Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
MM. Serge Larcher, Philippe Nachbar.
2. Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
3. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
6. Accès à la restauration scolaire. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
Mme Marylise Lebranchu, ministre
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Philippe Kaltenbach. – Retrait.
Mme Marylise Lebranchu, ministre
Rejet de l’article.
Article 2 – Rejet par scrutin public.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
7. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
8. Compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l'article 1er
Amendement n° 21 de M. Michel Le Scouarnec. – Rejet.
Amendement n° 22 de M. Michel Le Scouarnec. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 37 de la commission.
Suspension et reprise de la séance
10. Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Article additionnel après l’article 1er (suite)
Amendement n° 37 de la commission (suite). – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 23 de M. Michel Le Scouarnec. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 2
Amendement n° 24 de M. Michel Le Scouarnec. – Rejet.
Amendement n° 20 rectifié de M. Yvon Collin. – Rejet.
Amendement n° 15 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Amendement n° 25 de M. Michel Le Scouarnec. – Rejet.
Amendement n° 26 de M. Michel Le Scouarnec. – Rejet.
Amendement n° 17 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de M. Daniel Dubois. – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Anne-Catherine Loisier. – Retrait.
Amendement n° 16 de M. Joël Labbé. – Rejet.
Amendement n° 30 rectifié quinquies de M. Michel Canevet. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 34 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 19 rectifié de M. Yvon Collin. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 5
Amendement n° 32 rectifié quinquies de M. Michel Canevet. – Adoption.
Amendement n° 31 rectifié quinquies de M. Michel Canevet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Articles 6 ter (nouveau) et 7 – Adoption.
Amendement n° 2 de M. François Grosdidier. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 8
Amendement n° 10 rectifié de M. Daniel Dubois. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 13 rectifié quinquies de M. Daniel Chasseing. – Adoption.
Amendement n° 35 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 18 de M. Joël Labbé. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 12 rectifié de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 11
Amendement n° 33 rectifié quinquies de M. Daniel Chasseing. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Serge Larcher,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
M. le président. Par lettre en date de ce jour et conformément à l’article 22 ter du règlement, M. Philippe Bas, président de la commission des lois, a indiqué à M. le président du Sénat que la commission des lois demande au Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour le suivi de l’état d’urgence, pour une durée de six mois.
Cette demande sera examinée par la conférence des présidents lors de sa réunion de ce soir.
3
Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2016.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 7 décembre dernier prennent effet.
4
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la stratégie du commerce extérieur de la France et la politique commerciale européenne.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires économiques et à celle des affaires européennes.
5
Renvoi pour avis unique
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2015 (n° 227), dont la commission des finances est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires économiques.
6
Accès à la restauration scolaire
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire (proposition n° 341 [2014-2015], résultat des travaux de la commission n° 221, rapport n° 220).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les événements tragiques du 13 novembre dernier nous ont rappelé la nécessité de consolider la République dans tous les territoires. Il n’est pas anodin de le rappeler en ce jour où nous célébrons la laïcité.
Voilà cent dix ans aujourd'hui, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ou loi Briand, était adoptée. Deux décennies après l’instauration, par les lois Ferry, de l’école laïque, publique et obligatoire, la loi Briand a consacré la laïcité comme valeur constitutive de notre République.
Au cœur du projet républicain, il y a toujours eu, et il y aura toujours l’école. L’école est souvent le premier lieu de socialisation des jeunes enfants. C’est aussi le lieu où beaucoup d’entre eux découvrent les règles de la vie en collectivité.
C’est à l’école que les enfants apprennent à devenir de futurs citoyens. Chaque jour, au sein de leur école, ils sont mis en contact avec les valeurs de la République : d’une part, les enseignants leur expliquent le sens de ces valeurs dans le cadre des cours qu’ils leur dispensent ; d’autre part, et c’est important, tous les agents publics que les enfants sont amenés à côtoyer dans leur école portent, dans l’exercice de leur mission, les valeurs de la République. C’est à l’école que les enfants apprennent qu’ils ont des devoirs, mais également des droits.
Dans cette perspective, la restauration scolaire n’est pas seulement un service. C’est aussi un lieu d’échange. En effet, le temps scolaire est un temps continu. Son déroulement englobe, sans interruption, le temps de l’enseignement, celui du repas et celui des activités.
La cantine est un lieu d’échange et d’apprentissage de la collectivité, un lieu hautement éducatif, où les enfants assimilent le principe de respect envers leurs voisins de table. C’est bien cela qui résonne dans le mot « convive » : être réuni autour d’une table, c’est apprendre à vivre ensemble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que ministre de la décentralisation et de la fonction publique, je suis absolument favorable à l’idée qui sous-tend la présente proposition de loi : garantir l’égal accès de tous les enfants à la restauration scolaire. Certes, je suis bien consciente des difficultés, mais je soutiens ce texte.
D’une part, l’accès au service public doit être égal pour tous. À ce titre, la restauration scolaire, qui est un service public local inscrit dans une mission de service administratif répondant à un besoin d’intérêt général, doit respecter les principes d’égalité d’accès.
D’autre part, en ces temps difficiles, nous devons lutter contre toutes les formes d’exclusion. L’école, la cantine sont des lieux de socialisation et, plus encore, d’intégration.
C’est pourquoi il n’est pas envisageable d’exclure, même momentanément, un enfant du groupe scolaire à l’heure du déjeuner !
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Certaines municipalités, arguant de leurs difficultés à satisfaire toutes les demandes, font le choix de refuser l’accès à la restauration scolaire à des enfants dont l’un des parents est au chômage.
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas acceptable !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Elles prétendent que ces parents disposent de plus de temps pour préparer le déjeuner de leur enfant.
Ce point de vue est très discutable. On le sait, celles et ceux qui cherchent un emploi ont besoin de se rendre disponibles. Il est également plus facile de trouver un emploi lorsque l’on a la possibilité d’inscrire son enfant à la cantine ; tout cela est imbriqué. Et, dans la culture dominante de notre monde occidental, c’est encore plus vrai pour les femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Que réussit-on lorsque l’on met au ban de son école un enfant dont l’un des parents est au chômage ? Doit-on renforcer le malaise social de cet enfant, qui voit bien que ses parents ne sont pas aussi à l’aise que ceux de ses camarades ? Doit-on lui expliquer qu’il est – passez-moi l’expression, peut-être un peu outrancière – « puni » de cantine, et transformer ce malaise en culpabilité sociale ?
J’entends ici et là des voix s’élever pour dire que le fait de garantir l’égal accès de tous à la restauration scolaire entraîne des surcoûts de fonctionnement, ajoutant qu’il appartient à l’État d’assumer de telles dépenses.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de rappeler qu’il n’y a pas d’obligation de compensation de l’État à l’égard des collectivités territoriales quand il n’y a pas de transfert ou d’extension de compétences. Avec la restauration scolaire, nous sommes en présence d’une compétence facultative des municipalités, qui ne peuvent pas se soustraire à leur obligation de prendre en charge toutes les demandes dès lors que le service existe.
Si l’on n’a pas les moyens de mettre en place un tel service, autant ne pas le faire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Exactement !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Toutefois, une fois que le service est mis en place, il doit être d’égal accès.
Il est suffisamment traumatisant pour un enfant de grandir dans une famille en situation difficile pour qu’on ne lui fasse pas subir une exclusion supplémentaire. Je tiens à le rappeler ici, le lien entre la qualité de l’alimentation et la catégorie socioprofessionnelle des parents est réel. Nous le savons tous, la qualité du repas influe de manière décisive sur les capacités d’apprentissage des enfants. Or le repas quotidien servi à l’école est souvent leur seul repas équilibré.
Les cantines scolaires doivent garantir à tous les enfants une alimentation variée, équilibrée et suffisante. La Convention internationale des droits de l’enfant rappelle d’ailleurs ces principes d’égalité et d’accès à l’alimentation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’école ne doit pas être un lieu de reproduction des inégalités sociales. Sur ce plan, elle a encore beaucoup de défis à relever.
La mission de l’école est de permettre à chaque enfant de trouver sa place dans notre société. L’école ne doit jamais être un lieu d’exclusion. Un agent public, au nom des valeurs qu’il incarne, ne peut pas porter un tel message. Il ne peut pas mesurer les droits d’un enfant à l’aune de la situation sociale de ses parents, parce qu’une municipalité en aurait décidé ainsi.
Nous vivons des temps difficiles. Ce n’est pas le moment de baisser les bras et de relâcher notre vigilance. Nous devons au contraire lutter contre toutes les discriminations et protéger nos concitoyens touchés par les difficultés financières. Nous devons sans cesse construire la République, renforcer notre service public et en garantir l’égal accès à tous nos concitoyens, y compris les plus jeunes. Les enfants de France le méritent, et notre société en a besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de vous prier de bien vouloir excuser notre collègue Françoise Laborde, qui était corapporteur avec moi de ce texte. Elle s’est beaucoup investie pour procéder à des auditions et recevoir les différents partenaires. Malheureusement, elle ne peut pas assister à ce débat.
Déposée par notre collègue député Roger-Gérard Schwartzenberg et adoptée par l’Assemblée nationale au mois de mars dernier, la proposition de loi que nous examinons instaure un droit à l’accès à la restauration scolaire au profit des enfants scolarisés dans l’enseignement primaire.
De quoi s’agit-il ? Un certain nombre de communes n’ont pas les moyens matériels, humains et financiers d’accueillir l’ensemble des élèves à la cantine. Quelques-unes d’entre elles ont alors restreint l’accès à ce service ou annoncé leur intention de le faire, selon des ordres de priorité favorisant les enfants dont les parents travaillent. Cela s’effectue donc au détriment des enfants dont les parents sont au chômage. Tout le monde mesure combien il s’agit d’une discrimination inacceptable.
La proposition de loi vise à mettre fin à ces discriminations, qui sont au demeurant déjà illégales. En effet, à la différence du second degré public, où la restauration scolaire est une compétence obligatoire des départements et des régions, la restauration scolaire dans le premier degré public constitue une compétence facultative des communes.
En pratique, environ 80 % des communes possédant une école, soit 20 000 communes, proposent un tel service, qui est fréquenté, régulièrement ou occasionnellement, par la moitié des 6,8 millions d’élèves de l’enseignement primaire. Parce que le service est facultatif, les communes sont libres de le créer ou non et d’en fixer l’organisation, dans le respect de la législation et de la réglementation. En conséquence, les communes ne sont pas tenues de créer autant de places qu’il existe d’élèves potentiels et peuvent restreindre l’accès au service.
L’intention des auteurs de cette proposition de loi apparaît donc généreuse, mais ce texte est à la fois inutile, inopportun et inopérant ; c’est pourquoi la commission l’a rejeté, et je vous inviterai, mes chers collègues, à en faire de même.
En premier lieu, il convient de rappeler que l’état du droit interdit d’ores et déjà toute discrimination à l’accès à la restauration scolaire. Bien qu’il soit facultatif, ce service public est soumis au principe d’égal accès aux services publics, qui découle des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et les charges publiques, donc d’interdiction des discriminations, un principe qui est inscrit dans le code pénal.
Lorsqu’une commune enfreint la loi, le règlement de son service de restauration scolaire est systématiquement annulé par le juge administratif. Selon une jurisprudence constante et limpide, le juge annule tous les règlements qui tendraient à établir une distinction entre les élèves selon la situation professionnelle de leurs parents, mais également selon leur âge, leur lieu de résidence ou encore l’existence d’une intolérance alimentaire. Il en va de même pour les élèves handicapés : l’accès à la cantine ne peut leur être refusé et l’État doit prendre en charge leur accompagnement.
De plus, les moyens d’une sanction rapide existent, puisque les familles peuvent recourir au référé-suspension et obtenir la suspension du règlement incriminé dans les quinze jours.
Le préfet peut également déférer tous les règlements de la restauration scolaire qui présentent un doute sérieux de légalité. Cette dernière voie épargne aux familles visées par ces discriminations de s’engager dans des contentieux qui peuvent paraître lointains, complexes et coûteux. Elle est sans doute insuffisamment mise en œuvre. Toutefois, rappeler dans la loi l’interdiction des discriminations n’y changerait rien ; mieux vaudrait, madame la ministre, une circulaire encourageant les préfets à déférer systématiquement les règlements illégaux.
De plus, la proposition de loi crée un droit à l’accès à la restauration scolaire au profit de chaque élève, obligeant de ce fait les communes à accueillir l’ensemble des élèves qui le souhaitent, ou qui le souhaiteraient, à la cantine des écoles. Si, là encore, l’intention est louable, l'instauration d'un tel droit d’accès méconnaitrait les réalités de l’organisation de la restauration scolaire.
Ce droit d’accès ne tient pas compte du caractère élastique de la demande des élèves et de leurs familles. Outre l’abonnement, nombre de cantines scolaires permettent une fréquentation ponctuelle du service. Certaines communes ont ainsi été contraintes de restreindre l’accès à la cantine parce qu’elles étaient confrontées à des pics de fréquentation certains jours, associés à ce qu’il faut bien appeler une « consommation de confort ». Créer un tel droit d’accès se traduirait, pour les communes, en une obligation de surdimensionner leurs infrastructures et leurs équipements et de créer autant de places qu’il existe d’usagers potentiels.
Or, si certaines communes ne sont pas en mesure d’accueillir l’ensemble des élèves à la cantine et doivent en restreindre l’accès, c’est tout simplement parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Il s’agit souvent de grandes agglomérations, dans lesquelles les capacités sont saturées malgré la mise en place de selfs ou de doubles, voire de triples services, ou bien de villes connaissant une croissance démographique forte et continue.
De plus, la compensation financière prévue par le texte relève d’une vue de l’esprit. Aucun droit à compensation par l’État n’est reconnu aux collectivités territoriales du fait de l’extension d’une compétence facultative.
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas un transfert de charges !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Une majoration de la dotation globale de fonctionnement paraît plus qu’illusoire, cette dernière n’étant pas configurée pour prendre en compte ce type de dépenses. En outre, dans le cas d’aménagements ou d’opérations d’investissement, comment déterminer le coût qui résulterait de l’application de ce texte ?
Il y a un peu plus d’un an, Mme Marie-Arlette Carlotti, alors ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, expliquait devant notre assemblée que l’instauration d’un tel droit reviendrait de facto à consacrer une compétence quasi obligatoire pour les communes et que « dans un contexte budgétaire contraint, cette solution semble difficile à retenir ». Admirons la sagesse du Gouvernement !
Autre difficulté, qu’en sera-t-il de l’enseignement privé, où la restauration scolaire est du ressort de l’établissement ? Le droit d’accès concernerait ses élèves, mais à qui serait-il opposable ? S’il s’agit des établissements privés, ces derniers ne recevront aucune compensation, puisque, depuis la loi Goblet, toute subvention publique à l’investissement des écoles privées est interdite. S’agira-t-il alors des communes ? Cela signifierait que les communes devraient accueillir à la cantine les élèves inscrits dans une école privée. Je vous laisse imaginer, mes chers collègues, les problèmes qu’entraînerait une telle solution !
Enfin, quel sens aurait la création d’un nouveau droit qui ne s’appliquerait pas de manière égale ? Si ce droit n’était établi que « lorsque ce service existe », il resterait lettre morte pour les enfants scolarisés dans une commune qui ne le propose pas. Est-il vraiment pertinent d’imposer une contrainte supplémentaire aux communes qui font déjà beaucoup d’efforts pour offrir un service de restauration scolaire ? Gardons à l’esprit que celles-ci sont libres d’en déterminer les tarifs ou même de mettre fin à cette activité.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Oui, nous partageons tous l’ambition que l’ensemble des enfants qui le souhaitent puisse avoir accès à la restauration scolaire. Nous connaissons le rôle important de celle-ci et ses implications en matière de concentration des élèves, d’éducation au goût, de socialisation et de santé publique.
Il est vrai, et vous l’avez souligné, madame la ministre, le repas servi à la cantine est pour certains enfants le seul repas équilibré qu’ils prennent de la journée. Néanmoins, il existe d’autres moyens pour permettre l’accueil du plus grand nombre d’élèves. Je pense, notamment, à la diffusion des bonnes pratiques en matière d’aménagement des restaurants scolaires, ou encore aux travaux menés entre 2011 et 2013 par l’Association des maires de France, l’AMF, les services de l’État et le Défenseur des droits en vue d’établir un règlement type des cantines scolaires.
Je vous propose donc, mes chers collègues, de ne pas voter ce texte d’affichage.
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas bien !
M. Claude Kern. Si c’est bien !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce texte, de surcroît, légifère hors sol. Nul ne sait combien de familles et de communes sont concernées, au-delà des exemples médiatiques qui fleurissent à chaque rentrée, comme à Thonon-les-Bains en 2011 ou, plus récemment, à l’Île-Saint-Denis. Aucun interlocuteur n’a pu nous fournir une estimation des conséquences financières de ce texte.
En conclusion, cette proposition de loi apparaît comme un pis-aller, sans conséquence sur les discriminations, réelles ou supposées, auxquelles elle est censée mettre fin. Elle crée un nouveau droit qui s’appliquerait de manière inégale sur le territoire et dont la mise en œuvre, faute de moyens et d’une réelle compensation financière, se révélerait souvent impossible. En revanche, les communes seraient mises en difficulté, car elles se trouveraient contraintes d’engager des dépenses importantes pour se prémunir de tout contentieux.
Madame la ministre, faisons confiance aux élus locaux pour régler les quelques cas difficiles. Une circulaire rappelant aux préfets les moyens dont ils disposent pour faire appliquer la loi serait plus efficace qu’un texte inapplicable.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission vous invite à rejeter la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire concerne les 24 000 communes ayant une école primaire.
L’ambition de la proposition est simple : rendre obligatoire l’inscription à la cantine lorsque celle-ci existe, avec le double objectif affiché de pérenniser la jurisprudence actuelle et de réaffirmer le principe d’égalité. L’ambition de permettre l’accès à tous est juste, car la cantine constitue un réel enjeu non seulement pour la santé publique, mais aussi dans le secteur éducatif et social. Si l’aspect nutritionnel ne fait plus débat, l’impact social est lui aussi majeur.
Avec près de 2,7 millions d’enfants pauvres, les plus fragiles bénéficient d’un repas varié, complet et équilibré. Pour certains enfants, je le rappelle, le repas à la cantine est le seul repas de la journée.
Les mécanismes de financement de ces repas, dont le coût de 7 euros n’est facturé qu’entre 2 euros et 3 euros aux parents, sont nombreux : fonds social pour les cantines, centres communaux d’action sociale, etc.
L’aspect éducatif, qui lui non plus ne fait pas l’objet de discussions, est multiforme. En plus de permettre une meilleure acquisition des connaissances dispensées par les maîtres et les maîtresses, le repas de la cantine permet de nombreux apprentissages.
M. Jacques-Bernard Magner. Exactement !
M. Michel Amiel. Il permet de développer l’autonomie de l’enfant, son rapport au temps social qu’est le partage d’un repas ; cette sociabilisation est au cœur du projet de notre école républicaine. Alors que tous prônent aujourd’hui plus de mixité, toute exclusion d’un élève pourrait se révéler très stigmatisante. Le chômage exclut-il au point de faire sortir de la table des enfants ? Un enfant ayant une allergie doit-il être mis au ban de ses pairs ?
Comme vous le savez, la restauration scolaire pour les écoles primaires – maternelles et élémentaires – n’est pas une obligation pour le maire. C’est un service public à caractère facultatif. On estime que près de 80 % des communes ayant une école publique proposent ce service de restauration. Certains rapports portent à 3 millions le nombre d’enfants qui déjeunent à la cantine.
Le principe d’égalité est plus que reconnu aux usagers : c’est un principe à valeur constitutionnelle, dès lors que le caractère de service public est et a été reconnu à la restauration scolaire. Les dérogations acceptables sont très limitées. Le juge permet, par exemple, une modulation tarifaire entre les usagers.
Quand le service est saturé, le maire peut établir un règlement régissant les différentes situations. Les critères doivent être appropriés et avoir une dimension objective. Toute discrimination est proscrite et relève même du pénal.
Certes, des cas de restrictions d’accès à la cantine par les maires ont fait les choux gras des médias. Toutefois, le juge a eu à plusieurs reprises l’occasion de statuer, et la jurisprudence a sanctionné de manière constante ces cas discriminants, de l’ordre d’une centaine par an. Ainsi, n’ont pas été admis comme critères de distinction pour l’accès à la cantine, la situation professionnelle des parents, l’âge des enfants, le lieu de résidence et l’intolérance alimentaire, entre autres.
Les procédures sont souvent considérées comme un frein à l’application des droits. Elles sont souvent jugées longues et hors de portée pour certaines familles. Toutefois, les référés-suspension et le pouvoir du préfet de déférer des règlements de cantine potentiellement discriminants permettent de préserver les droits effectifs de nos concitoyens.
En tant que maire, je me pose la même question que M. le rapporteur : l’obligation d’accueillir l’ensemble des élèves pèse-t-elle sur les établissements ou sur la commune ? Imagine-t-on les communes être contraintes d’accueillir les élèves des écoles privées ? En outre, quel serait le sens d’une obligation d’accueil des enfants dans les cantines uniquement quand le service de cantine existe ? Ne serait-ce pas créer une grande inégalité territoriale ?
M. Loïc Hervé. Une de plus ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Michel Amiel. J’en profite pour saluer le travail d’audition des rapporteurs, qui a permis de mettre en évidence une inadéquation de la loi avec les difficultés d’organisation rencontrées sur le terrain.
Aujourd’hui, selon les rapports réalisés, la moitié des enfants scolarisés en primaire déjeunent à la cantine. Comment faire face à la modulation des demandes entre les différents jours ou les différents semestres ? Cela reviendrait-il à prévoir des bâtiments, du personnel et des travaux pour potentiellement accueillir deux fois plus d’élèves ?
Il semble plus urgent de mettre en œuvre l’accès effectif à la restauration scolaire pour les enfants handicapés. Dans de nombreux cas, le personnel supplémentaire – des auxiliaires de vie scolaire – demandé à l’État pour l’accompagnement n’est pas toujours au rendez-vous. Il est même plutôt rare !
Mes chers collègues, ce texte, certes bien intentionné, ne constitue qu’une demi-mesure. Après que les fonctionnements et les financements locaux ont été bouleversés, il m’apparaît inopportun de soutenir une loi dont les conséquences financières sont incertaines, de l’aveu même de Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, qui, le 12 mars dernier, rappelait devant cette assemblée que l’on ne disposait pas « de toutes les données permettant d’en évaluer les incidences, notamment en termes de coût ».
Un tel texte intervient alors que les collectivités locales doivent faire face à un avenir précaire, d’autant que la réforme de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, se trouve reportée à l’année prochaine.
Si le principe de l’égalité dans l’accès à la restauration scolaire est évidemment partagé par tous, les contours des obligations qui incomberont aux mairies restent trop flous dans ce texte, qui ne prévoit aucune proposition de compensation financière réelle et sérieuse. Il mettrait en danger une situation financière déjà difficile. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, ce ne serait pas possible.
La majorité des membres du groupe du RDSE suivront la commission et voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous ménagerai en mettant immédiatement un terme à tout suspense : le groupe UDI-UC s’associe pleinement à la position de notre rapporteur, que je tiens à féliciter de la qualité de son analyse, et il votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Claude Kern. Les raisons en sont simples, et je ne crois pas prendre un risque démesuré en affirmant qu’elles sont partagées par une grande partie des sénateurs ici présents.
Sans vouloir faire offense ni aux auteurs de la proposition de loi ni au groupe socialiste et républicain qui a choisi d’accueillir ce texte dans sa niche, il nous semble que cette initiative, qui part d’une intention louable – nous le reconnaissons –, est tout à fait inutile.
Pourquoi inutile ? Parce que le service public facultatif de la restauration scolaire est déjà soumis à l’interdiction des discriminations, ainsi qu’au principe d’égal accès des usagers, qui découle du principe constitutionnel d’égalité devant la loi et les charges publiques. Le respect de ces principes est assuré par la jurisprudence administrative et constitutionnelle.
Aussi, quel besoin de faire une loi spécifique, dès lors que l’état actuel du droit répond à l’objet de la proposition de loi ? J’apprécierais que vous nous fassiez part de votre logique, chers collègues du groupe socialiste et républicain, car j’avoue avoir des difficultés à la cerner, les auteurs du texte reconnaissant eux-mêmes que le droit actuel les satisfait…
Quid des sanctions en cas de manquement, me direz-vous ? Notre commission l’a rappelé, les manquements sont systématiquement sanctionnés par le juge administratif, et des procédures et des moyens de sanction rapides existent. Les procédures de référé-suspension et de déféré préfectoral, par exemple, permettent de faire respecter cet état du droit dans les meilleurs délais. Il n’est donc nul besoin juridiquement d’une « loi de validation », qui élèverait cette jurisprudence au rang législatif.
Cependant, au-delà des questions de forme, arrêtons-nous un instant – pourquoi pas ? – sur le fond. Admettons qu’il soit pertinent de faire acter par le législateur la jurisprudence constante en la matière. De nouvelles questions se posent immédiatement : celle de la nature de la discrimination et celle du financement d’un droit d’accès à la restauration scolaire.
M. Jean-Louis Carrère. Nous y voilà !
M. Claude Kern. S’agissant de la première interrogation, madame la ministre, connaît-on le nombre de cas de discriminations et est-on en mesure d’en identifier une typologie claire ?
L’ampleur des discriminations à l’accès aux cantines scolaires est en effet mal connue : le rapport de Gilda Hobert l’estime à quelques centaines. Le Défenseur des droits parle de 500 cas au maximum à l'échelon national.
La nature des discriminations est aussi hétérogène. Celle qui est fondée sur la priorité aux parents qui travaillent représente 45 % de l’ensemble, celle qui est relative au régime alimentaire de l’enfant 9 % et celle qui repose sur le handicap 5 %. Ne devrions-nous pas disposer d’un état des lieux plus précis avant d’envisager de légiférer ?
J’en viens à la seconde interrogation : qui financerait le droit d’accès à la restauration scolaire ?
M. Loïc Hervé. Les communes !
M. Claude Kern. Soyons clairs, dans le contexte actuel de baisse des dotations et d’obligation d’assumer des dépenses nouvelles, notamment la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires, il est absolument inconcevable d’aggraver encore davantage les charges des communes. Par ailleurs, avec une telle loi, les communes qui envisageraient de créer un service de restauration y réfléchiront à deux fois.
Qui, pour financer, alors ? L’État ? Il semble que le Gouvernement n’y soit pas véritablement enclin… On le comprend d’autant plus que nous ne disposons à ce jour d’aucune simulation de l’impact d’une telle mesure sur les budgets communaux ! Madame la ministre, nous attendons les réponses à ces questions. De même, je ne doute pas de la considération que vous portez aux élus.
Faut-il rappeler que la restauration scolaire est un service public facultatif ? Faut-il rappeler l’engagement des maires pour assurer un service de restauration aussi efficace et qualitatif que possible ? Les élus doivent conserver le libre choix de l’organisation de ce service, justement pour en garantir un niveau de qualité satisfaisant.
Notre commission a considéré, à juste titre, que la création d’un droit d’accès à la restauration scolaire qui ne s’appliquerait pas de manière égale sur le territoire méconnaitrait les réalités de l’organisation de ce service public.
Faire confiance aux élus et aux territoires, c’est une demande persistante qu’il faut entendre et appliquer ! En effet, le sujet n’est pas nouveau et a déjà fait l’objet d’annonces. Un règlement type de la restauration scolaire devait être élaboré par l’État et l’Association des maires de France, l’AMF, en 2012. Or il n’a, semble-t-il, jamais vu le jour. Pourquoi ? Où en est-on ? Ce serait pourtant la meilleure solution pour avancer en concertation avec les collectivités…
Nous attendons, sur ce point également, des réponses claires de votre part, madame la ministre. Ce débat aurait alors le mérite de relancer la dynamique, si jamais celle-ci a été arrêtée !
Mes chers collègues, pour tous les élèves de l’école primaire qui le souhaitent, nous sommes tous ici profondément attachés à l’accès à la restauration scolaire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Louis Carrère. Certains plus que d’autres !
M. Claude Kern. Si, chers collègues ! Cet accès est un enjeu en termes de réussite scolaire, de santé publique et de socialisation. Néanmoins, le groupe UDI-UC votera contre ce texte, dont je me demande encore quel est l’apport.
Au fond, je m’interroge sur l’objectif réel, et peut-être non affiché, des auteurs de cette proposition de loi. Ne serait-ce pas une manière déguisée de faire de la cantine scolaire une compétence obligatoire des communes ?
M. Loïc Hervé. C’est la vraie question !
M. Claude Kern. Je me refuse à mettre en cause la transparence de la démarche de nos collègues députés, mais sachez, madame la ministre, mes chers collègues, que le groupe UDI-UC restera vigilant sur ce point. En effet, en aucun cas la faculté de mise en place d’un service de restauration scolaire ne doit se transformer en obligation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, étant l’auteur, en 2012, d’une proposition de loi visant à garantir l’accès de tous les enfants à la restauration scolaire, je pourrais faire de nombreuses remarques sur le présent texte.
Je pourrais, notamment, pointer l’absence d’introduction de sanctions spécifiques en cas de non-respect de la loi, l’absence de dispositions sur les tarifs ou encore l’absence de référence aux repas de midi. Toutefois, compte tenu de la tournure qu’ont prise nos débats en commission, ce n’est pas sur ces points que je concentrerai mon propos.
Je partirai des raisons pour lesquelles mon groupe avait déposé en 2012 une proposition de loi sur ce sujet.
À l’époque, les cas de refus, par certaines municipalités, d’inscrire à la cantine des enfants dont l’un des parents était au chômage s’étaient multipliés. Ces restrictions, que nous avions alors dénoncées, relevaient souvent d’une posture idéologique, parfaitement ignorante du surcroît de disponibilité que peut nécessiter une recherche d’emploi.
Nous avions donc décidé de proposer l’inscription de cette obligation dans le droit existant, à savoir le code de l’éducation. C’est ce que prévoit l’article 1er de cette proposition de loi. En effet, la jurisprudence en la matière est constante pour reconnaître le caractère illégal, car discriminatoire, de telles décisions de refus d’accès à la restauration scolaire.
Il n’en reste pas moins que cette jurisprudence, à l’évidence, n’empêche pas certains maires de prendre de telles dispositions qui, pour être déclarées illégales, doivent faire l’objet d’une contestation par les familles concernées devant le tribunal administratif.
M. Jean-Louis Carrère. Exactement !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Force doit donc revenir à la loi, qui, dans la hiérarchie des normes, se situe au-dessus de la jurisprudence. De plus, une jurisprudence peut évoluer.
Aussi, lorsque nos corapporteurs nous expliquent que la jurisprudence suffit et que le passage par la loi est « inutile », je pourrais leur retourner l’argument : si cela ne change rien, pourquoi s’opposer à son inscription dans la loi ?
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. S’agirait-il d’une loi d’affichage ? Ce ne serait pas la première adoptée dans cet hémicycle !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Ce pourrait être la dernière. Ce n’est pas un argument !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mes chers collègues, je crois que le débat suscité par cette proposition de loi est bien plus profond : on oppose le principe de « réalité » – il faut entendre par là les contraintes budgétaires des communes – au principe d’égalité.
Or nous parlons tout de même de l’accès à la cantine pour des enfants âgés de 2 à 10 ans. Pour certains d’entre eux, le repas qu’ils y prennent est souvent le seul repas complet et équilibré de la journée. Comment étudier le ventre vide ?
Certaines communes ont bien compris l’importance de ce temps périscolaire et l’ont investi pour proposer une éducation à la santé, au goût, au plaisir de manger, à la découverte de la diversité culinaire et des produits bio… Le temps de la restauration scolaire est aussi un temps de socialisation, notamment en maternelle. C’est également sur le temps de la pause méridienne que s’organisent parfois l’aide personnalisée, et dans le cadre de la réforme des rythmes, les activités périscolaires. À tel point que certaines communes ont restreint l’accès à la cantine le mercredi aux seuls enfants inscrits l’après-midi dans les centres de loisirs.
Certes, les communes qui ont la charge de ce service public se trouvent parfois en difficulté pour accueillir la totalité des enfants.
Cependant, le caractère illégal des restrictions dans l’accès à ce service public facultatif, quand celui-ci est mis en place, a été maintes fois rappelé par le Conseil d’État, lequel l’assimile à un service public annexe au service public de l’enseignement. Il est donc, à ce titre, soumis au principe général du droit qu’est le principe d’égalité devant la loi, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle, et qui implique l’égalité des usagers devant le service public. Une fois ce service créé, il ne peut donc être opéré de discrimination entre les usagers.
Par ailleurs, le Conseil d’État considère que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que soient instaurées des différences de traitement entre usagers du service public, dès lors qu’existent entre ces derniers des différences de situations appréciables ou que ces mesures sont commandées par une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service.
Ainsi, les tarifs pratiqués par les communes – parlons-en, justement ! – constituent une autre forme de sélection, parfaitement légale, sur laquelle les usagers, en l’occurrence les parents d’élèves, n’ont pas toujours de prise.
Investir ou non dans un service de restauration scolaire relève donc bien d’un choix politique. Dès lors, jusqu’où irez-vous, demain, au nom de ce principe de réalité ? Devrons-nous renoncer, par exemple, au principe de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes ? Je ne prends pas cet exemple au hasard, car nous savons que l’accès à un service de restauration scolaire, ou non, peut pénaliser l’emploi féminin.
Le présent texte consacre donc dans la loi un principe d’égalité, sans y adjoindre de mesure coercitive. Les familles confrontées à des restrictions d’accès à la cantine devront toujours en passer par le tribunal administratif pour les contester, ce qui représente pour elles une difficulté majeure.
Mes chers collègues, à l’heure où chacun en appelle au respect des fondements de notre République que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, l’adoption de ce texte serait un signal positif qui honorerait notre assemblée.
C’est pourquoi mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, adoptée par l’Assemblée nationale et présentée au Sénat par Yannick Vaugrenard, a pour objet de compléter le code de l’éducation en vue d’instaurer un droit d’accès à la restauration scolaire, afin que tous les enfants scolarisés, sans distinction, puissent bénéficier de ce service lorsqu’il existe.
C’est une cause juste, puisqu’elle concerne une égalité de traitement. J’insiste sur le mot « égalité », qui fait partie de la devise républicaine figurant au fronton de nos écoles publiques.
Il apparaît que des communes établissent des critères discriminants en vue d’établir des sélections illicites. Ainsi, certaines refusent l’accès à la restauration scolaire aux élèves dont au moins l’un des parents n’exerce pas d’activité professionnelle, ou dont la mère est en congé de maternité, ou parce que l’un des deux parents est au foyer pour une raison ou pour une autre.
Dans ces divers cas, les parents seraient prétendument « disponibles » pour fournir un déjeuner à la maison, ce qui n’est pas conciliable avec les démarches nombreuses nécessitées, notamment, par la recherche d’emploi – vous l’avez rappelé, madame la ministre –, et ce qui est parfois aussi compliqué par l’éloignement du domicile.
Toutes les familles ne résident pas à proximité de l’école : comment pourrait-on adapter le règlement de l’accès à la cantine pour ceux qui viennent le matin pour ne repartir que le soir ? Les parents disponibles devraient-ils venir chercher leurs enfants pour le repas ? Ou bien créerait-on une nouvelle discrimination entre ceux qui vivent dans les bourgs et ceux des villages ?
D’autres critères discriminatoires sont parfois retenus, tels que l’origine, la situation de la famille, l’état de santé ou le handicap, ou bien encore l’appartenance à une religion. Beaucoup se sont émus de cette situation.
Tout d’abord, une importante association de parents d’élèves a porté le problème devant le juge administratif, considérant que l’accès à la cantine est un droit et qu’en exclure certains enfants représente une discrimination. Cela a été rappelé, il convient de remarquer que le juge administratif leur a donné raison chaque fois qu’un recours a été intenté. Toutefois, cela n’a pas empêché certains maires de continuer à ignorer ce principe d’égalité devant le service public.
Par ailleurs, en mars 2013, Dominique Baudis, Défenseur des droits, recommandait dans un rapport sur les cantines que ce service public, « dès lors qu’il a été mis en place, soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent ». Alerté par des cas de refus d’accès à ce service, le Défenseur des droits a beaucoup travaillé sur cette question.
Enfin, dans un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale de mars 2015, intitulé « Grande pauvreté et réussite scolaire », Jean-Paul Delahaye préconisait que la restauration scolaire devienne un droit sans aucune condition restrictive.
En effet, malheureusement, un enfant sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Pour ces enfants, qui arrivent trop souvent à l’école le matin le ventre vide, le repas servi à la cantine est la plupart du temps le seul repas équilibré de la journée. Par ailleurs, ils sont privés d’un droit dont bénéficient leurs camarades, ce qui met en évidence leur situation sociale ou familiale et les stigmatise.
De plus, les enseignants savent bien que l’attention d’un enfant qui a pris un repas équilibré, assis tranquillement avec ses camarades à la cantine, sera bien meilleure pour la suite de la journée et pour les apprentissages. Ce repas a un impact sur la santé, mais aussi sur la scolarité de l’enfant. Je rappelle également l’importance de la pause méridienne en termes de socialisation, de mixité sociale, d’échange et d’apprentissage du vivre ensemble.
La cantine occupe une place majeure dans la vie des enfants et leur quotidien à l’école. Lorsque les parents se trouvent confrontés à un refus d’accès, ils sont généralement désemparés, démunis et, finalement, renoncent à engager une procédure, car c'est trop compliqué.
Heureusement, les associations de parents d’élèves interviennent et sont un relais essentiel pour former un recours. D’où l’importance de la proposition de loi qui fait l’objet de notre débat pour contribuer à protéger les familles, mettre fin aux dérives constatées et éviter certains dérapages.
La loi évitera de longues et fastidieuses démarches. Elle empêchera surtout de traumatiser des enfants, en donnant aux familles la possibilité de se fonder sur un dispositif clairement établi par le législateur, et non par les juges.
Dans le rapport du Défenseur des droits, il est rappelé que le service de restauration scolaire est un service public administratif facultatif local, soumis au principe de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, bien qu’il soit facultatif, dès lors qu’il est créé, il doit respecter les grands principes du service public que sont, notamment, l’égalité d’accès au service, la continuité et la neutralité religieuse.
Ainsi, les communes disposent du droit de créer ou non un service de restauration scolaire. Néanmoins, une fois le service créé, elles ne devraient pas disposer d’un pouvoir souverain d’appréciation quant au droit d’y accéder. Si le service existe, il existe pour tous !
Dans le texte, la libre administration des communes et de leurs finances n’est absolument pas remise en cause, tout comme n’est pas remis en cause le droit de la commune à appliquer un règlement intérieur pouvant éventuellement comporter des motifs d’exclusion, à condition de se placer dans les limites fixées par la loi.
Nous devons nous placer sur le plan des valeurs républicaines de justice et d’égalité. Dans le prolongement de la loi de refondation de l’école sur laquelle nous avons beaucoup travaillé en juillet 2013 et dans laquelle nous avons tenu à affirmer que l’école doit être inclusive et bienveillante, il faut aujourd’hui permettre l’égalité d’accès à la restauration scolaire de tous les enfants qui le souhaitent, sans discrimination relative à la situation familiale.
Accepter qu’il en soit autrement reviendrait à donner un mauvais signal et à encourager les règlements qui limitent le droit, voire qui excluent certains enfants de la cantine dont ils ont tant besoin.
C’est pourquoi, à l’instar des députés, les sénateurs socialistes soutiennent cette proposition de loi, qui ne crée ni droit nouveau ni contrainte nouvelle pour les collectivités, mais qui rappelle simplement le droit existant en affirmant le principe d’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. François Fortassin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la cantine occupe une place très importante dans la vie des enfants. Un enfant sur deux y mange et un milliard de repas y sont servis chaque année.
Ces dernières années, des communes ont refusé le droit d’accès à la cantine à des enfants dont au moins l’un des parents ne travaillait pas. Lorsque ces décisions ont été prises par des mairies, la jurisprudence a été constante : il s’agit d’une illégalité. En 2009, le Conseil d’État a suspendu une délibération d’un conseil municipal en indiquant qu’elle « interdit illégalement l’accès au service public de la restauration scolaire à une partie des enfants scolarisés, en retenant au surplus un critère de discrimination sans rapport avec l’objet du service public en cause ».
Les maires qui prennent ces décisions nous disent le manque de place dans les restaurants scolaires, mais aussi l’insuffisance de moyens financiers des collectivités, et cela va s’aggravant. D’où l’importance de l’article 2.
Malgré la jurisprudence, l’absence de loi laisse dans le doute. Pour Serge Slama, maître de conférences en droit public, « le critère de l’activité professionnelle ne peut justifier un refus d’accès à la cantine ». Cependant, il considère que, dans un contexte de pénurie budgétaire, la cantine étant un service public facultatif, il n’est pas exclu que, un jour, le juge administratif admette la légalité d’un système de priorité ou de tarifs différenciés.
En 2003, un rapport du Défenseur des droits recommandait que « le service public de la restauration scolaire soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent ». Nous ne pouvons pas nous contenter d’une justice par référé, car, là aussi, il y a inégalité d’accès pour certaines familles.
Le présent texte comblerait ce vide juridique. Pour le groupe écologiste, cette proposition de loi est un message universel qui va dans le bon sens, parce qu’il n’est pas possible de mettre de côté certains enfants, souvent les plus démunis.
Jacques-Bernard Magner nous citait l’un des cas d’exclusion, à savoir lorsque la mère est en congé de maternité. Sachez, mes chers collègues, que pour certaines femmes, ce congé ne commence que quelques heures avant l’accouchement : cela ne va pas être confortable d’accueillir les autres enfants pour leur faire la cuisine à la maison… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Franchement, c’est n’importe quoi !
Mme Marie-Christine Blandin. Cela nous montre bien que les cas d’exclusion sont mal choisis !
Cependant, nous ne pouvons pas nier la réalité, en particulier dans les communes dites « pauvres », qui ne peuvent pas toujours faire face à une hausse des effectifs et des demandes d’accès au service de restauration scolaire. Bien souvent, la règle du « premier arrivé, premier inscrit », c'est-à-dire du premier informé, s’applique.
On sait également que des enfants qui sont exclus de la cantine scolaire peuvent revenir le ventre vide l’après-midi. Il s’agit là d’un véritable enjeu de santé publique, d’égalité sociale et d’humanité. Le lien entre la qualité de l’alimentation à domicile et la catégorie socioprofessionnelle des parents ne peut être nié.
Cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, la restauration doit être un moment d’éducation : éducation aux besoins nutritionnels, à la diversité, au civisme, à la réduction du gaspillage alimentaire, au tri ou tout simplement au partage d’un repas. C'est là que l’on découvre le goût de la cuisine qui n’est pas celle de ses parents. C'est là qu’on s’initie aux goûts des autres.
Chers collègues, à vous qui plaidez la cause des maires dépourvus de moyens, j'annonce que j’ai une mauvaise nouvelle : il faut prévoir une petite dépense supplémentaire pour ouvrir et débloquer les robinets. Car quand on mange à la cantine, il faut se laver les dents ensuite ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Allez annoncer tout cela aux maires !
Mme Marie-Christine Blandin. Chers collègues, je vois que vous désapprouvez mes propos, mais c'est une recommandation de la Fédération des associations de santé, qui déplore que des enfants passent la journée sans se laver les dents parce que des communes ont verrouillé les robinets ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Nous pouvons nous féliciter que l'Assemblée nationale ait modifié la rédaction du texte pour favoriser l’accès des enfants en situation de handicap. En revanche, les écologistes attendent que cette loi s’applique, qu’elle ne soit pas une simple déclaration. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guy-Dominique Kennel. Il n’en prend pas le chemin !
Mme Marie-Christine Blandin. En ces temps troublés, nos concitoyens ont plus que jamais besoin d’avoir confiance en la parole publique. Aussi est-il nécessaire qu’un vote, aujourd'hui, change vraiment le quotidien, demain.
Nous le savons, l’adoption de cette proposition de loi représentera un coût. Cependant cette contrainte financière ne doit pas nous bloquer. Madame la ministre, vous indiquiez lors du débat devant l’Assemblée nationale ne pas disposer de toutes les données sur les incidences de la mesure et vous vous étiez engagée à faire un travail entre les deux lectures afin de prévoir d’éventuels ajustements. Toutefois, le soutien que vous avez exprimé dans votre propos introductif nous rassure.
Après réflexion, considérant que l’école doit être le lieu de l’inclusion et de l’égalité des chances et que le temps du repas est un moment privilégié, les sénatrices et sénateurs du groupe écologiste sont prêts à soutenir cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel.
M. Guy-Dominique Kennel. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur une proposition de loi visant à instaurer un droit d’accès à la cantine scolaire pour tous les enfants scolarisés dans les écoles maternelles et primaires.
Le texte part d’une intention généreuse : bien évidemment, il est louable que chaque élève ait le droit d’accéder à la restauration scolaire. Nous sommes, je pense, tous d’accord sur ce point. Néanmoins, permettez-moi de m’appuyer sur l’examen de ce texte pour élargir le propos en m’interrogeant sur l’utilité de légiférer sur tout et rien, et s’en plaindre ensuite sur le terrain. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
En effet, dans cette proposition de loi, l’intention de départ, certes généreuse, peut se transformer en d’insurmontables contraintes.
La déferlante des textes nouveaux – accessibilité, encadrement, rythmes scolaires, nouveaux manuels… – étouffe littéralement les élus locaux. Là où il devrait y avoir de la confiance, il y a de l’oppression. Nous représentons les élus de terrain qui gèrent au mieux et au quotidien leurs compétences pour construire une offre de service public répondant, quasiment, au cas par cas. J’aimerais que nous soyons tous vigilants sur ce point et que l’on fasse davantage confiance aux élus de proximité, sans légiférer systématiquement.
Plus précisément, sur le contenu du texte, je souhaite pointer plusieurs conséquences induites. Toutefois, au préalable, je tiens à féliciter notre rapporteur de son excellent travail et à le remercier de l’éclairage qu’il a apporté sur cette question.
En premier lieu, le texte instaure une ambiguïté notable entre, d’une part, le droit d’accès à la restauration scolaire pour tous les enfants scolarisés en maternelle et en primaire, et, d’autre part, l’obligation de fait liée à la création de ce nouveau droit par la loi.
Je tiens à rappeler que, contrairement au collège et au lycée, qui relèvent respectivement du département et de la région, la restauration scolaire en école primaire et maternelle revêt un caractère facultatif de service public. Cela permet aux communes d’être entièrement libres de créer un tel service et de l’être tout autant pour ce qui concerne son organisation, dans le respect, bien entendu, des intérêts de chacun et des principes fixés par la loi et par la jurisprudence.
D’ailleurs, en application du principe de mutabilité du service public, une commune peut aussi mettre fin à ce service ou bien choisir d’en restreindre l’accès, pourvu que les critères retenus ne portent pas atteinte au principe d’égal accès au service. De même, les communes sont libres d’exiger une participation financière des usagers, qui peut être modulée en fonction du revenu de la famille, pourvu bien sûr qu’elle n’excède pas le montant du coût par usager supporté par l’autorité organisatrice.
Je précise que, s’il est mis en œuvre, le service de restauration scolaire est astreint au respect des grands principes du service public, notamment celui d’égalité, cher à notre collègue Jacques-Bernard Magner, ainsi qu’au respect des dispositions législatives et réglementaires qui y ont trait.
En ce qui concerne l’égalité, cela signifie que les usagers ne peuvent faire l’objet d’une différence de traitement pour un même service rendu que s’il existe entre ces usagers des différences de situation appréciables, objectives et proportionnées ou si cette différence de traitement est justifiée par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet du service. La jurisprudence administrative sur ce point est claire et constante, mes chers collègues. La pertinence juridique de cette proposition de loi est donc largement remise en cause.
En second lieu, le texte crée une discrimination – oui, une discrimination ! – supplémentaire. En effet, puisque le service public de la restauration scolaire est toujours facultatif, le droit d’accès ne pourra être opposé aux communes qui n’offrent pas ce service. En revanche, l’instauration d’un droit général à l’inscription en cantine, tel qu’il est proposé par cette proposition de loi, aura pour effet d’imposer aux communes dont les cantines ne sont pas aujourd’hui en mesure d’accueillir l’ensemble des enfants de procéder sans délai aux aménagements et aux réorganisations nécessaires.
M. Jacques Grosperrin. Tout à fait !
M. Guy-Dominique Kennel. Ainsi, aucune obligation supplémentaire ne pèserait sur les communes n’offrant pas de service de restauration scolaire, tandis que celles qui ont fait le choix d’offrir ce service, déjà astreintes au respect de nombreuses normes d’hygiène et d’encadrement, seraient, quant à elles, contraintes d’effectuer de lourds investissements. C’est tout bonnement inadmissible et absurde.
En troisième lieu, enfin, les incidences financières d’un tel droit sont peu encadrées et elles reposent sur une perception peu clairvoyante du concours financier de l’État – concours qui ne serait d’ailleurs pas possible, selon Mme la ministre.
La création d’un droit d’accès à la restauration scolaire s’accommode donc mal du maintien du caractère facultatif de cette compétence. Ce n’est pas envisageable dans le contexte actuel, car la prise en charge financière à l’euro près par l’État serait nécessaire, mais faire de la restauration scolaire un service public local à caractère obligatoire apparaîtrait plus cohérent que le dispositif de la présente proposition de loi. Néanmoins, je le répète, ce n’est bien évidemment pas envisageable pour l’heure.
Par ailleurs, l’article 2 de la proposition de loi précise que les charges qui pourraient résulter de l’application de la loi seraient compensées par l’État via une majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement et, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits relatifs au tabac ; mais cela va à l’encontre de tout sens commun ! Nous ne pouvons assommer les consommateurs de taxes supplémentaires et répercuter systématiquement toute augmentation des dépenses sur la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. Jacques-Bernard Magner. On fait payer les fumeurs !
M. Guy-Dominique Kennel. Par ailleurs, la majoration de la dotation globale de fonctionnement pour compenser la charge nouvelle serait douteuse ; il s'agirait même d’une moquerie à l’égard des communes qui subissent déjà une forte diminution de cette dotation et connaissent l’impossibilité des services de l’État à intégrer ce paramètre.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Guy-Dominique Kennel. Bref, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est louable, mais il ne faut pas légiférer quand ce n’est pas indispensable. Nous devons faire confiance aux élus locaux !
Vous avez ainsi pu avoir, mes chers collègues, un aperçu de toutes les conséquences négatives potentielles de ce texte, qui d’ailleurs ne vise dans les faits que quelques cas – aucun chiffrage réel n’a été donné. Par ailleurs, s’il y a une discrimination, une réponse juridique existe déjà au travers de la justice administrative et constitutionnelle.
M. Jacques-Bernard Magner. Certes, mais il faut aller devant le juge !
M. Guy-Dominique Kennel. Aussi, parce que j’ai confiance dans le bon sens des élus locaux que nous représentons,…
M. Charles Revet. Il faut avoir confiance !
M. Guy-Dominique Kennel. … et parce que j’ai confiance dans leur savoir-faire et dans la qualité de leur réponse à leurs concitoyens, je voterai, ainsi que les autres membres du groupe Les Républicains, contre cette proposition de loi.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Guy-Dominique Kennel. Je préfère en effet privilégier la liberté et l’autonomie d’action et d’appréciation des communes, notamment quant à leur capacité d’offrir l’accès à la restauration scolaire, pour que les élèves et les parents soient satisfaits là où la demande existe réellement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme Michelle Meunier. Il faudra donc investir dans la justice administrative !
(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire. Son adoption obligerait les communes qui ont créé des services de restauration scolaire à satisfaire toutes les demandes d’inscription. Les charges induites pour elles seraient compensées par la majoration de la dotation globale de fonctionnement.
Si le principe de libre administration des collectivités territoriales donne au maire toute liberté de créer un service public à caractère facultatif, comme celui de la restauration scolaire, il ne lui donne pas, une fois ce service créé, un pouvoir d’appréciation quant au droit d’y accéder.
Le service de restauration scolaire est donc soumis au principe de non-discrimination dans l’accès au service public. La jurisprudence administrative à ce sujet est claire et censure déjà les critères régissant l’accès au service de la restauration scolaire lorsqu’il s’agit de la situation professionnelle ou de la disponibilité des parents, de l’âge des enfants ou du lieu de résidence de la famille.
M. Jacques-Bernard Magner. Certes, mais c’est vrai seulement si l’on va devant un juge !
Mme Chantal Deseyne. De ce fait, la capacité d’accueil des cantines ou le manque de personnel d’encadrement sont les seules conditions susceptibles de restreindre l’accès à la restauration scolaire. Quelle est donc l’utilité de cette proposition de loi quand on sait que les critères de discrimination liés à la situation professionnelle des parents sont d’ores et déjà systématiquement censurés par le juge ?
Je rappelle en outre que les communes, tant urbaines que rurales, sont très attachées au développement et à la qualité du service de la restauration scolaire. En effet, plus de 80 % des communes dotées d’écoles publiques ont mis en place au moins une cantine scolaire. Ainsi, plus de 400 millions de repas sont servis chaque année dans les écoles.
Les communes sont soumises à des règles strictes en matière d’hygiène et de sécurité des locaux. Les municipalités qui ont choisi de se doter d’une cantine doivent déployer d’importants moyens financiers pour faire face à la demande, éventuellement en mettant en place un double service ou en agrandissant les locaux.
L’adoption de cette proposition de loi entraînerait la généralisation de ce service et obligerait les communes qui ont créé des cantines à satisfaire toutes les demandes d’inscription. Or la bonne volonté a ses limites, car les maires se heurtent parfois à des difficultés matérielles et budgétaires, qui les empêchent d’accueillir tous les enfants à la cantine.
Cette nouvelle obligation imposerait aux municipalités dont les cantines scolaires sont déjà saturées de procéder à des travaux d’agrandissement de leurs locaux et au recrutement du personnel nécessaire. La généralisation de l’accès à la restauration scolaire pourrait aussi freiner les communes souhaitant proposer un service de restauration scolaire, mais qu’inquiéterait l’idée de devoir faire face à un nombre très important d’inscriptions, désormais obligatoires.
Par conséquent, quid des communes qui, face à l’augmentation du nombre d’enfants inscrits, échoueraient à dégager la marge financière nécessaire aux travaux d’agrandissement et aux recrutements ? Où trouveraient-elles l’argent pour ces agrandissements et ces recrutements supplémentaires ? La création de ce droit à la cantine suppose des moyens financiers importants, que le contexte économique ne permet pas.
Si le Gouvernement veut créer un droit, il doit auparavant en évaluer le coût ! Il serait irresponsable de créer un nouveau droit sans prévoir les moyens budgétaires pour le rendre effectif. La réforme des rythmes scolaires impose déjà aux communes des efforts financiers importants.
Je préfère, pour ma part, faire confiance aux élus locaux afin qu’ils proposent aux familles les meilleures solutions pour que leurs enfants accèdent la restauration scolaire dans la limite des places disponibles, plutôt que d’imposer aux communes une contrainte supplémentaire.
M. Jacques-Bernard Magner. Mais nous n’imposons rien !
Mme Chantal Deseyne. D’ailleurs, généralement, les maires le font très bien.
L’article 2 de la proposition de loi précise que l’État est censé prendre en charge l’augmentation des dépenses induites par la généralisation du droit d’inscription dans les cantines scolaires. Toutefois, mes chers collègues, pensez-vous réellement que l’État compensera ces charges supplémentaires ?
M. Jacques-Bernard Magner. C’est le contribuable qui le fera !
Mme Chantal Deseyne. Nous aurions souhaité que le Gouvernement s’engage de façon précise, donc chiffrée, sur la manière dont il compensera cette nouvelle charge financière imposée aux communes.
En conclusion, en ce qui concerne le principe, je ne saisis pas la pertinence de cette proposition de loi, dans la mesure où les rares et inacceptables discriminations à l’accès à la cantine sont déjà censurées par une jurisprudence claire et constante.
M. Claude Kern. Tout à fait !
Mme Chantal Deseyne. En outre, du point de vue financier, ce texte va entraîner des contraintes insurmontables pour les mairies, qui se plaignent déjà du poids des charges et du manque de moyens financiers. C’est pourquoi, madame la ministre, je rejoins la position du rapporteur : je ne voterai pas cette proposition de loi, qui crée une obligation supplémentaire inutile au regard de la jurisprudence.
Comment croire en effet à la compensation de l’État dans le contexte de la baisse de la dotation globale de fonctionnement ? De votre aveu même, madame la ministre, l’impact financier n’a pas été suffisamment évalué. Ce sont donc les communes et, au travers des impôts locaux, nos concitoyens qui supporteront le coût de cette mesure.
M. Ladislas Poniatowski. Comme d’habitude !
Mme Chantal Deseyne. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais essayer de parler un peu plus des enfants.
Mme Michelle Meunier. Oui, cela changera ! Et c’est tout de même le sujet !
M. Yannick Vaugrenard. En France – ce chiffre est maintenant connu –, quelque 8,6 millions de nos concitoyens, soit 14 % de notre population, vivent sous le seuil de pauvreté. Entre 2008 et 2012, selon le rapport publié en juin 2015 par le Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’UNICEF, 440 000 enfants supplémentaires ont plongé, avec leur famille, sous ce seuil.
M. Charles Revet. Quel constat !
M. Yannick Vaugrenard. La permanence d’un horizon précaire est malheureusement une constante, qui concerne désormais dans notre pays plus de 3 millions d’enfants – le chiffre a été rappelé précédemment –, soit un enfant sur cinq, et même un sur deux dans les zones urbaines sensibles.
Pour ces enfants très démunis, le seul véritable repas de la journée est souvent le repas de la cantine scolaire. En mai 2015, dans un rapport sur la grande pauvreté et la réussite scolaire, M. Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire, indiquait que les enseignants étaient confrontés à des enfants qui « ont faim et [qui] l’expriment spontanément ». Le personnel des établissements qu’il a visités évoque ceux qui prennent du pain le vendredi à la cantine pour avoir des réserves le week-end.
Mes chers collègues, cette cruelle réalité ne peut laisser aucun d’entre nous indifférent ; en tout cas, je l’espère, même si parfois j’ai des doutes… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Louis Carrère. Ça les fait rire !
M. Jacques Grosperrin. Faisons confiance aux maires !
M. Michel Raison. Les maires en ont assez !
M. Yannick Vaugrenard. Je citerai l’exemple concret d’un établissement de Grenoble, où des mesures spécifiques ont été prises. Des repas copieux avec féculents sont servis le lundi, car beaucoup d’élèves ne prennent pas de repas structurés le week-end. Aussi, les rations servies le lundi sont importantes, et il n’y a guère de restes.
Mes chers collègues, quelle que soit votre appartenance politique, vous conviendrez avec moi que l’état des lieux est accablant. Malgré cela, l’actualité a été émaillée ces dernières années de récits de communes ayant refusé le droit d’accès aux cantines scolaires à des élèves sous prétexte que l’un des parents n’exerçait pas ou plus d’activité professionnelle. Or, avec la forte poussée du nombre de demandeurs d’emploi, le problème est malheureusement devenu d’une importance croissante.
De plus, le refus d’accès à la cantine discrimine les enfants et leur famille, car il peut mettre en évidence leurs difficultés matérielles et noircir ainsi le regard qui est porté sur elles.
Le temps de restauration scolaire, au-delà de l’atout qu’il représente pour la santé, peut par ailleurs être considéré comme un temps éducatif important dans la vie des élèves.
Fréquemment, les communes qui n’accueillent pas les enfants de chômeurs invoquent la prétendue disponibilité de ces derniers. Toutefois, la recherche d’un emploi implique un investissement en temps, et les chômeurs ont une obligation de disponibilité dans la recherche d’un travail, obligation qui conditionne leur inscription ou leur maintien sur les fichiers de Pôle emploi.
Après avoir abordé l’aspect humain, qui me semble déterminant, j’en viens à l’aspect plus juridique.
D’une part, la restauration scolaire n’est bien sûr pas une compétence obligatoire des communes, mais, quand celles-ci en ont décidé la création, il s’agit alors d’un service public annexe au service public de l’enseignement. Dès lors, la restauration scolaire est soumise au principe d’égalité auquel le Conseil constitutionnel reconnaît, depuis 2013, une valeur constitutionnelle et qui impose l’égalité des usagers devant le service public.
D’autre part, la jurisprudence administrative est constante sur ce sujet.
Ainsi, le 13 novembre 1993, le tribunal administratif de Versailles a jugé que « l’accès des élèves à la cantine scolaire ou leur maintien au sein de ce service ne peut être subordonné à la production par les parents de documents qui ne sont pas nécessaires à la bonne marche du service » – en l’occurrence une attestation de travail de l’employeur – et que « l’exigence d’un tel document instaure, pour l’accès à la cantine scolaire, une discrimination entre les élèves suivant que leurs parents ont un emploi salarié ou non […] et porte ainsi atteinte au principe d’égalité entre les usagers du service public ». La même position a été adoptée par le tribunal administratif de Marseille le 25 novembre 1995.
Le Conseil d’État a quant à lui confirmé cette jurisprudence le 23 octobre 2009. Dans le même sens, le Défenseur des droits de l’époque, Dominique Baudis, rappelait en 2013 l’interdiction de discrimination dans l’accès à la restauration scolaire, une opinion aujourd'hui partagée par le nouveau Défenseur des droits, Jacques Toubon. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Or, malgré ces positions et cette jurisprudence, des atteintes au principe d’égalité des usagers se manifestent périodiquement dans plusieurs de nos communes. Au-delà du droit, mais en se reposant néanmoins sur lui afin d’éviter des situations humaines douloureuses et parfois humiliantes pour les enfants, il importe donc d’inscrire dans la loi le principe posé clairement par le juge, afin d’en assurer le caractère obligatoire.
L’objet de la présente proposition de loi est donc de compléter le chapitre Ier du titre III du code de l’éducation, intitulé, je le rappelle, « L’obligation scolaire, la gratuité et l’accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires », par un article instaurant un droit d’accès à la restauration scolaire, afin que tous les enfants scolarisés, sans distinction, bénéficient de ce service, bien sûr lorsqu’il existe.
La présente proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale par Roger-Gérard Schwartzenberg. Elle a été adoptée, je le précise, sans aucun vote contre, le 12 mars 2015.
M. Jacques-Bernard Magner. C’est vrai !
M. Yannick Vaugrenard. Notre démarche s’inscrit dans le même sens que celle de notre collègue de l’Assemblée nationale, mais aussi dans le prolongement, si je puis me permettre de le citer, de mon rapport sur la pauvreté paru en février 2014, afin qu’aucune discrimination ne soit établie entre les élèves à l’école et que les plus défavorisés ne soient pas stigmatisés et n’aient pas à subir en quelque sorte une double peine, celle d’être à la fois pauvre et stigmatisés ou discriminés.
Mes chers collègues, « lorsqu’il y a une injustice quelque part, elle nous concerne tous », disait avec beaucoup de justesse Martin Luther King. C’est encore plus vrai quand il s’agit d’enfants.
Cette injustice vécue et subie par les enfants et les familles en difficulté, je souhaite que nous la supprimions au nom de valeurs qui, je l’espère vivement, ne peuvent que nous rassembler, celles de la nécessaire égalité et de l’indispensable fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos contributions à ce débat : je n’ajouterai que quelques précisions.
Tout d’abord, il a été dit que la restauration scolaire devait être prise en compte dans le calcul de la DGF. Je veux rappeler que, dans la réforme de cette dotation que nous avons proposée et qui, malheureusement, a été retardée, l’un des nouveaux critères, en sus de la ruralité et de la centralité, est justement le nombre d’enfants scolarisés dans la commune. En effet, la scolarisation des enfants venant d’autres communes, parfois éloignées, entraîne des dépenses. Il me paraît donc important de rappeler que le nombre d’enfants scolarisés dans la commune entre en jeu dans le futur calcul de la DGF.
Ensuite, l’argument selon lequel la situation ne serait pas très grave parce qu’une jurisprudence existe et qu’elle sera appliquée a été utilisé à plusieurs reprises. Je précise que nous avons nous aussi hésité lorsque la proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale, mais deux éléments vont à l’encontre de cet argument.
Premier point, toutes les catégories de familles n’estent pas en justice.
Mme Corinne Bouchoux. Exactement !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. L’ancienne garde des sceaux que je suis en parlait à un autre ancien garde des sceaux, qui le confirmait : si l’on examine la sociologie des recours, on constate qu’ils sont essentiellement formés par des personnes plutôt favorisées.
Mme Corinne Bouchoux. Bien sûr !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est une réalité qu’il faut que nous ayons en tête pour éviter que, au rejet de la cantine, ne s’ajoute pour l’enfant une autre indignité, qui découlerait de l’impossibilité pour ses parents de se faire appliquer une jurisprudence – jurisprudence dont, qui plus est, ceux-ci n’ont souvent pas connaissance.
Dans notre société, en effet, les associations de parents d’élèves – quel que soit leur type, toutes en font le constat – sont malheureusement de moins en moins fréquentées depuis trente ans par les familles en grande difficulté ; de sorte que ces dernières ne sont ni informées ni soutenues comme elles pourraient l’être par les associations, qui n’ont pas connaissance de leur situation.
Second point, et je me permettrai d’adresser un sourire, bien que la question soit grave, à ceux qui estiment qu’il faut supprimer des fonctionnaires, est-ce bien la peine d’expédier des dossiers qui seront gagnés à tout coup aux tribunaux administratifs, alors que l’on pourrait régler le problème une fois pour toutes en inscrivant le principe dans la loi ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Si l’on veut une simplification du droit, on n’en appelle pas constamment à la jurisprudence. On le fait seulement quand on n’est pas certain des fondements d’une position, quelle qu’en soit la nature. En l’espèce, la jurisprudence nous permet de construire le droit, parce que, vous l’avez tous dit, elle est claire. Aussi, autant gagner du temps et inscrire dans la loi l’obligation d’accueil dans les cantines, qui n’est pas, j’y insiste, une obligation de création de service…
M. Jacques-Bernard Magner. Exactement !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … et qui n’impose pas non plus de déterminer des quotients familiaux ou fiscaux pour fixer les tarifs. Ces aspects relèvent des politiques publiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous en appelez à la confiance qui doit être faite aux élus. Eh bien, les élus savent quand et à quelles conditions il faut établir des tarifs différents. Ils en discutent. C’est un débat public, ouvert et de surcroît généralement largement relayé par la presse quotidienne régionale.
Les élus disposent d’une grande marge de manœuvre pour déterminer les tarifs ou décider la gratuité en fonction d’éléments objectifs. M. Gaudin a ainsi mené à Marseille une politique visant à développer l’accès à la cantine dans les quartiers nord par le biais d’un demi-tarif ou de la gratuité.
M. Jacques Grosperrin. Marseille est une grande ville !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Toutefois, ces questions sont de la responsabilité de nos élus, et il faut effectivement leur faire confiance pour y répondre.
Pour ma part, je considère que, puisque l’on s’abrite derrière la jurisprudence, mieux vaut la loi : cela évitera à nos tribunaux administratifs d’avoir à passer des heures et des heures à traiter de très nombreux dossiers dépourvus de sens.
J’en appelle aussi à quelque chose qui, je le reconnais volontiers, ne relève pas du droit. Est-ce que l’enfant doit porter sa famille ? Non. Est-ce que sa famille doit porter l’enfant ? Oui. Est-ce toujours possible ? Sûrement pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi transmise.
proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire
Article 1er
Le chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de l’éducation est complété par un article L. 131-13 ainsi rédigé :
« Art. L. 131-13. – L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille. »
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l'article.
Mme Dominique Gillot. Mes chers collègues, il faut voter cet article et inscrire dans la loi la non-discrimination à la cantine dans les écoles primaires.
La majorité des maires, conscients de leurs responsabilités et soucieux de l’intérêt général, ont à cœur d’organiser les services d’accueil propices à l’éducation et à la réussite des enfants. Dans de très nombreuses communes, cette responsabilité a conduit à l’édification d’une cantine et à la mise en place d’un service public de restauration scolaire. Il n’est pas tolérable que l’accès à celle-ci puisse être conditionné par la situation de l’enfant ou par celle de ses parents, selon qu’ils travaillent ou ne travaillent pas, ou par des coûts inaccessibles aux bas revenus.
Le Défenseur des droits, dans son rapport de mars 2013, rappelle ce principe d’égal accès au service de restauration scolaire ; son avis est directement transcrit dans cette proposition de loi. Lors d’une rencontre avec le bureau de la commission de la culture, il a même considéré que celle-ci avait vocation à la reprendre en son nom.
Les enfants qui ont des besoins spécifiques, que ce soit du fait d’une intolérance alimentaire ou d’un type de handicap, ne doivent pas non plus être touchés par les restrictions d’accès. S’il n’est pas question de minimiser les difficultés liées à la prise en charge de ces spécificités, aucune d’entre elles n’est insurmontable au regard des outils à disposition.
La Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapée, la CDAPH, peut décider la prise en charge par l’État d’un auxiliaire de vie scolaire quand c’est nécessaire pour assurer l’accès aux activités périscolaires. Le projet d’accueil individualisé, qui associe la famille, les professionnels éducatifs et de santé, et la commune, permet la meilleure prise en compte des pathologies, allergies et insuffisances alimentaires de l’enfant.
Les témoignages recueillis par le Défenseur des droits et leur analyse montrent en fait que, en 2012, très peu de communes limitent l’inscription à la cantine.
La petite musique sur l’inutilité d’inscrire la non-discrimination à la cantine dans la loi ne laisse pas de nous inquiéter ! La baisse des dotations de plus en plus régulièrement invoquée par les élus locaux, qui se disent obligés d’« économiser »,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est malheureusement la vérité !
Mme Dominique Gillot. … ne doit pas entraîner une généralisation du phénomène, pas plus que les questions relatives à l’insuffisance des locaux ou au manque de temps pour organiser deux services, qui devraient juste relever de recommandations de bonnes pratiques de l’Union des maires.
La cantine scolaire est un lieu important de la socialisation des enfants, où se construit la relation à l’autre, s’expriment les différences, se construit une culture éducative commune : se tenir à table, goûter à tout, ne pas gaspiller, manger proprement, discuter tranquillement, aider à débarrasser.
M. Jacques Grosperrin. Ce n’est pas le rôle premier de l’école !
Mme Dominique Gillot. Même avec l’argument, avancé par certains, qu’une circulaire suffirait, voter contre ce texte ne serait pas seulement admettre la remise en cause de l’égal accès à un service public. Ce serait accepter de stigmatiser (Encore ! sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Jacques Grosperrin. Ah, les droits de l’Homme !
Mme Dominique Gillot. … des enfants qui connaissent déjà des difficultés, les mettre à l’écart et les priver d’un temps éducatif partagé, pourtant profitable à tous les enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Éric Doligé. Démagogie !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Le groupe socialiste et républicain a souhaité reprendre la présente proposition de loi, parce qu’il en partage le fond et l’analyse.
Ce texte part d’un vrai constat : dans de nombreuses mairies, les enfants dont au moins un des parents est au chômage se voient parfois dénier le droit d’accès à la cantine au motif que leurs parents peuvent prendre en charge la restauration de midi. Cette situation me semble problématique à plus d’un titre.
En premier lieu, elle revient à stigmatiser les enfants concernés. Alors que l’école est chargée d’intégrer et de constituer une manifestation du vivre ensemble, voilà qu’on lui fait jouer un rôle d’exclusion. L’école est porteuse de nos valeurs ; elle doit leur donner une traduction, notamment l’égalité et la fraternité.
L’égal accès aux droits est de notre responsabilité. La fraternité se construit aussi au travers des repas pris en commun, qui socialisent les enfants.
En second lieu, priver les enfants d’un repas en commun au motif de la situation personnelle de la famille me semble discriminatoire. Il est interdit de pratiquer une sélection des enfants pouvant prendre un repas à la cantine sous quelque critère que ce soit ! La jurisprudence du Conseil d’État est constante sur ce point : elle considère qu’il s’agit d’une inégalité. Dès lors, je suis étonnée par les arguments « d’évitement » que j’ai entendus.
Enfin, les familles dont au moins un membre est au chômage sont en situation de difficulté, voire de précarité. Dans ces conditions, comment peut-on envisager de les priver d’un service plus que nécessaire ? Pour beaucoup d’enfants en situation d’extrême pauvreté, le repas du midi, comme cela a été reconnu par les sénateurs de toutes les sensibilités, est souvent l’unique repas équilibré de la journée. Il faut le rappeler encore et toujours !
Je ne puis concevoir que l’école ajoute une difficulté à celles, déjà importantes, que rencontrent les familles précaires. Ce n’est ni son rôle ni le message qu’elle doit porter. Souvenons-nous que la France compte entre 4,5 et 8 millions de personnes pauvres, selon la définition adoptée. Un enfant sur cinq est pauvre ! (M. Alain Gournac s’exclame.)
Je rappelle que nous avons ajouté le critère de précarité dans le corpus des discriminations, brillamment défendu par Yannick Vaugrenard.
En conséquence, à l’instar de mes collègues du groupe socialiste et républicain, je ne peux qu’approuver cette proposition de loi, qui paraît respecter les droits des personnes précaires, l’égal accès et qui s’inscrit dans la lutte contre les discriminations de tous ordres que nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Manable, sur l'article.
M. Christian Manable. Je déplore que nos collègues de la droite sénatoriale – et non parlementaire, puisque les députés de droite ont voté unanimement cette proposition de loi – soient prêts à abandonner le principe constitutionnel d’égal accès au service public (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), préférant soutenir les pratiques discriminatoires illégales qui réservent l’accès à la cantine aux enfants dont les deux parents travaillent, écartant ainsi de la restauration scolaire les familles économiquement fragiles et sans emploi. (Mêmes mouvements.)
Ce faisant, ils renvoient les parents d’élèves devant les tribunaux pour faire valoir leur droit, quand ils en ont encore les moyens, d’ailleurs, comme Mme la ministre l’a dit voilà quelques instants. C’est oublier ce que plusieurs orateurs ont dit avant moi et que je tiens à répéter compte tenu de l’importance du sujet, à savoir qu’un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) et que, pour bon nombre d’enfants, le repas du midi à la cantine constitue le seul vrai repas de la journée.(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Charles Revet. Que fait le Gouvernement ?
M. Christian Manable. Le Défenseur des droits tout comme Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’éducation nationale, dans son rapport daté de mai 2015 et intitulé « Grande pauvreté et réussite scolaire » recommandent de « faire en sorte que la restauration scolaire devienne un droit sans aucune condition restrictive ».
Certes, l’école dispense les nourritures intellectuelles, mais les nourritures terrestres sont aussi nécessaires ! Il est difficile d’enseigner à un élève qui a le ventre vide.
M. Jacques Grosperrin. Qui paie ?
M. Christian Manable. J’y viens ! J’ajoute que, malgré une jurisprudence constante du juge administratif au cours de ces deux dernières décennies, les atteintes au principe d’égalité des usagers de la restauration scolaire se poursuivent année après année. C’est pourquoi il est du rôle du législateur d’inscrire clairement dans la loi les principes posés par le juge.
J’entends bien que, selon vous, la cantine représente un coût supplémentaire à la charge des communes. Pour ma part, je considère que c’est une question de choix politique ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Ainsi, dans le département de la Somme, où je suis élu, le maire d’une commune rurale de 1 200 habitants m’a encore dit récemment qu’il ferait moins de trottoirs et plus de cantines. (Mme Evelyne Yonnet applaudit. – Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Alain Gournac. Démagogie !
M. Christian Manable. Pour terminer, j’aimerais, mes chers collègues, que, bientôt, tous les élèves de France puissent entonner cette chanson de Carlos « Je préfère manger à la cantine avec les copains et les copines »,…
M. Claude Kern. Quelle référence !
M. Christian Manable. … lequel, je vous le rappelle, n’était autre que le fils de la pédopsychiatre Françoise Dolto. Celui-ci savait de quoi il parlait ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également. – Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jacques Mézard s’exclame également.)
M. le président. Je demande aux orateurs de respecter le temps de parole qui leur est imparti.
La parole est à M. Jean-Louis Carrère, sur l'article.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le rapporteur, je veux tout d'abord vous remercier de votre rapport. Vous avez le mérite de la constance et de la permanence.
Je n’en dirai pas de même de votre collègue rapporteur, qui ne nous a pas fait l’honneur de sa présence aujourd'hui… Pour avoir assisté à la présentation de son rapport en commission, je dois dire que j’ai trouvé ses péripéties un peu particulières !
Je veux m’adresser avec beaucoup de courtoisie à mes amis des groupes de la majorité sénatoriale.
Il me semble que le texte dont nous débattons requiert, de notre part, beaucoup d’humanité, de modération, de respect mutuel et d’écoute de l’autre. Au reste, la période l’exige tout particulièrement !
Aussi, il me paraît nécessaire de s’attarder quelque peu sur ce texte, qui place l’enfant au cœur de notre réflexion. Cette considération est la plus importante.
Pour ce qui concerne les chiffres, je ne suis pas capable de répondre à vos légitimes interrogations, qui sont aussi les miennes, d'ailleurs. J’ignore complètement combien d’enfants sont concernés. J’ai simplement entendu parler de 500 cas, sauf que, comme le disait très bien Mme la ministre, il ne s’agit là que des enfants dont les familles ont présenté un recours. Il doit donc y en avoir bien davantage.
Je veux tordre le cou aux croyances sur le coût de l’opération.
M. Jacques Grosperrin. C’est une question d’organisation !
M. Jean-Louis Carrère. Parmi vous on compte de nombreux élus locaux et, pour en avoir été moi-même un, je sais comment les choses sont gérées !
Le maire de la commune dans laquelle je vis, Hagetmau, qui est de la même formation politique que la vôtre, propose une cantine à un euro. Je soutiens son initiative.
Mes chers amis, à ériger le coût en barrière symbolique, on se trompe complètement et on oublie l’enfant. Croyez-vous vraiment que les électrices et les électeurs de votre commune, à qui vous aurez expliqué que vous avez accru l’impôt à due concurrence du surcoût que représente l’accueil de tous les enfants à la cantine, vous en tiendront grief ? Pour ma part, je ne le crois pas. Je crois même le contraire !
Je vous demande donc de soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, sur l'article.
Mme Françoise Gatel. Comme mon collègue qui vient de s’exprimer, j’en appelle à la modération dans nos interventions.
Cette proposition de loi est empreinte d’une générosité absolue, qu’aucun d’entre nous ne saurait contester.
Toutefois, la générosité affichée ne doit pas empêcher la réflexion.
Je le dis très simplement : le cadre juridique actuel permet déjà d’intervenir. Tout le monde semble oublier que c’est parce qu’un maire a refusé de laisser un enfant déjeuner à la cantine et parce que les parents d’élèves ou d’autres ont tout de suite saisi la presse que l’affaire a fait la une des journaux.
Je suis présidente d’une association départementale de maires qui regroupe les édiles de 353 communes. Je les ai tous interrogés et je n’ai trouvé aucun cas d’exclusion d’un enfant d’une cantine au prétexte que ses parents seraient demandeurs d’emploi !
M. Charles Revet. Exactement !
Mme Françoise Gatel. En outre, ce que vous soutenez aujourd'hui, madame la ministre, constitue vraiment, selon moi – je vous le dis avec beaucoup de calme et de gravité –, un acte de défiance à l’égard des élus locaux. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Françoise Gatel. Il y a parmi les élus locaux, comme dans toutes les professions, des personnes dépourvues de toute humanité. Mais, moi, je ne connais pas un maire de mon département qui laissera un seul enfant à la porte de la cantine ! (Même mouvement.)
M. Jacques Grosperrin. Bien sûr !
Mme Françoise Gatel. Ensuite, il est faux que le service restera facultatif. Le service deviendra obligatoire, parce qu’aucun parent n’acceptera, y compris dans les communes où n’existe pas de cantine, que son enfant ne puisse exercer son droit à la restauration scolaire. Il nous faudra aussi, en Bretagne, où 50 % des élèves sont scolarisés dans des écoles privées, assurer la restauration des enfants.
Arrêtez de culpabiliser les sénateurs qui siègent sur certaines des travées de cet hémicycle en les taxant d’égoïsme. Il est faux que nous ne mettons pas l’enfant au cœur de la problématique !
Au reste, on ne peut faire la loi en s’érigeant en moralisateur perpétuel. Je refuse d’être culpabilisée parce que je ne voterai pas ce texte !
Enfin, madame la ministre, ce texte est une nouvelle concrétisation du principe « toujours plus, toujours moins » qui s’applique à nos communes : toujours plus d’exigences de l’État et de charges obligatoires, toujours moins de libertés et de financements.
M. Charles Revet. Effectivement !
Mme Françoise Gatel. Pour conclure, si nous devons prendre en compte la misère des familles et notre devoir de solidarité, ce que nous faisons tous ici, il faudra que l’on m’explique pourquoi ce texte ne vise que les enfants scolarisés dans le primaire, et non les collégiens et les lycéens qui ne peuvent pas déjeuner à la cantine. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jacques-Bernard Magner proteste.)
M. Jacques Chiron. Parce que c’est obligatoire !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l'article.
M. Jean-François Longeot. J’ai bien entendu que, selon vous, un enfant sur cinq était pauvre. Mais j’ai bien écouté aussi le discours de M. Vaugrenard – voyez que je suis très attentif –, qui nous dessinait la perspective d’un avenir précaire.
Plutôt que de constater que nous sommes dans l’échec perpétuel, ne peut-on pas essayer de renverser la vapeur et de nous battre pour offrir à la jeunesse un avenir digne de ce nom ? (Mme Françoise Gatel applaudit.)
M. Claude Kern. Très bien !
M. Jean-François Longeot. Par ailleurs, je veux vous décrire comment les choses se passent dans la commune d’Ornans, dont je suis le maire : non seulement je ne fais pas appel à un traiteur privé, mais je privilégie le « circuit court », avec une cuisinière et du personnel sur place, et je peux vous dire que l’on n’a jamais vu un enfant qui n’a pas mangé à la cantine ! En outre, quand les parents n’ont pas les moyens de payer le repas, je peux vous dire que je fais tout mon possible pour que cela ne se sache pas. Je me souviens, en effet, d’une époque où le ticket de cantine était de couleur différente selon que les parents avaient ou non les moyens de l’acheter…
Je suis un peu surpris que l’on nous culpabilise et que l’on nous reproche de ne pas avoir pour priorité de mettre l’enfant au cœur du dispositif.
À vous qui êtes au pouvoir…
M. Jean-Louis Carrère. Au pouvoir ? Si peu !
M. Jean-François Longeot. … et qui dites vouloir mettre l’enfant au cœur du dispositif, je veux suggérer une idée très simple à mettre en place. Comme vous le savez, il y a des enfants qui, du fait des fermetures d’école en milieu rural, sont tributaires des horaires de ramassage scolaire, qui les obligent à se lever tôt le matin et à rentrer tard le soir. Est-ce que là, vous pouvez dire que vous avez placé l’enfant au cœur ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Aussi, je vous demande d’examiner la situation afin de rouvrir des écoles en milieu rural !
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, sur l'article.
M. Michel Raison. Madame la ministre, vous avez noté comme moi que la France était en grande difficulté et dans une certaine détresse.
Au soir des élections, lorsque l’on regarde la télévision, on entend toujours les mêmes personnes dire les mêmes choses. Nous avons entendu votre message, disent-ils, avant de reprendre le jargon habituel – les « valeurs », les « forces de progrès », que sais-je encore… Or, dès le lendemain, dans l’hémicycle, on continue de nous soumettre texte sur texte et, surtout, de ne pas faire confiance aux citoyens ni, du reste, aux élus des communes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Michel Raison. Mes chers collègues, la loi tue la loi ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) En outre, un texte n’a jamais remplacé la morale.
Nous examinerons, tout à l'heure, un texte relatif à l’agriculture. On peut faire toutes les lois que l’on veut, par exemple, sur les relations entre la grande distribution et les fournisseurs. Ces problèmes ne relèvent plus de la législation : ce sont des problèmes de morale !
Comme le maire d’Ornans, je vous invite à venir voir comment les choses se passent à Luxeuil-les-Bains :…
M. Jean-Louis Carrère. C’est où ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Michel Raison. … la cantine ne sert que des produits frais, la viande est tuée dans un abattoir de la commune et tous nos enfants ont à manger.
On se décarcasse tous afin de faire pour le mieux !
M. Jean-Louis Carrère. Même la viande ! (Sourires.)
M. Michel Raison. La pauvreté a largement augmenté ces dernières années, alors qu’on nous avait dit que tous les problèmes seraient réglés ! Et là est le fond de la question !
Si l’heure n’était pas si grave, je pourrais croire que ceux qui parlent de l’augmentation de la dotation – nous discuterons d’un amendement en ce sens lors de l’examen de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire – font de l’humour.
Ce n’est pas à nous, ici, de décider de ce que doivent faire les maires sur le plan financier. Ce choix leur revient ! En revanche, ce qu’ils ne décident pas, c’est de la baisse des dotations et des transferts de compétences sans les financements correspondants. Et là, ce sont eux qui souffrent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l’article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mes chers collègues, je crois qu’il nous faut demeurer sereins.
Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, derrière cette question, qui peut paraître secondaire au regard des enjeux financiers, se trouvent de véritables choix de société.
Il n’y a pas, d’un côté, des généreux et, de l’autre, ceux qui le seraient moins, des moralisateurs et ceux qui ne le sont pas ! (Si ! sur les travées du groupe Les Républicains.). Il n’y a que des gens qui font des choix politiques ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Et parmi ceux-ci, certains ont décidé, la semaine dernière, dans cet hémicycle, de diminuer l’impôt sur les grandes fortunes (Mme Sophie Primas s’exclame.) et d’abaisser encore le nombre de fonctionnaires (M. Mathieu Darnaud applaudit.) en supprimant notamment des postes d’enseignants ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Protestations et marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Alors oui, c’est une question de choix politiques et chacun fait les siens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, sur l'article.
M. Yannick Vaugrenard. Il me semble qu’une partie de nos débats ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.
Il est hors de question de montrer du doigt qui que ce soit. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. C’est pourtant ce que vous faites !
M. Yannick Vaugrenard. Nous venons d’entendre deux exemples de maires qui accueillent tous les enfants à la cantine, même lorsqu’un des deux parents est sans emploi. Je m’en félicite ! Bravo à eux ! Et c’est d’ailleurs le cas, la plupart du temps.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Yannick Vaugrenard. Mais – parce qu’il y a un « mais » sinon nous n’aurions pas déposé cette proposition de loi et celle-ci n’aurait pas été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale – certains maires, dans quelque 70 communes sur les 22 000 qui pratiquent la restauration scolaire, refusent que des enfants aillent à la cantine au prétexte que le papa ou la maman est sans emploi ! (Qu’ils saisissent la justice ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Il y a des outils juridiques !
M. Yannick Vaugrenard. Que répondez-vous à cela ?
M. Jacques Grosperrin. Que ces communes changent de maire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Et que faites-vous des enfants ?
Mme Françoise Gatel. Il y a une jurisprudence !
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler l’orateur !
M. Yannick Vaugrenard. Vous nous répondez qu’il y a une jurisprudence ! Voulez-vous une république des juges ? Voulez-vous que nous disparaissions pour ne plus avoir à discuter des projets et propositions de loi ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Au travers de ce texte, nous vous demandons simplement de confirmer une règle générale, déjà appliquée par tous, la plupart du temps. C’est le bon sens, le bon sens législatif, le bon sens humaniste, serai-je tenté de dire, et le bon sens politique, au sens noble du terme.
Je vous demande de bien réfléchir avant de voter. (Mme Corinne Bouchoux opine.) La Haute Assemblée est regardée. Indépendamment de nos opinions, j’ai le sentiment que nous traversons une période politique difficile, que nous aurons peut-être à assumer, les uns et les autres, à un moment donné, des responsabilités différentes.
M. Jacques Grosperrin. Ah oui !
M. Yannick Vaugrenard. Selon moi, notre pays est en danger démocratique. (M. Mathieu Darnaud s’exclame.)
C'est la raison pour laquelle les signes que nous donnons à ces hommes et à ces femmes, et en particulier aux enfants de ces familles défavorisées, doivent être des signes positifs pour leur avenir. Car ce qu’il y a de pire dans la pauvreté, c’est son caractère héréditaire ! C’est le malheureux constat que nous faisons.
Encore une fois, je vous demande de bien réfléchir. Cela a été dit tout à l’heure, mais je veux le reprendre à mon compte : le principe d’égalité doit l’emporter sur les réalités financières. Comme Martin Luther King, je crois profondément qu’une injustice commise quelque part nous concerne tous, que nous soyons de droite, du centre ou de gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l'article.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Non ! Personne n’a voté contre, ce n’est pas pareil !
M. Yannick Vaugrenard. Il n’y a pas eu de vote contre !
M. Martial Bourquin. Si aucun député n’a voté contre à l’Assemblée nationale, je pense que la Haute Assemblée, qui représente l’ensemble des élus, peut adopter cette proposition de loi de la même manière.
La plupart des élus ont de bonnes pratiques et accueillent tous les enfants. Mais il y a quelques exceptions (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) et c’est justement parce que ce sont des enfants qui en font les frais que nous devons nous pencher sur ces exceptions. (On ne fait pas une loi pour quelques exceptions ! sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Sur des questions comme celle-là, nous pouvons nous retrouver sans problème.
M. Claude Kern. Pas du tout !
M. Martial Bourquin. Voilà quelques instants, j’entendais notre collègue Jean-François Longeot affirmer qu’il serait bon que les enfants n’aient plus à prendre les transports scolaires et appeler à la création de classes dans toutes les communes rurales. Je suis tenté de lui dire : après en avoir supprimé des dizaines de milliers. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Cela fait deux ans que les rentrées des classes se passent quasiment sans problème. (Mme Patricia Schillinger applaudit. – M. Mathieu Darnaud proteste.) Plus de 40 000 postes ont été créés en deux ans dans l’éducation nationale ; il y en aura bientôt 60 000 ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. C’est faux, vous le savez bien !
M. Martial Bourquin. La suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux, c’est terminé ! On crée des postes dans l’éducation nationale, on crée des postes dans la gendarmerie, on crée des postes dans les commissariats de police, on crée des postes dans l’armée, là où des milliers de postes avaient été supprimés ! (Mme Françoise Gatel s’exclame.)
Mes chers collègues, faites attention avant de donner des leçons sur de telles questions. Retrouvons-nous, ensemble, pour voter ce texte de bon sens et, surtout, l’intérêt de l’enfant, car seul l’intérêt de l’enfant nous guide s’agissant de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l'article.
M. Michel Le Scouarnec. Je voudrais vous faire part de mon expérience particulière. Qui n’a jamais vu ce dont je vais vous parler n’imagine pas la façon dont les choses se passent.
Alors que j’étais directeur d’école dans un quartier populaire, je suis parti en classe de découverte avec trente élèves. Certains d’entre eux avaient l’habitude de manger à la cantine, d’autres pas. Et j’ai vu quelques-uns de ceux qui n’allaient pas à la cantine manger avec une avidité qui m’a surpris. Je ne me doutais pas que l’on pouvait être sous-alimenté à ce point dans certaines familles.
Devenu maire, j’ai mis en place un quotient familial de huit tarifs. Le nombre d’inscrits à la cantine a alors augmenté de 50 %. Je reconnais que les charges et les coûts ont aussi augmenté, mais là n’est pas la question.
Il faut l’avoir vécu pour comprendre que certains enfants ne mangent pas à leur faim chez eux. (M. Michel Raison s’exclame.) Et c’est fort de cette expérience que j’ai absolument voulu que tous les enfants aient au moins un repas convenable par jour, à l’école. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Kaltenbach, est ainsi libellé :
I. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les tarifs de la restauration scolaire au sein des écoles primaires ne peuvent excéder un prix plafond fixé chaque année par arrêté par le Gouvernement. L’augmentation de ces tarifs, d’une année sur l’autre, ne peut être supérieure au niveau de l’inflation. »
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
… – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
… – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Il s’agit d’un amendement d’appel sur les tarifs de la restauration scolaire.
Je sens que notre débat est passionné, mais je sens aussi qu’il ne viendrait à l’idée de personne, dans cet hémicycle, d’interdire l’accès à la cantine à un enfant dont l’un des parents est au chômage. (Mmes Françoise Gatel et Élisabeth Doineau applaudissent.)
Nous partageons tous les mêmes valeurs humanistes et personne, ni à droite ni à gauche, ne demanderait à un parent de garder son enfant au prétexte qu’il serait au chômage. Nous sommes tous d’accord.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Philippe Kaltenbach. Malheureusement, comme l’ont souligné plusieurs de mes collègues, il y a encore quelques cas,…
Mme Pascale Gruny. Combien ?
M. Philippe Kaltenbach. … quelques maires refusent l’accès de la cantine à des enfants dont les parents ne travaillent pas. La manière la plus efficace d’en finir est de voter un texte législatif, car la loi est là pour fixer des règles quand certains ne respectent pas le simple bon sens partagé par tous. Rendons service à ces quelques maires qui ont du mal à adhérer à ces principes républicains et humanistes en adoptant cette proposition de loi.
Je n’aurais pas déposé cet amendement si, dans mon département des Hauts-de-Seine, je n’avais pas constaté une dérive inquiétante des tarifs depuis quelques mois. Certaines communes ont augmenté de 30 % ou 40 % les tarifs des cantines et des activités périscolaires. Le repas est parfois facturé 7,70 euros, ce qui exclut de fait certaines familles de la restauration scolaire.
Je reconnais qu’il s’agit d’une nouvelle question. Auparavant, un décret fixait un maximum : l’évolution des tarifs de la cantine ne pouvait dépasser l’évolution des salaires, du coût de la vie et de l’énergie. Malheureusement, ce décret a été supprimé en 2006. S’il ne s’est rien passé pendant quelques années, certains profitent aujourd’hui de cette situation pour augmenter les tarifs de manière considérable.
J’ai donc déposé cet amendement d’appel pour attirer l’attention des élus ici présents, mais aussi du Gouvernement, sur la situation de ces quelques communes où les tarifs explosent, ce qui met en difficulté de nombreuses familles.
Le principe d’égalité, c’est bien évidemment l’égalité formelle, mais c’est aussi l’égalité réelle. Or on ne peut atteindre cette dernière qu’à travers l’application d’un tarif équilibré. Je ne suis pas un farouche partisan de l’encadrement des prix, mais lorsque quelques villes dérapent et imposent des tarifs excessifs qui écartent des familles, il faut tirer la sonnette d’alarme.
Essayons de trouver des solutions tous ensemble. Sur le principe de l’égal accès de tous à la cantine, nous sommes en effet d’accord. À nous de faire en sorte qu’il devienne une réalité dans les 36 000 communes de France. (MM. Christian Manable et Éric Jeansannetas ainsi que Mme Odette Herviaux applaudissent.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Comme vient de le rappeler M. Kaltenbach, cet amendement vise à fixer, par un arrêté du Gouvernement, un tarif maximal pour la restauration scolaire dans le premier degré dont l’évolution ne pourra être supérieure à l’inflation.
Or, comme chacun le sait, les tarifs de la restauration scolaire dans l’enseignement public sont fixés par la collectivité locale ayant la charge de ce service, en application de l’article R. 531–52 du code de l’éducation.
De plus, l’article R. 531–53 du même code précise que ce tarif ne saurait excéder le coût de revient de l’exploitation du service.
Dans la pratique, la quasi-totalité des communes met en œuvre une modulation sociale des tarifs. La ville de Paris, par exemple, a dix tranches tarifaires selon le quotient familial des parents échelonnées entre 7 euros et 13 centimes d’euro par repas.
Dans l’enseignement privé, également concerné par cet amendement, la fixation du tarif est libre, puisque le service n’est pas subventionné.
Si des hausses ont été observées, elles sont en grande partie imputables à l’effet de ciseaux auquel sont confrontées les communes du fait de la baisse des dotations de l’État et des coûts induits par la réforme des rythmes scolaires.
En ce qu’il porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, cet amendement ne me paraît pas pertinent. Aussi, je demande à son auteur de bien vouloir le retirer ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
Mme Élisabeth Doineau. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je souhaiterais tout d’abord donner une précision à Mme Gatel : la restauration scolaire est obligatoire dans les collèges et les lycées. La loi du 13 août 2004 dispose que « la région assure l’accueil, la restauration, l’hébergement ainsi que l’entretien général et technique… ». Il en va de même des départements pour les collèges.
Ce n’est que pour les seules écoles primaires qu’une telle obligation n’existe pas. Sans doute pour des raisons culturelles : pendant longtemps, les enfants pouvaient être accueillis chez eux, par leurs grands-parents, par exemple. Ce n’est qu’au moment de quitter l’école primaire pour aller dans un collège ou un lycée plus éloigné que la restauration scolaire devenait indispensable.
Nous souhaitons simplement faire en sorte que l’ensemble des enfants, quels que soient leur école, leur niveau et leur âge, puissent avoir ce repas.
J’en viens à l’amendement. Je partage l’avis du rapporteur sur le plafonnement du prix. En revanche, une difficulté se pose sur le décret de 2000 qui aurait été abrogé en 2006.
Je ne comprends pas le fait générateur d’une telle décision. Il s’agissait justement de « bloquer » les tarifs, en fonction de l’évolution des salaires et des prix de l’énergie et des produits alimentaires.
Sur cet amendement, je m’en remets donc à la sagesse de la Haute Assemblée, en attendant que ce décret soit effectivement revu. Son abrogation me fait l’impression d’un accident de l’histoire, que nous pourrons dépasser, et non d’une décision volontaire de ne plus encadrer le prix des cantines, ce qui serait terrifiant.
Aussi, je m’en remets à la sagesse du Parlement, rien n’empêchant ce dernier de remplacer une disposition réglementaire par une disposition législative.
M. le président. Acceptez-vous de lever le gage, madame la ministre ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Comme je ne peux pas lever le gage, parce que je n’en ai pas l’autorisation, je suis contrainte de demander le retrait de cet amendement, dont je comprends le bien-fondé. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
En revanche, je prends ici l’engagement d’examiner de nouveau les raisons de la disparition du décret de 2000, qui me semble dommageable.
M. le président. L’amendement n° 1 est-il maintenu, monsieur Kaltenbach ?
M. Philippe Kaltenbach. Je le retire, monsieur le président.
Je suis très satisfait de la réponse apportée par Mme la ministre. La situation ne présente aucune difficulté lorsque les maires sont raisonnables et augmentent chaque année les tarifs en fonction de l’inflation. Mais ceux qui opèrent des augmentations brutales de 40 % mettent de nombreuses familles en difficulté.
Si le Gouvernement pouvait revenir à un système de plafonnement des tarifs et des augmentations annuelles, ce serait une bonne chose.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. À ce stade du débat, je souhaite intervenir brièvement, ayant écouté avec beaucoup d’attention l’ensemble de mes collègues.
Mme Blandin l’avait dit en commission, ce texte fait battre les cœurs, dans la mesure où il concerne les enfants. Il est normal que nous soyons dans l’émotion quand nous constatons des cas avérés de discrimination. Toutefois, l’émotion ne doit pas empêcher la raison et, surtout, le raisonnement.
Monsieur Manable, je n’ai pas bien compris vos propos. Vous affirmez en effet que le rejet de cette proposition de loi reviendrait à abandonner un principe constitutionnel. Je ne suis pas une grande juriste, mais je croyais que ce qui était inscrit dans la Constitution était gravé dans le marbre.
Par ailleurs, madame la ministre, la jurisprudence ne s’exerce pas hors sol, sans référence à l’état de droit, cela a été excellemment rappelé par les deux rapporteurs Jean-Claude Carle et Françoise Laborde. Il existe en la matière une jurisprudence constante et claire, qui est appliquée et qui correspond à cet état de droit.
Bien sûr, les familles ne sont pas assez informées de leurs possibilités de recours. Les préfets doivent être avertis par des circulaires – M. le rapporteur l’a dit – des moyens dont ils disposent pour faire appliquer le principe d’égalité devant un service public, rappelons-le, facultatif.
Ce que l’on attend d’une assemblée comme la nôtre c’est de raisonner bien pour faire la loi. Cela ne signifie pas que nous sommes dépourvus d’émotions ! Il n’y a pas, d’un côté, les sans-cœur et, de l’autre, les généreux. Il y a simplement un législateur qui doit examiner les choses avec attention et de façon éclairée.
Je note à ce propos que nous ne disposons d’aucune étude d’impact sérieuse ni de statistiques avérées. Je regrette que cette proposition de loi ait été précipitamment inscrite dans une niche parlementaire.
M. Gérard César. Oui !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. En effet, rappelons-le, elle a été déposée à l’Assemblée nationale par le député Roger-Gérard Schwartzenberg. Le groupe RDSE du Sénat, groupe miroir de celui auquel appartient M. Schwartzenberg, n’a pas jugé bon d’inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat, une réflexion sérieuse étant nécessaire sur ce sujet, Mme Laborde a bien expliqué ce point.
Je tenais à rappeler l’ensemble de ces éléments, pour éclairer le débat. Si nous légiférons, il faut le faire bien, sans résumer la situation de façon manichéenne avec, d’un côté, les bons et, de l’autre, les méchants. (M. Jacques-Bernard Magner s’exclame.) Notre commission veille sur l’intérêt des enfants, tout en faisant confiance aux élus. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote sur l’article.
M. Jacques-Bernard Magner. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous reconnaissez – vous venez encore de le faire, madame la présidente de la commission – que nous sommes face à une discrimination inacceptable, qui plus est, sanctionnée par le juge. Toutefois, en rejetant notre proposition de loi, vous renvoyez les familles discriminées devant la justice pour faire valoir leurs droits, comme si elles allaient toutes engager une procédure.
Or ce sont précisément les familles dont la situation sociale et économique est fragile qui sont les moins armées pour ester en justice, alors qu’elles sont les premières victimes de ces discriminations, vous l’avez rappelé, madame la ministre. Les associations de parents d’élèves ne disent pas autre chose : elles ont du mal à convaincre les familles concernées d’engager les démarches nécessaires pour obtenir l’accès de leurs enfants à la restauration scolaire.
Mes chers collègues, vous ne pouvez pas juger notre texte superfétatoire et redouter, dans le même temps, la pseudo-création d’un nouveau droit. Notre proposition de loi ne crée aucune nouvelle contrainte pour les collectivités locales. Oui, nous rappelons le droit aux communes et aux intercommunalités, peu nombreuses, certes, à s’en affranchir en toute illégalité, vous avez eu raison de le rappeler.
De votre côté, vous leur renouvelez votre confiance, en dépit du non-respect de certaines lois de la République. Vous rendez-vous compte du message que vous leur adressez ainsi ?
La libre administration des communes, ce n’est assurément pas le choix de se placer au-dessus de la loi. Nul ne peut s’arroger le pouvoir de subordonner un principe constitutionnel à l’appréciation ou à la situation budgétaire de telle ou telle commune ou intercommunalité, d’autant que ce ne sont pas forcément les communes les plus pauvres ou les plus en difficulté qui organisent ces pratiques discriminatoires. Rappelons tout de même que nous parlons de moins de cent communes sur les 20 000 qui proposent un service de restauration scolaire. Toutefois, si ce texte n’était pas adopté, elles pourraient être plus nombreuses à l’avenir.
M. Claude Kern. Non !
M. Jacques-Bernard Magner. Avec toute la fierté qui anime les vrais Républicains, le groupe socialiste votera cette proposition de loi, généreuse et bienveillante. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Madame la présidente de la commission, vous disiez tout à l’heure que vous n’étiez pas juriste, tout en ayant recours à une expression utilisée par les juristes.
Bien évidemment, la jurisprudence n’est pas hors sol ! Sinon, nous ne nous serions jamais intéressés au droit. Là n’est pas le sujet ! Le problème, c’est que beaucoup de familles n’iront pas ester en justice, même si elles en ont le droit.
Malheureusement, vous prenez l’exemple d’une école d’une commune que je ne citerai pas. Alors qu’elle regroupe 620 élèves, l’association des parents d’élèves ne comporte que onze personnes ! Les gens en grande difficulté ne s’autorisent même plus, parfois, à participer à des associations. C’est un sujet important : aujourd'hui, en France, dans tous les milieux, mais plus particulièrement dans certaines communes, les gens ne s’installent pas définitivement. Ils attendent parfois un logement ailleurs. L’installation dans une commune, il faut le savoir, n’emporte plus identité et vie sociale. C’est une réalité qui nous éclate au visage, quand on regarde un certain nombre de choses.
Je fais confiance aux associations de parents d’élèves. Pourtant, j’ai entendu des propos terribles dans la bouche de certains d’entre eux, selon lesquels certaines associations, qui organisaient des fêtes ou faisaient en sorte que tous les élèves puissent participer aux classes de nature, se sont peu à peu transformées en associations destinées à promouvoir la réussite scolaire des enfants de leurs membres, la solidarité n’étant plus au rendez-vous.
Ceux qui paient la note de ces situations – nous en sommes tous responsables, quelle que soit notre appartenance politique –, ce sont les familles qui auront du mal à saisir le tribunal administratif. Les familles en grande difficulté ne connaissent pas leurs droits. Un peu plus de 40 % des personnes qui auraient droit au RSA, créé par une autre majorité que la nôtre – cela dure donc depuis plusieurs années – ne le demandent pas, faute de connaissance du droit. Il ne faut pas croire que nous sommes ici l’image des familles. Tel n’est malheureusement pas le cas. Nous sommes des privilégiés qui avons eu la chance de nous engager en politique.
Face à Roger-Gérard Schwartzenberg et aux différents groupes qui défendaient ce texte – je rappelle que l’opposition s’est abstenue à l’Assemblée nationale –, le Gouvernement a mis un certain temps à rendre son avis sur cette question. Si la jurisprudence n’avait pas été solide, il se serait agi d’un débat de juristes.
M. Jacques-Bernard Magner. Bien sûr !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Or, vous le dites vous-même, elle est solide. Il s’agit donc d’un combat social. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jacques-Bernard Magner. Tout à fait !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Article 2
Les charges qui pourraient résulter pour les communes de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Les charges qui pourraient résulter pour les organismes sociaux de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 2, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression de l’article 1er, cet article ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage.
S’il est supprimé, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe Les Républicains et, l'autre, du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 104 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 202 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi pour une République numérique, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2015.
8
Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, présentée par M. Jean-Claude Lenoir et plusieurs de ses collègues (proposition n° 86, texte de la commission n° 217, rapport n° 216).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat, conscient de la gravité de la situation de ce secteur, suit avec beaucoup d’attention, depuis des mois, l’évolution de l’activité agricole, et notamment celle des filières d’élevage.
Dans ce contexte, un certain nombre d’initiatives ont été prises, avec les encouragements, ou, plus exactement, le soutien actif du président du Sénat, Gérard Larcher.
C’est ainsi qu’au mois de mai dernier, monsieur le ministre, je vous ai suggéré de venir devant la commission des affaires économiques faire le point sur le dossier de l’élevage. Vous êtes venu le 4 juin, et je crois que l’échange que nous avons eu alors a été utile.
Le président du Sénat a ensuite pris une initiative forte, qui a permis de réunir, le 16 juillet, l’ensemble des acteurs des filières porcine, bovine et laitière, de la production à la distribution en passant par la transformation.
Cette table ronde, à laquelle vous vous êtes joint, monsieur le ministre, a permis de dégager un certain nombre de pistes, et de souligner que le problème majeur de l’élevage et, d’une façon générale, de l’agriculture, était la compétitivité.
Par la suite, au cours de l’été, un certain nombre de manifestations se sont déroulées à travers le pays : les éleveurs ont crié leur détresse.
Le 3 septembre, ils se sont largement rassemblés à Paris. Du reste, dès potron-minet, le 3 septembre, nous avons accueilli, avec une délégation de la commission des affaires économiques, des représentants des organisations agricoles présentes sur la place parisienne.
La commission des affaires économiques s’est de nouveau réunie le 22 septembre. Le 6 octobre, nous avons eu ici même, dans cet hémicycle, un débat sur la situation et l’avenir de l’agriculture. Le 8 octobre, nous avons rencontré, avec la commission des affaires européennes, le commissaire européen à l’agriculture, Phil Hogan.
À l’issue de ces différentes initiatives, nous sommes nombreux, le 16 octobre, à avoir déposé la présente proposition de loi. J’en suis le premier signataire, mais je tiens à dire le rôle important joué par le président du Sénat dans la conduite des travaux qui nous ont permis de la rédiger.
Je veux souligner également la part active prise, dans cette affaire, par mon collègue Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, qui s’est beaucoup impliqué pendant l’été, à un moment où j’étais peut-être moins disponible : une bonne partie du travail a été effectuée sous son autorité et sous sa direction.
De nombreux collègues, formant une très large majorité des membres du Sénat, ont signé cette proposition de loi.
M. Charles Revet. Nous avons signé !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous sommes donc, aujourd’hui 9 décembre 2015, en mesure de pouvoir l’examiner et, je l’espère, de l’adopter.
Je laisserai au rapporteur de cette proposition de loi, Daniel Gremillet, le soin de détailler son contenu. J’en profite pour dire combien nous avons apprécié, au sein de la commission des affaires économiques, le travail qu’il a mené.
Il a notamment rencontré un grand nombre de représentants du monde agricole, des filières d’élevage, et nous a proposé des amendements qui ont été examinés et adoptés par la commission des affaires économiques.
Je me contenterai de souligner les trois points sur lesquels nous nous sommes tout particulièrement attardés, tous tournant autour des notions de compétitivité et de prix.
Cette proposition de loi prévoit tout d’abord un ensemble de mesures au titre de la compétitivité-prix, consistant notamment en allégements des charges et en financements des investissements.
Un deuxième volet porte sur la compétitivité hors prix – qui a trait à la qualité des produits du secteur agricole et à la valorisation, c’est-à-dire à la promotion, de leur valeur ajoutée.
Un troisième volet concerne l’organisation de la filière agroalimentaire : des mesures sont proposées pour favoriser et faciliter la contractualisation.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner, monsieur le ministre, que vous disposez d’un rapport que vous avez vous-même commandé, dont j’ai eu connaissance très récemment, intitulé « Agriculture – Innovation 2025 ».
Ses auteurs recommandent la création en France d’un observatoire de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Il serait extrêmement intéressant, monsieur le ministre, que vous puissiez prendre l’initiative de suivre cette recommandation, qui émane de plumes hautement autorisées.
M. Jean Bizet. Nous attendons !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous devons aujourd’hui la vérité aux agriculteurs et aux éleveurs. La vérité, nous la connaissons, et nous y sommes favorables : le prix n’est pas fixé par le Gouvernement, donc pas par le ministre. Le prix est celui du marché, et le marché est mondial.
Par ailleurs, l’essentiel de la politique agricole est décidé à Bruxelles, dans le cadre de la politique agricole commune.
Nous pouvons néanmoins faire deux observations. D’une part, les agriculteurs, et surtout les éleveurs, peinent à considérer que les mesures d’urgence qui sont prises constituent une politique. Ces dispositions sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes : il faut les articuler, les structurer, leur donner du corps ! C’est précisément ce que nous vous proposons de faire : vous avez pris des mesures d’ordre conjoncturel ; nous vous proposons de prendre des mesures d’ordre structurel.
D’autre part, les éleveurs en ont assez de l’empilement des normes,…
M. Charles Revet. Oui !
M. Jean-Claude Lenoir. … notamment dans le domaine agroenvironnemental. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez porté l’an dernier, monsieur le ministre, un projet de loi d’avenir pour l’agriculture. Nous avons interrogé les représentants de ce secteur d’activité : ils ont surtout retenu de cette loi qu’elle permettait d’ajouter des normes à celles qui existaient déjà dans le domaine agroenvironnemental. Nous sommes sans doute passés à côté de la question de la compétitivité !
Aujourd’hui, monsieur le ministre, nous sommes décidés à « pousser les feux ». La situation n’est pas seulement grave : elle risque, dans les mois qui viennent, de devenir dramatique.
Tous les indicateurs dont nous disposons montrent que les premiers mois de l’année 2016 vont être très difficiles à supporter pour le monde de l’élevage. En raison de la baisse des prix, voire de leur effondrement, beaucoup d’éleveurs n’arriveront sans doute pas à équilibrer le budget de leurs exploitations.
La question de savoir quelle serait la position du Gouvernement vis-à-vis de nos propositions nous a préoccupés, compte tenu, monsieur le ministre, de votre discours – j’allais dire aussi de votre attitude, peut-être même de votre posture. On vous a dit irrité par les initiatives sénatoriales ; ici même, nous vous avons vu agacé.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous avez devant vous une majorité de sénateurs qui n’ont qu’un souhait : soutenir l’activité agricole et soutenir le monde de l’élevage ! (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Nous représentons les territoires : nous sommes donc dans notre rôle lorsque nous rencontrons la plupart des acteurs de la filière agricole, de la production à la distribution en passant par la transformation, et lorsque nous faisons des propositions qui rencontrent leur assentiment.
Bien entendu, nous sommes conscients que nous ne pouvons pas tout faire – je le dis avec une modestie tout à fait sincère. Nous ne sommes pas le Gouvernement : nous avons proposé des mesures qui étaient à notre portée, et qui étaient recevables au regard des textes constitutionnels, et notamment des contraintes inhérentes à l’article 40.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, notre satisfaction est très grande, et je dois remercier le Gouvernement. Je ne suis pas de ceux qui soutiennent avec un zèle excessif l’action que vous menez, mais je suis obligé de noter que vous avez repris, dans le projet de loi de finances rectificative pour 2015, un certain nombre des dispositions contenues dans notre proposition de loi.
M. Charles Revet. C’est parce que ce sont de bonnes propositions !
M. Jean-Claude Lenoir. Ce ne sont d’ailleurs pas les moins importantes ! Je pense notamment à nos propositions relatives au suramortissement des bâtiments d’élevage et de stockage des effluents, ou à la déduction pour aléas.
Vous nous disiez pourtant il y a encore quelques semaines, monsieur le ministre, que cette proposition de loi était inutile, que nous étions à côté du sujet, que de toute façon vous pourriez mieux faire.
Lorsque je vous disais ici même, en séance, qu’il fallait assouplir le dispositif de déduction pour aléas, tout dans votre réaction montrait que vous trouviez ces propos creux, sans aucune consistance.
Aujourd’hui, vous reprenez ma proposition ! Retenez, monsieur le ministre, que nous ne sommes pas vos adversaires : la crise est trop grave. Nous sommes ici pour vous aider, pour coopérer et pour pousser les feux ensemble.
Et je gage que notre débat va montrer que le Sénat et le Gouvernement, dans leur configuration politique respective, savent conduire une politique à la fois ambitieuse, réaliste et raisonnée en faveur du monde de l’élevage. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les filières d’élevage doivent faire face à une crise sévère et extrêmement violente, crise qui semble s’être installée de manière durable.
Dans le secteur du lait, alors que les prix avaient bien augmenté en 2013 et 2014, nous sommes retombés en quelques mois au niveau de 2012. Les perspectives restent d’ailleurs peu favorables : baisse de la demande mondiale avec le ralentissement économique des pays importateurs, comme la Chine, hausse de la production dans l’Europe laitière de l’après-quotas, mais aussi dans la plupart des grandes régions productrices de lait à travers le monde, fermeture du débouché russe depuis l’embargo… Tous ces facteurs se combinent au détriment de la filière laitière.
Dans le secteur porcin, la fermeture cet été du marché au cadran de Plérin a été le marqueur le plus puissant de la crise. La baisse des prix du porc n’a pas cessé depuis, avec un prix européen qui avoisine désormais 1 euro le kilo, ce qui constitue un prix indécent. Là encore, l’atonie de la consommation domestique et l’embargo russe ont restreint les débouchés, dans un contexte de concurrence accrue entre pays européens.
Dans le secteur de la viande bovine, les difficultés de la filière sont aggravées par les facteurs sanitaires. La fièvre catarrhale ovine perturbe effectivement le commerce des animaux vivants et s’ajoute à la dégradation de la situation des marchés.
J’ajoute que, dans le secteur avicole, le retour de la grippe aviaire risque d’avoir des effets dévastateurs.
M. Jean-Louis Carrère. Ça oui !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. C’est dans ce contexte de crise que Jean-Claude Lenoir, Jean Bizet et plusieurs de leurs collègues ont déposé début octobre une proposition de loi orientée dans une direction essentielle : redonner de la compétitivité à notre agriculture et à notre secteur agroalimentaire.
Si la crise que nous traversons présente un mérite, c’est bien celui de faire prendre conscience à ceux qui ne voulaient pas le voir que notre filière agricole et alimentaire souffre de problèmes structurels de compétitivité.
Notre balance commerciale l’atteste : hors vins et spiritueux, nous perdons du terrain depuis quatre ans, en particulier dans les productions animales. Notre autosuffisance alimentaire est menacée à terme.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Face à nous, des acteurs mondiaux de l’agroalimentaire se sont restructurés, ont investi : les Espagnols, par exemple, dans le secteur porcin ; dans le lait, ce sont les Allemands qui ont développé leurs outils de production. Les industries de transformation de la viande connaissent une forte pression concurrentielle. Or il ne faut pas perdre la bataille de l’industrie agroalimentaire, car le maillage industriel permet d’irriguer l’économie des territoires ruraux et de maintenir de la production agricole à proximité.
J’ai d’ores et déjà entendu plusieurs critiques de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Je voudrais brièvement y répondre par avance.
Première critique : la stratégie de compétitivité serait déjà mise en œuvre. Certes, l’agriculture et l’agroalimentaire peuvent bénéficier de mesures générales comme le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ou la baisse des cotisations familiales. Les mesures d’allégement de charges pour les travailleurs occasionnels ont été maintenues. Toutefois, il faut aller plus loin et définir une vraie stratégie de compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires : encourager l’investissement, la montée en gamme ou encore l’allégement des normes et procédures.
Deuxième critique : les mesures proposées seraient inutiles ou de peu de portée : je ne partage pas cette attitude de dénigrement et je suis persuadé que nos débats permettront de mettre en évidence la nécessité des mesures contenues dans la proposition de loi.
Troisième critique : ce ne serait pas le moment, un an après l’adoption de la loi d’avenir pour l’agriculture, de voter une nouvelle loi agricole. J’estime que nous avons travaillé dans l’urgence, certes, mais pas dans la précipitation. J’ai pu mener en un mois pas moins de 26 auditions ; toutes m’ont renforcé dans l’idée qu’il y avait urgence à agir et que le pire serait d’attendre que la crise passe miraculeusement toute seule.
Avant d’évoquer les dispositions de la proposition de loi et les modifications que nous avons apportées en commission, je souhaite vous dire quelques mots de l’état d’esprit qui m’a animé en tant que rapporteur.
Tout d’abord, j’ai voulu écouter tout le monde, pour recueillir le maximum de témoignages sur l’état des filières animales et le maximum d’avis sur le texte soumis à notre examen.
Ensuite, j’ai souhaité rester réaliste : cette proposition de loi ne va pas changer la politique agricole commune, qui structure tout de même l’intervention économique de la puissance publique dans le secteur agricole. Avec tous ses défauts et parfois ses quelques qualités, la PAC s’applique en France, et ce n’est pas au Parlement que nous en changerons les règles, même s’il faudra chercher à peser sur leur évolution future.
J’en viens maintenant au contenu de la proposition de loi, telle qu’elle résulte de son examen par la commission des affaires économiques la semaine dernière.
Le texte comporte en réalité six catégories de mesures, centrées sur les enjeux économiques. À l’inverse des lois agricoles, il n’y a pas de dispositions sur le foncier, sur les baux ruraux, sur les questions sanitaires ou encore sur la forêt.
La première série de mesures vise à améliorer les relations à l’intérieur des filières pour que ces filières ne soient pas minées de l’intérieur par des conflits de répartition épuisants et destructeurs.
L’article 1er améliore la contractualisation en demandant que l’évolution des coûts de production joue un rôle dans le calcul des formules de prix qui figurent dans les contrats agricoles. En commission, nous avons précisé qu’il faudrait faire référence à des indicateurs d’évolution des coûts de production comme l’indice des prix d'achat des moyens de production agricole, l’IPAMPA, et non à des coûts de production individuels, qui peuvent être très variables.
Nous avons aussi confirmé que les indices d’évolution des prix qui devront être pris en compte sont des indices publics, connus de tous, pour renforcer la confiance dans les mécanismes de contractualisation.
L’article 2 instaure un rendez-vous annuel au sein de chaque filière agricole et alimentaire. En commission, nous avons aussi revu la rédaction de l’article 2 pour en faire un rendez-vous annuel destiné à examiner la stratégie de filière à mettre en œuvre, mais pas à définir des prix, car le risque encouru serait alors de ne pas respecter les règles européennes qui interdisent les ententes sur les prix.
La deuxième série de mesures porte sur la valorisation des productions françaises par l’information du consommateur : à l’article 3, la proposition de loi permet de contourner le règlement européen sur l’information du consommateur qui interdit d’imposer au niveau national un étiquetage de l’origine, en dehors des cas prévus par la législation européenne. Du coup, nous créons un droit pour le consommateur à être informé de l’origine a posteriori lorsqu’il ne l’est pas a priori par l’étiquetage. La complexité du circuit de réponse aux consommateurs devrait inciter distributeurs et transformateurs à mettre en œuvre volontairement l’étiquetage de l’origine et, bien sûr, à faire évoluer l’Union européenne.
La troisième série de mesures tend à permettre à l’agriculture de mieux gérer les risques financiers et économiques.
L’article 4 permet de plein droit de reporter ses échéances lorsqu’on est en crise. En effet, des exploitations viables peuvent se retrouver étranglées de charges financières qui correspondent à des emprunts destinés au financement d’investissements. L’année blanche proposée cette année dans le cadre du plan de soutien à l’élevage ne constitue qu’une mesure ponctuelle et négociée en situation de faiblesse. L’article 4 crée un droit pour l’agriculteur, afin de lui offrir une bouffée d’oxygène en cas de situation de crise.
L’article 6 améliore aussi le dispositif de la déduction pour aléas, transformée en réserve spéciale d’exploitation agricole, dont l’utilisation est plus facile, et sans pénaliser financièrement la réintégration des sommes épargnées. Le plafond de cette réserve est augmenté pour tenir compte de la taille des exploitations.
J’ai fait adopter par la commission un article 6 bis qui oblige également les jeunes agriculteurs suivant le parcours d’installation à souscrire une assurance contre les risques climatiques, car ne pas s’assurer, c’est s’exposer de manière excessive au risque de couler en cas d’événement grave sur l’exploitation.
M. Gérard César. Oui !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. La quatrième série de mesures consiste à encourager les investissements dans le secteur agricole et agroalimentaire.
L’article 5 crée le « livret vert », sur le modèle du livret de développement durable, pour drainer l’épargne vers le secteur agricole et agroalimentaire, afin de dégager des moyens nouveaux pour l’investissement.
L’article 7 étend le suramortissement Macron à l’ensemble de l’année 2016 pour les constructions ou rénovations de bâtiments de stockage ou de magasinage de produits agricoles ou alimentaires : la commission a étendu le bénéfice de cette mesure aux coopératives, qui assurent une part importante de la transformation des produits agricoles.
La cinquième série de mesures vise à alléger les normes qui pèsent sur la compétitivité des exploitations agricoles.
L’article 8 revient sur les excès dans la transposition des directives européennes concernant les installations classées : des progrès ont été enregistrés dans le secteur du porc et des volailles. Il s’agit de simplifier les procédures pour les installations dans le secteur bovin : l’enregistrement doit être privilégié, car la procédure est plus souple que la déclaration, tout en offrant des garanties élevées en matière de sécurité sanitaire et d’environnement.
L’article 8 bis, que j’ai fait adopter par la commission des affaires économiques, expérimente aussi jusqu’à la fin de 2019 un alignement strict des exigences en matière d’étude d’impact concernant les installations d’élevage sur les exigences de la directive communautaire, toujours dans le but de supprimer toute surtransposition.
L’article 12, enfin, prévoit qu’un plan de simplification des normes en agriculture et agroalimentaire soit adopté…
M. Charles Revet. Il y en a besoin !
M. Daniel Gremillet, rapporteur. … chaque année par le conseil supérieur d’orientation : la simplification ne doit pas concerner seulement l’administration ; elle doit être l’affaire de tous les acteurs de la vie agricole.
La sixième série de mesures tend à mener une action structurelle d’allégement des charges qui pèsent sur les agriculteurs.
L’article 9 met en place le dispositif d’allégement de charges patronales sur les salariés permanents de l’agriculture, qui avait été adopté en loi de finances pour 2012, mais jamais mis en œuvre. Or le relèvement de la fiscalité sur les carburants utilisés en agriculture avait à l’époque été mis en place pour financer cette mesure. Les agriculteurs ont donc payé, mais n’ont rien vu venir, car l’allégement des charges a été estimé non conforme au droit communautaire. L’obstacle européen ne me paraît pas insurmontable, si bien que je propose la réintroduction de cette mesure.
L’article 10 prévoit d’allonger de cinq à six ans l’exonération de charges sociales dont bénéficient les jeunes agriculteurs en début de carrière, ce qui va dans le bon sens.
L’article 11 permet aux agriculteurs de renoncer exceptionnellement à l’option de calcul de leur impôt sur la base de la moyenne triennale et de revenir à une imposition sur l’année 2015, pour ne pas les mettre en difficulté alors même que leurs revenus se sont effondrés.
Enfin, j’ai ajouté un article permettant aux agriculteurs installés sous forme sociétaire qui perçoivent le CICE de ne pas se voir privés du bénéfice de cette mesure pour la part correspondant aux apporteurs de capitaux extérieurs, qui ne participent pas par eux-mêmes à l’exploitation.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions que je demanderai au Sénat de voter. Bien entendu, aucune disposition à elle seule ne peut changer la donne radicalement dans le secteur agricole et agroalimentaire. Toutefois, c’est l’addition de ces mesures qui peut enclencher une nouvelle dynamique de compétitivité, dans le cadre d’une stratégie des « petits pas », mais, surtout, offrir de nouvelles perspectives aux agricultrices, aux agriculteurs et aux entreprises agroalimentaires de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord, en préambule de mon intervention, me féliciter de la teneur de nos débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, lesquels visaient d’abord à répondre aux attentes des agriculteurs et à nous permettre de débattre, ensemble, de l’avenir de l’agriculture.
Pour ma part, je ne me suis jamais ni offusqué ni, comme l’a dit M. Lenoir,…
M. Jean-Claude Lenoir. Agacé !
M. Jean-Claude Lenoir. Les apparences sont trompeuses ! (Sourires.)
M. Stéphane Le Foll, ministre. … encore faut-il que nous en débattions pour voir si elles font avancer les choses. Là est le sujet.
Nous partageons un constat, dans lequel vous avez été objectif, monsieur Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Comme d’habitude !
M. Stéphane Le Foll, ministre. On le dira comme ça ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Vous avez été objectif parce que vous avez précisé des choses. Il y a la PAC et tout l’arsenal des mesures, puis le marché. Vous l’avez dit, et chacun peut être un jour confronté à une crise de marché.
Je ne rappellerai pas qu’en 2008–2009 nous avons connu une crise laitière sans précédent, avec des grèves de la production de lait et épandage de lait dans les champs. Durant les débats – étant à l’époque député européen, je ne faisais pas vraiment partie de l’opposition –, j’ai veillé à la fois à discuter et à éviter, si je puis dire, de jeter de l’huile sur le feu.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Du lait sur le feu !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous suivez et donc je le note.
Toutefois, je me rappelle de la demande consistant à dire que, pour régler cette crise, il fallait simplement un prix de 40 centimes le litre sur l’ensemble de l’Europe. J’avais toujours affirmé clairement que c’était impossible.
Nous pourrons tous être confrontés à une crise de marché.
Cette crise de marché, c’est le problème de la baisse des prix, qui remet en cause des structures agricoles dans certaines filières ; c’est le problème de la manière dont on aborde le marché pour être positionné sur des segments permettant de valoriser les activités et de créer de la valeur ajoutée afin d’éviter au maximum ce qui s’est déjà produit, c’est-à-dire que nous soyons concurrencés directement par d’autres productions ou d’autres producteurs à l’échelle mondiale.
Les trois filières de l’élevage qui sont aujourd’hui touchées – la viande bovine, le porc et le lait – ont d’ailleurs toutes des causes structurelles différentes.
La production porcine a été confrontée à une accumulation de choix et de situations qui remontent à dix ans au moins.
La filière bovine est aussi victime de manière collatérale de la situation de la filière laitière, avec des abattages de vaches de réforme et – cela vaut également pour la filière porcine – une consommation qui ne tire pas la production. Gardons bien cela à l’esprit : en cas d’augmentation de la production, la consommation est plus faible, avec des répercussions immédiates sur le prix du marché.
S’agissant du lait, comme l’a dit M. Lenoir, nous nous retrouvons sur un marché de dimension mondiale. Nos grandes entreprises laitières – je pense à celles de l’Ouest, mais aussi à celles qui sont implantées dans d’autres régions – sont exportatrices, elles contribuent à la force de l’industrie agroalimentaire française. Je parle en toute franchise : il faut prendre en compte le fait que l’impact de la mondialisation peut être plus ou moins important selon le « mix » pratiqué par chacune des entreprises, selon l’arbitrage fait entre les produits transformés et à haute valeur ajoutée, lesquels sont beaucoup moins dépendants des prix, et les produits dont les prix sont liés à la poudre et au beurre, et ont un impact direct sur les prix payés aux producteurs.
Vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs, des propositions sur un deuxième élément fondamental, qui concerne l’organisation des filières. Le sujet est essentiel, car une telle organisation n’existe pas en France. Je rappelle qu’il n’y a plus d’interprofession laitière, que l’interprofession bovine fonctionne avec des difficultés énormes, qu’il n’existe pas d’interprofession dans la filière de la volaille – secteur dans lequel je souhaite que commence à se construire une interprofession, je pousse dans ce sens ! De même, aujourd'hui, avec la fin des quotas, dans la filière du sucre, qui est solide et forte, il n’existe pas d’interprofession.
Sur tous ces sujets, les acteurs ont l’obligation de s’organiser afin de pouvoir discuter, arbitrer un certain nombre de choix, créer de la valeur ajoutée et développer des stratégies de contractualisation. Nous sommes d’accord, mais encore faut-il parvenir à convaincre les acteurs du terrain, qui ne sont pas tous toujours aussi enclins que nous à avancer vers ces organisations de filières, qui sont pourtant indispensables à la compétitivité de l’agriculture française.
Je l’ai déjà dit, il est également nécessaire de réfléchir à ce qui va faire la compétitivité pour l’agriculture française de demain, dans l’élevage en particulier. Je répète que notre capacité à mieux utiliser le potentiel de production fourragère de la France en vue de renforcer son autonomie sera à l’avenir un atout majeur. Il nous faut mettre en place des groupements d’intérêt économique et environnemental, il nous faut développer des stratégies de production qui vont associer différentes filières. Cet axe doit être essentiel dans la définition de notre stratégie pour l’avenir de l’agriculture française. Oui, elle a un avenir, car nous avons plus de potentiel que d’autres !
Je vais vous relater un épisode révélateur. Je me suis rendu début octobre en Russie pour y négocier la fin de l’embargo sanitaire de l’Europe. Il neigeait, les récoltes étaient terminées, il n’y avait plus rien à faire.
De retour chez moi, dans la Sarthe, je suis allé visiter une exploitation que je connais bien. Il y avait de l’avoine, du sorgho et de la féverole. Les couvertures de sol avaient une hauteur de plus d’un mètre !
J’en ai tiré une leçon : quand en Russie, tout est terminé et qu’on ne peut plus rien faire, chez nous, on peut encore faire beaucoup. Forts de cette certitude, nous pourrons développer des stratégies qui vont nous permettre d’être compétitifs.
Cela vient d’être dit, la crise a nécessité la mobilisation de l’État. Cette intervention, qui était conjoncturelle – je reviendrai sur les aspects structurels –, était nécessaire. L’aide a représenté 700 millions d'euros, auxquels s’ajoutent les 63 millions d'euros débloqués à l’échelon européen. Je rappelle que ces 63 millions d'euros n’auront absolument rien coûté à la France puisqu’il s’agit d’une recette exceptionnelle. Produit d’une sanction, cette somme provient des pénalités payées par les pays qui avaient dépassé leurs engagements en termes de production laitière.
Sur les 500 millions d'euros qui ont ainsi été débloqués à l’échelle européenne, nous avons bénéficié de 63 millions d'euros. Ils viendront s’ajouter aux 700 millions d'euros dégagés à l’échelon national, sur lesquels 100 millions d'euros sont destinés aux allégements de charges. Des crédits seront également utilisés pour la restructuration des dettes dans le cadre de « l’année blanche ».
Je l’ai dit clairement après voir eu une discussion avec le Crédit Agricole et le Premier ministre, il va falloir adapter notre système. Nous avions envisagé une « année blanche » sur tous les prêts, nous allons mettre en place une année blanche intermédiaire : le remboursement d’annuités de prêts spécifiques structurants sera reporté, mais il sera difficile d’étendre la pratique à la totalité des prêts et des emprunts.
Aujourd'hui, « l’année blanche » concerne quelque 400 dossiers. Il faut que nous allions au-delà pour permettre, en faveur des éleveurs, un aménagement de la dette qui soit adapté à chaque situation et qui prenne en compte les prêts de manière différenciée. Sur les allégements de charges sociales, la Mutualité sociale agricole, la MSA, je le dis encore une fois, fait un travail formidable. Elle est un atout précieux pour tous les agriculteurs !
Nous avons eu des débats récemment encore à l’Assemblée nationale sur la situation du Régime social des indépendants, ou RSI. Il faut le dire de concert, la MSA fonctionne, et elle fonctionne bien ! C’est grâce à elle que les agriculteurs peuvent, cette fois encore, bénéficier de 180 millions d'euros d’allégements de charges, dont 50 millions d’euros sur les cotisations MSA, 90 millions d'euros sur le calcul de l’assiette sur les cotisations de l’année n-1 – j’ai cru entendre parler de ce sujet –, 45 millions d'euros au travers de la baisse de l’assiette minimale des cotisations, ajustée pour l’agriculture au niveau de celui qui est pratiqué pour les artisans. C’était le minimum. C’est fait et cela coûte 45 millions d'euros !
Des crédits d’urgence ont été mobilisés sur la promotion, pour 10 millions d'euros. Nous avons renforcé à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires le soutien à l’investissement avec le plan de compétitivité et d’adaptation pour les exploitations agricoles, ou PCAE. Ils viennent s’ajouter aux 56 millions d'euros initialement prévus, soit au total 86 millions d'euros, afin d’aider l’élevage à investir, en particulier dans les bâtiments d’élevage. Ce renforcement des aides de l’État permettra, avec le PCAE, c'est-à-dire les régions et les fonds du deuxième pilier, d’atteindre 350 millions d'euros d’argent public pour l’investissement dans l’agriculture. Cela peut permettre de lever le fameux milliard d'euros par an qui avait été souhaité par le syndicalisme agricole pour favoriser l’investissement. Et il y a, en effet, besoin de soutenir l’investissement pour améliorer la compétitivité.
Ce sont également 30 millions d'euros supplémentaires qui iront aussi aux abattoirs, au travers du programme d’investissements d’avenir, le PIA. Le plan de soutien permet également un abondement de 30 millions d’euros en 2015 pour ce que l’on appelle les mesures agroenvironnementales et climatiques, qui sont nécessaires en particulier en Normandie. Lorsque je m’y étais rendu, la demande était très forte pour favoriser l’adaptation notamment dans les zones où le handicap n’est pas compensé et dans les zones d’herbage qui bénéficiaient auparavant de la prime herbagère agro-environnementale, ou PHAE, et dans un certain nombre de départements. Cet effort a, d’ailleurs, été salué par les communiqués d’un certain nombre de chambres d’agriculture, je pense notamment à celle de Poitou-Charentes.
Nous avons revu la fiscalité incitative sur la méthanisation. Nous avons modifié la déduction pour aléas, ou DPA : le débat vient d’avoir lieu ; il s’agit de modifications très importantes, que nous avions annoncées avec le Premier ministre et que nous mettons en œuvre dans le cadre de la loi de finances rectificative.
J’ai bien compris les propositions que vous faites, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous sommes d’accord, tant il est besoin d’assurer aux agriculteurs, lorsque leurs revenus et les prix sont rémunérateurs, une épargne utilisable de manière souple, au moment où les prix sont moins rémunérateurs – c’est tout l’enjeu – et où l’on peut aussi enclencher des processus contracycliques en fonction des situations de marchés, voire en fonction des aléas climatiques.
C’est ce qui nous a fait retenir des propositions, que je souhaite voir adopter ici au Sénat lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, sur l’accélération des investissements et sur les installations d’élevage et de stockage, des effluents d’élevage, en particulier, pour les adaptations sur les zones vulnérables.
La réforme fiscale sur le forfait agricole est un vrai et très important sujet. Longtemps reporté, il figure dans le projet de loi de finances rectificative. Nous pouvons ensemble faire le constat que cela va dans le bon sens. Vous l’avez dit, monsieur Lenoir. Sur le sujet, il y a donc unanimité. Nous allons pouvoir avancer au cours du prochain débat sur le projet de loi de finances rectificative.
Tous ces éléments ont nécessité la mise en place des fameuses cellules d’urgence dans tous les départements. Je tiens à saluer le travail de tous : l’administration, les chambres d’agriculture, les centres de gestion, tous ont été mobilisés pour assurer le traitement de tous ces dossiers.
La crise est profonde puisque près de 40 000 dossiers ont été déposés. Le constat que vous faisiez, monsieur Gremillet, sur la profondeur de la crise a trouvé sa traduction concrète dans le nombre de dossiers déposés. Plus de 20 000 sont d’ores et déjà traités par les cellules d’urgence et 10 000 dossiers feront l’objet d’un paiement d’ici à la fin du mois de décembre.
L’enjeu était très important, en particulier dans un certain nombre de filières extrêmement touchées, dont la filière porcine, qui vit aujourd'hui des difficultés. Les 10 000 dossiers prioritaires qui seront payés relèvent de la filière porcine et de la filière bovine. Nous aurons ensuite à traiter les dossiers liés au lait, qui sont aussi importants.
Tout cela nécessitera aussi un travail plus structurel, de moyen terme et de long terme : sur la contractualisation, sur l’organisation des filières, sur la segmentation, sur la remise à plat des cotations dans la viande bovine comme dans la viande porcine, sur les signaux, que l’on va mettre à disposition des acteurs, sur le prix.
Vous avez parlé, monsieur Gremillet, de Plérin, ce marché de 10 000 porcs par semaine. Il devient compliqué de fixer un prix pour le porc. Je le dis au Sénat pour la première fois, d’ici à la semaine prochaine, nous ferons sur ce sujet des propositions spécifiques prenant en compte l’ensemble des éléments qui doivent être travaillés. Nous traiterons de la contractualisation, de la segmentation, de la cotation, en particulier pour la viande bovine, ainsi que de la fixation et de l’émission d’indicateurs de prix, pour la filière porcine, notamment ; c’est absolument indispensable aujourd’hui.
M. Charles Revet. C’est urgent !
M. Stéphane Le Foll, ministre. J’en suis d’accord !
Il faut travailler, vous l’avez d’ailleurs souhaité. Vous proposez que les consommateurs puissent demander la justification de l’origine, l’idée n’est pas mauvaise en soi. Nous avons maintenant une traçabilité avec le label « Viandes de France ». La viande de France commence à être parfaitement identifiée grâce au petit logo hexagonal apposé sur les pots de rillettes ou sur les jambons proposés par un certain nombre de grandes entreprises ainsi que sur la viande bovine.
C’est un atout qui va être de plus en plus important. Il faut le conforter, car cela va dans le bon sens, même s’il est toujours compliqué de dire au consommateur qu’il peut demander l’origine du produit, sachant qu’elle doit être indiquée. Sur ce sujet, je suis tout à fait prêt à entendre les propositions du Sénat. Je veux farouchement défendre cette identité d’origine, laquelle a nécessité un contrat. Le label s’appuie sur l’endroit où est « né » l’animal. Qu’on s’entende bien sur le sens du mot : au-delà de « né », il faut comprendre « élevé, abattu et transformé en France ».
Pourquoi a-t-il été impossible d’aboutir sur la question de l’origine dans d’autres pays européens ? Parce que les pays qui sont non des pays où naissent les animaux, mais des pays d’engraissement et d’abattage voulaient réduire l’origine indiquée sur le produit au pays où l’abattage avait eu lieu. Nous pouvons tous nous accorder pour dire que cela ne fait pas l’origine d’un produit !
M. Charles Revet. En effet !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Tous ensemble nous pouvons dire qu’avec le label « Viandes de France » nous avons donné une traçabilité qui part de la naissance de l’animal et se poursuit par l’élevage, l’abattage et la transformation. C’est ce qui donne sa qualité et sa traçabilité au produit.
Je suis un fervent défenseur de cet accord qui a été trouvé au niveau d’INTERBEV. Je l’avais annoncé il y a déjà deux ans. On l’avait présenté lors du Salon de l’agriculture en 2014. Cette étiquette commence à être connue et reconnue. Il faut que nous soyons tous ensemble des artisans de son développement.
Nous avons créé une plateforme à l’exportation, car nous devons être mieux organisés. Il faut aussi un développement des filières locales pour la consommation locale. J’entends un certain nombre de candidats aux élections régionales – qui ne sont pas dans « l’arc républicain » – proposer comme solution pour l’agriculture le « consommer local ». Il faudrait leur rappeler tous ensemble que ce qu’ils se targuent de faire, nous l’avons déjà mis en œuvre ! Nous n’avons pas de leçons à recevoir d’un certain nombre de candidats qui n’y connaissent pas grand-chose ! Car cet achat local, ce développement de la consommation locale, ils sont déjà en cours !
Il faut, bien sûr, que chacun, en tant qu’élu local, continue de développer la promotion des produits de son terroir. Nous avons mis au point un guide, nous avons élaboré des stratégies. Toujours afin d’améliorer les choses, nous allons diffuser des fiches « achat » à l’intention des gestionnaires de restauration collective.
J’en viens à la question de la compétitivité. Ce débat, nous l’avons déjà eu à de multiples reprises et je suis parfaitement d’accord avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous vous transmettrons un rapport établi à ma demande par l’Inspection générale de l’agriculture. Il fait des comparaisons en termes de compétitivité en s’appuyant sur un seul critère, le fameux taux de couverture, lequel consiste à rapporter ce que l’on importe et ce que l’on exporte et à intégrer des données qui remontent à dix ans. Une dégradation signifie qu’il y a un problème de compétitivité, qu’il soit en termes de positionnement ou de prix.
On s’aperçoit que certaines filières ont enregistré des dégradations colossales. Ainsi, pour la filière volaille, le taux de couverture, qui était de 130 % il y a dix ans, est tombé autour de 35 %. Cela veut dire que les importations ont beaucoup augmenté…
M. Charles Revet. Importations dont on ne connaît pas l’origine !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … et que les exportations ont considérablement diminué. Il y a un vrai problème de compétitivité.
C’est aussi le cas pour la filière de la viande porcine, même si le taux de couverture y est resté supérieur à 100 %. Tout cela prouve que nous avons un problème de compétitivité-coût – qu’il a fallu redresser. Tel était l’objectif du pacte de responsabilité et de solidarité et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE.
Je rappelle que la totalité des aides et des baisses de charges dont ont bénéficié la filière agricole et la filière agroalimentaire en application du pacte de responsabilité et de solidarité et du CICE représentent l’équivalent du budget de l’agriculture ! En 2016 et en 2017, les deux branches recevront près de 4 milliards d'euros : l’agriculture se verra dotée de 1,8 milliard à 2 milliards d'euros, tandis que l’industrie agroalimentaire aura droit au même montant.
C’est un effort. On peut toujours le contester et dire qu’il faut faire plus. Je veux souligner que c’est la première fois que de tels choix sont faits pour améliorer la compétitivité. Nous rattrapons petit à petit notre retard en matière de compétitivité-coût, en particulier vis-à-vis de l’Allemagne. Celle-ci a, dans le même temps, pris des décisions sur la revalorisation et la mise en place d’un SMIC dans le domaine agroalimentaire, qui faisait énormément défaut. Cette décision nous permet de combler notre retard en termes de compétitivité.
Une fois cela fait, il nous faut être capable d’investir et de structurer nos filières pour utiliser nos atouts et redresser les balances commerciales agricoles, qui ont beaucoup souffert depuis une dizaine d’années. Leur redressement est un enjeu de l’avenir de notre agriculture. Il est également lié, comme je l’ai déjà dit, à la question de l’autonomie fourragère et à la structuration de l’agriculture. Il faudra aussi faire des économies, notamment sur les charges opérationnelles.
Je suis également convaincu que les gains de productivité réalisés par les agriculteurs ne peuvent continuer, à travers les achats qu’ils font, d’être autant redistribués. Il faut que l’agriculture en conserve une partie ! Je n’ai, pour ma part, jamais entendu les entreprises du machinisme agricole se plaindre. Ce n’est pas un mal : cela crée de l’emploi ! Mais il faut tout de même des limites. Alors que ces entreprises font du résultat, les agriculteurs se trouvent dans la situation que nous connaissons. Les entreprises du secteur phytosanitaire, qu’elles soient grandes ou petites, ne se plaignent pas non plus ; les agriculteurs, eux, sont en difficulté.
Dès lors, la réduction des charges opérationnelles par des stratégies d’agro-écologie s’avère elle aussi absolument indispensable pour restaurer la compétitivité de notre agriculture. C’est là que l’économie et l’environnement se rejoignent ; c’est là que, ensemble, nous devons faire des efforts pour avancer sur cette piste qui a été ouverte par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Je voudrais préciser deux points. Tout d’abord, je n’ai jamais surtransposé de directive européenne. Ensuite, quant aux zones vulnérables et à la qualité des eaux, ce contentieux était malheureusement en cours devant la justice européenne. Cela nous a obligés, en réponse à la Commission européenne, à redéfinir les zones vulnérables. Nous avons cherché, je l’avais dit ici même, à réduire l’impact en termes de surfaces de cette redéfinition, en la fondant sur les bassins hydrographiques : nous avons fait en sorte que les pentes où aucune ressource en eau ne pourrait être polluée de quelque manière que ce soit soient exonérées et, enfin, qu’une partie des effluents d’élevage, en particulier les fameux fumiers pailleux, qui sont solides, puisse être stockée naturellement en plein champ sans que les agriculteurs soient obligés d’investir. C’était tout de même le minimum ; c’est ce que nous avons fait !
Avec les plans d’action qui sont mis en œuvre, on a permis, en particulier en Bretagne, de réduire le nombre de zones d’excédent structurel, ce qui doit demeurer l’un de nos objectifs.
Nous avons également continué à simplifier la réglementation concernant les installations classées pour la protection de l’environnement, ou ICPE, sans rien changer à leur objectif environnemental. Cela correspond aux demandes que vous avez exprimées dans vos présentations de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission. Bien sûr, nous avons besoin de cette simplification. Quant aux ICPE, les procédures d’enregistrement appliquées dès 2014 dans le secteur porcin ont montré – en Bretagne, lieu emblématique – que cette mesure fonctionne, qu’elle assouplit les délais et qu’elle permet aujourd’hui de mettre en place des projets plus simplement, et ce sans qu’aucun recours ait été déposé, alors qu’entre 90 et 95 projets ont été réalisés dans cette région.
Cela apporte la preuve que nous répondons à la fois à l’objectif environnemental et à l’objectif de simplification. Ces deux objectifs ne sont donc pas contradictoires, bien au contraire. Nous allons par conséquent poursuivre cette démarche dans le secteur de la volaille, ainsi que dans le domaine de la viande bovine.
Le travail de simplification est donc en cours ; il doit permettre de réduire les délais. Ceux-ci sont en effet encore trop longs pour un jeune investisseur qui voudrait à la fois soutenir sa production et investir en capacité pour la développer.
Voilà ce que je tenais à vous dire sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs. Il me faut seulement rappeler que, dans ce débat, nous devons bien évidemment nous montrer capables de définir, ensemble, les contours des mesures nécessaires pour répondre à la difficulté que traversent les agriculteurs aujourd’hui.
Des discussions auront lieu, bien sûr, au sujet des amendements que vous avez évoqués, monsieur le rapporteur. À mon sens, tout débat doit être utile à une seule chose, répondre à une seule question : comment maintenir une agriculture française qui soit à la fois une agriculture de production, une agriculture qui prenne en compte l’environnement et, surtout, une agriculture qui assure, sur tous nos territoires, la présence d’agriculteurs aux revenus suffisants ? Vous tous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs : on a besoin de l’agriculture pour faire vivre la ruralité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jean-François Husson. Pour faire vivre la France !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 6 octobre dernier, lors du débat consacré à l’agriculture, nous avons tous fait le constat que le monde agricole était en proie à une grande détresse. Nous avons relayé une colère que nous avions senti monter depuis de nombreux mois dans nos territoires et qui a convergé à Paris lors de la manifestation du 3 septembre.
L’agriculture française, pourtant riche de nombreux atouts, rencontre des difficultés, lesquelles persistent malgré les lois d’orientation successives et les différents plans de soutien qui, quoique indispensables, ne font que colmater les brèches dans l’urgence.
Certes, certains secteurs s’en sortent mieux que d’autres, notamment la viticulture, qui porte en grande partie l’excédent de la balance commerciale agricole et agroalimentaire de notre pays. Mais pour combien de temps encore ? La compétition mondiale s’exacerbe et la disparation des filets de sécurité européens précipite nos agriculteurs, comme chacun le sait, sur un marché au sein duquel les standards de production sont loin d’être au même niveau.
Dans l’ensemble, nous en convenons tous, nos agriculteurs souffrent ; ils souffrent de la pression des prix de la grande distribution, des transformateurs, des normes accumulées et des obligations sanitaires toujours croissantes. En outre, comme si cela ne suffisait pas, ils doivent subir les conséquences parfois dramatiques du dérèglement climatique, sans oublier la fièvre catarrhale et, dans certains territoires, les rats taupiers.
M. Bruno Sido. Exact !
M. Jacques Mézard. Dans ces conditions, notre soutien et celui que peuvent apporter les pouvoirs publics tant nationaux qu’européens sont essentiels.
Comme j’ai pu déjà le dire ici, monsieur le ministre, il faut de nouvelles prospectives, il faut mettre en œuvre un grand plan pour l’agriculture et prendre encore des décisions qui dopent rapidement la compétitivité des exploitations.
La compétitivité, c’est un enjeu crucial, qui est au cœur de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Claude Lenoir.
Ce texte s’attache en effet à réduire les charges financières qui pèsent sur les exploitants. Il vise également à encourager l’allégement des normes, à favoriser la gestion des risques et, bien sûr, à renforcer les modalités de la contractualisation pour une meilleure répartition des efforts entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
Mes chers collègues, que pouvons-nous opposer à ces mesures positives, qui répondent en partie aux attentes que nous avons pu recueillir sur le terrain ?
L’objet du texte – renforcer la compétitivité –, nous le partageons tous. Il n’est plus besoin de démontrer que l’agriculture française accuse un déficit de compétitivité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pour ne citer qu’un indicateur, je rappellerai que la part de marché de la France dans les échanges agricoles et agroalimentaires européens est passée de 17 % en 2000 à 12 % en 2013.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Sans opposer agro-écologie et performance économique – ce temps-là est heureusement révolu –, reconnaissons que la première approche a été davantage privilégiée au cours de ces dernières années alors que la seconde est bien souvent traitée dans l’urgence. Les agriculteurs sont aussi – cela est nécessaire – des agents économiques, qui sont confrontés à un environnement de plus en plus ouvert qui impose que nous les aidions. En effet, il faut admettre que les règles ne sont pas les mêmes dans tous les pays européens ; le dumping social et fiscal que pratique une majorité d’entre eux cause du tort à l’agriculture française qui, quoique performante à bien des égards, a aussi, comme M. le ministre et nous-mêmes le rappelons souvent, du mal à s’adapter aux mutations accélérées de la société.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jacques Mézard. Ensuite, monsieur le ministre, sur le fond, il me semble que ce texte est cohérent avec vos orientations. En effet, certaines de ses dispositions s’inscrivent dans le droit fil des plans de soutien que vous avez décidé d’engager en juillet et septembre derniers et que nous avons salués. Vous avez apporté de bonnes réponses, à la fois conjoncturelles et structurelles, à la crise de l’élevage. Nous avons aujourd’hui l’occasion de les compléter par des mesures qui participent du même esprit : soulager la trésorerie des exploitants, développer l’investissement et abaisser le coût du travail.
D’ailleurs, n’est-ce pas aussi l’esprit de plusieurs dispositions sur l’agriculture qui ont été adoptées à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2015 en navette ? Je pense notamment à l’amendement sur l’amortissement accéléré ciblant les bâtiments d’élevage, et à celui du Gouvernement tendant à aménager les conditions de mobilisation de la réserve financière de précaution constituée dans le cadre de la déduction pour aléas. Ces deux mesures sur la fiscalité agricole, que notre groupe soutiendra au Sénat lors de la discussion de ce projet de loi de finances rectificative, s’apparentent respectivement aux articles 7 et 6 de la présente proposition de loi.
M. Jean-Claude Lenoir. Exact !
M. Jacques Mézard. Nous voyons donc bien là que nous souhaitons tous, quelles que soient nos sensibilités, aller dans le même sens.
C’est pourquoi, si certains considèrent cette proposition de loi comme opportuniste, pour ma part et celle de la majorité de mes collègues du RDSE, elle apparaît opportune. Je laisserai de côté les querelles et les postures politiques, car l’agriculture ne connaît pas les clivages partisans. Il s’agit avant tout, avec ce texte, de légiférer en faveur de l’intérêt général. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) Ce qui est en jeu, ce sont des emplois, donc des vies d’hommes et de femmes qui s’investissent énormément dans leur travail et qui ont besoin d’en vivre.
C’est aussi l’équilibre du territoire qui se joue à travers l’avenir de l’agriculture. Nombre de territoires ruraux sont en situation critique. Tout ce qui peut leur apporter davantage de moyens, d’espoir et de confiance doit être soutenu.
Monsieur le ministre, nous soutenons les efforts que vous avez faits et les plans que vous avez mis en place ; il est tout aussi naturel que nous soutenions une proposition de loi qui va dans le même sens, celui de l’intérêt général. En ce moment, en dépit des difficultés et des oppositions qui existent dans notre pays, il est nécessaire de regrouper les énergies quand elles vont toutes dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les plans dits « d’urgence » pour l’agriculture se succèdent, force est de constater qu’aucune des actions annoncées aux échelons tant national qu’européen ne s’attaque directement à la question centrale et structurelle de la richesse au sein des filières agricoles.
Pourtant, on estime que 15 points de valeur ajoutée ont été transférés du producteur vers les secteurs industriels et commerciaux de l’agriculture et de l’alimentaire. Après 2009 et 2011, des filières agricoles entières sont une nouvelle fois les victimes de la dégradation rapide des prix d’achat de productions, prix qui ne permettent plus aux agriculteurs de s’en sortir. Cette baisse durable des prix d’achat affecte en particulier les secteurs de la viande et du lait : elle a atteint 16 % pour ce dernier entre 2014 et 2015.
Toutes les filières sont concernées par des pertes de revenus importantes, qui entraînent une multiplication des cessations d’activité et hypothèquent la survie de milliers d’exploitations. Ainsi, en 2014, notre pays est passé sous la barre des 300 000 exploitations agricoles, alors qu’on en dénombrait 386 000 en 2000, soit une baisse de près de 25 %. Le rythme ne faiblit pas : en vingt ans seulement, notre pays a perdu 50 % de ses exploitations agricoles. Nos territoires ruraux s’en ressentent grandement et se vident !
Dès lors, la forte mobilisation des éleveurs traduit une véritable angoisse du lendemain, vécue par des dizaines de milliers d’agriculteurs aux trésoreries exsangues, sans perspectives de revenus, contraints de s’endetter toujours plus pour maintenir leur activité et sauver leur exploitation.
L’état de crise permanente, dont sont victimes des milliers de familles d’exploitants, trouve d’abord ses racines dans les mesures successives de libéralisation et de dérégulation des marchés agricoles à l’échelle européenne et d’ouverture des échanges mondiaux.
Comme vous le précisez d’ailleurs dans votre rapport, monsieur Gremillet, l’orientation de la PAC vers les marchés, prise en 1992, n’a cessé de s’accentuer lors de ses réformes successives. Les filets de sécurité et les mécanismes de régulation disparaissent peu à peu : la fin récente des quotas laitiers, effective depuis le printemps 2015, et la fin programmée des quotas sucriers en constituent les derniers exemples. Or c’est la stabilisation des prix qui conditionne l’accroissement des investissements, de l’innovation et de la productivité, objectifs oubliés de la PAC qui doivent redevenir prégnants.
De plus, la suppression de toutes les mesures d’orientation des prix d’achat place les exploitants agricoles dans un face-à-face déséquilibré avec les opérateurs de marché, les transformateurs et la grande distribution. Ce constat est fait aussi, d’une certaine manière, au travers de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.
Ainsi, les bénéfices réalisés en 2014 par quelques grands groupes français de la distribution parlent d’eux-mêmes : le résultat net du groupe Carrefour s’est élevé à 1,2 milliard d’euros ; celui du groupe Auchan, à 574 millions d’euros ; celui du groupe Casino, à 556 millions d’euros. Ces bénéfices sont le reflet de l’efficacité redoutable, en termes de rentabilité, des politiques commerciales que ces groupes mettent en œuvre tant à l’égard des producteurs que vis-à-vis des consommateurs.
Cette domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par la loi Chatel et la loi de modernisation de l’économie. Ces textes ont autorisé une déréglementation des relations commerciales, notamment avec la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, qui a considérablement affaibli les producteurs dans les négociations. Les pratiques contractuelles garantissent une politique de marges commerciales exorbitantes. Par ailleurs, les grands groupes de la distribution ont encore renforcé leur pouvoir de négociation face à leurs fournisseurs en créant des super-centrales d’achat.
Ces constats sont d’ailleurs aujourd’hui partagés par tous. Toutefois, nous n’approuvons pas les solutions proposées. En effet, mes chers collègues, en réaffirmant à plusieurs reprises dans le texte le principe de renforcement de la compétitivité, vous confirmez le choix d’une agriculture fondue dans le moule de la compétition internationale, des marchés et de la finance, au risque d’un recul de la souveraineté et de la sécurité alimentaires, de la protection sociale, des revenus des agriculteurs ainsi que des normes environnementales et sanitaires.
Or c’est à ce rouleau compresseur et à l’ouverture des marchés qu’il faut s’attaquer. La soumission à la générosité et au bon vouloir de la distribution pour faire un geste avec des accords « volontaires », de « modération des marges » ou « de principe », toujours temporaires et rarement respectés, n’est pas une réponse politique à la hauteur de la gravité de la situation. L’ensemble des syndicats agricoles – FNSEA, Confédération paysanne, Jeunes Agriculteurs, Coordination rurale, MODEF – a exprimé leur désir de voir le retour d’une politique ambitieuse en matière d’intervention sur les prix d’achat et de juste répartition de la valeur ajoutée au profit des agriculteurs.
C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des mesures structurelles en matière de fixation et d’encadrement des prix d’achat et de vente des produits agricoles, des options prises d’ailleurs par de nombreuses puissances agricoles étrangères.
Nous proposerons par conséquent des amendements tendant au rétablissement de ces outils indispensables : détermination d’un prix plancher d’achat aux producteurs, application d’un coefficient multiplicateur sur l’ensemble des produits alimentaires, étiquetage obligatoire de l’indication du pays d’origine pour l’ensemble des produits agricoles à l’état brut ou transformé. Cette dernière mesure est très demandée par la profession, et elle est très importante pour tous, en particulier pour les consommateurs.
J’en viens aux mesures en faveur de l’investissement et aux mesures fiscales.
Si nous saluons l’idée d’un livret vert en faveur de l’agriculture, nous ne partageons pas le principe d’une assurance obligatoire, qui serait une contrainte nouvelle dont profiteraient finalement essentiellement les assureurs. (M. Michel Vaspart s’exclame.) L’extension du secteur assurantiel privé en matière de gestion des risques ne permet de répondre ni aux situations de crise ni aux besoins des agriculteurs les plus en difficultés. Seules les exploitations les plus favorisées peuvent se saisir de l’opportunité des contrats d’assurance récolte.
De même, nous ne pensons pas que le coût du travail constitue un frein à la compétitivité : c’est bien plutôt la financiarisation de l’agriculture !
Dans le même ordre d’idées, nous regrettons que rien, dans ce texte, ne favorise les circuits courts. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Aucune mention n’est faite des dangers du traité transatlantique. Dans le cadre des négociations commerciales, aucune sanction n’est prévue entre la grande distribution et les producteurs. Rien non plus sur l’activation d’un principe de préférence communautaire ou sur l’adoption de « clauses de sauvegarde » en cas de risques économiques, afin de protéger nos exploitations, dont un grand nombre pourrait disparaître faute de dégager un revenu suffisant.
Bref, si nous partageons les constats, nous ne souscrivons pas à la philosophie de ce texte, qui maintient malheureusement l’agriculture française dans une logique dévastatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour parler une fois de plus de l’enjeu principal de notre agriculture : sa compétitivité.
Dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes tous conscients des difficultés que rencontre ce secteur, partie intégrante de notre patrimoine qu’il faut, bien sûr, soutenir. Je tiens à saluer M. le rapporteur de cette proposition de loi, notre collègue Daniel Gremillet, dont je sais l’engagement pour l’agriculture constant et sincère, étant lui-même agriculteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Il a beaucoup travaillé !
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Henri Cabanel. Toutefois, je suis doublement choqué,… (Exclamations étonnées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Ce n’est pas possible ! (Sourires.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Ça commençait bien pourtant ! (Nouveaux sourires.)
M. Henri Cabanel. … en tant que législateur d’abord, par la méthode, en tant qu’agriculteur ensuite, par l’opportunisme qui réduit cet enjeu à un parti pris politicien.
MM. Jean-François Husson et Jean-Claude Lenoir. Oh non !
M. Henri Cabanel. La méthode, d’abord.
Comment penser qu’une proposition de loi rédigée en quelques semaines sera de nature à régler des problèmes de fond, dont les causes sont structurelles…
M. Jean-Claude Lenoir. Ce n’est pas l’avis du ministre ! Il y a de grandes divergences entre la majorité et le ministre !
M. Henri Cabanel. … et ne remontent pas à l’été dernier ou à l’arrivée des socialistes au pouvoir ?
L’opportunisme, ensuite.
Comment examiner en toute sérénité, entre les deux tours des élections régionales (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas nous qui avons fixé la date d’examen !
M. Henri Cabanel. … un sujet de fond, que le groupe Les Républicains semble découvrir, alors que nous avons passé des heures à débattre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et de ces problématiques ?
Chers collègues du groupe Les Républicains, je vous rappelle que, lors de la crise de 2009, vous étiez au pouvoir et qu’à aucun moment vous n’avez engagé une réforme suffisante.
M. Jean-Yves Roux. Très bien ! Il a raison !
M. Martial Bourquin. C’est la vérité !
M. Henri Cabanel. Comment laisser miroiter des mesures qui sont difficilement réalisables malgré les bonnes intentions qui les sous-tendent ? Je ne prendrai qu’un exemple, celui du prix.
M. le président du Sénat, Gérard Larcher, a pris l’été dernier l’initiative de réunir autour d’une même table l’ensemble de la filière, ce qui a eu le mérite de permettre le débat.
Mme Sophie Primas. Ah !
M. Henri Cabanel. Malgré les efforts du ministre, nous avons clairement vu les limites de l’exercice lorsque M. Bigard a expliqué que, certes, un prix minimum pouvait être décidé, mais qu’au regard du marché il ne pourrait être tenu sur le moyen terme.
On le constate aujourd’hui : le prix du kilo de porc alors fixé à 1,40 euro est désormais à 1,06 euro. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes dans une économie de marché, de libre-échange et de concurrence non faussée, que vous avez toujours soutenue, chers collègues de la majorité sénatoriale !
M. Jean-François Husson. Et le traité transatlantique ?
M. Henri Cabanel. On peine parfois, en lisant votre proposition de loi, à trouver une ligne conductrice dans les solutions présentées.
En effet, vous qui prônez d’habitude une posture libérale, voire ultralibérale,…
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Henri Cabanel. … vous semblez découvrir que le prix est fixé par la loi du marché, et vous essayez aujourd’hui de modifier cet état de fait par des artifices qui vous donnent bonne conscience.
Mme Sophie Primas. « Des artifices » ?
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Jean-François Husson. Non !
M. Henri Cabanel. Dois-je vous rappeler que ce sont vos amis qui dirigent depuis plusieurs décennies les politiques européennes libérales ? (MM. Jean-Louis Carrère et Yannick Vaugrenard applaudissent.)
M. Martial Bourquin. C’est bien vrai, ça !
M. Henri Cabanel. Iriez-vous contre ? Avez-vous oublié ce que signifie le mot « libéralisme » ?
M. Jean-François Husson. Pas du tout ! Et Macron ?
M. Henri Cabanel. À titre personnel – et je crois ne pas être seul de ce côté-ci de l’hémicycle (L’orateur regarde vers la gauche de l’hémicycle.) –, j’ai toujours préconisé l’encadrement du marché.
Mme Sophie Primas. Vive la liberté !
M. Henri Cabanel. Nous savons tous que, sur l’ensemble de la chaîne, c’est le producteur qui, in fine, souffre le plus des stratégies de la grande distribution et des transformateurs pour une course aux prix les plus bas.
J’ai assisté aux côtés du rapporteur à la majorité des auditions. Les acteurs que nous avons rencontrés sont bien évidemment heureux de toute proposition permettant d’améliorer leur secteur d’activité, mais, sur le fond, aucun n’a cru aux solutions avancées dans ce texte pour favoriser une compétitivité pérenne.
Dans le département de l’Hérault dont je suis élu, j’ai également procédé à l’audition d’une dizaine de représentants de la filière pour recueillir objectivement leur opinion sur cette proposition de loi. Les conclusions sont identiques : la compétitivité est la problématique majeure de notre agriculture. Toutefois, ce n’est pas ce texte aux ambitions insuffisantes qui peut faire évoluer la donne.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Henri Cabanel. Il ne règlera aucunement les problèmes structurels de la filière.
Tous s’accordent à dire, comme je le martèle dans chacune de mes interventions, que le monde a changé. Notre agriculture doit donc, elle aussi, changer : son modèle s’essouffle.
Le marché est segmenté. Il faut donc répondre à la multiplicité des demandes du consommateur, en proposant des prix bas pour des produits de base, mais aussi des signes de qualité et des labellisations pour offrir à chaque filière une image qui la tire vers le haut, avec, à la clef, un objectif : réussir l’équilibre entre les productions de masse et les productions ciblées et, ainsi, revaloriser les prix.
Il n’y a donc pas une solution, il y a des solutions. De la même façon, il faut des circuits de distribution adaptés à chaque cible, qui vont de la grande distribution aux circuits courts.
Comme je l’ai déjà évoqué devant vous, je suis étonné que, dans le cadre de la restauration hors domicile, dans nos collectivités et nos institutions, nous ne fassions pas davantage le choix des produits français.
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Henri Cabanel. Sur les 300 000 tonnes qui sont ainsi consommées, 80 % sont importées.
Mme Sophie Primas. C’est un problème d’organisation !
M. Henri Cabanel. Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu’un exemple récent qui concerne la filière laitière.
Nous étions une soixantaine de sénateurs invités à un petit-déjeuner au restaurant du Sénat par la FNSEA et son président, M. Xavier Beulin. Nous avons discuté de la crise de l’élevage et de la filière laitière. Sur nos tables se trouvait du lait made in Germany ! (M. Michel Raison s’exclame.)
M. Roland Courteau. Ah !
M. Gérard César. Ah, c’est l’Europe !
M. Henri Cabanel. Vous connaissez tous mon attachement au made in France et à ses déclinaisons en labels : « Viandes de France », « Origine France Garantie »… Comprenez que nous ayons été nombreux à être choqués !
M. Jean-Claude Lenoir. Comme si c’était la FNSEA qui avait fait la cuisine !
M. Henri Cabanel. J’en viens aux articles relatifs à la fiscalité.
Je déplore que cette proposition de loi ne prenne pas en compte le plan de soutien à l’élevage proposé par M. le ministre : l’allégement de charges pour lutter contre l’endettement, la modernisation des outils de production et la simplification des normes, la réforme du forfait agricole, l’assouplissement des conditions d’utilisation de la DPA, la déduction pour aléas, et la création d’un dispositif exceptionnel d’amortissement sur les bâtiments d’élevage. Au total, en trois ans, plus de 3 milliards d’euros auront été investis dans l’agriculture et l’élevage.
Par ailleurs, que proposez-vous en matière d’agro-écologie ? M. le ministre a eu le courage de s’attaquer à cette thématique, qui fixe des objectifs de bonnes pratiques, avec, à la clef, des enjeux environnementaux, mais également économiques.
Je persiste à penser que la qualité et les labels redonneront l’image qu’elle mérite à notre agriculture qui s’enlise dans des crises récurrentes. Ceux qui opposent la compétitivité à cet enjeu d’agro-écologie n’ont rien compris au monde qui change, pas plus qu’ils n’ont compris les enjeux la COP 21.
Par ailleurs, parler de compétitivité en prévoyant le financement de vos mesures par l’augmentation de la TVA et de la CSG me semble pour le moins contradictoire avec vos sempiternelles jérémiades sur la baisse des charges ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Henri Cabanel. Enfin, j’ai parlé essentiellement de l’agriculture, car notre industrie agroalimentaire est déjà l’un des secteurs phares de notre économie, avec 500 000 emplois directs. Son chiffre d’affaires, qui s’élève à 160 milliards d'euros, la place sur le podium des filières industrielles. Cependant, il nous faut rester vigilants.
Chers collègues, vous l’aurez compris, j’ai abordé ce débat avec franchise et passion. Je le répète : travailler dans le contexte des élections régionales n’est pas propice au consensus, et je regrette vraiment ce calendrier et la rapidité avec laquelle ce texte a été proposé, sans fondements stratégiques ni feuille de route. Il convient de prendre son temps.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Henri Cabanel. Le monde paysan mérite une attention particulière, mais il mérite surtout de retrouver sa place pour bâtir son avenir, filière par filière. Ce n’est que grâce à cette coconstruction qu’il assumera sa révolution nécessaire dans les prochaines années. Je crois, comme vous, en sa force. Reste à mettre toutes les bonnes volontés autour d’une table sans parti pris idéologique.
M. Henri Cabanel. La filière agricole devra s’adapter en se restructurant, à l’instar de la filière viticole en Languedoc. Il faudra du temps. Ces problèmes ne se règlent pas d’un coup de baguette magique.
Même si cela choque certains responsables de la FNSEA, il faut avoir le courage d’accompagner les agriculteurs qui ne pourront supporter ces mutations. La vérité, mes chers collègues, c’est que cette restructuration est inévitable. Si elle n’a pas lieu, la face immergée de l’iceberg pourrait bien nous faire chavirer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Martial Bourquin. C’est du solide ! (Sourires.)
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, alors que la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt commence à peine à produire ses premiers effets et que vous avez dû gérer, ces derniers temps, les crises successives du secteur agricole, en enchaînant les plans d’urgence, lesquels étaient nécessaires, le groupe Les Républicains choisit de présenter une proposition de loi pour soutenir le secteur agricole précisément entre les deux tours des élections régionales. (MM. Jean Bizet et Bruno Sido s’exclament.)
Il a été dit tout à l’heure qu’il ne fallait pas mélanger agriculture et politique, mais tout de même…
Je le sais, le texte qui nous est aujourd'hui soumis a été élaboré en étroite relation avec la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, qui s’est autoproclamée « la profession agricole ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Pas vous !
M. André Trillard. Vous vous autoproclamez bien porte-parole des lanceurs d’alerte !
M. Joël Labbé. La Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Morbihan vient de diffuser un communiqué intitulé Le ministère de l’agriculture se moque de l’agriculture, dans lequel il est écrit : « L’État nous berne, l’État n’a toujours pas conscience de ce qui se passe dans ses campagnes, l’État promet des milliards dans le cadre de la COP 21, mais n’est pas capable de soutenir un pan de son économie qui a contribué à placer la France parmi les grandes puissances mondiales. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Bailly. C’est vrai !
M. Joël Labbé. Vous niez la nécessité de la COP 21, je l’ai compris.
MM. Gérard Bailly et Jean-François Husson. Mais non !
M. Joël Labbé. La fédération poursuit : « La France serait-elle partie pour sacrifier son agriculture ? La question se pose, sachant que l’État dispose de tous les outils pour la sauver. » Ces propos sont scandaleux ! Je tiens à le dire, c’est scandaleux de la part d’un partenaire de l’État et du Parlement dans l’élaboration des politiques agricoles. De grâce, oui, ne mélangeons pas politique et agriculture !
M. Jean-François Husson. Demandez à Le Drian !
M. André Trillard. Et Notre-Dame-des-Landes ?
M. Jean-Louis Carrère. Arrêtez !
M. Joël Labbé. Cette proposition de loi suscite un certain nombre de questions quant à l’absence de chiffrages précis des exonérations fiscales patronales pour les entreprises agricoles, mais également du relèvement des seuils d’enregistrement des installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, sous prétexte de mettre fin à une prétendue sur-transposition de directives européennes, ce qui est faux ces derniers temps.
M. Jean Bizet. Ah ?
M. Bruno Sido. C’est nouveau !
M. Joël Labbé. Encore une fois, je ne partage pas votre point de vue. Ce n’est pas en industrialisant davantage nos élevages, toujours au mépris de la qualité, des impacts sanitaires et environnementaux, que l’agriculture sortira de la crise profonde dans laquelle elle se trouve. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Nous devons transformer nos productions, non pas en accroissant les volumes, mais en nous orientant vers la qualité environnementale, sociale et économique, vers la valeur ajoutée au bénéfice prioritaire de la production.
Exporter n’est jamais une bonne chose lorsqu’on le fait à perte ou avec des marges inférieures à celles du marché intérieur, surtout si, en plus, cela rapporte moins à l’État, quand il ne perd pas de l’argent en subventionnant les exportations.
Ce texte étant soumis à notre jugement collectif, j’ai tenu, au nom du groupe écologiste, à défendre quatre amendements.
Nous devons permettre au consommateur de choisir ce qu’il achète et ce qu’il mange en pleine connaissance de cause. C’est pourquoi je vous propose d’améliorer l’étiquetage des viandes, afin d’y faire figurer, en plus de l’origine géographique, le fait que les animaux ont été nourris avec des OGM.
Pour l’essentiel, les OGM sont du soja importé d’Amérique du Sud, dont 80 % sont transgéniques. Alors que le prix du soja va encore croître, que les coûts du transport vont, eux aussi, augmenter, il est grand temps de remettre en question ce mode d’alimentation animale, en vue de permettre aux terres sud-américaines de nourrir leurs populations et de préserver, par la même occasion, la forêt équatoriale, dont le rôle en matière de régulation climatique est essentiel.
Nous devons également tenir le consommateur informé des conditions d’élevage des animaux dont il achète la viande. Pour cela, nous vous proposons d’instaurer un système proche de celui qui existe pour les œufs, soit un classement de zéro à trois : zéro désignerait l’élevage biologique, un l’élevage en plein air, deux l’élevage extensif en bâtiment, trois le système intensif.
M. Jean Bizet. Et quatre l’abattage !
M. Joël Labbé. Par ailleurs, nous devons prendre en compte les difficultés de certains agriculteurs. Comme moi, vous avez certainement été interpellés, mes chers collègues, par des agriculteurs qui, pour différentes raisons, ont le statut de cotisant solidaire, soit parce qu’ils s’installent sur de petites surfaces dont ils tirent de faibles revenus, soit parce que l’agriculture est, pour eux, une activité complémentaire. Toutefois, leur couverture sociale est limitée aux accidents du travail et à la formation professionnelle. Ils ne sont donc pas couverts en cas de maladie, de chômage, de même qu’ils n’ont pas de droits à la retraite.
Pour éviter que l’article 40 de la Constitution ne nous soit opposé, nous avons choisi de demander au Gouvernement un rapport sur la protection sociale des cotisants solidaires. À cet égard, je remercie la commission d’avoir émis un avis de sagesse sur cet amendement ; nous espérons qu’il sera adopté.
M. Jean Bizet. Ce n’est pas sûr !
M. Joël Labbé. Je fais en ce moment de fréquents aller-retour à la COP 21, où je prends de bonnes bouffées d’oxygène compte tenu de la qualité et du niveau des débats qui y ont lieu.
M. Jean Bizet. Comme ici ! (Sourires.)
M. Joël Labbé. En conclusion, permettez-moi de citer Vandana Shiva, auteur indienne, dont la parole est respectée partout dans le monde : « Le système agro-industriel, contributeur massif au réchauffement climatique, se montre aussi incapable de résoudre les problèmes environnementaux et alimentaires de la planète. » Selon elle, la solution est à chercher « du côté des systèmes d’alimentation locale, contrôlés par les communautés et gérés par les citoyens ».
Alors qu’elle contribue fortement au dérèglement climatique, l’agriculture industrielle ne produit que 30 % des aliments consommés dans le monde, 70 % d’entre eux provenant encore de l’agriculture paysanne. Il est bon de rappeler que, dans le monde, un travailleur sur deux est un agriculteur.
Une grande partie de la réponse chez nous consistera à mettre en œuvre des projets alimentaires territoriaux et à maintenir une agriculture familiale et paysanne mixant dans les territoires les systèmes de polyculture et d’élevage.
Cette proposition de loi étant à l’opposé de nos aspirations, nous ne la voterons pas. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-François Husson. Oh non, vous n’avez pas tout compris !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise profonde que connaît l’agriculture de notre pays exige que nous bâtissions un plan stratégique à long terme.
Cependant, des décisions structurelles urgentes doivent aussi être prises. Tel est l’objet de la présente proposition de loi, dont plusieurs de mes collègues du groupe UDI-UC et moi-même sommes cosignataires.
Le texte prévoit en effet plusieurs évolutions techniques très attendues par la profession agricole. Il a aussi le mérite de reconnaître – enfin ! –, de manière très partagée, que l’agriculture française souffre de son manque de compétitivité.
L’article 12 contient une disposition majeure selon moi : le Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire devra désormais adopter chaque année un plan de simplification des normes applicables aux filières agricole et agro-alimentaire et le rendre public. Ce point revêt une importance particulière pour moi et pour les membres du groupe de travail sénatorial pour la simplification des normes agricoles que j’anime au sein de la commission des affaires économiques.
Nous saluons également l’introduction en commission par le rapporteur, notre collègue Daniel Gremillet, de mesures annulant des sur-transpositions du droit communautaire.
Ainsi l’article 8 fixe-t-il le seuil d’autorisation pour les élevages bovins à 800 animaux. Les élevages de plus petite taille basculeront alors dans le régime d’enregistrement, beaucoup plus souple.
Le texte prévoit ensuite que le contenu des études d’impact sera strictement celui qui est exigé par la réglementation européenne.
J’en suis convaincu, mes chers collègues, la compétitivité est un combat de tous les jours. Or, vous le savez, nous avons tendance à alourdir continuellement notre réglementation. C’est pourquoi j’avais de nouveau déposé un amendement visant à créer une section spécifique sur la compétitivité de notre agriculture au sein de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous n’aurons malheureusement pas l’occasion d’en débattre, car il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, au motif qu’il serait de nature à aggraver une charge publique. Je le déplore, et je reste perplexe quant à l’application qui est faite de cet article.
En effet, j’avais déjà défendu cette mesure à deux reprises : en 2010, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, puis en 2014, lors de la discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Cette proposition figure également parmi les projets préconisés par le plan « Agriculture – Innovation 2025 » présenté aux ministres concernés le 22 octobre dernier.
Il est évident que, dans un marché ouvert et concurrentiel, notre agriculture doit prendre en considération la réglementation et les pratiques des autres pays, en particulier celles de nos voisins européens. Nous devons pouvoir nous comparer, en renforçant notre veille et en facilitant l’accès aux informations.
Permettez-moi de consacrer le temps qui me reste à évoquer deux amendements relatifs aux normes que le groupe UDI-UC soumettra à la sagesse de la Haute Assemblée.
Le premier vise à instituer un principe selon lequel « pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée ». (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Un tel principe aurait le mérite de limiter notre créativité normative, afin de lutter efficacement contre la surréglementation agricole.
Enfin, nous proposerons de limiter dans le temps l’existence des nouvelles normes. Toute création serait expérimentale pour une durée de cinq ans. À l’issue de cette période, un bilan permettrait de décider de sa prolongation, de sa modification ou de son abrogation.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je vous invite à soutenir le plus largement possible cette proposition de loi, qui résulte de l’action du Sénat depuis le début de la crise agricole. J’en profite d’ailleurs pour souligner l’engagement du président Gérard Larcher.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Daniel Dubois. Si nos amendements sont adoptés, cette loi constituera bien plus encore une avancée notable en faveur de la compétitivité de l’agriculture. Je sais que beaucoup restera à faire. Mais, je le répète, la recherche de compétitivité demande un effort permanent. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons une nouvelle fois pour débattre de la situation de notre agriculture tant cette activité est au cœur de l’avenir de nos territoires, que le Sénat a précisément vocation à représenter.
Si nous parlons volontiers de stratégie et de réforme agricole, nous le faisons bien souvent, et malheureusement, dans l’urgence. Cet été, nos campagnes étaient en proie à la détresse et au désarroi. Le Sénat l’a vu, et son président a fait preuve d’une écoute et d’une détermination toutes particulières. La proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise est l’expression de la volonté de la Haute Assemblée de répondre à cette détresse.
Il manque deux choses à notre agriculture : la confiance et une stratégie.
Notre pays manque de confiance alors qu’il a pratiquement tous les atouts pour réussir : le climat, la terre, l’eau, la diversité, le savoir-faire, l’histoire, les produits, la réputation, des icônes même, c’est-à-dire tout ce qui compte pour produire et vendre aujourd'hui dans les meilleures conditions. Tous les observateurs extérieurs envient notre situation.
Pourtant, notre agriculture va mal, et le monde agricole est préoccupé par un certain nombre de points, au nombre desquels figurent les changements réglementaires permanents, ainsi que la pression concurrentielle croissante. Ne nous y trompons pas, nous avons certes des atouts, mais nous n’avons pas de pré carré. Si nous faisons bien aujourd'hui, d’autres peuvent faire aussi bien demain.
Le monde agricole est également préoccupé par les statistiques qui démontrent le recul année de notre agriculture après année, tant au niveau européen qu’au niveau mondial.
Il est aussi préoccupé – n’ayons pas peur de le dire ! – par les attaques pernicieuses, les petites phrases assassines, les slogans blessants…
M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !
M. Jean Bizet. … et les orientations environnementalistes irrationnelles…
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Jean Bizet. … qui figurent jusque dans les manuels scolaires ; il ne faut pas avoir peur de le dénoncer.
Notre pays manque également d’une stratégie. Or la clé de la réussite des pays qui gagnent, c’est leur capacité à définir une stratégie et un objectif clairs. L’Allemagne a traité son agriculture comme elle a traité son industrie, avec pour seul objectif d’être compétitive. Elle l’est depuis longtemps pour ce qui concerne le porc, elle l’est devenue pour les produits laitiers. L’Allemagne a cette capacité de choisir et d’assumer ses choix, et ce sans états d’âme. Où est la stratégie française ? Où est la stratégie des filières ?
M. Gérard Longuet. Elle est dispersée !
M. Jean Bizet. Lorsque nous essayons de définir une stratégie, nous présentons en fait un catalogue dans lequel figurent pêle-mêle la compétitivité, certes, mais aussi, la qualité, l’emploi, le maintien des exploitations, l’aménagement rural, le développement rural, les paysages, l’équilibre territorial et le bien-être animal.
M. Gérard Longuet. Eh oui, elle est dispersée !
M. Jean Bizet. Dans un cas, il y a un cap ; dans l’autre, il y a une liste, un inventaire. Nous ne pouvons pas réussir dans ces conditions.
Cette stratégie doit être redéfinie avec l’État, bien sûr, mais aussi avec les agriculteurs, les industriels et, désormais, les régions, qui sont les autorités de gestion du deuxième pilier. À cet égard, je rappelle que le deuxième pilier représente 1,4 milliard d’euros par an, à comparer aux quelque 7,7 milliards d’euros – je cite les chiffres de mémoire ! – du premier pilier.
Permettez-moi maintenant de formuler une observation plus particulière sur le secteur laitier, qui doit, lui aussi, redevenir compétitif.
À cette fin, nous avons voté hier, à l’approche de la fin des quotas laitiers, la création des organisations de producteurs et la contractualisation.
Je n’ignore pas que les agriculteurs ont appréhendé cette nouvelle approche avec une certaine circonspection, l’individualisme étant souvent chez certains, pour ne pas dire chez beaucoup, une seconde nature. Pourtant, lorsqu’ils veulent se regrouper, ils savent « jouer dans l’excellence ». C’est précisément la coopération agricole française que tout le monde connaît.
Je maintiens donc qu’il nous faut travailler dans ces deux directions. Les organisations de producteurs, les OP, doivent atteindre une taille critique. Leur pouvoir a été renforcé dans le domaine juridique : sur le plan européen, avec le « paquet lait » et, sur le plan national, avec la possibilité d’engager des actions de groupe. Mais ce pouvoir doit être maintenant renforcé par un effet de masse, c'est-à-dire par leur taille, une taille qui doit atteindre un seuil de crédibilité leur donnant un pouvoir de renégociation suffisant, et je reprends là les termes de la Commission européenne elle-même.
Je sais que les industriels transformateurs ne sont pas toujours très favorables à l’idée d’OP de bassin. Ce n’est pas la même chose de négocier avec une OP qui représenterait 500 ou 1 000 producteurs que de négocier avec une OP qui en représenterait dix fois plus. L’enjeu est pourtant bien là.
Chacun doit ainsi faire un effort. Les éleveurs doivent se regrouper et les transformateurs doivent l’accepter. Ils l’accepteront d’autant plus facilement que les OP sauront être force de propositions et qu’elles sauront offrir aux industriels des ouvertures, des engagements, de la qualité, de la régularité, une sécurité… En clair, l’OP est un espace et elle doit se présenter comme une force de concertation, voire d’opposition, plutôt que de confrontation.
Concernant les contrats, la France a choisi que leur durée soit de cinq ans. La nouvelle génération de contrats doit se renégocier l’année prochaine. De même que pour les OP, les éleveurs étaient plutôt réticents à l’égard de la contractualisation.
Deux éléments permettraient de donner des ouvertures.
D’un côté, il importe d’associer, d’une façon ou d’une autre, la grande distribution qui est, qu’on le veuille ou non, le décisionnaire final. Les enseignes doivent s’engager dans la contractualisation, avec les précautions d’usage s’agissant de l’Autorité de la concurrence, mais il est clair qu’elles doivent être dans la boucle de la contractualisation.
D’un autre côté, les éleveurs ne seront satisfaits par la contractualisation que si les clauses de prix sont améliorées. Il me semble impératif d’inclure dans les contrats des références à certains index, ceux-ci renvoyant à l’évolution de paramètres liés aux coûts de production. Je sais que quelques grands industriels y sont prêts, mais cette innovation aura plus de chance de réussir si tous les industriels acceptent d’évoluer.
La proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire n’est qu’une étape. Il faudra alors réfléchir collectivement aux contours d’une nouvelle politique agricole commune. Une PAC qui ne serait plus ni politique, ni agricole, ni commune perdrait toute sa légitimité. La France doit y penser maintenant pour être prête à agir demain. Or demain, c’est 2020 ; c’est donc très proche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Excellente intervention !
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur fond de guerre des prix, accentuée par une concurrence féroce des États membres de l’Union européenne, aggravée par la surproduction, l’effondrement des cours mondiaux, l’embargo russe et la fin des quotas laitiers, les principales filières de l’élevage français subissent depuis de nombreux mois des difficultés conjoncturelles et structurelles sans précédent.
La dimension des exploitations agricoles et leur niveau de compétitivité, face, notamment, aux exploitations allemandes, la multiplication des normes, des labels, la volatilité des prix des matières premières et l’annonce de la fin des quotas laitiers avaient conduit de nombreux exploitants à investir au cours de ces dernières années, pour augmenter leur production et leur cheptel. Ces investissements n’ont pas produit les effets escomptés en termes de niveau des revenus et encore moins en termes de stabilité. Les prix pratiqués, nous le savons, ne prennent pas en compte les coûts de production.
Dès le mois de juin dernier, le Sénat, via sa commission des affaires économiques, s’était ému de cette situation auprès de M. le ministre de l’agriculture et n’avait pas manqué de relayer les vives et légitimes inquiétudes de nos agriculteurs, directement menacés dans leur existence.
Durant la même période, sous l’égide du Gouvernement, les professionnels de la grande distribution et de l’industrie de transformation s’étaient accordés sur une revalorisation progressive du prix payé au producteur, à savoir une hausse du prix d’achat de la viande au kilo, renouvelée chaque semaine jusqu’à couvrir les coûts de production.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la mise en œuvre difficile de cet accord n’a pas été de nature à dissiper les inquiétudes des éleveurs de porcs et de bovins – lait et viande –, et a, au contraire, cristallisé leur mécontentement.
La crise s’aggrave et prend en effet une tournure inédite : environ 30 000 exploitations agricoles sont proches du dépôt de bilan ; des résultats d’exploitation continuent de diminuer – la baisse était déjà évaluée à 33 % pour les exploitations porcines entre 2013 et 2014 et à 17 % pour les élevages bovins allaitants – ; des retards dans les investissements sont notamment recensés pour la filière porcine ; et près de 80 000 emplois directs sont menacés.
Dès le début du mois de juillet dernier, M. le président du Sénat, Gérard Larcher, s’est emparé du dossier et a décidé, en lien avec le président Jean-Claude Lenoir et notre collègue Jean Bizet, d’organiser, le 16 juillet dernier, une conférence agricole consacrée aux filières porcine, bovine et laitière, en présence de représentants de la profession agricole, de distributeurs et de transformateurs, pour aborder les questions conjoncturelles, mais également les enjeux plus structurels de la filière agroalimentaire.
Le Sénat a également mis en place un groupe de travail chargé de formuler des propositions en vue d’un allégement des normes applicables à l’agriculture, et des propositions de simplification de la politique agricole commune ont été adressées à la Commission européenne.
Au même moment, l’embargo russe, qui affecte déjà la filière agricole européenne depuis un an, a été reconduit en représailles aux sanctions occidentales prises contre Moscou à la suite de la crise ukrainienne. La fermeture du marché russe aux principaux partenaires européens a eu une incidence directe sur les stocks, qui ont dû trouver d’autres débouchés, ce qui a ainsi contribué, malheureusement, à un effondrement des cours et des prix.
Dans le courant du mois de septembre, les agriculteurs ont obtenu du Gouvernement une « année blanche » pour les dettes bancaires, un moratoire sur les nouvelles normes environnementales et un plan d’investissement s’élevant à 3 milliards d’euros sur trois ans. De son côté, la Commission européenne a annoncé, lors du conseil ministériel convoqué pour répondre à la crise que traverse le monde agricole, le déblocage de 500 millions d’euros au titre de l’aide d’urgence, notamment en direction des producteurs laitiers.
Parallèlement à ces mesures d’urgence, le Sénat a poursuivi son travail d’audition et de concertation, dont la présente proposition de loi est la traduction concrète.
Elle tend à promouvoir une vision régulée des secteurs qui participent de la souveraineté alimentaire de notre pays au travers de trois objectifs principaux : établir des relations plus justes et plus transparentes du producteur au consommateur ; faciliter l’investissement et une meilleure gestion des risques financiers en agriculture ; et alléger les charges des entreprises agricoles.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’enjeu n’est pas, ici, de démontrer que les dispositions qui ont été prises, le plus souvent dans l’urgence, par le Gouvernement sont insuffisantes. Cette démarche serait aussi inefficace qu’inutile.
L’enjeu est de redonner – enfin ! – de la compétitivité à notre agriculture et à notre filière agroalimentaire.
L’enjeu est de permettre à nos agriculteurs et à nos éleveurs de vivre décemment et équitablement de leur travail.
L’enjeu est d’utiliser tous les leviers d’action qui relèvent du législateur national pour – enfin ! – définir une stratégie, une vision, un avenir à celles et à ceux qui font vivre chaque jour nos territoires et notre agriculture française.
Enfin, l’enjeu est de permettre à notre pays de redevenir chef de file de l’agriculture européenne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative prise par les auteurs de cette proposition de loi.
Celle-ci a été déposée à un moment où le constat sur la situation de l’agriculture est largement partagé. Hormis le secteur de la viticulture, toutes les filières connaissent des difficultés, que nous avons bien identifiées : les prix mondiaux des céréales sont médiocres, et les secteurs de l’élevage sont aussi concernés, mais il en a été largement question.
Permettez-moi de remercier M. le rapporteur, Daniel Gremillet, pour le travail important qu’il a réalisé et pour la qualité des auditions qu’il a menées. (MM. Jean Bizet et Jean-François Husson applaudissent.)
En complément de l’intervention de mon collègue Daniel Dubois, j’aborderai deux sujets.
Le premier est en particulier lié à l’article 3 relatif à la transparence et à l’étiquetage. La volonté exprimée dans la proposition de loi est tout à fait recevable : tout le monde s’accorde à dire qu’une bonne information sur l’origine des produits est une indication dont le consommateur doit disposer.
Cependant, l’origine du produit n’est pas en soi le gage exclusif de la qualité. L’origine du produit doit s’accompagner de considérations complémentaires, notamment d’indicateurs techniques portant sur la production agricole d’origine.
De plus, même si la possibilité donnée aux consommateurs de se renseigner est nécessaire, elle difficile à mettre en œuvre. Pour cette raison, nous considérons que, sur un sujet aussi complexe, seuls les accords interprofessionnels peuvent aboutir.
Le second sujet, essentiel à mes yeux, concerne la protection des risques en agriculture, climatiques et économiques sur un plan général.
Cette proposition de loi évoque cette question, sans toutefois, de notre point de vue, l’approfondir suffisamment. Deux types de solutions s’offrent désormais aux agriculteurs.
La première solution est la déduction pour aléas, la DPA, et la déduction pour investissement, la DPI. Les améliorations proposées sont très intéressantes. Toutefois, ces outils ne seront jamais l’unique réponse à apporter à l’ensemble des agriculteurs. Les comptes financiers des exploitations n’autorisent pas, dans de nombreux cas, cette pratique fiscale complexe.
La seconde solution est le développement du système assurantiel. Je regrette, pour ma part, que ce sujet ait été insuffisamment exploré.
Nous connaissons les limites au développement de l’assurance. La première limite est le coût élevé des contrats, conséquence directe du nombre insuffisant d’assurés. La seconde limite est l’impossibilité pour les compagnies d’assurance de se réassurer dans des conditions convenables, ce qui explique leur frilosité.
M. Gérard César. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Lasserre. À cet égard, j’avais déposé un amendement, et je déplore l’irrecevabilité financière invoquée par la commission des finances, puisque cet amendement ne prévoyait aucune augmentation de charge.
Je reformule cette proposition, en vous demandant d’y réfléchir : il s’agit de flécher plus clairement une partie du Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, vers les aides au développement de l’assurance. Ce fonds continuera d’être alimenté financièrement. Une utilisation partielle des fonds dégagés au bénéfice du système assurantiel me paraît être la bonne solution, et pratiquement la seule possible.
En tout cas, en ce qui me concerne – et de nombreux collègues m’y ont encouragé ! –, j’essaierai d’engager une initiative parlementaire en ce sens.
En conclusion, nous voterons évidemment cette proposition de loi. Nous avons pu constater combien il était difficile de voter une loi dont les effets concrets se traduisent rapidement ; je pense à la dernière loi d’avenir pour l’agriculture, à laquelle nous avons contribué. La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise porte sur des thèmes plus limités et très précis. Concentrer nos efforts sur les trois thèmes fondamentaux qui y sont abordés me paraît tout à fait opportun. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. « Nous voulons vivre de notre travail ! Ce n’est pas des primes que nous demandons, c’est une juste rémunération du travail de qualité que nous faisons au service des consommateurs ! » : c’est en ces termes, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que s’expriment les paysans de France, les jeunes agriculteurs tout particulièrement, et cette expression, maintes fois rappelée, les honore.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Bravo !
M. Franck Montaugé. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui apporte-t-elle des réponses à la hauteur de l’attente, de l’ambition des agriculteurs de France, tout particulièrement de ceux qui sont en difficulté, voire en très grande difficulté ? Je ne le crois pas. Et je dis cela tout en saluant le travail sincère du rapporteur Daniel Gremillet pour qui j’ai le plus grand respect.
Dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, les auteurs, tout en reconnaissant que la réorientation de la PAC a été faite en faveur de l’élevage, pointent du doigt cette filière pour lui enjoindre d’inventer une stratégie gagnante, afin de faire face à la volatilité des marchés. Les acteurs sont renvoyés face à leurs responsabilités, et, effectivement, aucun article de la proposition de loi ne traite ce sujet pourtant essentiel.
Aucune orientation stratégique n’est proposée dans le texte, même en filigrane.
De façon juste, l’impact territorial des filières d’élevage est évoqué au travers des abattoirs, des laiteries, etc.
L’abattoir départemental d’Auch, dans le Gers, était voué il y a peu à la fermeture. Eh bien, je puis vous l’assurer, quand une collaboration sans arrière-pensée se met en place entre, d’une part, l’État, la région, le département et l’agglomération, et, d’autre part, les exploitants, les apporteurs, les éleveurs et les clients, on peut sauver l’emploi, développer les outils de production et répondre aux besoins de la filière, tout en étant économiquement compétitifs.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Franck Montaugé. C’est plus une affaire de volonté, d’écoute et de compréhension des enjeux multiples que de loi !
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, vous précisez, mes chers collègues, qu’« une partie des réponses se situe au niveau européen », et vous rappelez, à juste titre, les enjeux en matière de protection des agriculteurs, d’allégement des contraintes, de mise en place d’aides contracycliques, d’adaptation à des fins de sécurisation des organisations communes de marché et de mise en œuvre de dispositifs assurantiels permettant de couvrir les risques climatiques et économiques.
Oui, l’Union européenne a une responsabilité exorbitante sur ces questions essentielles pour l’avenir de l’agriculture française. Et je sais que le commissaire Phil Hogan, chantre très libéral de « la concurrence non faussée » appliquée au domaine agricole, ne laisse pas de vous inquiéter.
Pourtant, comme vous le rappelez sans détour, vous êtes favorable à un alignement sur les marchés mondiaux. Je ne crois pas, pour ma part, sauf à sacrifier la diversité des formes de notre agriculture, notamment la polyculture élevage qui contribue à la vitalité de très nombreux territoires ruraux comme le mien, que la disparition des mécanismes de régulation au bon échelon, c’est-à-dire européen, nous fasse gagner en compétitivité. La disparition, que vous avez souhaitée, des quotas laitiers en 2008 en apporte aujourd’hui la triste démonstration.
M. Henri Cabanel. Absolument !
M. Franck Montaugé. Pour ce qui est de la sécurisation des revenus des agriculteurs en cas de crise, vous dites également que des transferts d’enveloppes du premier vers le second pilier devront être opérés dans le cadre de la réforme de la PAC.
Vous posez également le problème de l’application du droit européen de la concurrence en matière de concentrations industrielles, et vous en appelez à l’éligibilité des investissements stratégiques agricoles et agroalimentaires au plan Juncker.
Les agriculteurs attendent, à juste titre, des réponses à toutes ces questions absolument fondamentales. Je vous suggère donc d’agir, chers collègues de la majorité sénatoriale, et de peser de tout votre poids politique – rien ne l’empêche ! – auprès de la Commission et du Parlement européen, dont la majorité politique est plus proche de votre groupe que du mien.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au final, et sans remettre en question la pertinence de l’objectif de compétitivité, force est de constater que le périmètre et la portée de ce texte sont très réduits.
Quelques mesures méritent cependant d’être soutenues, parmi lesquelles l’extension aux coopératives du dispositif de suramortissement prévu à l’article 142 de la loi Macron.
Les effets sur la compétitivité du pacte de responsabilité – 4,216 millions d’euros en 2016 et 4,618 millions d’euros en 2017 – sont toutefois sans commune mesure avec cette proposition de loi, qui ne traite pas la question, pourtant essentielle, des réformes structurelles.
Et la loi d’avenir pour l’agriculture constitue aussi un cadre propice pour relever avec succès, dans la durée, les enjeux qualitatifs et quantitatifs de notre temps : elle a notamment renforcé les dispositifs de contractualisation et incité aux démarches collectives et à la mutualisation des moyens par le biais des groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, des coopératives d’utilisation de matériel agricole, les CUMA, et des groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, dont le nombre devient significatif, sans oublier les coopératives, qui méritent un soutien particulier, parce qu’elles sont, en réalité, le fer de lance de notre agriculture.
Dès lors, pourquoi s’être ainsi précipité ? Pourquoi ne pas avoir pris quelques semaines ou quelques mois supplémentaires pour réfléchir aux mesures qui conditionnent véritablement l’avenir et la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire françaises ?
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » : nous préférons, quant à nous, suivre l’exhortation de Boileau pour traiter les sujets importants qui ont été laissés de côté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas évident d’être le dernier orateur. Je ferai peut-être quelques répétitions, mais j’essaierai aussi d’apporter de nouveaux éclairages.
L’agriculture est en crise et traverse des moments très difficiles : chute des revenus, déjà très faibles sur l’échelle des salaires, travail à perte pour de nombreuses exploitations, ce qui entraîne de multiples cessations d’activité.
L’élevage est particulièrement touché : selon l’Institut de l’élevage, le tiers des exploitations auront cessé leur activité entre 2010 et 2020. À ce manque de rentabilité s’ajoute l’accroissement des normes et des exigences, qui vont souvent bien au-delà des obligations européennes.
Toutefois, en cet instant, je voudrais répondre plus particulièrement aux interrogations de notre collègue Joël Labbé et, plus largement, à celles de son groupe et du mouvement écologiste. Pourquoi montrez-vous systématiquement l’agriculture du doigt ? Pourquoi la considérez-vous si mal ?
Ainsi, l’agriculture polluerait, rejetterait du CO2, les ruminants dégageraient des gaz entériques et les agriculteurs dégraderaient la qualité de l’eau…
Que dire des productions ? Seuls les produits bio trouvent grâce aux yeux des écologistes, et pourtant…
Dans tous ces domaines, qu’il s’agisse de la qualité des produits ou du bien-être animal, des efforts et des améliorations considérables ont été réalisés grâce à la recherche, à nos instituts, à la vulgarisation conduite par les organismes agricoles et les coopératives.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Gérard Bailly. Posez la question à nos chefs cuisiniers : que pensent-ils de nos produits utilisés en gastronomie ?
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Gérard Bailly. Notre cuisine française est l’un des fleurons de notre pays, célébré par des étrangers désireux de déguster nos produits dans nos restaurants.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. Gérard Bailly. Alors, cessez les polémiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) En disant cela, je m’adresse aussi aux médias, à certains journalistes qui jettent trop souvent l’anathème sur les agriculteurs et les éleveurs.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Gérard Bailly. Notre alimentation sera-t-elle de meilleure qualité lorsqu’elle proviendra des États-Unis, d’Amérique du Sud et de bien d’autres pays qui autorisent les hormones et les OGM ? Pourquoi présenter une image si négative de l’agriculture française ? La France est l’un des pays les plus stricts en matière de contrôles alimentaires et d’exigences sanitaires. Et ce n’est pas M. le ministre, j’en suis sûr, qui dira le contraire !
Oui, cette proposition de loi est urgente. Certes, elle a été préparée rapidement. Mais fallait-il attendre encore plus de ravages dans nos campagnes et d’abandons de nos exploitations agricoles ? Fallait-il attendre que nos agriculteurs aient encore moins le moral ?
Bien entendu, cette proposition de loi ne règlera pas tous les problèmes, nous le savons. Nous sommes engagés dans une concurrence européenne et mondiale.
Il est urgent de diminuer les charges, d’accompagner davantage les investissements de plus en plus lourds, de mieux informer le consommateur – en la matière, nous allons, me semble-t-il, dans le bon sens, monsieur le ministre, et nous sommes d’accord avec ce qui a été fait et ce qui reste encore à faire ! –, de mieux nous préparer à affronter les crises, les aléas climatiques et sanitaires, avec la mise en place de la réserve spéciale d’exploitation agricole, la RSEA, de mieux accompagner les jeunes agriculteurs et, enfin, de ne pas ignorer, comme c’est le cas aujourd’hui, les coûts de production de nos fermes lors des discussions sur les prix et les contrats d’achat – sur ce point, l’article 1er de cette proposition de loi va dans le bon sens.
Oui, il est nécessaire de prendre rapidement en considération cette proposition de loi. N’oublions pas que l’agriculture est indispensable à notre pays. Nous avons déjà énormément perdu avec le départ de nos industries vers des pays étrangers ; ne prenons pas le même chemin avec le secteur agricole !
Notre agriculture nourrit la population avec des aliments sains, j’y insiste, elle valorise les produits issus d’autres productions et permet le développement d’énergies renouvelables. Dans de nombreuses régions, elle est le principal acteur de la vie rurale, et elle contribue à créer de très nombreux emplois, en amont comme en aval.
Le tourisme, l’accueil et la vente à la ferme sont d’importants facteurs d’animation du monde rural.
Dois-je aussi rappeler que 42 % des agriculteurs sont engagés dans une association ? Je n’oublie pas non plus les services apportés par les agriculteurs dans les petites communes, grâce à leur matériel, et le rôle primordial qu’ils jouent pour préserver, tout au long de l’année, la diversité de nos paysages.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Gérard Bailly. L’actualité nous conduit à nous intéresser plus particulièrement aux problèmes liés à l’environnement. En la matière, on ne souligne pas assez le rôle majeur des paysans : les prairies stockent le carbone et, sans pâturage, la progression des friches diviserait la biodiversité végétale par quatre en moins de vingt ans ? De plus, la pâture apporte des matières organiques, qui limitent les risques d’érosion, les incendies dans le Midi, les avalanches dans nos montagnes.
Imaginez quelques instants, mes chers collègues, le Massif central sans ses broutards et ses vaches allaitantes, sans ses brebis et ses bons fromages !
M. Gérard Longuet. C’est impossible !
M. Gérard Bailly. Et il en va de même dans les autres massifs : partout, l’agropastoralisme préserve la variété de nos paysages et nos multiples produits de qualité.
Mes chers collègues, nous connaissons tous, plus particulièrement les élus de montagne, la diminution, ô combien regrettable, du nombre de nos exploitations et la situation très difficile des éleveurs en cette fin d’année 2015. Et l’année 2016 ne s’annonce pas sous de bons auspices…
C’est pourquoi nous ne pouvons qu’apporter notre soutien à cette proposition de loi – j’ai rêvé la nuit dernière qu’elle était adoptée à l’unanimité, mais je crois que ce ne sera pas le cas ! (Sourires.) –, présentée par Jean-Claude Lenoir et plusieurs de nos collègues – notre président Gérard Larcher est à l’initiative de la table ronde organisée au Sénat sur ce sujet ! –, pour que notre agriculture et notre élevage retrouvent leur place et, nos agriculteurs, une lueur d’espoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Je demande la parole pour une mise au point, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Permettez-moi, en préambule, de féliciter les orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale et qui, pour la plupart d’entre eux, sont membres de la commission des affaires économiques. Tous connaissent bien le sujet, et nous avons écouté leur avis avec beaucoup d’intérêt. Je suis sûr que M. le ministre lui-même a apprécié les propos qui ont été tenus, même si certains étaient un peu en décalage avec son intervention. Mais le débat permettra sans doute d’aplanir quelques aspérités.
Monsieur le président, je voudrais revenir sur l’incident qui s’est produit au restaurant du Sénat, afin de dissiper tout malentendu.
Tel qu’il a été relaté, on pourrait croire que la FNSEA avait organisé un petit-déjeuner au Sénat et qu’elle avait apporté des produits qui n’étaient pas français. En réalité, comme c’est souvent le cas, nous avons participé à un petit-déjeuner de travail avec des responsables de la FNSEA. Et c’est le président de la FNSEA lui-même, M. Xavier Beulin, qui a relevé que les petites bouteilles de lait présentes sur les tables contenaient un produit en provenance d’Allemagne. (Exclamations.)
M. Gérard César. C’est l’Europe !
M. Jean-Claude Lenoir. J’ai aussitôt mis en application l’article 3 de la proposition de loi que nous allons sans doute adopter ce soir, texte qui permet à tout consommateur de se tourner vers le distributeur ou le fabricant d’un produit pour en connaître l’origine. J’ai donc envoyé un message électronique au directeur du restaurant du Sénat – je rappelle que celui-ci est géré par une entreprise privée – pour savoir ce qu’il en était.
Le directeur du restaurant m’a répondu qu’il s’agissait en effet de petits pots individuels de lait provenant d’Allemagne (Nouvelles exclamations.), mais que ceux-ci avaient été supprimés dès le lendemain. Il m’a assuré que, désormais, le lait était français, comme la majorité des produits servis au restaurant du Sénat.
« La majorité des produits servis sont français, mais pas la totalité ? », ai-je relevé. « Avez-vous des exemples de produits étrangers ? », ai-je ajouté. La réponse suffit à elle seule : sincèrement, m’a répondu le directeur du restaurant du Sénat, à l’exception de certains fruits exotiques et des épices, tout est français !
Je tenais à apporter cette information. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Comme vous le voyez, monsieur le ministre, les sénateurs boivent beaucoup de lait et sont de grands amateurs d’épices ! (Sourires.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire
Chapitre Ier
Des relations plus justes et transparentes, du producteur au consommateur
Articles additionnels avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La France promeut au niveau communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs : mise en place d’un prix minimum européen pour chaque production prenant en compte les spécificités des différentes zones de production, activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, mise en œuvre de clauses de sauvegarde ou tout autre mécanisme concourant à cet objectif.
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Comme cela a été rappelé par M. le rapporteur, mais aussi dans le cadre du débat budgétaire, de nombreuses dispositions régissant la politique agricole relèvent du niveau européen, l’architecture de la PAC étant fixée pour sept ans et la prochaine réforme devant intervenir en 2020.
C’est pourquoi, par notre amendement, il nous semble essentiel de rappeler au Gouvernement la nécessité d’agir au sein du Conseil européen et auprès de la Commission européenne pour la mise en œuvre de mesures susceptibles de garantir des prix rémunérateurs et stables pour les productions, car c’est bien de cela que souffre aujourd’hui notre agriculture.
La mise en place d’un prix minimum européen est un objectif ambitieux, qui devrait contribuer à réduire les cas de distorsion de concurrence qui se multiplient sur le marché intracommunautaire. Les productions, dont le coût dépend fortement de la main d’œuvre, en sont plus particulièrement victimes.
Ce prix minimum devra tenir compte des spécificités des différentes zones de production : il devra être modulé en fonction des conditions de production sur les territoires – le prix des facteurs de production n’est pas le même en plaine ou en montagne, dans des zones bien desservies ou défavorisées – et en fonction des conditions climatiques.
Il faut aussi activer des dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire. À l’inverse des négociations en cours sur les différents traités de libre-échange, qui ne prennent pas en compte les spécificités des productions agricoles françaises et européennes, il s’agit de rétablir une équité dans les relations commerciales internationales, en imposant aux produits que nous importons de respecter les mêmes exigences que celles que nous demandons à nos producteurs : haut niveau de protection sociale, mais également conditions sanitaires et environnementales.
Seule la mise en œuvre de mesures réglementaires ou douanières traduisant le principe de préférence communautaire pourra en effet mettre fin au dumping social, environnemental et sanitaire, qui caractérise aujourd’hui la concurrence mondiale sur les produits agricoles.
Enfin, notre amendement évoque également l’adoption de clauses de sauvegarde, qui existent déjà en cas de risque avéré pour la santé ou l’environnement, mais qui devraient être étendues aux risques économiques, afin de protéger nos exploitations, dont un grand nombre pourrait disparaître faute de revenu suffisant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Par cet amendement, vous demandez, mon cher collègue, que la France promeuve, au niveau européen, des prix rémunérateurs pour les agriculteurs et la mise en place de prix minimum.
Cette question relève d’abord et avant tout de la PAC. Ainsi, la régulation est établie par le règlement européen portant organisation commune des marchés. Il est vrai que les mécanismes mis en œuvre sont assez faibles. Par exemple, les prix d’intervention publique, quand ils existent encore, sont fixés à un niveau très bas. Quant aux mécanismes d’aide au stockage privé, ils sont également assez restrictifs. Finalement, le filet de sécurité est tendu très près du sol !
La commission des affaires économiques et la commission des affaires européenne du Sénat ont mis en place un groupe de suivi de la PAC pour préparer les discussions qui précéderont la prochaine réforme. La question soulevée par l’amendement sera abordée dans le cadre de ce groupe.
En fait, cette proposition constitue, en réalité, un vœu, qui relève plus d’une proposition de résolution européenne que d’un texte de loi.
C’est pour ces raisons que la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. M. le rapporteur a rappelé un certain nombre d’éléments. Cet amendement prévoit finalement – c’est tout le problème ! – de revenir à un système de préférence communautaire et de prix. C’est au fond ce que vous demandez, en envisageant plusieurs prix, selon les conditions et lieux de production.
Lorsque la préférence communautaire existait, il y avait bien un seul marché, mais avec six pays, puis neuf. Ensuite, ce système a été supprimé. Les différences entre les vingt-huit États membres actuels nécessiteraient, non pas un prix, mais de multiples, pour qu’ils soient capables de s’adapter aux situations de production et de rémunération du capital de chacun des pays.
Ensuite, si l’on revient à un système où les prix sont soutenus à l’intérieur d’un marché, qu’il soit français ou européen, cela nécessite, vous l’avez affirmé vous-même, monsieur le sénateur, que l’on remette en place la préférence communautaire.
Le sujet n’est pas facile, et je comprends l’intention qui sous-tend cet amendement. Mais quelle a été la conséquence de ce système de préférence ? Avec des prix élevés et une protection à l’importation, si vous souhaitez exporter, vous êtes obligés de compenser la différence de prix entre les marchés intérieur et mondial. C’était le système des restitutions.
Vous le voyez, dès que nous essayons de régler un problème en fermant un marché ou en définissant un prix par nous-mêmes, nous nous retrouvons confrontés à tout ce qui fait un marché et à la difficulté d’en combiner tous les enjeux. Si nous fermions totalement nos frontières, nous n’aurions plus d’importations, mais nous ne pourrions plus non plus exporter !
Prenons simplement l’exemple du lait. Sur un volume de production de 22 milliards de litres environ, la France en exporte entre 8 et 10 milliards, sous une forme ou sous une autre, le lait en poudre, le fromage, etc.
Dès que l’on touche aux prix sur le marché intérieur, il y a un impact à l’extérieur, sur les marchés où nous exportons.
Pour réussir à régler le problème soulevé par M. Le Scouarnec, il faut assurer une stabilité des prix et faire en sorte que des dispositifs permettent de les lisser beaucoup plus. Mais nous y reviendrons à l’occasion de l’examen d’autres amendements. Nous devons ainsi éviter que la pression sur les prix ne se répercute immédiatement sur le producteur. Or c’est ce qui se passe aujourd’hui, dès que survient une baisse de prix sur le marché mondial.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qu’il faudrait prévoir, c’est l’obligation de transparence sur les résultats des grandes entreprises de transformation. Aujourd’hui, je le dis, certaines grandes entreprises ne publient pas leurs résultats. Elles peuvent donc plus facilement arguer qu’elles rencontrent des difficultés, même si leurs résultats sont positifs ! Je pense d’ailleurs que c’est bien le cas… Dans le même temps – et je le constate ! –, la production rencontre les difficultés que chacun connaît ! Il faut donc équilibrer tous ces éléments.
Telles sont les raisons pour lesquelles je ne suis pas favorable à cet amendement. L’adoption de cet amendement nous conduirait à nous engager dans un processus qui a déjà existé, et nous obligerait à prendre des mesures nous mettant nous-mêmes en difficulté, eu égard au fait que nous sommes un grand pays exportateur, comme cela a été rappelé. Qui plus est, nous exportons des produits de qualité !
Si je prends l’exemple de la viticulture, le Languedoc-Roussillon a connu une véritable révolution depuis une vingtaine d’années. Alors que les vins de cette région étaient destinés à la seule consommation nationale, le choix de la qualité a permis de les exporter tous – je les connais bien ! – sur des marchés à l’international. Dès lors, on ne peut considérer que le coût de production du vin dans le Languedoc-Roussillon n’a pas un impact sur les marchés internationaux.
C’est pourquoi, je le répète, je ne suis pas favorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La France défend au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de quotas pour certaines productions, et l’activation d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Dans la continuité de l’amendement précédent, qui n’a pas rencontré un grand succès…
M. André Trillard. Même vote, alors ?
M. Michel Le Scouarnec. Cela permet tout de même d’avancer, car on ne sait pas de quoi demain sera fait !
Dans la continuité du précédent amendement, disais-je, nous proposons que la France agisse pour le développement de meilleurs outils de régulation et de gestion de l’offre au travers, par exemple, du maintien ou de la création de quotas pour certaines productions et la réactivation des outils de stockage public pour gérer les surplus.
Il s’agit de plaider en faveur de la régulation des marchés agricoles contre le dogme du libre marché promu par la Commission européenne. C’est une question éminemment politique, et nous invitons le Gouvernement à faire preuve de volontarisme.
Comme je l’ai souligné dans mon intervention générale, il nous faut renouer avec les principes inhérents à la PAC, qui reconnaissaient la spécificité du secteur agricole. Il faut qu’il soit tenu compte, dans l’élaboration des politiques européennes, de ses caractéristiques propres : forte volatilité des prix ; étroitesse des marchés ; faible élasticité de la demande ; finalités multiples – production alimentaire, mais aussi production de biens publics. Car l’agriculture, c’est aussi la préservation de l’environnement, l’entretien des paysages et le maintien d’une vie rurale.
En ce sens, le secteur agricole n’est comparable à aucun autre secteur de production et justifie le maintien de protections spécifiques.
À l’encontre des réformes prônées par la Commission européenne pour permettre aux agriculteurs de répondre aux signaux du marché mondial, réformes totalement influencées par la spéculation et déconnectées de la demande réelle sur le marché intérieur, la France doit obtenir la mise en œuvre de mécanismes de régulation au niveau communautaire, et elle ne doit pas, notamment, renoncer à réclamer le rétablissement de quotas laitiers, voire la création de quotas pour ce qui concerne d’autres productions. La crise laitière illustre, à cet égard, la nécessité de disposer d’instruments efficaces en matière de gestion de l’offre.
Cela exige non seulement que soient conservés des mécanismes d’intervention, comme le stockage public, mais aussi que ceux-ci soient réellement et pleinement activés lorsque la situation sur les marchés le justifie.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement procède du même esprit que le précédent. Il relève, là encore, plus d’un vœu, qui pourrait être formulé dans le cadre de la préparation de négociations communautaires, que d’une proposition de loi, comme celle que nous examinons aujourd’hui.
C’est pourquoi la commission a donné un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Permettez-moi d’apporter quelques éléments de réponse sur la question de la régulation des marchés.
À cet égard, je tiens tout d’abord à dire qu’on obtient des résultats ! Concernant la viticulture, par exemple, le droit de plantation avait été supprimé en 2008, ce qui permettait à chacun de planter des vignes. C’était d’ailleurs l’objectif – très libéral – de la Commission européenne : on peut planter dès qu’il y a un marché potentiel !
Mais si l’on commence à planter des vignes tous azimuts, sans régulation, sans droit de plantation, je n’ai pas besoin de vous expliquer ce qui peut arriver, y compris aux plus belles indications géographiques ou appellations d’origine protégée de France ! C’est pour cette raison que nous avons remis en place le droit de plantation. J’ai d’ailleurs trouvé une large majorité de pays pour le faire.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Vous le voyez : parfois, nous réussissons !
En revanche, il a été impossible de sortir de la logique visant à supprimer les quotas sucriers ! Une majorité de pays, tant ceux à qui on a supprimé une partie de leurs quotas historiques que ceux qui bénéficiaient de cette mesure, en particulier la France à l’époque, a décidé leur suppression. J’ai toutefois obtenu un report, de 2015 à 2017, de la mise en œuvre de cette mesure.
Comme les conditions vont changer, il est nécessaire, je le dis ici au Sénat, d’organiser une interprofession. Alors que la filière du sucre est parfaitement organisée et dispose d’une structuration très importante en termes territorial et industriel, je ne veux pas que la France ne dispose pas, dès le départ, pour anticiper la fin des quotas, d’une interprofession à laquelle tout le monde soit associé. Nous ne devons pas nous retrouver, comme c’est le cas aujourd’hui dans d’autres filières, sans lieu de débat et de contractualisation potentielle.
J’ai donc réuni toute la profession, qu’il s’agisse des producteurs, des transformateurs, des distributeurs ou des utilisateurs du sucre, pour leur demander de se mettre d’accord. Je peux vous dire que ce n’est pas fait ! En particulier en raison des positions de deux grandes coopératives, qui, l’une et l’autre, ne sont pas d’accord.
Comme M. Bizet l’a rappelé, notre pays connaît de temps en temps de telles divisions, contrairement à d’autres pays – M. Bizet a évoqué l’Allemagne –, où, dès lors qu’un accord est passé, il est effectivement mis en œuvre, même si la concurrence continue de jouer.
Là, je vous le dis, il va falloir que je me batte sur cette question. Mais je me battrai jusqu’au bout, je ne lâcherai pas !
M. Jean Bizet. Le Sénat sera derrière vous !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous l’avons tous entendu !
M. Stéphane Le Foll, ministre. En ce qui concerne les mécanismes permettant de retirer des productions du marché, il est vrai que les niveaux de prix d’intervention sont extrêmement bas pour la viande et le lait – 220 euros la tonne, par exemple, pour le lait. Concernant la viande bovine, les prix d’intervention n’ont pas été revalorisés depuis vingt ans !
Je me suis battu sur ces deux dossiers. J’avais, contre moi, la Commission européenne, qui considère que le système d’intervention a conduit, il y a une vingtaine d’années, à des montagnes de poudre de lait et de beurre et à des réfrigérateurs remplis de viande. Elle vit encore avec cette hantise !
Lors des dernières discussions au conseil de l’Union européenne pour trouver des réponses à la crise du lait, nous avons bien obtenu 500 millions d’euros, mais la Commission a refusé d’avancer sur le prix d’intervention. J’aurais préféré une enveloppe financière moins importante, et que l’on relève le prix d’intervention. Nous avions même trouvé un accord à plusieurs pays, dont l’Espagne, l’Italie et Irlande, pour que le dispositif soit limité dans le temps. Nous voulions un système permettant de relever le prix d’intervention s’il est trop bas au moment d’une crise.
Aujourd’hui encore, au sein de la Commission européenne, certains pensent que tout système d’intervention est l’amorce d’un stockage et de la création de montagnes de beurre et de poudre de lait ! De ce fait, je n’ai pas pu obtenir la revalorisation du prix d’intervention.
Mais, je vous le dis, sur ces questions, les discussions se poursuivront. Parfois, des situations de bon sens peuvent s’imposer.
Aujourd’hui, le système de l’intervention est ce qui aurait coûté le moins cher au budget européen. Je l’ai indiqué, nous avons obtenu 500 millions d’euros de recettes exceptionnelles. Mais sinon, qu’est-ce qui se serait passé ? Qu’aurait pu mettre la Commission sur la table pour venir en aide à l’élevage ? Pas grand-chose, je peux vous le dire !
Je l’ai dit d’ailleurs à la Commission : il faudra, un jour ou l’autre, revenir sur ces questions, en vue de mettre plus de régulation. J’en suis d’accord avec vous, monsieur Le Scouarnec, mais le débat doit se situer à l’échelle européenne. C’est la raison pour laquelle je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Le Scouarnec, l’amendement n° 22 est-il maintenu ?
M. Michel Le Scouarnec. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 22 est retiré.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Très bien !
Article 1er
À la première phrase du quatrième alinéa du I de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, après les mots : « modalités de détermination du prix », sont insérés les mots : « qui font référence à un ou plusieurs indicateurs d’évolution des coûts de production en agriculture et à un ou plusieurs indices publics des prix des produits agricoles ou alimentaires, pouvant être établis par accords interprofessionnels ou par l’observatoire de la formation des prix et des marges ».
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.
M. Michel Raison. Permettez-moi tout d’abord de me féliciter de cette initiative sénatoriale, prise sous l’impulsion de nos présidents de commission.
Monsieur le ministre, je l’ai déjà souligné lors de la discussion du projet de loi de finances, vous n’êtes pas, nous le savons, le seul responsable de la crise. Vous n’en êtes pas non plus le seul remède. À chacun ses responsabilités. L’Europe a sa part ; vous aussi, bien sûr, ne serait-ce que pour stimuler l’Europe dans un certain nombre de domaines, mais n’oublions pas également, en amont et en aval, les agriculteurs et les parlementaires que nous sommes. Cette initiative parlementaire est un signe de prise de nos responsabilités. C’est pourquoi nous vous demanderons de la soutenir jusqu’au bout. Lorsque vous faites votre travail, nous vous soutenons ; lorsque nous faisons le nôtre, soutenez-nous ! (Sourires.)
L’article 1er vise à apporter certaines améliorations à la contractualisation, une mesure que j’avais eu l’honneur de défendre, en tant que rapporteur à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Nous avions alors déjà eu ce débat, tout paysan rêve de voir inscrit dans un contrat un prix garanti, et tout collecteur rêve d’être totalement libéré du marché pour pouvoir fixer le prix comme bon lui semble. L’objectif est de trouver le juste milieu entre ces deux excès irréalisables.
L’article 1er, modifié à juste titre par M. le rapporteur, tend à introduire une notion de prix de revient et de prix des matières premières. Bien évidemment, définir un prix de revient serait très compliqué. Il faudrait disposer de fermes de référence par système de production et par département, en courant le risque, important, de voir le collecteur s’aligner sur un prix de revient relativement bas et de s’en tenir, quand bien même le cours monte, au prix le plus bas.
Pour autant, dans un contrat, nous devons pouvoir stimuler le collecteur, le transformateur, qui ne fait jamais beaucoup d’efforts pour donner le maximum. Parvenir à le contraindre à tenir compte de certains paramètres, tels que la variation des matières premières – pétrole, aliment du bétail, intrants pour les céréaliers, ou autres –, l’incitera à être plus vigilant et plus conscient de la difficulté passagère ou liée au futur contrat, puisque ces contrats s’entendent sur une durée de trois ans.
Pour toutes ces raisons, je suis favorable à l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 37, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Le I de l’article L. 631-24 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du huitième alinéa est ainsi rédigée :
« Dès lors que l'acheteur a donné son accord au changement de producteur dans le cadre d’une reprise à un nouveau producteur satisfaisant aux conditions de qualification ou d’expérience professionnelle prévues à l’article L. 331-2 engagé dans la production depuis moins de cinq ans, l’acheteur est tenu de proposer au producteur un contrat d’une durée minimale prévue par le décret mentionné au cinquième alinéa du présent I, dont les conditions sont identiques à celles convenues avec le précédent producteur. » ;
b) Le neuvième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce décret peut rendre incessibles les contrats de vente conclus entre producteurs et acheteurs de produits d’une ou de plusieurs productions. » ;
2° Le I de l’article L. 671-9 est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« …° Le fait, pour tout bailleur, tout preneur sortant, tout exploitant agricole, tout intermédiaire ou tout acheteur de produits agricoles soit, d’avoir, directement ou indirectement obtenu une remise d'argent ou de valeurs en vue de procéder au transfert entre producteurs d’un contrat rendu obligatoire au titre du neuvième alinéa du I de l’article L. 631-24, soit d’imposer ou tenter d’imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci.
« Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition et majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux de l'intérêt légal mentionné à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier majoré de trois points.
« En cas de reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, l'action en répétition peut être exercée dès lors que la somme versée a excédé ladite valeur de plus de 10 %.
« L’action en répétition exercée demeure recevable pendant toute la durée du contrat transféré et de ses renouvellements ou reconductions successifs. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Lors des auditions, nous avons pu constater que, à la suite de la suppression des quotas laitiers et de la mise en place des contrats, se développait sur notre territoire un phénomène qui prenait de l’ampleur ; je veux parler de la cession à titre onéreux des contrats laitiers.
Or la reprise d’un contrat laitier constitue une dépense supplémentaire, qui peut freiner l’installation notamment. Cette pratique semble très curieuse, alors même qu’il a été mis fin aux quotas laitiers.
L’amendement n° 37 prévoit de mettre en place un mécanisme à deux niveaux pour contrer cette pratique.
D’une part, il vise non pas à interdire la cession de quotas laitiers à titre onéreux, mais à faire perdre tout intérêt à cette pratique en obligeant l’acheteur, dès lors qu’il accepte le transfert de contrat dans le cadre d’une reprise d’exploitation, à proposer un contrat identique au repreneur. Ce dernier bénéficiera donc d’une protection juridique, et il ne lui sera pas nécessaire de payer pour bénéficier du contrat. L’objectif est de permettre au jeune installé de bénéficier des mêmes conditions que celui à qui il succède.
D'autre part, l’amendement prévoit de déclarer par décret que les contrats dans un secteur déterminé sont incessibles. Les sanctions en ce cas seraient similaires à celles qui sont prévues par le code rural et de la pêche maritime concernant les baux ruraux, afin de lutter contre le phénomène des pas de porte.
Il est absolument indispensable d’envoyer un signal fort pour que cesse cette pratique de « marchandisation » des contrats, dommageable à l’installation. Dans les bassins laitiers, c’est un boulet que l’on attache de plus en plus souvent au pied des producteurs. Les seuls bénéficiaires de cette pratique sont, hélas, ceux qui arrêtent de produire.
Nous avons pu le constater, monsieur le ministre, la cessibilité des contrats n’existe pas dans les autres régions productrices de lait de l’Union européenne. Ce schéma de cession payable est dommageable pour l’économie et il constitue une pénalité pour la compétitivité des exploitations laitières.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je l’affirme de la matière la plus claire qui soit : si l’on a supprimé les quotas laitiers, c’est en raison de la mise en place d’un marché des quotas. Ainsi, aux Pays-Bas, il y a trois ou quatre ans, le quota étant de 2 euros par litre, il fallait doubler l’investissement pour s’installer. Vous aviez à payer le capital – la ferme et le troupeau – plus le quota !
Pour être très transparent et très clair, la France a refusé de mettre en place un marché des quotas. Et nous aurions abandonné les quotas pour aller vers une cessibilité des contrats et, donc, un marché des contrats…
En tant que ministre, après les positions que nous avons prises sur les quotas laitiers, je ne peux laisser se mettre en place un marché sur les contrats laitiers. Il ne manquerait plus que, passant des quotas aux contrats et sachant combien il est difficile aujourd’hui de s’installer, les agriculteurs doivent, en plus du capital, financer des contrats pour leur installation.
Je partage à 100 % votre proposition. Nous allons toutefois demander une étude juridique.
Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat pour que cet amendement soit adopté, mais nous y reviendrons pour nous assurer que tout est bien calé juridiquement.
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, la conférence des présidents devant se réunir à dix-neuf heures trente, les explications de vote sur cet amendement auront lieu à la reprise.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures.)
9
Conférence des présidents
M. le président. Mes chers collègues, je vais vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents, qui s’est réunie à dix-neuf heures trente.
La conférence des présidents a tout d’abord pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, de la demande, présentée par le groupe UDI-UC, de création d’une mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte.
Elle a par ailleurs établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE
Mercredi 9 décembre 2015
Le soir et la nuit :
- Suite de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire (texte de la commission, n° 217, 2015-2016) (demande du groupe Les Républicains)
Jeudi 10 décembre 2015
À 10 h 30 :
- Examen d’une demande de la commission des lois tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu’il lui confère les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour le suivi de l’état d’urgence, pour une durée de six mois
- Projet de loi de finances rectificative pour 2015 (n° 227, 2015-2016) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution). Ce texte a été envoyé à la commission des finances, avec une saisine pour avis de la commission des affaires économiques.
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : ouverture de la discussion générale
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : vendredi 11 décembre, à 8 h 30 et, éventuellement, aux suspensions du matin et de l’après-midi
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
À 15 heures :
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site internet du Sénat)
Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : jeudi 10 décembre, à 11 heures
De 16 h 15 à 20 h 15 :
Ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen
- Proposition de loi permettant de maintenir et de développer sur l’ensemble du territoire national une offre de transport ferroviaire régional de qualité, présentée par Mme Évelyne Didier et plusieurs de ses collègues (n° 113, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Éventuellement, le soir :
- Suite de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire (texte de la commission, n° 217, 2015-2016) (demande du groupe Les Républicains)
Vendredi 11 décembre 2015
À 9 h 30, à 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit :
- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2015 (n° 227, 2015-2016) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)
Éventuellement, samedi 12 décembre 2015
À 9 h 30, à 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit :
- Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2015 (n° 227, 2015-2016) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution)
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Lundi 14 décembre 2015
À 14 h 30, le soir et la nuit :
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (texte de la commission, n° 211, 2015-2016)
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 11 décembre à 17 heures
- Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de notre système de santé (n° 209, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 11 décembre, à 11 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : lundi 14 décembre après-midi
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 11 décembre, à 17 heures
Mardi 15 décembre 2015
À 14 heures :
- Suite de la nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé (n° 209, 2015-2016)
À 16 h 45 :
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat)
Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 15 décembre, à 12 h 30
À 18 heures :
- Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 décembre
Intervention liminaire du Gouvernement : 10 minutes, 5 minutes attribuées à chaque groupe politique et 3 minutes aux sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 14 décembre, à 17 heures
5 minutes attribuées respectivement à la commission des finances et à la commission des affaires européennes
Après la réponse du Gouvernement, débat spontané et interactif de 45 minutes : 2 minutes maximum par sénateur avec possibilité d’une réponse du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes
Le soir et la nuit :
- Suite de la nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé (n° 209, 2015-2016)
Mercredi 16 décembre 2015
À 14 h 30, le soir et la nuit :
- Désignation des onze membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne
Délai limite pour la remise des candidatures à cette commission au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle : mardi 15 décembre, à 16 heures
- Désignation des vingt-cinq membres de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte
Délai limite pour la remise des candidatures à cette mission au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle : mardi 15 décembre, à 16 heures
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2016 ou nouvelle lecture
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 15 décembre, à 17 heures
En cas de nouvelle lecture : réunion de la commission pour le rapport : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : ouverture de la discussion générale
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances rectificative pour 2015 ou nouvelle lecture
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 15 décembre, à 17 heures
En cas de nouvelle lecture : réunion de la commission pour le rapport : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : ouverture de la discussion générale
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention du 21 juillet 1959 entre la République française et la République fédérale d’Allemagne en vue d’éviter les doubles impositions et d’établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi qu’en matière de contribution des patentes et de contributions foncières, modifiée par les avenants des 9 juin 1969, 28 septembre 1989 et 20 décembre 2001 (texte de la commission, n° 232, 2015-2016)
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 15 décembre, à 17 heures
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi autorisant l’approbation du quatrième avenant à la convention entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (AN, n° 2925)
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 15 décembre, à 17 heures
- Suite de la nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé (n° 209, 2015-2016)
Jeudi 17 décembre 2015
À 10 h 30, à 14 h 30 et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Colombie et le Pérou, d’autre part (texte de la commission, n° 236, 2015-2016)
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 décembre, à 17 heures
- 2 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié : Projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (texte de la commission, n° 238, 2015-2016) ; Projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République des Philippines, d’autre part (texte de la commission, n° 241, 2015-2016)
Délai limite pour qu’un président de groupe demande le retour à la procédure normale : mardi 15 décembre, à 17 heures
- Projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre global de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République socialiste du Viêt Nam, d’autre part (texte de la commission, n° 240, 2015 2016)
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 décembre, à 17 heures
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public (texte de la commission, n° 189, 2015-2016)
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 16 décembre, à 17 heures
- Suite de la nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé (n° 209, 2015-2016)
Suspension des travaux en séance plénière : du lundi 21 décembre 2015 au dimanche 10 janvier 2016
SEMAINE SÉNATORIALE DE CONTRÔLE
Mardi 12 janvier 2016
À 14 h 30 :
- Débat sur le thème : « Les incidences du crédit d’impôt recherche sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays » (demande du groupe communiste républicain et citoyen)
Temps attribué au groupe communiste républicain et citoyen : 10 minutes
Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 11 janvier, à 17 heures
- Débat sur le thème : « La forêt française en questions » (demande du groupe Les Républicains)
Temps attribué au groupe Les Républicains : 10 minutes
Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 11 janvier, à 17 heures
À 17 h 30 et, éventuellement, le soir :
- Proposition de loi constitutionnelle relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales, présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues (n° 197, 2015-2016) (demande du groupe Les Républicains)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 décembre, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 12 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 11 janvier, à 17 heures
Mercredi 13 janvier 2016
De 14 h 30 à 18 h 30 :
Ordre du jour réservé au groupe UDI-UC
- Proposition de résolution tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à l’urbanisme et à la construction présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Marie Bockel et plusieurs de ses collègues (n° 198 rect., 2015-2016)
Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 janvier, à 17 heures
Les interventions des orateurs vaudront explications de vote
- Proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues (n° 145, 2015-2016)
Ce texte a été envoyé à la commission de la culture.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 décembre, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 janvier, à 17 heures
De 18 h 30 à 19 h 30 et de 21 heures à minuit :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain
- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée (procédure accélérée) (AN, n° 3022)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 décembre, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 janvier, à 17 heures
- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (AN, n° 3052)
Ce texte sera envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 décembre, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 11 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 13 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 12 janvier, à 17 heures
Jeudi 14 janvier 2016
À 11 heures :
- Débat sur les conclusions du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques intitulé : « Sécurité numérique et risques : enjeux et chances pour les entreprises » (demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques)
Temps attribué à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : 10 minutes
Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 13 janvier, à 17 heures
À 15 heures :
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site Internet du Sénat)
Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : jeudi 14 janvier, à 11 heures
À 16 h 15 :
- Débat sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air (demande de la commission d’enquête)
Temps attribué à la commission d’enquête : 10 minutes
Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 13 janvier, à 17 heures
SEMAINES RÉSERVÉES PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT
Mardi 19 janvier 2016
À 14 h 30 :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (texte de la commission, n° 608, 2014-2015) et proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la nomination à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité (texte de la commission, n° 609, 2014-2015)
Ces deux textes ont été envoyés à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, avec des saisines pour avis de la commission des affaires économiques et de la commission de la culture sur le projet de loi. Ils feront l’objet d’une discussion générale commune.
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 14 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 19 janvier en début d’après-midi et mercredi 20 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale commune : 2 heures
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale commune : lundi 18 janvier, à 17 heures
À 16 h 45 :
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat)
Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 19 janvier, à 12 30
À 17 h 45 et le soir :
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (texte de la commission, n° 608, 2014-2015) et de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la nomination à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité (texte de la commission, n° 609, 2014-2015)
Mercredi 20 janvier 2016
À 14 h 30 et le soir :
- Suite de l’ordre du jour de la veille
Jeudi 21 janvier 2016
À 10 h 30, à 14 h 30 et le soir :
- Suite de l’ordre du jour de la veille
Mardi 26 janvier 2016
À 9 h 30 :
- Vingt-six questions orales
L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement.
- n° 1182 de M. Richard Yung à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Gestion des impôts dus en France par les non-résidents)
-n° 1202 de M. Philippe Madrelle à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Fonctionnement de la centrale nucléaire du Blayais)
- n° 1211 de Mme Michelle Demessine à M. le ministre de l’intérieur
(Accueil collectif des mineurs en refuge)
- n° 1218 de M. Bruno Sido à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
(Intégrité scientifique)
- n° 1224 de Mme Colette Giudicelli à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes
(Politique européenne d’identification des migrants)
- n° 1228 de M. Jean-Claude Lenoir à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Menaces sur l’alternance intégrative pour les formations en travail social)
- n° 1234 de M. Cyril Pellevat transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique
(Ralentissement de l’activité de l’industrie du bâtiment et des travaux publics en Haute-Savoie)
- n° 1238 de M. Daniel Gremillet à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité
(Délais d’instruction des autorisations d’urbanisme)
- n° 1240 de M. Martial Bourquin à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Glyphosate et pollution des rivières comtoises)
- n° 1245 de Mme Anne-Catherine Loisier à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Fermeture des trésoreries en milieu rural)
- n° 1247 de M. Roland Courteau à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement
(Expérimentation d’une nouvelle méthode de lutte contre le chancre coloré)
- n° 1257 de Mme Agnès Canayer à M. le secrétaire d’État chargé du budget
(Localisation des services de douanes dans le cadre de la Normandie réunifiée)
- n° 1260 de Mme Catherine Procaccia à M. le ministre de la défense
(Service historique de la défense et préservation du château de Vincennes)
- n° 1264 de M. François Commeinhes à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
(Lutte contre la prolifération du moustique tigre)
- n° 1274 de Mme Brigitte Micouleau à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
(Réalisation des lignes à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax)
- n° 1275 de M. Patrick Chaize à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique
(Régime indemnitaire des exécutifs de syndicats intercommunaux)
- n° 1277 de M. Hervé Maurey transmise à M. le ministre des finances et des comptes publics
(Comptes bancaires inactifs et contrats d’assurance sur la vie en déshérence)
- n° 1280 de M. Yannick Vaugrenard à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
(Trésorerie des petites et moyennes entreprises)
- n° 1283 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Fermeture de centres de sécurité sociale dans les Hauts-de-Seine)
- n° 1286 de M. Antoine Karam à M. le ministre de l’intérieur
(Augmentation importante des demandes d’asile en Guyane)
- n° 1288 de Mme Gisèle Jourda à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique
(Nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale)
- n° 1289 de M. Jacques Mézard à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Pôle d’anesthésie dans les hôpitaux publics)
- n° 1291 de M. Louis-Jean de Nicolay à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Maisons de santé hospitalières)
- n° 1294 de M. Olivier Cigolotti à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
(Médicament dépakine et malformations)
- n° 1301 de M. Jean-Pierre Bosino à Mme la ministre de la culture et de la communication
(Théâtre de la faïencerie de Creil)
- n° 1316 de M. Jean Louis Masson à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports
(Champ d’intervention de l’agence nationale pour la rénovation urbaine)
À 14 h 30 :
- Explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la nomination à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité
Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe
Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 25 janvier, à 17 heures
De 15 h 15 à 15 h 45 :
- Vote solennel par scrutin public, en salle des conférences, sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
À 15 h 45 :
- Proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et scrutin public ordinaire en salle des séances sur la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la nomination à la présidence du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité
À 16 heures et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs (n° 242, 2015-2016)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 11 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 13 janvier matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 21 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 26 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 25 janvier, à 17 heures
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (n° 41, 2015-2016)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 14 décembre, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 16 décembre matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 21 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 26 janvier matin et mercredi 27 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 25 janvier, à 17 heures
Mercredi 27 janvier 2016
À 14 h 30 et le soir :
- Suite éventuelle de l’ordre du jour de la veille
- Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat (procédure accélérée) (AN, n° 3262)
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires économiques.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 20 janvier matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 25 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 27 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 26 janvier, à 17 heures
À 14 h 30 et le soir :
- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs (procédure accélérée) (AN, n° 3109 rectifié)
Ce texte sera envoyé à la commission des lois, avec une saisine pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 20 janvier matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 25 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 27 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 26 janvier, à 17 heures
Jeudi 28 janvier 2016
À 10 h 30 :
- 1 convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié : Projet de loi autorisant la ratification du protocole relatif à la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé, 1930 (procédure accélérée) (n° 630, 2014-2015)
Délai limite pour qu’un président de groupe demande le retour à la procédure normale : mardi 26 janvier, à 17 heures
- Suite éventuelle de l’ordre du jour de la veille
- Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées (n° 222, 2015-2016)
Ce texte a été envoyé à la commission des lois.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 18 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 20 janvier matin
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 25 janvier, à 12 heures
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 27 janvier matin
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 30 minutes
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 janvier, à 17 heures
À 15 heures :
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site Internet du Sénat)
Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : jeudi 28 janvier, à 11 heures
Éventuellement, à 16 h 15 et le soir :
- Suite de l’ordre du jour du matin
Je consulte le Sénat sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l’ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Ces propositions sont adoptées.
10
Compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, présentée par M. Jean-Claude Lenoir et plusieurs de ses collègues.
Nous poursuivons la discussion des articles.
Article additionnel après l’article 1er (suite)
M. le président. Nous en sommes parvenus aux explications de vote sur l’amendement n° 37 tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er.
La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. Permettez-moi de saluer M. le rapporteur, qui a pris l’initiative de déposer cet amendement.
J’avais constaté, en lisant la presse normande, le développement du « phénomène », si je puis dire, ou l’idée de rendre cessibles les contrats laitiers, et nous en avions parlé ensemble à plusieurs reprises.
Il s’agit, à mon sens, d’une erreur fondamentale. Je me félicite de la réponse de M. le ministre de l’agriculture, qui a été excessivement ferme sur la question. En cela, il s’inscrit dans le droit fil des positions de tous les ministres de l’agriculture qui se sont succédé depuis 1983, qui, à propos des quotas laitiers, n’ont jamais entraîné la France vers la cessibilité.
Passer d’un contingentement administratif à un contingentement privé serait un très vilain message adressé aux agriculteurs, alors que nous sommes tous réunis ce soir pour essayer de faire diminuer leurs charges.
Certains voient dans cette cessibilité une possibilité d’opérer une structuration de la filière laitière dans certaines régions. Pour ma part, je ne le vois pas ainsi. Si une telle évolution devait intervenir par l’implication des uns ou des autres, cela ne doit surtout pas être des agriculteurs.
J’ai parlé tout à l’heure de l’implication des régions dans la régionalisation des productions et la structuration de filières, mais il ne faut pas donner de valeur marchande à quelque chose qui n’en a plus depuis la disparition des quotas.
M. Gérard César. Tout à fait !
M. Jean Bizet. Je voterai donc avec intérêt l’amendement de M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Cet amendement, qui est très pertinent, est de nature à contribuer à l’installation des jeunes agriculteurs, en évitant la marchandisation des contrats, ce qui est un point très positif.
Je tiens également à remercier M. le rapporteur d’avoir proposé cet amendement, que le groupe socialiste et républicain votera.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.
M. Gérard Bailly. Comme les orateurs précédents, je tiens à féliciter M. le rapporteur d’avoir soumis cette proposition à la commission des affaires économiques.
Il y a plusieurs décennies de cela, des acheteurs de lait venaient dans les exploitations faire des propositions, alors que tel n’est plus le cas aujourd’hui. Au contraire ! Il arrive même que les acheteurs demandent aux producteurs de trouver d’autres marchands à cause de la distance ou de diminuer la production. La situation est très différente de celle que nous avons pu connaître autrefois.
Par ailleurs, dans le cadre des auditions que nous avons menées, nos interlocuteurs nous ont fait part d’un problème de ramassage du lait dans les zones où la densité de production laitière est faible, ce qui entraîne un coût élevé. Jadis, il y avait la prime de ramassage du lait en montagne. Mais il y a bien longtemps que ce dispositif n’existe plus en tant que tel.
Les professionnels sont inquiets. Les acheteurs ne se précipitent pas – c’est le moins qu’on puisse dire ! – pour venir chercher du lait. À terme, cela créera des difficultés dans certaines exploitations.
Quoi qu’il en soit, je remercie M. le rapporteur, dont l’amendement est effectivement très judicieux.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
J’observe en outre que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Article 2
I. – Une conférence de filière est réunie chaque année avant le 31 décembre sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles institué par l’article L. 631-27 du code rural et de la pêche maritime pour chacune des filières agricoles.
Elle réunit les représentants des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile.
La conférence de filière examine la situation et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés au cours de l’année à venir.
II. – Les modalités d’application du I, notamment la délimitation des filières agricoles et la composition de la conférence, sont définies par décret.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, sur l'article.
M. Michel Raison. L’article 2 s’inscrit dans une logique d’amélioration de la contractualisation.
En effet, après avoir évoqué la détermination du prix à l’article 1er, nous devons à présent mettre en place une méthode pour que les différents acteurs puissent se rencontrer et discuter. C’est l’objet de la conférence de filière. Même si cela ne réglera évidemment pas tous les problèmes, cela pourra permettre d’anticiper une crise.
Par exemple, celui qui aura constaté une diminution de la consommation en Chine ou une augmentation plus sérieuse que prévu aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande pourra alerter sur le risque d’une baisse des cours six mois plus tard. Cela permettra de procéder à des ajustements pour rectifier le tir.
Les producteurs pourront également expliquer leurs problèmes. Tout le monde ne veut pas forcément que les distributeurs soient autour de la table, mais je sais que M. le ministre y est favorable.
C’est ainsi que nous pourrons améliorer le système.
J’ai indiqué précédemment que la morale primait la loi. Je voterai évidemment cet article. Mais, si nous voulons qu’il puisse s’appliquer pour le plus grand bénéfice de tous, il faudra que chacun fasse preuve de sincérité, de rigueur et d’honnêteté intellectuelle et que tous aient la volonté de partager la valeur ajoutée.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, sur l'article.
M. Bruno Sido. L’article 2 de cette proposition de loi crée une conférence de filière chargée d’examiner la situation et les perspectives d’évolution des marchés agricoles.
Je me réjouis de cette mesure, qui renforce la prise en compte des contraintes réelles des agriculteurs, en instaurant un cadre de médiation des relations commerciales. La prise en compte de l’équilibre économique et de la compétitivité du monde agricole, filière par filière, devra, à mon sens, aussi intégrer concrètement les effets du plan Écophyto 2 sur les exploitations. Vous y avez fait référence, monsieur le ministre.
En application de la directive européenne sur l’utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, M. le Premier ministre a en effet chargé notre collègue député Dominique Potier d’émettre des recommandations pour la préparation d’une nouvelle version du plan.
À la suite d’une vaste concertation, le ministère de l’agriculture a rendu public ce nouveau programme, le 26 octobre dernier.
L’objectif de réduction de 50 % du recours aux produits phytopharmaceutiques en France en dix ans est réaffirmé, avec une trajectoire en deux temps. D’abord, une réduction de 25 % est visée à l’horizon de 2020, par la généralisation et l’optimisation des techniques actuellement disponibles. Ensuite, une réduction de 50 % à l’horizon de 2025 reposera, selon le texte du ministère, sur des « mutations profondes des systèmes de production et des filières soutenues ».
Par souci légitime de protection de l’environnement et de performance, notre agriculture est engagée dans un profond mouvement de réduction du recours aux pesticides. En tant qu’ancien rapporteur des lois Grenelle I et II, je m’en réjouis évidemment. Mais la compétitivité de l’agriculture française doit être maintenue, vis-à-vis, notamment, de nos amis, et néanmoins concurrents européens.
À mon sens, la conférence de filière devrait disposer d’indicateurs permettant de suivre chaque année les effets sur les rendements et la rentabilité des exploitations.
MM. Jean Bizet et Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 632-2 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 632-2-… ainsi rédigé :
« Art. L. 632-2-… – Les organisations interprofessionnelles reconnues organisent chaque année, pour chaque production agricole, une conférence sur les prix rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs. L’ensemble des syndicats agricoles est convié à y participer.
« Cette conférence donne lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix, destinée à fixer un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs pour chaque production agricole, et tenant compte notamment de l’évolution des coûts de production et des revenus agricoles sur chaque bassin de production.
« Elle peut également servir à déterminer un ou plusieurs indices publics de prix des produits agricoles ou alimentaires mentionnés à l’article L. 441-8 du code de commerce.
« Ce niveau plancher de prix d’achat tient compte, notamment, de l’évolution des coûts de production et des revenus des producteurs.
« Les établissements mentionnés aux articles L. 621-1 et D. 684-1 du présent code sont respectivement chargés de la mise en application et du respect par l’ensemble des opérateurs, au sein de chaque filière, du prix plancher d’achat fixé annuellement. »
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des biens de consommation comme les autres.
Les grands groupes de la distribution ne doivent pas se voir confier les pleins pouvoirs dans leurs relations avec les agriculteurs, sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre agriculture. C’est pourquoi nous vous proposons une réécriture de l’article 2.
Tout en préservant l’idée d’une conférence annuelle entre les acteurs de la filière agroalimentaire – c’est une bonne chose ! –, nous proposons de rétablir un juste équilibre entre ces acteurs au bénéfice des consommateurs et des paysans. Pour sortir de la « vente à perte » imposée chaque année aux agriculteurs, nous vous suggérons, mes chers collègues, des mesures en matière de détermination et d’encadrement des prix.
Pour ce faire, nous pensons que cette conférence annuelle doit définir un niveau plancher de prix d’achat aux producteurs pour chaque grande production agricole. Ce prix indicatif – le dispositif ne sera donc pas contraire au droit européen – tiendra compte, notamment, de l’évolution des coûts de production en fonction des bassins de production et des revenus des producteurs de chaque filière agricole.
Enfin, cette conférence annuelle pourra définir un ou plusieurs indices de prix permettant le déclenchement de la clause de renégociation des contrats prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce.
Cette forme de régulation interne aux interprofessions permettrait d’amortir les excès auxquels les fluctuations de prix sur les marchés mondiaux et les stratégies de la distribution donnent lieu régulièrement.
Tel est le sens de cet amendement
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Les auteurs de cet amendement proposent l’instauration d’une conférence annuelle sur les prix agricoles dans le cadre des interprofessions.
Il s’agit d’une demande récurrente des parlementaires de votre sensibilité politique, mon cher collègue. Je pense, notamment, à la proposition de loi du député André Chassaigne.
La recherche du juste prix, de la juste rémunération des agriculteurs pour leur travail est évidemment l’un des objectifs de la politique agricole. Mais il ne peut pas y avoir de discussion collective aboutissant à fixer des prix directeurs ou des prix plancher. C’est interdit par le droit européen, et cela peut donner lieu à des sanctions très lourdes. Je vous renvoie à l’exemple de l’endive.
C'est la raison pour laquelle j’ai proposé en commission une nouvelle rédaction de l’article 2, en prévoyant une conférence de filière sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles. Cette conférence de filière examine la situation et les perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires, mais elle ne peut pas fixer les mêmes prix pour tout le monde, car ce serait constitutif d’une entente, au sens du droit de la concurrence.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Je partage l’analyse de la commission sur cet amendement. Une telle négociation de prix relèverait d’une entente contraire au droit européen. En plus, il suffirait que certains ne s’entendent pas pour qu’il y ait des amendes à verser. C’est déjà arrivé à de nombreuses reprises ; évitons que cela ne se reproduise.
Je centrerai mon propos sur la conférence annuelle sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles.
Je le souligne, le médiateur est mentionné dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Il s’agit précisément de faciliter les négociations entre les différents acteurs de la filière, quelle qu’elle soit d’ailleurs. À ce propos, si l’on fait une conférence annuelle pour la filière laitière, il faudra en faire une pour toutes les filières.
Le véritable sujet, c’est celui que j’ai évoqué dans mon propos liminaire – cela a été l’objet d’une brève d’Agra FIL ! – : il n’y a pas d’interprofession ! Si je me bats pour qu’il y ait une interprofession dans le lait, c’est aussi pour y associer la grande distribution.
L’interprofession a été remise en cause par un débat entre producteurs et industriels ayant conduit à la démission de son président, Thierry Roquefeuil.
J’ai dit au président de la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL, que la future interprofession laitière doit intégrer la grande distribution.
M. Gérard César. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. À défaut, la discussion concernerait seulement les transformateurs et les producteurs, qui viendraient se plaindre de la grande distribution auprès du ministre en cas de problème ! Si nous voulons avoir une organisation correcte, il faut mettre en place des interprofessions dans lesquelles tous les acteurs d’une filière se réunissent pour discuter. Sinon, cela ne marchera pas !
Je ne suis donc pas favorable à une conférence annuelle. Pour moi, l’enjeu est d’avoir de véritables interprofessions. C’est d’ailleurs ce à quoi nous incite le droit européen.
M. Gérard César. Très juste !
M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est ce que nous devons faire !
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Je suivrai la position du Gouvernement, et je ne voterai malheureusement pas l’amendement de notre collègue Michel Le Scouarnec.
Pour autant, nous devons, me semble-t-il, l’interpréter comme un appel au secours.
M. Bruno Sido. Dans certaines filières, on pourrait effectivement s’entendre sur un prix indicatif. C’est ce qui s’est passé pour le porc. Comme le prix est indicatif, Bruxelles ne peut rien dire.
Monsieur le ministre, comment peut-on travailler quand les cours de certains produits varient du simple au double ? Par exemple, ceux du blé ont pu fluctuer de 90 euros la tonne à 200 euros la tonne ! Quel est l’industriel ou le commerçant qui pourrait travailler normalement dans de telles conditions ? En plus, il y a d’autres aléas : le blé peut germer ; il peut être touché par la grêle, même si cet aléa est couvert par les assurances, etc.
Notre collègue soulève donc un vrai problème. Je sais bien que nous ne pourrons pas le régler ainsi, au détour d’un article de loi ; en plus, comme l’a souligné M. le rapporteur, ce serait contraire au droit européen.
Mais nous pourrions avoir des conférences annuelles pour envisager des prix indicatifs, qui permettraient aux acteurs concernés de travailler normalement.
Aider à l’installation des jeunes agriculteurs est une noble mission que les anciens doivent remplir. Mais comment des jeunes agriculteurs peuvent-ils s’installer quand les cours varient du simple au double ? C’est impossible ! L’obligation de souscrire à une assurance récolte, une mesure que nous examinerons tout à l’heure, ne réglera rien du tout, compte tenu des variations actuelles des cours.
Ainsi que cela a été évoqué tout à l’heure, voilà vingt ou trente ans, le système était très protecteur ; le droit européen nous autorisait à prendre les mesures adaptées. Aujourd'hui, ce n’est plus le cas. Pour autant, dans toutes les filières, les agriculteurs sont sur la corde raide.
En plus, avec les cours internationaux, il suffit que l’euro remonte par rapport au dollar – nous le voyons en ce moment à propos des céréales ! – pour que nos agriculteurs subissent du jour au lendemain une baisse de 5 % ou 10 % de leurs revenus !
Certes, j’ai bien conscience que nous ne réglerons pas le problème ce soir. Mais, à l’instar de mon collègue Michel Le Scouarnec, je pense qu’il mérite tout de même d’être soulevé !
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. J’ai bien entendu les propos de M. le ministre.
Une conférence annuelle – certes, l’idée peut effectivement paraître séduisante ! – ne résoudra pas le problème du déséquilibre actuel des forces. L’interprofession permet de réunir l’ensemble des acteurs de la filière, du producteur jusqu’au distributeur. Mais vous connaissez le poids de la grande distribution ; j’en ai parlé tout à l’heure. Nous devons faire part à ces professionnels de notre volonté d’intégrer le coût de production dans le prix final. Mais ils n’ont aujourd'hui aucun intérêt à nous écouter. Ils font ce qu’ils veulent, vous le savez très bien.
À mon sens, il faut absolument que la filière s’organise pour faire contrepoids face à la grande distribution. In fine, c’est cette dernière qui étouffe le prix et le répercute sur le premier des acteurs, c'est-à-dire le producteur.
Cet article nous laisse donc sceptiques, même si nous en comprenons les motivations. Nous ne vivons pas dans un monde de bisounours ! On peut se faire plaisir en inscrivant une telle disposition dans la loi, mais il y a des éléments que nous ne maîtrisons pas. Il faudra impérativement convaincre la grande distribution de changer de stratégie et de ne plus aller vers les prix les plus bas !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Je souhaite apporter deux précisions.
Premièrement, monsieur le ministre, vous n’ignorez pas que les derniers accords de l’interprofession laitière ont été cassés. Cela fait en effet quelques années maintenant qu’on n’a plus le droit de conclure des accords interprofessionnels et de s’entendre, hélas ! sur le prix du lait.
Deuxièmement, l’article 2, qui prévoit l’organisation d’une conférence de filière placée sous l’égide du médiateur, introduit un élément majeur, à savoir l’entrée dans la négociation de la restauration collective, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Nous proposons en effet que cette conférence réunisse à la fois les producteurs, les transformateurs, les maillons de la grande distribution, mais aussi la restauration collective.
M. Jean Bizet. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. J’ai entendu les arguments de M. le ministre sur l’interprofession.
Il est vrai qu’on ne va pas résoudre ici, ce soir, le problème. Pour autant, il y en a marre d’entendre dire qu’on n’y peut rien face à la grande distribution ou encore que l’Europe est responsable de ceci ou de cela ! Il va bien falloir la faire bouger cette Europe dans le sens de la régulation, qui est nécessaire, afin que les producteurs puissent être payés à hauteur de leur travail et de la qualité de leurs produits.
Plus on sera nombreux à donner des signes forts en ce sens, mieux ça vaudra ! C’est la raison pour laquelle le groupe écologiste soutiendra cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 611-4-2 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, les mots : « fruits et légumes périssables peut être » sont remplacés par les mots : « produits agricoles et alimentaires est » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Après consultation des syndicats et organisations professionnelles agricoles, les ministres chargés de l’économie et de l’agriculture fixent le taux du coefficient multiplicateur, sa durée d’application et les produits visés. »
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Je serai plus bref en présentant cet amendement. Le précédent a fait l’objet d’une bonne discussion et connaîtra peut-être une suite un jour…
Le présent amendement vise à étendre à l’ensemble des produits agricoles et alimentaires l’application d’un dispositif partiellement réintroduit par l’article 23 de la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, après son abandon en 1986 : le coefficient multiplicateur. Fondé sur un principe simple d’encadrement des prix d’achat en lien avec les prix de vente, il s’agit d’appliquer un coefficient limitant les taux de marge sur l’ensemble de la filière, plus particulièrement ceux des distributeurs.
J’espère que cet amendement aura plus de chance que les précédents, mais je ne me fais pas d’illusions… (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Ce mécanisme, qui existe dans la loi depuis 2005, n’a jamais été mis en œuvre, car il présente plusieurs inconvénients.
Tout d’abord, le principe du coefficient multiplicateur prévoit un taux identique quel que soit le stade de commercialisation auquel le coefficient s’applique, fondé sur les taux moyens pratiqués et relevés par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, également appelé France AgriMer, entre le stade de gros et le stade de détail.
Ensuite, son application généralisée à l’ensemble des produits en crise supposerait des moyens importants de contrôle administratif des prix. On ne voit pas pour l’instant comment la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, pourrait en garantir l’application effective.
Enfin, il ne protège pas contre la tentation de s’approvisionner hors de nos frontières, pour maintenir des prix bas au consommateur. Le risque est même fort de remplacer un approvisionnement national, auquel s’applique le coefficient multiplicateur, par un approvisionnement extérieur, auquel la règle ne pourrait s’appliquer.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Certes, l’idée de mettre en place un coefficient multiplicateur à chaque niveau de la filière part d’un bon principe.
M. André Trillard. On a déjà essayé !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Une telle proposition paraît simple, mais elle est en réalité d’une complexité énorme. Comment appliquer le même coefficient multiplicateur à tous les maillons alors que certains d’entre eux ont manifestement plus de besoins que d’autres ?
Par ailleurs, un tel mécanisme aura des répercussions sur le consommateur. Le risque est donc grand de substitution avec d’autres produits. Nous nous situons en effet dans une économie de marché. Au bout du compte, le choix du consommateur se fera entre la qualité et le prix. Dans ce genre d’arbitrage, si le prix est trop élevé par rapport à la qualité du produit, le consommateur ira acheter ailleurs.
Voilà pourquoi je partage l’avis de la commission, même si je comprends parfaitement la logique de cet amendement, lequel reste néanmoins impossible à mettre en œuvre dans une économie de marché.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. D. Dubois et Lasserre, Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le sixième alinéa de l’article 7 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements refusant de se soumettre aux enquêtes obligatoires du service statistique public relatives aux prix et aux marges des produits agricoles et alimentaires, pour les besoins de la mission de l’organisme mentionné à l’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime, affichent leur manquement, de manière à ce que le public puisse en prendre connaissance. »
La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. La question de l’élaboration des prix et de la fixation des marges est un point fondamental. Toutes les précautions concourant à une plus grande clarté nous paraissent donc utiles.
Il est indispensable que les attitudes des différents partenaires soient clarifiées. Ceux qui ne joueront pas le jeu de la transparence sur les prix et les marges doivent impérativement afficher leurs manquements de manière que le public puisse prendre connaissance de leur refus de participer à un tel dispositif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Il est vrai que la non-réponse peut constituer un obstacle majeur à la connaissance des prix et des marges et peut menacer la crédibilité même de l’observatoire – même si celui-ci ne se plaint pas dans ses rapports annuels de la non-transmission systématique de données.
C’est pourquoi cet amendement prévoit de mettre en place une « publicité négative » sous forme d’un affichage du manquement par l’établissement contrevenant, afin d’informer le grand public des pratiques de certaines entreprises.
Je suis donc favorable à cet amendement sur le principe. Cependant, sa mise en œuvre dépendra des moyens de contrôle qui y seront consacrés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je ne suis pas certain d’avoir bien saisi l’objet de cet amendement. S’agit-il d’obliger les entreprises qui refuseraient de se soumettre aux enquêtes de l’observatoire de publier les statistiques sur les prix et les marges ?
M. Jean-Jacques Lasserre. Non, il s’agit de faire connaître publiquement qu’elles refusent de participer !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Nous n’avons reçu aucune demande de l’observatoire en ce sens. Je ne saisis pas très bien l’intérêt d’un tel amendement. J’en demande donc le retrait.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. Lorsque nous avons eu le débat sur la filière et le contrat, le groupe UDI-UC a considéré qu’il manquait un étage à la fusée, à savoir la compétitivité. Nous avons également estimé qu’il faudrait du temps à la filière pour se mettre en place. L’existence d’un médiateur en amont pour faciliter les discussions sur l’organisation et les prix nous a donc paru nécessaire. Cette idée a été reprise par le Gouvernement, et le médiateur a été créé.
Cependant, l’encadrement doit aller plus loin. Non seulement il faut un médiateur en amont, mais il est également nécessaire de prévoir d’éventuelles pénalités en aval : le consommateur doit en être l’arbitre. Il est donc important que ce dernier soit informé. À quoi bon vouloir multiplier les circuits courts, à quoi bon faire en sorte que tous les produits vendus en France le soient dans de meilleures conditions si l’on ne fait pas entrer les consommateurs dans le jeu ? C’est pourquoi il nous paraît utile que tous ceux qui refusent de répondre aux enquêtes soient connus du consommateur, selon le principe du « name and shame ».
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je partage les arguments qui ont été avancés par mes collègues. Cet amendement est un pas vers davantage de transparence.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. À l’amendement n° 5 rectifié, il est prévu que l’observatoire publie la liste des entreprises refusant de se soumettre aux enquêtes du service statistique. C’est une bonne idée. En revanche, le fait que ces entreprises elles-mêmes affichent leur propre refus n’apportera rien de plus. À choisir entre l’amendement n° 4 rectifié et l’amendement n° 5 rectifié, j’opte pour le second. Vous voyez, monsieur Dubois, que je suis attentif à vos propositions. Je choisis uniquement la meilleure solution ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Monsieur le ministre, les amendements nos 4 rectifié et 5 rectifié sont extrêmement complémentaires. La commission étant favorable aux deux, je propose que nous les votions.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. D. Dubois et Lasserre, Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le sixième alinéa de l’article 7 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La liste des établissements refusant de se soumettre aux enquêtes obligatoires du service statistique public relatives aux prix et aux marges des produits agricoles et alimentaires, pour les besoins de la mission de l’organisme mentionné à l’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime, font l’objet d’une publication par voie électronique par cet organisme. »
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
Article 3
Le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code de la consommation est complété par un article L. 112-13 ainsi rédigé :
« Art. L. 112-13. – Les distributeurs et les fabricants de produits alimentaires indiquent à tout consommateur qui en fait la demande, dans un délai n’excédant pas un mois, l’origine des produits carnés et laitiers constituant l’ingrédient principal des produits alimentaires qu’ils ont fabriqués ou distribués.
« Les modalités d’application du premier alinéa sont définies par accords interprofessionnels, ou à défaut par décret.
« Lorsque l’indication de l’origine fait l’objet d’un étiquetage lors de la vente, l’obligation d’information du consommateur figurant au même premier alinéa est réputée satisfaite. »
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, sur l'article.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Michel Raison. C’est une question de transparence. Le monde politique connaît bien ce sujet : bientôt, on va nous demander de nous mette tout nus dans la rue ! (Rires.) On le voit, on va souvent d’un excès à l’autre, alors que tout ça doit être plus équilibré.
Il y va de même pour l’étiquetage des produits. C’est vrai qu’il est important que le consommateur soit informé sur les produits qu’il achète. Il doit savoir, par exemple, ce que contient le ravioli qu’il mange et l’origine des différents ingrédients.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Michel Raison. Mais est-ce qu’il faut aller jusqu’à l’excès et compliquer la vie de nos entreprises, au risque de les faire couler ? En quoi c’est utile d’indiquer d’où vient la présure du fromage et autres détails ?
De ce point de vue, la rédaction de l’article 3 est équilibrée puisqu’elle suggère la transparence pour les matières de base, qu’il s’agisse des produits carnés ou des produits laitiers. C’est un pas en avant. Je suis certain que le ministre partagera mon avis !
M. le président. L’amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Comme vous le savez, à la suite de la crise de la vache folle, le processus d’étiquetage a été rendu obligatoire en 2000 pour les viandes bovines non transformées. Dans un second temps, le règlement européen concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, dit « INCO », a étendu l’obligation d’étiquetage du pays d’origine à d’autres viandes et produits agricoles. Cependant, les produits agricoles entrant dans la composition des plats transformés échappent, nous le savons, à cette contrainte.
L’article 3 prévoit un moyen habile de contournement de la réglementation européenne. Néanmoins, l’information du consommateur a posteriori n’est pas idéale et pourrait être à l’origine d’une « usine à gaz », comme l’ont souligné à juste titre les associations de consommateurs et les industriels.
Je précise toutefois que mon amendement, lequel, vous l’aurez compris, est d’appel, vise à relancer le débat plutôt qu’à contester le dispositif, qui a notre soutien sur le fond. En effet, l’étiquetage n’a pas seulement des vertus pour les consommateurs. Il est aussi un gage de compétitivité s’agissant en particulier de la compétitivité « hors prix », pour laquelle les agriculteurs français sont très bien positionnés, puisqu’ils ont entrepris depuis longtemps une démarche visant à améliorer la qualité.
Mes chers collègues, je souhaite simplement sensibiliser le Gouvernement sur la nécessité de poursuivre la négociation au niveau européen pour un étiquetage obligatoire, sachant que le Parlement européen a adopté, le 11 février dernier, une résolution appelant la Commission européenne à aller dans ce sens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Le règlement INCO interdit aux États membres d’obliger tous les opérateurs économiques à effectuer l’étiquetage de l’origine des produits alimentaires lorsque cela n’est pas prévu par le droit européen. Actuellement, seuls certains secteurs sont concernés par l’obligation d’étiquetage : viande bovine fraîche, viandes crues de porc, mouton et chèvre, mais aussi miel, œufs, huile d’olive ou vin. On ne peut pas le faire dans les autres cas. L’article 3 permet de contourner cette interdiction en prévoyant une information a posteriori.
J’ai entendu les propos de M. Collin, et j’ai bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel. Il serait en effet dommage de supprimer l’article 3, car ce serait en quelque sorte « mettre le pied dans la porte » par rapport à la négociation européenne. Par ailleurs, il faut répondre à la demande très importante des consommateurs, que nous avons rencontrés, et des producteurs eux-mêmes.
Un amendement adopté en commission sur l’article 3 visant à préciser qu’il est question de l’ingrédient principal a également eu pour effet de rassurer les transformateurs.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je suis plutôt favorable à l’idée que ce débat soit porté au niveau européen.
Je comprends la controverse sur l’origine des produits, surtout de ceux qui ont été transformés. Comme cela a été rappelé, des progrès ont été faits : toutes les viandes fraîches sont aujourd’hui soumises à l’obligation d’un étiquetage d’origine, reconnu au niveau européen. Mais, je vous le dis, indiquer l’origine de tous les ingrédients qui entrent dans la composition d’un produit transformé, y compris les épices, le sel ou le poivre, reviendrait à introduire une grande complexité, et ce alors même qu’au Sénat vous voulez simplifier la vie des entreprises !
Inscrire dans la loi qu’un consommateur peut demander à une entreprise l’origine de tous les produits et ingrédients entrant dans la composition d’un produit transformé pose un véritable problème. Ce qui compte et ce qu’il faut promouvoir, c’est l’étiquetage de l’ingrédient principal, par exemple « Viandes de France » pour la viande ou « Lait collecté et conditionné en France » pour le lait.
Il ne faut pas chercher à généraliser l’étiquetage à tous les produits, mais à favoriser l’étiquetage de l’origine française. C’est l’objectif du cahier des charges que nous avons mis en place avec INTERBEV, l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, en créant le logo « né, élevé, abattu, transformé en France », qui est excellent.
Au niveau européen, certains pays, qui ne sont pas forcément ceux où sont nés les animaux, mais simplement ceux où ils ont été engraissés et abattus, ne préciseront jamais dans l’étiquetage le lieu de naissance de l’animal. En effet, des cochons engraissés en Allemagne ont pour naisseurs des bêtes danoises et néerlandaises.
M. Jean Bizet. Exact !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Au moment de la « crise des lasagnes », j’avais eu cette discussion avec mon homologue allemande, et nous avions buté sur la question de la naissance : elle ne voulait pas ajouter cette mention, tandis que j’étais favorable au logo « né, élevé, abattu, transformé » dans tel ou tel pays.
La stratégie que nous avons adoptée est le résultat d’une négociation interprofessionnelle. Ce n’est pas le seul ministre de l’agriculture qui l’a définie ! J’avais certes proposé une ligne, mais ce sont les professionnels qui ont construit leur cahier des charges.
Tout doit être fait pour appliquer ce cahier des charges. Je rappelle, à cet égard, que ce logo est d’ores et déjà très bien perçu par les consommateurs. La preuve en est qu’un grand distributeur a demandé à ce que ce logo soit utilisé sous sa forme générique « Viandes de France », pour ne pas avoir à le décliner avec les représentations de bovins, lapins, porcs et moutons prévues par l’interprofession. Celle-ci ne voulait pas bouger ; je lui ai dit qu’il fallait le faire.
Ce logo commence donc à être identifié. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à cet article.
On pourrait certes comprendre, lorsque l’origine d’un produit n’est pas indiquée, qu’un consommateur demande à connaître l’origine des ingrédients ou de l’ingrédient principal. Mais il importe, avant tout, de préserver la connaissance de la traçabilité garantie par le logo « Viandes de France ». À défaut, nous nous pénaliserions nous-mêmes !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Je vous rassure, monsieur le ministre, l’article 3 tel qu’il est rédigé va complètement dans votre sens.
Premièrement, nous avons le courage de dire, au travers de cet article, qu’il ne faut pas compliquer les choses et que, ce qui est important, c’est l’ingrédient principal. Il n’est donc pas question, par exemple, d’indiquer l’origine de la vanille entrant dans la composition d’un yaourt à la vanille ; l’important est d’indiquer l’origine du lait.
Deuxièmement, nous avons précisé que les entreprises ne donnant pas l’information sur leurs produits ont l’obligation, si le consommateur demande l’origine de l’ingrédient principal, de lui communiquer cette information. Cet article vise donc à pénaliser ceux qui refusent, par exemple, le sigle « Viandes de France » ou encore l’étiquetage « Lait collecté et conditionné en France » que vous préconisez.
L’objet de cet article est donc de répondre à l’attente de la société et des consommateurs, tout en assurant la conformité de la législation au droit européen.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. L’article 3 est une forme de surtransposition du droit communautaire, laquelle n’est pourtant pas souhaitée par les auteurs de la proposition de loi, comme l’indiquent les dispositions prévues à l’article 8 sur le régime des ICPE, les installations classées pour la protection de l’environnement.
Je souhaite alerter, à mon tour, sur la complexité des obligations qu’une telle disposition créerait pour les entreprises qui devraient prendre en compte de telles demandes. Tôt ou tard, le droit communautaire devra évoluer sur ce point, mais avec des modalités de mise en œuvre qui n’entravent pas la bonne marche, l’efficacité et la compétitivité des entreprises concernées.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.
M. Gérard Bailly. Je voterai l’article 3, car nous avons intérêt à ce que l’agriculture française soit la plus transparente possible en termes de composition des produits transformés et, comme l’a dit le rapporteur, à ce qu’un maximum d’informations relatives aux ingrédients principaux soient données.
Vous avez beaucoup insisté, monsieur le ministre – je l’ai également signalé dans mon intervention liminaire –, sur l’action que vous avez menée en faveur de la viande française, notamment au travers des logos. Elle est très positive ! Je crois d’ailleurs que les consommateurs souhaitent qu’elle soit étendue au plus grand nombre possible de produits.
Puisque nous parlons de l’importance de l’indication d’origine, je vais revenir sur l’anecdote déjà évoquée par Jean-Claude Lenoir. Si nous n’avions pas lu sur l’étiquette, lors d’un récent petit-déjeuner au Sénat, que le lait qu’on nous servait était allemand, nous n’aurions pas réagi, car on nous avait dit que désormais, au Sénat, on servait du lait français. On voit bien que l’étiquetage sert aussi la production française !
Toujours pour ce qui concerne la transparence, je souhaite vous soumettre un problème auquel je n’ai pas encore trouvé de solution. Peut-être pourrez-vous me la donner ?
Les éleveurs ont reçu dernièrement la lettre suivante de leur vétérinaire : « Cher client, la réglementation ayant évolué cette année, nous ne sommes plus en mesure de vous communiquer les tarifs ainsi que les noms des produits de traitement antiparasitaires. Néanmoins, bien qu’ils ne soient pas systématiquement nécessaires, les traitements d’automne restent indiqués dans bien des situations. »
Je ne peux pas comprendre, alors même qu’on parle de transparence, qu’un vétérinaire ne puisse plus transmettre ce type d’indications aux éleveurs !
J’aimerais, monsieur le ministre, obtenir une réponse – pas forcément ce soir – à cette question. Je trouve en effet inadmissible que les éleveurs ne puissent pas savoir avec quels produits ils vont traiter leurs animaux à la rentrée et ce que ça leur coûtera. Je pourrais vous transmettre cette lettre envoyée par un cabinet vétérinaire. On nous a dit qu’il s’agissait d’une nouvelle réglementation visant à éviter l’utilisation excessive de ces produits. Cela mérite des éclaircissements !
M. Joël Labbé. Très bonne question !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Les vétérinaires sont là ! (Sourires.)
M. Jean Bizet. Je ne répondrai pas à votre question, mon cher collègue, mais je dirai simplement que, de notre temps, c’était tout de même autre chose… (Nouveaux sourires.)
Je souhaite revenir sur cet article, que je qualifierais d’élégant, pour plusieurs raisons : premièrement, il respecte le droit communautaire, ce qui est un minimum ; deuxièmement, il est facultatif ; troisièmement, il n’induit pas de contrainte inconsidérée pour l’entreprise, puisqu’il prévoit de lui accorder un délai d’environ un mois afin qu’elle puisse répondre à l’inquiétude ou à la demande d’information du consommateur. Enfin, l’article 3 ne me semble pas prévoir une charge excessive pour l’entreprise de transformation.
Je ne sais pas quel sera le destin des dispositions de cet article au-delà du vote de nos assemblées, mais il n’est pas certain que le consommateur y ait fréquemment recours. Quoi qu’il en soit, leur existence même permet d’adresser un message fort au consommateur, que ce dispositif rassurera. Je voterai donc cet article sans détour.
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 112-13. – Les distributeurs et les fabricants de produits alimentaires indiquent à tout consommateur qui en fait la demande, dans un délai n’excédant pas un mois, l’origine et le mode d’élevage utilisé pour les produits carnés, laitiers et les œufs constituant un des ingrédients des produits alimentaires qu’ils ont fabriqués ou distribués.
II. – Alinéa 4
Après les mots :
de l’origine
insérer les mots :
et du mode d’élevage
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Voilà un amendement élégant, mais non d’appel, car j’espère vivement qu’il sera adopté ! Il vise à étendre l’obligation d’information a posteriori des consommateurs qui en feraient la demande à l’indication du mode d’élevage, au-delà de l’origine géographique, et à l’ensemble des produits ingrédients issus de l’élevage. Sont notamment visés les œufs, dont l’origine et le mode d’élevage ne sont pas indiqués sur l’étiquetage lorsque ceux-ci sont utilisés comme ingrédient.
Les conditions d’élevage sont des préoccupations majeures, qui ont de plus en plus d’importance pour les consommateurs. Selon un sondage IFOP pour CIWF France de janvier 2012, 85 % de nos concitoyens considèrent les conditions d’élevage des animaux comme une information importante lors de leurs achats.
Le développement des élevages industriels en France dans toutes les filières, et plus récemment dans la filière laitière avec l’installation de fermes-usines, comme celle des Mille vaches, participe à la dégradation de la qualité de la production alimentaire en France (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Bruno Sido. Ce n’est pas vrai !
M. Joël Labbé. … et pose des questions en termes de santé publique et d’information du consommateur. Cela fragilise les filières d’élevage et la confiance des consommateurs.
En donnant au consommateur l’information sur les modes d’élevage, on permet de répondre aux préoccupations majeures de santé publique associées à la consommation de produits carnés et laitiers. En outre, on met sur un pied d’égalité les systèmes d’élevage, alors que le poids de l’étiquetage est aujourd’hui porté par les filières de qualité, biologique ou labels, ce qui n’est pas normal.
Je l’ai dit dans la discussion générale, cette information est facile à produire si on utilise les codes 0, 1, 2 et 3. Cela permettrait d’acheter de la viande française, de préférence de haute qualité.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
à tout consommateur qui en fait la demande, dans un délai n’excédant pas un mois
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Notre amendement s’inscrit dans une évolution législative incontournable. En effet, l’article 3 de la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 avait introduit la possibilité de faire figurer l’indication du pays d’origine « pour les produits agricoles et alimentaires et les produits de la mer, à l’état brut ou transformé ».
De même, la loi relative à la consommation a rendu cette mention obligatoire, tout en renvoyant la liste des produits concernés et les modalités d’application de l’indication de l’origine à un décret en Conseil d’État, « après que la Commission européenne a déclaré compatible avec le droit de l’Union européenne l’obligation prévue au présent article ».
Toutefois, si, depuis le 1er avril 2015, la mention de l’indication du pays d’origine a été étendue aux viandes de mouton, de porc et à la volaille, la Commission européenne s’y refuse pour les autres produits agricoles et l’ensemble des produits transformés.
Alors que les producteurs subissent aujourd’hui une concurrence déloyale des productions des pays tiers, les consommateurs ne sont donc toujours pas informés de façon obligatoire et rigoureuse sur l’origine des produits qu’ils achètent, en particulier pour les produits transformés, qui représentent désormais près de 80 % des aliments que nous consommons. Il nous paraît important de rendre obligatoire la mention de l’origine pour tous les produits alimentaires : c’est une demande très forte des producteurs et des consommateurs.
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par MM. Le Scouarnec, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« L’étiquetage des denrées alimentaires issues d’animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés est obligatoire. »
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Cet amendement tend à prévoir l’étiquetage obligatoire des produits alimentaires issus d’animaux nourris par des organismes génétiquement modifiés.
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« L’étiquetage des denrées alimentaires issues d’animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés est obligatoire. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. L’objet est le même que celui de l’amendement n° 26.
La mention « OGM » doit figurer sur les produits alimentaires contenant des organismes génétiquement modifiés, sauf pour les produits issus d’animaux nourris avec des organismes génétiquement modifiés. Or les trois quarts du cheptel français sont nourris avec des organismes génétiquement modifiés. Cette proposition s’appliquerait aussi bien aux produits de base, comme les viandes, la charcuterie, les œufs, le lait, le beurre, les fromages, qu’aux plats cuisinés à partir de ces produits.
En France, nous utilisons essentiellement du soja transgénique qui vient d’Amérique du Sud. Il va falloir, à l’avenir, rompre avec ces pratiques pour produire des protéines françaises et européennes, car nous ne pourrons pas continuer à utiliser ce mode d’alimentation animale. Je l’ai déjà dit, la terre sud-américaine doit servir à nourrir les populations sud-américaines.
M. Yvon Collin. Oui !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. S’agissant de la question soulevée par l'amendement n° 15, notamment après le débat que nous venons d’avoir sur l’amendement proposé par M. Collin, il faut faire preuve d’une grande prudence.
L’article 3 vise à prévoir la possibilité pour les consommateurs de demander l’origine de l’ingrédient principal. Ne compliquons pas les choses : tenons-nous en déjà à ce type d’information pour les consommateurs ! Il sera toujours temps, ensuite, d’aller plus loin.
Je le redis, il faut être très prudent : je vous rappelle qu’un certain nombre d’agriculteurs ont mis en place des cahiers des charges, avec des labels, des appellations, qui définissent les conditions de production. Il ne faudrait pas les fragiliser.
Puisque la COP 21 bat actuellement son plein, je tiens à expliquer ce qui se passerait si on s’engageait dans cette voie. Si l’industriel devait préciser les conditions de production de tel ingrédient majeur venant de France, il ne pourrait plus collecter dans le même camion des matières provenant de systèmes d’exploitation différents, alors que celles-ci se retrouvent toutes dans le produit final.
Ne cassons pas les démarches entreprises localement ! Aussi la commission a-t-elle émis un avis défavorable sur cet amendement.
L’avis est également défavorable sur l'amendement n° 25, qui relève du même esprit.
Sur les amendements nos 26 et 17 relatifs aux OGM, je rappelle qu’un certain nombre de produits bénéficient de labels ou de conditions de production sans OGM. Mais vouloir généraliser et complexifier l’information sur l’origine de l’ingrédient principal du produit acheté par un consommateur compliquerait les choses et casserait les démarches de qualité mises en place par les agriculteurs dans nos territoires. L’avis est donc, là aussi, défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Les quatre amendements tendent à prévoir l’inscription sur les étiquettes de toute une série d’informations que souhaiterait avoir le consommateur. Je suis sûr que si l’on continuait à débattre on trouverait encore d’autres éléments à faire figurer sur ces étiquettes !
Mme Sophie Primas. C'est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. On a déjà évoqué les questions sanitaires, notamment l’utilisation des antibiotiques…
M. Bruno Sido. L’état de santé du producteur…
M. Stéphane Le Foll, ministre. On n’ira peut-être pas jusque-là…
Je vous le dis, trop d’informations sur les étiquettes finissent par tuer l’information du consommateur ! Si on n’y prend garde, à force de multiplier les informations, on finira par s’y perdre ! Cela a été rappelé : en ce qui concerne les productions de qualité bénéficiant d’un label, comme les poulets en plein air, de nombreuses informations sont données sur les conditions de l’élevage.
Je le redis, cette logique d’information sur l’origine des produits suppose qu’on soit à la fois extrêmement structuré, avec des cahiers des charges qui s’appliquent et qui sont respectés par tout le monde, et simple, pour que le message passe auprès du consommateur.
Je prendrai l’exemple des rillettes. Aujourd’hui, l’étiquette « Viandes de France » signifie qu’elles sont fabriquées avec des cochons d’origine française. Je le précise, parce que nous avons justement eu, dans la Sarthe, un problème sur l’origine des cochons utilisés pour faire les rillettes. Ainsi, les choses sont simples et claires, et le consommateur sait ce qu’il achète. En revanche, si l’on multiplie les informations dans tous les sens, il ne saura pas et fera de mauvais choix.
Je ne suis donc pas favorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote sur l’amendement n° 15.
M. Bruno Sido. Cet amendement est particulièrement caricatural.
Monsieur Labbé, vous êtes bien gentil, mais soit vous faites de l’idéologie, soit vous êtes démagogue !
M. Joël Labbé. Oh !
M. Bruno Sido. Pourquoi évoquer, dans l’objet de votre amendement, les élevages industriels ? Ceux-ci fabriqueraient des produits de moins bonne qualité que les petits élevages ? Mais êtes-vous allé voir ces petits élevages ?
M. Joël Labbé. Je connais mon sujet !
M. Bruno Sido. Je ferai une comparaison, qui vaut ce qu’elle vaut : avec votre raisonnement, cela signifierait qu’on est moins bien soigné dans les petits hôpitaux que dans les grands.
M. Joël Labbé. Qui est dans la caricature, là ?
M. Bruno Sido. À vrai dire, on peut être bien ou mal soigné, dans les petits hôpitaux comme dans les grands. De même, les produits peuvent être de très bonne qualité dans les petites exploitations comme dans les grandes. Je le répète, votre amendement est tout à fait caricatural.
Soyons clairs, car vous êtes en train de jouer au billard à trois bandes. On a parfaitement le droit d’être opposé aux grandes exploitations ou aux grands élevages pour des raisons sociales ou pour des raisons de structures agricoles – nous pouvons débattre de ces questions –, mais attaquer les grandes exploitations agricoles, ou les petites d’ailleurs, par le biais de la qualité des produits qu’elles fabriquent, c’est déloyal !
M. Jean Bizet. C'est indigne !
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. Je ne mets pas en doute la sincérité de M. Labbé,…
M. Joël Labbé. Ah ! Merci !
M. Michel Raison. … mais je voudrais le mettre en garde. Il est extrêmement compliqué de savoir quel animal a mangé des produits à base d’OGM, à quel moment et en quelle quantité.
Par ailleurs, je voudrais lui donner une information. Certains fromages d’appellation d’origine contrôlée sont soumis à un cahier des charges dans lequel figure l’obligation de non-consommation d’OGM et, pourtant, ces mêmes fromages sont fabriqués avec des présures à base de bactéries transgéniques.
M. Jean Bizet. Exactement !
M. Michel Raison. Si on suit son raisonnement, il faudra donc indiquer sur l’étiquette que ces fromages contiennent des produits transgéniques.
Enfin, je partage les propos de M. Sido : il faut faire très attention aux propos que vous colportez, monsieur Labbé. Je ne vous en veux pas, mais sachez que, dans une exploitation – on pourrait vous emmener en visiter un certain nombre –, les vaches, qu’elles soient cinquante, cent, trois cents ou plus,…
M. Jean Bizet. Mille vaches !
M. Michel Raison. … ont exactement la même alimentation et vivent dans les mêmes conditions. Et le lait qu’elles produisent peut parfois être de meilleure qualité s’il vient d’une grande exploitation que d’une plus petite ! Il n’y a pas forcément de différence.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. J’irai dans le sens de M. le ministre.
Un consommateur passe entre trois et sept secondes à choisir un produit. L’information inscrite sur le produit doit donc être pertinente et lisible extrêmement rapidement. On peut faire figurer l’origine, l’origine contrôlée, les appellations, l’utilisation d’OGM… Bref, un certain nombre de choses qui vont finalement faire perdre de vue l’information la plus essentielle. En termes d’étiquetage, nous devons donc être raisonnables.
Ces quatre amendements partent vraiment d’un bon sentiment, mais ils nous obligent à créer, comme souvent dans cet hémicycle et à l'Assemblée nationale, des normes excessives. Je le redis, je comprends l’intention, qui est louable, mais, concrètement, le mieux est parfois l’ennemi du bien.
M. Jean-François Husson. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Mes chers collègues, vous êtes au moins deux sur trois à ne pas m’avoir qualifié de démagogue ou d’idéologue…
Chère Sophie Primas, l’amendement n° 15 porte non pas sur l’étiquetage, mais sur l’information donnée a posteriori au consommateur qui la demande. Il ne faut pas faire de confusion ! Si le consommateur demande à connaître l’origine du produit, le distributeur doit être à même de la lui indiquer.
Pour ce qui est de la qualité, je ne parlais même pas d’améliorer la qualité des produits, qu’ils viennent d’un élevage industriel ou non, mais simplement d’informer le consommateur, afin qu’il puisse faire un choix et, par conséquent, privilégier un mode de production.
Je veux revenir sur la question des OGM. Nous sommes dans le dur : notre pays, avec le soutien fort du Gouvernement, a refusé l’introduction des cultures OGM sur le territoire français.
M. Jean Bizet. C'est une erreur !
M. Joël Labbé. C'est le résultat du vote démocratique du Parlement !
Mme Sophie Primas. C’est une erreur quand même !
M. Joël Labbé. Il n’est donc pas acceptable de faire venir des produits transgéniques d’Amérique du Sud pour nourrir nos élevages.
Le consommateur doit savoir si l’animal dont il mange la viande a été nourri ou non avec des aliments OGM. C’est une question de transparence ! Il doit aussi choisir le mode de production – c'est essentiel pour l’avenir.
Notre excellent rapporteur a évoqué la COP 21. Je veux, moi aussi, en parler de nouveau. Nous sommes ici complètement dans l’esprit de cette conférence : le soja transgénique sud-américain est complètement hors-jeu pour les années qui viennent !
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. D. Dubois et Lasserre, Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La liste des distributeurs et des fabricants de produits alimentaires qui ne respectent pas cette obligation est tenue publique par le ministère en charge de l’alimentation.
La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Cet amendement, qui est dans le même esprit que ceux que nous avons défendus précédemment, a pour objet de contraindre les distributeurs et les fabricants de produits alimentaires à respecter l’obligation d’information du consommateur. À cette fin, nous demandons que la liste des distributeurs et des fabricants de produits alimentaires qui ne respectent pas cette obligation soit publique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement établit un bon principe : rendre publique l’information sur les acteurs faisant de la rétention d’information. La commission a donc émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. D’après ce que je comprends, le ministère de l’agriculture devrait publier la liste de toutes les entreprises qui refusent de répondre aux consommateurs… Voilà qui ne va pas simplifier l’action de l’État ni contribuer à la rendre plus efficace ! S’il vous plaît, n’en rajoutons pas !
Le jour où vous viendrez me voir pour me demander une baisse des coûts de fonctionnement, plus d’efficacité et de simplification, je vous rappellerai le débat de ce soir. Si j’appliquais toutes les mesures prévues par ces amendements, je ne ferais pas de la simplification mais de la complexification !
M. André Trillard. Ce serait la famine ! Il faudrait attendre six mois pour pouvoir manger !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Et demain, monsieur le sénateur, vous serez parmi d’autres dans l’hémicycle à me demander ce qu’on a fait !
M. André Trillard. Exact !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. Comment voulez-vous obliger l’industriel à répondre à toute demande d’un consommateur sur la composition de son produit sans prévoir de contrôle ? Si l’on décide d’offrir un droit au consommateur, il faut instaurer un contrôle de l’entreprise ! Ou alors, pour être cohérent, il faut revenir sur l’amendement adopté en commission !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Loisier et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 112-14. – L’étiquetage des produits agricoles carnés et des produits laitiers doit mentionner le mode de production : plein air, en bâtiment, en cage.
« Les caractéristiques de cet étiquetage sont définies par décret. »
La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Après discussion avec Mme Anne-Catherine Loisier, nous avons décidé, en toute sagesse, de retirer cet amendement.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
L’amendement n° 16, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 112-… – L’indication du mode d’élevage est rendue obligatoire pour l’ensemble des produits carnés et laitiers destinés à la consommation humaine, à l’état brut ou transformé, sur le modèle de celui existant pour les œufs, selon les termes 0 = biologique, 1 = en plein air, 2 = extensif en bâtiment, 3 = système intensif.
« La liste des produits concernés, les caractéristiques de l’étiquetage et les modalités d’application sont fixées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. Joël Labbé.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il est retiré !
M. Joël Labbé. Non, je ne retire pas cet amendement, mais, puisqu’il s’appuie sur la même motivation que l’un de mes amendements précédents, je considère qu’il est défendu. Je garde de l’énergie pour tout à l’heure… (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Je serai bref puisque j’ai déjà développé mon argumentation lors de mes avis sur les amendements précédents.
Restons simples, n’alourdissons pas les contraintes des entreprises, contentons-nous de prévoir la réponse au consommateur. Pour le reste, il y a les cahiers des charges spécifiques.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié quinquies, présenté par MM. Canevet, Luche, Médevielle, Cadic et Détraigne, Mme Loisier, MM. Kern, Bonnecarrère, Guerriau, Laurey et Roche, Mmes Férat et N. Goulet, MM. Bockel et Gabouty, Mmes Billon, Jouanno, Gatel et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 112-14. – Les distributeurs et les fabricants de produits alimentaires indiquent, sous forme d’étiquetage, l’origine de leurs produits carnés et laitiers.
« Les modalités d’application du présent article sont définies par décret. »
La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Avant de présenter l’amendement, je veux simplement rappeler le sujet qui nous occupe ce soir : la performance de notre agriculture. Cela permettra de mieux comprendre l’objet de notre amendement.
Cet amendement vise à prévoir un étiquetage pour les produits carnés et laitiers contenus dans les plats cuisinés. Les auteurs de la proposition de loi n’ont pas voulu imposer l’étiquetage en amont au motif, semble-t-il, que l’information sur l’origine des produits risquerait de se heurter à la réglementation européenne. Cette lecture ne nous paraît pas fondée.
Tout d’abord, l’affirmation par la Commission européenne d’un surcoût de 30 % lié à l’obligation d’indiquer l’origine des produits semble un peu fantaisiste.
Ensuite, cette interprétation nous paraît incohérente au regard de l’affaire récente de l’étiquetage des produits originaires des colonies israéliennes situées dans les territoires palestiniens. L’étiquetage de ces produits est encouragé, alors que celui des produits carnés ou laitiers vendus en France serait interdit !
Par ailleurs, l’étiquetage en amont est plébiscité par de nombreuses entreprises, qui craignent que l’étiquetage ou la réponse a posteriori ne crée une usine à gaz.
Enfin, le Parlement européen a adopté le 11 février 2015 une proposition de résolution appelant la Commission à présenter un texte législatif visant à rendre obligatoire l’information des consommateurs sur l’origine des viandes entrant dans la composition des plats transformés. La France demande avec constance une telle évolution du droit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Malheureusement, votre amendement, ma chère collègue, est contraire au droit communautaire, d’où notre rédaction de l’article 3, qui permet de contourner la difficulté.
Vous prenez l’exemple de l’étiquetage des produits originaires des colonies israéliennes, mais cette décision est européenne, pas franco-française.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vous demande également de retirer votre amendement : introduire ce genre de mesure dans la législation nationale, c’est pile ce qu’interdit le droit européen de l’étiquetage. Oui, il faut changer ce droit, et, comme je vous l’ai expliqué, c’est ce que nous essayons de faire !
M. le président. Madame Gatel, l’amendement n° 30 rectifié quinquies est-il maintenu ?
Mme Françoise Gatel. Non, je le retire, mais je maintiens mes encouragements à M. le ministre pour qu’il fasse bouger la législation européenne.
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié quinquies est retiré.
Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Chapitre II
Faciliter l’investissement et mieux gérer les risques financiers en agriculture
Article 4
(Non modifié)
Par exception à l’article 1244 du code civil, tout exploitant agricole ayant souscrit un emprunt affecté exclusivement au financement de l’acquisition de matériel d’exploitation ou de cheptel, dont la moitié au moins du chiffre d’affaires est réalisé dans un secteur déclaré en crise par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et des finances, peut reporter le paiement de sa dette pour une durée maximale qui ne peut excéder un cinquième de la durée du prêt restant à courir à la date de la demande. Le paiement des intérêts reste dû durant l’ensemble de la période d’exécution du prêt.
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, sur l’article.
M. Bruno Sido. L’article 4, au chapitre II de la proposition de loi, qui évoque la nécessité de « mieux gérer les risques financiers en agriculture », prend une signification particulière au regard de l’application du plan Écophyto 2. En effet, cette diminution du recours aux intrants affectera la rentabilité des exploitations, et je crains que la compétitivité de notre agriculture à l’échelle européenne n’en souffre.
Un principe simple pourrait guider la démarche : tout le droit européen, rien que le droit européen. En d’autres termes, il faut que les agriculteurs français puissent compter sur leur Parlement pour éviter toute surtransposition de la directive de 2009, synonyme de distorsion intra-européenne de concurrence.
Au-delà de ce texte, le Sénat pourrait prendre l’initiative d’un vaste toilettage normatif ; ce serait une aide très précieuse à la compétitivité de l’agriculture. Il s’agirait de distinguer, norme par norme, ce qui est imposé par le cadre européen et ce qui relève de notre responsabilité. Comme le proposent les représentants du monde agricole, tenons à jour un benchmark – pardonnez cet anglicisme – des normes et des charges en Europe pour corriger, puis renforcer notre compétitivité.
Sur le plan de la recherche et de l’innovation, je souhaiterais que, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, le Sénat veille à assurer un meilleur accompagnement des agriculteurs par les organismes publics de recherche. La diffusion des bonnes pratiques et de toute solution permettant de mieux concilier réduction de l’usage des pesticides et maintien des rendements doit devenir absolument prioritaire.
Bien sûr, d’aucuns me feront remarquer que cela relève sans doute du règlement et non de la loi. Collectivement, nous pouvons néanmoins inciter le Gouvernement à tout mettre en œuvre pour renforcer la performance économique de l’agriculture. Si la France est le premier pays d’Europe du point de vue de la surface agricole utile, avec 29 millions d’hectares, elle n’est que le neuvième pour l’utilisation des pesticides, avec 2,3 kilos par hectare, grâce aux efforts considérables déjà accomplis par le monde agricole.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. le président. L’amendement n° 34, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Première phrase
Après les mots :
ou de cheptel
insérer les mots :
ou de l’acquisition ou la rénovation de bâtiments d’élevage
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. L’article 4 instaure, pour les agriculteurs qui ont emprunté pour investir et qui connaissent une situation de crise importante, la possibilité de reporter le paiement du capital emprunté dans la limite de 20 % de la période restante. Ce dispositif a vocation à donner une véritable bouffée d’oxygène aux agriculteurs sans qu’ils aient à négocier avec leurs créanciers – cela rejoint les propos antérieurs de M. le ministre.
Le présent amendement a pour objet de rendre éligibles les emprunts souscrits pour construire ou rénover les bâtiments d’élevage et non seulement les investissements en matériel. N’oublions pas que nous parlons aussi de la compétitivité de l’élevage et que les bâtiments agricoles sont un facteur de compétitivité, de qualité de vie et de bien-être des animaux.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je comprends tout à fait ce souci du Sénat dans la phase de crise que nous vivons et dans laquelle on discute, par exemple, de l’« année blanche ». Lorsqu’un agriculteur souscrit un emprunt, les annuités – paiement des intérêts et remboursement du capital – pèsent lourd. Quand on est en difficulté, on cherche bien sûr à reporter une partie des annuités, que ce soit en totalité, sur tous les emprunts réalisés, ou en partie – c’est tout le débat que nous avons à propos de l’année blanche – pour soulager la trésorerie.
Cela étant, inscrire dans la loi des modalités de report de remboursement – alors que, je l’espère, on sortira bien un jour de la crise – conduira à ce qu’un agriculteur ayant emprunté pourra, sur le fondement de la loi, reporter automatiquement 20 % de son remboursement alors que cela ne se justifiera plus. La loi n’est pas faite pour traiter la conjoncture – cela relève plutôt du plan de soutien, de l’année blanche –, mais pour instaurer des éléments structurants, qui passent de la crise aux périodes favorables.
M. Bruno Sido. Exactement !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Là, vous inscrivez dans la loi un traitement spécifique conjoncturel. Pour ma part, je n’y suis pas favorable. Pour traiter la crise, je suis favorable à l’année blanche mais pas à l’inscription dans la loi des processus automatiques. Quand on sortira de la crise, ce que nous espérons tous, cette disposition sera décalée par rapport à la réalité économique.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. Pardon de vous le dire, monsieur le ministre, mais ce système existe dans bien d’autres domaines.
Quand on fait un emprunt immobilier de longue durée, la plupart des banques autorisent les reports de remboursement en capital en fonction des problèmes que l’on peut rencontrer dans sa vie, comme la perte de son emploi. Cela existe ! Par conséquent, permettre que cela soit possible de façon automatique pour l’agriculture n’est pas incohérent.
On peut, par exemple, se trouver dans une région qui connaît de vraies difficultés, en raison d’un événement climatique localisé, alors que les rendements dans le reste de la France sont normaux. Le fait d’inscrire ce dispositif dans la loi offre à tous les agriculteurs une liberté, une facilité. Certains l’utiliseront, d’autres non.
De toute manière, cela aura un coût, le banquier ne proposera pas cette possibilité gratuitement. Mais son inscription dans la loi créera une possibilité réelle, une souplesse pour le monde agricole. La production agricole, animale et surtout végétale, subit en effet les aléas climatiques de façon différenciée sur le territoire.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Prenez garde à ce que l’automaticité qui assortirait la possibilité de report, quelle que soit la capacité de remboursement de l’emprunteur, ne conduise les banques, au bout du compte, à renchérir les prêts et à les rendre plus difficiles d’accès. Nous n’avons surtout pas besoin de cela aujourd'hui !
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce dont nous avons besoin, c’est de fluidité et de confiance, pour que les banques prêtent à ceux qui ont besoin d’emprunter.
Je reconnais que cet amendement part d’un bon sentiment : il s’agit d’aider les agriculteurs à faire face à la crise. Toutefois, la crise ne durera pas éternellement, et on ne fait pas la loi pour gérer une crise : on fait la loi pour qu’elle dure.
Quand vous pensiez leur rendre service, vous risquez d’alourdir le coût du prêt et de renchérir encore l’accès au crédit pour tous les agriculteurs.
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je veux insister sur ce point.
Par conséquent, je ne suis pas favorable à l’amendement, qui, comme l’article, du reste, ne constitue pas une bonne réponse.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je veux saluer l’initiative qu’a prise le rapporteur en déposant cet amendement, au nom de la commission des affaires économiques.
Comme cela a été largement rappelé, certains agriculteurs sont, hélas ! très sinistrés. L’enjeu financier est fondamental, en particulier pour les petites exploitations.
Dans le rapport, il est bien indiqué que l’encours de la dette se chiffre en milliards d’euros.
On voit bien également qu’il est de plus en plus difficile, pour les agriculteurs, de négocier avec les banques, quelles qu’elles soient. Pour eux, accéder au crédit est devenu un véritable parcours du combattant.
Dans ce contexte, la proposition du rapporteur est de nature à les soutenir financièrement. C’est un signal fort qu’on pourrait leur donner.
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Je veux formuler une remarque à l’intention de M. le rapporteur et deux à l’intention de M. le ministre.
Monsieur le rapporteur, il n’y a pas lieu de limiter cette possibilité aux seuls éleveurs. En effet, nous savons tous aujourd'hui que l’agriculture est soumise à la fois à des aléas climatiques, qui, malheureusement, se vérifient de plus en plus souvent, et aux aléas des cours, qui fluctuent de manière très importante. Quand l’effet des aléas climatiques et celui des aléas des cours se conjuguent, on se retrouve dans une situation de crise. Il n'y a pas qu’une filière de l’agriculture qui soit susceptible d'être concernée par cette situation !
La possibilité qu’ouvre votre amendement en matière de construction ou de rénovation de bâtiments devrait également être offerte aux autres productions. Vous devriez peut-être mettre la navette à profit pour y réfléchir.
Monsieur le ministre, notre collègue Daniel Dubois a fait des remarques tout à fait pertinentes, même si l’on pourrait en partie vous donner raison, dans la mesure où l’échéance reportée à plus tard pèsera toujours sur le résultat de l’exploitation.
Cela étant, monsieur le ministre – si vous voulez bien m’écouter au lieu de discuter avec votre collaborateur… –, je vous invite à relire le texte de l’article : le dispositif ne se déclenchera qu’en cas de crise. Il n'y aura pas d’automatisme. Daniel Dubois a bien précisé, dans son argumentation, que ce dispositif était bien lié à des phénomènes d’aléas climatiques ou aux cours.
Je comprends d’autant moins vos appréhensions que, lorsque la profession se trouve en situation de crise, ce sont, en général, des mesures de cette nature que vous prenez. Vous demandez souvent aux organismes bancaires d’aménager les prêts.
M. Alain Vasselle. Je ne vois donc pas en quoi l’inscription de cette disposition dans la loi vous gêne.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le sénateur, soyez assuré que je vous ai parfaitement écouté. Vous n’avez opposé aucun argument rationnel à ce que j’ai avancé !
Vous venez simplement de confirmer que nous prenons déjà de telles mesures en cas de crise. Je répète que c’est l’inscription dans la loi de mesures que l’on prend en cas de crise qui serait problématique.
La loi est-elle faite pour traiter les crises ? Non ! La loi est faite pour traiter la question de l’agriculture de manière globale.
Quant à la probabilité que les banques intègrent la possibilité de reporter automatiquement 20 % des remboursements d’emprunt pour renchérir les crédits, vous viendrez un jour me dire que j’avais raison ! Je préfère vous le dire de manière très claire.
Je continue à répéter que je ne suis pas favorable à cet amendement.
M. Alain Vasselle. Lisez bien l’article !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. D'abord, je veux répondre à mon collègue Alain Vasselle que l’amendement vise toutes les filières et pas seulement l’élevage. En effet, la rédaction actuelle de l’article inclut tout le matériel, mais exclut les bâtiments d’élevage, ce qui serait un comble pour une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Mon cher collègue, je veux vous rassurer : il s’agit bien de viser l’ensemble des prêts destinés à la modernisation de l’agriculture.
Ensuite, je veux dire à M. le ministre que ce texte a pour objectif la clairvoyance dans le temps. Or qu’est-ce que le temps ?
MM. Bruno Sido et André Trillard. C’est de l’argent ! (Sourires.)
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Très sincèrement, personne n’avait anticipé la crise de la fièvre catarrhale ovine, la FCO, que l’on connaît actuellement.
Vous nous dites, monsieur le ministre, avoir l’impression que nous avons déposé cette proposition de loi pour gérer une crise conjoncturelle. Non ! Il s’agit vraiment d’une réforme structurelle.
Quand je vois les difficultés que pose le report de cette année blanche auprès du monde bancaire, je plaide pour son inscription dans la loi en cas de situation de crise, laquelle peut être déclenchée à la suite de problèmes sanitaires, comme la FCO, d’aléas climatiques, tant que n’existera pas de système assurantiel obligatoire, ou d’aléas des prix. Je vous renvoie à la page trente et un du rapport.
Vous parlez d’effet d’aubaine, mais je ne vois pas quel agriculteur d’un secteur de production pourrait être épargné par une crise, même si tous les agriculteurs ne sont pas forcément touchés de la même manière. Vous savez, hélas, comme moi, que tous les éleveurs ont été frappés par la crise de la FCO, avec des répercussions tant sur leurs revenus que sur les conditions de remboursement de leurs emprunts.
Quant au renchérissement du prêt, il n’a rien de systématique. Il suffit d’organiser le report. Notre système coûterait même nettement moins cher que les frais de dossiers engendrés par la renégociation des prêts par lesquels les agriculteurs parviennent aussi à se refinancer, les banques intégrant ce risque dans les coûts.
Je veux remercier mon collègue pour son intervention. Nous sommes plusieurs à être vraiment convaincus de l’intérêt de ce dispositif. Il s’agit de se doter de clairvoyance pour le futur et de donner à l’agriculture des moyens supplémentaires pour faire face aux divers aléas – sanitaire, climatique et, bien sûr, des prix.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Après la section 4 du chapitre Ier du titre II du livre II, il est inséré une section 4 bis ainsi rédigée :
« Section 4 bis
« Le livret vert
« Art. L. 221-28. – Le livret vert est ouvert par les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France dans les établissements et organismes autorisés à recevoir des dépôts.
« Les versements effectués sur un livret vert ne peuvent porter le montant inscrit sur le livret au-delà d’un plafond fixé par voie réglementaire.
« Il ne peut être ouvert qu’un livret par contribuable ou un livret pour chacun des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité, soumis à une imposition commune.
« Les modalités d’ouverture et de fonctionnement du livret vert, ainsi que la liste des investissements dans le secteur agricole et agroalimentaire auxquels sont affectées les sommes déposées sur ce livret, sont fixées par voie réglementaire.
« Les opérations relatives au livret vert sont soumises au contrôle sur pièces et sur place de l’inspection générale des finances. »
M. le président. L'amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Collin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le livret de développement agricole
II. – Alinéas 5, 6, 8 et 9
Remplacer les mots :
livret vert
par les mots :
livret de développement agricole
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. L’article 5 crée un nouveau produit d’épargne défiscalisé, afin de drainer l’épargne populaire en faveur de l’investissement dans l’agriculture et l’industrie agroalimentaire. En effet, même si les agriculteurs ne sont pas confrontés à un défaut de financement, le livret vert pourrait permettre de diversifier les sources de financement dans la perspective d’un besoin croissant de capital. C’est naturellement une bonne initiative, que le RDSE soutient, sous réserve que la réglementation des ratios financiers ne handicape pas le dispositif.
Notre amendement tend donc à renommer le livret vert en « livret de développement agricole », afin de mieux souligner le secteur spécifiquement visé par ce produit. En outre, le qualificatif « vert » donne une connotation agroécologique au dispositif. Enfin, il existe un « livret de développement durable » pour le financement des PME, ce qui peut créer une certaine confusion dans l’esprit des épargnants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. On pourrait débattre toute la soirée de l’intitulé du produit et de la couleur qu’il conviendrait de retenir pour le qualifier…
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement, même si, à titre personnel, je trouve que le libellé de « livret vert », retenu dans la proposition de loi, est suffisamment parlant, et donc satisfaisant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Pour ce qui concerne la dénomination du produit, je préfère que l’on parle de « livret vert », qui, comme M. Collin l’a lui-même dit, fait justement référence à l’agroécologie.
Cela étant, sur le principe de ce livret d’épargne, je m’interroge : quel en sera le taux de rémunération ? Quelle épargne cherchera-t-on à collecter ? Comment la rémunérera-t-on ? Ces sujets essentiels ne sont évoqués ni dans l’article ni dans l’amendement. Or, pour attirer l’épargne, il faut bien…
Mme Sophie Primas. … qu’il y ait de l’épargne !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … qu’il y ait un taux d’intérêt attractif ! Quel sera son niveau ?
Aujourd'hui, le taux du livret A s’élève à 0,75 % et fait l’objet d’un calcul spécifique. Le livret de développement durable permet quant à lui de financer des emprunts dans l’environnement et dans les PMI-PME. Il faut étudier ce qui existe déjà et se rappeler que l’épargne n’est pas extensible.
Aujourd'hui, le vrai sujet n’est pas la disponibilité des fonds, mais la meilleure articulation entre les agriculteurs qui les appellent et ceux qui les prêtent. D'ailleurs, à qui ce produit serait-il adressé ? Qui en seraient les gestionnaires ? Toutes les banques ? Seulement quelques-unes ? Ces sujets, qui ne sont pas abordés à l’article 5, mériteraient d’être précisés.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. La création de ce livret est une idée assez séduisante, que les membres de notre groupe soutiennent. Cependant, quelle est la faisabilité d’un tel livret sans concertation avec le système bancaire ?
Aujourd'hui, force est de constater que la Fédération bancaire française indique être défavorable à l’instauration d’un nouveau livret. Comme vient de le dire le ministre, il existe déjà des livrets de développement durable, et les jeunes agriculteurs ont même passé un accord avec le Crédit Agricole pour mettre en place un livret sur les projets agricoles. Ce nouveau livret pourrait donc effectivement apporter une certaine confusion. Mais pourquoi pas ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article additionnel après l'article 5
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. D. Dubois et Lasserre, Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport dont l’objet est de prévoir l'ouverture de prêts à longue durée pour les jeunes agriculteurs, assis sur le livret de développement durable et le livret vert.
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Cet amendement vise à demander au Gouvernement de lancer une étude – je préfère employer ce terme après notre discussion de ce matin en commission au sujet des demandes de rapport (Sourires.) – portant sur une modification des prêts d’aide à l’installation des jeunes agriculteurs.
La durée de remboursement de ces prêts est actuellement de six ans, ce qui peut parfois placer les jeunes agriculteurs dans des situations très difficiles dès les premières années d’exploitation. Il nous semble donc intéressant d’étudier la possibilité d’instaurer des prêts de longue durée, qui pourraient être assis sur le livret de développement durable et le livret vert.
Une telle disposition permettrait de répondre à deux attentes très fortes : d’une part, faciliter l’installation des jeunes agriculteurs – il s’agit d’un vrai besoin – en lissant le remboursement du capital sur un plus grand nombre d’années et, d’autre part, rapprocher les territoires ruraux et leurs habitants, notamment les néo-ruraux, de leur agriculture à travers l’utilisation du livret de développement durable ou du futur livret vert.
M. le président. Le sous-amendement n° 36, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 11 rectifié, alinéa 3
1° Remplacer les mots :
prêts à longue durée
par les mots :
prêts de carrière
2° Supprimer les mots :
, assis sur le livret de développement durable et le livret vert
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. L’amendement de M. Dubois vise à demander au Gouvernement de remettre un rapport sur la possibilité de mettre en place des prêts de long terme assis sur les livrets défiscalisés.
Même si nous n’aimons pas multiplier les demandes de rapport au Parlement, il s’agit d’un sujet important. C'est la raison pour laquelle la commission est favorable à cet amendement, sous réserve de l’adoption de son sous-amendement visant, d’une part, à remplacer les termes « prêts à longue durée » par ceux de « prêts de carrière » et, d’autre part, à supprimer les mots « assis sur le livret de développement durable et le livret vert », car les prêts doivent pouvoir être consentis en étant assis sur les ressources habituelles des organismes bancaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 5.
Article 6
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° L’article 72 D bis est ainsi rédigé :
« Art. 72 D bis. – I. – Les exploitants agricoles soumis à un régime réel d’imposition peuvent constituer une réserve spéciale d’exploitation agricole dans les limites et conditions prévues à l’article 72 D ter.
« Dans les six mois de la clôture de l’exercice et, au plus tard, à la date de dépôt de déclaration des résultats se rapportant à l’exercice au titre duquel la réserve spéciale d’exploitation agricole est dotée, l’exploitant inscrit à un compte d’affectation ouvert auprès d’un établissement de crédit une somme au moins égale à 50 % du montant de la réserve. L’épargne professionnelle ainsi constituée doit être inscrite à l’actif du bilan de l’exploitation. Les intérêts produits par cette épargne professionnelle et qui sont capitalisés dans le compte d’affectation ne sont pas soumis à l’impôt.
« La condition d’inscription au compte d’affectation mentionné au deuxième alinéa est réputée respectée à due concurrence de l’accroissement du stock de fourrages destiné à être consommé par les animaux de l’exploitation par rapport à la valeur moyenne du stock en fin d’exercice calculée sur les trois exercices précédents. En cas de vente de ces stocks de fourrage lors des sept exercices suivant celui de la constitution de la réserve, le produit de la vente doit être inscrit au compte d’affectation dans la limite du montant ayant été dispensé de l’inscription au compte d’affectation.
« La réserve spéciale d’exploitation agricole est utilisée au cours des sept exercices qui suivent celui de sa constitution pour le règlement de toute dépense, lorsque la valeur ajoutée de l’exercice, réalisée dans des conditions comparables à celles de l’année précédente, a baissé de plus de 10 % par rapport à la moyenne des valeurs ajoutées des trois exercices précédents. La valeur ajoutée s’entend de la différence entre, d’une part, la somme hors taxes des ventes, des variations d’inventaire, de la production immobilisée et autoconsommée et des indemnités et subventions d’exploitation et, d’autre part, la somme hors taxes et sous déduction des transferts de charges d’exploitation affectés du coût d’achat des marchandises vendues et de la consommation de l’exercice en provenance de tiers. Les intérêts capitalisés dans le compte d’affectation sont utilisés dans les mêmes conditions.
« Les sommes ainsi utilisées sont rapportées au résultat de l’exercice au cours duquel leur utilisation est intervenue.
« Lorsque ces sommes ne sont pas utilisées au cours des sept exercices qui suivent celui au titre duquel la déduction a été pratiquée, elles sont rapportées aux résultats du septième exercice suivant celui au titre duquel la déduction a été pratiquée.
« II. – L’apport d’une exploitation individuelle, dans les conditions mentionnées au I de l’article 151 octies, à une société civile agricole par un exploitant agricole qui a constitué une réserve spéciale d’exploitation agricole au titre d’un exercice précédant celui de l’apport n’est pas considéré pour l’application du I du présent article comme une cessation d’activité si la société bénéficiaire de l’apport en remplit les conditions et s’engage à utiliser la réserve au cours des sept exercices qui suivent celui au titre duquel la déduction correspondante a été pratiquée.
« III. – La transmission à titre gratuit d’une exploitation individuelle dans les conditions prévues à l’article 41 du présent code par un exploitant agricole qui a constitué une réserve spéciale d’exploitation agricole au titre d’un exercice précédant celui de la transmission n’est pas considérée pour l’application du I comme une cessation d’activité si le ou les bénéficiaires de la transmission remplissent les conditions ouvrant droit à la constitution de la réserve et s’engagent à utiliser celle-ci au cours des sept exercices qui suivent celui au titre duquel elle a été constituée dans les conditions et les limites définies au même I. » ;
3° L’article 72 D ter est ainsi rédigé :
« Art. 72 D ter. – I. – Dans la limite du bénéfice, les déductions prévues aux articles 72 D et 72 D bis sont plafonnées à un montant global fixé, par exercice de douze mois, à 27 000 €.
« Lorsque le chiffre d’affaires excède 200 000 € hors taxes, l’exploitant peut pratiquer un complément de réserve spéciale d’exploitation agricole, dans les conditions prévues au même article 72 D bis et dans la limite du bénéfice, jusqu’à un montant de 5 % du chiffre d’affaires hors taxe au-delà de 200 000 €.
« Pour les exploitations agricoles à responsabilité limitée qui n’ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, les montants mentionnés aux deux premiers alinéas du présent I sont multipliés par le nombre des associés exploitants, dans la limite de quatre.
« II. – Les déductions mentionnées au I du présent article sont pratiquées après application des abattements prévus aux articles 44 quaterdecies et 73 B. »
M. le président. L'amendement n° 32 rectifié quinquies, présenté par MM. Canevet, Luche, Médevielle, Cadic et Détraigne, Mme Loisier, MM. Kern, Bonnecarrère, Guerriau, Laurey et Roche, Mmes Férat et N. Goulet, MM. Bockel et Gabouty, Mmes Billon, Gatel et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, ou lorsqu’au titre de deux années consécutives, la somme arithmétique des baisses de valeur ajoutée mesurées excède 10 %
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. La reconnaissance de l’aléa économique est liée à la constatation d’une baisse de valeur ajoutée de l’exercice de plus de 10 % par rapport à la moyenne triennale des valeurs ajoutées des trois exercices précédents.
Cette condition, qui subordonne la mise en œuvre de la déduction pour aléas, ou DPA, au titre de l’aléa économique, s’avère néanmoins trop rigide dans certaines situations. En effet, il n’est pas rare qu’un exploitant puisse constater des baisses de valeur ajoutée pendant plusieurs années successives, mais que chacune de ces baisses soit inférieure au seuil de déclenchement de la DPA.
Cet amendement vise donc à donner plus de flexibilité au dispositif en considérant que, si la somme arithmétique des baisses de valeur ajoutée mesurées excède 10 %, le dispositif peut être enclenché.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement vise à autoriser l’utilisation de la réserve spéciale d’exploitation agricole, ou RSEA, qui remplace la DPA, lorsque la valeur ajoutée de l’exploitation baisse non pas de 10 % par rapport à la moyenne triennale, mais de 10 % sur deux ans.
Cet assouplissement tend à faciliter l’utilisation de la réserve spéciale d’exploitation agricole. Attention toutefois à ne pas trop assouplir les critères, sinon cette réserve se transformera en simple instrument d’optimisation fiscale, au risque de ne pas être approvisionnée à hauteur suffisante en cas de vrai coup dur !
Toutefois, le dispositif proposé n’excédant pas les limites acceptables, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cet amendement relève manifestement d’une loi de finances. À cet égard, je rappelle que le Gouvernement a fait des propositions allant dans le sens d’un assouplissement de la DPA dans le cadre du projet de loi de finances rectificative adopté par l’Assemblée nationale et qui viendra très bientôt en discussion au Sénat. Il est important de faire en sorte que la déduction pour aléas soit bien un outil permettant de faire des réserves dans lesquelles puiser de manière souple.
Telle est la raison pour laquelle, monsieur Kern, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Kern, l'amendement n° 32 rectifié quinquies est-il maintenu ?
M. Claude Kern. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 31 rectifié quinquies, présenté par MM. Canevet, Luche, Médevielle, Cadic et Détraigne, Mme Loisier, MM. Kern, Bonnecarrère, Guerriau, Laurey et Roche, Mmes Férat et N. Goulet, MM. Bockel et Gabouty, Mmes Billon, Gatel et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Remplacer le montant :
27 000 €
par le montant :
35 000 €
La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Les exploitants agricoles soumis à un régime réel d’imposition peuvent chaque année, sur option, déduire de leur bénéfice imposable une somme pour faire face à un aléa économique, climatique ou sanitaire, dans la limite d’un plafond commun avec la déduction pour investissement, ou DPI, de 27 000 euros par an et du bénéfice fiscal réalisé.
Ce plafond de 27 000 euros est multiplié par le nombre d’associés exploitants dans les EARL, les exploitations agricoles à responsabilité limitée, et les GAEC, les groupements agricoles d’exploitation en commun, dans la limite de quatre, depuis les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015.
Ce dispositif a été peu utilisé par les exploitants agricoles au cours de ses treize premières années d’existence en raison de ses rigidités et des modalités de réintégration de la DPA, dont le plafond, fixé à 27 000 euros, s’avère non seulement complexe à appréhender, mais également trop limité.
Afin de rendre le mécanisme plus souple, le présent amendement vise à élever le plafond d’utilisation de la DPA à 35 000 euros.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement vise à relever le plafond de la RSEA à 35 000 euros par an. Il faut noter qu’il s’agit en fait du plafond commun de la RSEA et de la déduction pour investissement. Il est vrai que ces plafonds sont fixés à des niveaux bas, le plafond global restant à 150 000 euros. Pour ces raisons, la commission a émis un avis favorable.
Mme Françoise Férat. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il s’agit encore d’un amendement relevant d’une loi de finances.
Nous avons discuté de la modification de la DPA et de l’augmentation du plafond de 23 000 à 27 000 euros avec la profession agricole, qui ne nous demande pas d‘aller au-delà.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 6 bis (nouveau)
Après la première phrase du second alinéa de l’article L. 330-1 du code rural et de la pêche maritime, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Ils doivent également souscrire une assurance contre les dommages causés aux exploitations agricoles mentionnée au premier alinéa de l’article L. 361-4. »
M. le président. La parole est à M. Gérard César, sur l'article.
M. Gérard César. Lorsqu’un jeune agriculteur s’installe, il peut, à sa demande, bénéficier de la DJA, la dotation jeunes agriculteurs, et des prêts bonifiés.
Un jeune qui vient de s’installer est, par définition, vulnérable financièrement. La situation économique de son exploitation peut être aggravée par des aléas climatiques ou sanitaires.
Pour pouvoir bénéficier de la DJA dans mon département, en Gironde, j’ai instauré, avec le concours du conseil départemental, une obligation de s’assurer pour garantir son revenu.
Avec Jean-Paul Emorine, nous nous sommes battus, lors de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, pour « assurer la réassurance » – si je puis m’exprimer ainsi. Or le ministère des finances nous a abandonnés en rase campagne !
Voilà pourquoi je soutiens l’article 6 bis, issu d’un amendement de Daniel Gremillet adopté en commission. Je tiens d’ailleurs à lui rendre hommage pour le travail important qu’il accomplit au profit de l’agriculture et de ses élevages
Le complément financier de l’assurance susceptible d’être obligatoire pour les jeunes agriculteurs bénéficiant de la DJA pourrait être prélevé sur la dotation jeunes agriculteurs. Je tiens à rappeler – M. le ministre le sait bien – que l’Europe finance les prêts de l’assurance récolte à hauteur de 65 %.
Par contre, monsieur le ministre, je suis très réservé sur le maintien de la DPI. De même, je m’interroge sur la DPA : si elle peut s’avérer utile quand il y a des revenus, quand il n’y en a pas, elle n’est pas déductible.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6 bis.
(L'article 6 bis est adopté.)
Article 6 ter (nouveau)
Après le XXXVII de la section II du chapitre IV du titre Ier de la première partie du code général des impôts, il est inséré un XXXVII bis ainsi rédigé :
« XXXVII bis
« Crédit d’impôt en faveur de l’assurance des exploitations agricoles
« Article 244 quater LA. – Les entreprises agricoles peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre de chacune des années 2016 à 2018 lorsqu’elles souscrivent une assurance couvrant leur approvisionnement ou la livraison des produits de l’exploitation.
« Les dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt sont constituées des primes d’assurances versées, à condition que ces primes ne bénéficient pas déjà de la prise en charge prévue au deuxième alinéa de l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime.
« Le crédit d’impôt, calculé au titre de chaque période d’imposition ou exercice clos au cours desquels des dépenses éligibles ont été exposées, est égal à 35 % de ces dépenses.
« Le crédit d’impôt est plafonné à 10 000 € par entreprise et par an.
« Pour le calcul du crédit d’impôt des groupements agricoles d’exploitation en commun, le montant du crédit d’impôt est multiplié par le nombre d’associés, sans qu’il puisse excéder quatre fois le plafond mentionné à l’avant-dernier alinéa du présent article. » – (Adopté.)
Article 7
L’article 39 decies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est insérée la mention : « I. – » ;
2° Aux deux premières phrases de l’avant-dernier alinéa, la référence : « présent article » est remplacée par la référence : « présent I » ;
3° Sont ajoutés des II et III ainsi rédigés :
« II. – Les associés coopérateurs des coopératives d’utilisation de matériel agricole et les coopératives régies par les 2°, 3° et 3° bis du 1 de l’article 207 du présent code peuvent bénéficier de la déduction prévue au I du présent article à raison des biens acquis, fabriqués ou pris en crédit-bail ou en location avec option d’achat par ces coopératives du 15 octobre 2015 au 14 avril 2016.
« Chaque associé coopérateur peut déduire une quote-part de la déduction, déterminée à proportion de l’utilisation qu’il fait du bien.
« La proportion d’utilisation d’un bien par un associé coopérateur est égale au rapport entre le montant des charges attribué à cet associé coopérateur par la coopérative au titre du bien et le montant total des charges supporté par la coopérative au cours de l’exercice à raison du même bien. Ce rapport est déterminé par la coopérative à la clôture de chaque exercice.
« La quote-part est déduite du bénéfice de l’exercice de l’associé coopérateur au cours duquel la coopérative a clos son propre exercice.
« Les coopératives d’utilisation de matériel agricole, les coopératives régies par les 2°, 3° et 3° bis du 1 du même article 207 du présent code et les associés coopérateurs sont tenus de produire, à toute réquisition de l’administration, les informations nécessaires permettant de justifier de la déduction pratiquée.
« III. – La déduction prévue au premier alinéa du I est applicable, par dérogation, aux bâtiments et installations de magasinage et de stockage de produits agricoles dont la construction ou la rénovation a été engagée entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016 et aux matériels y afférents acquis durant la même période.
« Elle peut être pratiquée par les associés coopérateurs des coopératives d’utilisation de matériel agricole et les coopératives régies par les 2°, 3° et 3° bis du 1 dudit article 207 dans les conditions fixées au II du présent article. » – (Adopté.)
Chapitre III
Alléger les charges qui pèsent sur les entreprises agricoles
Article 8
La section 7 du chapitre V du titre Ier du livre V du code de l’environnement est complétée par un article L. 515-27-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 515-27-1. – Les élevages de veaux de boucherie, de bovins à l’engraissement et de vaches laitières ne sont soumis à la procédure d’autorisation mentionnée à la section 1 du chapitre II du présent titre que lorsque les effectifs d’animaux susceptibles d’être présents sont supérieurs à 800.
« Les autres élevages de veaux de boucherie, de bovins à l’engraissement et de vaches laitières précédemment soumis à la procédure d’autorisation sont soumis à la procédure d’enregistrement mentionnée à la section 2 du même chapitre. »
M. le président. L'amendement n° 2, déposé par M. Grosdidier, n'est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 8
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. D. Dubois et Lasserre, Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée.
Chaque année, un bilan de cette balance entre normes créées et normes abrogées est rendu public.
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Cet amendement se justifie par son texte même.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer une norme agricole pour toute nouvelle norme créée. Il s’agit d’un amendement de principe qui peut se heurter à des difficultés pratiques.
Premièrement, comment définir la norme ?
Deuxièmement, comment effectuer la comptabilité des créations et suppressions de normes ?
Troisièmement, comment étendre ce principe aux normes qui ne sont pas spécifiquement agricoles comme, par exemple, les normes en matière de droit du travail ou de protection sociale ?
Toutefois, malgré ces écueils, le principe est bon. Son inscription dans la loi permettra de faire pression pour l’allégement des normes. La commission a donc émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cet amendement relève du domaine réglementaire.
Par ailleurs, pour aller dans le sens que vous réclamez, encore faudrait-il avoir une claire définition de ce dont on parle. Quelle norme supprimer au moment de la transposition d’une norme européenne en droit français ? Je n’en sais rien…
Le Gouvernement s’emploie déjà à simplifier les choses, à les rendre plus fluides et plus compréhensibles, conformément aux objectifs que vous souhaitez poursuivre.
M. Henri Cabanel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.
M. Franck Montaugé. Je ne sais pas si cet amendement est pertinent, mais ce dont je suis sûr, c’est que nous agissons dans la précipitation sur cette question des normes.
Nous pouvons tout à fait partager cette ambition de simplification qui semble légitime et qui peut constituer un facteur de compétitivité supplémentaire. Un groupe de travail conduit par Daniel Dubois, qui n’a pas encore rendu son rapport, s’est d’ailleurs penché sur le sujet.
On nous amène aujourd'hui à prendre une décision de manière très précipitée. Peut-on juger de la pertinence d’un tel amendement, alors que le sujet n’a pas été circonscrit et que les conclusions n’ont pas encore été rendues ? Je ne le crois pas. Par conséquent, nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.
M. Daniel Dubois. J’en suis bien conscient, cet amendement pose un certain nombre de difficultés. Toutefois, je connais la propension des parlementaires que nous sommes et du Gouvernement à imposer de nouvelles normes, même si je reconnais volontiers que le ministère de l’agriculture fait des efforts très sérieux pour simplifier la norme.
Cela étant, on sait tous que le monde agricole, en tant qu’agent économique du territoire, subit de façon extrêmement forte un faisceau de normes particulièrement difficiles.
Chers collègues du groupe socialiste, je me tourne vers vous. Je souhaite simplement qu’on inscrive dans la loi la promesse du Président de la République, qui s’était engagé à ce qu’on supprime une norme à chaque fois qu’on en crée une nouvelle. Finalement, par cet amendement, je ne fais que concrétiser le souhait émis par notre Président de la République lors de sa campagne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – MM. Gérard Bailly et Jackie Pierre applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Je ne vais pas reprendre l’argumentaire de mon collègue Franck Montaugé. Comme il l’a précisé, nous nous abstiendrons sur cet amendement.
Je veux simplement dire que je partage avec M. Dubois la volonté de simplifier la norme. Nous sommes tous conscients qu’il faut arriver à trouver des solutions en la matière. Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce gouvernement possède un secrétaire d’État chargé de la simplification, ce qui témoigne d’une réelle volonté de simplification. Par conséquent, continuons à travailler ensemble sur le sujet !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 8.
L'amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. D. Dubois et Lasserre, Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole l'est à titre expérimental pour une durée de cinq ans. À l'issue de cette période, un bilan de cette expérimentation permet d'établir un prolongement ou une abrogation de cette norme.
La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. S’agissant de la norme, l’une des problématiques rencontrées est la difficulté à établir un bilan. On continue d’avancer, sans songer à analyser l’efficacité de ce qu’on fait.
Selon moi, seules des normes à durée déterminée permettront d’imposer un bilan, une analyse. Je propose donc des normes d’une durée de cinq ans, ce qui me semble adéquat, car j’intègre à cette période la mise en place de la mesure. Ensuite, le bilan s’impose : cette norme est-elle efficace ? Faut-il l’améliorer ? Seulement après avoir répondu à ces questions, on prend une décision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement tend à introduire le principe d’une norme à durée déterminée dans l’agriculture, dont la prolongation serait subordonnée à une analyse d’impact. Là aussi, le principe est bon, même si la mise en œuvre pratique peut être difficile. Il faut aussi éviter de créer des cadres normatifs trop mouvants, car les entreprises ont besoin de sécurité juridique.
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je partage l’avis du rapporteur. En effet, s’il existe une incertitude sur la mise en œuvre d’une norme, tous les acteurs chargés de l’appliquer, qui investissent en fonction d’un cadre législatif donné, évolueront dans un système totalement incertain, puisqu’ils ne sauront pas quelles mesures seront pérennisées et quelles mesures seront abrogées. C’est le même débat avec le pacte de responsabilité et le CICE, que les entreprises souhaitent voir durer, pour pouvoir investir. Je vous le dis, vous créez par cet amendement un système d’instabilité totale.
En revanche, dans le cadre du plan Écophyto 2, on va expérimenter sur cinq ans les fameux certificats d’économies de produits phytosanitaires. Il s’agit de demander à tous les fournisseurs de réduire de 20 %, en cinq ans, ce qu’ils vendent. Si, après cette durée, ils n’ont pas atteint cet objectif, ils auront une amende.
Cette mesure possède donc une durée parfaitement déterminée : cinq ans pour agir, innover et investir dans des pratiques et matériels économes en produits phytosanitaires. C’est exactement ce que vous souhaitez, monsieur le sénateur. Je vous demande donc de retirer cet amendement. Je dirai au Président de la République que vous l’avez brillamment cité… (Sourires.)
M. le président. Monsieur Dubois, l’amendement n° 10 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Dubois. Je souligne que nous sommes au moins d’accord sur un point, à savoir la durée de cinq ans. C’est en tout cas celle qui est préconisée dans le cadre du plan Écophyto 2.
Je reste intimement persuadé qu’il convient d’emprunter deux voies. La première, c’est celle d’une véritable coproduction de la norme avec les acteurs économiques concernés. Il y a une vraie demande sur ce sujet en amont. La seconde, c’est celle de l’évaluation, qui est rarement menée en aval. Pour résumer, il faut une étude d’impact et une coproduction en amont et une évaluation en aval.
Comme tous les beaux discours sur le sujet ne sont jamais mis en œuvre, j’ai pensé – c’est la seule solution que j’ai trouvée – que la norme devait avoir une durée limitée. Mais vous avez raison, monsieur le ministre, cela crée de l’instabilité, j’en suis tout à fait conscient. Dans ce dilemme, qu’est-ce qui est préférable ? Je me pose la question.
Quoi qu’il en soit, je retire l’amendement, dans la mesure où un groupe de travail sur les normes agricoles a été mis en place, ce qui devrait permettre d’avancer sur ces sujets. Pour autant, je reste intimement persuadé qu’on a encore beaucoup d’efforts à faire pour alléger le poids, dont nous avons chargé, les uns et les autres, depuis de nombreuses années, la selle du cheval agricole France.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié est retiré.
Article 8 bis (nouveau)
L’article L. 122-3 du code de l’environnement est complété par un V ainsi rédigé :
« V. – Par dérogation au 2° du II, à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2019, pour les projets agricoles, sylvicoles et piscicoles visés au 1 de l’annexe II de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, le contenu des études d’impact est défini par l’annexe IV de la même directive. »
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, sur l'article.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Je me félicite de cette proposition de loi d’initiative sénatoriale, que j’ai bien volontiers cosignée, car elle permet de porter le débat sur l’avenir de notre agriculture sur le plan législatif. Ses différents articles doivent nous permettre d’apporter des réponses structurelles à l’agriculture et aux filières agroalimentaires, faute de quoi certaines d’entre elles pourraient bien disparaître.
L’expérimentation proposée par ce nouvel article me paraît donc aller dans le bon sens, car la superposition de normes est un réel danger pour la pérennité des exploitations agricoles. En effet, l’alignement des normes nationales avec les normes européennes devrait apporter un peu de quiétude au monde agricole face à un volet réglementaire toujours plus important et complexe, très consommateur de temps et de compétences pas toujours bien maîtrisées.
Dans mon département des Hautes-Alpes, où les contraintes sont déjà très nombreuses en raison du relief, du climat et de la taille des exploitations, cette simplification pour le secteur de l’élevage est un signe positif envoyé à l’agriculture de montagne.
M. le président. Je mets aux voix l'article 8 bis.
(L'article 8 bis est adopté.)
Article 9
I. – Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° L’article L. 741-15-1 est ainsi rétabli :
« Art. L. 741-15-1. – I. – Les employeurs relevant du régime de protection sociale des professions agricoles sont exonérés du paiement de la part patronale des cotisations et contributions mentionnées au II du présent article dans la limite de vingt salariés agricoles employés en contrat à durée indéterminée par entreprise.
« Pour les employeurs appartenant à un groupe tenu de constituer un comité de groupe en application du I de l’article L. 2331-1 du code du travail, la limite de vingt salariés s’apprécie au niveau du groupe.
« II. – Les cotisations exonérées en application du I du présent article sont les suivantes :
« 1° La cotisation due au titre du fonctionnement du service de santé et de sécurité au travail prévue au deuxième alinéa de l’article L. 717-2 ;
« 2° La cotisation de la retraite complémentaire obligatoire des salariés versée aux institutions de retraite complémentaire mentionnées au I de l’article L. 727-2 ;
« 3° La cotisation versée à l’Association pour la gestion du fonds de financement rendue obligatoire, en application des articles L. 911-3 et L. 911-4 du code de la sécurité sociale ;
« 4° La cotisation due au titre de l’assurance contre le risque de non-paiement des salaires prévue à l’article L. 3253-18 du code du travail ;
« 5° La contribution due au titre de l’assurance chômage prévue à l’article L. 5422-9 du même code ;
« 6° La participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue prévue à l’article L. 6331-1 dudit code ;
« 7° La cotisation versée à l’Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture rendue obligatoire, en application de l’article L. 2261-15 du même code ;
« 8° La cotisation versée au conseil des études, recherches et prospectives pour la gestion prévisionnelle des emplois en agriculture et son développement, dénommé “PROVEA”, rendue obligatoire, en application du même article L. 2261-15 ;
« 9° La cotisation versée à l’Association nationale paritaire pour le financement de la négociation collective en agriculture rendue obligatoire, en application dudit article L. 2261-15.
« III. – L’exonération mentionnée au I du présent article est calculée chaque année civile pour chaque salarié dans la limite des effectifs mentionnés au même I. Son montant est égal au produit de la rémunération annuelle, telle que définie à l’article L. 741-10 du présent code, par un coefficient. Ce coefficient est déterminé par application d’une formule fixée par décret. Il est fonction du rapport entre la rémunération du salarié et le salaire minimum de croissance, lesquels sont appréciés selon les modalités prévues au III de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. Ce coefficient est maximal pour les rémunérations inférieures ou égales au salaire minimum interprofessionnel de croissance majoré de 10 %. Il est dégressif à compter de ce niveau de rémunération puis devient nul pour les rémunérations égales au salaire minimum interprofessionnel de croissance majoré de 50 %.
« IV. – Cette exonération est cumulable avec le bénéfice de la réduction dégressive de cotisations prévue au même article L. 241-13 ainsi qu’avec la déduction forfaitaire prévue à l’article L. 241-18 du même code.
« V. – Les conditions d’application du présent article sont fixées par décret. »
II. – (Non modifié) Le premier alinéa du VI de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale est complété par les mots : « et avec l’exonération prévue à l’article L. 741-15-1 du code rural et de la pêche maritime ».
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille, sur l'article.
Mme Delphine Bataille. Pour répondre à la crise qui secoue les principales filières de l’élevage, cet article prévoit un allégement dégressif des charges patronales jusqu’à 1,5 fois le salaire minimum pour les salariés permanents d’une entreprise agricole.
Cette crise, due tout autant à la faiblesse des prix, aggravée par la surproduction, qu’à la contraction des grands marchés, à l’embargo russe ou à la fin des quotas laitiers, appelle plutôt de réelles propositions de fond. Elle résulte surtout d’une logique libérale prônant un retour aux lois du marché, qui a notamment abouti à la fin des quotas laitiers, votée en 2008 par la même majorité qui présente aujourd’hui cette proposition de loi.
Cette logique aujourd’hui dominante en Europe, qui tend à réduire les budgets de la PAC, provoque une tendance à l’augmentation de la taille de nos élevages et une chute des prix, entraînant ainsi réduction du nombre d’agriculteurs et baisse de la qualité de notre production. Votre majorité libérale au pouvoir entre 2002 et 2012 n’a d’ailleurs pris aucune mesure pour empêcher cette crise prévisible. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison. C’est nul, ça !
Mme Delphine Bataille. Concernant la question des allégements de charges, qui vous intéressent tout particulièrement, hormis les exonérations sur les bas salaires décidées par M. Fillon, rien n’a été fait en la matière. Il semble aujourd'hui incroyable que vous réclamiez toujours plus. La politique du prix bas est, en partie, de votre responsabilité, ne serait-ce que par les idéaux économiques que vous défendez. Les mesures que vous préconisez aujourd’hui vous éloignent de vos fondamentaux. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Michel Raison. Vous faites de la petite politique !
Mme Delphine Bataille. L’agriculture est un pilier de notre économie, que la France se doit de protéger et de réguler.
Le Gouvernement, qui a bien pris la mesure de l’ampleur de la crise et de la détresse des agriculteurs, a prévu des aides pour y répondre. Le plan de soutien à l’élevage, le CICE et le pacte de responsabilité mettent en œuvre de nombreuses dispositions d’allégement de charges. Au total, ces allégements de charges sociales et fiscales dans les secteurs agricole et agroalimentaire atteignent 3,9 milliards d’euros cette année. Ils seront portés à 4,2 milliards d’euros en 2016, pour atteindre 4,6 milliards d’euros en 2017.
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas rien !
M. Jean Bizet. Donc, tout va bien !
Mme Delphine Bataille. Les orientations que vous défendez, monsieur le ministre, qui répondent aussi à un objectif de modernisation de notre agriculture, se sont concrétisées avec l’adoption de la loi d’avenir pour l’agriculture, et il convient aujourd’hui, même si certains succès en démontrent déjà la pertinence, de laisser à ce texte le temps de porter ses fruits. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
Cet article n’apporte donc rien de nouveau, tout comme l’ensemble de cette proposition de loi, qui s’inscrit en réalité – nous n’en avions jamais douté – dans un contexte très politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L'amendement n° 13 rectifié quinquies, présenté par M. Chasseing, Mme Cayeux, M. Médevielle, Mme N. Goulet, MM. Doligé, Luche, Dufaut et Chatillon, Mme Troendlé, M. Canevet, Mme Mélot, MM. B. Fournier, Longeot, Lefèvre, Pellevat, Guerriau, Pierre, G. Bailly, Gabouty, Morisset et Savary, Mme Hummel, M. D. Laurent, Mmes Primas, Doineau, Goy-Chavent et Deroche, M. Bockel, Mme Deseyne, MM. Huré, Mandelli et Revet, Mmes Deromedi et Gruny et MM. Houel, Delattre, Panunzi, Pinton, Mayet et Pointereau, est ainsi libellé :
I. - Après l’alinéa 1
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
… La sous-section 1 de la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre VII du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 731-13-… ainsi rédigé :
« Art. L. 731-13-…– Les chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole bénéficient d’une exonération partielle des cotisations d’assurance maladie, invalidité et maternité, à l’exception de la cotisation prévue pour financer les prestations mentionnées à l’article L. 732-4, et des cotisations de prestations familiales et d’assurance vieillesse agricole dont ils sont redevables pour eux-mêmes et au titre de leur exploitation ou entreprise.
« Les taux d’exonération, le plafond des exonérations et le montant minimal des cotisations dont les chefs d’exploitation sont redevables sont déterminés par décret. » ;
II. - Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Je veux tout d’abord féliciter les auteurs de cette proposition de loi, qui me paraît très importante au vu des problèmes agricoles.
J’ai bien entendu le ministre, le rapporteur et les divers intervenants. Il semble, M. le ministre l’a dit, qu’il soit très difficile de réguler les prix. On peut toujours dire qu’Auchan ou Casino achètent trop bas, mais on ne peut pas les empêcher, je l’ai bien compris, de pratiquer des prix bas.
Je ne reviens pas sur le lait allemand qu’on nous a servi au restaurant du Sénat. Je pense que c’est plutôt par une diminution des charges que l’agriculture française arrivera à être compétitive. C’est par ce biais et non en se lançant des anathèmes que nous réussirons.
L’article 9 prévoit des allégements de charges pour l’emploi de salariés agricoles, ce qui est très intéressant, mais beaucoup d’exploitations, notamment dans l’élevage et la production laitière, n’ont pas de salariés. Dans les territoires d’élevage, il existe de nombreuses petites ou moyennes exploitations – environ 90 % d’entre elles – où l’exploitant travaille seul ou en couple et qui connaissent de grandes difficultés à cause de charges fixes trop importantes. On est loin du CICE ou du pacte de responsabilité. C’est la vraie vie ! Beaucoup de ces exploitations ont disparu – les deux tiers, dans une commune que je connais bien, la mienne, qui comptait quatre-vingt-dix fermes en 1990 et moins de trente aujourd’hui.
Les agriculteurs qui travaillent dans de telles conditions ont beau vouloir vendre, si ce n’est pas possible, la seule solution consiste pour eux à augmenter la surface de leur exploitation. Mais, dans ce cas, les charges doivent diminuer afin qu’ils puissent rester.
Le montant de l’exonération que je propose est à fixer par décret, mais il paraîtrait cohérent d’accorder à ces éleveurs une baisse de 25 % de charges sociales. C’est même nécessaire si nous voulons restaurer leur compétitivité. Cette baisse de charges sera financée par une hausse de la TVA. Elle n’aura donc pas de conséquences sur le budget de l’État et des organismes de sécurité sociale, en l’occurrence la MSA, la mutualité sociale agricole.
M. Didier Guillaume. Elle en aura sur le budget des Français !
M. Daniel Chasseing. Ce système de redistribution rendra aux produits français un avantage concurrentiel sur les produits importés. C’est par ce genre de dispositif de baisse de charges que nous sauverons notre modèle agricole familial.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. L’objet de cet amendement est de proposer qu’un dispositif similaire au CICE s’applique sur les cotisations dues par les exploitants agricoles. En effet, 85 % à 90 % du travail agricole est effectué par des non-salariés, pour lesquels le CICE ne s’applique pas.
Il s’agit d’une mesure de justice attendue par le monde agricole. L’avis de la commission est donc favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. La création d’exonérations spécifiques en faveur d’un secteur d’activité est contraire au droit européen : elle s’apparenterait à une politique de subvention de ce secteur. Cette proposition avait été faite par Charles de Courson à l’Assemblée nationale, puis reprise et envoyée sous forme de lettre à la Commission européenne par Bruno Le Maire. C’est un dossier que nous avons eu à traiter dès notre arrivée aux responsabilités, lors du débat sur la loi de finances pour 2013. Or le sujet a été vite réglé, lors de son examen par la Commission européenne, dans la mesure où les traités européens n’autorisent pas un tel dispositif.
Par ailleurs, je rappelle que le pacte de responsabilité, hors CICE, c’est 1 milliard d’euros d’allégements de prélèvements pour les travailleurs indépendants, ce qui veut dire zéro charge en termes de cotisations sociales pour ceux d’entre eux qui gagnent autour du SMIC. Si vous voulez abaisser encore les charges, vous n’aurez d’autre choix que de toucher aux cotisations complémentaires. C’est alors un autre sujet qui sera soulevé. Le pacte de responsabilité répond donc à votre question. Son montant total, pour 2016, sera supérieur à 4 milliards d’euros : c’est l’équivalent du budget de l’agriculture, enseignement agricole compris. C’est énorme !
M. Didier Guillaume. Ça n’avait jamais été fait auparavant !
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. En fait, l’examen de cet amendement remet à l’ordre du jour le sujet de la TVA sociale.
Nous devons trouver une solution pour la totalité de la profession agricole, et non pas pour une partie seulement, parce que gardons-nous de penser que les exploitants agricoles qui emploient des salariés se trouvent nécessairement dans une situation plus florissante que ceux qui travaillent seuls ou en couple. J’en connais même qui maintiennent un emploi sur leur exploitation et dont la situation économique, sociale et financière est moins bonne que celle des agriculteurs qui cultivent leur terre seuls dans le cadre de l’entraide agricole.
M. Rémy Pointereau. C’est vrai !
M. Alain Vasselle. Cet amendement est intéressant, mais l’exonération de cotisations sociales financée par une augmentation de la TVA que propose notre collègue aurait besoin d’être évaluée. Même si l’amendement est gagé, il ne me paraît pas souhaitable d’augmenter ainsi la TVA. Il faut en effet qu’une telle réduction de charges soit neutre pour le budget de la sécurité sociale, sans parler du budget de l’État. Une baisse de charges représente une diminution des recettes. Pour la compenser, si l’on veut éviter d’augmenter la dette et de creuser le déficit, mieux vaut trouver des économies à faire sur les dépenses.
Je suis donc favorable à l’idée, mais, je le répète, il faudrait qu’une étude d’impact mesure les conséquences d’un tel dispositif en termes d’équilibre budgétaire.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.
M. Gérard Bailly. Je soutiens totalement cet amendement, mais je vais profiter de cette explication de vote pour répondre à notre collègue Delphine Bataille.
Un agriculteur a besoin d’un tracteur, d’une salle de traite, autrement dit de matériel. Pour un agriculteur individuel, c’est plus difficile. Sa vie sociale est, elle aussi, compliquée, surtout pour un éleveur. J’ai connu cette situation pendant trente années : je sais de quoi je parle. Voilà pourquoi nous défendons l’agriculture sociétale. L’idée est que plusieurs agriculteurs se regroupent, par exemple en formant un GAEC.
Le résultat, de fait, ce sont des exploitations qui comptent non plus trente vaches, mais plutôt cent cinquante ou deux cents. D’ailleurs, pour répondre à Delphine, qui a dit quelque chose que je ne peux pas laisser passer, pourquoi la production de la deux centième vache serait-elle moins bonne que celle de la trentième vache de l’agriculteur individuel ? (Mme Delphine Bataille marque son étonnement.) Si, Delphine, j’ai bien écouté vos propos, vous avez dit que la quantité était un problème. Il faut arrêter de dire que le produit est moins bon quand le nombre de bêtes et la taille de la ferme sont importants !
Je pose la question à notre collègue viticulteur : est-ce qu’un vin est moins bon si le viticulteur exploite quarante hectares plutôt que quatre hectares ? Eh bien, non ! C’est pourquoi si on veut que les gens vivent bien socialement – ça devrait être aussi votre préoccupation à vous, les socialistes –, il faut que le travail se fasse en commun. Nous, nous ne sommes pas pour l’agriculture individuelle : nous sommes pour l’agriculture sociétale !
M. Jackie Pierre. Bravo !
M. Gérard Bailly. Mais qui dit sociétale dit exploitation plus grande. C’est aussi comme ça qu’on pourra produire de l’énergie dans nos exploitations. Parce que ce n’est pas un petit agriculteur qui peut produire de la biomasse !
Je le dis aussi à nos amis écologistes : arrêtez de répéter que les produits sont de moins bonne qualité dans les grandes exploitations, parce que c’est faux ! On le constate dans nos coopératives laitières : le lait est souvent de meilleure qualité, malheureusement, lorsqu’il est produit dans de grandes exploitations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par M. Gremillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … La contribution au fonds paritaire chargé du financement mutualisé des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs, prévue à l’article L. 2135-10 du même code.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le champ de l'exonération de cotisations patronales au titre des salariés permanents des exploitations agricoles aux contributions versées aux fonds paritaires de financement des organisations syndicales. Cette contribution avait été manifestement omise dans la liste de celles faisant l'objet des exonérations prévues à l'article 9.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Avis défavorable.
Pour revenir sur la question de la TVA sociale, je rappelle qu’une augmentation de 1 point du taux maximum de TVA, c’est 6 milliards d’euros. Le pacte de responsabilité, c’est 40 milliards d’euros.
Si vous voulez faire autant de baisses de charges avec la TVA sociale, vous voyez de combien de points vous devrez augmenter le taux de la TVA. Mais là, attention à l’inflation et aux répercussions sur le pouvoir d’achat des ménages !
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Dans un délai d'un an suivant l'adoption définitive de la présente proposition de loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la protection sociale des cotisants solidaires.
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Il s’agit, à défaut d’autre solution – notre proposition tombait sous le coup de l’article 40 –, d’une demande de rapport.
Cet amendement vise à appeler l’attention sur la situation des cotisants solidaires, qui bénéficient d’une protection sociale très faible, limitée aux accidents du travail et à la formation professionnelle.
La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a permis à certains exploitants non retraités et cotisants solidaires d’accéder au statut de « chef d’exploitation agricole », ce qui constitue une avancée. Elle leur a offert également la possibilité d’une protection sociale plus complète, leur ouvrant notamment des droits en santé, famille, action sociale et retraite, en particulier la possibilité d’acquérir des trimestres de retraite.
Reste cependant une frange importante, et même croissante, de très petits exploitants agricoles qui se trouvent dans une situation de grande précarité. La population concernée est très hétérogène : une partie d’entre elle subit cette vie, parce qu’elle ne peut faire autrement ; une autre partie la choisit, au nom de la résilience. Je veux citer, à cette occasion, les petits producteurs cueilleurs de plantes médicinales.
Tous ces professionnels veulent pouvoir nourrir leur famille et méritent une protection sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. L’objet de cet amendement est de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les cotisants solidaires, qui sont aujourd’hui au nombre de 100 000 environ dans notre pays. Ils paient des cotisations faibles et bénéficient d’une couverture sociale faible. Il y a là un vrai sujet, même si la loi d’avenir pour l’agriculture a modifié la donne en créant l’activité minimale d’assujettissement.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Nous ne sommes pas très favorables, habituellement, à la multiplication des rapports, mais, en l’occurrence, le problème soulevé est intéressant.
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix l'article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Article 9 bis (nouveau)
Le IV de l’article 244 quater C du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Les mots : « proportionnellement à leurs droits dans ces sociétés ou groupements, à condition qu’il s’agisse de » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« L’intégralité du crédit d’impôt calculé pour la société ou le groupement se répartit entre les redevables mentionnés au premier alinéa du présent IV. »
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et les membres du groupe Union des démocrates et indépendants - UC, est ainsi libellé :
A. – Avant l’alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I. – Le I de l’article 244 quater C du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions s’appliquent aux rémunérations perçues par les travailleurs indépendants agricoles. »
B. – Compléter cet article par trois paragraphes ainsi rédigés :
III. – Le I s’applique à compter du 1er janvier 2015.
IV. – Le I ne s’applique qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.
V. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Le CICE mis en place par le Gouvernement ne vise que les salariés. Nous proposons que les travailleurs indépendants agricoles puissent également en bénéficier. En effet, étant donné la situation de crise que connaît actuellement le secteur agricole, il est tout à fait anormal que ces professionnels ne soient pas concernés par cette mesure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement a pour objet de faire bénéficier du CICE les exploitants agricoles, pas seulement au titre de l’emploi salarié.
L’amendement n° 13 rectifié quinquies, dont l’objectif est le même et que nous venons d’adopter, tend à créer une nouvelle exonération de charges qui paraît plus opérationnelle que la mesure prévue par le présent amendement.
La commission demande donc le retrait de l’amendement n° 12 rectifié, au profit de l’amendement n° 13 rectifié quinquies.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Longeot, l’amendement n° 12 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-François Longeot. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 9 bis.
(L'article 9 bis est adopté.)
Article 10
(Non modifié)
À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 731-13 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « cinq années » sont remplacés par les mots : « six années ». – (Adopté.)
Article 11
(Non modifié)
Les contribuables titulaires de bénéfices agricoles soumis à un régime réel d’imposition qui ont opté pour le calcul des bénéfices agricoles selon les modalités prévues à l’article 75-0 B du code général des impôts peuvent renoncer à l’option au titre de l’exercice 2015 et des exercices suivants.
Cette renonciation est déclarée par les contribuables concernés avant le 30 mars 2016.
La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 75-0 B du code général des impôts est applicable en cas de renonciation. – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 11
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié quater, présenté par M. Chasseing, Mme Cayeux, M. Médevielle, Mme N. Goulet, MM. Doligé, Luche, Dufaut et Chatillon, Mmes Troendlé et Mélot, MM. Longeot, Lefèvre, Pellevat, Guerriau, Pierre, G. Bailly, Gabouty et Morisset, Mme Hummel, M. D. Laurent, Mmes Primas, Doineau, Goy-Chavent et Deroche, M. Bockel, Mme Deseyne, MM. Huré, Mandelli et Revet, Mmes Deromedi et Gruny et MM. Houel, Delattre, Panunzi, Pinton et Mayet, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après l’article 1394 C du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. …- Les exploitants agricoles sont exonérés en totalité de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dans la limite de soixante hectares de surface agricole utilisable. »
II. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Sans agriculture, il n’y a pas de ruralité ! Pour préserver la ruralité, il faut donc absolument s’employer à conserver les exploitations agricoles familiales, ce qui suppose de leur donner les moyens d’être compétitives.
Notre précédent amendement avait pour objet de créer une exonération de charges sociales au titre de la MSA à hauteur de 25 %.
Cela étant, le terrain est l’outil de travail des agriculteurs. Or au vu de la perte considérable de compétitivité de ceux-ci, il paraît indispensable de baisser leurs charges fixes, notamment pour les petites et moyennes exploitations familiales.
Si l’on combine une baisse des charges sociales et une baisse de la taxe sur le foncier non bâti dans la limite de soixante hectares de l’exploitation, les exploitants agricoles verront leurs charges diminuer dans des proportions considérables.
La présente proposition de loi va clairement redonner de la compétitivité à l’agriculture française en la dotant des moyens adéquats – nous l’avons vu en examinant les dispositions précédentes –, mais il ne faut pas oublier l’essentiel, qui est de réduire les charges fixes des exploitants.
À l’instar de ce que nous avions proposé pour la baisse des charges sociales, la mesure que nous présentons sera financée par une hausse de la TVA sur les produits transformés. Elle n’aura donc pas de conséquences sur les budgets de l’État et des organismes de sécurité sociale.
Les discours en faveur d’une agriculture compétitive ne suffisent pas. Certes, monsieur le ministre, au moment de la crise, vous avez accepté, compte tenu de l’urgence, un report des charges de trésorerie. Toutefois, si nous voulons que les agriculteurs bénéficient de mesures structurantes de longue durée, il faut absolument décider une baisse des charges ! Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement vise à instaurer une exonération des soixante premiers hectares de chaque exploitation au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Une telle mesure, qui allégerait considérablement la charge fiscale des agriculteurs, profiterait davantage aux petites exploitations.
Par ailleurs, il faut avoir en mémoire que le produit de ladite taxe est aujourd’hui d’environ 1 milliard d’euros par an. Si cette mesure touchait la moitié de la sole française, le coût pour les finances publiques serait de 500 millions d’euros.
Monsieur le ministre, dans le cadre de la réforme de la PAC, certains nouveaux critères ont été envisagés : il avait été proposé de retenir le seuil des cinquante premiers hectares, et non celui des soixante premiers. Peut-être y a-t-il là matière à réflexion.
La commission, afin d’ouvrir le débat – elle a bien conscience de l’ampleur de la conséquence financière –, émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. M. le rapporteur, qui a été d’une honnêteté et d’une transparence totales, a chiffré la proposition : exonérer de taxe foncière sur les propriétés non bâties les soixante premiers hectares d’une exploitation a un coût, qui s’établit entre 500 et 700 millions d'euros. Comme ce sont les collectivités qui en sont bénéficiaires, il faut compenser !
De plus, comme la taxe foncière sur les propriétés non bâties est acquittée par les propriétaires, votre proposition, monsieur Chasseing, ne concernera pas forcément tous les agriculteurs auxquels vous pensez.
Pour toutes ces raisons assez explicites, j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. M. le ministre a raison : pour que cette mesure profite aux exploitants agricoles, il faudra bien que le propriétaire accepte de répercuter l’économie réalisée auprès des exploitants eux-mêmes.
M. le rapporteur a également raison : c’est un amendement d’appel. La disposition proposée ne saurait s’appliquer en l’état. Je ne doute pas que M. le président de la commission des affaires économiques étudiera cette question dans les semaines à venir.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je ne reviendrai pas sur toutes les complications financières, que nous ne résoudrons pas ce soir. Vous évoquez, mon cher collègue, la compétitivité de petites et moyennes exploitations, notamment par rapport aux produits importés. Bénéficieraient de la proposition contenue dans l’amendement ces petites et moyennes exploitations qui font de la vente directe, et dont vous ne parlez pas. Et elles sont particulièrement importantes ! Elles méritent d’être soutenues ! D'ailleurs, actuellement, lorsqu’elles pratiquent la polyculture-élevage, elles souffrent moins que les autres.
Il y a un véritable avenir à implanter et développer ces exploitations. Il est important de le signaler. Ce que je fais, car vous aviez oublié de le mentionner dans l’objet de votre amendement !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 11.
Article 12
(Non modifié)
Avant le dernier alinéa de l’article L. 611-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil adopte chaque année un plan de simplification des normes applicables aux filières agricole et agro-alimentaire. Le plan adopté par le conseil est rendu public. » – (Adopté.)
Chapitre IV
Dispositions finales
Article 13
(Non modifié)
La perte de recettes résultant pour l’État et les organismes de sécurité sociale des chapitres I à III de la présente loi est compensée à due concurrence par la majoration du taux de la taxe sur la valeur ajoutée mentionné à l’article 278 du code général des impôts et des taux des contributions sociales mentionnés à l’article L. 136-8 du code de la sécurité sociale.
M. le président. L'amendement n° 33 rectifié quater, présenté par M. Chasseing, Mme Cayeux, M. Médevielle, Mme N. Goulet, MM. Doligé, Luche, Dufaut et Chatillon, Mmes Troendlé et Mélot, MM. Longeot, Lefèvre, Pellevat, Guerriau, Pierre, G. Bailly, Gabouty et Morisset, Mme Hummel, M. D. Laurent, Mmes Primas, Doineau, Goy-Chavent et Deroche, M. Bockel, Mme Deseyne, MM. Huré, Mandelli et Revet, Mmes Deromedi et Gruny et MM. Houel, Delattre, Panunzi, Pinton et Mayet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l'État, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. L’agriculture est essentielle à l’aménagement du territoire et au maintien de la population en zone rurale. À cette fin, il faut mettre en place plusieurs actions complémentaires, qui ont déjà été évoquées : appliquer des normes – pas des « surnormes » ! –, continuer à encourager les collectivités locales à s’approvisionner localement – c’est le circuit court –, engager une réelle politique d’exportation des produits français et rendre obligatoire la traçabilité.
Mais il faut aussi instaurer une sorte de TVA sociale, autrement dit augmenter la TVA pour compenser les pertes de recettes de la MSA et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Cette nouvelle taxe, qui serait assise sur les produits agricoles transformés, permettrait de redistribuer les recettes à la fois à la MSA et aux collectivités locales : une partie permettrait de financer 25 % des charges que les exploitants agricoles doivent acquitter à la MSA ; une autre partie serait versée aux collectivités locales pour compenser la perte de recettes au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.
Puisque l’État compense la perte de recettes liée au présent texte par une hausse de la TVA, il est cohérent de redistribuer les sommes correspondant à la taxe foncière sur les propriétés non bâties aux collectivités.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Gremillet, rapporteur. Cet amendement, qui est un amendement de conséquence de l’amendement n° 14 rectifié quater, tend à la compensation par l’État de la perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales de la baisse de la taxe sur les propriétés non bâties. Un tel gage est nécessaire.
La commission y est favorable, à condition toutefois, mon cher collègue, que vous acceptiez de le modifier et de remplacer les mots « du présent article » par les mots « de la présente loi ».
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Cet amendement ne résout rien ! Le problème de la répercussion sur les propriétaires et les exploitants reste entier !
Il est facile d’annoncer ce soir une augmentation de la CSG et de la TVA. Encore faut-il mesurer les conséquences d’une telle proposition, qu’il est plus difficile de mettre en œuvre !
La majorité sénatoriale envisage des augmentations d’impôts avec un objectif : des réductions de cotisations. Mais, je l’ai indiqué, le pacte de responsabilité et de solidarité contient d’ores et déjà beaucoup d’allégements de cotisations sociales sans augmenter les impôts !
M. le président. Monsieur Chasseing, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Daniel Chasseing. J’y souscris, monsieur le président, et je rectifie mon amendement en ce sens.
Je saisis l’occasion pour vous répondre, monsieur le ministre. Je propose une mesure structurante de long terme. Certes, vous avez pris cet été des mesures en faveur des agriculteurs, mais elles ne se situent que sur le court terme.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 33 rectifié quinquies, présenté par M. Chasseing, Mme Cayeux, M. Médevielle, Mme N. Goulet, MM. Doligé, Luche, Dufaut et Chatillon, Mmes Troendlé et Mélot, MM. Longeot, Lefèvre, Pellevat, Guerriau, Pierre, G. Bailly, Gabouty et Morisset, Mme Hummel, M. D. Laurent, Mmes Primas, Doineau, Goy-Chavent et Deroche, M. Bockel, Mme Deseyne, MM. Huré, Mandelli et Revet, Mmes Deromedi et Gruny et MM. Houel, Delattre, Panunzi, Pinton et Mayet, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l'État, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 13, modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote.
M. Rémy Pointereau. Je veux féliciter la commission des affaires économiques, son président et son rapporteur, ainsi que la majorité sénatoriale. Leur travail a permis de mettre au point la proposition de loi que nous avons examinée ce soir et que je voterai bien évidemment
L’agriculture vit une crise sans précédent. Cette discussion est un moment privilégié pour essayer de pallier ses difficultés, même si nous ne pouvons pas aller jusqu’au bout des choses. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour surmonter cette crise, qui touche aussi bien l’élevage que les grandes cultures, notamment les céréales.
Citez-moi une profession qui assume autant de risques ! Risques climatiques, bien sûr, mais aussi risques financiers, risques sanitaires, risques commerciaux, avec des prix mondiaux qui fluctuent de façon considérable.
L’on voit bien que ces aléas posent un certain nombre de problèmes en matière de trésorerie. Entre le moment où un éleveur fait naître un animal et le moment où il le commercialise, il s’écoule deux ou trois ans, voire plus. Entre le moment où un agriculteur sème une céréale et le moment où il la commercialise, il s’écoule une année. Tout cela représente beaucoup de trésorerie. Il faut assumer ces moments de creux et disposer d’un capital important pour parvenir à faire tourner ces entreprises – puisque ce sont des entreprises.
Bien évidemment, la DPA ne résoudra pas tous les problèmes. Comme le disait Gérard César, elle correspond à de la trésorerie en réserve. Il faut avoir des revenus pour la pratiquer !
L’assurance récolte, qui joue sur les volumes, ne résoudra pas non plus tous les problèmes. Peut-être faudrait-il s’inspirer du système américain de deficiency payment, qui permet d’agir aussi sur les prix.
Vous le constatez, mes chers collègues, beaucoup reste encore à faire.
Quand des jeunes s’installent comme exploitant agricole, ils doivent faire face à cinq années de risques. Il est donc nécessaire de les aider à résoudre leurs problèmes de trésorerie et de charges.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Rémy Pointereau. Je n’ai pas pris la parole depuis le début de ce débat, monsieur le président ; je me permets donc de prendre quelques secondes supplémentaires.
M. le président. Le règlement s’applique à tous ! Je vous demande de conclure.
M. Rémy Pointereau. Les agriculteurs ne veulent pas survivre de leur métier : ils veulent en vivre ! Il faudra qu’ils mutualisent de plus en plus leurs moyens : ce sera nécessaire, dans l’élevage laitier, pour qu’existent des fermes de 500 vaches laitières, voire plus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Il est très important pour nous de discuter de l’avenir de l’agriculture. Toutefois, cette proposition de loi ne nous semble pas à la hauteur de la volonté exposée ; elle n’apporte pas une vraie réponse à la crise profonde que traverse notre agriculture, en particulier notre élevage.
Ce texte s’apparente davantage à des aménagements fiscaux divers et variés qu’à un véritable projet d’avenir pour notre agriculture. De plus – je le répète –, vous jonglez maladroitement, mes chers collègues de la majorité, entre un discours qui se veut libéral – trop de normes, trop de charges ! – et des dispositifs clairement interventionnistes.
Si le constat de la crise qui est dressé dans l’exposé des motifs est véridique, nous nous interrogeons néanmoins sur l’adéquation avec ce diagnostic des mesures envisagées. Bien des démarches ont déjà été engagées par le Gouvernement et le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, et ce à des niveaux jamais atteints. Il faut tout de même l’affirmer aujourd'hui : certes, des critiques fusent, mais, jusqu’à présent, jamais un effort aussi considérable n’avait été accompli.
Cerise sur le gâteau, vous avez choisi, en fin de compte, de financer les dispositions figurant dans cette proposition de loi par une augmentation de la TVA et de la CSG. Là aussi, vous êtes en contradiction avec le ras-le-bol fiscal que vous nous servez à chaque débat !
Vous le comprendrez, pour toutes ces raisons, mon groupe s’abstiendra sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir, auteur de la proposition de loi. Avant de revenir sur le fond du débat, je voudrais relever que deux orateurs ont insinué que cette proposition de loi avait été inscrite à dessein à l’ordre du jour de cette semaine, c’est-à-dire entre les deux tours des élections régionales.
Or la vérité est complètement différente : cette proposition de loi a été déposée sur le bureau du Sénat le 16 octobre ; elle a fait l’objet d’un rapport dans le délai qui était compatible avec le nombre des auditions auxquelles le rapporteur a procédé ; enfin, la seule semaine d’initiative parlementaire disponible était celle-ci. Ce n’est pas nous qui avons pris cette décision !
D’ailleurs, j’observe que, cet après-midi, personne n’a insinué que la proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire, examinée sur l’initiative de la gauche, avait été inscrite à l’ordre du jour de ce mercredi pour des raisons électorales. Je voudrais donc éteindre cet incendie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je me réjouis, par ailleurs, de la façon dont le présent débat s’est déroulé. Vous y avez largement contribué, monsieur le ministre. Je l’avais indiqué d’entrée de jeu, lors de la discussion générale, nos opinions ne pouvaient que converger à l’occasion de la discussion de cette proposition de loi.
En effet, le Sénat a pris une part active, en lien étroit avec la profession agricole, à la recherche de solutions qui permettraient de faire face à une crise durable : il a proposé des réformes structurelles. Il avait d’ailleurs déjà adopté certaines dispositions à cette intention, notamment à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2016. Il anticipait ainsi certaines dispositions du présent texte. Le Gouvernement a fait de même, puisqu’il a pris l’initiative, particulièrement dans le projet de loi de finances rectificative, de mesures qui figurent d’ores et déjà dans notre proposition de loi.
Cette convergence évidente me force à remarquer que les représentants de l’opposition sénatoriale ne sont pas très à l’aise. (Dénégations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
En effet, nous avons tous pu constater que M. le ministre était plutôt coopératif et qu’il acceptait de considérer comme intéressante l’initiative du Sénat. Par conséquent, les discours, peut-être préparés antérieurement, des orateurs de l’opposition étaient décalés par rapport à la position ainsi affichée.
Certains de leurs propos étaient quelque peu agressifs. À l’instant, un représentant du groupe socialiste affirmait que cette proposition de loi n’allait pas assez loin et ne répondait pas aux questions qui importent. Mais alors, mes chers collègues, que n’avez-vous déposé des amendements ? Puisqu’un véhicule vous était offert, c’était l’occasion de faire part de vos propositions. Or nous ne vous avons pas entendus!
Par ailleurs, M. Cabanel a insinué que, à travers nos discours, nous menions une offensive contre les dispositions que le ministre avait fait adopter l’année dernière dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Or vous ne trouverez pas dans ce débat une seule phrase, prononcée par un membre de la majorité sénatoriale ou par un représentant de la commission, qui conteste l’opportunité, l’utilité et la pertinence des dispositions de la loi précitée. Nous avons voulu éviter toute polémique parce que l’enjeu est important : c’est l’avenir de l’élevage, c’est l’avenir de l’agriculture !
En définitive, je pressens qu’une très large majorité de la Haute Assemblée se prononcera en faveur de ce texte et qu’une autre partie s’abstiendra. Cette issue nous convient : elle montre à l’évidence que, face à la crise de l’élevage, il s’opère une réunion des esprits de ceux qui travaillent sur ces sujets. Nos différences d’opinions, si elles s’affichent d’une façon nuancée, ne sont en tout cas pas brutales, ce dont, mes chers collègues, je vous félicite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Je tiens à rassurer M. Lenoir de l’état de notre conscience morale : nous assumons les arguments que nous avons développés. Les membres de mon groupe restent persuadés que si cette proposition de loi permet de progresser sur des points marginaux, sinon mineurs, elle ne règle pas pour autant les crises existantes et encore moins la question de l’avenir de l’agriculture.
Certains collègues de la droite ont d’ailleurs reconnu que des points essentiels n’avaient pas été abordés : la volatilité des prix des marchés et la gestion des risques, par le biais, par exemple, de l’assurance récolte. Il faudra donc travailler de nouveau sur ces points fondamentaux pour répondre aux attentes des agriculteurs.
Nous nous sommes tous exprimés avec sincérité, dans le respect des uns et des autres. Le débat a été de qualité, même si nous ne portons pas la même appréciation sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Le groupe écologiste ne votera pas contre cette proposition de loi, mais il s’abstiendra.
En effet, ce débat a eu lieu, une nouvelle fois, parce qu’il était nécessaire. Nous savons bien qu’il ne sera pas le dernier.
Je veux exprimer, pour ma part, un immense regret : si, au cours de ce débat, il a beaucoup été question de compétitivité, encore et toujours, on n’a que peu parlé, sinon pas du tout, de la relocalisation de l’alimentation qui a pourtant un grand avenir devant elle.
La loi d’avenir nous a fourni un outil, à savoir les projets alimentaires territoriaux. J’espère que nous allons voir ceux-ci se développer. Alors, la notion de concurrence avec l’étranger n’aura plus lieu d’être : les agriculteurs seront là pour produire des produits de qualité à la demande de consommateurs de proximité.
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris d’apprendre que le groupe UDI-UC votera tout naturellement en faveur de cette proposition de loi. Nous y avons activement participé.
Pour ma part, je voudrais simplement relever qu’un élément primordial est finalement ressorti, avant même, peut-être, le dépôt de cette proposition de loi : enfin, la question de la compétitivité de l’agriculture est sur la table. Il s’agissait à mon sens d’un oubli que de n’avoir pas mis suffisamment en avant cet élément dans les deux textes majeurs portant sur l’agriculture que nous avons étudiés au cours des quatre dernières années. L’agriculture est une activité économique à part entière ; elle en a donc les problématiques, parmi lesquelles figure la compétitivité.
Les agriculteurs sont des acteurs économiques dans nos territoires. Ils sont donc tout naturellement affectés par toutes les normes qui régissent l’activité économique, le respect de l’environnement et le travail. Dès lors, j’espère qu’ils seront pris en compte en tant qu’acteurs du développement économique et qu’ils n’auront pas à souffrir continuellement de la superposition des normes qui s’imposent aujourd’hui à eux en quelque sorte en silo.
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. Aucun des amendements que j’ai présentés n’a été adopté, même si quelques-uns d’entre eux ont donné matière à discussion. Les membres du groupe CRC ne voteront pas en faveur de cette proposition de loi ; nous ne nous abstiendrons pas non plus ; nous voterons contre, parce que nous pensons que, loin de constituer une véritable avancée, ce texte est très insuffisant au regard de la grave crise que connaît l’agriculture. Il faudra donc revenir sur ce sujet, car nous allons décevoir tant les producteurs que les consommateurs.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 105 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 219 |
Pour l’adoption | 200 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 10 décembre 2015 :
À dix heures trente :
Examen d'une demande de la commission des lois tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu'il lui confère les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour le suivi de l'état d'urgence, pour une durée de six mois.
Projet de loi de finances rectificative pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale (n° 227, 2015-2016) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 229, 2015-2016) ;
Avis de M. Jean-Claude Lenoir, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 230, 2015-2016).
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
(Ordre du jour réservé au groupe communiste, républicain et citoyen)
Proposition de loi permettant de maintenir et de développer sur l’ensemble du territoire national une offre de transport ferroviaire régional de qualité (n° 113, 2015-2016) ;
Rapport de Mme Évelyne Didier, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 212, 2015-2016) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 213, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART