M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la commission des finances et la conférence des présidents d’avoir permis à la commission des affaires européennes d’exprimer son point de vue dans ce débat. Je tiens également à saluer l’excellent rapport de M. François Marc, qui éclaire notre discussion. Je ne peux que souscrire à la conclusion de son intervention, selon laquelle la France a besoin de l’Europe, et l’Europe de la France.
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous livrer quelques brèves réflexions, s’agissant d’abord de l’évolution préoccupante de la participation française au budget de l’Union européenne. Celle-ci est en hausse par rapport à l’an dernier. La France est un contributeur net important au budget de l’Union européenne : elle est même le deuxième, derrière l’Allemagne. Elle est également le deuxième pays bénéficiaire des dépenses de l’Union européenne, essentiellement grâce à l’importance de la politique agricole commune.
La contribution française au budget européen a augmenté très sensiblement en trente ans. Notre solde net s’est nettement dégradé depuis quinze ans. Quant à l’amélioration apparente observée en 2014, elle n’est due qu’à des facteurs conjoncturels, comme vient de l’expliquer M. le rapporteur spécial.
Certes, le raisonnement fondé sur le solde net de chaque pays a ses limites, mais il est inévitable, dès lors que le budget européen est financé principalement par des prélèvements sur les budgets nationaux. C’est l’esprit européen qui est ainsi mis en cause ; nous voulons de vraies ressources propres pour le budget européen. Nous espérons que le groupe animé par Mario Monti ouvrira la voie à un financement de l’Union européenne plus simple, plus transparent et plus responsable.
La question des corrections dont bénéficient certains pays reste posée, en particulier celle du « rabais britannique », dont la France demeure le principal financeur. Au fil du temps, le système devient de plus en plus complexe, voire incompréhensible. Ces mécanismes nuisent à la clarté budgétaire et au principe de transparence.
Par ailleurs, je constate, à l’instar du rapporteur spécial, l’importance des restes à liquider et l’écart considérable entre la prévision et l’exécution du prélèvement.
Je relève qu’une enveloppe de 500 millions d’euros a été mobilisée en septembre dernier pour faire face à la crise des filières laitière et porcine, sans activation de la réserve de crise pour le secteur agricole. Le budget de la PAC a donc été préservé. Nous aurions néanmoins souhaité une meilleure prise en compte des quotas par pays. Nous regrettons aussi le blocage de la Commission européenne sur les prix d’intervention ; nous l’avons signifié à M. Phil Hogan le 8 octobre dernier, lors de son audition par la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes.
Plus largement, c’est la faiblesse du montant du budget européen qui nous interpelle une nouvelle fois. Il a fallu diminuer les crédits budgétaires du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe et du programme « Horizon 2020 » pour financer le fonds de garantie du plan Juncker, auquel nous demandons que les collectivités territoriales soient mieux associées.
Les événements tragiques que connaît la France mettent en lumière une autre exigence : l’Union européenne doit renforcer sa politique de sécurité à la hauteur de la menace. Nous devons également aller vers une véritable Europe de la défense, mais comment agir avec un budget plafonné à 1 % du PIB européen ? Tant que l’Union européenne ne sera pas dotée de ressources propres, elle ne pourra pas mener une véritable action de long terme pour relancer la croissance et pour assurer sa sécurité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat sur la contribution française au financement de l’Union européenne est toujours un temps fort, dans la mesure où il permet aux parlementaires nationaux d’exprimer leur position sur les grandes orientations des politiques menées par les autorités de l’Union européenne. C’est aussi un moment tout particulier pour les sénateurs centristes, qui ont tous l’idéal européen en partage. Cinquante-huit ans après la signature des traités de Rome, ce débat nous donne l’occasion de réaffirmer la vigueur de notre sentiment européen, qui est au cœur de notre engagement politique.
Pour la première fois, ce débat se tient dans le prolongement direct de la discussion générale du projet de loi de finances. C’est une bonne manière de le mettre en valeur, et surtout d’insister sur l’importance des relations entre notre pays et l’Union européenne.
La France, qui participe au budget européen à raison de 21,5 milliards d’euros et en bénéficie à hauteur de 14 milliards d’euros, est le deuxième contributeur net au financement de l’Union européenne.
Il faut souligner que le coût des mécanismes de rabais est croissant pour notre pays. Ainsi, sur la période 2010-2016, la France finance en moyenne 27 % de la compensation en faveur du Royaume-Uni, ce qui est tout de même un peu fort ! En 2013, par exemple, la France a financé 1,2 milliard sur les 4,3 milliards d’euros du rabais britannique. D’autres pays perçoivent des rabais forfaitaires annuels sur la période 2014-2020, mais ceux-ci sont d’un montant beaucoup plus raisonnable, puisqu’ils ne représentent qu’une dizaine de millions d’euros. Il y a là un débat démocratique important, car, à la fin de la période, hors aides agricoles, la France sera l’un des derniers pays à ne pas bénéficier d’un rabais.
Je n’insisterai pas davantage sur les aspects purement financiers, que M. le rapporteur spécial a très bien traités. En effet, au-delà de la question des relations financières entre la France et l’Union européenne, ce débat nous permet surtout d’évoquer le contexte économique européen et différents sujets d’actualité, liés à l’économie, bien sûr, mais aussi à la sécurité et au climat.
De fait, les enjeux politiques auxquels notre pays doit actuellement faire face ont une portée telle qu’ils concernent tout le territoire de l’Union européenne. Les réponses structurelles à ces problèmes devront nécessairement être validées et assumées au niveau européen. Plus que jamais, nous avons besoin d’une Europe forte et qui s’engage pour l’avenir.
D’un point de vue économique, le plan Juncker, aux contours encore incertains l’année dernière, lorsque nous avons eu le même débat, a vu le jour il y a quelques mois. Nous ne pouvons que nous en réjouir, même s’il est sans doute encore un peu faible, en comparaison notamment des investissements réalisés par les États-Unis pour contrer la crise économique.
Cependant, selon le Fonds monétaire international, la situation européenne s’améliorerait légèrement, à la faveur de la baisse des cours des matières premières. On peut ainsi espérer un taux de croissance de 2 % en 2015, inférieur de 0,2 point aux prévisions du printemps, et de 2,2 % l’année prochaine.
En ce qui concerne la situation en Grèce, on ne peut que se réjouir de l’accord conclu entre l’Union européenne, le FMI et le gouvernement de ce pays sur une série de mesures de rigueur. Cet accord ouvre la voie au déblocage par la zone euro, demain, de 12 milliards d’euros de prêts à la Grèce.
D’un point de vue budgétaire, les relations entre la France et l’Union européenne vont un peu évoluer après les attentats de vendredi dernier et les déclarations faites par le Président de la République devant le Congrès il y a trois jours. En effet, en demandant que la priorité soit donnée au pacte de sécurité sur le pacte de stabilité, le chef de l’État a, en fin de compte, demandé aux autorités européennes un report de la réduction du déficit public.
De fait, nous savons que la création de 5 000 postes de policier ou de gendarme, de 2 500 postes dans la justice et de 1 000 dans les services des douanes, ainsi que l’annulation des 9 200 suppressions de postes prévues dans l’armée entre 2017 et 2019, nous conduiront à ne pas respecter nos engagements européens, d’autant que ces augmentations d’effectifs s’accompagneront de nouveaux besoins en équipements pour les forces de l’ordre.
Ces dépenses nouvelles, induites par la situation, sont nécessaires ; néanmoins, on peut imaginer qu’elles auraient pu être évitées, si les gouvernements successifs avaient eu le courage d’aller plus loin dans les réformes structurelles de notre pays. Ainsi, la mise en œuvre d’une vraie réforme des retraites et d’une réforme du temps de travail annuel aurait très certainement permis de dégager des marges de manœuvre essentielles, en termes humains, pour notre administration. Je regrette que nous n’ayons pas entrepris ces réformes, et que nous continuions à ne pas les entreprendre.
Aujourd’hui, la Commission européenne a bien compris qu’une situation exceptionnelle pouvait justifier une réponse exceptionnelle. Il faudra néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, que, au-delà des incontournables mesures sécuritaires, le Gouvernement présente un nouveau plan de retour à l’équilibre. Ce dernier sera forcément difficile, mais on ne pourra pas continuer ainsi ! Il faudra bien engager les réformes que l’Europe attend de nous depuis longtemps.
La portée des questions touchant à la sécurité de notre territoire et à la lutte contre le terrorisme dépassant largement les frontières nationales, nous devrons rapidement réfléchir à de nouvelles façons d’agir au niveau européen, pour la gestion de la sécurité comme pour la prévention des attaques ; il convient en particulier d’agir directement sur les terres où prospère le terrorisme. En d’autres termes, la France ne pourra pas se battre seule contre Daech – employer le mot « État » serait donner beaucoup trop d’importance à ces voyous.
Une réponse européenne doit être recherchée.
La question de la défense européenne doit aussi être posée. Voilà deux jours, monsieur le secrétaire d’État, les ministres européens de la défense se sont rencontrés afin de mettre en œuvre, pour la première fois, l’article 42 alinéa 7 du traité sur l’Union européenne.
J’espère que l’Europe ne se contentera pas de fournir à la France quelques soldats en provenance d’Allemagne ou de Belgique pour nous aider en Afrique, mais qu’elle comprendra la nécessité d’aller vers une défense européenne.
J’espère également que l’armée française, qui est actuellement sur tous les fronts – je vous rappelle que nos troupes sont actuellement présentes dans dix-neuf pays au titre des OPEX et dans près de trente-neuf pays au total ! –, obtiendra beaucoup plus d’aide de la part de l’Europe qu’elle n’en a actuellement, car elle combat des islamistes dans la zone sahélienne en Afrique qui agissent sous d’autres noms que celui de Daech !
L’Europe devrait aussi se doter d’un cadre pour lutter contre le financement du terrorisme, ainsi que d’une législation solide et efficace sur le contrôle des armes à feu. Les États membres de l’Union européenne devraient par ailleurs renforcer les échanges de renseignements entre leurs différents services et mettre en œuvre des contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures de l’Union européenne, au travers d’une révision du code frontières Schengen.
À ce titre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous rappeler que le Sénat a voté au mois de mars dernier deux résolutions européennes concernant notamment le PNR, ou passenger name record. À l’occasion de l’examen du rapport de M. Sutour, la commission des affaires européennes en a notamment parlé ce matin même !
Manifestement, le Parlement européen semble enliser – volontairement ? – ce projet. Pourtant, on ne peut pas continuer à attendre ! L’échange des fichiers des passagers aériens constitue pourtant une mesure essentielle pour lutter contre le terrorisme.
Monsieur le secrétaire d’État, je pense que les collègues qui me succéderont – M. Jean Bizet en particulier – insisteront sur ce point : on ne peut pas continuer à avoir un Parlement européen aussi léger sur un sujet aussi important que la lutte contre le terrorisme !
Pour terminer, j’aimerais évoquer en quelques mots la COP 21, qui va débuter dans quelques jours à Paris. Notre pays doit être exemplaire en matière de lutte contre le changement climatique – et je crois qu’il l’est. Les enjeux posés par cette conférence sont donc primordiaux.
Néanmoins, là encore, une réponse européenne coordonnée est nécessaire pour peser dans les débats internationaux. Lundi dernier, le Sénat a d’ailleurs adopté une résolution mettant en valeur le rôle des territoires dans la transition écologique et la lutte contre le changement climatique.
À l’heure actuelle, l’Europe fait plutôt figure de bonne élève de la COP 21 : elle a ainsi déjà atteint les objectifs fixés par le précédent sommet de Kyoto, soit un taux de 20 % d’énergie d’origine renouvelable dans la consommation totale d’énergie.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Yves Pozzo di Borgo. Le marché des énergies renouvelables représente en Europe plus de 130 milliards d’euros, avec au total 40 % de l’ensemble des brevets dans le monde, et un million d’emplois, ce qui est tout de même significatif. Toutefois, puisque l’Europe doit atteindre l’objectif de 40 % d’énergies renouvelables en 2050, elle sera obligée d’investir 2 000 milliards d’euros en dix ans, ce qui n’est pas rien !
L’Europe veut se classer au premier rang en la matière et surtout devenir indépendante, car elle importe actuellement plus de la moitié de son énergie, dont un tiers de gaz russe. L’enjeu de la COP 21 n’est pas seulement climatique, mais aussi économique !
En conclusion, je souhaiterais simplement rappeler à quel point l’Europe et la solidité de notre union sont importantes pour la France. N’oublions jamais ce que l’Europe a permis de réaliser. Aujourd’hui, les enjeux politiques de notre pays, nous les partageons avec tous les États membres de l’Europe. Sa réussite en matière économique, en matière de défense et d’environnement sera la réussite de la France !
C’est la raison pour laquelle les sénateurs centristes voteront l’article 22 du présent projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, sur certaines travées du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur la participation de la France au budget de l’Union européenne. Je souhaiterais ici évoquer quelques points de contexte.
Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 a fixé comme priorités la recherche, l’emploi, la croissance, la politique agricole commune ou encore la politique extérieure. Il prévoit également de répondre à certaines situations d’urgence comme la crise migratoire.
En 2014, la France était le deuxième contributeur net en volume derrière l’Allemagne et devant le Royaume-Uni.
Or cette contribution a des incidences budgétaires significatives pour notre pays. Le prélèvement sur recettes devrait s’élever à 21,51 milliards d’euros pour l’année 2016, ce qui représente une augmentation de 3,7 % par rapport à 2015. Ce prélèvement correspond à près de 8 % du total des dépenses de l’État hors charge de la dette et pensions.
Tel est le cadre global de la contribution de la France au budget de l’Union européenne.
Même si ce n’est pas tout à fait le sujet du jour, permettez-moi de formuler une remarque concernant les règles budgétaires communes en vigueur.
Paris a affirmé que le renforcement sécuritaire ne lui permettra pas de respecter ces règles. (M. le rapporteur spécial fait un signe de dénégation.)
M. Éric Bocquet. Le commissaire européen aux affaires économiques et financières, M. Pierre Moscovici, a accusé réception de cette déclaration et a assuré que « les règles du pacte de stabilité n’empêchent pas les États de définir leurs priorités », ajoutant ceci : « Nous comprenons ce qu’est la priorité à la sécurité ». Enfin, il a indiqué que ces règles n’étaient « ni rigides ni stupides ». Ce principe pourrait-il un jour s’appliquer à l’urgence sociale, par exemple, si nous le décidions ?
Pour le moment, aucune précision ne nous a été fournie sur la marge de manœuvre dont disposera la France. Il me semble qu’à l’heure où nous débattons de la participation de notre pays au budget de l’Union européenne, il serait important de disposer d’éléments de réponse, monsieur le secrétaire d’État !
Cette situation conduit également à se poser deux questions auxquelles la zone euro devrait réfléchir.
Premièrement, il faut s’interroger sur l’inadaptation du pacte de stabilité aux circonstances du moment. En matière économique notamment, la politique d’austérité a conduit au marasme que nous connaissons. L’Europe devrait s’interroger sur les effets sociaux et politiques de sa stratégie et sur son rôle dans l’instabilité actuelle.
Si, aujourd’hui, la France sort de ce cadre, c’est aussi pour « rattraper » les retards dus aux contractions budgétaires. Il serait vraiment inopportun que, dans quelque temps, il soit nécessaire de réaliser un rattrapage de cette nature sur les budgets de la santé ou de l’éducation par exemple !
Deuxièmement, il faut se poser la question de l’inadaptation de la nouvelle architecture mise en place de 2011 à 2013 pour empêcher les dérives des États et mettre sous surveillance les États dits « dépensiers » par la Commission européenne. La sacro-sainte stabilité financière semble aujourd’hui bien dérisoire au regard de certains enjeux !
Un autre sujet qu’il me paraît indispensable d’évoquer, car le principal objectif de l’Europe reste quand même celui de la relance de l’économie ces temps-ci, concerne le rôle de la Banque centrale européenne, la BCE. Depuis mars 2015, celle-ci a décidé d’engager une politique monétaire d’assouplissement quantitatif, qui se traduit par l’injection de 60 milliards d’euros chaque mois dans les circuits financiers et bancaires des pays de l’Union européenne.
L’objectif était, pour l’essentiel, de dynamiser les économies nationales, aujourd’hui touchées par une grande atonie. Or cette politique ne semble pas, pour l’instant, produire les effets escomptés, à savoir, d’une part, la relance économique et, d’autre part, le retour à un taux d’inflation proche de 2 %.
Ce programme doit en principe s’appliquer pour une période de dix-huit mois, c’est-à-dire jusqu’au mois de septembre 2016. Quelle analyse la Commission européenne et, de façon plus générale, l’Union européenne font-elles de cette absence patente de résultats ?
De plus, en l’état actuel de la situation, il me semblerait judicieux que la BCE envisage clairement d’ajuster cette politique. Il n’est plus supportable que l’argent public contribue une fois encore à financer ce que d’aucuns décrivent comme de nouvelles bulles spéculatives, et en aucun cas – du moins très insuffisamment – l’économie réelle.
À l’heure où l’on impose toujours plus de restrictions aux peuples européens, où les budgets des collectivités territoriales et des États sont en berne, comment est-il encore possible de mobiliser de telles sommes au seul profit, parfois, de spéculateurs ?
Ne croyez-vous pas que l’Europe, dans son ensemble, est surtout pénalisée par l’application systématique et simultanée de politiques d’austérité dans tous les États membres ? Le FMI l’a d’ailleurs souligné en son temps.
Je vais relativiser le terme d’austérité « systématique », car l’austérité n’est pas valable pour tous, bien au contraire ! Un rapport sur la richesse mondiale, publié le 13 octobre dernier par le Crédit suisse – grand connaisseur en la matière –, nous le confirme : 1 % de la population détient la moitié de la richesse globale !
Même Christine Lagarde, directrice générale du FMI, estime pour sa part que les inégalités menacent la stabilité du système économique mondial et donc européen.
Combien de temps accepterons-nous que certaines multinationales aient toujours plus recours à l’optimisation fiscale pour éviter de payer des impôts ? Rappelons-le inlassablement : l’évasion et la fraude fiscales représentent un manque à gagner de 1 000 milliards d’euros pour l’Europe ! Que faisons-nous pour lutter concrètement contre ce fléau ? La question se pose encore et toujours.
De la même façon, quels sont les effets du plan Juncker sur la relance de l’économie ? Ce fond de 315 milliards d’euros doit servir à financer des secteurs jugés stratégiques et, au passage, relancer la croissance et l’emploi. Pour le moment, là encore, on attend toujours – c’est malheureux, car personne ne s’en réjouit ! – d’en voir les résultats.
D’ailleurs, quatre mois après, les membres du comité d’investissement du Fonds européen pour les investissements stratégiques n’ont toujours pas été nommés pour commencer à investir dans les projets. Vingt-sept opérations, pourtant jugées éligibles, attendent.
Nous pensons qu’il est temps, aujourd’hui, de poser les fondements d’un nouveau cadre économique à l’échelle de l’Europe. Nous ne pouvons pas continuer à regarder la misère se propager sans réagir et accepter cette situation comme un état de fait. En Europe, il est possible de vaincre les inégalités, mais il faut sans doute pour cela une vraie volonté politique !
En la circonstance, nous sommes convaincus que les États conservent un rôle déterminant à jouer et qu’il est temps que chacun prenne ses responsabilités.
Pour conclure, je me permettrai de citer les propos de M. Angus Deaton, le prix Nobel d’économie de l’année 2015, qui a déclaré : « Ce qui m’inquiète le plus dans l’inégalité des revenus, c’est qu’elle peut se transformer en inégalité politique. Si les gens fortunés utilisent leur richesse pour influencer le processus politique, alors tous les autres souffrent. Là est le danger. »
Notre groupe est depuis toujours en désaccord avec le pacte budgétaire en vigueur au sein de l’Union européenne, car il conduit à ces excès. Nous ne voterons donc pas l’article 22. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous poursuivons ce premier jour de marathon budgétaire par l’examen de l’article 22 relatif au prélèvement sur recettes au profit du budget de l’Union européenne.
Je tiens avant toute chose à féliciter – moi aussi – notre collègue François Marc pour la grande qualité et la précision de son rapport.
Cela a été rappelé, ce prélèvement, qui est estimé à 21,5 milliards d’euros, témoigne d’une tendance continue à la hausse. Rappelons également que la légère augmentation de ce prélèvement pour 2016 s’explique en grande partie par l’acquittement rétroactif d’environ 900 millions d’euros de corrections et de rabais forfaitaires accordés à certains États membres au titre des années 2014 et 2015.
Aujourd’hui plus qu’hier, nombreux sont ceux qui doutent de l’Europe, nombreux sont ceux qui estiment qu’il faut donner raison aux murs, au retour des frontières intérieures et au repli national.
Aujourd’hui plus qu’hier encore, ces mots ont une résonance grave. La peur peut d’ailleurs facilement leur donner raison ! Pour autant, cela ne constitue pas une solution ; ou plutôt, cela correspond à une solution contre-productive et dangereuse !
En tant qu’Européen convaincu, je ne me lasserai jamais de vous répéter, mes chers collègues, que l’Union européenne est notre avenir et notre rempart à condition, bien sûr, de lui donner l’impulsion politique et la solidarité requises, et à la condition que nous la dotions d’un budget digne de ce nom.
Les défis d’ampleur multiples et complexes auxquels nous devons faire face sont connus. Quant aux besoins budgétaires pour les affronter, ils sont d’une taille inédite.
Vendredi dernier, la procédure de conciliation menée par les institutions européennes a abouti à un compromis sur le budget européen pour 2016, qui doit encore être voté dans les prochains jours.
Certes, il en ressort une volonté de relever les défis qui se présentent à l’Europe. Néanmoins, ce budget demeure serré et incohérent, et ne semble pas à la hauteur des enjeux. Il tente ainsi de répondre à l’objectif de reprise de la croissance en Europe, puisque l’emploi et la compétitivité comptent parmi ses postes de dépense prioritaires, prenant ainsi la suite du plan Juncker et en constituant le complément.
Il y a aussi la crise des réfugiés, pour laquelle le budget européen s’élèverait à 4 milliards d’euros, qui seraient destinés tant aux États membres qu’aux pays d’où proviennent les réfugiés, afin de les aider à y faire face.
À cela s’ajoute le défi de la lutte contre le changement climatique, dont l’ampleur ne semble pas être bien prise au sérieux par l’Europe. Nous avons un rôle moteur et d’entraînement à jouer sur cette question. Cela me surprend donc de voir que l’instrument financier pour l’environnement et l’action pour le climat ne sera doté que de 3,4 milliards d’euros pour la période 2014-2020.
Enfin, il existe un défi tout aussi difficile et urgent à relever : la lutte contre le terrorisme. À la suite des événements de janvier dernier, l’Europe a appelé à une plus grande coopération européenne comme internationale.
Aujourd’hui, nous voyons bien que les actions de ces derniers mois n’ont pas été suffisantes, puisqu’elles n’ont pas empêché la tragédie de la semaine dernière de survenir.
Le renforcement nécessaire de la coopération policière et judiciaire que la France réclamera demain lors d’un conseil extraordinaire des ministres de l’intérieur à Bruxelles est urgent. Surtout, l’Europe doit disposer enfin d’un budget adéquat, non seulement au regard de la menace que constitue Daech, mais aussi au regard de la criminalité internationale et du trafic d’armes qui lui sont intimement liés. Pour cela, une hausse de 13 % seulement du budget d’Europol sur la période 2014-2020 me semble terriblement insuffisante.
Dans un rapport d’information élaboré en avril 2014, à la demande de Simon Sutour, avec mes collègues Colette Mélot et Dominique Bailly et mon ancien collègue Pierre Bernard-Reymond sur les perspectives d’avenir d’Europol et d’Eurojust, nous avions déjà pointé cruellement du doigt cette défaillance.
Au regard de l’extension constante de leur champ d’investigation, le maintien à un niveau quasi constant du budget de ces deux agences centrales dans la lutte contre le terrorisme me paraît totalement aberrant.
En ce qui concerne le système des ressources propres – car, s’il existe des dépenses, il faut également des ressources –, celles dites « traditionnelles » – surtout les droits de douane – seront amenées à être de plus en plus limitées.
En effet, l’Europe signe de plus en plus de traités de libre-échange avec des pays tiers. Par ailleurs, la Chine revendique le statut d’économie de marché auprès de l’OMC pour l’année prochaine. Si ce statut lui était accordé, cela aurait des incidences importantes sur la capacité de l’Europe à percevoir un certain nombre de taxes ou de droits d’entrée à ses frontières.
Il ne nous est plus permis de différer une remise à plat du système actuel de financement. Il est également urgent de doter l’Europe de nouvelles ressources propres. C’est par ce biais, aussi, que nous lui permettrons de faire face à ces défis si complexes.
Redonner du sens politique à l’Europe nécessite également de redonner confiance au citoyen européen, en renforçant son accès aux informations budgétaires et leur lisibilité.
De plus, le citoyen est en droit de connaître l’impact budgétaire et économique des condamnations de la France par la Cour de justice de l’Union européenne pour violation des normes du droit européen. Je ne développerai pas ici ce point, car je déposerai un amendement en ce sens, afin de demander un rapport annuel consolidé sur la question.
Pour finir, je rappellerai que pendant près de trente ans, Émile Noël, grande figure française de l’Europe, aujourd'hui un peu oubliée – il fut le premier secrétaire général de la Commission européenne -, s’est battu contre une lecture cantonnée à la contribution nette et au solde net de la France, car il l’estimait contraire à l’esprit communautaire.
Malheureusement, j’ai le sentiment que, chaque jour un peu plus depuis les années quatre-vingt-dix, ces éléments sont devenus l’alpha et l’oméga de toutes nos discussions.
Je crois que nous devons rapidement sortir d’une telle vision, qui contribue à accroître le ressentiment des Français envers l’Europe. On nous oppose en effet systématiquement que nous payons, mais ne recevons rien.
Cette lecture purement comptable de l’Europe est dangereuse. Elle ne permet pas de comprendre les dynamiques économiques positives créées par l’Union européenne, en dehors du seul cadre national.
Bien entendu, le groupe écologiste, profondément attaché à l’Europe, votera l’article 22, malgré toutes les critiques que pourrait susciter la logique actuelle de la politique européenne. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées de l'UDI-UC.)