Mme Catherine Troendlé.Quelle surenchère ? Elle a été déposée le 12 mai !
Mme Éliane Assassi. Dans le même temps, en effet, le Gouvernement a annoncé son intention de soumettre prochainement au Parlement un projet de loi, en cours d’examen par le Conseil d’État, et a adressé aux recteurs et aux procureurs le 16 septembre dernier une circulaire visant à mettre en place des personnels référents afin de faciliter la communication entre les deux institutions.
L’effervescence et la confusion autour de ce sujet traduisent une émotion certaine. Il en va de même de la – surprenante – demande d’engagement de procédure accélérée, que le président Larcher a soumise hier au Premier ministre. Elle a été rejetée, et à raison : le Parlement se serait sabordé en se privant lui-même d’une deuxième lecture. Je garde à l’esprit les propos du président Larcher concernant ladite procédure accélérée et le combat farouche qu’il mène pour la défense du bicamérisme !
Face à une problématique de la gravité de celle qui nous occupe aujourd’hui, il nous paraît essentiel de réfléchir calmement aux dispositions qu’il est effectivement nécessaire de mettre en œuvre. Elles sont, à nos yeux, d’abord d’ordre réglementaire. Il revient au Gouvernement de s’emparer des neuf recommandations, de nature technique et organisationnelle, qu’ont formulées les inspections générales concernées.
Notre groupe mesure, comme tous ici, l’importance de ce sujet. Si nous ne sommes pas opposés au texte issu des travaux de la commission, dont les objectifs et les dispositions nous semblent aller dans le bon sens, nos interrogations concernant les moyens comme le caractère opportun de légiférer, ainsi, dans l’émotion, nous empêchent d’y être pleinement favorables. Les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen privilégieront donc la prudence en s’abstenant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chère collègue auteur de cette proposition de loi signée par une grande partie du groupe Les Républicains, nul, dans cette enceinte, ne peut songer à la protection des mineurs contre les délinquants sexuels sans considérer qu’il reste des améliorations à apporter à notre dispositif. Nous connaissons les faits qui se sont produits en Isère et en Ille-et-Vilaine. Sans doute ne savons-nous pas ce qui pourrait se produire ailleurs, parce que les informations n’ont pas été communiquées entre les administrations.
Ces situations apparaissent intolérables et justifient que nous nous interrogions : faut-il légiférer ? Quel arsenal juridique et administratif permettrait de les éviter ? Où faut-il agir ?
Les faits délictueux commis par le directeur de l’école primaire arrêté en Isère – des visionnages de films pédopornographiques – datent de 2006 et ils ont été sanctionnés. Cette peine, prononcée dès 2006, permettait parfaitement à l’administration dont il était fonctionnaire d’envisager des poursuites disciplinaires et des sanctions qui pouvaient aller jusqu’à la radiation.
M. Alain Gournac. Mais rien n’a été fait !
M. Jacques Bigot. Le système aurait ainsi pu fonctionner parfaitement, sans que le législateur ait besoin d’intervenir. Pourtant, il a manqué la communication de l’information. La difficulté est là !
Il nous faut essayer de répondre au problème en opérant des mises en relation entre l’éducation nationale et la justice, particulièrement les parquets. Ce n’est pas simple : nous connaissons bien le cloisonnement de nos administrations d’État dans les territoires. Ceux qui travaillent à cette échelle savent que, malheureusement, il revient parfois aux élus locaux de mettre en lien les administrations de l’État !
M. Hubert Falco. Eh oui, hélas !
M. Jacques Bigot. Les peines complémentaires que vous proposez, ma chère collègue, auraient-elles été de nature à éviter les faits ? Nous en débattrons.
L’article 3 de votre proposition de loi ne suffit pas à répondre à une situation comme celle de 2006. Il conduit seulement à faire peser sur les parquets une obligation qui n’existe pas aujourd’hui juridiquement. Mais à quoi répondrions-nous alors ? Le cas échéant, les parents de l’enfant victime auraient ainsi la possibilité de saisir aujourd’hui le ministère de la justice et de demander réparation du préjudice en raison d’un manquement dans le service public. Je ne suis pas certain que tel soit notre objectif ici.
Madame Troendlé, vous avez sans doute pris connaissance de la circulaire du 16 septembre dernier de Mmes les ministres de la justice et de l’éducation nationale, instituant des référents « éducation nationale » dans les parquets et des référents « justice » dans les rectorats, afin de favoriser la fluidité de l’information. Il nous semble que cette mesure est utile pour l’administration, puisqu’il s’agit de mettre fin au cloisonnement dont elle souffre en permettant aux gens de se parler.
Dans cette circulaire sont détaillés les informations susceptibles d’être échangées et les moments où ces échanges doivent intervenir. Le texte va très loin : les référents « justice », désignés par le recteur, « seront toujours informés des décisions de condamnation ». « S’agissant de l’information en cours de procédure, et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le secret de l’enquête et de l’instruction n’est pas opposable au ministère public qui, dans l’exercice des missions que la loi lui attribue, peut apprécier l’opportunité de communiquer à un tiers des informations issues d’une procédure en cours ».
Plus loin, il est précisé que « conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 11 du code de procédure pénale, les informations transmises au stade des poursuites doivent être fondées sur des éléments objectifs ».
Quelle hypothèse préside à ces dispositions ? Le paradoxe de notre société est le suivant : quelqu’un peut être mis en garde à vue à six heures du matin, toute la presse le sait, mais le procureur de la République, lui, n’est pas censé communiquer. Faut-il une fuite dans la presse pour que l’éducation nationale sache, ou est-il possible d’organiser les choses autrement ? La réponse est complexe.
Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé qu’il nous revient également, dans cette enceinte, de protéger le principe de la présomption d’innocence. C’est la ligne de crête que vous évoquiez, madame la ministre. Elle est extrêmement étroite. C’est là le véritable sujet.
L’arrêt de la Cour de cassation visé dans la circulaire est-il suffisant ? Je n’en suis pas certain, puisqu’il concernait l’hypothèse où un procureur de la République avait communiqué une information sur une procédure en cours à un juge s’agissant du même individu faisant l’objet d’une procédure pour d’autres faits.
Dans la circulaire, il s’agit d’une transmission non à un juge, mais, en dehors du prétoire, à une administration, voire à une association. Cela apparaît beaucoup plus compliqué, et pourtant Mme la ministre l’envisage !
C’est dire, chère collègue auteur du texte, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement veut aller plus loin que ce que vous préconisez et que ce que vous recherchez, par ce texte, est insuffisant. Au nom de la présomption d’innocence, vous vous refusez à aller jusque-là, vous ne voulez pas que l’information transparaisse, vous ne souhaitez pas, et on peut le comprendre, qu’un enseignant puisse être inquiété par son autorité parce qu’il a été mis en garde à vue ou parce que l’on sait qu’il a vu des films.
Mme Catherine Troendlé. Mais s’il a déjà été condamné ?
M. Jacques Bigot. En effet, soit l’on saisit le juge d’instruction, mais cela prendra du temps, soit l’on peut envisager une citation directe, voire une comparution immédiate. Dès lors qu’il est avéré que la personne a bien regardé des films pédopornographiques – c’était le cas en 2006 –, la justice peut être rapidement saisie et condamner aussi vite.
Entre-temps, il peut être simplement nécessaire de diffuser une information permettant la mise en œuvre, au besoin, de mesures de protection en interne, dans l’établissement.
Il nous semble donc important d’attendre l’analyse par le Conseil d’État du texte que Mme la ministre envisage de présenter, lequel correspond exactement aux dispositions contenues dans la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne. Malheureusement, parce que vous avez introduit un recours auprès du Conseil constitutionnel, celles-ci ont été frappées d’inconstitutionnalité.
Mme Catherine Troendlé. C’était un cavalier !
M. François Zocchetto, rapporteur. Il est heureux pour le Sénat que le Conseil constitutionnel ait censuré ce texte !
M. Jacques Bigot. Ces dispositions méritent d’être revues, et ce à l’aune des observations juridiques fondées du Conseil d’État, qui nous permettront de dessiner la ligne de crête possible. Peut-être existe-t-il une solution qui serait souhaitable tout en respectant le principe de présomption d’innocence ?
L’objectif premier de votre proposition de loi apparaît donc mieux pris en compte dans le projet de loi du Gouvernement, qui reprend la disposition censurée par le Conseil constitutionnel, que dans l’article 3 de votre texte ; sauf à considérer l’hypothèse selon laquelle un juge d’instruction aurait l’obligation de prononcer un contrôle judiciaire, de la même manière que vous souhaitez que le juge soit obligé de prononcer la peine complémentaire d’interdiction. Et là, le système ne fonctionne pas : le groupe socialiste et républicain était hostile au principe des peines planchers, mais vous en revenez à cela. Vous ne faites pas confiance aux juges, ce qui n’est pas bon dans une République. Il n’est pas bon de ne pas faire confiance aux institutions ! On peut douter du fonctionnement des uns et des autres, mais je vous rappelle, mes chers collègues, que les institutions les plus contestées aujourd’hui par nos concitoyens sont plutôt celles où sont les politiques !
Chaque fois que nous critiquons une institution, ou qu’une autre institution nous critique, c’est toute la République qui ne fonctionne pas ! Je suis convaincu que le principe de la personnalité des peines est bon et que l’on peut faire confiance aux juges, qui ne statuent pas seuls, mais à trois dans ces affaires.
Peut-être les procureurs, dans leurs réquisitions, ne sensibilisent-ils pas encore suffisamment, mais les choses s’améliorent !
Mme Catherine Troendlé. Il suffit donc d’attendre…
M. Jacques Bigot. Il y a des années, sur ces questions d’actes sexuels, il y avait peu de détermination dans nos juridictions. Aujourd’hui, tout le monde est informé.
Ce qui m’amène précisément là où je voulais en venir : monsieur le président de la commission des lois – je parle sous votre contrôle –, vous avez été l’auteur d’un texte important sur la protection de l’enfance, en 2007, inspiré, notamment, de la Convention internationale des droits de l’enfant. Aujourd’hui, le comité des droits de l’enfant de l’ONU adresse régulièrement des critiques à la France, considérant que ses politiques publiques ne prennent pas suffisamment en compte cette question et regrettant que la protection de l’enfance soit distillée un peu dans tous les textes.
Nous devons, fondamentalement, travailler sur la formation des intervenants auprès des enfants, sur leur contrôle, sur leur sensibilisation, sur la manière, aussi, dont sont communiquées certaines informations.
Entre parenthèses, il n’y a pas plus de huit jours, vous refusiez ici même l’échange d’informations entre départements sur la situation de parents et d’enfants mineurs. Un peu de cohérence !
La transmission d’informations, voilà le véritable sujet sur lequel nous devons nous pencher.
Je vous exhorte donc à ne pas vous prêter à ce petit effet de manche qui consiste, dans cet hémicycle, à voter rapidement un texte de loi pour donner le sentiment que vous cherchez à protéger les mineurs quand nous ne le souhaiterions pas.
Vous vous trompez !
Mme Catherine Troendlé. Rapidement ? Mais ce texte a été déposé en mai dernier !
M. Jacques Bigot. J’ai appris ce matin que le président du Sénat envisageait de demander au Premier ministre de déclencher la procédure accélérée ; je le cite : « Cette proposition prévoit d’interdire de manière définitive à une personne ayant été condamnée pour agression sexuelle sur mineur d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant des contacts avec des mineurs » ; elle tend à « remédier à certaines lacunes de notre législation pénale pour prévenir la récidive en matière d’agression sexuelle contre les mineurs ».
Mais le vrai problème n’est pas là !
Nous savons qu’un adulte qui regarde des vidéos pédopornographiques ou qui se livre à des actes d’exhibition sexuelle souffre vraisemblablement de déviances qui peuvent aller plus loin s’il n’est pas traité et arrêté rapidement. L’interdiction définitive n’est pas la solution, d’autant que comme l’a rappelé notre collègue, elle n’est pas possible…
M. Hubert Falco. C’est pourtant la solution !
M. Jacques Bigot. … du fait du principe de personnalité des peines. Les solutions sont à trouver dans les relations entre nos administrations, car je vous rappelle que toutes les personnes condamnées pour ces faits-là auraient pu faire l’objet de sanctions disciplinaires à condition que l’information ait été transmise.
M. Alain Gournac. Elles auraient dû faire l’objet de sanctions !
M. Jacques Bigot. Il nous faut améliorer la communication entre les administrations, et non imposer au juge de prononcer des sanctions définitives.
Mme Sophie Primas. Et on continue de laisser les pédophiles avec les enfants ! Tout va bien !
M. Jacques Bigot. Il est vrai qu’au moment où nous avons examiné le texte de la réforme pénale, la droite était favorable aux peines planchers. À l’inverse, mon groupe croit encore à la capacité des juges de juger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous sommes confrontés à de terribles drames dans les écoles, les mesures qui cherchent à protéger les mineurs et à leur offrir toutes les garanties d’une meilleure sécurité dans les établissements scolaires sont évidemment à promouvoir.
Je constate tout de même que nous devons attendre des affaires terribles pour repérer les failles de notre système. Voilà qui est révélateur de la situation dans laquelle nous nous trouvons et, malheureusement, cela vaut dans bien d’autres domaines…
Nous souscrivons pleinement à la volonté de garantir la mise à l’écart des personnes condamnées pour infraction sexuelle contre mineur d’un milieu professionnel qui les placerait au contact habituel de mineurs, ainsi qu’à celle de mieux coordonner les ministères de la justice et de l’éducation nationale, ce pour la protection des enfants et, au-delà, pour le bien même des individus dont le risque de récidive est souvent important.
Cette proposition de loi est pragmatique : automaticité de la peine complémentaire d’interdiction définitive d’activité auprès des mineurs, procédure respectueuse des droits de la défense, réalisme quant à la cohérence de l’échelle des peines.
À l’occasion d’un colloque organisé le 2 mars dernier ici même, au Sénat, l’association Mémoire traumatique et victimologie nous signalait que les violences sexuelles concernent 260 000 personnes par an, dont 81 % de mineurs. Dans 94 % de ces cas, l’agresseur fait partie du cercle proche de la victime. Nous constatons ainsi que ce phénomène implique toute notre société.
Notre travail va dans le bon sens aujourd’hui, mais il serait également intéressant de nous interroger sur les multiples causes qui doivent retenir notre attention sur cette délicate question des infractions sexuelles commises sur mineurs, et ainsi véritablement nous préoccuper du travail qui peut être fait en prévention.
J’entends par là un meilleur suivi des délinquants sexuels, qui plus est récidivistes, et un climat plus serein dans l’espace public, avec une restriction de la publicité à caractère pornographique et un élargissement des pouvoirs du maire en la matière, une interdiction de la diffusion de films de nature à perturber un public mineur, notamment.
Quand la ministre de la culture s’acharne à contester la décision du tribunal administratif de Paris interdisant aux moins de dix-huit ans de voir le film pornographique Love, quel signal donnons-nous ?
Quand nous autorisons et subventionnons des expositions de dessins représentant des scènes de pédophilie, de pédopornographie, de zoophilie, comme ce fut le cas à Marseille pour l’exposition « Vomir des yeux » – subventionnée par la région PACA socialiste –, quel signal donnons-nous ?
Dans ce domaine où notre responsabilité est grande, je nous invite à avoir une vision d’ensemble cohérente, pour le bien de nos enfants et de la société tout entière ! (M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission de lois, madame Troendlé, auteur de cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la semaine dernière, nous examinions dans cet hémicycle la proposition de loi de Michelle Meunier et de Muguette Dini sur la protection de l’enfant.
Le 22 octobre prochain, c’est la proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé de Mme Giudicelli qui sera débattue.
Aujourd’hui, nous étudions le texte de notre collègue Catherine Troendlé relatif à la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles.
Attachée à la protection de l’enfance sous tous ses aspects, je félicite nos collègues qui tentent de faire sortir ce sujet de l’angle mort des politiques publiques.
L’enfant représente l’avenir. Permettre à chaque mineur de se développer dans les meilleures conditions est déterminant tant pour la vie du futur adulte que pour notre société. Mais trop souvent l’actualité nous interpelle cruellement.
Les affaires Bastien, Marina, et celles dites de Villefontaine et d’Orgères, qui nous choquent, sont des révélateurs des points de tension, des dysfonctionnements de notre système.
Le constat a été dressé que l’organisation des relations entre l’autorité judiciaire et l’administration de l’éducation nationale était défaillante. Le cadre légal applicable est également porteur d’incertitudes juridiques pour les parquets chargés de la transmission d’informations, dès lors qu’une procédure pénale est en cours. Sur ce point, la proposition de loi prévoit une solution, et je m’en félicite.
La protection de l’enfance, c’est l’école de la rigueur, de la volonté et de l’humilité. Elle demande une attention toute particulière. C’est pourquoi j’ai cosigné la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé. Je la remercie vivement de s’être investie sur un sujet si difficile.
Cette proposition de loi apporte une réponse forte face aux crimes commis sur des enfants. C’est notre devoir à tous, parlementaires mais pas seulement, d’assurer leur protection face à des adultes ayant un comportement répréhensible.
Concernant ces affaires, je souhaite réaffirmer deux points. D’une part, nous devons adopter la plus grande fermeté face à des crimes commis sur des mineurs. Et, d’autre part, s’il faut préserver un environnement sans danger pour les enfants, il faut aussi respecter les libertés individuelles et l’ordre constitutionnel.
Nous devons donc nous doter d’un dispositif garantissant la plus grande sécurité juridique tout en instaurant un partage d’informations efficace et respectueux de la présomption d’innocence.
En Mayenne, nous avons peut-être une fibre particulière concernant la protection de l’enfant. C’est pourquoi je souhaite remercier sincèrement notre rapporteur, François Zocchetto, pour son travail de qualité sur ce texte. Ses amendements, adoptés par la commission des lois, constituent un apport indéniable pour la future mise en œuvre de cette proposition de loi et pour notre droit.
Le texte initial prévoyait, dans ses articles 1er et 2, de rendre systématique l’interdiction définitive d’exercer auprès de mineurs lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit sexuel sur mineur.
Comme l’a très justement souligné notre rapporteur, cela serait entré en contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’individualisation des peines, aux termes de laquelle le juge doit pouvoir adapter la durée et l’importance de la peine.
Dans un État de droit comme le nôtre, nous ne pouvons pas recourir à une justice expéditive, même lorsqu’il s’agit d’affaires dont les victimes sont des enfants. Le juge doit pouvoir trancher la question du caractère temporaire ou définitif de l’interdiction.
Pour autant, cette jurisprudence n’interdit pas les peines obligatoires, à condition que la juridiction puisse y déroger et que la peine soit proportionnée à son objet.
Dans la recherche d’un juste équilibre entre la protection des enfants et le respect de la présomption d’innocence, la commission des lois a modifié l’article 3 relatif à l’information des employeurs en cas de procédure pénale en cours pour des faits de pédophilie. Ainsi, le texte de la commission n’intègre, dans le champ de l’obligation d’information, que les activités placées sous le contrôle direct ou indirect de l’autorité administrative.
Nous pouvons peut-être regretter que ce champ soit ainsi restreint. Mais, selon les mots du rapporteur, il convient de faire preuve de réalisme. Si nous appliquons cette disposition, il s’agira d’une réelle avancée.
Enfin, l’article 5 prévoyait le doublement de la durée d’emprisonnement et de l’amende sanctionnant la consultation d’images ou de représentations de mineurs présentant un caractère pornographique. Je me range à l’avis de notre rapporteur concernant sa suppression.
Il est vrai que l’écart entre la peine moyenne – sept mois d’emprisonnement et 1 500 euros d’amende – et la peine maximale – deux ans et 30 000 euros – doit garder une cohérence et respecter l’échelle des peines.
En conclusion, j’exprimerai un regret dépassant le champ du texte que nous étudions.
Les propositions de loi de Mme Troendlé, de Mme Giudicelli et de Mmes Dini et Meunier constituent certes autant d’avancées. À titre personnel, je regrette pourtant qu’elles n’aient pu être réunies au sein d’une grande loi interministérielle, une loi d’excellence impliquant la justice, les affaires sociales, l’éducation nationale et même la recherche, qui aurait permis d’envisager la protection de l’enfant dans sa globalité.
Néanmoins, le groupe UDI-UC soutient le texte de la commission et le votera.
Émotion et raison sont souvent opposées. Les propos tenus par le rapporteur et par l’auteur de cette proposition de loi montrent que nous sommes parvenus à un juste équilibre entre ces deux notions qui sont bien différentes, mais qui, ici, c’est du moins ma conviction, ne s’opposent pas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame l’auteur de ce beau texte, mes chers collègues, je tiens à vous faire part de mon sentiment sur cette proposition de loi.
Les agressions contre les enfants et les personnes âgées sont certainement les plus intolérables qui soient. Nous en avons connu de multiples, et particulièrement dramatiques ces dernières années. Toutes ces agressions font l’actualité le temps d’un journal d’information et retournent vite au rang du fait divers.
Elles donnent parfois le sentiment d’une certaine banalisation, dans une société où les limites du tolérable sont de plus en plus repoussées.
Le registre de l’excuse sert trop souvent à faire passer l’inexcusable. Excuse, parce que l’agresseur a eu une enfance malheureuse ; excuse, parce que la société est violente ; excuse, parce que le prévenu a voulu reproduire ce qu’il a vu à la télévision… La liste pourrait être allongée.
Derrière ces faits, il y a des enfants, des personnes âgées, des jeunes femmes et, bien sûr, leurs familles, dont l’équilibre est irrémédiablement détruit. Jamais la société ne sera en mesure de réparer l’irréparable. Elle s’est constitué un arsenal juridique de façade, mais l’utilise mal, ou en atténue considérablement la portée.
Il est évident que, lorsqu’un individu commet un acte particulièrement grave, telle une agression sexuelle sur un enfant, il doit être lourdement condamné et mis hors d’état de nuire à nouveau. Il doit assumer pleinement son acte.
Nous savons tous que cet acte laissera des traces indélébiles et que l’enfant sera marqué à vie. Trop souvent, le coupable de ces actes sera mis en condition de pouvoir les reproduire. Dans ce cas, la société devient complice de l’acte odieux qui va de nouveau se produire.
L’objet de cette proposition de loi est de faire en sorte que notre société se montre un peu moins impuissante face à ces actes odieux, et se protège elle-même face à un certain laxisme de ses institutions.
Je remercie Catherine Troendlé de nous avoir proposé cette proposition de loi, texte auquel nous avons totalement adhéré.
Pourquoi ce texte très court et très précis qui, je l’espère, ne devrait pas trouver d’opposants ? Parce qu’il y a quelques semaines la dure réalité a de nouveau bousculé nos consciences. Nous avons une fois de plus – souhaitons que ce soit la dernière –, été placés face à l’horreur de violences sexuelles imposées à des enfants dans l’enceinte scolaire.
Chacun d’entre nous, lorsqu’il emmenait ses enfants petits à l’école, se disait qu’ils y étaient en totale sécurité et cela est heureusement le cas général. Les actes commis sont rendus plus odieux encore lorsque les parents avaient toute confiance en leurs auteurs.
Les cas qui ont déclenché le dépôt de cette proposition de loi ont révélé que les faits avaient été commis par des éducateurs aux antécédents judiciaires avérés pour des violences sexuelles ou des actes de pédophilie.
Nous pourrions, à cette occasion, évoquer le cas des récidivistes et de ceux qui, comme l’actualité récente l’a encore montré, sont facilement remis en liberté ou en permission de sortir et commettent à nouveau l’irréparable.
Jamais l’administration ne se sent coupable ou complice. Elle a la fâcheuse habitude de ne jamais s’autocensurer, et de ne jamais reconnaître que l’un de ses membres n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités. L’administration a toujours le temps avec elle. Le cas d’Outreau a démontré cette capacité à se mettre la tête dans le sable…
Permettez-moi à cet instant de témoigner d’un comportement collectif que j’ai pu observer à l’éducation nationale.
Lorsque j’étais maire et président de conseil général, l’académie a nommé un nouveau principal dans le collège de ma commune.
Cette personne était connue pour son penchant très fort pour la boisson. Je m’en suis inquiété, compte tenu de ses responsabilités particulièrement fortes vis-à-vis des jeunes et de la communauté éducative. La réponse a été : « Dans un nouvel environnement, il devrait s’éloigner de la boisson. »
Un an après, il fut élevé au grade d’officier des Palmes académiques.