M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Kern et Mme Morin-Desailly, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française (n° 145, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. Claude Kern, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Lors de son examen, le 16 décembre dernier, la commission de la culture a salué l’intérêt que suscite cette proposition de loi déposée par notre collègue Vincent Delahaye. Au cours des débats, les membres de la commission ont fait part de leur souhait d’associer davantage la jeunesse aux commémorations et au travail de mémoire.
Toutefois, considérant le caractère sensible des questions mémorielles, à plus forte raison dans le cadre scolaire, la commission a estimé que ce sujet nécessitait un travail préparatoire plus important et devant aboutir à un large consensus.
En conséquence, mes chers collègues, nous vous invitons à voter cette motion de renvoi en commission de la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Ayant exprimé la position du Gouvernement au cours de la discussion générale, je dirai simplement qu’on ne peut pas empiler les jours de mémoire. Par ailleurs, les enseignants, à quelque niveau que ce soit, font leur travail et l’histoire, sur laquelle des désaccords sont toujours possibles, est enseignée. Les enseignants sont consciencieux, ils savent qu’ils ont en face d’eux des citoyens en devenir. Le travail sur l’histoire – et cela est vrai également pour les autres matières – se fait dans le respect de notre passé et de ceux qui ont sacrifié leur vie pour nous permettre aujourd’hui de nous exprimer librement.
Je ne citerai qu’un exemple. Cette année, trois mille jeunes Français et mille jeunes Allemands participeront aux commémorations de la bataille de Verdun. Ils seront donc acteurs et non pas témoins ou spectateurs. Cet événement sera précédé de tout un travail pédagogique et, même si les avis peuvent être partagés sur l’analyse qui en est faite, il est bien une manière d’évoquer tous ceux qui ont laissé leur vie pendant la Première Guerre mondiale.
Les équipes pédagogiques à travers toute la France, dans tous les territoires, seront associées à ces commémorations et partout des projets voient le jour. C’est bien pour cette raison qu’on est obligé d’en limiter le nombre.
Pareillement, les batailles de la Somme – celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945 – donnent lieu à un travail dans les écoles et je peux vous garantir que nos jeunes y sont très sensibles, à quelque niveau que ce soit.
On peut ne pas aimer les termes, mais le devoir de mémoire, c’est surtout le travail de mémoire. Ce travail, je peux vous garantir qu’il est fait (M. Jacques Chiron opine.), notamment grâce aux collectivités territoriales qui s’investissent énormément dans ces actions.
Instaurer un jour de mémoire au sein des établissements scolaires n’y ajoutera rien. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques-Bernard Magner. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Beaucoup de choses ont été dites au cours de ce débat très riche, dense et nourri, qui est le reflet des échanges que nous avons eus en commission sur cette proposition de loi déposée par notre collègue Vincent Delahaye et cosignée par un certain nombre de collègues du groupe de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, proposition de loi dont je salue les objectifs à la suite des différents orateurs.
En commission, une demande pressante a été exprimée en faveur de la constitution d’un groupe de travail qui serait chargé de s’emparer de ces questions liées à la mémoire et aux questions de civisme. Avec le rapporteur, nous avons réfléchi à la meilleure manière de satisfaire les objectifs des auteurs de la proposition de loi. Comme je l’ai dit ce matin en commission, c’est bien volontiers que je m’attacherai à constituer ce groupe de travail. Monsieur Carrère, vous avez évoqué un rapprochement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; bien entendu, j’accède à votre demande, mais je suggère également d’associer la commission des affaires sociales, dont dépend le groupe d’études des sénateurs anciens combattants et de la mémoire combattante.
M. Charles Revet. Bien sûr !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Ce travail de rapprochement sera très utile, car, de mémoire de sénatrice, jamais ce travail n’avait été mené par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il sera aussi sans doute très intéressant.
Je réunirai prochainement le bureau afin de définir les modalités d’action de ce groupe de travail.
Mes chers collègues, je vous remercie de ce débat, qui a éclairé nos esprits, de la même manière qu’en commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.
8
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
M. le président. La commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Francis Delattre membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Nomination d’un membre d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination d’un membre titulaire de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, en remplacement de Mme Annie David, démissionnaire.
Cette candidature a été publiée conformément à l’article 9 du règlement. Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, je proclame Mme Laurence Cohen membre titulaire de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie.
10
Expérimentation territoriale pour la lutte contre le chômage de longue durée
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée (proposition n° 246, texte de la commission n° 267, rapport n° 266).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez bien, le chômage, ce n’est pas seulement des chiffres que l’on commente chaque mois. C’est avant tout une réalité, une réalité vécue par des millions de Français. C’est pour eux, leurs enfants, leurs parents, leurs proches, la peur de se retrouver en marge de la société, de perdre confiance et l’estime de soi, et de ne pas se sentir utile socialement.
Faire de la politique, c’est souhaiter que chacun trouve sa place dans la société, qu’il puisse s’épanouir dans un cadre collectif fait de règles, de devoirs, mais aussi de droits. Je crois que nous en sommes toutes et tous convaincus ici, le droit au travail est un droit fondamental.
C’est pour cette raison que nous avons toutes et tous une responsabilité majeure. Nous devons trouver les conditions pour que chacun construise son projet de vie autour d’un projet professionnel émancipateur.
Nous entrons dans une année décisive dans la bataille de l’emploi. Vous le savez, le chômage ne se règle pas à coups de « mesurettes », et c’est bien la raison pour laquelle, dès le début de ce quinquennat, nous avons engagé des réformes structurelles, et nous continuerons à le faire.
Notre politique s’inscrit dans le temps long, pour des effets durables. C’est notre objectif.
Ces réformes, au travers du pacte de responsabilité et de solidarité et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, des contrats aidés mieux ciblés, plus longs et plus qualifiants, des dispositifs d’accompagnement et de suivi des décrocheurs comme la Garantie jeunes, des aides aux recrutements pour les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises, les TPE et les PME, des mesures relatives à l’apprentissage et à la formation, commencent à produire des effets encourageants, notamment sur le chômage des jeunes.
Bien sûr, nous devons aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. C’est pour cette raison que nous ne devons écarter aucune piste en faveur de l’emploi. D’un côté, il y a les réponses que nous apportons dans le cadre de la politique du Gouvernement et, de l’autre, il y a toutes les initiatives locales, qui proposent des solutions expérimentales innovantes.
Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » engagé par ATD Quart Monde a ainsi été identifié, dans le cadre du plan « Prévenir, aider, accompagner : nouvelles solutions face au chômage de longue durée », comme pouvant être expérimenté et évalué avant une généralisation éventuelle.
Je veux saluer ici une nouvelle fois devant la représentation nationale l’action de cette association, comme celles de toutes les associations qui prennent à bras-le-corps cette problématique, souvent dans la proximité, au plus près des réalités locales.
Je suis plus que jamais convaincue que c’est à partir du terrain, au plus près des réalités locales, que nous trouverons les réponses les plus adaptées aux problématiques de l’emploi. C’est aussi pour cette raison que j’entends renforcer plus encore l’action du Gouvernement en lien avec les collectivités territoriales, à commencer par les régions, dont le rôle est déterminant en matière de politique d’emploi, de formation et d’apprentissage.
Face à la réalité du chômage, je l’ai dit et je le redis, nous n’avons pas tout essayé. C’est l’objet même du texte contre le chômage de longue durée que nous discutons aujourd’hui. C’est toute la philosophie du plan pour l’emploi que le Président de la République détaillera le 18 janvier prochain.
Nous sommes tous ici toujours très forts pour partager les constats, pour dire depuis des décennies qu’il existe des emplois non pourvus, qu’il existe des opportunités d’emploi dans des secteurs d’avenir, pour dire, enfin, qu’il faut former les demandeurs d’emploi vers ces emplois.
Nous devons aujourd’hui saisir l’opportunité de cette expérimentation. Tel est le sens de la proposition de loi qui nous réunit ce soir, et c’est pourquoi je soutiens cette initiative, qui pose un autre regard sur le fonctionnement du marché du travail.
Quelle est notre analyse ? Et comment y répondons-nous ?
Il existe des besoins non pourvus : nous devons tout mettre en œuvre pour y répondre et créer tout à la fois de l’activité et de l’emploi.
Je veux être claire : il s’agit non pas d’encourager un dispositif parallèle ou concurrent des indispensables activités portées par l’insertion par l’activité économique, mais de mettre en place un dispositif complémentaire efficace et utile. Il s’agit précisément de promouvoir un développement économique local sur la base d’activités non encore couvertes. J’y vois là une opportunité évidente, pratique et très concrète d’accès à l’emploi durable des demandeurs d’emploi de longue durée.
Je me réjouis donc de l’intérêt et de la mobilisation qu’a suscités cette proposition dans cette assemblée, mais également dans les territoires.
Les débats, puis le vote à l’Assemblée nationale ont marqué une première étape importante dans l’élaboration de ce projet qui a su dépasser les clivages politiques, puisqu’il a été voté à l’unanimité. Je souhaite bien sûr que cette dynamique se poursuive.
À l’heure où nous parlons, nous comptons environ 2,5 millions de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A, B ou C depuis au moins douze mois. Cela représente 44 % des inscrits. Cette situation n’est pas propre à notre pays ; c’est un mal européen. Entre 2007 et 2014, le nombre de demandeurs d’emploi concernés a doublé au sein de l’Union européenne.
Considérant qu’il y a urgence à réagir à ce problème, le Conseil de l’Union européenne a d’ailleurs adopté, le 7 décembre dernier, une recommandation sur l’intégration des chômeurs de longue durée sur le marché du travail, visant à établir un cadre approprié pour soutenir les actions des pays membres sur le modèle de la garantie européenne sur la jeunesse.
Je le disais, des dizaines de milliers de demandeurs d’emploi ne demandent qu’une chose : pouvoir se rendre utile – utile à la société – par le travail.
Cette loi, j’en suis convaincue, participera de cette bataille nécessaire contre le chômage et produira des effets durables sur le terrain.
L’expérimentation se concentre sur dix territoires de petite taille, pour un nombre limité de bénéficiaires que je souhaite porter à 2 000.
Pour se donner les moyens de réussir cette expérimentation, il nous faut savoir commencer petit, quitte à contenir des élans, pour, ensuite, pouvoir généraliser cette initiative, sur la base d’un partenariat territorial qui aura fait ses preuves.
Il s’agit non pas de réduire l’ambition de la démarche, mais de la rendre contrôlable : elle doit nous permettre d’analyser méthodiquement les réalisations qu’elle aura induites et les effets produits. À ce titre, un cahier des charges sera élaboré par le fonds d’expérimentation, sur la base duquel seront sélectionnés les territoires expérimentateurs.
Je souhaite que la procédure la plus juste et la plus équitable possible soit mise en place pour identifier les territoires qui seront retenus.
Je m’y engage également, nous accompagnerons les acteurs locaux dans la mise en place de ce projet. Concernant le financement, nous l’assumerons : cette expérimentation doit être à coût maîtrisé pour la collectivité, et doit donc bénéficier de l’apport financier d’une diversité de partenaires.
Le rôle de tous les niveaux de collectivités ou des établissements publics de coopération intercommunale sera, lui aussi, déterminant.
D’ailleurs, je souhaite que cet engagement explicite soit une condition qui s’impose à chaque territoire pour intégrer l’expérimentation. À ce titre, je précise que, la première année de l’expérimentation, l’État pourra consentir un effort financier exceptionnel pour mieux accompagner la mise en place de ce projet, et, au-delà, la participation de l’État sera équivalente au coût d’un contrat initiative emploi, ou CIE.
Nos échanges d’aujourd’hui doivent être guidés par le souci de réussite, demain, de la mise en œuvre de l’expérimentation. Pour ce faire, nous devrons lever toute ambiguïté sur le public cible, le statut des bénéficiaires et les modalités de leur accompagnement.
Le service public de l’emploi, notamment, prendra toute sa part et aidera les personnes qui le veulent à sortir du dispositif pour trouver un autre emploi. Nous devrons sécuriser les droits et les devoirs des différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des financeurs, des entreprises conventionnées ou des bénéficiaires.
Nous devons nous attacher à définir ensemble une gouvernance simple et efficace du fonds. Comme le propose Mme le rapporteur, nous devrons aussi réfléchir ensemble à la question de l’évaluation. Celle-ci ne sera possible que dans la mesure où les objectifs de l’expérimentation sont dès à présent clairement exprimés : tel est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi. Elle ne sera également possible que dans la mesure où le ciblage et les moyens mobilisés sont clairement identifiés.
Sur ces bases, nous demanderons notamment que soit évalué, en toute rigueur et par un organisme indépendant, dans quelle mesure les demandeurs d’emploi de longue durée trouvent dans l’accès au contrat à durée indéterminée, et par des activités d’utilité sociale, la voie d’une insertion sociale et professionnelle durable. De plus, nous voulons savoir dans quelle mesure l’accès à l’emploi se réalise effectivement à coût constant ou inférieur et, bien sûr, nous voulons connaître les facteurs de réussite ou les freins à lever pour plus d’efficacité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je salue encore une fois l’initiative et le désir d’innovation porté par cette proposition de loi. Je remercie les parlementaires, auteurs de cette proposition de loi, ainsi que Mme le rapporteur, qui s’est appliquée à rendre le texte plus clair encore. J’invite la représentation nationale à se mobiliser fortement pour soutenir ce projet.
Notre objectif, que je sais partagé sur l’ensemble des travées de cette assemblée, est de faire baisser le chômage de longue durée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons une responsabilité collective face au défi de l’emploi, parce que nous n’avons pas le droit de décevoir et que nous devons réveiller l’espoir. J’en suis convaincue, nous pourrons y parvenir. Nous le devons aux Françaises et aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays livre depuis maintenant quarante ans une bataille pour l’emploi, dont le déclenchement remonte aux deux chocs pétroliers qui ont remis en cause le modèle de croissance bâti durant les Trente Glorieuses.
Confrontés à une aggravation constante de la situation et à une conjoncture économique dégradée, les gouvernements successifs ont dû gérer l’urgence et développer un traitement social du chômage qui préserve de moins en moins les demandeurs d’emploi, notamment les chômeurs de longue durée, de la grande précarité et de l’exclusion, et montre ses limites quand il s’agit d’assurer leur réinsertion professionnelle.
La crise économique mondiale, à partir de 2008, puis les incertitudes qui ont plané sur la soutenabilité des dettes souveraines européennes, ont fait augmenter durablement le nombre de chômeurs dans notre pays. Plus encore, c’est l’effectif des personnes sans emploi depuis plus d’un an, dont l’employabilité a diminué tout autant que les chances de retrouver un emploi stable, qui a connu la plus forte hausse : entre 2008 et 2015, le nombre a bondi de 147 %.
Face à ce fléau, il serait illusoire de croire à l’existence d’une seule et unique solution miracle. Bien entendu, la réponse est multiple, comme l’illustre l’action du Gouvernement depuis 2012. Elle passe par une meilleure formation initiale et continue, à l’instar du plan de 500 000 formations supplémentaires dédiées aux chômeurs qui vient d’être annoncé par le Président de la République ; par un renforcement de la compétitivité des entreprises grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE ; par un soutien à l’embauche dans les PME, ou encore par la prochaine refonte du code du travail, afin de donner davantage de place aux accords d’entreprise et de branche sans remettre en cause les droits des salariés.
Dans ce combat pour l’emploi, il ne faut écarter par principe aucun dispositif innovant. En la matière, l’imagination ne doit pas être bridée, et les expériences méritent d’être tentées.
Telle est la philosophie des initiateurs du présent texte, qui s’attaque au chômage de longue durée, celui qui touche surtout les publics les plus fragiles et met en péril la cohésion sociale dans notre pays.
Je souhaite rendre hommage aux associations qui ont inspiré ce projet, plus spécialement à ATD Quart Monde, dont des représentants sont présents ce soir dans les tribunes du Sénat, ainsi qu’à notre collègue député Laurent Grandguillaume, qui s’est fortement investi dans l’élaboration de cette proposition de loi et l’a beaucoup enrichie, en tant que rapporteur, lors de son examen par l’Assemblée nationale.
Je ne reviendrai pas en détail sur le contenu du dispositif, que la commission a adopté sans modification le 16 décembre dernier.
Je rappellerai simplement qu’il autorise, sur des territoires d’expérimentation définis et restreints, des entreprises relevant de l’économie sociale et solidaire, conventionnées par un fonds national spécifique, à embaucher en contrat à durée indéterminée, ou CDI, des demandeurs d’emploi de longue durée, qui seront rémunérés au moins au SMIC pour effectuer des prestations répondant à des besoins économiques et sociaux non satisfaits localement. L’objectif est de les rendre solvables grâce à une réallocation, totale ou partielle, des dépenses publiques d’indemnisation ou de solidarité dont auraient bénéficié les personnes ainsi recrutées.
Cette proposition de loi est à la fois modeste et ambitieuse. Modeste, car il ne s’agit à ce stade que d’un dispositif expérimental, pour une durée maximale de cinq ans et limité à dix territoires volontaires. Ambitieuse, car elle pourrait entraîner à terme un changement de paradigme de la politique de l’emploi, en donnant la priorité à l’activation des dépenses dites « passives » liées au chômage.
De surcroît, il faut se réjouir du fait que le texte dont nous débattons aujourd’hui ait pu être enrichi grâce aux avis sollicités par l’Assemblée nationale et le Gouvernement. Ce dernier a confié à l’Agence nouvelle des solidarités actives, l’ANSA, la réalisation d’une étude de faisabilité du projet. Le président de l’Assemblée nationale a, quant à lui, saisi le Conseil d’État, dont les remarques ont permis d’améliorer la sécurité juridique du dispositif, ainsi que le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, dont l’avis met l’accent sur les conditions de réussite de l’expérimentation – un avis adopté à l’unanimité, moins une abstention, un fait suffisamment rare pour être noté.
Par ailleurs, il est heureux de constater que le présent texte promeut non pas un mécanisme conçu et piloté par l’administration centrale, mais un projet pensé, partagé et porté par et dans les territoires.
Les amendements que j’ai déposés dès la semaine dernière sur ce texte, cosignés ensuite par mes collègues membres du groupe socialiste et républicain, tendent à s’inscrire dans la lignée des pistes de réflexion que j’avais identifiées dans mon rapport. Les dispositions prévues répondent également aux remarques formulées par plusieurs collègues en commission, où ce texte a fait l’objet d’un débat très riche et très ouvert.
Certains de ces amendements visent à assurer des coordinations et clarifications juridiques, tandis que d’autres ont pour objet d’apporter des modifications plus substantielles au texte initial.
En premier lieu, il m’a semblé utile de ne pas limiter le bénéfice de l’expérimentation aux personnes ayant subi un licenciement, autrement dit aux personnes « involontairement privées d’emploi », pour reprendre les termes juridiques adaptés. Il convient de l’élargir à toutes les personnes privées d’emploi depuis plus d’un an, inscrites à Pôle emploi, quel que soit le motif de rupture de leur précédent contrat de travail. Ainsi, les personnes ayant démissionné de leur emploi ou celles qui ont conclu une rupture conventionnelle ne seront plus exclues de l’expérimentation, et ce dans le souci de ne pas complexifier le dispositif et de le laisser le plus ouvert possible.
En deuxième lieu, j’ai souhaité renforcer le volet relatif à l’accompagnement des salariés de l’entreprise conventionnée. Certes, ces personnes sont en général moins éloignées de l’emploi que celles qui travaillent, par exemple, dans les structures d’insertion par l’activité économique. Il n’en demeure pas moins que des actions d’accompagnement spécifiques sont nécessaires, comme l’ont souligné de concert l’ANSA et le CESE, afin, notamment, d’inciter et d’aider les salariés à travailler, ensuite, dans des structures non couvertes par l’expérimentation.
C’est pourquoi nous souhaitons que le comité local, pivot du dispositif, soit chargé de déterminer les modalités d’accompagnement de tous les salariés de l’entreprise conventionnée. Bien entendu, cette structure agira en lien étroit avec les acteurs du service public de l’emploi comme Pôle emploi, les missions locales pour les jeunes et Cap emploi, pour les personnes handicapées, notamment.
En troisième lieu, il m’est apparu indispensable de bien distinguer, d’une part, le bilan de l’expérimentation, essentiellement de nature comptable et financière, qui peut et doit même être réalisé par le fonds, et, de l’autre, l’évaluation de celle-ci, fondée sur une analyse économétrique, qui doit être menée par un comité scientifique indépendant, à l’instar de ce qui a été prévu et mis en œuvre avec succès pour l’expérimentation de la Garantie jeunes.
En effet, chacun en conviendra, le fonds ne doit pas être juge et partie en matière d’évaluation ; il n’en aurait d’ailleurs pas les compétences. Cette distinction est fondamentale, car c’est à l’aune de cette évaluation que l’expérimentation débouchera ou non sur un dispositif pérenne, que nous appelons tous, bien entendu, de nos vœux.
En quatrième et dernier lieu, je souhaite clarifier les règles liées à la prise en charge de l’indemnité de licenciement en cas d’arrêt prématuré de l’expérimentation décidée par le fonds.
C’est dans ce cas de figure uniquement que le présent texte présume l’existence d’un motif économique au licenciement, et oblige le fonds à participer au paiement de l’indemnité de licenciement. Dans tous les autres cas, si l’entreprise souhaite se séparer de l’un de ses salariés pour un motif personnel ou économique, ce sont bien les règles de droit commun du code du travail qui s’imposent à elle. (Mme Annie David acquiesce.)
Notre débat de ce soir permettra, je l’espère, de clarifier certains de ces points et de dissiper les dernières craintes.