Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l'amendement n° 438 rectifié.
Mme Françoise Laborde. Il est défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Ce sujet mérite que l’on s’y attarde quelque peu.
Le relèvement du plafond de la production dépendante à 50 % constituait une proposition quasi unanime du rapport publié par le groupe de travail sénatorial sur la production audiovisuelle,…
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. … dont notre collègue Jean-Pierre Plancade était le rapporteur en 2013. Depuis trois ans, de nombreuses discussions ont eu lieu, mais aucune n’a permis d’aboutir. Les choses bougent très vite à l’extérieur, mais les règles demeurent figées chez nous…
Le 17 décembre dernier, lors des tables rondes organisées au Sénat avec les producteurs et les diffuseurs, de fortes réticences subsistaient de la part de certains producteurs quant à l’idée de permettre aux diffuseurs privés d’investir davantage dans la production dépendante.
Cet article propose donc une voie moyenne, celle d’une part de production dépendante de 40 %, soit dix points de moins que la proposition du rapport Plancade et que les demandes des chaînes.
Si France Télévisions a signé un accord avec les producteurs indépendants, on ne peut dire que cette négociation se soit déroulée uniquement sur l’initiative des acteurs. Il a parfois été dit que les négociations se faisaient sous la menace, un pistolet sur la tempe… Dès lors, le fait que le Parlement s’intéresse à la question n’est pas illégitime.
M. David Assouline. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Certaines négociations paraissent soit être bloquées, soit faire l’objet d’atermoiements. Bien évidemment, la priorité doit aller à la négociation interprofessionnelle. Nous serions heureux qu’un accord intelligent soit signé entre les producteurs et les diffuseurs.
Toutefois, le législateur et le Gouvernement ne doivent pas éluder leurs responsabilités : si la négociation n’aboutit pas, il sera indispensable de prévoir des dispositions législatives. La poursuite de la navette permettra de mesurer les progrès accomplis avant d’adopter définitivement ces mêmes dispositions.
Notre commission poursuivra également son travail, parallèlement à la négociation, dont j’ai appris avec plaisir qu’elle avait repris vigueur. Je sais que les accords sur la transparence ont quasiment abouti, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin pour trouver le meilleur compromis possible, afin de préserver le puissant secteur de la production indépendante, sans nuire au développement de nos groupes audiovisuels.
Les amendements déposés par notre collègue David Assouline sont autant de propositions utiles pouvant permettre, en deuxième lecture, un rapprochement des points de vue ; le débat doit se poursuivre.
La commission est défavorable à ces deux amendements identiques, dont les dispositions constituent un point de départ, mais pas nécessairement un point d’arrivée.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. À l’instar de la commission, je pense que le législateur peut être actif dans ce processus de négociation, pourtant éminemment contractuel. Il est vrai que, depuis les décrets Tasca, le politique incite les acteurs à faire bouger les choses à travers la négociation.
Avant de réformer un système, il faut tout de même d’abord lui rendre hommage ! En effet, ne pas le faire, c’est laisser penser que l’on ne croit pas à son caractère vertueux. Or moi je ne veux pas que l’on tienne ici de faux débats.
Certains pensent que la production indépendante n’a pas de place dans notre pays, que les chaînes devraient pouvoir produire de manière intégrée, verticale, comme au temps de l’ORTF et de la SFP. Ce système, plus productif, doit permettre d’aller chercher les ressources dont les chaînes n’avaient pas autant besoin quand la manne publicitaire suffisait à financer les programmes, avant qu’elle ne s’éparpille sur internet ou ailleurs.
Selon moi, la qualité de la production audiovisuelle française est due à ce système. Le foisonnement de la production indépendante a permis de voir apparaître une diversité de l’offre. Certaines sociétés ont ainsi pu aller vers tous les médias, vendre des œuvres aussi bien à TF1 qu’au service public. L’ensemble de la chaîne a bénéficié de cette diversité.
Dans un système intégré, on a une seule entreprise de production, avec ses habitudes et son fonctionnement, c’est-à-dire avec une certaine lourdeur qui mine la créativité.
Pour commencer, je tenais donc à rendre hommage au système qui était en place.
Monsieur le rapporteur, vous avez raison : il faut que les choses bougent, ce que, du reste, nous avons proposé ensemble. En effet, à la fin, le système se bloquait et la situation était devenue anormale : France Télévisions avait besoin de trouver des ressources propres mais n’avait plus de ressources liées à la publicité. Elle n’avait donc pas la possibilité d’obtenir des parts de production plus importantes.
Néanmoins, vous avez oublié de mentionner une chose. Lorsque vous avez rendu hommage à M. Plancade, vous avez oublié de dire que le relèvement à 25 % du quota de production dépendante dans la loi, qui représentait déjà une hausse importante, résultait d’un amendement que j’ai moi-même proposé lors de l’examen de la dernière loi sur l’audiovisuel. Alors, continuons à progresser mais, attention, fixer ce quota à 40 % n’est pas une mince affaire ! Monsieur le rapporteur, en proposant cela, vous bougez brutalement le curseur. J’ai bien compris que vous le faisiez dans le but de négocier, car vous voulez une deuxième lecture. Toutefois, je vous ferai remarquer que nous ne nous trouvons pas dans le cadre d’une négociation mais dans celui de l’élaboration de la loi : ce qui est valable aujourd’hui le sera donc demain ! Or on met la pression en première lecture…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. David Assouline. … comme si on était dans une négociation !
M. Éric Doligé. Il faut respecter le temps de parole !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Il s’agit d’un sujet très important à nos yeux. Nous allons soutenir l’amendement du Gouvernement. C’est pourquoi je formulerai plusieurs remarques à ce propos.
Monsieur le rapporteur, vous citez abusivement le rapport Plancade, car l’objectif visé par le rapport était très différent de ce que vous nous proposez aujourd’hui avec l’article 10 quinquies. La motivation initiale du rapport était de réfléchir sur la situation de déséquilibre très profond dans laquelle se trouvait le service public.
M. David Assouline. Tout à fait !
M. Pierre Laurent. Le rapport Plancade a tout d’abord soulevé le problème du relèvement des droits, parce que le système avait créé une situation de déséquilibre au détriment du service public à laquelle il fallait remédier. À cet égard, je suis un peu moins optimiste que notre collègue David Assouline sur les vertus du précédent système, du moins telles qu’il vient de les vanter.
Le rapport a également posé la question de la hausse de la part de la production interne du groupe.
Or, ce que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, est de nature tout à fait différente. En effet, quand on examine à la fois l’article 10 quinquies et l’article qui vise à modifier la définition des sociétés de production indépendantes – car, à mon avis, ces deux articles ne peuvent pas être examinés indépendamment l’un de l’autre –, on s’aperçoit que vous proposez en réalité une concentration accélérée et brutale de la production au profit non pas des sociétés audiovisuelles en général mais des grands groupes privés de l’audiovisuel français. C’est cela qui nous préoccupe !
Aussi, je formulerai plusieurs remarques.
Première remarque : la production indépendante ne constitue pas un monde uniforme : Endemol et Troisième Œil Productions, ce n’est pas tout à fait la même chose ! Il faudrait entrer davantage dans le détail quand on parle de production indépendante.
Deuxième remarque : nous nous soucions justement du redressement de l’audiovisuel public et de la place que celui-ci prendra dans l’ensemble. Un processus a été engagé par France Télévisions. En créant un système extrêmement brutal qui vient percuter de plein fouet le travail que ce groupe essaie d’engager, vous favoriserez les seuls grands groupes de l’audiovisuel privé, alors même que chacun sait qu’il faut faire en sorte de sortir France Télévisions de la situation de déséquilibre dans laquelle elle a été entraînée pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas. En vérité, c’est bien ce que vous proposez avec la combinaison de ces deux articles car, je le répète, ces deux articles fonctionnent de pair.
Pour notre part, nous sommes favorables à la hausse de la part de la production interne dans les groupes audiovisuels, y compris pour les groupes privés, non pas selon la dynamique de concentration forcenée et accélérée que vous souhaitez, mais au travers d’un processus de négociation qui doit aussi contribuer à respecter les qualités de la production indépendante telle qu’elle est aujourd’hui.
M. Éric Doligé. Et le règlement ?
M. Pierre Laurent. Nous allons donc voter l’amendement du Gouvernement, tout en continuant à travailler dans l’esprit que je viens d’évoquer !
Mme la présidente. Mes chers collègues, je voudrais rappeler que le règlement a été récemment réformé pour réorganiser les temps de parole : désormais, chaque intervenant dispose de deux minutes et trente secondes.
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. David Assouline. Attendez, je viens de retirer neuf de mes amendements ! Grâce à moi, on a gagné au moins une heure de discussion sur le texte !
Mme la présidente. Si vous ne respectez pas les temps de parole, nous risquons de ne pas parvenir à achever l’examen des articles du projet de loi d’ici à vendredi !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il y a de la marge !
Mme la présidente. Tout le monde portera la responsabilité de cette situation si vous n’êtes pas davantage attentifs, les uns et les autres, au temps de parole qui vous est imparti !
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, je vous remercie de ce rappel à un règlement que nous avons tous voulu et avons tous voté ! (M. David Assouline sourit.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Non, nous étions contre !
M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, je voudrais vous expliquer pourquoi nous soutiendrons avec force et enthousiasme la position équilibrée que M. le rapporteur vient d’exprimer il y a quelques instants.
Pour commencer, vous nous dites qu’il y a d’un côté le domaine réglementaire et de l’autre le domaine de la loi. Soit, mais comme M. le rapporteur l’a déjà indiqué, c’est précisément parce que les dispositions réglementaires figurant dans le décret du 25 avril 2015 n’ont pas respecté la prescription législative que le législateur entend désormais mieux encadrer les choses.
Ensuite, vous nous dites que la disposition que nous soutenons ne trouve pas sa place dans le projet de loi. Pourtant, il s’agit d’un texte fourre-tout, madame la ministre ! Je ne vais pas lister la cinquantaine d’articles du projet de loi et les différents thèmes qu’il aborde pour tenter de vous convaincre que cette disposition pourrait évidemment figurer dans le texte final.
Sur le fond, maintenant, le Sénat n’en est pas à sa première tentative. Nous avons pratiquement tous approuvé les conclusions du rapport Plancade. Oui ou non, ce rapport proposait-il de porter la part de la production indépendante à 50 % ?
M. David Assouline. Non, moi j’étais dans le groupe de travail à l’époque !
M. Bruno Retailleau. Si, il le proposait !
M. Pierre Laurent. Arrêtez de ne prendre que ce qui vous intéresse et mettez donc toutes les recommandations du rapport Plancade dans le texte !
M. Bruno Retailleau. La démarche de M. le rapporteur tient compte d’une réalité, à savoir que le monde a changé !
Je tiens sincèrement à saluer Catherine Tasca. En effet, je pense que les décrets éponymes ont eu d’heureuses conséquences. Seulement, ils ont été conçus dans un autre monde ! (Mme Catherine Tasca opine.) Comment ne pas tenir compte de la révolution numérique et de l’ouverture d’un certain nombre d’acteurs émergents ? Hier, nous recevions cinq ou six chaînes de télévision par l’antenne râteau. Avec la télévision numérique terrestre, on a multiplié le nombre de ces chaînes par trois ou quatre ! À l’époque, il n’y avait ni Netflix ni YouTube, et pas plus d’internet !
Mes chers collègues, je l’affirme devant vous : si nous n’adaptons pas la réglementation à ces évolutions, nous tarirons la source même du financement des producteurs privés. Or nous ne le voulons pas !
D’ailleurs, Mme Tasca – je pense qu’elle nous le dira elle-même dans quelques instants – considérait à l’époque que « c’[était] le maintien du statu quo qui [devenait] périlleux ».
M. David Assouline. Le règlement !
M. Bruno Retailleau. Attendez, monsieur Assouline, je parle beaucoup moins que vous, vraiment beaucoup moins, croyez-moi ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
J’en termine : entre les propositions des uns et des autres, nous finirons par trouver la voie d’une négociation et de l’équilibre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Mes chers collègues, vous comprendrez que j’aie une certaine envie sinon une légitimité pour intervenir dans ce débat. J’ai toujours considéré que l’équilibre ou, mieux, la dynamique que nous avions créée avec les décrets dits « Tasca » avait été extrêmement fructueuse.
Je continue du reste à considérer que ce fut une bonne chose. En effet, alors qu’il existait beaucoup de problèmes liés au manque de diversité des productions à l’époque où celles-ci étaient intégrées, ces décrets ont favorisé la naissance d’un vivier considérable de productions.
Nous avons donc franchi une étape avec ces décrets. Néanmoins, cela fait des années – je dis bien des années et non quelques mois – que je considère qu’il faut bouger, puisque le contexte n’a plus grand-chose à voir, comme vous venez de le rappeler très justement, avec ce qu’il était au moment où nous avons établi ces règles.
Je le répète : je suis très attachée à l’existence d’une production indépendante qui représente une part importante de la production globale des diffuseurs ! Toutefois, la situation actuelle bloque le développement d’ensemble du secteur audiovisuel et de la production audiovisuelle. Il faut donc bouger !
Pour en revenir à votre principale objection, madame la ministre, à savoir que cet article n’a pas sa place dans le texte, parce que ses dispositions relèvent d’un décret, je reconnais que vous avez raison. D’ailleurs, nous avions agi par décret à l’époque.
Néanmoins, j’attire votre attention sur le fait qu’il y a vraiment urgence. Depuis des années, les concertations ne débouchent sur aucun résultat. Il faut absolument faire entendre aux différents partenaires que les négociations doivent aboutir. Le Parlement joue en cela son rôle de lanceur d’alerte, oserai-je dire !
Nous verrons si cette part sera finalement fixée à 30 %, 40 % ou 60 %. Quoi qu’il en soit, il fallait qu’ici, au Sénat, nous posions le problème, ce qu’ont fait nos collègues en défendant leurs amendements. À défaut d’une telle démarche, madame la ministre, vous risquez dans un an d’être toujours confrontée à ce face-à-face absolument infructueux.
C’est la raison pour laquelle nous tenons à ce que la question soit évoquée dans le cadre de l’examen de ce texte, tout en sachant que ces dispositions doivent naturellement aboutir à l’élaboration de décrets par le Gouvernement, après qu’il aura recueilli l’accord de la profession, voire sans un tel accord si celui-ci se révèle impossible à obtenir. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Bouchoux et M. Claude Kern applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Madame Tasca, vous l’avez dit vous-même : la concertation ne débouche sur rien ! D’une certaine façon, le système s’est enkysté. C’est donc bien entendu à nous qu’il revient de faire en sorte que les choses se débloquent.
Nous n’en sommes pas à notre première tentative.
M. Bruno Retailleau. C’est vrai !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. J’évoquais déjà la question du déséquilibre du système et des nécessaires réponses qu’il fallait y apporter dans un rapport que j’ai commis en 2011 sur le financement de l’audiovisuel public. C’était il y a cinq ans déjà !
Je crois que le Sénat, qui est le fer de lance de la réflexion notamment dans le domaine de l’audiovisuel, se doit également d’être aujourd’hui au rendez-vous sur le sujet. Mes chers collègues, souvenez-vous qu’en 2009 c’est grâce au Sénat que nous avons réindexé et réévalué la contribution à l’audiovisuel public,…
M. Jacques Legendre. Oui !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. … c’est-à-dire l’ex-redevance. C’est aussi au Sénat que nous avons traité de la question de la chaîne Numéro 23 ou de la spéculation sur les fréquences octroyées gratuitement aux opérateurs, afin d’éviter que ne se produisent des reventes pas très morales. C’est au Sénat que ce travail est mené. Par conséquent, il me semble que c’est au Sénat que nous devons lancer le débat sur la question de la production audiovisuelle.
Je rejoins les propos des uns et les autres : le monde a profondément changé. L’accélération des évolutions, à laquelle il faudra apporter des réponses, se fait à un rythme phénoménal. Or c’est précisément parce que nous sommes attachés à la diversité et la qualité de la production française indépendante que nous voulons trouver les moyens pour que celle-ci continue à vivre et à se développer. Nous souhaitons qu’elle y parvienne notamment grâce aux diffuseurs, puisque nous savons que les diffuseurs doivent investir dans la création et avoir recours à la production indépendante.
Comme l’a dit M. le rapporteur, il s’agit d’un point de départ et non d’un point d’arrivée. Mes chers collègues, donnons-nous les moyens d’aboutir à un texte qui sera très équilibré dans le cadre de la navette. Il me semble en effet important d’engager le débat avec nos collègues députés sur cette question. En tout état de cause, je pense que c’est à l’honneur du Sénat de contribuer à faire avancer les choses !
M. Jacques Legendre. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Je fais crédit aux uns et aux autres de souhaiter réellement, tout comme moi, que le secteur puisse continuer à se développer dans un environnement qui a radicalement changé depuis que les décrets qui régulaient le secteur ont été pris.
Cela étant, comme je l’ai dit tout à l’heure, je privilégie une méthode. Depuis que je suis à la tête de ce ministère, depuis dix-huit mois donc, j’ai su obtenir des résultats par la concertation. C’est le cas dans le secteur du livre où nous sommes parvenus à un accord sur l’édition numérique qui était pourtant l’objet de négociations depuis de très nombreuses années. C’est également le cas avec l’accord historique conclu dans la musique sur le partage de la valeur dans l’univers numérique, accord qui est scruté par les observateurs étrangers, parce qu’il n’a pas d’équivalent dans le monde pour le moment. Enfin, j’ai obtenu des résultats sur la transparence en matière audiovisuelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi donc d’avoir l’immodestie de penser que parvenir à de tels résultats en quelques mois n’est finalement pas si mal. Il me semble que cela prouve bien qu’on obtient des résultats lorsque l’on met les gens autour de la même table avec une saine pression ou en tout cas sous le regard insistant du Gouvernement.
Pierre Laurent a très bien résumé la situation : l’enfer peut être pavé de bonnes intentions ! Le problème de votre démarche – que je comprends bien –, c’est que vous souhaitez faire évoluer la réglementation, alors que votre texte risque en réalité de fragiliser considérablement la négociation.
J’en veux pour preuve que l’accord passé entre France Télévisions et les producteurs indépendants – que vous citez tous comme un accord de référence qui a permis de faire progresser les choses en accroissant la part de production indépendante au sein des engagements de France Télévisions – serait complètement remis en cause par la disposition que vous proposez. En effet, l’accord augmente cette part à 25 % – on serait bien en deçà de ce que vous suggérez.
M. Bruno Retailleau. De 5 % à 25 % !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Effectivement. Vous voyez donc bien l’écart pour aller jusqu’à 40 % ! Si la disposition que vous proposez devait se matérialiser, elle poserait un vrai problème à France Télévisions. En effet, elle verrait anéantie, foulée aux pieds, toute sa négociation avec les producteurs indépendants, qui recueille aujourd'hui une satisfaction générale !
Je comprends bien votre insistance et votre empressement, mais je crois honnêtement qu’une telle disposition mettrait considérablement en danger le climat dans lequel la négociation doit avoir lieu.
Votre proposition risque d’être totalement contre-productive. Je vous engage donc vivement à laisser se dérouler ces négociations sous la saine pression que le Gouvernement y mettra – j’en prends l’engagement devant vous.
Je considère qu’il est certes normal que la Haute Assemblée se saisisse de cette question tout à fait importante, mais la méthode me semble inutilement brutale et monolithique, alors que les situations des chaînes privées entre elles et des chaînes privées et de la chaîne publique sont radicalement différentes.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 328 et 438 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 146 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 328 |
Pour l’adoption | 129 |
Contre | 199 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 102 rectifié, présenté par M. Assouline, Mmes Blondin, Monier et S. Robert, M. Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 5
Remplacer le pourcentage :
60 %
par le pourcentage :
66 %
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Nous poursuivons le débat. Nous nous accordons pour trouver légitime d’aider à faire bouger des lignes qui sont restées trop statiques même s’il faut reconnaître que l’accord passé par France Télévisions pour faire passer les parts de la production indépendante à 25 % est déjà un pas significatif, c’est même un bond !
J’ai cru comprendre, monsieur le rapporteur, que vous considérez comme un bon point de départ mon amendement. Je suis dans le même état d’esprit que la commission, je n’attends pas que les négociations fassent tout parce qu’elles sont trop lentes, mais je ne vais pas aussi loin que la commission.
J’ai proposé de monter à 34 %, un taux qui se situe entre les 25 % actuellement inscrits dans de la loi et les 40 % que vous proposez, pour éviter d’assister à ce que M. Pierre Laurent a très bien décrit. Je ne veux pas une montée brutale au terme de laquelle l’ensemble du secteur serait déstabilisé au détriment de France Télévisions. Elle a passé un accord à 25 %, elle n’est, de toute façon, pas du tout en capacité de monter à 40 %, mais les grands groupes privés peuvent le faire et il y aurait un véritable déséquilibre. C’est cela qu’il faut aujourd'hui modérer en encourageant à bouger.
Je le dis, les producteurs ont leur part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer parce qu’ils sont restés trop immobiles.
Les éditeurs n’ont pas toutes les vertus. En effet, eux, quand ils viennent vous voir, monsieur Retailleau ou monsieur Leleux…
M. Bruno Retailleau. Parce que vous, vous ne les voyez jamais ?
M. David Assouline. Bien sûr ! Sauf que quand nous, nous recevons des producteurs et éditeurs dont les intérêts peuvent être contradictoires notamment par rapport aux parts, nous essayons de les écouter, de voir quels sont leurs impératifs, de rapprocher les points de vue, tout en restant dans l’intérêt général.
M. Bruno Retailleau. Comme nous !
M. David Assouline. Je propose, dans le sens de M. Leleux, de relever le taux, mais pas trop brutalement, pas à 40 %, pour que les choses soient amortissables et que la négociation permette d’avancer.
Mme Catherine Tasca. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Je trouve ce débat extrêmement intéressant et pense qu’il sera véritablement utile.
Je salue la démarche de M. Assouline, qui se situe dans le prolongement des interventions et discussions que nous avons eues. Je me suis entretenu à deux ou trois reprises avec Mme Tasca – sans doute un peu rapidement – pour lui « tâter le pouls ». Il faut lui rendre hommage pour avoir pris ces décrets voilà quelques années dans un contexte complètement différent – comme l’a dit M. Retailleau. Le monde a changé.
Je vois que sur ces travées, nous sommes au fond tous d’accord pour faire évoluer les choses. Je prends acte de ce qu’a dit Mme la ministre, qui préfère la négociation et les accords. Nous aussi ! Encore faut-il qu’ils avancent.
Je prends acte des propositions faites. Je vous suggère d’en rester en l’état. Je l’ai dit, le taux est sans doute un peu fort, et celui qui sera proposé dans l’amendement suivant le sera peut-être aussi. Mais il faut partir d’un point et arriver à un autre.
Je maintiens ma position. J’aimerais bien entendre ce que diront les députés lors du débat à l’Assemblée nationale. Entre-temps, nous allons continuer à discuter avec le monde de la production et le monde de la diffusion pour essayer de trouver le point d’équilibre et sceller, si possible, le bon accord qui nous évitera d’intervenir sur le plan législatif.
Je maintiens mon avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. L’avis est défavorable, pour les raisons évoquées tout à l’heure : même à 66 %, on se retrouverait bien au-delà de ce qui est envisageable pour France Télévisions ! On ne peut pas tout à la fois dire qu’on privilégie les accords interprofessionnels et s’asseoir dessus une fois qu’ils ont été signés au motif qu’ils ne devraient pas être ainsi !
Même si je trouve très intéressant d’avoir ensemble ce débat de fond, même si je souhaite moi aussi qu’il se prolonge devant les députés, je vous annonce que je demanderai le rejet de cet amendement à l’Assemblée nationale. En effet, je crois que ce n’est pas la bonne façon de procéder, que ce n’est pas la bonne manière de parvenir à un résultat. Or nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut aboutir à un résultat. Je m’y engage personnellement, comme je l’ai fait dans d’autres secteurs.
Je reste, pour ma part, attachée à des accords interprofessionnels. Je ne me contente pas de le dire sans le faire. Je le dis et je suis dans l’action, en accord avec ce que je dis et avec mes convictions.