M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Jacques Gautier. Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe Les Républicains, à quelques exceptions près, voteront ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, chers collègues, le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement français et le Gouvernement des États-Unis qui nous est soumis aujourd'hui répond à des considérations historiques et économiques. L’accord comporte des aspects financiers, avec une contrepartie : lever certains obstacles de nature juridique qui freinent le développement d'une grande entreprise publique.
L’objet de ce texte n'est pas de rouvrir le débat sur certains aspects de notre histoire, ni d'ailleurs de clore un chapitre de celle-ci. L’accord porte sur l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France et non couvertes par des programmes français. Il est en cohérence avec les dispositifs existants, qu'il vient compléter.
Comme cela a été rappelé, l’obstacle à l’indemnisation des survivants ou des ayants droit est principalement la condition de nationalité. Sur ce seul point, la jurisprudence a connu une évolution récente tendant à l’ouverture du droit à réversion pour les ayants droit de nationalité étrangère lorsque l’ouvrant droit était pensionné et remplissait donc nécessairement lui-même la condition de nationalité requise. Cela a fait naître un risque contentieux outre-Atlantique.
Aussi, à partir des années 2000, des déportés survivants, non couverts par le régime en vigueur en France, ont tenté d’obtenir des réparations devant les juridictions américaines. Devant les obstacles juridiques liés à l’immunité reconnue aux États étrangers et à leurs démembrements, des tentatives ont été menées pour faire évoluer la législation américaine et lever ces obstacles.
Les personnes concernées par cet accord sont en effet –vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État – exclues du régime de pensions d’invalidité et ne relèvent pas davantage de divers accords que nous avons conclus avec différents pays européens par le passé.
Rappelons ainsi que, sur la recommandation formulée, en 1999, par la mission Mattéoli, notre pays a mis en place une commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations. En 2000, un régime d’indemnisation a été institué, portant réparation pour les orphelins. Par ailleurs, il convient de noter que, en 2001, Français et Américains ont signé, à Washington, un accord relatif à l’indemnisation de certaines spoliations.
Conclu à notre initiative, l’accord que nous examinons aujourd'hui donne un sens supplémentaire aux engagements de notre pays. En outre, il vise à protéger certaines entreprises contre tout différend lié à la déportation.
En effet, la SNCF encourt bien un risque juridique lié aux recours émanant de particuliers. Vous n’êtes pas sans savoir que la SNCF a, depuis les années 2000, maille à partir avec la justice américaine. Ainsi, en 2000, un recours à son encontre a été introduit devant un tribunal de New York par des survivants et des ayants droit, pour complicité de crime contre l’humanité. Il lui était reproché d’avoir collaboré à la déportation des Juifs de France et d’en avoir tiré bénéfice. L’entreprise fut condamnée en première instance, mais, en appel, le bénéfice de l’immunité de juridiction lui a été reconnu.
Plus récemment, en 2006, un nouveau recours a été introduit, toujours contre la SNCF, mais aussi contre la Caisse des dépôts et consignations et contre l’État, sur un grief pour lequel l’immunité de juridiction n’est pas opposable – en l’occurrence, la spoliation. Ce recours a été introduit à New York. Les mêmes avocats ont engagé une nouvelle procédure. Ce procès s’est clos en 2011, lorsque la cour d’appel a estimé que les plaignants n’avaient pas fourni de preuves à l’appui de leurs accusations.
Ces deux procès témoignent d’une insécurité juridique potentielle pour la SNCF et d’autres entreprises. À ce titre, je rappelle que, en avril 2015, la SNCF a fait l’objet d’une nouvelle attaque devant une cour fédérale de Chicago, sur la base d’un recours très similaire à celui de 2006.
Outre ce risque de procès permanent, la SNCF et les démembrements de l’État encourent un autre risque, de nature législative : depuis 2005, après chaque renouvellement du Congrès, un projet de loi bipartisan est déposé par des membres du Sénat et de la Chambre des représentants, visant à retirer à la SNCF le bénéfice de l’immunité de juridiction des États, ce qui aurait pour conséquence d’autoriser un nouveau recours devant une juridiction américaine. Ces projets de loi n’ont, pour l’heure, jamais été soumis à l’adoption, mais les parlementaires que nous sommes savent bien qu’un cavalier législatif est toujours possible.
Dernier risque, et non des moindres : certains États fédérés tendent à vouloir introduire dans leur législation des dispositions visant à contraindre la SNCF à mener des actions en matière de transparence et d’archives, et même à indemniser les victimes de la déportation pour qu’elle puisse concourir à des appels d’offres.
Ainsi, en 2010, en Californie, une loi sur la transparence a été votée, qui contenait des dispositions en ce sens. Fort heureusement, elle a fait l’objet d’un veto du gouverneur. En Floride, un projet de loi de même nature a été déposé avant d’être abandonné. En 2014, des dispositifs similaires étaient à l’étude dans le Maryland et dans l’État de New York.
Cette situation est préjudiciable à l’image d’une entreprise au savoir-faire reconnu, qui fait l’objet de mesures discriminatoires.
De plus, l’entreprise SNCF doit faire face à une augmentation du nombre des procès à son encontre et doit certainement inscrire dans sa comptabilité des provisions importantes pour frais juridiques et risques : risque juridique lié aux procédures pouvant être engagées par des particuliers et, pourquoi pas, à la mise en œuvre d’une class action ; risque législatif à l’échelon du Congrès ; risque législatif à l’échelon de chacun des États fédérés.
Pourtant, le rôle d’outil involontaire de la puissance occupante de la SNCF a été clairement mis en évidence par les écrits lumineux de Serge Klarsfeld, comme cela a été rappelé par notre rapporteur. De surcroît, au travers notamment des actions du groupe Résistance-Fer, créé par Louis Armand en 1943, mais aussi de nombreuses actions individuelles, la SNCF a activement participé à la Résistance. Rappelons que 1 500 cheminots furent déportés et 600 autres fusillés. Enfin, en 2007, un arrêt du Conseil d’État a exonéré la SNCF et tous les démembrements de l’État de toute responsabilité dans la déportation.
Pourtant, eu égard aux trois risques que j’ai évoqués, il a semblé important de protéger nos intérêts économiques, ainsi que l’image et le développement de la SNCF et de ses filiales aux États-Unis. C’est l’objet même de cet accord. En effet, aux termes de celui-ci, le Gouvernement américain sera amené à intervenir dans le cadre des procédures, qu’elles soient judiciaires ou législatives et à tout niveau, pour y mettre un terme et à faire respecter l’immunité de juridiction de la France et de ses démembrements.
L’article 2 vise ainsi à assurer à la France et à l’ensemble de ses démembrements une garantie juridique durable aux États-Unis s’agissant de toute demande ou action qui pourrait être engagée au titre de la déportation liée à la Shoah.
L’article 4 prévoit le transfert d’une somme de 60 millions de dollars du Gouvernement français au Gouvernement des États-Unis pour la mise en place d’un fonds ad hoc unique.
Dans ces conditions, il nous a paru nécessaire de soutenir cet accord, qui nous assurera une sécurité juridique durable.
Il ne s’agit nullement de réparations de guerre destinées à notre allié américain, contrairement à ce qui a pu être dit à l’Assemblée nationale, mais bien d’indemnisations individuelles. Cet accord ne met aucunement à mal la souveraineté française ; il est bien à considérer comme un arbitrage pragmatique et comme la simple conclusion d’un contentieux financier et juridique. Il assurera la sécurité juridique nécessaire à la SNCF pour qu’elle puisse, avec ses filiales, mener à bien ses activités de développement, notamment aux États-Unis.
Je veux souligner que nous avons pris acte avec plaisir de la modification apportée, sur demande de l’Assemblée nationale, à la rédaction de l’article 1er. Initialement, cet article faisait mention du « Gouvernement de Vichy », faisant ainsi fi de la position française qui consiste à ne reconnaître aucune légitimité à cette autorité. Un échange de lettres diplomatiques a permis une heureuse modification, puisque l’expression traditionnellement en usage en France, « l’autorité de fait “se disant gouvernement de l’État français” » a été préférée et figurera dans la publication officielle. Je me réjouis que le Parlement ait été entendu sur ce point important.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’avais fait le choix de tenir un propos neutre et technique sur ce texte. Cependant, m’étant rendue à Auschwitz, avec 250 jeunes Français musulmans, dans le cadre du projet Aladin, je ne peux m’empêcher, pour conclure, de souligner que l’enseignement et les débats sur la Seconde Guerre mondiale et sur le rôle des différents acteurs doivent toujours se poursuivre. Accomplir le devoir de mémoire n’est pas un rite ; c’est une nécessité pour que nous restions toujours en alerte devant les égarements du monde, de plus en plus nombreux.
Le groupe socialiste et républicain appelle évidemment à adopter ce texte. (Applaudissements sur la plupart des travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’accord dont nous discutons aujourd’hui a une résonance particulière, du fait de la gravité du sujet, mais aussi parce que l’année 2015 marque le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps de concentration et d’extermination.
Un sujet aussi grave nous impose de faire preuve de dignité, de retenue, mais aussi de lucidité et de franchise. C’est ainsi que nous remplirons pleinement le devoir de mémoire qui nous incombe en tant que représentants de la nation.
Le Président de la République Jacques Chirac, en reconnaissant, lors de son discours du Vél’ d’Hiv, en 1995, la responsabilité de l’État dans la déportation des juifs de France, a, en son temps, accompli ce devoir de mémoire. Pour autant, si la parole publique est essentielle en la matière, elle ne saurait suffire si elle n’est pas suivie d’actes. L’absence d’indemnisation de certaines victimes de la Shoah et de leurs ayants droit en est la parfaite illustration.
L’indemnisation des victimes de la Shoah, régie par les textes applicables aux victimes civiles de guerre, est subordonnée à une condition de nationalité. Malgré des élargissements, permis en particulier par la signature de conventions de réciprocité avec la France ou encore par l’ouverture de l’indemnisation aux personnes naturalisées postérieurement à leur déportation, certaines victimes ou leurs ayants droit restent donc à l’écart du régime de réparation.
Le principe de l’accord dont le présent projet de loi vise à autoriser l’approbation ne peut donc qu’être salué. Il concernera environ 500 personnes, essentiellement de nationalité américaine ou israélienne.
Cependant, le respect dû aux victimes et l’impérieuse nécessité de les indemniser rapidement ne doivent pas nous conduire à passer sous silence nos réserves quant au contexte et à la méthode de la négociation de cet accord. Ces réserves ne sont certes pas dirimantes, mais elles méritent d’être mentionnées, afin que le débat se déroule en toute franchise.
Comme cela a été souligné, dans sa version initiale, l’accord faisait référence au « Gouvernement de Vichy », formulation malheureuse, en rupture avec le récit républicain. Ce point a été soulevé à l’Assemblée nationale, et il a finalement été décidé d’inscrire dans le texte de l’accord la formulation consacrée par l’ordonnance du 9 août 1944, à savoir « l’autorité de fait se disant “gouvernement de l’État français” ». Le Parlement a ainsi démontré qu’il n’était pas une simple chambre d’enregistrement et qu’il avait bien un rôle crucial.
Mais, au-delà d’une rédaction initiale dérangeante, c’est surtout le contexte même de la négociation de l’accord qui soulève des questions.
En toile de fond figurent, en effet, les risques contentieux et commercial qu’encourt la SNCF.
Le risque contentieux tient notamment aux nombreuses actions en justice qui ont été engagées devant les juridictions américaines à l’encontre de la SNCF, afin que celle-ci dédommage les déportés, ainsi qu’aux initiatives législatives visant à lui retirer son immunité de juridiction.
Le risque commercial tient, quant à lui, aux propositions discutées dans des législatures d’États fédérés, visant à conditionner la participation aux appels d’offres à l’indemnisation des déportés.
On ne peut qu’éprouver un certain malaise, compte tenu de la gravité du sujet, devant les considérations pour le moins commerciales et mercantiles qui ont guidé la signature de cet accord. Celui-ci vise à mettre un terme à ce qui s’apparentait à un chantage préjudiciable aux activités de la SNCF outre-Atlantique, en obtenant la garantie du Gouvernement américain qu’il veille au respect de l’immunité de juridiction de la France et de ses démembrements, dénomination qui inclut les entreprises publiques.
Il convient également de souligner le caractère contestable de la méthode d’indemnisation retenue. En effet, cet accord institue un transfert de 60 millions de dollars du Gouvernement français au Gouvernement des États-Unis, aux fins de mise en place d’un fonds qui sera géré par les autorités américaines. Hormis la remise d’un rapport au Gouvernement français, la France se voit donc totalement dépossédée de la gestion de ce fonds.
Dès lors, il convient de s’interroger sur les raisons qui nous ont conduits à refuser, de manière surréaliste, d’adopter des dispositions nationales pertinentes. Par exemple, nous aurions pu supprimer la condition de nationalité pour l’octroi d’une indemnisation aux victimes ou à leurs ayants droit.
Certes, j’entends les arguments avancés en faveur de la création de ce fonds, qui permettra une indemnisation rapide et équitable, mais pourquoi ne pas avoir institué un fonds placé sous le contrôle des autorités françaises ?
Quelle qu’ait été la solution retenue, la France aurait pu assurer elle-même la publicité de ce mécanisme à travers le monde, ainsi que l’instruction des demandes, grâce, notamment, à son réseau consulaire, le deuxième au monde.
Certes, le principe de réalité peut justifier une telle transaction. Le risque qu’une procédure aboutisse aux États-Unis faisait peser une épée de Damoclès sur la SNCF, avec les incertitudes propres au système judiciaire américain en matière de délais et d’indemnisations accordées pour réparer les préjudices subis.
À vrai dire – et c’est là un point essentiel –, cet accord laisse le sentiment que la France a plié face aux pressions de la partie américaine et fait droit à ses exigences, en contrepartie d’une garantie d’immunité de juridiction pour la SNCF.
Pourtant, la justice française – en l’occurrence, le Conseil d’État – a exonéré la SNCF de toute responsabilité, estimant que celle-ci, réquisitionnée par les autorités allemandes, ne disposait d’aucune marge de manœuvre.
En conclusion, la question qui se pose en filigrane au sujet de cet accord, au demeurant largement abordée dans les débats parlementaires, est celle de l’imperium américain, notamment juridique.
Malgré les réserves formulées, par décence et par respect pour la souffrance des victimes et de leurs ayants droit, le groupe écologiste votera en faveur de l’autorisation de cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme la rapporteur et M. Jacques Gautier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous célébrons cette année le soixante-dixième anniversaire de la Libération, de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de celle de l’abjecte entreprise d’extermination perpétrée par le régime nazi.
Au-delà de sa dimension juridique, notre débat de ce jour revêt une portée politique, symbolique et morale qui fait l’honneur des débats parlementaires.
Comme l’a indiqué notre rapporteur, Nathalie Goulet, on estime à 76 000 le nombre des personnes déportées depuis la France pour des motifs racistes entre 1940 et 1944. Parmi elles, on compte plus de 10 000 jeunes de moins de 18 ans ; seuls 2 564 d’entre eux ont survécu, soit 3 %... Tous les autres ont disparu dans les camps d’extermination, victimes de la plus atroce des barbaries.
Longtemps la République a estimé qu’elle n’était en aucune mesure responsable de ces faits qui furent cautionnés par le régime de l’État français, hors toute légalité ou continuité républicaine. Il a fallu attendre de longues décennies pour lever le voile. Loin du mythe de la bataille du rail, il est peu à peu apparu que les moyens du service public national avaient été mis à contribution pour cette entreprise de mort que fut l’extermination.
Toutefois, dans l’attente de la reconnaissance progressive de la responsabilité nationale, de trop nombreuses victimes sont restées sans réparation ni reconnaissance du préjudice terrible qu’elles ont subi.
La présente convention a pour objet de permettre l’indemnisation des victimes – ou de leurs ayants droit – de la déportation via les moyens de la SNCF qui ne sont pas couvertes par les mécanismes d’indemnisation existants. Ce texte a ainsi pour vocation première de réparer une injustice historique, tout en accordant enfin à l’ensemble des victimes concernées la juste reconnaissance qu’elles attendaient depuis longtemps.
Cette convention vise également à régler le contentieux qu’une telle situation a suscité entre notre pays et les États-Unis, où de nombreux déportés ont trouvé refuge après la guerre et tenté de construire une nouvelle vie. D’autres, qui ne résident pas aux États-Unis, ont également trouvé dans la class action une voie de droit permettant de faire entendre leur cause devant le juge américain.
Ainsi, à défaut d’indemnisation en bonne et due forme, ces personnes ont engagé à de nombreuses reprises, en 2000 et en 2006 notamment, des actions judiciaires contre la SNCF, pour la contraindre à assumer la charge de cette indemnisation en l’absence d’autre personne juridiquement responsable.
Cette situation n’a pas été sans susciter de vives tensions dans les relations bilatérales entre la France et les États-Unis, qui se sont traduites par les difficultés rencontrées par la SNCF pour remporter des marchés publics outre-Atlantique. Toujours selon la rapporteur de notre commission des affaires étrangères, la SNCF, du fait des actions judiciaires intentées contre elle, serait passée à côté de près de 1 milliard de dollars de marchés publics américains.
Il ne s’agit pas, pour le Sénat, de statuer aujourd’hui sur la responsabilité de la France dans la déportation ou sur la nature exacte du rôle joué par la SNCF à cette époque. Ce débat appartient d’abord aux historiens et aux chercheurs ; le législateur se doit de respecter ce fait. La présente convention n’a donc pas de finalité mémorielle, mais elle a un contenu juridique bien précis.
Il s’agit d’instituer un fonds d’indemnisation ad hoc, doté de 60 millions de dollars versés par la France. Ce fonds sera géré par les États-Unis, aux frais des États-Unis, afin de traiter les demandes des victimes de la Shoah et de leurs ayants droit non couverts par les mécanismes existants.
Cet accord a donné lieu à d’importantes discussions entre la France et les États-Unis pendant près d’un an. Il atteste ainsi d’une volonté commune de répondre de la manière la plus appropriée possible aux demandes des victimes, sans passer par une solution juridictionnelle qui aurait pu durement entamer la relation historique liant les États-Unis à la France en dépit des vicissitudes de l’histoire.
Je profite de cette intervention pour saluer le travail de la commission des affaires étrangères du Sénat, qui a procédé, à la différence de son homologue de l’Assemblée nationale, à plusieurs auditions en vue de préparer notre débat.
Ce travail a permis de lever les inquiétudes exprimées par nos collègues députés quant à la forme de l’accord, au montant des fonds transférés ou encore à l’état des actions judiciaires en cours. Il a également permis de soulever une interrogation importante, qui ne concerne plus tout à fait l’exact périmètre de cette convention, mais anticipe sur le débat budgétaire de l’automne. Cela étant, notre rapporteur, Nathalie Goulet, nous a rassurés sur ce problème d’imputation budgétaire : nous n’aurions pu comprendre que l’on prenne sur le budget alloué à ceux qui se sont battus contre la barbarie pour indemniser les victimes de la barbarie.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. Très bien !
M. Jean-François Longeot. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point à l’automne prochain.
Dans l’immédiat, les sénateurs du groupe UDI-UC suivront la position du rapporteur et voteront en faveur de l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Je tiens tout d’abord à saluer la dignité et la gravité du débat. Ce ton est le seul qui convienne pour évoquer ce sujet terrible de la déportation, de la Shoah, des crimes commis contre des femmes, des hommes, des enfants, contre l’humanité, de la négation de l’idée même de dignité humaine.
Vous avez été nombreux à saluer le rôle des cheminots dans la Résistance. Je veux vous assurer que le Gouvernement n’a eu de cesse, tout au long des négociations, de rappeler leur contribution essentielle à la Résistance, qu’ils ont bien souvent payée du sacrifice de leur vie : 1 647 d’entre eux ont été fusillés. Encore une fois, nous n’avons eu de cesse de porter ce message, comme l’ont fait, avec beaucoup d’éloquence, Beate et Serge Klarsfeld.
Madame la rapporteur, vous avez analysé de manière très précise le dispositif mis en place, en mettant en lumière ce que cet accord permettra, ce qu’il est et ce qu’il n’est pas.
Madame Demessine, vous avez évoqué le malaise suscité par l’accord au sein de votre groupe. Je comprends ce sentiment. Toutefois, je pense que l’annexe relative au rôle des cheminots dans la Résistance est très importante.
Il ne faut évidemment voir aucune volonté de hiérarchisation, de choix entre les victimes dans le fait que l’accord ne concerne que des déportés juifs : c’est simplement parce que toutes les procédures engagées aux États-Unis l’ont été par d’anciens déportés juifs.
Vous avez aussi évoqué une forme de marchandisation. Là encore, je me permettrai de me référer à Beate et Serge Klarsfeld, qui ont précisé que cet accord visait à réparer une injustice à l’égard d’anciens déportés juifs n’ayant pas encore été indemnisés et d’empêcher une autre injustice en mettant la SNCF à l’abri de poursuites aux États-Unis. Or tels sont bien les objectifs exclusifs de cet accord.
Monsieur Gautier, vous avez rappelé avec beaucoup de force le discours du Vél’ d’Hiv de Jacques Chirac, bouleversant et d’une rare gravité.
Vous avez aussi analysé le dispositif de l’accord et évoqué un possible chantage en amont de la conclusion de celui-ci. Je veux vous assurer ici que la négociation de cet accord a été engagée sur l’initiative de la France, suite aux critiques suscitées aux États-Unis par notre régime d’indemnisation et aux actions judiciaires intentées contre la SNCF devant des juridictions américaines. Il s’agit donc d’une initiative française : il était légitime que la France puisse répondre d’elle-même, souverainement, à ces critiques. Tel est l’état d’esprit qui a présidé aux différentes négociations.
Madame Khiari, vous avez retracé la perspective historique dans laquelle s’inscrit cet accord et livré une analyse juridique très précise. Vous avez pointé les risques –nombreux – que l’accord permettra d’écarter, à tous les niveaux de l’organisation politique des États-Unis.
Vous avez rappelé, avec beaucoup de gravité, de force et d’émotion, l’importance du devoir de mémoire, en évoquant votre déplacement à Auschwitz.
Madame Aïchi, vous avez soulevé la question de la protection des intérêts de la SNCF, en vous demandant s’il s’agissait de la principale raison ayant conduit à la conclusion de cet accord. Les deux objectifs visés par ce dernier ne sont pas sur le même plan : il s’agit en premier lieu de prendre une indispensable mesure de justice, d’équité, pour les anciens déportés n’ayant pas aujourd’hui été indemnisés ; il s’agit ensuite de protéger nos intérêts. Ces deux préoccupations ne peuvent, bien entendu, être mises sur le même plan.
Plusieurs d’entre vous ont demandé pourquoi le dispositif sera géré par les États-Unis. Des raisons techniques et administratives ont présidé à ce choix. Surtout, il est important, pour que le dispositif ait une portée concrète, que les survivants de la déportation potentiellement concernés ou leurs ayants droit, dont un grand nombre résident aux États-Unis, puissent accéder facilement à l’indemnisation.
Enfin, monsieur Longeot, je suis parfaitement d’accord avec vous : il s’agit non pas de réécrire l’histoire, mais de mettre en place un dispositif opérationnel. Je tiens aussi à vous confirmer, au nom du Gouvernement, que les sommes allouées au fonds d’indemnisation ne seront pas prélevées sur le budget des anciens combattants. Elles seront issues d’un budget des services du Premier ministre et l’étanchéité financière sera absolue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportés depuis la France, non couvertes par des programmes français
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français (ensemble une annexe), signé à Washington le 8 décembre 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique sur l’indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes pas des programmes français.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)