M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les temps changent. La sensibilité de nos concitoyens à l’utilisation de l’argent public, y compris par des pouvoirs jouissant de l’autonomie financière, se fait de plus en plus vive. Dans la période d’attrition économique et sociale que nous connaissons, on ne peut bien sûr que le comprendre et même s’en féliciter.
Le Sénat, en particulier, a fait et fait toujours l’objet de rumeurs, de fantasmes, de critiques sur les avantages en nature et les intérêts pécuniaires, réels ou supposés, des uns et des autres. Ce qui choque est d’ailleurs sans doute moins l’impression d’opulence qui peut parfois se dégager des fastes du Sénat, que la relative opacité de sa gestion. Il faut le reconnaître et le souligner, d’importants progrès ont été réalisés.
Même si elle ne dit par définition rien de l’utilisation des moyens à disposition du Sénat, la certification de la Cour des comptes apporte un surcroît de garanties quant à la régularité des états financiers. Les comptes des groupes politiques, jusqu’alors totalement secrets, seront bientôt soumis à certification. La publication des subventions au titre de la réserve parlementaire, qui ne relève pas de cette mission, marque également un progrès en matière de transparence.
Il n’en reste pas moins que la confidentialité feutrée qui continue d’entourer le budget du Sénat alimente l’idée que nous aurions, mes chers collègues, quelque chose à cacher. Je veux croire, évidemment, qu’il n’en est rien et que tout le monde gagnerait à ce que nous modernisions les modalités de validation de notre budget. Cette validation pourrait tout simplement prendre la forme d’un débat et d’un vote, en séance publique, sur le projet de budget de la questure, après son examen par la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne.
À l’heure où le Sénat contrôle désormais la présence et l’activité de ses parlementaires, il semblerait légitime que les sénatrices et les sénateurs puissent contrôler et approuver directement le budget de leur assemblée. À travers ce vote, ce serait l’ensemble de nos concitoyens qui se verraient mieux éclairés sur l’utilisation des fonds publics.
Pour terminer, mes chers collègues, j’aimerais évoquer une spécificité du fonctionnement du Conseil constitutionnel, dont tout le monde a salué les importants efforts en matière budgétaire, spécificité a priori sans incidences budgétaires, quoique...
Je veux parler de la nomination de droit, et à vie, des anciens présidents de la République. Cette disposition s’apparentant quelque peu à une réminiscence de l’Ancien Régime, elle semble davantage fondée par la volonté, que l’on peut par ailleurs partager, de donner aux anciens présidents un statut que par la réelle ambition de composer un Conseil équilibré et efficace.
Puisque des révisions constitutionnelles sont à l’étude, voilà une disposition dont la suppression pourrait, à mon sens, utilement contribuer au toilettage de notre fonctionnement démocratique et républicain. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’efficacité et l’effort financier sont les maîtres mots de cette mission dont nous allons voter les crédits à l’unanimité. Et, pour ajouter une note un peu plus personnelle, parce que le vote de ces crédits s’inscrit dans une bonne dynamique, nous ne devrions pas accepter d’être pris pour des galeux, des voleurs, par une opinion publique qui ne cesse de taper sur les assemblées, quelles qu’elles soient. Nous devrions faire preuve d’un fort esprit de résistance dans ce domaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Je dirai deux mots, l’un sur la Présidence de la République, l’autre sur le Sénat.
S’agissant de la Présidence de la République, je ne ferai que reprendre les propos de Mme la rapporteur spécial et de M. le rapporteur pour avis, en soulignant de nouveau la baisse sensible des crédits assortie d’une diminution du nombre d’emplois et en mentionnant que le Président de la République, après avoir annoncé une baisse des crédits de la Présidence de la République, pour être exemplaire, tient parole : il est exemplaire !
Pour ce qui est du Sénat, j’endosse un instant les habits du questeur que j’ai été pour formuler quelques observations.
Ma première observation porte sur les crédits du Sénat, qui sont maintenus en euros courants. Cette évolution a été initiée par Gérard Larcher, développée ensuite par Jean-Pierre Bel et reprise de nouveau aujourd’hui par Gérard Larcher. C’est une bonne chose : nous pouvons maîtriser nos dépenses, sans pour autant porter atteinte à notre indépendance ou même à nos conditions matérielles de travail. Cela étant, à mon sens, il nous reste encore des marges de manœuvre en la matière.
Je m’attarderai plus spécifiquement sur une remarque qui nous a fortement déplu, que nous devons au rapporteur de l’Assemblée nationale. Il s’en est pris au Sénat en invoquant d’énormes dépenses en faveur du Jardin du Luxembourg. De telles allégations sont fausses.
C’est oublier, tout d’abord, que ces dépenses vont baisser cette année, ensuite, que le Jardin du Luxembourg appartient au patrimoine national et accueille chaque année près de 4 millions de visiteurs, dans des conditions de sécurité et d’agrément remarquables, grâce à nos agents. Et nous contribuons à cette sécurité et à cet agrément sur notre budget !
J’ajoute que les allées du jardin font le bonheur non seulement des Parisiens, mais aussi d’un nombre considérable de touristes étrangers, dont un couple tout à fait prestigieux : je pense, bien sûr, à Barack Obama et à son épouse, qui ont brandi récemment un selfie pris dans le Luxembourg.
M. Loïc Hervé. Quelle référence ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. Et le Luxembourg n’est pas qu’un jardin ; c’est aussi un patrimoine architectural considérable, avec notamment des monuments datant du XVIIe siècle, comme la Fontaine Médicis, tout à fait exceptionnelle. Je citerai également le Jardin botanique, avec des collections tout aussi exceptionnelles, datant du XIXe siècle, sans oublier le rucher école.
Ne regardons pas les choses par le petit bout de la lorgnette en disant que tout cela coûte cher, alors qu’il s’agit d’un vrai service public offert à nos concitoyens. Mais je me propose d’inviter M. Le Fur à se promener avec moi dans le Jardin du Luxembourg ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Delebarre. Très belle plaidoirie !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette discussion, permettez-moi de saluer la qualité des débats qui ont eu lieu au sein de la commission des finances et de la commission des lois.
Je voudrais ici rendre un hommage appuyé au travail accompli par Mme la présidente de la commission des finances et rapporteur spécial, Michèle André, et par M. le rapporteur pour avis, Jean-Pierre Sueur. Je tiens à leur adresser mes remerciements, ainsi qu’à l’ensemble des sénateurs qui viennent de s’exprimer au cours de la discussion.
En vertu de la séparation des pouvoirs, les institutions dont les crédits figurent dans la mission « Pouvoirs publics » jouissent d’une totale autonomie financière. Elles ne font l’objet d’aucun programme budgétaire, et aucun projet annuel de performances ne les contraint.
Toutefois, pour être autonomes, ces institutions n’en sont pas moins économes. Malgré leur statut particulier, elles prendront en 2016, comme elles l’auront fait en 2015, toute leur part dans l’effort visant à redresser les comptes de l’État et à renforcer la transparence de la gestion des fonds publics. Il était parfaitement naturel que plusieurs d’entre vous soulignent ce point, alors qu’un certain populisme remet en cause ces institutions et leur fonctionnement.
Les deux commissions compétentes l’ont d’ailleurs observé, émettant en conséquence un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
Aussi reviendrai-je brièvement sur les efforts d’économie qui ont été réalisés, d’abord dans l’utilisation de la dotation la Présidence de la République. En effet, depuis l’élection de François Hollande, le budget de l’Élysée a diminué de 17 millions d’euros. Il s’agit là d’un effort sans précédent, qui a permis d’atteindre l’objectif de réduction du budget à 100 millions d’euros dès 2015, soit deux ans avant la date initialement prévue.
Cette rationalisation des dépenses de la Présidence de la République a été possible grâce à une maîtrise rigoureuse des charges de fonctionnement, qui baisseront de nouveau de 0,4 % cette année. La stricte application des règles de la commande publique, le meilleur encadrement des déplacements présidentiels, dont le coût a diminué de près de 10,5 % en 2015, et l’abandon réfléchi de certaines dépenses, sont autant de moyens mis au service d’une gestion exemplaire et transparente.
Je constate que ce souci d’une gestion exemplaire de l’argent public est partagé par les assemblées parlementaires, comme en témoigne la stabilité, depuis 2013, de leurs dotations, qui avaient auparavant connu une substantielle diminution.
Il n’appartient certes pas au secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement d’émettre une quelconque appréciation sur le budget des assemblées. Je tiens toutefois à saluer les efforts d’économie et de transparence qui ont été engagés, par le Sénat et l’Assemblée nationale, depuis plusieurs années.
La dotation du Conseil constitutionnel connaîtra, quant à elle en 2016, et pour la septième année consécutive, une diminution importante, à hauteur de 2,65 %. Cet effort est tout à fait exceptionnel, comme l’ont souligné différents orateurs. La baisse cumulée de plus de 20 % en sept ans est d’autant plus remarquable que l’activité de cette institution a triplé, vous le savez, depuis la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité, en 2010.
Ce résultat n’aurait pas pu être atteint sans les économies réalisées sous le mandat du président Jean-Louis Debré, tant en investissement qu’en fonctionnement, comme le soulignent justement Mme la rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis.
Je constate avec satisfaction que ces importantes économies n’ont pas eu d’effet négatif sur l’activité du Conseil constitutionnel, qui a maintenu un délai de « jugement » des questions prioritaires de constitutionnalité bien inférieur aux trois mois fixés par la loi organique de 2009.
Enfin, la mission « Pouvoirs publics » porte également les crédits de la Cour de justice de la République, dont les dépenses sont « parfaitement maîtrisées », pour reprendre les mots du rapporteur pour avis de la commission des lois.
Ainsi se présentent, brossés à grands traits, mesdames, messieurs les sénateurs, les crédits de la mission « Pouvoirs publics », que le Gouvernement vous invite à adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Pouvoirs publics », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Pouvoirs publics |
987 745 724 |
987 745 724 |
Présidence de la République |
100 000 000 |
100 000 000 |
Assemblée nationale |
517 890 000 |
517 890 000 |
Sénat |
323 584 600 |
323 584 600 |
La Chaîne parlementaire |
35 489 162 |
35 489 162 |
Indemnités des représentants français au Parlement européen |
0 |
0 |
Conseil constitutionnel |
9 920 462 |
9 920 462 |
Haute Cour |
0 |
0 |
Cour de justice de la République |
861 500 |
861 500 |
Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Ces crédits sont adoptés.)
Mme la présidente. Je constate que ces crédits ont été adoptés à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quatorze heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)
PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des crédits des différentes missions.
Conseil et contrôle de l’État
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur spécial. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, je constate que l’auditoire est particulièrement nombreux, mais c’est sans doute moins pour la mission « Conseil et contrôle de l’État » que pour celle qui suit, « Politique des territoires »… (Sourires.)
La mission « Conseil et contrôle de l’État » comporte quatre programmes, de poids très inégaux : si la justice administrative représente 386,9 millions d’euros, les crédits du Haut Conseil des finances publiques s’élèvent, eux, à 620 000 euros.
Cette mission se caractérise également par une prépondérance des frais de personnel. Ces derniers représentent à eux seuls 85 % des 639,2 millions d’euros qui y sont affectés à cette mission. Cela étant, hors dépenses de personnel, le budget de la mission est en repli de 1,2 % par rapport à 2015.
Le programme 165, « Conseil d’État et autres juridictions administratives », bénéficiera, comme en 2015, de 35 équivalents temps plein supplémentaires, principalement en faveur des tribunaux administratifs et du traitement du contentieux de l’asile.
Cette politique de création d’emplois se poursuit dans un contexte de progression continue des entrées : sur l’année 2014, l’augmentation s’établit à 11 % pour les tribunaux administratifs, à 3,4 % pour les cours administratives d’appel, à 26 % pour le Conseil d’État et à 7,5 % pour la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA.
J’ajoute que cette tendance à la hausse du contentieux devrait se poursuivre en 2016, avec la mise en place de plusieurs réformes dont il n’est pas encore possible d’évaluer l’impact budgétaire. Réforme du droit d’asile, réforme du droit des étrangers, projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, autant d’exemples prouvant que les juridictions auront besoin de s’organiser pour faire face à de nouvelles missions.
L’année 2016 sera également particulière pour la CNDA. Cette instance devra face à un double défi : d’une part, l’adaptation de son organisation à la réforme du droit d’asile, qui impose de nouveaux délais de jugement ; d’autre part, un « déstockage » des dossiers en instance à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, qui pourrait entraîner une augmentation sensible des recours. Dans ce contexte, la CNDA devrait malheureusement connaître une dégradation de son délai de jugement.
Quant au Conseil économique, social et environnemental, le CESE, il voit sa démarche volontariste d’économies et de valorisation du patrimoine se traduire par l’abaissement de son plafond d’emplois et par le développement de ressources propres – notamment la location de ses locaux - estimées à 1,7 million d’euros pour 2016.
Par ailleurs, dans la perspective de son renouvellement, qui vient d’avoir lieu, le CESE a adopté des mesures visant à préserver l’équilibre de sa caisse de retraite au-delà de 2020.
Enfin, à propos du programme 164, « Cour des comptes et autres juridictions financières », il faut noter que la réforme des juridictions financières, engagée en 2012, a été menée à son terme. Son coût total a été réévalué à la baisse, pour être fixé à 6,15 millions d’euros pour la période 2012-2016, et le coût de cette réforme pour 2016 est très faible : 120 000 euros.
Toutefois, la restructuration des chambres régionales des comptes se poursuit, dans le cadre fixé par la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions. Ce texte impose la réduction du nombre des chambres régionales des comptes métropolitaines, qui passe de 15 à 13. Ainsi, leur ressort correspondra à celui des nouvelles régions.
Le financement de cette réforme n’est pas inclus dans le projet de loi de finances pour 2016. Or, à l’instar de celle qui l’a précédée, cette réforme impliquera de nouvelles dépenses, que l’on peut estimer à 4 millions d’euros de crédits de paiement pour 2016. Au demeurant, le décret d’avance notifié le 18 novembre dernier a déjà ouvert 5,4 millions d’euros en autorisations d’engagement. Il permet ainsi l’installation du nouveau siège de la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon à Montpellier, à partir du 1er janvier 2016.
Par ailleurs, le champ de compétences des juridictions financières devrait s’étendre, notamment avec l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales. À ce titre, on peut également évoquer les missions portant sur les établissements médico-sociaux et sur les établissements privés de santé.
Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous préciser les modalités de mise en œuvre de cette expérimentation ?
Enfin, je relève que le programme 340, « Haut Conseil des finances publiques », voit son budget, déjà extrêmement modeste, réajusté à la baisse : il est porté de 820 000 euros à 620 000 euros.
En conclusion, et sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances propose au Sénat l’adoption des crédits de la mission. (MM. Charles Revet et André Gattolin applaudissent.)
M. André Gattolin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les juridictions administratives et les juridictions financières. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, les crédits prévus par le projet de loi de finances pour 2016 pour les juridictions administratives à travers le programme 165, et pour les juridictions financières à travers le programme 164, présentent une certaine stabilité permettant à ces juridictions de bénéficier de conditions relativement favorables pour l’exercice de leurs missions.
C’est pourquoi la commission des lois a émis, sur ces crédits, un avis favorable.
Monsieur le secrétaire d’État, je tiens à aborder succinctement trois sujets.
J’évoquerai tout d’abord la maquette de performance du programme 165, « Conseil d’État et autres juridictions administratives ».
Depuis le projet de loi de finances pour 2015, l’indicateur « délai moyen constaté pour les affaires ordinaires », qui permettait de mesurer le délai de règlement des affaires ordinaires, c’est-à-dire hors procédures d’urgence et procédures particulières, a été supprimé.
Dès lors, le fait de communiquer sur un délai de jugement inférieur à un a, en se fondant sur l’indicateur « délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock », c’est-à-dire tous types d’affaires confondus, risque d’induire le justiciable en erreur : les délais observés pour le traitement des affaires ordinaires, par exemple le contentieux des marchés publics ou de l’urbanisme, sont sensiblement plus élevés.
Pour quelles raisons a-t-on supprimé l’indicateur « délai moyen constaté pour les affaires ordinaires », qui nous paraissait tout à fait pertinent ? En quoi cette suppression apporte-t-elle une « simplification budgétaire », comme on a pu l’affirmer l’an dernier ?
Je m’interroge ensuite sur la situation de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA. Les moyens qui lui seront consacrés en 2016 lui permettront-ils de faire face à l’accélération attendue de son activité, découlant non seulement de la politique de déstockage des dossiers en instance mise en œuvre par l’OFPRA, mais aussi de la politique d’attribution du statut de réfugié ? La CNDA pourra-t-elle tenir les délais de jugement imposés par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile ?
En vertu de ce texte, la CNDA s’est vu fixer un délai de cinq mois à compter de sa saisine lorsqu’elle statue en formation collégiale, et un délai de cinq semaines lorsqu’elle statue à juge unique. Or, pour 2015, le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock à la CNDA s’est établi à six mois, et la prévision pour 2016 est plus proche de sept mois.
Enfin, j’aborderai la question des formations interjuridictions mises en place au sein des juridictions financières.
J’attire votre attention sur la nécessité de faire preuve de prudence dans l’utilisation de cet outil. En effet, dans un contexte de restructuration de la carte des juridictions financières, et compte tenu du contexte budgétaire contraint, les effectifs ont été calculés au plus juste des besoins des juridictions, au regard de leur programme de contrôle.
Il ne faudrait pas que ces formations communes se développent au détriment des missions de contrôle organique des chambres régionales et territoriales des comptes.
Le principe doit demeurer celui de juridictions autonomes, assurant librement la programmation et la conduite de leurs travaux.
Tels sont les points sur lesquels je souhaitais attirer l’attention du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, la mission « Conseil et contrôle de l’État », mission importante, ne consomme pas beaucoup de crédits. Elle représente, en tout, un peu moins de 640 millions d’euros. Les membres du groupe UDI-UC tiennent à saluer l’évolution modérée de ce budget, qui ne croît que de 0,4 % par rapport à l’année 2015.
Cette augmentation s’explique par diverses créations de postes, qui, à mon sens, sont justifiées. Parallèlement, les dépenses de fonctionnement diminuent globalement de 1,2 %. Cette évolution va dans le sens souhaité par les élus du groupe UDI-UC, celui d’une bonne maîtrise des dépenses de l’État.
J’en viens, très concrètement, aux différents volets de cette mission.
Le Haut Conseil des finances publiques a été créé assez récemment. Les moyens dont il est doté sont extrêmement modestes, au point que l’on se demande s’ils suffisent pour analyser de manière suffisamment large, mais suffisamment précise aussi les propositions budgétaires formulées par le Gouvernement. Pour l’heure, nous avons pu nous satisfaire des avis du Haut Conseil, mais peut-être devrons-nous, à l’avenir, lui donner les moyens de densifier un certain nombre d’études.
Viennent ensuite diverses instances, que j’évoquerai par ordre d’importance budgétaire croissante, en commençant par le Conseil économique social et environnemental.
Au nom du groupe UDI-UC, j’adresse mes félicitations à M. Patrick Bernasconi, élu hier à la présidence du CESE. Par les avis qu’elle émet, cette institution a toute son importance. Néanmoins, elle devrait selon nous se concentrer sur la prospective. Ses membres ne doivent pas s’attacher à étudier l’activité passée. Mieux vaut qu’ils dirigent leurs regards vers l’avenir, de manière à éclairer le Gouvernement et le Parlement de leurs conseils avisés.
J’en viens maintenant à la Cour des comptes, dont le Sénat salue tout particulièrement l’excellent travail. Nous, sénateurs, sollicitons de manière assez régulière son expertise et ses avis, qui nous permettent de mieux assurer notre mission de contrôle parlementaire, à l’instar de nos collègues députés. En tout cas, nous sommes particulièrement satisfaits. On le sait, la refonte des régions implique une évolution des juridictions financières. C’est prévu. Peut-être quelques crédits supplémentaires seront-ils nécessaires à la réinstallation de diverses juridictions financières.
Il reste le Conseil d’État et l’ensemble des juridictions administratives. C’est sur cette partie de la mission que sont prévues des créations de postes. Cela nous semble justifié, car il est important, dans notre pays, de réduire les délais de jugement.
Dans le rapport de la commission des finances, il est indiqué que, pour ce qui concerne les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, ce délai est désormais de dix mois. Laissez-moi vous dire que je n’en crois rien ! Il nous faudrait des éléments plus précis sur la nature des jugements, afin de savoir précisément lesquels connaissent une réduction de délais.
En conclusion, le groupe UDI-UC votera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur le programme 165 « Conseil d’État et autres juridictions administratives », qui représente plus de 60 % des crédits de la mission que nous examinons.
En progression de 1 % par rapport à 2015, après une hausse d’environ 2 % l’année précédente, ce programme peut, à première vue, passer pour privilégié, dans le contexte budgétaire global très contraint que nous connaissons.
Mais, disons-le clairement, ces crédits sont en réalité très chiches, au regard du volume croissant d’activité auquel les institutions concernées par ce programme doivent aujourd’hui faire face et, surtout, au regard des défis auxquels elles devront répondre dans les années à venir.
L’an passé, l’essentiel des 35 équivalents temps plein supplémentaires dégagés a été absorbé par la Cour nationale du droit d’asile, qui depuis 2009 voit le nombre de recours en contentieux exploser. Et vu l’accroissement exponentiel des demandes d’asile, les besoins de cette cour ne risquent pas de diminuer...
Cette fongibilité des moyens à l’intérieur du programme pour répondre aux urgences ne permet pas, à mon sens, de satisfaire correctement d’autres besoins cruciaux, notamment ceux qui sont attachés à la fonction de conseil assignée au Conseil d’État.
En effet, celui-ci doit continuer d’affronter une inflation législative, à l’œuvre depuis plusieurs années. Face à cette frénésie, le Conseil doit multiplier sa production d’avis sur des textes de plus en plus longs, et ce dans des délais toujours plus réduits, qui ne garantissent pas toujours leur précision et leur qualité.
Ainsi, la loi Macron, qui ne comportait pas moins de 308 articles, a dû être étudiée par le Conseil dans des délais proprement surréalistes.
Cela nuit évidemment à la sécurité juridique des textes adoptés, rallonge encore les délais de publication des décrets d’application et tend à multiplier les recours et les contentieux.
Les amendements, qui par nature ne font pas l’objet d’un avis préalable du Conseil d’État, sont de plus en plus régulièrement utilisés par le Gouvernement afin de contourner l’institution chargée de le conseiller et de le contrôler.
Il est d’ailleurs étonnant que la fonction de conseil à l’État du Conseil d’État s’exerce quasi exclusivement au bénéfice de l’exécutif et que le Parlement ne puisse avoir recours à ses services, depuis 2008, que dans des cas extrêmement limités.
Cela supposerait évidemment une charge de travail encore accrue pour le Conseil d’État, mais je crois qu’au final nous y gagnerions singulièrement en pertinence et en efficacité.
Alors, certes, les exécutifs modernes sont sommés d’agir toujours plus vite. Mais, face à cette exigence, il faut marteler que le temps passé en amont de l’examen des textes par le Parlement est un temps démocratique, un temps indispensable qu’il faut cesser de compresser à l’excès.
Renforcer très significativement les moyens du Conseil d’État serait aussi une manière de défendre et de renforcer l’intérêt général, aujourd’hui confronté à une juridictionnalisation croissante de la vie publique.
Face à des groupes d’intérêts particuliers et à de grandes entreprises internationales aujourd’hui capables de mobiliser d’importants moyens de lobbying et, surtout, une armée de juristes pour exploiter toutes les failles de l’incroyable sédimentation de notre droit, il est donc urgent, mes chers collègues, de renforcer significativement les moyens et les missions du Conseil d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également)
M. Jean Desessard. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.