Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l'article.
Mme Patricia Schillinger. On peut le constater dans les entreprises de toutes tailles, c’est l’échange constructif permanent entre direction et personnel qui garantit le bon développement de l’entreprise. Il permet que les orientations nécessaires soient acceptées ou modifiées, que les problèmes internes soient clarifiés, que les défis à relever soient abordés ensemble.
C’est le terreau nécessaire au dynamisme d’une entreprise, dans l’intérêt mutuel de tous.
La création des commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les salariés des très petites entreprises répond à ce besoin. On peut comprendre les craintes que ces commissions suscitent pour les patrons de TPE ; nous les avions déjà entendues s’exprimer au sein de l’artisanat lorsque des commissions du même ordre y ont été créées.
Le bilan des CPRI dans l’artisanat, plus de quatre ans après leur mise en place, est positif et reconnu comme tel. Qu’il s’agisse de l’accès à l’emploi, de la connaissance des métiers par les jeunes pour faciliter les recrutements, de l’apprentissage, bien sûr, de l’amélioration des conditions de travail et d’une meilleure approche de la sécurité, tous ces aspects ont été abordés dans ces instances.
Des comités des œuvres sociales et culturelles ont été mis en place dans de nombreuses régions, qui permettent aussi bien aux employeurs qu’aux salariés d’avoir accès à des offres dans des conditions préférentielles, comme dans les grandes entreprises.
Tous ces éléments sont favorables à l’image des petites entreprises. Il est donc particulièrement regrettable d’en rester à une vision négative du dialogue social, considéré comme une source de contraintes et de tracasseries.
Cette manière de voir est dépassée et contre-productive. La proportion de conflits aux prud’hommes concernant des petites entreprises est à cet égard révélatrice. Le dialogue social est au contraire une occasion d’évaluer les problèmes, les potentielles sources de conflits avant qu’ils ne dégénèrent, de rétablir la cohésion et l’esprit d’entreprise.
C’est d’ailleurs pourquoi il est primordial de prévoir la possibilité d’une médiation par les membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles avant la saisine d’une juridiction. Ce faisant, le texte va dans le sens de l’évitement de la judiciarisation des conflits, coûteuse pour les employeurs comme pour les salariés en temps, en argent et en énergie.
Toute disposition allant dans ce sens peut être considérée comme positive.
Il faut par ailleurs rappeler que le caractère paritaire des CPRI et qu’une médiation peut également être utilement conduite par un employeur.
En outre, les craintes soulevées par la création de treize commissions, une par région, relèvent du fantasme. Comment peut-on imaginer et surtout faire croire à des entrepreneurs que des syndicalistes vont venir brandir l’étendard de la révolte dans leur entreprise ? Comme nous l’avons dit, l’expérience montre l’inverse dans l’artisanat et dans les branches professionnelles.
Ces commissions sont des facilitatrices ; il est donc primordial qu’elles soient créées sur l’ensemble du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la rapporteur, mes chers collègues, je m’étonne de l’opposition, pour une part très virulente, que suscite l’extension des commissions paritaires régionales interprofessionnelles prévue par l’article 1er, et je la regrette.
La reconnaissance des droits individuels et collectifs des salariés est d’autant moins spontanée qu’elle est visiblement toujours confrontée à un réflexe d’opposition ancestral, qui a toutes les apparences du paternalisme en cours à la fin du XIXe siècle. L’échange direct entre un employeur et son salarié serait préféré à un dialogue social formalisé - l’un n’empêche pourtant pas l’autre - et l’accès des membres de la commission paritaire à l’entreprise constituerait une ingérence.
C’est très exactement ce qu’exprimait cet extrait du règlement des verreries d’Épinac de Saône-et-Loire : « Les demandes et réclamations personnelles seront toujours examinées avec bienveillance, mais jamais aucune délégation ne sera reçue […]. Tous les ouvriers […] s’engagent à ne jamais introduire dans l’usine l’ingérence d’aucun syndicat […]. » Il date, mes chers collègues, de 1850 !
Ce sont là incontestablement les signes d’une immaturité, qui plus est propre à la France, à l’inverse par exemple de la cogestion ou de la représentation des salariés dans les TPE chez nos voisins allemands.
Et c’est bien parce que cette « culture de la négociation » n’est pas ici encore suffisamment ancrée qu’il est particulièrement et d’autant plus nécessaire d’en généraliser les structures. Cette disposition est donc logiquement présentée à la suite de l’échec de la négociation interprofessionnelle à laquelle le ministre du travail avait convié les partenaires sociaux en juillet 2014.
Je rappelle, s’agissant de la présence de représentants de salariés dans les entreprises, que 74 % des entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 99 salariés n’ont aucune instance représentative : ce ne sont donc pas elles qui posent problème.
Je relève, tout au contraire, qu’à la suite de la loi de 2013, la conflictualité des plans sociaux a été réduite de 30 % à 8 %.
Le dialogue social est en effet aussi partie prenante de la compétitivité hors coûts des entreprises : la transaction, grâce à la médiation et à la négociation, est humainement et financièrement évidemment préférable au contentieux, particulièrement pour un patron de TPE.
Dire, comme cela a pu être dit notamment à l’Assemblée nationale, que ce projet de loi n’a rien à voir avec la politique de l’emploi et ne répond pas au problème du chômage est tout à fait faux : c’est mal connaître la réalité d’une entreprise et de ce qui est déterminant dans ses coûts. Le dialogue social est à la fois un impératif démocratique en même temps qu’un levier économique.
C’est à cette évidence que se sont elles-mêmes rendues les entreprises du secteur de l’artisanat, qui ont mis en place ces commissions paritaires régionales par l’accord du 12 décembre 2001 signé avec cinq confédérations. Ces commissions ont fait la preuve de leur viabilité et de leur utilité. La branche agricole et les professions libérales ont négocié des accords similaires afin de créer des commissions territoriales de dialogue social. C’est cette démarche que ce projet de loi entend poursuivre.
Le projet du Gouvernement est d’autant plus pragmatique qu’il maintient les commissions paritaires régionales déjà en place, dès lors qu’elles exercent les mêmes attributions et comprennent au moins dix membres.
Cet article 1er constitue donc, à tout point de vue, un progrès : pour les 4,6 millions de salariés privés jusqu’à maintenant de l’exercice effectif du droit de participer, par l’intermédiaire de leurs délégués, à la détermination de leurs conditions de travail et à la gestion des entreprises ; pour les chefs d’entreprise, dont l’entreprise bénéficiera d’une moindre conflictualité et d’une plus grande attractivité.
C’est ce progrès, mes chers collègues, que nous vous proposons de soutenir et d’approuver.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 58 rectifié bis est présenté par M. Gabouty, Mme Billon, MM. Bockel, Cadic et Canevet, Mmes Doineau et Gatel, M. L. Hervé, Mme Jouanno, M. Kern, Mme Loisier et MM. Longeot, Luche, Maurey et Tandonnet.
L'amendement n° 121 est présenté par M. Joyandet.
L'amendement n° 156 rectifié bis est présenté par MM. Retailleau et Chasseing, Mme Lamure, MM. Allizard, G. Bailly, Baroin, Béchu, Bignon, Bizet et Bonhomme, Mme Bouchart, MM. Bouchet, Calvet, Cambon, Carle, César, Chaize, Charon, Chatillon, Commeinhes, Cornu, Danesi, Dassault et Delattre, Mmes Deromedi, Des Esgaulx et di Folco, M. P. Dominati, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, M. Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. Falco, Fontaine, J.P. Fournier, Frassa, J. Gautier, Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, MM. Huré, Husson et Hyest, Mme Keller, MM. Kennel, Laménie, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Leleux, Lemoyne, Lenoir, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc et Mayet, Mme Mélot, MM. de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Pellevat, Pierre, Pillet, Pintat, Pinton, Pointereau, Poniatowski et Portelli, Mme Primas, MM. de Raincourt, Reichardt, Revet, D. Robert, Saugey, Savary, Savin, Sido et Trillard, Mme Troendlé, MM. Vaspart, Vasselle, Vendegou, Vogel et Darnaud et Mme Cayeux.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour présenter l'amendement n° 58 rectifié bis.
M. Jean-Marc Gabouty. Cet amendement, que j’ai déjà évoqué, vise à supprimer l’article 1er du projet de loi prévoyant une représentation obligatoire des salariés et des employeurs des entreprises de moins de onze salariés au sein de commissions paritaires régionales interprofessionnelles.
Cette disposition conduit à une complexification du fonctionnement des entreprises et à une artificialisation du dialogue social qui, dans ce type d’entreprise, se fait en direct entre le dirigeant et les salariés.
Un certain nombre de sujets qui sont évoqués relèvent de conventions collectives ou d’accords de branche, et non pas de commissions locales dont les pouvoirs et les prérogatives restent flous et sont parfois contestés. Les problèmes d’organisation du travail, de formation professionnelle, d’apprentissage, de grille salariale et de promotion des métiers, d’autres que ces commissions peuvent s’en charger. C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à la création de nouvelles structures.
Il est à noter que les trois quarts des entreprises de onze à vingt-cinq salariés, qui sont soumises à la règle générale de représentation du personnel, n’ont pas de délégué du personnel, ce qui est peut-être regrettable. Avec le nouveau dispositif, on aboutirait à une situation tout à fait paradoxale, puisque ces TPE auraient une meilleure représentation patronale et syndicale que les entreprises de taille supérieure. Ces commissions n’ont en effet aucun rôle opérationnel et ne répondent ni à une demande des salariés ni à une demande des employeurs.
Notre société vit aujourd’hui une crise de représentation socioprofessionnelle ; elle connaît également une crise de représentation politique. Dans un cas comme dans l’autre, il faut en être conscient, et ce n’est pas en élargissant le champ de la représentation que l’on en renforce la reconnaissance.
Au cours des échanges que j’ai eus ce week-end avec des salariés, des artisans, y compris avec des responsables syndicaux, je n’ai entendu aucun écho en faveur de cette proposition, qui suscite au mieux l’indifférence.
Ces commissions ne sont certes pas négatives ou nocives ; elles sont simplement inutiles. C’est la raison pour laquelle, afin de ne pas multiplier les structures comme nous le faisons chaque fois, en tout domaine, dans de nombreuses lois, nous vous proposons de supprimer l’article 1er du projet de loi.
Mme la présidente. L'amendement n° 121 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Pascale Gruny, pour présenter l'amendement n° 156 rectifié bis.
Mme Pascale Gruny. La création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour assurer une « représentation universelle des salariés des TPE », les entreprises de moins de onze salariés, ne se justifie pas.
Cette disposition, imposée par le Gouvernement après l'échec de la négociation engagée à l'automne 2014, n'a pas fait l'objet d'une concertation aboutie entre les partenaires sociaux. Or le niveau régional et interprofessionnel est souvent mal adapté aux très petites entreprises. Il conviendrait donc de laisser davantage de temps aux partenaires sociaux pour dialoguer et s'entendre sur les modalités du dialogue social dans les très petites entreprises.
Il n’y a d'ailleurs aucune nécessité d’une telle représentation institutionnelle compte tenu du fait que, dans ces entreprises, le dialogue entre le chef d’entreprise et les personnes qu’il emploie est direct et naturel. La création des commissions régionales engendrerait une externalisation du dialogue social alors même que celui-ci doit avoir lieu au sein de chaque entreprise et tenir compte de ses spécificités.
De plus, l’instauration de telles structures formalisées complexifierait encore la tâche des dirigeants de ces entreprises, alors qu’ils réclament plus que jamais une simplification de l’ensemble des normes qui leur sont applicables.
Le coût de fonctionnement de ces commissions régionales pourrait se traduire, au fil du temps, par une augmentation de la contribution des entreprises au fonds de financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs créé par la loi du 5 mars 2014 relative à la démocratie sociale et mis en place depuis mars 2015.
Quant à la mise à disposition de salariés pour siéger dans les commissions, elle ne pourra que fragiliser davantage les TPE qui seront concernées.
Au final, un tel dispositif de représentation institutionnelle des salariés dans les entreprises de moins de onze salariés risque d’aboutir à une accumulation de contraintes supplémentaires et d’ouvrir de nouvelles problématiques difficiles à résoudre.
Tout cela aura inévitablement des effets négatifs sur l’emploi dans ce type d’entreprises qui ont pourtant créé près de 1,2 million d’emplois net durant les trente dernières années et qui ont durement ressenti les effets de la crise économique.
C'est la raison pour laquelle nous réclamons la suppression de cet article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements identiques, qui sont en contradiction avec les dispositions votées par la commission des affaires sociales. Nous avons entendu les inquiétudes des très petites entreprises, la crainte que suscitent chez elles ces commissions paritaires – qui comprendraient notamment dix représentants des salariés, ce qui est peu, pourtant – qu’il est envisagé d’instituer dans chaque région, même si, par ailleurs, l’Union professionnelle artisanale nous a dit que le dispositif marchait bien ! Or la structure de l’UPA et celle de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, ne sont pas très différentes…
Supprimer cet article, ce serait en revenir au texte qui a été voté à l’Assemblée nationale, à la médiation et à l’accès aux locaux des entreprises, des dispositions dont ne veulent vraiment pas les entreprises.
Le modèle fonctionne bien dans l’artisanat et dans l’agriculture, deux secteurs qui ont mis en place ce type de commission, comme s’apprêtent à le faire aussi les professions libérales. C’est la raison pour laquelle la commission avait souhaité laisser un peu de temps au temps, en retirant ces dispositions du texte de loi.
Je l’ai dit en commission, il n’y a pas de raison de faire un sort particulier aux très petites entreprises, qui seraient les seules auxquelles ces obligations seraient imposées, contrairement à l’artisanat et à l’agriculture. La position de la commission est de laisser les partenaires sociaux tenter d’aboutir à un accord national ou, éventuellement, régional. Ainsi, et je prends ces exemples au hasard, on peut imaginer que la commission de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur fonctionnerait différemment de celle de la Bretagne, celle de la région Nord-Pas-de-Calais différemment de celle de la région Aquitaine.
En faisant le choix de laisser une grande liberté, la commission a adopté une position intermédiaire entre ceux qui étaient favorables à des commissions disposant d’un pouvoir de médiation et de la possibilité de s’immiscer dans la vie de l’entreprise – l'Assemblée nationale a d’ailleurs encore « alourdi » leurs missions » – et les petites entreprises, dont je comprends l’inquiétude, qui refusaient une telle évolution.
Je veux aussi préciser que, au cours des auditions, les partenaires sociaux et les syndicats nous ont fait savoir qu’il serait difficile de faire fonctionner ces commissions. En effet, les représentants des salariés, qui viennent de toutes petites entreprises, ne sont pas forcément disponibles. Par ailleurs, et surtout, le salarié d’une entreprise de maçonnerie, par exemple, ne sera pas forcément compétent pour faire de la médiation dans des boucheries ou des entreprises textiles. Ils auraient préféré que la désignation ne se fasse pas au niveau régional.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Rebsamen, ministre. Le Gouvernement a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Je partage en partie les propos de Mme la rapporteur. Ce qui est proposé constitue une régression : incontestablement, l’institution de commissions dans les très petites entreprises représente une avancée pour tous. Elles permettent de répondre à une exigence formulée dans le préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des relations de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »
Aujourd’hui, 4,6 millions de salariés n’ont pas de représentation parce qu’ils sont employés dans des entreprises de moins de onze salariés. Vous en conviendrez, faire vivre la démocratie, qu’elle soit politique ou sociale, c'est aussi répondre à ce type de problèmes ! C'est ce que permettent les commissions régionales. Elles représentent une conquête sociale dont nous pourrions tous nous prévaloir.
Le Gouvernement n’a pas inventé le système de toutes pièces. Je le redis, cela figurait dans les propositions présentées par le patronat lors de la discussion avec les organisations syndicales. Vous avez beau faire comme si tout cela n’avait pas existé, mais c'est pourtant la réalité ! Il s’agit d’un retour d’expériences qui avaient été mises en place et que les partenaires sociaux avaient plébiscitées.
Je reprendrai l’exemple de l’artisanat, qui a déjà été cité. L’artisanat, c'est 1 million de très petites entreprises, et c'est la première entreprise de France. Dans ce secteur, le dispositif marche très bien, comme l’a dit Mme la rapporteur. En PACA, la médiation a même été expérimentée, plutôt avec succès. Je ne vois pas pourquoi on n’étendrait pas cette mesure, alors que nous avons la possibilité de le faire.
Je tiens à préciser qu’il n’y aura pas d’ingérence dans les entreprises. Mesdames, messieurs les sénateurs, ne vous faites pas l’écho de ces inquiétudes ! Je tiens à le dire ici clairement : les membres des commissions n’auront accès à l’entreprise qu’avec l’autorisation expresse de l’employeur. À cet égard, je veux saluer le travail qui a été fait en commission : comme je l’ai indiqué à Mme la rapporteur, la formulation proposée traduit un souci d’équilibre et me semble donc très intéressante. C’est pourquoi nous pourrions travailler ensemble sur cette base.
Quant aux commissions qui existent déjà et qui ont été créées par un accord de branche, elles ne disparaissent pas ! Là où il y a des accords, ils sont maintenus.
On a donc, d’un côté, deux secteurs qui appliquent déjà le dispositif, l’artisanat et l’agriculture, et, de l’autre, les commissions déjà créées par un accord de branche. Le texte permet simplement de couvrir les 4,6 millions de salariés qui ne le sont pas encore.
Ces commissions seront également au service des employeurs – on le constate dans le domaine de l’artisanat ; c'est en tout cas ce que nous dit l’UPA – et non pas contre eux. Voilà ce dont j’aimerais vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous ne pensons pas tous ici que les employeurs ne veulent pas de ces commissions, qui ne seraient qu’une source de conflits.
Ces commissions peuvent aider les employeurs, notamment pour réfléchir à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou aux évolutions de la profession dans tel ou tel secteur. J’ai cité précédemment l’exemple du commerce, mais on pourrait en trouver d’autres. Nous tenions à créer un lieu où les employeurs et les salariés des très petites entreprises puissent échanger. Ensuite, prévoir la possibilité d’organiser une médiation n’est pas en soi gênant.
On ne peut pas faire une double critique, dire à la fois que ce texte n’apporte rien et qu’il remet tout en cause. J’entends, d’un côté, que ce n’est pas suffisant, que cela ne représente rien, que chaque salarié ne se verra défendu que pendant six secondes, ce qui est vraiment une critique excessive ; et, de l’autre, que l’on remet en cause l’ensemble de l’organisation, parce que, dans une petite entreprise, le patron peut toujours discuter directement avec ses salariés. Certes, mais je note que la grande majorité des conflits qui se terminent devant les prud’hommes concernent des petites entreprises.
Le Gouvernement veut s’en tenir à la ligne suivante, qu’il considère comme une position équilibrée : pas d’excès, ni d’un côté ni de l’autre. C'est la raison pour laquelle, je le répète, il est défavorable à ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Cet article 1er suscite à l’évidence des crispations du côté droit de l’hémicycle. Pour ma part, je veux remercier Mme la rapporteur d’avoir, dans son rapport écrit, retracé la genèse de cette réforme, qui est assez comparable à ce que nous avons vécu avec le compte pénibilité, créé dans son principe par un texte présenté par une majorité politique de droite.
Mme la rapporteur le rappelle dans son rapport, la contribution obligatoire des entreprises a été instituée par un accord du 12 décembre 2001 sur le développement du dialogue social dans l’artisanat. Les organisations patronales, CGPME et MEDEF, ont combattu cette disposition, qui n’est devenue opérationnelle que dix ans plus tard, en 2010 et 2011.
Je tiens à rappeler également que c'est en 2010 que la majorité précédente et le gouvernement de l’époque ont proposé la généralisation de ce dispositif aux TPE. Un nouveau combat a été mené, le Sénat avait modifié la disposition, qui fut ensuite supprimée par l’Assemblée nationale.
Quand j’entends que les choses vont trop vite, qu’il n’y a pas eu de dialogue avec les patrons, je veux rappeler que si on légifère aujourd'hui sur cette question, c'est parce que les organisations patronales ont fait de la surenchère sur le dialogue social ! Alors, ne nous parlez pas d’impréparation et d’improvisation !
Nous aurons à débattre tout à l’heure de l’amendement de Mme la rapporteur, qui n’est pas favorable à la suppression de l’article 1er. Mais, mes chers collègues, comprenez bien que votre crispation est vraiment d’arrière-garde. Vous vantez souvent le modèle allemand : je vous rappelle qu’une de ses vertus, c’est de permettre le dialogue à tous les niveaux. Les règles qui ont été définies en commun sont ensuite appliquées et respectées.
Nous avons eu les mêmes débats lors de la discussion du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : dire que la relation entre l’employeur et le salarié doit être directe est révélateur. Car tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait une représentation collective, quelle que soit la taille de l’entreprise, pour avoir face à soi un interlocuteur crédible. L’intérêt est non seulement social – le dialogue social est le fil rouge de l’action gouvernementale –, mais également économique : il faut se parler pour trouver des solutions, y compris dans les petites entreprises.
Supprimer cet article reviendrait donc à renoncer à une avancée sociale et à un bénéfice pour la vie économique : cette mesure est donc dans l’intérêt de tous. Vous menez un combat d’arrière-garde au nom d’arguments qui me font dire que c'est simplement une réaction à un progrès.
Le groupe socialiste votera évidemment contre ces amendements identiques de suppression. Nous reviendrons sur l’amendement de Mme la rapporteur, dont je m’étonne qu’il n’ait pas été examiné en priorité…
Je le redis, votre menez un combat rétrograde, réactionnaire et d’arrière-garde.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pour commencer, je veux saluer, comme Mme Bricq, le rappel historique très précis qu’a fait Mme la rapporteur dans son rapport ; j’en tirerai en revanche une conclusion différente de celle de Nicole Bricq.
En effet, Catherine Procaccia rappelle que, depuis un certain nombre d’années – en réalité depuis la loi 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail, l’une des lois dites « lois Auroux » –, il est tout à fait possible d’instituer des commissions paritaires locales.
On peut donc se demander pourquoi, s’il est possible de le faire depuis trente-trois ans, un plus grand nombre de commissions n’ont pas été mises en place ! Voilà mon raisonnement ! On a l’impression que nous en sommes en train de découvrir un système miraculeux, qui permettra un dialogue social fluide, mais j’observe que le dispositif introduit voilà trente-trois ans n’a pas été mis en place uniformément et partout !
Là où le besoin s’est fait sentir, cela a été dit, des commissions ont effectivement été créées dans certaines régions, pour l’artisanat. Je n’y reviens pas, mais ne perdons toutefois pas de vue qu’il y avait peut-être des raisons qui motivaient les organisations à le faire !
Par ailleurs, quand ces commissions relatives à l’artisanat ont été mises en place, il a fallu les financer, d’où l’instauration de la contribution de 0,15 % de la masse salariale des artisans concernés. Un taux de 0,15 %, c’est à la fois peu et beaucoup ! En effet, vous le savez comme moi – nous sommes nombreux à être élus de territoires ruraux –, les artisans font attention à leurs dépenses !
La possible création de ces commissions régionales peut donc justifier les appréhensions de certains chefs de très petite entreprise. On leur dit aujourd'hui que cela ne leur coûtera rien, que cela ne leur fera pas mal, si j’ose dire, et que ces commissions seront un lieu de dialogue où il sera possible de discuter des bonnes pratiques ; mais ils peuvent craindre un effet de cliquet.
D’ailleurs, les discussions concernant l’article 1er, depuis sa présentation en conseil des ministres, montrent que cet effet de cliquet est une réalité. En effet, initialement, le texte du Gouvernement instaurait des commissions paritaires régionales interprofessionnelles ayant pour principale mission de constituer une enceinte d’échanges et de mise en valeur des bonnes pratiques. Dans l’après-midi suivant son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, un communiqué de la Confédération française démocratique du travail, la CFDT, approuvait le principe, mais suggérait d’y ajouter une mission de médiation. Apparemment, le téléphone a fonctionné et les députés du groupe socialiste ont déposé un amendement visant à confier à ces commissions, au sein de l’article 1er, une mission de méditation !
Celle-ci s’accompagne, en outre, de la possibilité, pour les membres de la commission, de pénétrer dans les locaux des entreprises. Cette possibilité ne peut intervenir, certes, qu’après accord exprès de l’employeur, mais celui qui refusera sera cloué au pilori : « Pourquoi donc ne voulez-vous pas laisser nos représentants entrer dans l’entreprise ? » On sait alors comment peut se finir ce genre de situations : potentiellement au contentieux, avec l’intervention du juge.
Tout cela m’amène donc à soutenir que les craintes qui ont été exprimées par certains patrons sont liées non pas à un refus de leur part de discuter, mais à leur connaissance des précédents !
Je rappelle par ailleurs, puisqu’il est question de donner la parole aux salariés des TPE, que c’est la précédente majorité qui, en 2010, a mis en place le scrutin sur sigle ! On veut être concret ? Très bien ! Que ce scrutin sur sigle se traduise par la mise en place d’une conférence nationale des TPE ! On pourra alors y mettre en valeur les bonnes pratiques, diffuser l’information et faire avancer certains chantiers spécifiques à ces entreprises.
Par ailleurs, on évoquait tout à l’heure le modèle allemand. J’ai personnellement en mémoire une anecdote à ce sujet. Il y a quelques années, lors d’une manifestation liée à la société Continental – implantée dans les deux pays –, un syndicaliste allemand s’est déplacé en France et a ainsi pu constater la façon dont se déroulaient les choses et dont se comportaient certains syndicalistes français. Je peux vous dire qu’il n’avait pas le sentiment de faire le même métier ! La manière d’appréhender l’action syndicale est donc différente dans les deux pays !
Pour toutes ces raisons, madame la présidente, je voterai personnellement les amendements de suppression, même si, j’en suis conscient, la commission a considérablement amélioré le texte adopté par l’Assemblée nationale.