M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce sont les durées maximales de conservation qui figuraient dans le texte initial du Gouvernement. Par conséquent, le Conseil d’État a validé une durée maximale fixée à un mois, en ce qui concerne les interceptions de sécurité.
Le texte prévoyait, par ailleurs, qu’un décret ouvre la possibilité pour le Gouvernement d’aller en deçà de cette durée maximale. Ce que je vous ai dit précédemment est donc exact. Le Conseil d’État a bien accepté que la durée maximale de conservation des interceptions de sécurité s’établisse à un mois. Ce sont les députés qui ont souhaité, au travers du dépôt, puis de l’adoption d’un amendement, que la totalité des durées soit inscrite dans la loi.
De plus, monsieur Hyest, le débat n’oppose pas la DCRI aux libertés ! D’ailleurs, la DCRI n’existe plus puisque s’y est substituée la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, qui est rattachée directement au ministre de l’intérieur. Bref, il ne s’agit pas d’un débat entre DGSI et libertés !
Au contraire, la DGSI, garante et comptable des principes républicains et des libertés, agit au service de notre protection et de notre liberté en s’opposant aux terroristes et à tous les individus qui, mus par le seul instinct de la violence, cherchent à remettre en cause nos valeurs en s’en prenant aux principes fondamentaux de la République, comme l’ont fait les auteurs des récents attentats.
Je suis d’accord avec M. Karoutchi, non que je cède à une conception binaire du monde, pensant que les bons seraient d’un côté et les méchants de l’autre, mais parce qu’il est évident que ce ne sont pas les agents des services de renseignement qui portent atteinte aux valeurs de la République, à la faveur de délais de conservation du reste prévus par la loi, mais ceux qui, au mépris des lois et par la violence, s’en prennent aux principes républicains fondamentaux.
Le débat n’est donc pas : la DGSI contre les libertés. En vérité, la DGSI défend les libertés dans le respect du droit, par une action encadrée par la loi et qui le sera davantage encore après l’adoption du présent texte.
Monsieur Hyest, monsieur Sueur, nous pouvons à tout moment être frappés de nouveau. Il m’importe que ce propos soit consigné au compte rendu de la séance, et qu’une trace demeure des positions que j’ai défendues devant la représentation nationale. Si nous sommes frappés, que se passera-t-il ? Je vais vous le dire. En vertu d’un réflexe pavlovien, qui s’accompagne parfois de grégarisme, nous verrons fleurir immédiatement, avant même que les causes des événements n’aient été analysées et les responsabilités établies, des prises de position et des articles de presse sur les failles des services de renseignement. Ce sera mécanique !
M. Roger Karoutchi. C’est certain !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui appellent aujourd’hui à donner aux services de renseignement des pouvoirs limités, au motif qu’il est risqué pour la démocratie qu’ils en aient trop, qui accuseront ces services d’avoir failli !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis solennellement : lorsqu’il s’agit de prévenir les actes terroristes, compte tenu de la complexité des réseaux qui sont à l’œuvre, des langues employées par ceux qui y sont engagés ou impliqués, et du temps parfois nécessaire à la collecte d’informations sur des complices – un temps qui peut rendre nécessaire de réanalyser une interception –, le délai de trente jours n’est pas trop long dans la pratique. Un délai de dix jours serait assurément trop court pour permettre une exploitation de la totalité des données dont nous disposons. Je vous dois la vérité, ce que je vis tous les jours en tant que ministre de l’intérieur me conforte dans cette conviction.
Bien entendu, il appartient au Sénat et à l’Assemblée nationale de décider, mais il convenait que la Haute Assemblée fût pleinement éclairée des contraintes opérationnelles auxquelles les services sont confrontés.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Sans me prononcer sur la question particulière qui est en débat, je tiens à faire état du malaise que peuvent susciter certains des arguments présentés au cours des dernières minutes.
Soit, comme on nous l’a assuré, le projet de loi a été préparé de longue date, de sorte que, même si le contexte est difficile, nous pouvons l’examiner dans la sérénité et selon nos modes de délibération habituels. Dans ce cas, l’argument avancé par MM. Sueur et Hyest est parfaitement recevable : le Parlement ayant considéré à plusieurs reprises, contre l’avis du Gouvernement, que le délai de trente jours était excessif et devait être ramené à dix jours, nous devrions nous en tenir à cette ligne de conduite.
Soit le projet de loi est, dans certaines de ses dispositions, justifié par un contexte, ce qui n’aurait rien de choquant. Certes, on affirme depuis le début du débat qu’il n’en est rien, mais j’ai du mal à le croire… Quoi qu’il en soit, si c’est le contexte – dégonflons l’hypocrisie – qui demande des mesures d’exception, même si l’expression déplaît, alors dans ce cas nous devrions nous ranger à l’avis de M. le ministre, qui dispose de l’appréciation la plus sûre et la plus directe de la situation.
Si la menace est élevée, si la République est en danger, il faut nous annoncer clairement que nous connaissons une situation exceptionnelle, appelant des décisions exceptionnelles, que nous devons assumer. Nous y sommes d’ailleurs prêts. Mais ne nous mettez pas en permanence en porte-à-faux !
Nous entendons que les risques sont grands. Seulement, si nous prévoyons des dispositifs exceptionnels, nous devons les entourer de garanties supplémentaires, en commençant par les limiter dans le temps. À propos d’une autre disposition, ne nous a-t-on pas dit qu’elle devait être limitée dans son usage à la lutte contre le terrorisme et dans le temps à une durée de trois ans ? Si l’on considère que les services de renseignement ont aujourd’hui besoin, pour faire face à l’afflux de problèmes et de menaces auquel ils sont confrontés, de mesures particulières adaptées à une situation particulière, pourquoi pas ? Mais limitons leur usage à deux ou trois ans. En tout état de cause, ne brandissons pas ce contexte pour ouvrir une brèche dans une position que le Parlement a constamment maintenue : oui à un dispositif exceptionnel, mais pour une durée limitée.
Si l’on accepte l’idée, qui se comprend, que nos services de renseignement ont besoin de plus de pouvoirs et de facilités, il n’en demeure pas moins important de renforcer le contrôle en aval. Je conçois parfaitement que les services aient besoin de latitude pour agir ; mais que l’on donne alors aux citoyens et à ceux qui les représentent la possibilité de vérifier, via l’intervention des structures habituelles, que tout s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes après-coup – car il ne s’agit pas de gêner sur le moment l’action des services.
À cet égard, je regrette que, hier, ma proposition de renforcer les responsabilités de la délégation parlementaire au renseignement n’ait pas été retenue. Je proposerai tout à l’heure que l’on renforce les responsabilités de la CNIL pour s’assurer que les fichiers mis en place à partir des données pourront être contrôlés dans des conditions qui garantissent le secret de la défense nationale.
S’il en est ainsi, je suis tout à fait d’accord pour ramener à dix jours le délai de conservation des données afin de limiter dans le temps une mesure exceptionnelle, d’autant que la représentation nationale disposera de contrôles a posteriori lui garantissant que cette mesure aura été utilisée d’une manière conforme à ce qu’elle pouvait attendre.
Monsieur le ministre, monsieur Karoutchi, je ne crois pas qu’une telle position mette en cause l’esprit républicain de nos fonctionnaires et de nos services. Il ne fait aucun doute qu’ils agissent avec le souci de respecter la loi et dans un esprit républicain. Simplement, nous connaissons les circonstances dans lesquelles ils sont appelés à intervenir. Nous savons aussi qu’un service de renseignement ne peut pas être comparé à un service d’aide à domicile ou à un service administratif quelconque. Il présente des caractéristiques particulières et agit dans des circonstances particulières, avec des pouvoirs particuliers, qui justifient que la République se préoccupe de contrôler la manière dont il travaille.
Donnons plus de pouvoirs à nos services, mais prévoyons aussi les limites nécessaires dans le temps et instaurons des mécanismes de contrôle a posteriori !
Ce qui me gêne dans ce débat, depuis le début, c’est que l’on ne veut pas trancher. Si l’on nous demande d’agir dans un contexte particulier, ce que nous pouvons comprendre, alors nous prendrons les mesures nécessaires, mais en les assortissant de garanties supplémentaires. Si, à l’inverse, l’on considère que le débat doit se dérouler de façon tout à fait normale, vu qu’il est engagé depuis deux ans, alors qu’on ne reproche pas au Parlement de mettre en danger la République parce qu’il est simplement fidèle à sa doctrine !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Gorce, ce projet de loi n’est pas un texte de circonstance ; mais ce n’est pas une raison pour ignorer toutes les circonstances dans lesquelles il s’inscrit !
Que ce texte ne soit pas dicté par l’émotion des attentats du mois de janvier dernier est un fait incontestable, puisque sa préparation a été décidée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault de longs mois avant que les attentats ne soient commis ; le travail parlementaire lui-même avait largement commencé dès avant les attentats. Néanmoins, faut-il faire comme si les événements de janvier n’avaient pas eu lieu ? Nous ne pouvons pas ignorer le contexte de l’heure, car il nous appartient de faire face à la situation.
Vous avez expliqué que, compte tenu des circonstances dont on ne peut ignorer la particularité, il convenait d’instaurer des dispositifs d’encadrement spécifiques. Tel est précisément l’objet du projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous connaissent bien, pour y avoir travaillé, la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications. Vous mesurez bien que le mécanisme d’encadrement des services de renseignement prévu à l’époque n’a rien à voir avec celui que nous proposons aujourd’hui.
Ainsi, les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont sans commune mesure avec ceux de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Quant au contrôle juridictionnel, il n’existait pas en dehors de l’autosaisine par le Conseil d’État pour contester les actes administratifs pris dans le cadre de l’activité des services de renseignement. Désormais, il pourra être sollicité par la CNCTR, et le juge pénal pourra même intervenir dès lors que des infractions pénales auront été constatées dans la mobilisation d’une technique de renseignement. En outre, la délégation parlementaire au renseignement, dont M. Gorce souhaite le renforcement, vient de voir ses prérogatives élargies en matière de contrôle par rapport à la législature précédente.
Monsieur le sénateur, vous avez tellement raison que tout ce que vous demandez figure dans le projet de loi.
Je vous le répète : ce projet de loi n’est pas un texte de circonstance, mais nous ne devons pas ignorer que le contexte a changé depuis sa rédaction. Parce que les circonstances sont particulières, les mécanismes de contrôle sont nettement renforcés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne remets aucunement en cause la qualité du travail de la DGSI, dont M. le ministre a eu raison de rappeler l’existence, ni l’engagement de ses services, ni le dévouement et l’éthique de l’immense majorité de ses agents. Simplement, j’ai le droit de souligner qu’il y a eu certaines tentatives par le passé pour échapper aux contrôles.
On parle toujours du terrorisme, mais ces techniques ne sont pas, contrairement à certaines mesures spécifiques avec lesquelles j’étais d’accord, réservées à la lutte antiterroriste : il s’agit de mesures générales. D’où ma mise en garde. Faut-il conserver les données aussi longtemps dans les cas de violences collectives ?
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je demande la parole.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de cinq à dix minutes avant que nous ne procédions au vote sur ces amendements.
Mme la présidente. Nous allons donc interrompre nos travaux pour cinq minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La parole est à M. Michel Boutant, pour explication de vote.
M. Michel Boutant. Nous avons tous le sentiment que quelque chose d’important se joue. Avec Jean-Pierre Sueur, et quelques autres collègues, dont Gaëtan Gorce, je suis le signataire de l’amendement n° 141 rectifié, qui est identique à l’amendement n° 72 rectifié bis retiré par M. Jean-Jacques Hyest.
L’argumentation développée par M. le ministre de l’intérieur donne à réfléchir. Il est vrai que les sénateurs ne sont pas aussi informés que lui ou que le ministre de la défense de la situation nationale ou internationale dont s’occupent l’ensemble de nos services de renseignement.
Les échanges entre M. Philippe Bas et M. Jean-Pierre Sueur, qui a défendu nos amendements, n’ont pas pu aboutir à la rédaction d’un sous-amendement. Par conséquent, il me semble difficile de les maintenir.
Nous faisons confiance au ministre de l’intérieur, comme nous faisons confiance aux services qui interviennent dans ce contexte très particulier, car nous aimerions pouvoir mettre un terme à l’extension de l’État islamique et à ses actions de recrutement sur notre territoire.
À défaut de trouver une autre solution, je retire donc les amendements nos 141 rectifié et 142 rectifié.
Mme la présidente. Les amendements nos 141 rectifié et 142 rectifié sont retirés.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. On ne gagne jamais rien à travailler sous le coup de l’émotion. Je ne comprends pas cette façon de procéder. Nous venons d’autoriser l’exploitation de données, non pas en dix jours, mais en trente jours, à titre préventif, au nom de la sécurité, au prétexte que la CNCTR a considéré qu’une personne méritait d’être écoutée parce qu’elle présentait un danger. Si ce sont les moyens qui manquent à nos services, dites-le ! Simplement, il n’est pas cohérent d’affirmer tout à la fois qu’il est nécessaire, pour des raisons de sécurité, de réaliser des écoutes, et de demander que ces données soient exploitées en trente jours, au lieu de dix !
Mme la présidente. L'amendement n° 54, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 63
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous souhaitons attirer plus particulièrement l’attention sur les données chiffrées. À notre avis, pour ce qui les concerne, le délai de conservation ne peut débuter qu’à partir de leur déchiffrement, c’est-à-dire de leur seule exploitation ou décryptage par les services. Dans une telle hypothèse, la durée de conservation est laissée à la discrétion des services, sans aucune limitation.
Ces données, sous prétexte qu’elles sont chiffrées, ne doivent donc pas se voir appliquer un régime spécifique qui laisserait ainsi aux services toute latitude pour en retarder l’exploitation et en allonger de fait la conservation.
Nous proposons donc d’aligner les données chiffrées sur le même régime que les autres types de renseignements, en les détruisant à l’issue d’une durée de trente jours à compter de la première exploitation, et en tout état de cause dans un délai maximal de trois mois après leur recueil.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 140 rectifié, présenté par MM. Raynal, Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 64
Remplacer les mots :
des éléments de cyberattaque
par les mots :
des éléments relatifs aux infractions constitutives d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’expression « cyberattaque » n’est pas à proprement parler une notion juridique. De ce fait, il nous paraît important pour la précision du texte de reprendre l’intitulé du chapitre III du titre II du livre III du code pénal intitulé : « Des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données. »
Loin d’être une simple précision sémantique, ce changement de vocabulaire a pour objet d’encadrer au mieux l’action des services tout en garantissant les droits fondamentaux des individus, puisque ces éléments renvoient alors à des éléments clairement définis juridiquement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable. L’acception du mot « cyberattaque » est plus large.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Sueur. Dommage !
Mme la présidente. L'amendement n° 143 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant et Reiner, Mme Jourda, MM. Gorce, Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 64
Remplacer les mots :
au-delà des durées mentionnées au présent I
par les mots :
pendant dix ans
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. J’espère rencontrer avec cet amendement un plus grand succès que pour le précédent…
L’alinéa 64 concerne les renseignements collectés par les services qui contiennent des éléments de cyberattaque. En l’état, le projet de loi prévoit qu’ils soient conservés au-delà des durées prévues pour les autres catégories de données. En revanche, aucun délai de conservation n’est mentionné, ce qui est étrange.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, s’il faut prévoir des délais partout, pourquoi les renseignements visés à cet alinéa feraient-ils exception à cette règle ? Le Conseil constitutionnel pourrait ne pas y être favorable, ledit délai ne pouvant être infini et devant être justifié au regard des finalités.
Afin de sécuriser juridiquement le dispositif, et par analogie avec les autres catégories de données, nous proposons de faire figurer dans la loi un délai plus que raisonnable pour la conservation des éléments chiffrés ou de « cyberattaque » – néologisme qui figure dans le texte –, délai que nous souhaitons fixer raisonnablement à dix ans.
Eu égard au débat que nous venons d’avoir à l’instant, personne ne pourra dire que dix ans, ce n’est pas raisonnable !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. D’un point de vue technique, il s’agit non pas de données se rapportant à une personne, mais de données de type « virus informatique » pouvant présenter un intérêt scientifique. Leur conservation ne présente aucun inconvénient pour aucune personne. En revanche, elle peut permettre de reconstituer des méthodes de cyberattaque. La commission est défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souscris totalement à l’argumentation de Philippe Bas : il est question ici de données concernant non pas des personnes, mais des codes, des moyens de cryptologie.
Monsieur Sueur, votre amendement vise à limiter à dix ans la durée de conservation des renseignements chiffrés, ainsi que ceux qui contiennent des éléments de cyberattaque, qui peuvent être conservés au-delà des durées autorisées aux seules fins d’analyses techniques.
Cet alinéa 64, je le répète, ne porte que sur les activités de cryptanalyse, c’est-à-dire sur les activités ayant pour objet non pas de surveiller des cibles – c’est ce que vient d’expliquer le rapporteur à l’instant –, mais de « casser » des codes. Or ce travail technique nécessite de très longues séries temporelles. Un délai de dix ans, pour des éléments de cryptologie très sophistiqués, pourrait se révéler trop bref.
Je rappelle que ces données sont conservées en cas de stricte nécessité, pour les seuls besoins d’analyses techniques et à l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernées. Cela paraît donc suffisant pour contrebalancer l’absence d’encadrement de leur durée de conservation.
Pour conclure, les renseignements visés à cet alinéa ne concernant pas les personnes, le grief d’inconstitutionnalité soulevé par Jean-Pierre Sueur ne me paraît pas devoir être opérant.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole sur cet amendement, n’étant pas un spécialiste de ces questions.
Pour en revenir au débat précédent, je le dis en toute sincérité à nos collègues socialistes, j’aurais plutôt été favorable au délai de dix jours si j’avais le sentiment que les services de renseignement disposent aujourd’hui du personnel nécessaire. Les choses étant ce qu’elles sont et le Parlement n’ayant pas la capacité de créer des postes à tour de bras en quelques jours, il faut donc du temps.
S’agissant de l’amendement n° 143 rectifié, après avoir entendu le propos de Philippe Bas, je pensais me rallier à la position de la commission. Or M. le ministre nous explique que les renseignements visés à cet alinéa pourront être conservés au-delà des durées mentionnées pour les autres catégories de données dès lors qu’elles ne sont pas utilisées pour la « surveillance des personnes concernées ». Mais de qui parle-t-on ? Qui sont les personnes concernées ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sans doute ne me suis-je pas exprimé avec suffisamment de précision. Ces données sont conservées sur une durée très longue pour obtenir des renseignements, non sur des personnes, mais sur des codes de cryptologie. Voilà ce qui nous intéresse.
Mme la présidente. L'amendement n° 144 rectifié bis, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéas 67 et 68
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. L. 822-3. – Les données ne peuvent être collectées, transcrites ou extraites à d’autres fins que celles mentionnées à l’article L. 811-3. Les données ne présentant aucun lien direct avec la personne visée par la mesure et les finalités mentionnées à l’article L. 811-3 ne peuvent donner lieu à aucune extraction ou transcription.
« Les transcriptions ou extractions doivent être détruites, sous l’autorité du Premier ministre, dès que leur conservation n’est plus indispensable à la réalisation de ces finalités.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit, là encore, d’un amendement protecteur, comme le sont d’ailleurs tous ceux que nous présentons.
Il vise à préserver les garanties offertes aujourd’hui par les articles L. 242-5 et L. 242-7 du code de la sécurité intérieure. Ces dispositions autorisent la transcription des seuls éléments en lien avec l’un des motifs légaux limitativement énumérés. Elles confient au Premier ministre la responsabilité de vérifier que les transcriptions sont détruites conformément au cadre légal et que des procès-verbaux en attestent.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Il est possible qu’au cours d’une enquête de police administrative soient découverts des éléments étrangers à celle-ci et dont l’exploitation par les services de renseignement soit justifiée, conformément au cadre légal dans lequel s’inscrit leur action. Interdire par avance toute exploitation de renseignements découverts à l’occasion de la mise en œuvre d’une technique de renseignement serait excessif. Si ces informations sont exploitées, c’est qu’elles sont essentielles. Par conséquent, il vaut mieux permettre leur exploitation.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour compléter ce que vient de dire M. le rapporteur, il s’agit de mesures de police administrative, c’est-à-dire visant à prévenir un acte portant atteinte à l’ordre public.
Par conséquent, la collecte de ce type de renseignements ne se fait pas intuitu personae. Puisqu’il s’agit non pas de mesures judiciaires de poursuites, mais de mesures de prévention, si l’on récupère des éléments sans lien direct avec la personne visée par la mesure et les finalités définies par le présent texte, mais qui peuvent être utilisés pour prévenir des actes criminels ou de nature à porter gravement atteinte à l’ordre public, faut-il renoncer à les utiliser ? Quel serait le sens d’une telle démarche et comment pourrait-on justifier que, sous prétexte que cela ne concernait pas la personne interceptée, l’on ait détruit des éléments qui pouvaient permettre de prévenir des troubles graves à l’ordre public, des actes terroristes ou criminels, alors que les services avaient entre les mains tous les éléments qui leur permettaient d’éviter que ces actes ne soient commis ?
Votre raisonnement, monsieur le sénateur, dont je comprends l’inspiration, préside aux dispositifs de caractère judiciaire. Or il s’agit là de mesures de police administrative. Par conséquent il n’est pas possible de raisonner comme vous le faites. Le cas échant, nous serions bien en peine d’expliquer la raison de la destruction d’éléments qui pouvaient permettre la prévention d’actes graves.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Les propos du ministre paraissent frappés au coin du bon sens. Par la force des choses, cela signifie que les données recueillies font logiquement l’objet d’une exploitation, bien qu’elles n’aient aucun lien direct avec la personne visée par la mesure et les finalités définies par le projet de loi. Cela signifie également que seront créés des fichiers destinés à exploiter ces données.
Je souligne que le projet de loi, à aucun moment – et c’est sa faiblesse –, ne prévoit que ces fichiers feront l’objet d’un contrôle. C’est en quelque sorte un point mort dans notre réflexion.
C’est pourquoi je présenterai tout à l’heure un amendement visant à ce que les fichiers constitués dans le cadre de la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignements fassent l’objet d’un contrôle. L’objectif n’est pas de gêner l’action des services, mais, bien au contraire, d’apporter à nos concitoyens les garanties qu’ils sont en droit d’attendre.
L’argumentation du Gouvernement me paraît recevable à la condition que nous puissions nous assurer que l’exploitation ultérieure de ces données « externes » se fera dans des conditions suffisamment protectrices, de manière générale, et non au cas par cas.