M. le président. L'amendement n° 39, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 26
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Un avis conforme est requis pour les personnes mentionnées à l’article L. 821-5-2.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement tend à s’inscrire dans la même philosophie que celle qui a été développée précédemment par nos collègues.
Néanmoins, il s’agit ici de limiter l’exigence d’un avis conforme aux professionnels cités à l’alinéa 49 de l’article 1er, à savoir les parlementaires, les magistrats, les avocats et les journalistes, qui sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie, j’oserai même dire, compte tenu des débats que nous avons eus tout à l’heure, à la forme républicaine de nos institutions.
C’est la raison pour laquelle il me semble indispensable que ces professionnels puissent exercer leur mission sans pression et sans être soupçonnés – je pense notamment aux avocats – d’atteinte aux droits de la défense, compte tenu, notamment, de ce qui peut se dire dans leurs cabinets.
J’ajoute, même si cela a été mentionné par plusieurs orateurs lors de la discussion générale, que les pouvoirs de police administrative introduits par ce texte sont plus importants, dans certains cas, que ceux de police judiciaire. Il est donc important de bien protéger les professions que je viens d’évoquer.
Dès lors, l’avis de la CNCTR, au moins dans ce cas précis, se doit d’être conforme. Je sais que M. le rapporteur a voulu renforcer les conditions dans lesquelles ces professions pourraient faire l’objet d’écoutes ou d’intrusion : les demandes d’autorisation doivent d’abord être examinées en commission plénière ; elles peuvent ensuite faire l’objet de recours simplifié en Conseil d’État.
Toutefois, le traitement des conséquences de ces décisions se fait, par définition, a posteriori. Il serait préférable de les encadrer plutôt a priori, afin d’éviter les atteintes au secret professionnel prévalant dans un cabinet d’avocats, de même que toute forme de pression pouvant être exercée sur ces professions. En cela aussi, l’avis conforme de la CNCTR est important.
Par ailleurs, c’est au législateur de fixer un cadre, de faire la différence entre le légal et l’illégal. En l’occurrence, pour ce type de dispositif, il devrait estimer que les professions dites « protégées » ne peuvent vraiment l’être que par la procédure de l’avis conforme, au lieu de se voir répondre que ce type de décision fait partie des prérogatives de l’exécutif, qui ne seraient pas discutables. La prérogative du Parlement, mes chers collègues, c’est de fixer des limites légales et de dessiner un cadre !
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 39, seconde phrase
Remplacer le mot :
rendu
par le mot :
négatif
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Dans le cadre d’un régime d’autorisation, aucune mesure ne peut être mise en œuvre sans autorisation, l’absence d’autorisation ne pouvant alors valoir que refus. Subsidiairement, dans un régime d’avis, et s’agissant de mesures faisant grief et particulièrement attentatoires aux libertés, le silence ne peut valoir consentement.
Le droit commun en la matière doit prévaloir. En effet, le silence gardé de l’administration vaut rejet. La tendance de ces dernières années, nous le savons, est à l’inversion des grands principes généraux du droit ; cela nous semble dangereux puisque, sous couvert de simplification, ce mouvement vient fragiliser l’administration.
Par ailleurs, cette possibilité de garder le silence laisse présager une absence d’examen des demandes dans la moitié des cas en raison de manque de moyens, qu’il s’agisse de temps, de ressources humaines ou de budget.
C’est pourquoi nous vous invitons à considérer l’avis communiqué au Premier ministre comme négatif si celui-ci n’a pas été rendu dans les délais prévus.
M. le président. L’amendement n° 134 rectifié, présenté par MM. Duran, Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 39, seconde phrase
Remplacer le mot :
rendu
par le mot :
défavorable
La parole est à M. Alain Duran.
M. Alain Duran. Le projet de loi prévoit que la CNCTR ne dispose que d’un pouvoir consultatif dans sa mission de contrôle a priori des demandes de mise en œuvre des techniques de renseignement sur le territoire national.
En prévoyant que l’avis est réputé rendu si la CNCTR ne l’a pas transmis au Premier ministre dans un délai de vingt-quatre heures ou trois jours ouvrables, selon qu’il soit émis par son président ou par plusieurs membres de la commission, il aboutit en outre à faire du silence un consentement.
Or, dans son rapport fait au nom de la commission des lois, Philippe Bas indique que le nombre d’autorisations quotidiennes à délivrer devrait s’élever entre 1 000 et 2 000. Dans son dernier rapport annuel, la CNCIS indiquait quant à elle avoir dû traiter pas moins de 321 000 demandes d’autorisation en un an.
Aussi, il est à prévoir que la CNCTR, qu’elle soit composée de neuf ou treize membres, ne sera pas en mesure d’examiner réellement les demandes d’autorisation de mise en œuvre des techniques de renseignement qui lui seront soumises quotidiennement.
D’une part, la question se pose de la réalité du contrôle a priori exercé par la CNCTR. Il est à craindre qu’il ne puisse être réellement appliqué dans des délais très rapprochés et pour un nombre très élevé de demandes d’autorisation. Il convient, toutefois, de souligner que des progrès ont été accomplis sur ce point au cours de la navette parlementaire, avec plusieurs ajouts bienvenus à l’article L. 832-4 du code de la sécurité intérieure.
D’autre part, dans le cas où la CNCTR n’a pas du tout rendu d’avis dans le délai imparti, l’alinéa 39 de l’article 1er prévoit une solution contestable : « En l’absence d’avis transmis dans les délais prévus au même article, celui-ci est réputé rendu ». « Rendu » équivaut ici à « favorable », puisque l’autorisation du Premier ministre à la mise en œuvre des techniques de renseignement n’a pas à indiquer les motifs pour lesquels celles-ci peuvent débuter en l’absence d’avis.
S’agissant de techniques de renseignement particulièrement intrusives, impliquant une atteinte à la vie privée, il est problématique de laisser accroire que la CNCTR approuve une demande sur laquelle elle n’a en réalité pas rendu d’avis. Les statistiques du rapport public établi annuellement par la CNCTR, censé être un des outils de transparence et donc de contrôle des activités des services de renseignement, risquent d’être ainsi tronquées.
Il serait donc préférable de considérer que l’absence d’avis rendu dans les délais vaut avis défavorable, afin que l’autorisation délivrée par le Premier ministre comporte les motifs pour lesquels il a été décidé, malgré ce silence, de mettre en œuvre une technique de renseignement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Mettre en œuvre une technique de renseignement est un acte d’une extrême gravité. C’est la raison pour laquelle nous avons approuvé en commission des dispositions qui précisent les finalités permettant de le faire.
Ces finalités consistent à défendre et promouvoir les intérêts fondamentaux de la nation, énumérés dans les premiers alinéas de l’article 1er. Parmi eux figurent notamment « l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ». Or, qui dans notre Constitution est chargé de ces missions ? Je vous renvoie à son article 5 : le Président de la République.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans cette liste figure aussi, de manière plus générale, la défense des intérêts de la nation. Or qui « détermine et conduit la politique de la nation » ? Je me tourne vers Jean-Pierre Raffarin, mes chers collègues, et vous renvoie à l’article 20 de la Constitution : le Premier ministre et le Gouvernement.
Vous croyez donc que pour un acte aussi grave, aussi exceptionnel, celui de mettre en œuvre une technique de renseignement, au risque de porter ainsi atteinte au respect dû à la vie privée et de restreindre le champ des libertés, le Gouvernement, responsable devant le Parlement, pourrait renoncer à cette responsabilité essentielle, la plus élevée de toutes, au profit d’une autorité administrative indépendante ?
Je comprends la dévotion qu’il y a parfois à l’égard des autorités administratives indépendantes en général. J’ai également saisi que Jacques Mézard ne la partageait pas.
M. Henri de Raincourt. Il n’est pas le seul !
M. Philippe Bas, rapporteur. Il a raison, car, en république, il est tout à fait essentiel de permettre à un gouvernement républicain, responsable démocratiquement devant le Parlement, d’assumer ses fonctions régaliennes, expressément prévues par la Constitution.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Bien sûr !
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous voulons tous faire en sorte que les mesures mises en œuvre ne soient pas disproportionnées aux fins visées.
La commission a également ajouté au texte qui nous est parvenu de l’Assemblée nationale un premier article, qui détermine en quelque sorte le cahier des charges de la légalité des autorisations.
Nous avons notamment prévu que la CNCTR assumerait le pouvoir de donner un avis en fonction de l’appréciation qu’elle fera de la légalité de l’autorisation à délivrer. Elle pourra également, grâce des pouvoirs d’investigation très étendus, vérifier les conditions dans lesquelles les autorisations sont mises en œuvre. Plus encore, un tiers de ses membres, soit trois sur neuf, pourra saisir le Conseil d’État, afin que le contrôle de ce dernier soit effectif et que la légalité soit respectée.
Telles sont les directions qu’il nous faut prendre pour qu’il n’y ait pas d’abus dans la mise en œuvre des techniques de renseignement. Ce n’est certainement pas en déléguant à une autorisation administrative un pouvoir de l’État, prévu par la Constitution, que nous y parviendrons.
C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur les amendements nos 47, 84 rectifié, 48 et 39.
Elle s’est également opposée aux amendements nos 49 et 134 rectifié, dont les dispositifs sont contradictoires. L’un prévoit en effet que l’avis rendu est réputé favorable s’il n’a pas été transmis dans les délais prévus, quand l’autre prévoit l’inverse. Il faudrait s’entendre sur ce choix ! Le meilleur moyen pour ce faire est de respecter le texte élaboré par la commission des lois, selon lequel l’absence d’avis ne doit pas bloquer la délivrance d’une autorisation, et ce pour une simple et bonne raison : c’est non pas pour le plaisir que les techniques de renseignement sont mises en œuvre, mais parce qu’il y a des raisons graves de le faire.
L’abstention de la CNCTR ne doit donc pas valoir avis favorable ou défavorable ; elle doit seulement avoir pour effet que l’avis est réputé avoir été donné. Le Premier ministre peut alors prendre ses responsabilités ; il le fait, je le répète, sous le contrôle du juge suprême de la légalité des décisions administratives, à savoir le Conseil d’État, protecteur des libertés publiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. M. le rapporteur vient de mobiliser de nombreux arguments à l’appui de sa position. Vous me permettrez donc d’en développer peu ; cela nous permettra de ne pas nous répéter et d’avancer dans le débat.
Ma position en la matière est très claire et très simple ; je pense que ces amendements – leurs auteurs, et notamment Jacques Mézard, ne seront pas d’accord – ne sont pas constitutionnels. Ils sont notamment contraires à l’article 20 de la Constitution.
Le Conseil d’État, dans un avis qu’il a rendu préalablement à la loi de 1991, avait lui-même semblé regarder l’option retenue dans ces différents amendements comme anticonstitutionnels.
Il a ensuite confirmé sa position de manière extrêmement claire dans son rapport de 2001, consacré aux autorités administratives indépendantes et dans lequel on peut lire que, « dans le domaine du pilotage des politiques publiques mettant en jeu les responsabilités régaliennes de l’État […], l’attribution d’un pouvoir de décision à une autorité administrative indépendante ne saurait être envisagée ». (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme.)
Donner la possibilité à une autorité administrative indépendante d’émettre un avis conforme revient à lier le Gouvernement dans son action. Cela entre très exactement dans les cas de figure évoqués par le Conseil d’État, dont la position se fonde sur l’idée que « l’indépendance reconnue aux autorités administratives indépendantes ne doit pas priver le Gouvernement des moyens de faire face à ses responsabilités », notamment lorsqu’il s’agit de compétences totalement régaliennes, qui relèvent du respect de l’ordre public.
Il est bon qu’une autorité administrative indépendante exerce ses prérogatives de contrôle au fond et qu’elle émette un avis, avis dont on a pu constater, d’ailleurs, par l’activité de la CNCIS, qu’il était la plupart du temps suivi ; soit dit en passant, cette commission servait donc à quelque chose, puisque le nombre de cas où ses avis n’ont pas été suivis est infime.
En revanche, lui octroyer le pouvoir d’émettre un avis conforme, ce qui serait, pour toutes les raisons que je viens d’indiquer, non constitutionnel, pose un problème au Gouvernement.
Le Gouvernement n’est donc pas favorable aux amendements nos 47, 84 rectifié, 48, 49 et 134 rectifié. Je laisse à Mme la garde des sceaux le soin de se prononcer sur l’amendement n° 39.
M. le président. La parole est donc à Mme la garde des sceaux, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 39.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens à le dire devant vous, monsieur Lecomte, il est important d’être extrêmement vigilant quant à la situation des professions protégées. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le Gouvernement à déposer un amendement sur ce sujet lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Nous savons que les dispositions sont perfectibles ; nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous discuterons des amendements portant sur ce thème.
Cela dit, l’amendement n° 39 tend à introduire la possibilité pour la CNCTR de rendre un avis conforme. Le corps même de l’argumentation que je vais vous présenter est identique à celui que vient de développer le ministre de l’intérieur. En effet, cette possibilité reviendrait en réalité à transférer la décision d’accorder l’autorisation d’utilisation de techniques de recueil de renseignement à l’autorité administrative indépendante, ce qui n’est pas concevable.
La CNCTR est une autorité administrative indépendante. Cela signifie que le Gouvernement lui garantit les moyens de fonctionner et d’émettre un avis sans contrainte ou pression. Toutefois, la responsabilité doit bien incomber à l’autorité politique, c'est-à-dire, en l’occurrence, à l’exécutif. C’est lui qui vient rendre compte devant le Parlement.
Certes, la CNTRC peut présenter un rapport ; il est même prévu qu’elle en remette un chaque année. Néanmoins, c’est bien l’exécutif qui peut répondre et, le cas échéant, être sanctionné par le Parlement.
Nous portons une attention particulière aux professions concernées, afin de protéger les secrets dont elles sont détentrices du fait de leur activité. Cela relève du bon fonctionnement de la démocratie.
Toutefois, je le répète, inscrire dans la loi le principe d’un avis conforme reviendrait à transférer le pouvoir de décision à l’autorité administrative indépendante. Or, dans une démocratie et dans un État de droit, il est plus rassurant que ce soit effectivement à l’exécutif d’en répondre.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 39.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote sur l’amendement n° 47.
M. Jean-Jacques Hyest. Je rejoins M. le ministre de l’intérieur. Il ne me paraît pas possible que le pouvoir de décision revienne à une autorité administrative indépendante.
M. Jacques Mézard. Pourtant, cela se fait !
M. Jean-Jacques Hyest. Mais non ! D’un point de vue constitutionnel, cela ne tient pas debout ! L’activité dont nous parlons relève de l’exécutif ; c’est donc à l’exécutif de décider.
Je comprends que les craintes d’une surveillance généralisée et systématique puissent s’exprimer. Toutefois, il faudra d’abord une autorisation du ministre, qui examinera les motivations de la demande avec attention, en responsabilité.
Il faudra aussi l’avis de la CNCTR. Ai-je besoin de rappeler que la perspicacité de la CNCIS n’a jamais été prise en défaut depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1991 ? D’ailleurs, d’après les textes, cette commission devait simplement procéder à un contrôle de conformité en droit. En pratique, elle s’est mise à émettre des avis, que les gouvernements ont presque systématiquement suivis.
Le projet de loi introduit des innovations, ce dont je me réjouis ; je pense notamment aux possibilités de recours. Néanmoins, je ne puis concevoir un traitement particulier pour tel ou tel acteur. Ce serait une rupture d’égalité devant la loi ! Je ne suis donc pas favorable à l’avis conforme.
En revanche, je vous assure que le principe d’un passage préventif devant la commission compétente pour les interceptions de sécurité a fait la démonstration de son efficacité. Au demeurant, la CNCTR examinera également le caractère proportionné de la demande. Elle pourra donc dire si le recours à une telle technique lui paraît abusif.
Le texte proposé me semble donc équilibré. Il y aurait des risques à aller plus loin. Pour ma part, je n’ai jamais été très favorable au fait que certains bénéficient d’un traitement à part.
Il y a simplement un problème : comme je l’ai déjà indiqué, plus la CNCTR sera pléthorique, moins elle sera efficace. Évitons d’en alourdir indéfiniment la composition ! Un dispositif de formation restreinte est prévu. Fort bien. Mais pourquoi en exclure les parlementaires ? Tous ceux qui ont siégé à la CNCIS peuvent témoigner de l’efficacité du système. En trente ans, il n’y a eu aucun problème !
Nous pouvons nous inspirer de ce modèle pour trouver un équilibre respectueux des responsabilités des différents acteurs, en particulier le Premier ministre.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. M. le ministre de l’intérieur a bien compris que je n’étais pas convaincu par son argumentaire. (M. le ministre le confirme.)
Je trouve tout de même surréaliste d’affirmer qu’aucune autorité administrative indépendante n’a de pouvoir décisionnel ! Voyez donc les pouvoirs décisionnels de l’Autorité de la concurrence,…
M. Yves Pozzo di Borgo. Ou de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique !
M. Jean-Yves Leconte. Ou du CSA !
M. Jacques Mézard. … qui, si j’ai bien compris, vont encore s’accroître avec la loi Macron. Ce n’est pas une vue de l’esprit !
De même, on peut difficilement prétendre que les autorités administratives dites « indépendantes » n’auraient pas de pouvoir décisionnel de nomination !
Vous pouvez très bien m’opposer tous les avis du Conseil d'État que vous voulez. J’observe d’ailleurs qu’il y a beaucoup de membres ou d’anciens membres du Conseil d'État ou de la Cour des comptes dans les collèges de ces autorités.
Soyons honnêtes : l’autorité que vous créez se substituera à une autorité administrative actuelle ; ce ne sera donc pas une instance de plus !
Vous y voyez une garantie de liberté, monsieur le ministre. Je ne doute ni de votre sincérité ni de vos bonnes intentions. Néanmoins, le fait qu’un avis, s’il est différent du souhait du Gouvernement, n’ait à peu près aucune portée, hormis la peine causée au Gouvernement ou la perspective d’être vaguement mentionné dans la presse ou dans un rapport quelque temps plus tard, ne me paraît pas refléter l’équilibre que vous appelez de vos vœux !
Il est normal que nous ayons ce débat ; c’est un débat de fond. Chacun peut avoir ses convictions. Toutefois, on ne me fera pas avaler que c’est une bonne formule !
Par ailleurs, je ne comprends pas que l’avis de l’autorité soit présumé rendu, et non favorable, en cas d’absence de réponse. Pourquoi une autorité indépendante incapable de répondre dans le délai imparti devrait-elle être mieux traitée qu’un particulier ou une collectivité, dont l’avis est réputé favorable ?
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. J’essaie de comprendre. Je suis un parlementaire de base, et non un juriste aguerri depuis cinquante ans, comme notre rapporteur. (Exclamations amusées.) Je n’ai qu’une modeste maîtrise de droit.
M. Alain Bertrand. C’est peu ! (Sourires.)
M. Yves Pozzo di Borgo. En effet, mon cher collègue. Toutefois, cela me permet tout de même d’avoir quelques éléments de réflexion sur le droit.
Aux termes de l’alinéa 49, lorsque la demande, qui est formulée par le pouvoir exécutif, c'est-à-dire le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de l’intérieur ou l’un de ses délégués, concerne un parlementaire, la CNCTR doit rendre son avis en formation plénière.
Or M. le président du Sénat, qui est tout de même le deuxième personnage de l’État,…
M. Jean-Claude Lenoir. Non ! Ce n’est pas exact.
M. Yves Pozzo di Borgo. … a récemment rencontré M. Poutine, dans un contexte de tensions fortes avec la Russie ; songeons à la question des sanctions ou au problème des Mistral. Imaginons que le Président de la République ou le Premier ministre demandent que M. le président du Sénat soit placé sur écoutes.
M. Philippe Bas, rapporteur. Ce ne serait pas légal !
M. Yves Pozzo di Borgo. À moins que vous ne me démontriez le contraire, dans le projet de loi, le président du Sénat n’est qu’un parlementaire comme les autres.
La CNCTR serait donc saisie pour examiner en formation plénière la demande de mise sur écoutes du président du Sénat.
Or l’un des premiers principes de droit public que l’on m’ait enseignés, c’est la séparation entre l’exécutif et le législatif. Notre Constitution, qui confie la quasi-totalité des pouvoirs régaliens au Président de la République et au Premier ministre, ne le respecte déjà pas, mais nous sommes bien obligés de nous conformer à la loi fondamentale. Quoi qu’il en soit, je me demande si le présent projet de loi n’est pas tout simplement contraire à ce principe fondamental de notre République !
Je serais ravi d’entendre votre réponse sur ce point, monsieur le rapporteur. J’écoute toujours vos analyses juridiques avec beaucoup d’intérêt.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les sujets que M. Mézard aborde ont, à l’évidence, vocation à être traités. Débattre au Parlement, ce n’est pas éluder les questions !
D’ailleurs, comme je l’ai indiqué devant la représentation nationale, le Gouvernement – cela vaut également pour Mme la garde des sceaux ou M. le ministre de la défense, qui sont présents – tient à apporter les réponses aux interrogations qui s’expriment dans la société civile et l’opinion publique sur le sujet.
Monsieur Mézard, le Conseil d'État se positionne sur les autorités administratives indépendantes qui interviennent dans les matières relevant des compétences régaliennes de l’État. En l’espèce, ce que j’ai indiqué quant à la constitutionnalité des propositions qui nous sont soumises reste tout à fait vrai.
Il peut exister des autorités administratives indépendantes qui interviennent dans d’autres domaines, comme la régulation économique ou la régulation sociale. Dans ces matières, il est vrai que de nombreuses autorités administratives indépendantes, comme l’Autorité de la concurrence ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel, disposent d’un pouvoir de décision.
Toutefois, pour les matières qui relèvent des compétences régaliennes de l’État, par exemple l’ordre public ou la sécurité nationale, le Conseil d'État considère que la règle ne peut pas être celle de l’avis conforme de la part d’autorités administratives indépendantes. Il l’a affirmé en 1991 à propos de la loi relative au secret des correspondances et confirmé dans un avis rendu en 2001.
Il n’y a donc pas de désaccord entre nous. Mes analyses sur l’inconstitutionnalité des dispositions proposées au Sénat concernent uniquement les hautes autorités administratives qui interviennent dans des domaines relevant des compétences régaliennes de l’État. Les écrits du Conseil d'État à cet égard sont sans équivoque.
Dans la suite de son raisonnement, M. Mézard s’interroge sur l’utilité d’une haute autorité administrative indépendante dont les avis n’auraient pas vocation à être suivis, suggérant implicitement que le rôle d’une telle instance se limiterait alors à la publication annuelle de rapports rendant compte de son inutilité.
Or ce n’est pas ce qui se passe en pratique ! En pratique, le Gouvernement suit les avis de la CNCIS. Et lorsqu’il ne les suit pas, ce qui est très rare, voire marginal, le président de cette autorité le fait savoir. Vous avez d’ailleurs remarqué comme moi qu’il avait une certaine liberté de ton, preuve qu’il est à la tête d’une autorité véritablement indépendante.
Par conséquent, je suis certain que le président d’une haute autorité administrative indépendante dont le Gouvernement ne suivrait jamais les avis prendrait les décisions qui s’imposent pour remédier à cette situation.
Tout à l’heure, quelqu’un a cité Tocqueville. Permettez-moi de citer à présent Montesquieu, qui écrivait ceci : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Dans une démocratie, quand les pouvoirs de certains sont bafoués par les pouvoirs d’autres, cela se voit !
À en juger par les interventions des différents orateurs, je doute que l’on puisse – d’ailleurs, je ne le souhaite pas, et je me battrai même pour que cela n’arrive pas – mettre la poussière sous le tapis sur un tel sujet. Car la poussière finirait par être plus épaisse que le tapis, et cela se verrait !
Je ne partage donc pas les inquiétudes du président Mézard, même si je salue la pertinence des questions qu’il soulève et qui doivent appeler de la part du Gouvernement des réponses argumentées et précises.
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.