M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, la mission « Outre-mer » comporte deux programmes, dont les intitulés résument bien ses principaux objectifs. Le programme 138 concerne le maintien et la création d’emplois ainsi que l’amélioration de l’employabilité des populations ultramarines. Le programme 123 a pour finalité d’améliorer les conditions de vie outre-mer en facilitant l’accès au logement, à la santé et à l’éducation. Deux priorités du Gouvernement, tant les données socioéconomiques sont pour le moins inquiétantes dans ces domaines !
Les écarts sont, en effet, très significatifs avec la métropole, avec un PIB très nettement inférieur et la persistance d’un fort taux de chômage, puisque 24,1 % des actifs sont au chômage dans les départements d’outre-mer, contre 9,9 % en métropole, les jeunes étant les principales victimes. En effet, plus de la moitié des actifs de moins de vingt-cinq ans sont au chômage. Autres données, on assiste, dans bon nombre de départements d’outre-mer, à une augmentation de la mortalité infantile et l’on constate des retards scolaires toujours aussi importants.
Nous sommes donc encore bien loin de l’égalité réelle, alors que l’on a trop souvent tendance à considérer les outre-mer comme les enfants gâtés de la République.
Le coût des outre-mer, puisqu’il est chiffré exceptionnellement dans un document de politique transversale, ce qui n’est pas le cas pour les régions métropolitaines, est de 14,5 milliards d’euros. Il représente 3,9 % des dépenses prévues pour l’ensemble du budget de l’État, alors qu’il concerne 4,05 % de la population française.
Certes, les crédits de la mission qui nous sont présentés sont relativement stables par rapport à l’an dernier : 2 milliards d’euros, soit 14,5 % de l’effort budgétaire global de l’État pour les outre-mer, avec une ventilation peu différente au niveau des programmes et des actions.
Il s’agit donc d’un budget dans la continuité, mais qui ne traduit pas de réelle et forte volonté de doter les outre-mer d’un véritable développement économique, notamment grâce à des mesures de soutien à la compétitivité des entreprises.
Il y a pourtant urgence à dynamiser très fortement notre développement et à veiller à la création d’emplois, afin d’éviter les crises sociales à répétition.
Il est ainsi regrettable que la principale mesure d’économie de ce budget résulte d’une nouvelle réforme du dispositif d’exonérations de charges, découlant de l’article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
Dans ce contexte de persistance d’un très haut niveau de chômage, cette réforme, qui fait déjà suite à un premier recentrage de ce dispositif sur les bas salaires intervenu en 2014, n’est pas pertinente.
Certes, vous souhaitez compenser cette mesure par la montée en charge des dispositifs du pacte de stabilité et de sa déclinaison spécifique outre-mer, en particulier grâce à un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi majoré à 9 %, mais il me semble que le choix de la stabilité aurait été préférable.
Madame la ministre, il est encore temps pour le Gouvernement d’agir dans le bon sens, en répondant positivement à des amendements que mes collègues et moi-même déposerons dans le but de préserver et sanctuariser les dispositifs spécifiques aux entreprises ultramarines.
En ce qui concerne plus particulièrement mon département d’origine, la Guyane, il continue d’avoir, en dépit de ses importantes ressources, le PIB le plus faible des quatre vieilles colonies.
J’insisterai, une fois de plus, sur notre impatience de voir enfin sortir le « pacte Guyane », annoncé par le Président de la République lors de sa venue, à la fin de l’année 2013. Récemment, le Premier ministre l’a annoncé pour janvier 2016.... Mais comment est-il élaboré ? Y aura-t-il une implication des acteurs locaux ? La réflexion sur une demande d’attribution à la Guyane d’un statut de zone franche sociale est-elle menée ? Sera-t-elle prise en compte ?
S’agissant du logement, là encore, les avancées sont modestes dans votre budget. Le plan logement outre-mer 2015-2020, qui fixe un objectif annuel de 10 000 logements construits ou réhabilités, est certes une initiative louable, mais on peine à en voir la traduction budgétaire pour 2016, alors que les autorisations d’engagement consacrées à la ligne budgétaire unique sont maintenues à leur niveau de 2015 et que les crédits de paiement sont en diminution.
Se pose également la question de la répartition de cet instrument par collectivité : alors que des sous-consommations peuvent être constatées dans certains territoires, des situations de très grande tension existent dans d’autres... C’est le cas en Guyane, où les opérateurs peinent, pour cause d’insuffisance de crédits sur la LBU, à satisfaire une demande exponentielle.
Je regrette également que, hors mesures de périmètre, les dotations spécifiques destinées à certaines collectivités soient en baisse de 4,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 5,6 millions d’euros en crédits de paiement. Ces dotations permettent, pourtant, des investissements importants dans les infrastructures scolaires en Guyane et à Mayotte et sont indispensables pour le fonctionnement de la collectivité de Polynésie.
Pour autant, le tableau que je viens de dresser ne doit pas masquer certains points positifs.
Tout d’abord, on ne peut que se féliciter de la stabilisation des crédits de paiement consacrés au service militaire adapté, le SMA, dont on connaît les résultats très positifs en matière d’insertion professionnelle. Ces crédits permettront l’accueil de 6 000 jeunes volontaires d’ici à 2017. C’est une bonne nouvelle, qui mérite d’être rappelée.
S’agissant des contrats de plan État-régions et des contrats de projets et de développement, la stabilisation des autorisations d’engagement et l’augmentation des crédits de paiement devraient permettre d’accompagner la montée en puissance de la nouvelle génération de contrats.
Enfin, l’augmentation des moyens consacrés à la formation en mobilité, dont les autorisations d’engagement s’élèveront à près de 42 millions d’euros et les crédits de paiement à près de 37 millions d’euros, permettra à davantage d’étudiants et de salariés d’avoir accès à des formations qui ne sont pas dispensées chez eux.
En définitive, ces crédits ne permettront certes pas aux outre-mer de rattraper leur retard économique et social vis-à-vis de l’Hexagone, mais ils ont le mérite de préserver l’essentiel.
Aussi, c’est en responsabilité, eu égard à la situation financière contrainte que nous connaissons, que je proposerai d’adopter les crédits de la mission « Outre-mer » sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher, rapporteur pour avis.
M. Serge Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si je déplore de ne disposer que de trois petites minutes pour parler des outre-mer, je me réjouis cependant de pouvoir vous présenter l’avis de la commission des affaires économiques sur les crédits de cette mission.
Première bonne nouvelle, les crédits de paiement pour 2016 sont sauvegardés, malgré le contexte budgétaire que l’on connaît. Je note tout de même un signal inquiétant pour l’avenir : la diminution des autorisations d’engagement.
S’agissant des défis à relever, il suffit d’ouvrir les yeux pour constater que les démocraties se fragilisent quand les taux de chômage dépassent certains seuils. De ce point de vue, si la situation est critique dans l’Hexagone, elle est explosive dans les outre-mer avec, en particulier, un taux de chômage des jeunes de plus de 50 %.
Sur ces bases, je formule trois suggestions.
Tout d’abord, face aux critiques, nos institutions n’ont plus guère de droit à l’erreur. Très concrètement, madame la ministre, la fusion des départements et des régions en Guyane et en Martinique est une opération délicate. Pour que les deux nouvelles collectivités uniques prennent un bon départ, je souhaite la création d’une dotation spécifique d’amorçage.
Ensuite, sous l’angle économique, ce budget est la traduction d’une tendance à la concentration des allégements de charges sur les bas salaires.
Certes, à court terme, ce choix est le plus efficace pour créer des emplois, mais notre commission des affaires économiques n’a pas oublié le message de Louis Gallois sur la compétitivité à long terme. À force de favoriser les bas salaires, on risque d’entraver la montée en gamme. Dans nos outre-mer, il faut contribuer à rendre le secteur marchand aussi attractif que peut l’être la fonction publique aujourd’hui pour les jeunes diplômés.
Enfin, les entreprises ultramarines ont démontré leurs aptitudes à la performance. On peut d’ailleurs réussir sans imiter le modèle allemand : c’est le cas de l’Italie du Nord, qui dégage des excédents considérables avec des micro-entreprises travaillant en réseau.
Encore faut-il surmonter les difficultés de financement en général, et de préfinancement du CICE en particulier.
La visibilité est ici essentielle s’agissant d’incitations fiscales à l’investissement. Les outre-mer participent à la rigueur budgétaire, mais subissent aussi les effets pervers de l’instabilité législative, qui insinue le doute dans l’esprit des investisseurs et dans les plans de financement.
J’approuve donc la prorogation jusqu’à 2025 des dispositifs de défiscalisation dans les collectivités d’outre-mer et j’estime que rien n’interdit d’aller au-delà de 2020 dans les départements d’outre-mer.
Au-delà des normes et des financements, il y a aussi les procédures. Elles sont nécessaires, mais il faut tirer la sonnette d’alarme quand les opérateurs ont l’impression que les formalités prennent le pas sur leur cœur de métier. Le Gouvernement y est attentif, et il a raison : le temps, c’est de l’argent et on peut en gagner encore beaucoup dans nos outre-mer !
En conclusion, je vous indique que la commission des affaires économiques a émis, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Outre-mer ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, en remplacement de M. Didier Robert, rapporteur pour avis.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, en remplacement de M. Didier Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, permettez-moi d’excuser notre collègue Didier Robert, empêché, que je vais tenter de suppléer en résumant son excellent rapport.
Je souhaite tout d’abord vous exprimer ma grande fierté de réaliser cet exercice, car mes racines plongent en partie à Baie-Mahault, Marie-Galante et au Lamentin !
La commission des affaires sociales a constaté que la mission « Outre-mer » fait partie de celles que l’on peut considérer comme relativement préservées. S’élevant à 2,06 milliards d’euros, ses crédits sont quasi stables.
La commission a cependant souligné la situation critique des outre-mer sur plusieurs sujets qui l’intéressent particulièrement.
D’abord, l’emploi. Les taux de chômage culminent à des niveaux insoutenables, en dépit de dispositifs intéressants, comme le SMA. On peut d’ailleurs relever que les outre-mer font figure de pionniers, puisque le SMA trouve désormais son application en métropole.
Ensuite, le logement. On constate notamment la permanence intolérable de l’habitat insalubre. Au-delà des programmes neufs, il faut donc « mettre le paquet » sur la réhabilitation.
Enfin, la santé. Nos récents débats sur la loi « santé » ont permis de mesurer les écarts avec l’Hexagone, écarts qui continuent de se creuser encore.
En réalité, nous savons tous que les crédits de la mission, quoique préservés, ne suffiront pas à couvrir les besoins, qui sont immenses.
Les principales observations et réserves formulées par notre rapporteur pour avis, Didier Robert, ont porté sur trois points.
En premier lieu, à propos du nouveau coup de rabot porté aux exonérations de cotisations sociales outre-mer, il a rappelé que les mécanismes de défiscalisation et d’exonération de charges, loin de constituer des cadeaux faits aux entreprises ultramarines, sont devenus absolument indispensables. Il a, dès lors, regretté que le Gouvernement reprenne d’une main ce qu’il donne de l’autre, avec la mise en place du CICE renforcé.
Il a ensuite tiré un premier bilan de la réforme de la continuité territoriale, sur laquelle le Sénat avait, l’année dernière, exprimé ses fortes inquiétudes. Il a constaté la perte définitive de près de 20 % des crédits alloués à cette politique en 2014, ainsi que l’effondrement du recours à l’aide « tout public » sur les huit premiers mois de l’année. Un sérieux coup a ainsi été porté à l’universalité de ce dispositif, pourtant supposé traduire l’égalité de tous les citoyens sur le territoire de la République.
La commission des affaires sociales a cependant salué la mise en place d’une aide à la continuité funéraire.
Ses observations ont enfin porté, au-delà de la présente mission, sur la mise en place d’un plan pour la santé pour les outre-mer. C’est une bonne nouvelle, et une mesure bienvenue sur laquelle la commission, madame la ministre, souhaiterait recueillir quelques précisions.
Au total, relevant l’effort du Gouvernement, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.
Le rapporteur pour avis a cependant regretté que ce budget n’ait qu’une ambition réduite, celle de continuer à garantir un niveau minimal de ressources aux outre-mer, sans proposer une véritable politique de nature à encourager l’investissement et l’emploi dans des territoires qui en ont pourtant tant besoin, cette politique qui est seule à même de nous permettre de parvenir à une véritable égalité des chances dans l’ensemble de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il me revient de vous présenter, brièvement, l’avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Outre-mer ».
La commission s’est tout d’abord félicitée, malgré un léger repli en 2016, de la pérennité des crédits dévolus aux outre-mer, qui témoigne de l’effort budgétaire de l’État en faveur des territoires ultramarins. C’est d’autant plus notable dans le contexte actuel de redressement des comptes publics.
Compte tenu de ce constat, votre commission des lois a émis un avis favorable à l’adoption de ces crédits.
Malgré cette remarque générale positive, on ne peut que constater l’inégalité des territoires ultramarins en termes de dotations budgétaires.
À titre d’exemple, la dotation globale de fonctionnement ne représente que 136 euros par habitant pour Mayotte contre 446 euros pour La Réunion ou 410 euros pour la Martinique. Mayotte est donc budgétairement sous-dotée, alors qu’elle exerce également des compétences régionales, sans pour autant bénéficier de la DGF des régions.
Cette situation n’apparaît ni équitable ni juste, compte tenu du contexte budgétaire et financier difficile de ce département.
Madame la ministre, pourquoi ne pas envisager, pour le calcul de la DGF, une prise en compte a minima de la double compétence de Mayotte, comme ce sera la règle pour les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique ?
Au-delà de ce cadrage budgétaire, j’ai souhaité m’intéresser à la politique menée outre-mer en matière de sécurité et, plus particulièrement, à l’action des forces de l’ordre auxquelles l’actualité invite, une nouvelle fois, à rendre hommage.
Ayant engagé ces travaux avant les récents attentats, j’ai pu constater que les phénomènes de radicalisation n’épargnent pas les collectivités ultramarines.
À cet égard, loin des a priori, la radicalisation n’est pas forcément en lien avec la composante religieuse du territoire. J’en veux pour preuve que les comportements de radicalisation, notamment issus de l’islamisme radical, ne sont pas constatés principalement à Mayotte, un territoire où pourtant la population est majoritairement de confession musulmane, mais dans d’autres départements d’outre-mer. Cela doit nous inviter à aborder cette question avec le sens de la nuance.
Par ailleurs, en voulant souligner le décalage dans la population entre le niveau constaté de faits de criminalité et de délinquance et le sentiment d’insécurité exprimé, j’ai relevé – avec surprise – que l’enquête nationale de victimisation, qui permet de saisir la représentation des populations sur le niveau de sécurité, n’est pas réalisée sur l’ensemble des collectivités ultramarines, alors même que l’on peut constater dans ces territoires un profil de délinquance et de criminalité particulier. Pour l’instant, seule La Réunion est concernée, et depuis 2011. Madame la ministre, le Gouvernement songe-t-il à remédier à cette situation ?
J’ai toutefois constaté des efforts, pas toujours aboutis, pour prendre en compte des spécificités ultramarines en matière de sécurité. C’est le cas avec un début de coordination des différents services de sécurité, ainsi que le démontre l’opération « Harpie » en Guyane, ou encore avec le développement de stratégies partenariales avec les collectivités territoriales ou avec des États et des pouvoirs locaux étrangers. Je songe, dans ce dernier cas, à la lutte contre l’immigration en Guyane et à Mayotte, mais aussi à la sécurité à Saint-Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d'intervention générale et celui de l'explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits de cette mission « Outre-mer » ont été « protégés », comme on dit. Soit !
Pour être complet, il convient aussi de regarder l’effort financier consacré par l’État aux territoires ultramarins : plus de 18 milliards d’euros, dont près de la moitié consacrés aux dépenses de personnel.
Les dépenses fiscales atteignent presque 4 milliards d’euros, les crédits de la mission s’élevant à 2,1 milliards d’euros.
Ces chiffres, à mon sens, sont révélateurs du mode de développement imposé aux outre-mer depuis des années. Dans bien des territoires, élus, syndicats, socioprofessionnels, populations, s’accordent pour dire qu’il faut changer de logiciel et emprunter les voies d’un réel développement durable. Nous ne sommes pas sûrs que nous prenions ce chemin.
Cet effort de l’État va-t-il permettre aux outre-mer d’atteindre un indice de développement humain, ou IDH, comparable à celui de la France métropolitaine ?
L’Agence française de développement, dans un rapport de 2013, indique que, pour atteindre l’IDH moyen de France métropolitaine, il faudra 28 ans à la Polynésie française, 27 ans à la Guyane, 21 ans à La Réunion, 18 ans à la Nouvelle-Calédonie, 13 ans à la Martinique et 12 ans à la Guadeloupe. Je ne dispose pas de chiffres pour les autres outre-mer.
L’approche en termes d’emploi, ou plutôt de chômage, est tout aussi édifiante. Au début du mois de novembre, l’INSEE confirmait que, outre-mer, 24,1 % des actifs sont au chômage, soit plus du double de la moyenne en France métropolitaine. La Réunion connaît le taux le plus important, avec 26,8 %, puis viennent la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique. Dans les outre-mer, 52,3 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans sont privés d’emploi.
J’ai tendance à penser que la situation ne va pas s’améliorer, en premier lieu à cause de la progression démographique que connaissent, par exemple, La Réunion, Mayotte et la Guyane, en second lieu parce que les changements climatiques auront un impact : ainsi, à Wallis-et-Futuna, la population est confrontée à une incroyable érosion des sols et reste largement privée d’alimentation en eau potable.
L’élévation du niveau des mers et des océans va avoir des conséquences dramatiques dans les outre-mer : à La Réunion comme dans les autres départements et régions d’outre-mer, l’urbanisation s’étant faite sur le littoral, l’élévation du niveau de l’océan mettra en danger les populations, les habitations et toutes les infrastructures.
Il faut donc s’adapter aux changements climatiques. Les réponses techniques sont là, mais il reste la question du financement. Nous devons prendre conscience que ce qui est vrai pour l’ensemble des territoires côtiers en France métropolitaine l’est encore plus dans les outre-mer, « sentinelles du climat ».
Autre menace : la mondialisation de l’économie. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie subit la baisse des cours mondiaux du nickel. L’État détenait 26 % du capital d’ERAMET, mais la société s’interroge quant au maintien de sa présence sur le « Caillou ». Les conséquences de cette disparition seraient considérables.
Aux Antilles et à La Réunion, la filière canne-sucre-rhum-bagasse est menacée, ce qui est de nature à entraîner la disparition d’emplois et une baisse de la balance commerciale, déjà fortement déséquilibrée, sans compter les glissements de terrain, mais je n’entrerai pas dans les détails.
Concernant le logement, les crédits de la LBU sont globalement maintenus, mais, à eux seuls, ils ne couvriront pas les besoins, qui sont immenses. Le recours à la défiscalisation est une réponse, mais sera-t-elle suffisante et pérenne pour permettre de produire 10 000 logements sociaux par an au moins pendant dix ans ?
J’aurais pu également évoquer la question de la vie chère outre-mer. Malgré les dispositifs, cet état de fait va perdurer encore et encore.
La question est donc de savoir si nous continuons à traiter les symptômes ou si nous voulons nous attaquer aux racines de ces maux.
Pourtant, chacun le sait ici, les outre-mer ont des atouts à faire valoir.
Tout d’abord, il y a leur positionnement géostratégique. Mais ces territoires en tirent-ils profit ? Les ports d’outre-mer sont au cœur des grandes routes maritimes mondiales et le secteur du transport maritime est sans doute le plus libéralisé. Dans le cadre de la réforme en profondeur des services portuaires qu’envisage l’Europe, que vont devenir les ports ultramarins ?
Le récent rapport du CESE n’apporte malheureusement aucune réponse satisfaisante et reste muet sur l’ouverture probable de la route du nord-est, qui permettra, dans moins d’une génération, de relier l’Europe à l’Orient via les eaux arctiques.
Les outre-mer ont un rôle stratégique à jouer en matière de gestion et d’exploitation des ressources naturelles, ainsi que de protection de l’environnement, affirme le Gouvernement. Seulement, à Saint-Pierre-et-Miquelon, une autorisation de prospection en hydrocarbures vient d’être signée. Il y a là une contradiction flagrante : on parle de transition écologique en prônant l’utilisation des énergies propres et, dans le même temps, on continue l’exploitation d’énergies fossiles et polluantes ! La question est aussi de savoir si et comment les populations de ces îles tireront avantage de ces forages.
Les territoires ultramarins sont reconnus pour leur action volontaire dans la transition énergétique. Il aurait été souhaitable que la France mette réellement en avant ces réalisations dans le cadre de la COP 21.
L’objectif de leur autonomie énergétique en 2030 reste plus que jamais pertinent, mais il convient de lever certaines incertitudes. Je pense notamment à la pérennisation de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, et au maintien des tarifs d’achat d’électricité spécifiques outre-mer. Bien évidemment, toute évolution, indispensable par ailleurs, ne devra se faire que progressivement, sous peine de voir le secteur s’effondrer.
La question de la pérennité des autres dispositifs mis en place, notamment dans le domaine fiscal, est également posée.
Cela m’amène à parler de la défiscalisation et du CICE, avec le glissement progressif de la première vers le second. Madame la ministre, vous connaissez notre position sur cette question. Nous sommes certes tout à fait conscients de l’importance de ces dispositifs pour les territoires ultramarins, mais nous regrettons qu’aucune étude ne fournisse d’indication sur le nombre d’emplois qu’ils ont permis de créer.
Pour conclure, j’ai plusieurs questions à vous poser.
Ce budget outre-mer est-il le dernier que nous votons de la sorte ? En clair, le prochain budget prendra-t-il en compte certaines pistes avancées en son temps par votre prédécesseur rue Oudinot dans sa mission sur l’égalité réelle ? En termes encore plus clairs, les crédits des outre-mer feront-ils l’objet d’une loi pluriannuelle ? De manière plus générale, où en est le dossier ? Le calendrier initialement prévu sera-t-il tenu ? L’idée de plans de développement par territoire est-elle toujours d’actualité ?
De nouvelles perspectives de développement pourraient s’ouvrir pour les outre-mer, et contribuer à modifier une réalité économique et sociale dramatique, mais elles supposent, bien évidemment, une volonté politique, qui, malheureusement, n’est pas au rendez-vous.
Pour l’heure, si nous reconnaissons que cette mission est protégée, il n’en demeure pas moins que ses crédits sont loin de répondre à bon nombre de problématiques en outre-mer. C’est la raison pour laquelle les élus du CRC s’abstiendront.
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues hexagonaux et ultramarins, j’interviens en lieu et place de ma collègue Aline Archimbaud, qui ne peut être présente en raison du retard pris dans nos débats. Je vous prie de bien vouloir l’en excuser.
Le budget de cette mission pour 2016 est globalement stable sur deux grands axes essentiels : aide à l’investissement et politiques de l’emploi.
Cependant, la situation sociale et économique de ces territoires est, comme les travaux en commission des affaires sociales ont permis de le rappeler, préoccupante à plusieurs titres.
D’abord, l’accès à la santé est très inégal, et les écarts se creusent entre l’outre-mer et l’Hexagone, ainsi que l’a souligné la Cour des comptes en 2014. À cet égard, madame la ministre, je m’interroge sur la date de sortie du décret limitant le taux de sucre dans les produits fabriqués en outre-mer, qui est attendu de longue date. Qu’en est-il ? Vous le savez, la prévalence du surpoids, de l’obésité et du diabète dans les populations ultramarines est plus élevée que dans l’Hexagone, notamment chez les femmes et les enfants.
Sur le plan du développement économique, ensuite, la situation est difficile. Les taux de chômage sont très élevés, celui des jeunes dépassant 50 % dans la plupart des territoires. Le coût de la vie est bien plus important qu’en métropole, en raison de l’insularité et de l’isolement de beaucoup de ces territoires, et les balances commerciales des départements d’outre-mer sont déséquilibrées. En 2011, le total des soldes de la balance commerciale de chaque département d’outre-mer représentait un déficit de plus de 10 milliards d’euros !
À cet égard, les mesures prises pour le développement économique et pour l’emploi en outre-mer sont les bienvenues, mais ne répondent que partiellement à ces défis très préoccupants.
Les écologistes souhaiteraient que l’aide à l’investissement soit beaucoup plus nettement, beaucoup plus fortement, et avec beaucoup plus de volontarisme, orientée sur deux secteurs.
Premièrement, il conviendrait d’encourager et de dynamiser l’ouverture des marchés locaux aux produits locaux, afin de leur offrir davantage de débouchés de proximité. Il s’agirait donc de promouvoir les filières courtes en matière d’agriculture, de pêche, d’aquaculture ou de valorisation de la forêt, par exemple. Une telle évolution serait source d’emplois durables dans de nombreuses filières comme les énergies renouvelables, l’écotourisme, les services aux personnes. Madame la ministre, le Gouvernement compte-t-il agir dans ce domaine, et comment ?
Deuxièmement, nous devrions tirer profit du fait que ces territoires bénéficient d’une biodiversité marine et terrestre souvent exceptionnelle, laquelle peut être une source durable d’emploi et d’activité économique, mais qui reste très fragile. Il faut donc la protéger.
Je souhaiterais à ce sujet dire un mot sur l’utilisation de produits chimiques, notamment dans les cultures.
Malgré le lancement du plan Écophyto, en 2008, les Français sont non seulement toujours dans le duo de tête des plus grands consommateurs de pesticides en Europe, mais la consommation a augmenté en moyenne de 5 % par an entre 2009 et 2013. Les territoires ultramarins ne sont pas épargnés, loin de là : les Antilles consomment, par exemple, trois fois plus de pesticides par unité de surface qu’en métropole !
Nous espérons que le plan Écophyto II, présenté à la fin du mois d’octobre 2015, et qui fixe des objectifs de réduction des pesticides de 50 % à dix ans, sera plus efficace.
L’utilisation massive de ces produits chimiques est source de problèmes sanitaires et environnementaux, à court, moyen et long terme. On connaît les effets catastrophiques, encore aujourd’hui, du chlordécone, pourtant interdit voilà plus de vingt ans. Non content d’être cancérigène, perturbateur endocrinien et neurotoxique, ce pesticide a de surcroît entraîné une pollution des sols et des eaux aux conséquences dramatiques sur l’agriculture, l’élevage, la chasse et la pêche locale, et ce pour plusieurs siècles si nous ne faisons rien.
Maladie de Parkinson, cancer de la prostate, fausses couches, malformations congénitales, leucémies, tumeurs cérébrales : la liste des troubles présumés liés aux pesticides est longue, et doit appeler les responsables politiques à la plus grande vigilance.
Il est urgent que l’État mette les moyens pour trouver des substituts à ces produits hautement nocifs à tous les niveaux, et investisse dans la recherche sur ces sujets. Madame la ministre, quelle action le Gouvernement envisage-t-il en la matière ?
Enfin, je souhaite parler plus spécifiquement de la Guyane. Ma collègue Aline Archimbaud a eu l’occasion de travailler ces derniers mois sur les problématiques socioéconomiques de ce département à l’occasion d’une mission parlementaire, dont les conclusions seront rendues publiques très prochainement.
La situation sur place est malheureusement très difficile pour beaucoup de Guyanais. Or le budget de ce département est en baisse ! Je constate qu’ont été prévues des mesures pour lutter contre l’orpaillage illégal ou pour développer l’accès aux équipements scolaires en faveur d’un nombre d’élèves en forte augmentation d’année en année. C’est une bonne chose, mais, madame la ministre, pourquoi ce budget est-il en baisse ? Il faut trouver un moyen de rattraper cet écart qui n’est pas logique, compte tenu des difficultés rencontrées par la Guyane.
En conclusion, je constate au nom de mon groupe que, si les mesures prises ne sont pas mauvaises, elles sont encore insuffisantes. J’espère que nous serons entendus sur les deux séries de propositions que nous faisons et, forts de cet espoir, nous voterons ce budget. (M. Serge Larcher, rapporteur pour avis, applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.