proposition de la commission des lois de réintroduire le juge judiciaire dans ce dispositif est un pas dans le bon sens. Elle ne peut néanmoins combler l’absence de toute référence écrite au nécessaire respect des libertés.
La référence au « péril imminent » comme élément déclencheur de l’état d’urgence a toujours frappé par son imprécision. Son inscription dans la Constitution renforce encore ce sentiment : la comparaison avec les pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 16 est révélatrice. Ces derniers ne peuvent être déclenchés que dans des conditions très précises, alors que l’état d’urgence a un caractère de mesure d’exception préventive très aléatoire et donc arbitraire.
L’état d’urgence n’a pas sa place dans la Constitution, car il est une arme mal définie et donc dangereuse aux mains du pouvoir exécutif. Il doit demeurer à sa place dans la hiérarchie des normes.
Faut-il rappeler que les constituants de 1958 n’ont pas cru bon d’intégrer dans leur rédaction la loi de 1955 et l’état d’urgence qu’elle créait ?
Je souhaite par ailleurs évoquer le contrôle parlementaire ainsi que la durée de l’état d’urgence. Comme nous l’avons indiqué le 20 novembre 2015 et encore le 9 février dernier, un véritable contrôle parlementaire doit conférer aux assemblées le pouvoir d’interrompre cet état d’exception.
Nous estimons que ce droit doit être expressément prévu dans la Constitution. Il ne doit pas, en outre, être accordé aux seules majorités parlementaires. Les groupes minoritaires et d’opposition doivent pouvoir proposer l’interruption de l’état d’urgence : cela me semble crucial pour l’exercice de la démocratie. Nous proposerons en conséquence des amendements en ce sens.
Enfin, il nous paraît nécessaire d’interdire toute révision constitutionnelle durant une telle période, qui assure au pouvoir exécutif des pouvoirs plus considérables encore qu’en temps normal.
Mes chers collègues, c’est regrettable, mais l’état d’urgence est dans l’air du temps. Nos sociétés n’évoluent pas vers plus de démocratie. La violence sociale et la violence économique sont là. Les puissants ont besoin de garder les mêmes pouvoirs. Faciliter la mise en œuvre de l’état d’urgence, voire rendre celui-ci permanent, répond à cette exigence.
Nous légiférons non pas pour les semaines à venir, mais pour des décennies. Méditez ce point avant de voter l’article 1er.
L’autre enjeu, c’est la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Monsieur le Premier ministre, cette proposition, qui a pris au dépourvu tous les parlementaires réunis en Congrès le 16 novembre dernier, à commencer par vos propres amis, ainsi que vos propres ministres, a occupé le débat politique durant des semaines pour aboutir à une confusion totale qui préfigure, je l’espère, sa disparition pure et simple.
L’annonce de François Hollande plaçait la nationalité au cœur du débat sur le terrorisme. C’était pour vous et pour beaucoup d’autres une terrible erreur, car l’exigence pour la France meurtrie par les attentats était le rassemblement et certainement pas la division.
Au Congrès, le chef de l’État n’a pas évoqué la constitutionnalisation de cette mesure. Pourquoi avoir opté pour cette solution lourde de conséquences ? Monsieur le Premier ministre, quelle était la motivation d’une telle décision qui tourne le dos aux valeurs républicaines et aux valeurs de la gauche ?
Introduire dans la Constitution la question de la nationalité, c’est s’inscrire dans les pas de la droite qui, en 1993, a réintroduit la déchéance dans le code civil. Est-ce à la gauche, que vous affirmez représenter, d’agir ainsi ?
Monsieur le Premier ministre, qu’avez-vous recherché ? Un coup politique ? Cela n’a duré qu’un temps, et vous le savez bien. Aujourd’hui, le débat politique est ailleurs, avec la formidable mobilisation contre le projet de loi de destruction du code du travail. S’agit-il de faire peur aux terroristes ? Ce n’est pas sérieux, et vous le savez bien également. Ces fanatiques brûlent leur passeport et assez souvent se détruisent eux-mêmes en commettant leurs folles attaques.
Vous avez indiqué à l’Assemblée nationale vouloir poursuivre « un objectif très concret : éloigner durablement de notre territoire les individus dangereux constituant une menace avérée. » Cet argument démagogique s’écroule devant l’argumentation serrée de M. Badinter lui-même. L’ancien garde des sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel l’explique simplement : « Les terroristes survivants, arrêtés, car la déchéance concerne les criminels, seront condamnés à de très lourdes peines de sûreté et demeureront de ce fait sur le sol national, en prison. »
En fin de compte, monsieur le Premier ministre, l’objectif est-il d’« offrir » à d’autres pays ces terroristes ? Refusons-nous d’assumer ce que finalement, vous devez l’admettre, notre société a enfanté ?
La raison – peut-être la seule en dehors toujours de ce regrettable souci d’affichage et de communication – est la nécessité de passer outre un principe fondamental des lois de la République rappelé par le Conseil d’État, celui-ci interdisant de déchoir les Français de naissance de leur nationalité. En effet, par rapport au droit commun existant, principalement l’article 25 du code civil, la grande innovation consiste à pouvoir déchoir de sa nationalité un Français né en France.
Monsieur le Premier ministre, que s’est-il passé entre le début de l’année 2015, quand vous évoquiez l’apartheid social, la détresse des quartiers populaires comme l’une des sources du malaise pouvant alimenter le terreau du terrorisme, et aujourd’hui, votre attitude actuelle faisant de la nationalité l’une des réponses à ce terrorisme ?
Surtout, ne nous donnez pas de leçon de courage face à l’agression. Les communistes, comme beaucoup d’autres, ont, au cours de leur histoire, montré leur attachement à la France et à son peuple, mais ils ont toujours lié ce combat à celui pour la liberté, la solidarité et l’émancipation humaine.
Votre premier texte, qui ne visait que la déchéance de nationalité des binationaux, a soulevé un tollé, car vous inscriviez dans le marbre de la Constitution la division. Devant la colère jusque dans vos propres rangs, vous avez reculé pour mieux vous enfoncer dans l’erreur, en proposant la déchéance pour tous, tout en sachant – le débat le démontrera – que seuls les binationaux seront finalement concernés, sous peine de créer des apatrides, ce que vous refusez par ailleurs.
Ce débat se perd dans des méandres juridiques, qui confinent parfois à la tartuferie, alors que tant d’autres questions mériteraient un grand débat national, à commencer par l’emploi, la lutte contre la finance et la refondation de l’Europe.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le Premier ministre, vous avez accusé certains de vos opposants et une partie de la gauche de s’égarer au nom de grandes valeurs. Comment pouvez-vous, vous qui évoquez si souvent la République, contester ainsi la défense des valeurs qui sont justement constitutives de la République ? Aujourd’hui, la situation dans laquelle vous vous trouvez est telle que vous devez, dans cette enceinte comme à l’Assemblée nationale, obtenir à tout prix le soutien de la droite, droite qui pour une part hésite même à vous suivre dans cette voie dangereuse.
Bien évidemment, mes camarades et moi-même aurons l’occasion de poursuivre cette argumentation lors de l’examen des articles et des amendements, qu’ils aient été déposés par notre groupe ou par d’autres. Reste, monsieur le Premier ministre, que le groupe CRC ne pourra pas voter en faveur de ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, cela a été rappelé, le 16 novembre dernier, il y a quatre mois, jour pour jour, les parlementaires étaient réunis en Congrès à Versailles.
Le débat que nous abordons aujourd’hui est fondamental à double titre : il s’inscrit dans la lignée de ce qui s’est passé à la fois le 13 novembre et le 16 novembre dernier. Comme l’a fait le Premier ministre et d’autres intervenants après lui, il nous faut nous replonger à la source de ce qui nous conduit à réviser la Constitution. Dans les heures qui viennent, nous devrons nous souvenir de l’esprit de Versailles. Oui, il existe un esprit de Versailles, celui de la France debout, celui de tous les parlementaires luttant, unanimes, contre le terrorisme.
Permettez-moi de rappeler quelques faits, en particulier le contexte dans lequel s’est tenu le Congrès de Versailles. Le 13 novembre dernier et les jours qui ont suivi, le pays était traumatisé : ces attentats terribles ont provoqué une nuit d’effroi ; on ignorait encore le nombre de morts, le bilan humain était incertain. Bien plus, nos valeurs étaient mises à mal, les terroristes ayant attaqué notre cadre de vie. Nous ne savions pas si ces attaques allaient continuer, s’arrêter et combien de victimes seraient à déplorer.
Les témoignages que nous avons eus, directement pour ce qui concerne les membres du Gouvernement, par voie de presse s’agissant de nous, ont montré à quel point l’horreur avait frappé notre sol. Ce fut un week-end de grande inquiétude. Ce drame a été d’une violence inimaginable, qui nous a tous touchés et glacés.
Durant cette période, l’exécutif a été omniprésent. Le chef de l’État s’est rendu sur place et a montré sa grande capacité à affronter ces événements. Le Premier ministre, les membres du Gouvernement ont géré cette situation avec maestria.
Rappelons-nous l’incroyable gravité de nos conversations, lorsque le président du Sénat a contacté les présidents de groupe pour les tenir au courant de ce qui se passait. Rappelons-nous l’effroi de tout un peuple, les mesures qui ont été prises, la convocation des principaux responsables politiques et parlementaires à l’Élysée le dimanche qui a suivi, l’annulation du congrès annuel des maires.
Oui, le pays a été touché en son cœur. Nous sommes passés près, me semble-t-il, d’une rupture de notre pacte républicain. (M. Pierre Laurent s’exclame.) Nous avons été quelques-uns à relever ce danger voilà quatre mois, lors de la réunion du Parlement en Congrès. Il était important de ne pas laisser germer chez certains de nos concitoyens le moindre discours de haine contre telle ou telle catégorie de Français, en fonction de sa religion, de ses origines, de ses convictions, de sa différence.
Notre pays était au bord de la rupture et il fallait une réaction à la hauteur du traumatisme. L’exécutif l’a eue.
Au Congrès de Versailles, moins de trois jours après les attaques, le chef de l’État a apporté aux Français des réponses qui, à mon sens, ont permis d’éviter cette rupture ; il a joué un rôle d’unificateur de la Nation. Et nous nous sommes tous levés et avons applaudi. Nous l’avons fait, parce que son discours constituait une réponse aux actes de guerre, un programme de renforcement de notre protection, une célébration patriotique utile et nécessaire, et non parce qu’il comportait ou ne comprenait pas telle ou telle phrase. Il s’agissait non pas tant d’approuver ce discours en tant que tel, mais de montrer que le chef de l’État, par son intervention, prenait la mesure de ce risque pour la Nation.
À ce moment-là, le Congrès de Versailles a été utile à notre pays, utile pour faire face, utile pour garder une unité, alors que le terrorisme nous ébranlait. Oui, après le Congrès, cette réforme constitutionnelle est utile. Il est important de montrer que l’unité des parlementaires fait écho à l’unité des Français.
Le Congrès de Versailles était une étape nécessaire. Sa traduction en actes était incontournable. Le Sénat a prolongé l’état d’urgence une première fois, puis une nouvelle fois dernièrement, à une très large majorité. L’Assemblée nationale a fait de même, notamment en adoptant récemment le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Nous le constatons, la représentation nationale est capable de faire preuve d’unité quand l’essentiel est en jeu. Cette réforme constitutionnelle s’inscrit dans cette trajectoire. En constitutionnalisant l’état d’urgence, elle garantit la solidité et l’utilisation de ce régime d’exception.
Les guerres ont changé de forme, les réponses de notre République doivent aussi changer. C’est le sens de l’article 1er du présent projet de loi.
J’en viens à l’article 2, qui suscite le plus débat, à droite comme à gauche. Le groupe socialiste et républicain n’est d’ailleurs pas unanime et, pour certains de ses membres, c’est un cas de conscience ; c’est leur libre choix. Un amendement, soutenu par une trentaine de mes collègues, vise ainsi à supprimer cet article. Dans tous les groupes politiques, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, les positions ne sont pas unanimes, mais, sur de tels sujets, il faut tenter de se rassembler.
Je le dis : je suis favorable au fait que des terroristes condamnés soient sanctionnés par une déchéance de nationalité.
Nous sommes nombreux à soutenir la volonté du Président de la République : on peut acquérir une nationalité, mais aussi la perdre lorsque l’on se retourne contre sa Nation.
Pour être adoptée, une réforme constitutionnelle appelle une majorité non partisane. Il faut obtenir les trois cinquièmes des votes du Parlement, c'est-à-dire, au Sénat, ceux du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains, etc. Nous pourrions y parvenir, mais l’amendement de la commission des lois, dans sa rédaction actuelle, pose problème, empêchant ce rassemblement et l’obtention des trois cinquièmes.
Nous le savons très bien, rétablir explicitement la mention de binationaux ou de plurinationaux dans l’article 2 nous diviserait et rendrait cette réforme impossible. L’Assemblée nationale ne l’accepterait pas et nous ne l’accepterions pas non plus.
Pour Philippe Bas, le Sénat n’a pas à faire un copier-coller du texte de l’Assemblée nationale et, pour Michel Mercier, il n’a pas à s’aligner sur l’Assemblée nationale. L’inverse est tout aussi vrai : ce qui vaut pour la Haute Assemblée vaut pour l'Assemblée nationale ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Nous sommes au Sénat !
M. Didier Guillaume. Soyons honnêtes, si nous voulons que cette réforme constitutionnelle ait lieu, il faudra, si la rédaction proposée par la commission des lois du Sénat est retenue, que l’Assemblée nationale modifie l'article 2.
Mme Éliane Assassi. On l’enlève !
M. Didier Guillaume. Dans le cas contraire, ne nous racontons pas d’histoire, la majorité des trois cinquièmes sera impossible ; il n’y aura pas d’accord transpartisan, donc il n’y aura pas de Congrès !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. À qui la faute ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il peut y avoir un référendum !