M. Jérôme Bignon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, vice-président de la commission des finances.
M. Yvon Collin, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il m’appartient de vous présenter les travaux menés au nom de la commission des finances par Fabienne Keller et moi-même, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement », sur les financements alloués par la France aux pays les moins avancés en matière de lutte contre le changement climatique.
La France accorde une certaine place au changement climatique dans sa politique de développement, ce dont témoignent notamment les objectifs quantitatifs fixés à l’Agence française de développement : c’est ainsi que la moitié au moins de l’activité de cette agence dans les pays en développement doit avoir des co-bénéfices en matière climatique.
Mme Keller et moi avons choisi de centrer nos travaux sur les pays les moins avancés, les PMA, car la lutte contre le changement climatique est souvent abordée sous l’angle des pays industrialisés ou des grands pays émergents. Certes, les PMA ne sont pas des émetteurs de gaz à effet de serre importants, mais il est fondamental qu’ils adoptent, dès aujourd’hui, une stratégie de croissance bas carbone. En outre, ces pays seront plus durement touchés que les autres, du fait de leur position géographique, de leur plus grande dépendance aux ressources naturelles et de leur faible capacité à s’adapter aux évolutions climatiques.
Les entretiens que nous avons menés sur ce sujet au Sénégal, en République démocratique du Congo et à Paris nous ont permis de mieux cerner les besoins des PMA, sans le soutien desquels, madame la secrétaire d’État, la COP 21 ne pourra pas être un succès. Ces pays attendent que les pays développés s’engagent à diminuer leurs émissions, afin que les effets subis soient moins importants. Ils souhaitent que des financements soient mis sur la table et que l’adaptation au changement climatique ne soit pas oubliée.
Les chiffres des financements accordés par la France au titre de la lutte contre le changement climatique font apparaître que notre politique en la matière n’est pas assez adaptée aux PMA. Ainsi, les financements en matière d’adaptation ne représentent guère plus de 200 millions d’euros par an en moyenne, soit à peine 10 % du total des fonds consentis, et les PMA ne bénéficient que de 9 % environ des financements que nous accordons en matière climatique.
C’est pourquoi nous proposons de compléter les objectifs que la France s’est donnés dans ce domaine par un objectif d’aide destinée aux PMA et par un objectif de financements en matière d’adaptation aux conséquences du changement climatique ; il paraît raisonnable de les fixer tous deux à 20 % à l’horizon de 2020.
Il est également nécessaire que la France fasse tout son possible, notamment dans le cadre de la COP 21, pour que les pays industrialisés contribuent au Fonds vert pour le climat et que l’objectif d’accorder 100 milliards de dollars par an à l’horizon de 2020 puisse être atteint.
Enfin, étant donné le contexte budgétaire et économique, nous proposons de recourir aux « financements innovants ». En particulier, les secteurs des transports aérien et maritime, qui réalisent à eux deux plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre, pourraient être mis à contribution de façon importante,…
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Yvon Collin, vice-président de la commission des finances. … même si ce n’est pas facile.
La commission des finances se félicite que la proposition de résolution accorde une place particulière aux PMA et aux financements innovants. Elle forme le vœu que la COP 21 soit l’occasion d’adresser un véritable signal aux pays les moins avancés, qui sont en première ligne face aux conséquences du changement climatique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat s’est engagé résolument dans un travail de réflexion et de proposition au sujet du dérèglement climatique. La tenue très prochaine à Paris de la conférence internationale sur le climat justifiait, bien sûr, que nous entreprenions cette tâche. Au-delà, comme parlementaires, élus locaux et citoyens, nous devions être au rendez-vous d’une échéance décisive pour la planète comme pour nos territoires.
La commission des affaires européennes a contribué à cette mobilisation. Deux de ses membres, Fabienne Keller et Jean-Yves Leconte, ont analysé et évalué la démarche suivie par l’Union européenne depuis la COP 20, qui s’est tenue à Lima en décembre dernier, ainsi que les perspectives s’attachant au prochain rendez-vous de Paris. À leur invitation, notre commission a concentré ses conclusions sur un certain nombre de sujets qui seront au cœur d’un prochain accord ; je n’en mentionnerai ce soir que quelques-uns.
D’abord, nous saluons le haut niveau d’exigence que l’Union européenne a imprimé à son action et à celle de ses États membres, ainsi qu’en témoignent ses deux stratégies pour l’énergie et le climat de 2008 et de 2014. Cela fait d’elle aujourd’hui une actrice exemplaire et exigeante sur le chemin de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le système de quotas d’émission qu’elle a mis en place est une bonne illustration de sa détermination à agir.
L’Union européenne promeut aussi, avec une audace réaliste, des ambitions fortes dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Dès aujourd’hui, sans attendre 2020, le fonds Juncker valorise les investissements vers le secteur industriel bas carbone, et 45 milliards d’euros de fonds structurels européens y seront consacrés sur sept ans.
Nous avons souligné la nécessité de définir un prix du carbone grâce, entre autres outils, à un mécanisme européen de marché réformé : ce point fondamental figure opportunément dans le projet final.
Il est d’autres exigences, non moins importantes, sur lesquelles les négociateurs de l’Union européenne auront à convaincre lors de la conférence de Paris. Je pense en particulier à la nécessité d’intégrer au plus vite les transports aéronautiques et maritimes parmi les secteurs qui devront réduire leurs émissions de carbone.
Par ailleurs, la commission des affaires européennes estime que les acteurs financiers, publics ou privés, devront orienter leurs prêts et leurs investissements vers une industrie sobre en carbone et se dégager progressivement du soutien aux énergies fossiles.
La présente proposition de résolution fait une large part au rôle essentiel des collectivités territoriales et des municipalités. De fait, nombre d’entre elles, en Europe et ailleurs, multiplient déjà les initiatives concrètes contre le dérèglement climatique. Quel que soit le résultat de la conférence qui s’ouvrira dans quelques jours à Paris, c’est d’elles que naîtront les comportements collectifs qui permettront d’atteindre les objectifs d’un futur accord et c’est à elles qu’il reviendra de mobiliser toujours plus le concours quotidien de chacun.
Mes chers collègues, je ne puis que saluer l’initiative de Jérôme Bignon et vous inviter à adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Marie-Christine Blandin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un triste hasard fait que ce débat sur le changement climatique se tient juste après une réunion du Congrès consacrée à la guerre contre le terrorisme. Il y a pourtant un point commun entre ces deux questions : à travers le monde, les femmes sont à la fois les premières cibles des terroristes et les premières victimes des dérèglements climatiques.
Ce dernier point a été particulièrement analysé lors des tables rondes que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a organisées en vue de contribuer au présent projet de résolution. Notre rapport montre que les femmes, qui supportent déjà l’essentiel de la pauvreté – 70 % des personnes qui vivent avec moins de 1 dollar par jour sont des femmes –, seront aussi les premières touchées par les dérèglements climatiques, parce qu’elles travaillent en grand nombre dans les secteurs le plus durement frappés par ceux-ci : elles représentent, en particulier, 70 % des agriculteurs africains. Ce sont aussi les femmes qui effectuent les corvées d’eau. Or, sous l’effet des dérèglements climatiques, non seulement les rendements agricoles vont baisser, de l’ordre de 25 % alors qu’il faudrait les augmenter de 60 %, mais les distances à parcourir pour chercher de l’eau seront plus grandes. De ce fait, la scolarisation des jeunes filles va régresser. Je remercie Jérôme Bignon d’avoir pris en compte cette dimension dans la proposition de résolution qu’il a présentée.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a également mis en évidence que les femmes, parce qu’elles assurent le principal des tâches quotidiennes, peuvent être aussi des actrices de la lutte contre le changement climatique, en trouvant des solutions concrètes. Ainsi, ce sont des femmes qui ont imaginé de remplacer le bois de cuisson par des fours solaires, afin de limiter la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre.
Or les femmes représentent moins de 30 % des participants aux négociations climatiques et sont rarement destinataires des fonds publics destinés à la lutte contre les dérèglements climatiques : moins de 19 % des financements profitent à des projets menés par des femmes.
Tout cela explique notre volonté d’inscrire dans la résolution la nécessité de prendre en compte les femmes dans l’agenda des solutions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et de les reconnaître comme actrices de la négociation internationale. L’autonomisation des femmes est une question qui, pour l’heure, fait polémique.
Les femmes victimes, les femmes actrices et partenaires des négociations, les femmes destinataires des fonds publics destinés à la lutte contre les dérèglements climatiques : je remercie encore une fois Jérôme Bignon d’avoir bien voulu inscrire ces éléments dans la proposition de résolution. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
M. Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si les enjeux climatiques et énergétiques se posent à toutes les échelles – mondiale, européenne, nationale –, nous avons pleinement conscience du rôle de plus en plus important joué par nos territoires.
Nouvelles formes urbaines, transports, habitat, déchets, économies d’énergie et énergies décentralisées, économie locale et circulaire, biodiversité et innovation : autant de domaines dans lesquels les collectivités territoriales peuvent agir de manière globale, transversale et interactive.
L’enjeu climatique impose une mobilisation de tous : les collectivités territoriales, les entreprises, les associations, mais aussi l’ensemble des habitants.
Plaque pivot entre les politiques publiques et les comportements personnels, la dimension territoriale, que nous incarnons, mes chers collègues, doit être considérée comme fondatrice dans la lutte contre les dérèglements climatiques.
C’est dans ce contexte que la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a souhaité, dans la perspective de la COP 21, mettre en lumière le rôle déterminant que les collectivités territoriales jouent d’ores et déjà, et depuis longtemps, pour prévenir ces dérèglements et témoigner de la diversité de leurs initiatives.
Notre rapport d’information intitulé « Les collectivités territoriales s’engagent pour le climat », publié la semaine dernière, se présente comme un recueil de bonnes pratiques dont pourra s’inspirer toute collectivité territoriale désireuse de s’engager davantage encore dans cette lutte avec les moyens dont elle dispose, de la petite commune rurale jusqu’à la région, en passant par la métropole ou le département.
Le tour de France entrepris par nos sept rapporteurs a fait apparaître, au fil des auditions, un pays résolument dynamique et tourné vers l’avenir : nombre de collectivités territoriales sont véritablement mobilisées et à la pointe de la lutte contre le changement climatique. Elles s’appuient sur leurs compétences, très diverses, et partout lancent des initiatives et expérimentent des solutions, prennent le risque de subir des échecs et engrangent des réussites.
Oui, en dépit des difficultés économiques et financières auxquelles ils sont confrontés, nos élus locaux préparent l’avenir, un avenir plus sobre, plus soutenable, et créent les conditions du développement des emplois locaux de demain.
Raisonner en fonction du changement climatique n’est pas, pour un territoire, une contrainte insurmontable : c’est, au contraire, une chance de penser le territoire de demain. Voilà ce que notre délégation s’est employée à dire et à démontrer.
Lors de la COP 21, la France pourra ainsi se prévaloir du puissant facteur de crédibilité que constitue l’action de ses collectivités territoriales. Leurs réussites montrent l’existence d’une volonté nationale d’avancer. Pour être crédibles, nous devons être exemplaires ; grâce à nos collectivités locales, nous le sommes davantage !
En outre, le respect des engagements que les États pourront souscrire en décembre prochain dépendra très largement de la capacité des collectivités territoriales à les mettre en œuvre : sans la mobilisation de ces acteurs privilégiés de la transition énergétique, l’accord de Paris risque, en effet, de demeurer lettre morte.
La proposition de résolution traduit parfaitement ces constats et ces objectifs. Du croisement de ce beau texte avec les analyses de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ainsi qu’avec les autres travaux engagés au Sénat, naîtra une puissante incitation parlementaire à ce que la négociation aboutisse à des résultats qui affermissent l’avenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.
M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, placés aux avant-postes du défi climatique en termes de vulnérabilité comme de solutions à inscrire à l’agenda, nos outre-mer sont au cœur de notre débat d’aujourd’hui.
En effet, ils éprouvent – depuis longtemps déjà – de manière très concrète et souvent violente les effets du dérèglement climatique : nous en avons encore eu une illustration voilà dix jours à la Martinique. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour exprimer notre solidarité à nos compatriotes martiniquais.
Situés dans des zones de la planète parmi les plus exposées aux risques climatiques, les territoires ultramarins ont été très tôt sensibilisés à ces enjeux. Il faut dire que les principaux secteurs d’activité de leurs économies – agriculture, pêche, tourisme – sont particulièrement vulnérables et se trouvent au cœur des problématiques environnementales. Nous avons pu le constater, le 30 septembre dernier, lors du colloque organisé par la délégation sénatoriale à l’outre-mer intitulé « Une bannière verte et bleue pour un renouveau du tourisme dans les outre-mer ».
La prise de conscience des autorités territoriales, des acteurs économiques et de la société civile des outre-mer a conduit à rechercher activement des solutions d’atténuation et d’adaptation, qui se déclinent dans de nombreux domaines.
Le rapport d’information publié au nom du groupe de travail commun à notre délégation et à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont nos collègues Jérôme Bignon et Jacques Cornano, que je félicite et remercie, ont été les excellents rapporteurs, présente ainsi de multiples réalisations territoriales.
Ce rapport constitue une riche vitrine, illustrant le potentiel effectif d’innovation de nos outre-mer. Qu’il s’agisse de la gestion de la ressource en eau, de la mise au point de modèles agricoles robustes et résilients, de la promotion d’une grande diversité d’énergies renouvelables, de l’élaboration des procédures de prévention des risques naturels ou encore du développement de politiques de sensibilisation et d’éducation du public, notamment à destination des jeunes, les territoires ultramarins s’emploient à définir des solutions vertueuses et souvent innovantes.
Un précédent rapport du même groupe de travail avait souligné combien les patrimoines naturels, singulièrement les biodiversités de nos outre-mer, étaient exceptionnels, leur vulnérabilité appelant des réponses urgentes pour protéger des trésors qui jouent un rôle actif dans la lutte contre les effets du réchauffement climatique. Je pense en particulier aux coraux, qui sont les pouponnières de la biodiversité marine et dont les récifs constituent également une barrière de protection contre les déferlements marins pour les rivages de très nombreuses îles.
L’approche maritime apparaît d’une importance majeure au regard de la problématique climatique. Or ce sont bien nos outre-mer qui confèrent à notre pays sa dimension planétaire, le classent au deuxième rang mondial pour la superficie maritime et assurent sa présence sur tous les océans et sous toutes les latitudes.
La France occupe ainsi une place unique en son genre et tout à fait privilégiée pour observer les évolutions du climat, en mesurer l’impact et expérimenter des stratégies d’atténuation et d’adaptation dans de multiples secteurs.
Je me félicite que les auteurs de la proposition de résolution mettent l’accent sur cette originalité de notre pays et en attribuent le mérite à nos outre-mer, tout en soulignant leur rôle de laboratoires pour la définition de solutions innovantes.
Toutefois, il me semble nécessaire de compléter ce constat en faisant valoir que cette singularité confère à notre pays une responsabilité supérieure dans l’élaboration et la promotion d’un agenda des solutions à l’échelle internationale, en direction des pays du Sud tout particulièrement. Or, bien souvent, à l’interface entre pays du Nord et pays du Sud, nos outre-mer peuvent être, dans leurs bassins océaniques respectifs, les agents d’une meilleure diffusion de la réflexion climatique et contribuer à la promotion de modèles de développement effectivement durable.
Pour terminer, je m’associerai aux remerciements qui ont été adressés à l’auteur de la proposition de résolution, Jérôme Bignon, ainsi qu’à M. le président du Sénat, pour cette belle initiative ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
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Modification des horaires de la séance du mardi 17 novembre 2015
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, afin de permettre à M. le Premier ministre d’assister demain aux questions d’actualité au Gouvernement, je vous propose de modifier légèrement les horaires de la séance de l’après-midi : les explications de vote et le vote solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 commenceraient à 15 heures, et les questions d’actualité au Gouvernement pourraient ainsi commencer dès 16 heures 30, pour se terminer à 17 heures 15.
Y a-t-il des observations ?...
Il en est ainsi décidé.
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Rôle déterminant des territoires pour la réussite d’un accord mondial ambitieux sur le climat
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de résolution
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution visant à affirmer le rôle déterminant des territoires pour la réussite d'un accord mondial ambitieux sur le climat.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans quelques jours, à Paris, la communauté internationale aura la responsabilité historique de trouver un accord universel et contraignant permettant de lutter contre le dérèglement climatique.
Le diagnostic est connu et partagé : au-delà de 2°C, voire de 1,5°C, les conséquences d’une hausse des températures pour les hommes et les différentes formes de vie seront ingérables, et souvent irréversibles. Notre crainte à tous est que tout cela nous échappe : sécheresse, inondations, disparition de pans entiers de territoires affecteront directement la sécurité alimentaire et mettront sans doute la paix en péril.
Ces menaces peuvent apparaître lointaines, mais ce n’est qu’une illusion : les premiers réfugiés climatiques, les inondations au Bangladesh et dans le delta du Nil, la submersion d’archipels, la sécheresse que connaît la bande sahélienne, en Afrique de l’Ouest, pour ne citer que ces quelques exemples, en témoignent.
En France, les questions liées au dérèglement climatique se posent déjà. Ainsi, l'Office national des forêts, qui doit gérer la plantation des arbres, est confronté aux incertitudes liées à la capacité des essences à s’adapter au stress hydrique. Notre collègue Michel Magras vient de rappeler que les territoires ultramarins sont les premiers concernés par ce sujet. Ajoutons que la consommation mondiale de ressources naturelles a augmenté de moitié en trente ans. Nous vivons à crédit et le temps presse ! En fait, la crise climatique est un facteur aggravant de toutes les autres crises.
Si l’on ne peut préjuger aujourd’hui du contenu de l’accord final de Paris, le bilan du programme des Nations unies pour l’environnement n’incite guère à l’optimisme. Le PNUE considère que les contributions présentées par les 146 pays pour endiguer leurs émissions de gaz à effet de serre ne sont pas suffisantes. Leur mise en œuvre conduirait à une hausse de la température comprise entre 3 et 3,5°C à l’horizon 2100. En outre, la récente déclaration des États-Unis peut ajouter aux inquiétudes.
C’est dans ce contexte que le Sénat, au travers de son groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l’environnement, qui a été constitué sous l’impulsion de M. le président du Sénat et a travaillé en collaboration avec les différentes commissions, a senti l’importance d’écrire un texte commun.
Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de divergences entre nous sur l’analyse des causes du dérèglement climatique et les solutions à trouver pour répondre à ce défi, mais cela signifie en tout cas que nous avons tous conscience de l’enjeu. En adoptant un texte de manière unanime, notre assemblée fera entendre sa voix, ainsi que celle des territoires qu’elle représente et qui ont longtemps été écartés des sommets climatiques.
En effet – et c’est une nouveauté –, les travaux préparatoires à l’accord de Paris ont associé plus largement l’ensemble des acteurs : la société civile, les associations, les organisations non gouvernementales, les collectivités territoriales. Cela était nécessaire, parce que les territoires sont déjà et seront à l’avenir confrontés directement aux conséquences du dérèglement climatique. Les collectivités territoriales ont donc toute légitimité à être étroitement associées aux négociations. C’est la raison pour laquelle elles revendiquaient une place dans les différents sommets climatiques depuis vingt ans. Lors du sommet « climat et territoires », à Lyon, des propositions ont été formulées et une déclaration commune a été adoptée.
L’expérience et l’expertise locales sont précieuses pour trouver des solutions d’avenir, consolider et partager les projets engagés. Il en est de même pour l’agenda des solutions, qui regroupe les propositions, les initiatives, les engagements, et est élaboré en lien avec les collectivités locales, les ONG et les entreprises.
Par ailleurs, il est important d’affirmer que les citoyens doivent pouvoir s’approprier les questions climatiques, être des acteurs du débat et faire jouer à plein l’exercice démocratique. C’est dans ce sens que nous avons proposé la prise en compte des savoirs locaux et autochtones, qui constituent le fondement d’un développement durable localement adapté.
Cependant, la question de la gouvernance et du financement des sommets étatiques sur le climat est posée et vient en partie contredire l’effort démocratique.
En effet, l’influence des lobbies sur les décisions politiques constitue un problème. La pérennité des subventions aux énergies fossiles l’illustre bien : elle est symptomatique de la divergence et du déséquilibre entre les intérêts économiques, d’un côté, et les intérêts sociaux et environnementaux, de l’autre. Je le répète : l’intérêt général ne peut être confondu avec l’intérêt des entreprises transnationales.
Pour aller vers une économie bas carbone, il faudra supprimer les subventions à la production et à la consommation des énergies fossiles. Le Fonds monétaire international, le FMI, a d’ailleurs considéré que le montant de ces subventions – 4 740 milliards d’euros –, qui profitent essentiellement aux pays riches, dépasse celui de l’ensemble des dépenses liées à la santé publique de tous les pays du monde. Il s’agit là de l’un des points auquel nous tenions ; il a été intégré dans le texte de la proposition de résolution.
Les États devront également prendre l’engagement clair de renoncer à l’exploitation des énergies fossiles non conventionnelles, comme le gaz obtenu par fracturation hydraulique ou les forages offshore, d’autant que, avec la fonte de la banquise, de nouvelles réserves d’énergie fossile seront disponibles. Cela nécessitera de dépasser des intérêts géopolitiques divergents pour être en cohérence avec l’objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
La proposition de résolution fait mention de « la généralisation de systèmes de définition d’un prix du carbone ». Si nous sommes d’accord sur la nécessité d’intégrer les externalités négatives dans les prix, nous disons de nouveau que l’existence d’un prix du carbone ne doit pas nécessairement conduire à mettre en place des marchés d’échange de quotas d’émission de carbone dans tous les pays, et encore moins un marché unique.
Ces marchés d’échange de droits à polluer ont jusqu’ici surtout prouvé leur inefficacité. Prix du carbone ne veut pas forcément dire marché du carbone. Sinon, cela reviendrait à dire que seul ce qui est marchand a de la valeur : nous ne pouvons nous y résoudre et nous le refuserons toujours !
La même logique marchande sous-tend d’ailleurs les programmes de réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts, dits programmes « REDD » et « REDD + », de l’ONU. Ils instaurent des crédits carbone pour les entreprises en échange d’une politique de reforestation. Dans ce système, peu importe qu’il s’agisse de palmiers ou de sapins plantés en lieu et place de forêts riches en biodiversité…
L’eau, la terre, l’air constituent au contraire un patrimoine commun inaliénable. Il est donc urgent de sanctuariser les biens communs de cette planète.
Un défi s’impose aujourd’hui aux États : trouver des alternatives aux énergies fossiles. Dans cette perspective, l’effort de recherche doit être regardé comme indispensable et pris en compte dans les budgets des États. C’est en redonnant des moyens importants à la recherche que l’on pourra espérer faire sauter des verrous technologiques et changer de paradigme.
Pour autant, la mobilisation des financements constitue aujourd’hui le principal enjeu de la COP 21.
D’une part, la réussite de cette entreprise dépendra de la capacité des États à changer d’échelle dans la mobilisation des moyens financiers. Nous sommes loin des 100 milliards de dollars nécessaires d’ici à 2020 pour respecter les engagements pris à Copenhague. Pourtant, les sources de financement existent : je pense à la taxation des transactions financières, à la lutte contre l’optimisation fiscale ou la fraude fiscale, qui font perdre des milliards d’euros de recettes aux États, pour la simple raison que des entreprises ou des personnes ont décidé qu’ils ne respecteraient pas les règles du jeu de la société. Il convient donc de changer d’échelle.
D’autre part, les pays les plus riches doivent augmenter la part des financements destinés aux politiques d’adaptation des pays les plus vulnérables. L’atténuation et l’adaptation sont complémentaires : il faut les rééquilibrer. Or, aujourd’hui, 91 % des fonds verts profitent d’abord aux politiques d’atténuation.
Enfin, et c’est un point crucial, le dérèglement climatique renforce les inégalités et la pauvreté. Ce sont deux fléaux contre lesquels nous devons lutter de front. Selon un rapport de la Banque mondiale publié la semaine dernière, 100 millions de personnes pourraient basculer dans l’extrême pauvreté dans les quinze prochaines années si aucune action n’est entreprise pour freiner le changement climatique. Les effets seraient particulièrement forts sur le continent africain, où le dérèglement climatique pourrait entraîner une flambée des prix alimentaires. L’Asie du Sud-Est serait, elle aussi, en première ligne.
La planète a des ressources limitées : il faut donc se poser la question du partage de ces ressources et, d’une manière plus générale, du partage des richesses produites.
La proposition de résolution soutient le principe d’une responsabilité partagée mais différenciée. Les pays les plus riches doivent aider les pays les plus vulnérables. L’accès à l’énergie pour tous les peuples est à ce titre primordial, parce que c’est un facteur de développement humain.
Les économies des pays développés ont surexploité les ressources au détriment de la planète et des hommes. Elles ont donc la responsabilité de réparer en tenant compte des risques et des vulnérabilités et en assurant l’accès des populations à l’eau, à l’alimentation et à la terre. Cela passe par la mise en œuvre de systèmes alimentaires résilients et durables.
La proposition de résolution appelle à la mise en place d’un nouveau modèle de développement respectueux de la planète. Pour notre part, nous pensons que ce nouveau modèle, que nous appelons de nos vœux, est incompatible avec le modèle capitaliste et les politiques d’austérité. Mettre en œuvre une politique climatique sérieuse, c’est rompre avec les deux.
En effet, nous considérons - et nous ne sommes pas les seuls à le dire - que le capitalisme, qui exploite les ressources et les hommes pour la satisfaction des 1 % des humains les plus fortunés de la planète, est la cause de tous les dérèglements constatés, notamment du dérèglement climatique. Ceux qui forment ce 1 % de la population mondiale agissent comme des « super-prédateurs », en dehors de toute règle.
Aujourd’hui, l’austérité s’attaque à tout ce qui favorise le bien-être humain, la santé, l’art, la culture, l’éducation. Rappelons-nous que la politique ne devrait avoir qu’un seul objectif : le bien commun des peuples ; aucun autre objectif ne peut lui être supérieur.
Cette proposition de résolution a été cosignée par tous ceux qui ont participé à sa rédaction. Il faut saluer ici le travail de Jérôme Bignon, président du groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l’environnement, qui a eu à cœur, à ce titre, de rechercher le consensus.
Ce texte affirme des exigences fortes concernant l’accord à venir. Il se fonde sur des considérants qui mettent en lumière l’importance accordée à la préservation de la planète, en rappelant des combats fondamentaux comme la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes ; Chantal Jouanno a parfaitement exprimé ce qu’il fallait dire sur ce sujet.
La COP 21 n’est qu’une étape, mais c’est une étape cruciale ! Oui, l’humanité est aujourd'hui confrontée à un formidable défi. C’est pourquoi nous devons nous engager dès maintenant et devenir des bâtisseurs d’avenir. Dans cet esprit, nous voterons en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)