compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
Mme Valérie Létard.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée.
Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
3
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux articles 13 et 65 de la Constitution, la commission des lois a émis un vote favorable (35 voix pour, 0 voix contre, 5 bulletins blancs ou nuls) à la nomination, par M. le président du Sénat, de Mme Dominique Pouyaud aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature.
Acte est donné de cette communication.
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Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre de la politique nationale en faveur des personnes handicapées, établi en application de l’article L. 114-2-1 du code de l’action sociale et des familles.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales.
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Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé le report de l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat, initialement prévu le mercredi 27 janvier 2016, au jeudi 28 janvier 2016.
Acte est donné de cette demande.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour des séances des mercredi 27 et jeudi 28 janvier 2016 s’établit comme suit :
mercredi 27 janvier
À 14 heures 30 :
- Suite du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires
- Proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs
Le soir :
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
- Suite de l’ordre du jour de l’après-midi.
jeudi 28 janvier
À 10 heures 30 :
- 1 convention internationale en forme simplifiée
- Suite éventuelle de l’ordre du jour de la veille
- Projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat
À 15 heures :
- Questions d’actualité au Gouvernement
À 16 heures 15 et, éventuellement, le soir :
- Suite de l’ordre du jour du matin
- Projet de loi ratifiant l’ordonnance portant réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées.
6
Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires
Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (projet n° 41, texte de la commission n° 275, rapport n° 274).
Nous poursuivons la discussion du texte de la commission.
TITRE Ier (suite)
DE LA DÉONTOLOGIE
Chapitre Ier (suite)
De la déontologie et de la prévention des conflits d’intérêts
M. le président. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre Ier, à l’article 5.
Article 5
I. – Dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur du décret mentionné au IV de l’article 25 quater de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, le fonctionnaire qui occupe l’un des emplois mentionnés au I du même article 25 quater établit une déclaration d’intérêts selon les modalités prévues audit article 25 quater. En ce cas, par dérogation au I de l’article 25 quater, le fonctionnaire transmet sa déclaration d’intérêts à l’autorité hiérarchique dont il relève dans l’exercice de ses fonctions. Le fait pour un fonctionnaire qui est soumis à l’obligation prévue à la deuxième phrase du présent I, de ne pas adresser la déclaration prévue au I de l’article 25 quater est puni des peines prévues au premier alinéa du I de l’article 25 septies A.
II. – Dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur du décret mentionné au III de l’article 25 sexies de la même loi, le fonctionnaire qui occupe l’un des emplois mentionnés au I du même article 25 sexies établit une déclaration de situation patrimoniale selon les modalités prévues audit article 25 sexies.
III (nouveau). – Dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur du décret mentionné au III de l’article 25 quinquies de la même loi, le fonctionnaire qui occupe l’un des emplois mentionnés au II du même article 25 quinquies justifie des mesures prises selon les modalités prévues audit article 25 quinquies.
M. le président. L'amendement n° 125, présenté par MM. Vandierendonck, Delebarre, Sueur, Manable, Botrel, Labazée et Camani, Mme Yonnet, M. Tourenne, Mmes Campion, Bataille, Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le fait pour un fonctionnaire soumis à cette obligation de ne pas adresser sa déclaration est puni des peines prévues au premier alinéa du I de l'article 25 septies A.
II. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le fait pour un fonctionnaire soumis à cette obligation de ne pas justifier de ces mesures est puni des peines prévues au premier alinéa du I de l'article 25 septies A.
La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous faire part de ma joie de vous revoir ! (Sourires.)
Cet amendement a trait à un élargissement des sanctions pénales à l’encontre des fonctionnaires, prévues en cas de défaut de transmission de leur déclaration d'intérêts, pour défaut de transmission de la déclaration de situation patrimoniale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Notre collègue René Vandierendonck ne semble pouvoir contenir la joie qui est la sienne de nous retrouver, mais cette joie est réciproque… (Sourires.)
Aussi, pour conforter votre joie, mon cher collègue, je vous confirme ce que nous avons déjà dit en commission : votre amendement est satisfait par le texte de la commission.
Compte tenu de ces éléments, il me serait particulièrement agréable que vous acceptiez de bien vouloir le retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. René Vandierendonck. Je le retire, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 125 est retiré.
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article additionnel après l'article 5
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 137 rectifié est présenté par Mme Lienemann, MM. Vandierendonck, Delebarre, Sueur, Manable, Botrel, Labazée et Camani, Mme Yonnet, M. Tourenne, Mmes Campion et Bataille, M. Lalande, Mme Jourda, M. Gorce et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 159 est présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les emplois et fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution sont incompatibles avec le fait d’exercer ou d’avoir exercé, au cours des trois dernières années, les fonctions de dirigeant, de salarié ou de conseiller d’une société contrôlée, supervisée, subordonnée ou concernée par l’institution, l’organisme, l’établissement ou l’entreprise auquel cet emploi ou fonction se rattache.
II. – Aucune personne exerçant les emplois et fonctions mentionnés au I ne peut participer à une délibération concernant une entreprise ou une société contrôlée, supervisée, subordonnée ou concernée par l’institution, l’organisme, l’établissement ou l’entreprise dans laquelle elle a, au cours des trois années précédant la délibération, exercé des fonctions ou détenu un mandat.
Les personnes exerçant les emplois et fonctions mentionnés au I ne peuvent, directement ou indirectement, détenir d’intérêts dans une société ou entreprise mentionnée au I.
L’article 432-13 du code pénal est applicable aux personnes mentionnées au I, après la cessation de leur emploi ou de leur fonction.
Le non-respect de cet article est passible des sanctions prévues au même article.
Un décret en Conseil d’État fixe le modèle de déclaration d’intérêts que chaque personne doit déposer au moment de sa désignation.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 137 rectifié.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement vise à améliorer l’étanchéité entre les responsabilités publiques et privées et le respect de l’éthique.
Il existe de nombreuses législations sur les conflits d’intérêts relatives à des institutions spécifiques, comme le statut des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI, le statut du gouverneur et des sous-gouverneurs de la Banque de France ou encore, par exemple, des membres de la Commission de régulation de l’énergie. Il existe aussi une législation plus générale concernant tous les élus, depuis la loi de 2013.
Il nous paraît nécessaire de profiter de l’examen de ce projet de loi relatif aux fonctionnaires pour créer un cadre plus général, afin de prévenir les conflits d’intérêts. Les dispositions prévues s’appliqueraient à l’ensemble des postes sur lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce et qui font à ce titre, et en application de l’article 13 de la Constitution française, l’objet d’un avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée.
Cet amendement est inspiré du modèle qui prévaut pour les membres de la HADOPI.
En outre, il prévoit une interdiction, pour les personnes nommées par le Président de la République à des fonctions d’intérêt général, d’avoir, pendant les trois années qui précèdent leur nomination, exercé une activité privée en lien direct, j’y insiste, avec ce rôle d’intérêt général. Il ne s’agit pas là d’interdire à toute personne travaillant dans le privé d’accéder à ces emplois et fonctions.
Le paragraphe II applique à ces fonctions l’interdiction – et donc les sanctions pénales qui s’y attachent – faite aux membres d’exécutifs et aux fonctionnaires d’avoir des intérêts privés dans des entreprises avec lesquelles ils ont eu un lien lorsqu’ils étaient en fonction pendant les trois années suivant la fin de leur fonction d’intérêt général. S’y ajoute l’interdiction de prendre des décisions relatives aux entreprises dans lesquelles la personne a eu des intérêts privés dans l’exercice a posteriori de fonctions d’intérêt général, et ce pendant trois années.
Enfin, dans les faits, la durée de poste moyenne, dans une carrière de haut fonctionnaire, est de trois ans environ. Dans cette perspective, le présent amendement vise non pas à empêcher strictement et totalement les passerelles entre la fonction publique et le secteur privé, mais à observer un délai prudentiel correspondant à une prise de poste dans un secteur distinct, pour éviter tout conflit d'intérêts.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l'amendement n° 159.
Mme Corinne Bouchoux. Même si mon amendement est identique à l’amendement n° 137 rectifié, mon raisonnement est quelque peu différent.
Nous ne sommes pas contre la mobilité – nous sommes même pour ! – ; nous n’avons rien contre le pantouflage – nous sommes presque pour ! – ; mais nous avons un devoir de vertu.
Comme l’a souligné ma collègue Marie-Noëlle Lienemann, le sas de décompression entre le moment où l’on a à connaître d’un secteur et celui où l’on apprend qu’on va y travailler nous semble une évidence.
C’est pourquoi nous proposons non pas d’inventer quelque chose, mais d’instaurer une sorte de délai de précaution, un délai qui sera forcément assez court. Ainsi, pendant les trois années qui précèdent leur nomination, les fonctionnaires concernés ne doivent pas avoir exercé une activité privée en lien avec ce rôle d’intérêt général.
En effet, dans le contexte actuel, un certain nombre de malentendus peuvent naître de quelques affaires, certes très rares. De fait, cet amendement aurait le grand mérite de fixer un cadre général pour éviter tout soupçon ou toute confusion.
Comme nous l’avons souligné lors de la discussion générale, c’est l’intérêt général qui doit nous guider. La transparence doit primer la mobilité immédiate.
Oui à la mobilité, mais avec un délai minimal prudentiel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce sujet n’étant pas d’une très grande simplicité, permettez-moi d’apporter quelques éléments concrets pour justifier les raisons pour lesquelles la commission n’a pas émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques.
Même si nous comprenons les préoccupations qui vous animent, mes chères collègues, l’article 13 de la Constitution n’est pas le bon vecteur pour satisfaire à votre demande. Il convient de réfléchir à une autre voie.
Les amendements identiques nos 137 rectifié, présenté par les membres du groupe socialiste et républicain, et n° 159, présenté par le groupe écologiste, reprennent partiellement le dispositif prévu dans les propositions de loi organique déposées au Sénat en septembre dernier.
Je tiens à le souligner, ces deux amendements identiques soulèvent plusieurs questions.
D’une part, les paragraphes I et II sont potentiellement contradictoires.
Le paragraphe I interdit à une personne désignée dans le cadre de la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution d’être nommée dans un organe régulant ou si elle a été dirigeant, salarié ou conseiller d’une société soumise à la juridiction de cet organe de régulation ou de contrôle.
Or le paragraphe II interdit à cette même personne de prendre part à une délibération relative à une société liée à l’organe de régulation ou de contrôle. Cependant, si l’incompatibilité prévue au paragraphe I s’applique, elle devrait écarter toute hypothèse que le paragraphe II envisage, puisque les personnes concernées ne pourraient pas être nommées à ces postes.
D’autre part, ce dispositif peut produire des effets pervers, car le paragraphe I empêche une personne issue d’une société contrôlée d’être nommée au sein d’un organe de régulation, tandis que le paragraphe II, en renvoyant à l’article 432-13 du code pénal, empêche un membre d’organe régulateur d’être embauché par une entité contrôlée.
En résumé, pour être nommée dans un organe de régulation, une personne ne devra pas venir du milieu contrôlé ni s’y reconvertir. En clair, elle devra très probablement venir de la haute fonction publique.
À cet égard, permettez-moi de prendre un exemple pour illustrer mon propos. Le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations ne pourrait pas venir d’une de ses filiales, mais devrait être recruté à l’extérieur du groupe.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Michel Bouvard. Exactement ! Merci, monsieur le rapporteur !
M. Alain Vasselle, rapporteur. De même, l’application de l’article du code pénal susmentionné, après la cessation des fonctions sans limitation de durée, pourrait présenter une fragilité sur le plan constitutionnel.
Enfin, l’obligation de déposer une déclaration d’intérêts, tel que le prévoit le dernier alinéa du paragraphe II, est largement redondante avec l’article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui impose déjà des règles plus contraignantes aux membres des autorités indépendantes et aux dirigeants d’établissement public.
Telles sont les observations qu’il m’apparaissait utile de porter à votre connaissance, mes chers collègues, tout en ayant conscience que ce sujet n’est pas, je le répète, d’une grande simplicité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il est identique à celui de la commission. Aux arguments de M. le rapporteur, j’ajoute que l’article additionnel issu de ces amendements identiques ne serait pas accepté par le Conseil constitutionnel, vu qu’il toucherait à l’article 13 de la Constitution.
M. Charles Revet. Cela commence à faire beaucoup d’inconvénients !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne crois pas à l’argument que vient d’avancer Mme la ministre : il ne s’agit pas de toucher à l’article 13 de la Constitution, mais de fixer des conditions pour l’accès aux emplois et fonctions visés au cinquième alinéa de cet article.
En revanche, j’entends bien l’objection de M. le rapporteur sur l’éventuelle contradiction entre le I et le II de notre amendement. Il faut dire que, à l’origine, nous étions un certain nombre à envisager pour le I un délai de cinq ans. Comme le plus important à mes yeux est que soit adoptée cette première division de l’amendement, même pour un délai moins long que cinq ans, je rectifie mon amendement pour n’en conserver que la première partie ; je renonce donc au II, qui, en effet, peut sembler contradictoire avec l’interdiction fixée au I.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. J’entends bien le raisonnement des auteurs de ces deux amendements, mais je partage tout à fait les inquiétudes de M. le rapporteur.
À la commission des finances, nous sommes appelés à émettre un avis sur un certain nombre de nominations, comme celles du président de l’Autorité des marchés financiers et du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Par définition, qui se porte candidat à des fonctions de ce genre ? Des personnes issues du milieu financier ou bancaire. Or si l’on écoutait les auteurs de ces amendements, seuls pourraient y prétendre des fonctionnaires de Bercy !
Il est évident que, pour un certain nombre de ces fonctions, les candidats sont des personnes du métier. Puisqu’il faut bien qu’elles aient quelques activités, que signifierait l’obligation de ne pas en avoir exercé pendant trois ans pour pouvoir être choisi ? S’agit-il de réserver certaines fonctions aux membres de la haute fonction publique, à l’exclusion de toute personne issue des professions concernées ? Ce serait très réducteur et, à mon sens, très appauvrissant !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Je suis Mme Lienemann, en rectifiant l’amendement n° 159 comme elle l’a fait pour son amendement. En effet, j’ai bien entendu les réserves de M. le rapporteur : des réserves un peu embarrassées, au demeurant, car il a reconnu que nous soulevions un véritable problème. Or l’instauration d’un sas de trois ans présenterait deux avantages.
D’une part, monsieur Karoutchi, cette mesure n’empêcherait personne de postuler à un emploi. Simplement, les professionnels intéressés par une fonction seraient invités à accomplir une mobilité dans un secteur un peu différent avant de présenter leur candidature.
D’autre part, elle permettrait de lutter contre l’« entre soi ». Bien sûr, nous disposons d’une haute fonction publique, de banquiers et de financiers de grande qualité ; mais il règne en France un « entre soi » fondé sur des cooptations entre anciens élèves des mêmes grandes écoles, qui est accentué de manière incommensurable par les pratiques actuelles. De ce point de vue, la mesure que nous proposons aurait le mérite de conduire à une meilleure circulation au sein de ce que M. Karoutchi a présenté comme l’élite. (MM. René Vandierendonck et Éric Bocquet acquiescent.) Après tout, ces personnes peuvent très bien changer d’entreprise ou venir travailler dans nos collectivités territoriales !
Attachée à cette incitation à une autre forme de mobilité, je n’en suis pas moins sensible, je le répète, aux arguments de M. le rapporteur ; c’est pourquoi, je confirme que je rectifie mon amendement, suivant l’exemple de Mme Lienemann.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. le président. Je suis donc saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 137 rectifié bis est présenté par Mme Lienemann, MM. Vandierendonck, Delebarre, Sueur, Manable, Botrel, Labazée et Camani, Mme Yonnet, M. Tourenne, Mmes Campion et Bataille, M. Lalande, Mme Jourda, M. Gorce et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 159 rectifié est présenté par Mme Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les emplois et fonctions pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce dans les conditions fixées au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution sont incompatibles avec le fait d’exercer ou d’avoir exercé, au cours des trois dernières années, les fonctions de dirigeant, de salarié ou de conseiller d’une société contrôlée, supervisée, subordonnée ou concernée par l’institution, l’organisme, l’établissement ou l’entreprise auquel cet emploi ou fonction se rattache.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je commencerai par faire remarquer qu’il s’agit simplement d’instaurer un délai de latence (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) ; je ne vois pas ce qui, dans cette mesure, pourrait poser problème.
J’irai même plus loin : ce débat met en lumière toute l’ambiguïté et, j’allais dire, tout le caractère illusoire du système actuel, fondé sur des hautes autorités dites « indépendantes ». Indépendantes de l’État, oui, mais pas des intérêts qu’elles doivent surveiller,…
M. Roger Karoutchi. Vous n’avez pas tort !
M. Pierre-Yves Collombat. … et sur des autorités de régulation qui ne régulent rien du tout. Il suffit de voir quelles personnes ont été auditionnées pour les nominations intervenues dans le domaine de la régulation financière : toutes étaient des banquiers ou d’anciens banquiers ! (M. Jean-Pierre Bosino rit.) Remarquez, ces personnes jouent certainement un rôle très intéressant ; seulement, cela se passe entre elles ! Il est vrai qu’on n’en persuade pas moins le bon peuple que l’on fait quelque chose…
À la vérité, l’embryon de régulation que nous essayons de mettre en place me paraît être le minimum minimorum. Car, au train où vont les choses, je me demande si nous n’allons pas revenir à l’époque où la cassette royale n’était pas séparée de la cassette personnelle du roi !
M. Roger Karoutchi. Mais qui est le roi ? (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. M. le rapporteur a excellemment souligné les inconvénients qu’il y aurait à adopter ces amendements.
D’abord, nous nous priverions de possibilités de nomination, même s’il s’agit seulement d’instaurer un délai de latence. En effet, si certains renouvellements interviennent à une échéance prévisible, ce qui peut permettre aux personnes désireuses de se porter candidates d’organiser leur carrière, au demeurant non sans difficulté, il arrive malheureusement, du fait des circonstances de la vie, que des postes doivent être pourvus en urgence. Ainsi, il y a quelques années, un directeur général de la Caisse des dépôts et consignations est décédé de maladie en cours de mandat. Par ailleurs, comme M. le rapporteur l’a fait observer, nous perdrions la possibilité de porter à la tête d’une institution une personne qui est déjà dans la maison, par exemple le directeur d’une filiale.
Ensuite, nous avons considéré, lors de la dernière révision constitutionnelle, que certaines des nominations du chef de l’État devaient être soumises au contrôle des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Dès lors, il est de notre responsabilité, de la responsabilité des commissions parlementaires qui entendent les candidats, d’apprécier si un problème se pose eu égard aux fonctions occupées précédemment par les intéressés.
Ce droit conféré au Parlement de s’opposer à une nomination à la majorité des trois cinquièmes, c’est-à-dire par une décision consensuelle, a été conçu pour prévenir la nomination de personnes dépourvues des compétences nécessaires, mais aussi de personnes se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts telle que la représentation nationale estime devoir leur faire barrage.
Aussi bien, le Parlement dispose déjà d’un pouvoir de régulation. Entourer de contraintes supplémentaires le choix des femmes et des hommes pouvant être appelés, à raison de leurs compétences, à exercer des fonctions d’intérêt général reviendrait, d’une certaine manière, à nous censurer nous-mêmes ! C’est pourquoi je suis, à titre personnel, hostile à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 137 rectifié bis et 159 rectifié ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je salue la bonne volonté des auteurs des amendements, mais, compte tenu de l’hétérogénéité des fonctions visées à l’article 13 de la Constitution et des différences de nature, de périmètre et de responsabilités entre les missions exercées par les personnes concernées – pas loin d’une cinquantaine au total –, j’incline à penser qu’il n’est pas possible d’appliquer uniformément la même règle à tous. Il aurait fallu, madame Lienemann, madame Bouchoux, que vous dressiez la liste des fonctions qui se seraient vu appliquer la disposition que vous proposez. De fait, certaines ne présentent pas de caractère économique et financier justifiant une mesure de prévention des conflits d’intérêts.
En l’état actuel de leur rédaction, il ne m’est donc pas possible d’émettre un avis favorable sur ces amendements. Peut-être pourrions-nous mettre à profit le délai qui nous sépare de la commission mixte paritaire pour améliorer leur rédaction, à moins que nous n’ayons recours à un autre véhicule législatif.