Mme Pascale Gruny. Pourquoi donc faire payer aux autres les erreurs d’une minorité ? Madame la ministre, je ne tolérerai jamais le message négatif que vous véhiculez concernant les entreprises françaises.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Pascale Gruny. En tant qu’élue de terrain, et étant par ailleurs issue du monde de l’entreprise, permettez-moi de vous dire combien les faits que vous décrivez sont loin de la réalité.
Permettez-moi également de m’interroger sur votre degré de connaissance de ce qu’est le quotidien d’une entreprise. (Mme la garde des sceaux s’exclame.) En introduisant une procédure d’action de groupe en cas de discrimination, vous ouvrez la porte à une multiplication des contentieux à l’encontre des entreprises. Était-ce vraiment nécessaire ?
En proposant ce texte, vous nourrissez le climat malsain de méfiance à l’égard des entreprises. J’attire donc votre attention sur cet enjeu, madame la ministre, car vous n’êtes pas sans savoir que le maillage juridique civil et pénal est suffisamment dense pour répondre aux attentes des victimes.
Que dire, par ailleurs, d’une éventuelle rétroactivité de cette mesure, qui permettrait de sanctionner des manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi ? Madame la garde des sceaux, vous auriez souhaité affaiblir la position des entreprises françaises et porter à leur paroxysme l’exaspération de nos entrepreneurs, vous n’auriez pas mieux fait ! (M. Alain Richard s’exclame.)
Alors que les entreprises françaises ne cessent de dire qu’elles ont besoin de façon urgente de sécurité juridique dans un contexte d’inflation normative, vous les contraignez encore et encore. Je le regrette d’autant plus que le socle commun viendra s’ajouter aux régimes spécifiques déjà réservés à certains domaines. Quelle lisibilité juridique aura ce texte si les normes générales et particulières se superposent ?
Pour toutes ces raisons, j’appelle à la plus grande vigilance. Les entreprises, créatrices de richesses et d’emplois, ont besoin de sécurité pour prospérer, et la sécurité juridique en fait bien évidemment partie. Aux pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour faciliter leur épanouissement dans un marché mondial extrêmement concurrentiel. C’est à cette seule condition que la santé économique de notre pays connaîtra une véritable embellie.
Voilà pourquoi, madame la ministre, les réparations résultant d’une action de groupe doivent viser les seuls préjudices nés postérieurement à la demande faite à l’employeur et exclure les préjudices moraux.
Enfin, laissez jouer le dialogue social dans l’entreprise. Les organisations syndicales connaissent mieux l’entreprise que n’importe quelle association.
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, ce sont ces réponses qu’attendent les Français. Toute autre démarche appliquée à l’action de groupe ne serait qu’un leurre et l’idée même d’un socle commun serait un énième coup porté aux entreprises. Les inquiétudes des entrepreneurs sont grandes et elles sont justifiées tant cette perspective semble inconciliable avec l’impératif d’un encadrement strict de l’action de groupe, pourtant réclamé par les professionnels.
Madame la ministre, vous jetez les entreprises en pâture aux actions de groupe pour caresser comme il convient votre aile gauche. De grâce, pensez aux entreprises qui ne pourront faire face à ces actions menées sans réflexion. Il y va de l’avenir de milliers d’emplois. Épargnez cela aux entreprises françaises ! Ne les sacrifiez pas sur l’autel de la démagogie et de l’idéologie ! Faites preuve de cohérence et, comme le Premier ministre, dites « Oui » à l’entreprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà une intervention très équilibrée ! Un chef d’œuvre dans la recherche de l’équilibre !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, deux textes sont soumis aujourd'hui à notre assemblée en première lecture : un projet de loi organique relatif aux magistrats et le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, textes qui s’inscrivent dans une réforme globale, que vous avez souhaité mener dans la concertation et qui comportera par la suite un important volet réglementaire inspiré des mêmes fins.
Vous répondez ainsi à la fois au besoin de justice de nos concitoyens, qui est fort, et aux besoins de la justice, qui sont grands.
Vous avez rappelé les moyens nouveaux que vous avez octroyés, les besoins existants et comment, avec les moyens dont elle dispose, la justice parviendra à répondre à ce besoin de justice.
Vous essayez de répondre au besoin de justice de nos concitoyens d’abord en renforçant la politique d’accès au droit. En réponse à l’un des orateurs précédents, je dirai que l’accès au droit, ce n’est pas seulement l’accès à la justice, c’est d’abord la connaissance du droit. De ce point de vue, on peut regretter que l’enseignement du droit, au titre de la culture générale, ne soit pas davantage inscrit dans les programmes de l’éducation nationale. Ce serait tout de même très utile à l’ensemble de nos concitoyens.
Pour répondre au besoin de justice, vous proposez également de faciliter l’accès à la justice en tant que service – service ou service public, nous aurons ce débat.
La justice est un service important dans notre société, qui se distingue des autres et qui est nécessaire.
Ce service nouveau, vous l’inscrivez dans la justice du XXIe siècle, un siècle qui, mes chers collègues, sera celui du numérique. Sous l’effet du numérique, la justice va se transformer et le portail internet Portalis apportera son lot de nouveautés. Permettre à un justiciable de s’adresser au tribunal le plus proche de son domicile pour obtenir des renseignements sur une procédure qui se déroule ailleurs, par exemple sur une action de groupe susceptible de le concerner ailleurs en France, est à la fois innovant, intéressant et important.
La justice du XXIe siècle vivra donc avec son temps, ce qui n’a pas toujours été évident pour elle, tant elle semble parfois plus lente que d’autres dans ses délibérations.
La justice, pour le justiciable, c’est aussi la solution pour résoudre un conflit, mais uniquement la solution ultime.
Ne peut-on pas envisager dans notre société d’autres solutions que le recours au juge, compte tenu de la lourdeur et du coût de la procédure ? C’est ce que vous préconisez en rendant la conciliation obligatoire pour les petits litiges de moins de 4 000 euros, madame la ministre. Il est vrai que, pour les conflits de voisinage ou de proximité, une solution rapide et consensuelle est plus efficace qu’un long procès.
Vous proposez également d’avoir le plus possible recours à la médiation, en permettant au juge de l’imposer aux parties. Certaines professions pourraient ainsi évoluer dans le sens de cette médiation, je pense notamment aux avocats, ce qui est intéressant.
Vous proposez enfin une procédure participative, forme de médiation conduisant les parties à convenir de ne saisir le juge que du point essentiel sur lequel elles requièrent son arbitrage et non de l’ensemble du contentieux.
Il appartiendra aux acteurs de la justice, aux auxiliaires de justice que sont les avocats, de construire cette procédure participative pour répondre le mieux possible aux intérêts de leurs clients. C’est ainsi que l’on pourra mieux répondre aux besoins de justice.
Mais il faut aussi répondre aux besoins de la justice pour apporter toutes ces réponses.
Vous proposez une organisation plus cohérente : des juridictions de proximité, la constitution de pôles au sein des tribunaux de grande instance, notamment avec le regroupement du TASS et du TCI.
Vous proposerez dans les décrets – il est important de le souligner – que les tribunaux travaillent à un projet de juridiction avec un conseil de juridiction qui associe les partenaires, ce qui permettra que la justice sorte de ses murs pour mieux comprendre la société.
Enfin, vous proposez, ce qui est aussi une façon de soulager la justice, l’action de groupe.
Je m’empresse de préciser à l’intention de Mme Gruny que l’action de groupe n’est pas dirigée contre l’entreprise.
Mme Pascale Gruny. Allez l’expliquer aux chefs d’entreprise !
M. Jacques Bigot. Elle vise simplement à éviter à la justice d’être confrontée à une série de procédures différentes en des lieux différents pour un problème commun, et ce en permettant un regroupement.
J’étais très content d’entendre précédemment l’une de vos collègues dire qu’elle était très favorable à l’action de groupe. Je me souviens – c’était il y a vingt-cinq ans - quand j’étais président d’une association de consommateurs et militant très engagé dans ce domaine, des arguments qui étaient opposés pour refuser l’action de groupe, notamment le risque d’un développement des contentieux. Or l’action de groupe, depuis qu’elle existe dans le domaine de la consommation, n’a pas entraîné une telle augmentation.
En revanche, il est important de gérer ce contentieux de manière claire. À cet égard, le choix d’avoir une action socle – je partage le point de vue qui a été exprimé – me paraît judicieux : il devrait être renforcé et commun à l’ensemble des procédures. Toutefois, l’action de groupe en matière de santé n’étant pas encore complètement aboutie, il nous sera difficile, au cours du débat, de trouver les moyens d’en faire une action socle.
Il importe en outre de limiter, pour l’instant, les actions de groupe à des situations très précises, et non de les généraliser, comme cela se pratique dans d’autres pays, notamment les États-Unis avec la class action qui est ouverte à des cabinets d’avocats et qui, je peux l’affirmer, constitue pour les entreprises une difficulté bien plus importante que celle que vous avez soulevée, madame Gruny. Pourtant, les États-Unis sont souvent pour vous un modèle économique…
Il convient également de définir les domaines dans lesquels l’action de groupe peut être importante. Or il nous apparaît, madame la garde des sceaux, qu’il y a là un manque. Si l’action de groupe est bien assurée en matière de consommation et de discrimination au travail, elle fait défaut en matière environnementale.
Je pense à un comportement entraînant une pollution, qui, sans être nécessairement sanctionné pénalement, peut créer un préjudice à un nombre important de personnes qu’il vaut mieux pouvoir regrouper. Une action de groupe dans ce domaine, au même titre que celle qui existe dans le domaine de la consommation, paraîtrait justifiée et compléterait utilement le texte. C’est d'ailleurs ce que nous vous proposerons dans un amendement.
Nous croyons en effet que l’action de groupe est une solution, y compris pour parvenir à une conciliation. Pour celui qui sera responsable et pour l’assureur de ce dernier – car c’est souvent lui qui est concerné –, il sera plus simple d’avoir un prétoire où, le cas échéant, on dira s’il y a préjudice, imputabilité et indemnisation possible. Si, avant que l’action ne soit introduite, on parvient à un accord, à une solution amiable, la justice sera renforcée parce qu’elle aura moins de travail, et le justiciable sera satisfait parce qu’il aura obtenu justice.
La justice nous appartient à tous. Elle est essentielle dans notre société.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir pensé que l’intitulé du projet de loi devait viser l’action de groupe. C’est dire l’importance que vous y attachez, et je m’en réjouis. Pour moi, cela va bien au-delà : c’est un texte nouveau sur une façon nouvelle d’envisager la justice. À cet égard, ce que nous ont dit les personnes que vous avez interrogées sur l’office de justice me paraît fondamental. L’office de justice, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est redonner du sens à ce pouvoir judiciaire auquel, nous, législateurs, croyons et devons croire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, tout ayant déjà été longuement dit sur l’action de groupe et à l’organisation judiciaire dans le cadre de l’examen de ce projet de loi et de ce projet de loi organique, je m’exprimerai aujourd’hui en qualité de rapporteur des projets de loi ratifiant les ordonnances du 12 mars 2014 et du 26 septembre 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.
Le droit des entreprises en difficulté est une matière austère et technique, mais fondamentale pour notre économie.
Un droit des entreprises en difficulté efficace, ce sont des entreprises et des emplois sauvés.
Je souhaite ici, devant vous tous, rendre hommage à notre ancien collègue Jean Jacques Hyest.
Il a été l’auteur de plusieurs rapports sur le sujet et rapporteur de plusieurs textes au Sénat depuis le début des années deux mille, en particulier la loi du 26 juillet 2005, qui a créé la procédure de sauvegarde à côté du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire.
Notre ancien collègue a aussi été, plus récemment, à l’origine de la création de la sauvegarde financière accélérée, la SFA, en 2010.
Jean-Jacques Hyest avait commencé les travaux en qualité de rapporteur sur ces projets de loi de ratification des deux ordonnances de 2014 et, après sa nomination au Conseil constitutionnel, il m’est revenu l’honneur de lui succéder, avec modestie et humilité. Ce sont donc la plupart de ses conclusions et de ses propositions que j’ai préconisées à la commission des lois.
Je ne m’étendrai pas sur les évolutions récentes de cette branche du droit des entreprises et sur ses grands principes, que les ordonnances ne remettent pas en cause.
Je soulignerai toutefois qu’alors que, dans ce domaine, il y avait autrefois une grande loi par décennie, nous constatons une accélération des réformes depuis 2005, sans doute en raison du contexte de crise économique.
Qu’apportent ces deux ordonnances ?
Elles se situent dans le prolongement des réformes précédentes, depuis la grande réforme conduite par Robert Badinter en 1984 et 1985, qui avait posé de nouveaux et bons principes.
Ainsi, ces ordonnances visent à rendre les procédures de prévention plus attractives pour les entreprises, notamment la conciliation, pour inciter bien sûr les entreprises à solliciter le tribunal le plus tôt possible en cas de difficulté économique, de préférence aux procédures curatives que sont les procédures collectives : sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires.
Ces ordonnances développent les ponts entre prévention et procédures collectives, dans la continuité de la sauvegarde financière accélérée.
Elles améliorent le fonctionnement des procédures judiciaires, comme toute réforme, pour la sauvegarde, le redressement et la liquidation.
Elles rééquilibrent les procédures en faveur des créanciers, en les incitant à trouver un accord avec le débiteur en conciliation et en leur ouvrant la possibilité de présenter un plan alternatif en sauvegarde ou en redressement judiciaire.
Elles renforcent le rôle du parquet, garant de l’ordre public économique, pour contrôler le bon déroulement des procédures et les droits de toutes les personnes intéressées.
Enfin, elles tendent à mieux garantir l’impartialité du tribunal et tirent les conséquences de certaines questions prioritaires de constitutionnalité dans ce domaine.
Deux nouvelles procédures sont créées : la sauvegarde accélérée, qui systématise les principes de la SFA, et le rétablissement professionnel, procédure simplifiée destinée aux petits entrepreneurs sans salarié ni actif, sans tous les effets de la liquidation judiciaire, pour permettre plus facilement le « rebond » en cas de difficulté économique.
Les ordonnances apportent également de nombreuses modifications ponctuelles, pour préciser, clarifier ou corriger certaines dispositions.
D’un point de vue statistique, sur 69 000 procédures ouvertes en 2013 au titre du livre VI du code de commerce, on compte 2 500 mandats ad hoc et conciliations, 1 500 sauvegardes, 16 000 redressements judiciaires et presque 40 000 liquidations judiciaires.
La réalité de ces procédures, c’est donc d’abord la liquidation.
Pour autant, le volume d’emplois n’est pas réparti de la même manière et de nombreux emplois sont sauvés grâce à ces procédures, en particulier en prévention et en sauvegarde.
La plupart des liquidations sont sans salarié, ce qui justifie la nouvelle procédure de rétablissement professionnel, encore très peu utilisée, sans doute en raison d’incompréhensions sur ses conditions d’ouverture. C’est d’ailleurs l’objet d’un des amendements que j’ai présentés et que la commission des lois a adoptés et intégrés dans le texte qu’elle soumet aujourd'hui à l’examen du Sénat.
Ces dernières années, le droit des entreprises en difficulté tend de plus en plus à devenir une « boîte à outils », pour gérer au cas par cas des dossiers de grandes entreprises. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit toujours souhaitable, même s’il faut évidemment concilier approche économique et approche juridique en la matière. Il en résulte, en effet, une complexité croissante, en particulier pour les petites entreprises, qui hésitent déjà beaucoup à s’adresser au tribunal et que la complexité rebute beaucoup, même si elle ne les concerne pas directement.
Je n’entre pas davantage dans le détail des ordonnances ; je vous renvoie au rapport que j’ai présenté sur les projets de loi de ratification il y a quinze jours, où elles sont exposées de façon précise et complète.
En dehors de dispositions ponctuelles, qui ont été intégrées au présent texte par l’amendement que j’ai proposé la semaine dernière, ces ordonnances ont été largement approuvées par les acteurs concernés et ont été mises en œuvre de façon apparemment satisfaisante dans les tribunaux de commerce, depuis juillet 2014.
Pour mémoire, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances d’août 2015 a apporté sa contribution à la réforme du droit des entreprises en difficulté, avec le mécanisme de « cession forcée » que le Gouvernement n’avait pas osé instaurer dans les ordonnances, et avec le regroupement devant le même tribunal des procédures concernant les sociétés d’un même groupe : cette initiative de François Pillet, que je salue, est à porter au crédit du Sénat ; elle est attendue depuis longtemps par les praticiens.
C’est une démarche vertueuse, voulue par la commission des lois, que d’examiner le contenu d’ordonnances importantes, en vue de les ratifier de façon éclairée, avec recul et analyse critique.
Il s’agit de réaliser sur les dispositions de ces ordonnances un travail d’analyse approfondi, comme sur un projet de loi, en tenant compte évidemment du fait que les ordonnances sont en vigueur.
Puisque nous avons accepté de déléguer notre pouvoir législatif dans cette matière, par la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, sur le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, il nous appartient de contrôler l’usage fait de cette délégation.
Je rappelle que ces deux ordonnances comportent au total 131 articles ; ce n’est donc pas au moment où nous devrons procéder aux ratifications que nous pourrons faire ce travail de fond.
La même question se posera sans doute, madame la ministre, pour l’ordonnance réformant le droit des contrats et des obligations, à laquelle le Sénat était résolument opposé...
Au terme des travaux conduits de concert avec Jean-Jacques Hyest, j’ai soumis il y a quinze jours à l’approbation de la commission des lois 25 amendements, qu’il a directement inspirés afin de compléter les deux projets de loi de ratification et que la commission a adoptés.
Ces amendements concernaient soit des dispositions issues des ordonnances, pour la plupart, soit des dispositions directement connexes, dans certains cas.
Ces 25 amendements ont été réunis en un seul amendement, adopté par la commission des lois la semaine dernière, qui a été intégré à l’article 50 de ce projet de loi. Cet article modifie des dispositions issues de ces ordonnances ou des dispositions connexes, tout en prévoyant la ratification expresse de ces deux ordonnances, conformément à l’article 38 de la Constitution.
Je terminerai en citant les principales modifications intégrées au texte de la commission par cet amendement.
Il s’agit d’abord de la clarification de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes.
Il s’agit également de la suppression de la déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers de l’entrepreneur individuel autres que sa résidence principale, par cohérence avec l’insaisissabilité de droit de cette dernière, dans le cadre des procédures collectives.
Ont aussi été intégrées la clarification des règles d’information du comité d’entreprise en cas de mandat ad hoc ou de conciliation, une meilleure information du parquet pour lui permettre de contrôler la conciliation et une meilleure information du tribunal par le conciliateur en cas de prepack cession, c'est-à-dire la cession de l’entreprise préparée en conciliation.
Ces modifications concernent également la suppression du mécanisme de déclaration des créances par le débiteur pour le compte des créanciers, au profit d’une information par le mandataire des créanciers dont la liste lui a été communiquée par le débiteur.
Elles ont trait ensuite à la réduction de dix à cinq ans de la durée maximale du plan de sauvegarde.
Il faut par ailleurs souligner la clarification des conditions d’ouverture du rétablissement professionnel, notamment par la suppression de la demande simultanée de liquidation judiciaire et par le maintien du basculement possible en liquidation, à la demande du parquet, en cas de mauvaise foi.
Je citerai encore le renforcement des garanties d’impartialité du tribunal, par l’instauration d’incompatibilités complémentaires et la suppression de la mention du jugement de liquidation judiciaire au casier judiciaire
Enfin, il faut mentionner diverses simplifications, clarifications, harmonisations ou améliorations procédurales des procédures collectives, les précisions apportées au livre VI du code de commerce par l’article 50 du projet de loi étant conservées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire ma satisfaction : le Sénat est aujourd'hui dans son rôle, et même dans son bon rôle.
Dans la tradition républicaine, notre vocation, au sein du Parlement, c’est de nous manifester par moins de démonstrations partisanes et plus d’approfondissement législatif et gestionnaire. Telle a été, me semble-t-il, l’inspiration de la majorité des interventions qui ont précédé la mienne. Je remercie également les rapporteurs, qui, sur les sujets restant en débat, nous apportent des propositions de solutions me semble-t-il acceptables par une large majorité de nos collègues, disons transcourants.
Ces deux projets de loi offrent, en tout cas dans leur exposé des motifs, une vue de long terme, et il faut rendre hommage au Gouvernement, en particulier à Mme la garde des sceaux, d’avoir fait émaner cette vue de long terme d’approches croisées, amplement confrontées, qui nous apportent une réflexion de grande richesse laquelle trouvera sa traduction non seulement dans ces projets de loi, mais aussi par étapes.
Lorsque l’on a un peu d’expérience de la gestion publique, on sait que la conduite de réformes doit passer par une analyse attentive de la faisabilité réelle de ce qu’on cherche à faire. Nous avons eu quelques expériences – certaines ne sont pas très anciennes – de projets de loi additionnant, accumulant même trop d’ambitions ou de projets complémentaires, voire dispersés, et qui, pour cette raison, n’ont pas tout à fait réussi.
Selon moi, la méthode suivie est la bonne. Nous le savons, le XXIe siècle n’est pas terminé, et ne fait même que commencer, pour reprendre les propos tenus à l’instant justement par l’une de nos collègues. Cette réforme sera suivie par d’autres, mais cet ensemble marque déjà une étape importante.
Je voudrais appeler à ce que nous gardions à l’esprit la perspective majeure, qui est de permettre à toutes nos juridictions de statuer effectivement dans l’équité sur les litiges de droit de toute nature, en conciliant la lettre de la loi, les principes supérieurs de notre droit, notamment ceux qui sont maintenant d’essence internationale, et le mouvement de la société, et ce face à une réalité, sur laquelle je vais insister à l’instant et qui a été peu évoquée, à savoir l’accumulation, pour ne pas dire l’empilement, de demandes de toutes sortes, de procès et de procédures. Cela nous pose un problème quantitatif, un problème de massification, qu’il faut regarder en face.
Je souhaite à cet égard évoquer un instant, en me fondant sur l’exigence d’effectivité, la relation entre la justice et le temps.
D’abord, je souligne que le temps de nos juridictions et de ceux qui les servent est rare et, donc, précieux, quels que soient les effectifs que nous arriverions à y affecter. Si l’on ne fait pas l’effort d’employer ce temps juridictionnel de façon judicieuse, à l’instar de ce qui se passe dans toute organisation, le déroulement de l’action de la justice est perturbé par le fait que les urgences s’accumulent et se contredisent : il y a des contre-priorités, des affaires traitées plus hâtivement que d’autres qui sont simplement au-dessous de la pile, et des différences non justifiées entre les solutions adoptées par des juridictions différentes.
L’évolution positive portée par ce projet de loi constitue, pour les juridictions, un véritable mouvement culturel : il s’agit de développer en leur sein un véritable dialogue de gestion, même si on a appelé cela « projet ». Pour ma part, je préfère être plus concret, plus matérialiste. C’est à mes yeux un levier important pour une justice de qualité. Penser que la justice n’a pas à être gérée, c’est simplement refuser la réalité !
Je formulerai une autre réflexion relative au temps judiciaire. Dans bien des procédures, il existe une grande variété de moyens pour retarder le temps de la décision. Et il arrive bien souvent qu’une des parties y ait intérêt et mobilise à cette fin toute son habileté.
Nous avons aujourd'hui, dans les dispositions de procédure de nos différents codes, les moyens de faire obstacle aux tactiques dilatoires. Force est de reconnaître qu’elles ne sont pas utilisées avec intensité. Il convient, me semble-t-il, d’approfondir – c’est un travail auquel nous pourrions nous livrer au cours de notre activité d’évaluation – cet aspect du retard à juger : la construction d’une stratégie de gestion du temps est favorable à une partie, défavorable aux autres et à l’ordre public. Il est donc nécessaire d’évaluer mieux l’effet de ces tactiques et de développer un débat propositionnel et pratique sur cette question.
C’est une grande injustice, pour une victime – je prends ce cas, mais on pourrait en citer mille autres –, que son préjudice ne soit reconnu qu’après de nombreuses années, simplement du fait de l’habileté de l’auteur du dommage. Notre système judiciaire devrait être capable de mieux réagir face à de telles opérations.
Car si nous ne progressons pas dans l’efficacité de la justice, celle-ci, nous le voyons déjà, sera de plus en plus contournée grâce au recours à d’autres mécanismes.
Nous connaissons tous le développement de l’arbitrage contractuel dans nombre de litiges économiques à l’international, sur des sujets relevant pourtant du droit international des affaires, qui mériteraient particulièrement d’être jugés au terme d’un véritable dialogue de juges. Mais, du fait des lenteurs et des contradictions de la procédure, toutes les parties trouvent intérêt à contourner la justice.
Toutefois, dans d’autres domaines aussi, la transaction opérée par des professionnels du droit se développe notablement. L’égalité entre les parties est-elle pour autant toujours respectée ? Il faut au moins se poser la question. Pour ma part, j’exprime un doute.
Permettez-moi de prendre un cas typique, auquel nous nous sommes complètement habitués : le succès fulgurant de la rupture conventionnelle en matière de droit du travail, qui n’est rien d’autre, en réalité, qu’une façon de contourner la justice.
Face aux tensions qui pèsent sur nos juridictions, nous allons soutenir le développement de modes alternatifs de règlement des litiges, et une telle évolution est la bienvenue. Il existe cependant, ne nous le dissimulons pas, quelques risques à suivre cette voie. Je pense notamment à la capacité de traitement des affaires de certains conciliateurs ou juges de proximité, surtout au regard de la complexité des dossiers, car une petite affaire peut être complexe. Au demeurant, c’est un système que nous ferons évoluer.
De ce point de vue, le texte me semble bien rédigé et la règle proposée, bien ajustée quant au risque d’une prolongation des délais de jugement. Si l’opération de conciliation, vouée à l’échec dans certains cas, traînait trop, on prendrait évidemment le risque d’un déni de justice.
Je ne veux pas être long sur la question de la déjudiciarisation. Néanmoins, l’exemple pris par certains collègues mérite un débat plus approfondi, et je remercie la commission d’avoir organisé la discussion de manière que nous puissions évoquer ensemble ce point en séance plénière.
Très franchement, si l’on ne veut pas se cantonner dans des formalismes ou des apparences, on peut dire que la conduite sans permis, pour prendre ce cas concret, n’est pas efficacement réprimée aujourd'hui. Un passage par le tribunal de police permettrait d’obtenir un meilleur résultat. Je vous le rappelle, mes chers collègues, ce tribunal est une véritable juridiction, qui permet de garantir l’ensemble des droits de la défense, avec un droit de recours qui peut s’exercer jusqu’en cassation.
J’évoquerai enfin l’éthique des magistrats de l’ordre judiciaire, qui est abordée dans le projet de loi organique. Nous n’avons pas de bonnes raisons de nous opposer aux nouvelles dispositions proposées en la matière, bien qu’elles constituent à mon avis une concession à l’air du temps et à une espèce de croyance archaïque dans les apparences, qu’il s’agisse de l’éthique ou de l’indépendance, croyance qui revient régulièrement à la mode. Mais, allons, si ces déclarations ne font pas de bien, elles ne peuvent pas faire de mal !
Il reste tout de même, madame la garde des sceaux, à parfaire cet édifice par une réforme constitutionnelle, qui ne pourra être adoptée, je me permets de le rappeler, qu’à condition que la principale formation de l’opposition exprime avec netteté sa volonté de l’appuyer au moment où elle sera susceptible d’être soumise au Congrès. Sinon, tout cela ne serait que théâtre d’ombres !
Je voudrais terminer mon propos en affirmant, à cette tribune, parce que je ne crois pas l’avoir beaucoup entendu, que nos magistrats, individuellement et collectivement, justifient la confiance et le respect de nos concitoyens par leur éthique et par leur implication professionnelle.
Je souhaite en particulier que nous soyons conscients de la place qu’ils prennent dans de multiples instances internationales, où ils sont choisis par d’autres, ce qui est la meilleure preuve de leur autorité morale et juridique. Nos magistrats incarnent une tradition séculaire de la justice française, dont nous pourrons encore, demain, être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)