M. Michel Mercier, rapporteur. S’agissant d’une peine complémentaire, la formule que nous avons retenue est la même que celle qui est habituellement utilisée. J’ai eu l’occasion de citer la proposition de loi de M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues fixant le régime des armes et munitions, dans laquelle la même formule est employée de l’article 10 à l’article 24. Que demande le législateur au juge ? Une seule chose : se prononcer sur la peine complémentaire, le juge étant libre de la prononcer ou non.
Puisque cela figurera peut-être dans un autre texte dont nous serons saisis prochainement, veillons à ne pas dresser des barrières qui se retourneraient demain contre nous.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
La peine d’interdiction du territoire français, dans son régime actuel, ne peut être prononcée qu’en considération d’une motivation spéciale en matière correctionnelle.
Le Gouvernement partage l’objectif visé à l’article 15, à une réserve près : nous sollicitons une modification rédactionnelle qui viserait à remplacer les termes « est prononcée », figurant au début du texte proposé pour l’article 422–4 du code pénal, par les termes « peut être prononcée ». Accepter cette modification, qui est probablement plus conforme à la réalité, ne devrait pas vous causer une grande souffrance, monsieur le rapporteur, puisque l’obligation est toujours néfaste.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 33, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
Alinéa 2,
Remplacer les mots :
est prononcée
par les mots :
peut être prononcée
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?
M. Michel Mercier, rapporteur. M. le garde des sceaux a montré un souci d’ouverture. Le nôtre doit être au moins aussi large que le sien : nous acceptons cette modification.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. L’article 15 porte sur l’interdiction du territoire français. Je suis extrêmement favorable aux mesures d’interdiction du territoire français, mais je rappellerai que nous connaissons quelques difficultés à les exécuter…
Monsieur le garde des sceaux, nous pouvons inscrire dans la loi pénale autant d’interdictions du territoire que l’on veut, mais cela n’aura aucun d’effet si elles ne sont pas exécutées. Prenons l’exemple, au hasard, de quelques imams salafistes qui sont sous le coup de plusieurs arrêtés d’interdiction du territoire et qui sont toujours sur notre sol.
Je suis tout à fait favorable au fait de voter une disposition complémentaire, mais, de grâce, monsieur le garde des sceaux, faisons en sorte de pouvoir exécuter de telles mesures !
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l’amendement n° 33.
M. Jacques Bigot. Je voudrais apporter une petite précision rédactionnelle. Si nous écrivons, ce qui me paraît très bien, « L’interdiction du territoire français peut être prononcée… », le second alinéa du texte proposé pour l’article 422–4 devrait tomber. Il est en effet rédigé ainsi : « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines […]. » Nous devons être clairs sur ce point.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Michel Canevet. Il y en a au moins un qui fait attention ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il est trop tard pour entamer un travail de commission. M. le garde des sceaux a formulé une proposition, j’étais prêt à l’accepter, mais on nous dit que, si l’on modifie le premier alinéa, il faut aussi modifier le second.
Je propose que nous en restions au texte tel qu’il est,…
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Michel Mercier, rapporteur. … et nous verrons par la suite comment nous pouvons faire.
Mme Éliane Assassi. Voilà !
M. Michel Mercier, rapporteur. Il faut toujours refermer les pièges avant qu’ils ne nous tombent dessus ! (Sourires.)
Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, l'amendement n° 33 est-il maintenu ?
Mme la présidente. L'amendement n° 33 est retiré.
L'amendement n° 4 rectifié ter, présenté par MM. Reichardt, Allizard, Baroin, Béchu, Bizet, Bouchet, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Danesi, Darnaud et Dassault, Mme Debré, MM. Delattre et Dériot, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, M. Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, B. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Gremillet, Grosdidier, Houel et Houpert, Mme Hummel, M. Huré, Mme Imbert, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mmes M. Mercier, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nougein, Panunzi, Paul, Pierre, Pinton et Pointereau, Mmes Primas et Procaccia, MM. de Raincourt, Rapin, Retailleau, Revet, Savin et Trillard, Mme Troendlé et MM. Vogel et Vasselle, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer cet alinéa par neuf alinéas ainsi rédigés :
« La durée de l’interdiction ne peut être inférieure aux seuils suivants :
« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d’emprisonnement ;
« 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement ;
« 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d’emprisonnement ;
« 4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d’emprisonnement ;
« 5° Six ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;
« 6° Huit ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ;
« 7° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine ou de la prononcer pour une durée inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Peut-être le présent amendement serait-il de nature à résoudre le problème que nous venons d’évoquer et dont l’issue a été proposée par M. le rapporteur.
Cet amendement introduit un mécanisme d’« interdiction plancher du territoire français » pour les infractions terroristes les plus graves commises par des étrangers. Prononcée par la juridiction de jugement, cette interdiction comporterait différents seuils allant d’un an pour un délit puni de trois ans d’emprisonnement à quatre ans lorsque la peine encourue s’élève à dix ans d’emprisonnement. Il en irait de même pour les crimes : la peine d’interdiction du territoire ne pourrait être inférieure à six ans pour un crime puni de quinze ans d’emprisonnement et à dix ans lorsque la peine encourue s’élève à trente ans ou à la réclusion à perpétuité.
L’économie générale de la peine d’interdiction du territoire français ne serait pas modifiée ; elle demeurerait une peine complémentaire qui pourrait être prononcée sous réserve des dispositions du code pénal qui tiennent compte de la situation personnelle de la personne condamnée. En d’autres termes, pour garantir le principe constitutionnel de la personnalisation des peines, la juridiction de jugement pourrait décider, par une décision spécialement motivée, de ne pas prononcer cette peine ou de déroger à cette durée en prononçant une interdiction d’une durée inférieure à ces seuils.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement intéressant révèle un travail important sur le sujet et prévoit en quelque sorte un système d’« interdiction plancher » du territoire français. Cela étant, pour intéressant qu’il soit en théorie, cet amendement ne tient pas assez compte de la pratique des juridictions pénales, qui prononcent principalement des interdictions du territoire français à titre définitif.
Cet amendement, s’il était adopté, réduirait la durée de ces interdictions prononcées actuellement. Il est donc, d’une certaine façon, contre-productif par rapport à l’objectif visé par ses auteurs. C’est pourquoi nous proposons de le retravailler d’ici à l’arrivée d’un autre texte pénal ayant trait aux mêmes sujets.
À ce stade de la discussion, je vous propose de retirer votre amendement, mon cher collègue.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cette disposition présente des difficultés au regard de son caractère obligatoire et du principe d’individualisation de la peine, surtout quand il s’agit de notion de plancher.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, l’amendement n° 4 rectifié ter est-il maintenu ?
M. André Reichardt. Je veux bien retirer cet amendement, mais plus compte tenu des arguments développés par M. le rapporteur que pour ceux de M. le garde des sceaux. Franchement, et je viens de le dire, l’individualisation de la peine est tout à fait possible grâce au dernier alinéa de mon amendement.
Toutefois, compte tenu de l’observation de M. le rapporteur, qui souligne effectivement que l’interdiction du territoire français est plus souvent, voire généralement prononcée à titre définitif, vous aurez compris que mon but n’était pas de réduire cette durée ; il s’agit au contraire de la consolider.
C’est pourquoi je retire cet amendement, en attendant que cette proposition soit retravaillée.
Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l'article 15.
(L'article 15 est adopté.)
Article additionnel après l'article 15
Mme la présidente. L'amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Reichardt, est ainsi libellé :
Après l’article 15
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 702-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent article est inapplicable aux personnes condamnées à une interdiction du territoire français prononcée pour une infraction prévue au titre II du livre IV du code pénal, à l’exception de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-6. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. L’article 702–1 du code de procédure pénale permet à une personne de demander à la juridiction qui a prononcé l’interdiction du territoire français à en être relevée.
Cette possibilité offerte par cet article n’ayant pas lieu d’être pour les infractions terroristes, donc les plus graves, cet amendement a simplement pour objet d'exclure la procédure de relèvement d'interdiction du territoire français pour ces infractions.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Au travers de cet amendement, M. Reichardt entend exclure les condamnés étrangers de la possibilité d’un relèvement.
Selon le droit en vigueur, et c’est un principe général, toute personne ayant fait l’objet d’une peine peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation de la relever, en tout ou partie.
C’est donc la même juridiction qui a prononcé la peine complémentaire qui se prononce. Les relèvements sont accordés en cas d’éléments nouveaux justifiant, dans le respect du principe de l’individualisation des peines, d’adapter les peines.
Cet amendement vise à supprimer la possibilité pour les condamnés à une peine d’interdiction du territoire d’en demander le relèvement. Cette mesure paraît manifestement contraire à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le principe d’individualisation des peines oblige en effet à organiser les moyens d’une adaptation de la peine à la situation individuelle de l’individu.
De plus, ce dispositif aurait pour conséquence de rendre de facto inconstitutionnel le principe de peine complémentaire systématique pour les étrangers terroristes.
En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne censure pas ce système d’automaticité, dès lors qu’une possibilité de relèvement est organisée, que les droits de la défense sont assurés et que la sanction automatique n’est pas disproportionnée. Supprimer la seule possibilité d’un relèvement entraînerait alors la censure du dispositif de peine complémentaire systématique que nous venons d’adopter.
C’est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, exactement pour les mêmes raisons.
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, l'amendement n° 10 rectifié est-il maintenu ?
M. André Reichardt. Compte tenu des explications fournies par la commission et confirmées par le Gouvernement, je ne peux que le retirer, madame la présidente.
Vous ne m’empêcherez néanmoins pas de penser que ces motifs de droit sont peu de chose au regard de l’importance des actes terroristes dont il est question et de rappeler l’ouvrage de Jean-François Revel intitulé Comment les démocraties finissent.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Aïe aïe aïe !
Mme la présidente. L'amendement n° 10 rectifié est retiré.
Article 16
L’article 706–24–3 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 706–24–3. – Pour l’instruction du délit d’association de malfaiteurs prévu à l’article 421-2-1 du code pénal, la durée totale de la détention provisoire prévue au deuxième alinéa de l’article 145-1 du présent code est portée à trois ans. La durée totale de détention provisoire mentionnée au douzième alinéa de l’article 11 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est portée à deux ans pour l’instruction du même délit.
« La durée totale de détention provisoire mentionnée au quatorzième alinéa de l’article 11 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée est portée à trois ans pour l’instruction des crimes prévus au 1° de l’article 421-1 et aux articles 421-5 et 421-6 du code pénal. »
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 9 est présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 23 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 32 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Éliane Assassi. Cet article me chagrine beaucoup. Alors que nombre d’études, de rapports et de missions démontrent l’échec des peines d’emprisonnement pour les mineurs, il prévoit d’augmenter la durée de détention des mineurs. C’est non seulement regrettable, mais surtout contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant et à l’ordonnance de 1945.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 23.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement est défendu, madame la présidente !
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 32.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement juge indispensable de maintenir un régime spécifique de prise en charge des mineurs, même si ceux-ci sont impliqués dans les faits les plus graves.
Le droit pénal des mineurs autorise des mesures de suivi contraignantes, hors de la détention provisoire, qui permettent un contrôle des mineurs et une séparation d’avec le milieu criminogène avec un contrôle extrêmement soutenu. C’est notamment le cas des centres éducatifs fermés et des centres éducatifs renforcés.
De surcroît, dans le cas d’espèce et au regard de l’existant, la mesure concernerait un nombre infinitésimal de personnes. En l’état actuel de nos connaissances en effet, seulement une ou deux personnes seraient visées.
Par conséquent, sur le principe, le Gouvernement est hostile à cet article et dubitatif quant à son application.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Nous n’ignorons pas qu’il existe un droit spécifique pour les mineurs, mais, sur la centaine de mises en examen pour faits de terrorisme, seize personnes sont mineures, quatre étant placées en détention provisoire. Parmi elles, douze étaient âgés de plus de seize ans au moment des faits, des faits de nature criminelle pour deux des seize mineurs.
Il est tout à fait vrai que l’on ne dénombre pas beaucoup de terroristes mineurs, mais il faut s’en réjouir, plutôt que de considérer que cela nous dispense de modifier la loi pénale. Le faible nombre de mineurs concernés n’est pas une raison pour être désarmé.
J’entends bien toutes les considérations qui s’expriment et je ne milite pas pour mettre les mineurs en prison. Je rappelle d’ailleurs que c’est à la fin du quinquennat précédent que l’on est parvenu à faire diminuer le nombre de mineurs en prison, par la création des centres éducatifs fermés, ce qui est une très bonne nouvelle. Je suis tout à fait favorable à ces structures, mais il s’agit ici de jeunes radicalisés.
Je viens d’apprendre, grâce à une alerte sur mon téléphone portable, que 8 250 personnes ont été radicalisées en France cette année.
Mme Nathalie Goulet. C’est exact !
Mme Françoise Férat. Exactement !
M. Jean Bizet. Ne l’oublions pas !
M. Michel Mercier, rapporteur. J’ignore la source de cette information, mais, pour que le chiffre soit aussi précis, elle est sans doute officielle. Il est donc nécessaire de prévoir un dispositif spécifique pour les mineurs entre seize ans et dix-huit ans – ce sont donc déjà des « grands » – radicalisés, violents. Il suffit de regarder les images des attentats pour constater qu’il n’y a rien là de contraire au droit existant.
M. Jean Bizet. Très bien ! Il y a des jeunes précoces aujourd’hui !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous venez de dire que l’on dénombrait en France 8 250 personnes considérées comme radicalisées. C’est un vaste problème sur lequel un certain nombre d’entre nous ont déjà travaillé, notamment dans le cadre de la commission d’enquête que M. Reichardt a évoquée tout à l’heure. Nous savons que cette question est très complexe.
Certains ont inventé des formules miracles de « déradicalisation ». Face à une personne qui est sous l’emprise de ces idées – ce n’en sont pas –, de ces considérations – ce n’en sont pas plus –, de cette horreur, qui en est pénétrée, on comprend l’ampleur du travail à accomplir pour parvenir à lui faire penser le contraire et à la sortir de ce schéma de pensée. À mon sens, cela n’a pas grand-chose à voir avec le temps pénitentiaire.
Une autre question se pose justement, celle de savoir ce qui se passe pendant le temps pénitentiaire, en particulier au regard de la radicalisation, mais nous aurons l’occasion d’en parler à l’occasion d’un prochain article.
Nous sommes tout à fait d’accord pour engager une réflexion sur la justice des mineurs et même pour remettre l’ouvrage sur le métier. C’est un travail important, et je ne crois pas que l’on puisse apporter des modifications à la faveur d’un texte qui a trait à la lutte contre le terrorisme.
C’est pourquoi, à ce stade, nous partageons la position du Gouvernement et des auteurs des deux autres amendements identiques. Un travail approfondi est nécessaire, on ne peut pas improviser – je ne dis pas que vous improvisez, monsieur le rapporteur, mais la justice des mineurs doit être considérée comme un tout.
Mme Anne Emery-Dumas. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9, 23 et 32.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 16.
(L'article 16 est adopté.)
Article additionnel après l'article 16
Mme la présidente. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par MM. Bizet, Karoutchi, Pellevat, Joyandet, Danesi, Savary, Milon, Trillard et Doligé, Mmes Morhet-Richaud et Mélot, M. Gournac, Mmes Lamure et Deromedi, M. Laménie, Mmes Imbert et Deseyne, MM. Mayet, Pierre, Vaspart et Pointereau, Mmes Lopez et Duranton et MM. Vasselle et Revet, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 16
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article 25 du code civil est ainsi modifié :
1° Les mots : « L’individu qui a acquis » sont remplacés par les mots : « Tout individu ayant » ;
2° Les mots : « , sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride » sont supprimés.
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Titre …
Possibilité de déchoir de sa nationalité française tout individu ayant la qualité de Français et condamné définitivement pour crime ou délit de terrorisme
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Je sais que cette question fait débat depuis quelque temps, mais, à mon sens, la déchéance de nationalité doit concerner tout citoyen français auteur d’un crime ou d’un délit de terrorisme, qu’il soit binational ou non. Elle s’inscrit dans le droit fil de la résolution qui a été votée le 30 mars 2015 au Sénat, dans le cadre d’une journée de travail avec les représentants de plusieurs Parlements européens.
Je n’ignore pas que cette mesure est un symbole – mais les symboles ont aussi leur importance – et que cela ne participera que de façon marginale à la lutte contre le terrorisme. Mais j’estime que nous devons être particulièrement exigeants en matière de nationalité, non pas de son acquisition – ce n’est pas le débat du jour –, mais de son maintien. Celui-ci se mérite au quotidien par un comportement vertueux, ce qui n’a pas été le cas d’un certain nombre d’individus l’année dernière.
Que ce soit clair : les conventions internationales – qu’il s’agisse de la convention de New York de 1954, de celle de 1961 ou de la Convention européenne sur la nationalité de 1997 – des conventions que la France a signées, si elles restreignent bien les possibilités de créer des apatrides, ne l’interdisent pas dans des cas tout à fait spécifiques. En outre, l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rappelle que cela n’entrave pas le droit au respect de la vie privée.
Je suis satisfait que le président de la Cour européenne des droits de l’homme, lors de sa dernière visite en France voilà quelques semaines, ait considéré que, en cette période turbulente où le terrorisme pouvait frapper toute démocratie européenne, il était pertinent que la Cour européenne des droits de l’homme devienne réaliste.
Je ne suis pas juriste, et je m’en excuse, mais cela ne m’émeut pas plus que cela, car cela me permet d’être politiquement un peu plus audacieux, juridiquement quelque peu inconvenant, mais socialement un peu plus proche du ressenti de nos concitoyens…
Tel est l’esprit dans lequel j’ai déposé cet amendement. Il est important d’envoyer des messages à celles et ceux qui ont choisi le parti de la haine plutôt que la France !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Cet amendement est extrêmement intéressant…
M. Jean Bizet. C’est déjà quelque chose ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, rapporteur. … et la question de la déchéance de nationalité qu’il aborde nous occupera pendant quelques heures d’ici peu, puisqu’une partie de la révision constitutionnelle porte sur ce sujet. Mais vous avez eu raison, mon cher collègue, de poser quelques petits jalons avant l’ouverture de cette discussion.
La proposition de loi que nous examinons ce soir est un texte de procédure pénale et de droit pénal. Or cet amendement vise à modifier le code civil, son article 25 ! D’un point de vue juridique, ce n’est pas parfait, mais j’ai bien compris que, ce soir, vous vouliez inventer.
En revanche, vous avez parfaitement raison lorsque vous soulignez qu’aucun texte international, qu’aucune convention, n’interdit aujourd’hui à la France de créer des apatrides, et ce pour une raison simple : la France a, certes, signé des conventions qui prévoient l’interdiction de l’apatridie, mais elle ne les a pas ratifiées. Il me semble avoir lu que le Premier ministre envisageait désormais de procéder à la ratification. Si on envisage de le faire, c’est qu’on ne l’a pas encore fait. Par conséquent, on ne peut pas nous opposer un quelconque principe de conventionnalité.
Vous avez également raison de souligner que seul l’article 25 du code civil – une disposition introduite dans notre droit interne à l’initiative de Mme Guigou et en anticipation d’une ratification prochaine par la France de la convention européenne visant à supprimer l’apatridie – concerne ce sujet. Nous n’avons que cela ; c’est déjà beaucoup, mais cela relève du droit interne.
Je souhaite profiter de la présence de M. le garde des sceaux pour lui rappeler que le code civil distingue astucieusement la perte de nationalité, qui est l’objet de ses articles 23 et suivants, de la déchéance de nationalité, laquelle, si j’en crois ce que l’on entend, pourrait devenir une peine complémentaire dans certains cas. N’anticipons pas avant de connaître la position qui sera prise par l’Assemblée nationale.
Monsieur Bizet, nous sommes donc dans un droit mouvant. Vous avez eu raison d’ouvrir un débat qui va nous occuper pendant plusieurs jours, jusqu’à une éventuelle révision constitutionnelle. Maintenant que c’est chose faite, et compte tenu de la nature civile des dispositions que vous entendez modifier, je vous demande de ne pas les introduire dans ce texte, qui est pénal.
Vous avez posé le problème, je vous propose donc de bien vouloir retirer votre amendement jusqu’à la discussion du texte de la révision constitutionnelle, durant laquelle vous pourrez développer les arguments fort justes que vous avez fait valoir ce soir devant le Sénat.
Mme Françoise Férat. Cela paraît sage, en effet.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il serait très regrettable d’être conduits à voter contre un amendement aussi riche.
Mme Françoise Férat. Quel talent !
M. Michel Mercier, rapporteur. Conservons-le plutôt pour une meilleure occasion !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?