M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l'amendement n° 239.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement a pour objet de revenir à la version du texte adoptée par l’Assemblée nationale. On ne peut en effet considérer qu’une personne dont la demande d’asile a été rejetée doit, de ce fait, être privée de toute possibilité de faire valoir son droit au séjour.
Après avoir longuement exposé mon raisonnement, je ne veux pas vous infliger une deuxième démonstration, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous renvoie à ma présentation de l’amendement précédent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous sommes à un moment crucial, pour ne pas dire stratégique, de notre discussion.
Les amendements n° 143, 37 rectifié bis, 75, 76 et 239 ont tous reçu de la part de la commission des lois un avis défavorable.
À ce stade, seule compte l’efficacité de la procédure que nous souhaitons mettre en place pour ce qui concerne le traitement de l’asile.
Afin de faire face à la problématique à laquelle nous nous heurtions, nous avons décidé de respecter des délais courts d’instruction des demandes d’asile, en les faisant passer virtuellement de vingt-quatre mois à neuf mois, de gagner du temps en termes de procédure, de maintenir la procédure accélérée, de conserver le juge unique, de prévoir des mesures d’irrecevabilité et de clôture. Autrement dit, il s’agit de veiller à ce que notre législation, dans laquelle sont transposées les directives européennes qui s’imposent, soit la plus efficace possible, afin que l’OFPRA et la CNDA puissent décider rapidement, dans le respect des droits des demandeurs d’asile.
Permettez-moi de rappeler les chiffres, mes chers collègues. Chaque année, sur les 66 000 personnes qui déposent une demande d’asile, 14 000 obtiennent une réponse favorable, les autres constituant ce que l’on nomme communément les déboutés du droit d’asile. Autrement dit, chaque année, après les décisions que prennent les deux institutions dont nous avons tous loué les qualités et les compétences et qui connaissent cette question parfaitement, 40 000 personnes rejoignent l’immigration dite « clandestine ».
Nous savons que ceux qui ont été déboutés, parce qu’ils sont restés sur le territoire national pendant pratiquement deux ans, souhaitent y demeurer le plus longtemps possible, voire définitivement, et tentent d’obtenir un titre de séjour en invoquant d’autres motifs : regroupement familial, travail, santé, etc. Certains ne demandent rien et basculent tout simplement dans la clandestinité.
Nous savons également qu’une grande partie des demandeurs d’asile se trouvent dans des réseaux de filières mafieuses qui leur promettent monts et merveilles, leur expliquant que, une fois en France, ils feront une demande d’asile, qui n’aboutira sans doute pas, mais qui leur permettra de rester au moins vingt-quatre mois sur le territoire.
Face à ce projet de loi d’envergure, la commission a, dans sa majorité, considéré qu’il fallait que notre droit marche sur deux jambes. Il convient donc à la fois de réduire les délais de la procédure – sur ce sujet, nous sommes tous d’accord – et d’envoyer en direction de ceux qui ont engagé cette procédure à d’autres fins que celles d’obtenir un titre de séjour un message clair : ils doivent être reconduits dans leur pays d’origine. En effet, s’ils ne sont pas susceptibles d’obtenir la protection que la France peut leur accorder, c’est parce qu’ils sont venus dans notre pays pour d’autres raisons, en général économiques.
C’est pourquoi la commission a souhaité mettre en place deux dispositifs principaux.
La première mesure prévoit que, pour celui dont la demande n’a pas prospéré, la décision de l’OFPRA ou de la CNDA, lorsqu’elle a un caractère définitif, vaut obligation de quitter le territoire français.
Sur le plan juridique, il est évident que cette OQTF, qui est la conséquence du rejet de la demande d’asile, peut être contestée devant la juridiction compétente dans les conditions du droit positif actuel. Cette disposition permet surtout de gagner du temps : je pense en particulier au délai entre le moment où la décision définitive est rendue et le moment où le préfet prend la décision d’obligation de quitter le territoire français. Aujourd’hui, nous ignorons la durée moyenne de ce délai : elle peut aller de quelques semaines à plusieurs mois. C’est justement parce qu’elle est importante qu’il faut à tout prix envoyer un message clair. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Dès lors que la sécurité juridique peut être assurée par le recours possible contre cette obligation de quitter le territoire français, il a semblé à la majorité de la commission que la disposition qu’elle avait imaginée pouvait être retenue.
La seconde mesure s’inscrit dans le même esprit. Nous savons qu’une partie des demandeurs d’asile sont aux mains de filières, souhaitent rester sur le territoire et ont conscience que la procédure qu’ils engagent n’aboutira pas. Dans ces conditions, si nous souhaitons sauvegarder la procédure d’asile, nous devons leur faire savoir que, s’ils n’obtiennent pas la protection de la France, ils ne pourront pas demander un autre titre de séjour, sauf circonstance particulière. C’est ce que prévoit le texte de la commission : il convient de tenir compte des cas spécifiques, notamment des problèmes de santé. Là encore, c’est un message fort que la commission souhaite envoyer.
C’est sur mon initiative que ces dispositions ont été prises. L’idée n’est absolument pas de supprimer des droits à qui que ce soit. Nous en avons au contraire octroyé, nous les avons encadrés et sécurisés. Nous souhaitons sauver la protection que nous accordons à ceux qui relèvent de l’asile.
En la circonstance, si la situation reste en l’état, monsieur le ministre, l’année prochaine ou dans deux ans, nous serons amenés à augmenter encore les effectifs de l’OFPRA, à améliorer les conditions matérielles de la CNDA en lui offrant plus de moyens, mais le système perdurera et les personnes déboutées de leur demande basculeront toujours dans la clandestinité.
Depuis plusieurs années, il faut le rappeler, le taux de protection accordée par la France est à peu près stable. C’est dans ce contexte que la commission des lois a souhaité inscrire ce dispositif dans le présent projet de loi.
Disons les choses telles qu’elles sont : nous aurions tous préféré mener une réflexion d’ensemble sur ce texte et sur le projet de loi relatif à l’immigration. Tel ne fut pas le cas. Je conviens aussi qu’il faut bien distinguer l’asile du reste. Cependant, nous ne pouvons pas faire comme s’il n’y avait aucun lien entre l’immigration clandestine et les déboutés du droit d’asile. Ce lien existe et il faut bien y apporter réponse.
Cela étant, c’est un sujet difficile. Je l’ai souligné lors de la discussion générale : nous ne traitons pas de marchandises ou de produits ; nous parlons de personnes, d’êtres humains. Certes, des problèmes juridiques se posent et sans doute le texte n’est-il pas totalement abouti, je veux bien en convenir. Mais il reste encore du temps pour l’améliorer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 143 ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avant tout, je tiens à répondre à M. le rapporteur.
Sur ce projet de loi, M. le rapporteur a accompli un travail très approfondi, que je salue, faisant preuve d’une exigence de détail et d’une mise en perspective très utiles. C’est la raison pour laquelle je veux trouver une solution. Je suis convaincu que l’adoption de l’article 14, tel qu’il a été rédigé par la commission, nous conduirait dans une impasse juridique, mais surtout entraînerait un allongement considérable des délais, ce qui est contraire à l’objectif de la commission.
Dans le même temps, je partage tout à fait la préoccupation de la commission : il n’est pas question de laisser s’enkyster la situation de ceux qui sont déboutés du droit d’asile. Cela provoque des désastres humanitaires et met en danger la soutenabilité de la politique de l’asile, alors même que celle-ci doit être confortée dans ses principes pour rester humaine et efficace.
La commission estime que si un demandeur d’asile est débouté, dès lors qu’il n’a pas d’autre possibilité d’avoir accès au séjour, son retour doit être organisé rapidement et dans les meilleures conditions. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement n° 240 tendant à insérer un article additionnel après l’article 14 bis qui vise à permettre au préfet de délivrer une obligation de quitter le territoire français dès qu’une décision de rejet d’asile est devenue définitive. Cela réduit au maximum le délai entre le rejet de la demande d’asile et l’obligation de quitter le territoire français, objectif de la commission que le Gouvernement partage. Qui plus est, juridiquement, cette disposition est sûre.
Sur un sujet comme l’asile, il est bon que le débat nous permette de rapprocher nos points de vue et d’arrêter le meilleur dispositif, alors même que les objectifs du Gouvernement et de la commission convergent, mais que divergent les méthodes retenues.
L’adoption de l’amendement n° 240 permettra de sortir d’une difficulté juridique, évitera des délais considérables et répondra à la préoccupation tout à fait légitime exprimée par le président de la commission.
Ce faisant, nous atteindrons l’objectif d’efficacité, nous sécuriserons juridiquement le texte. Nous apporterons la démonstration que, sur des sujets techniquement et juridiquement aussi complexes, qui renvoient à des valeurs essentielles de notre pays, nous sommes capables, sans nous affronter, dans le cadre d’un débat parlementaire apaisé, de trouver ensemble des solutions opportunes. La représentation nationale en sortira grandie.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 143 au profit des amendements identiques nos 37 rectifiés bis et 75.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Avant de répondre à la proposition de M. le ministre, qui va dans le sens la commission, je tiens à réexpliquer la position de la celle-ci, même si M. le rapporteur l’a fort bien exposée et développée.
Sur le constat, nous sommes tous d’accord : chaque année, à peu près 60 000 demandes d’asile sont traitées et seules 20 000 d’entre elles environ font l’objet d’une décision d’attribution de la qualité de réfugié ou d’une décision de protection subsidiaire au titre des conventions internationales. Chaque année, par conséquent, sur les 40 000 étrangers déboutés, la très grande majorité – sinon l’intégralité ! – reste sur le territoire national.
La commission des lois refuse de s’accommoder de cette situation. Il lui est donc paru impossible de traiter du droit d’asile dans le cadre de la transposition des directives européennes sans chercher à résoudre cette question qui, pour les équilibres sociaux de la République, est sans doute l’une de celles qui se posent avec le plus d’acuité aujourd’hui.
Face à ce problème, les solutions qu’a trouvées la commission ne sont sans doute pas parfaites – M. le rapporteur l’a reconnu –, mais elles sont le fruit d’une réflexion et d’un examen juridiques approfondis.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté très attentivement, mais je n’ai pas été convaincu par les arguments juridiques que vous avez avancés. D’autres peuvent vous être opposés.
Vous dites qu’il appartient au préfet d’apprécier la régularité du séjour et de décider de demander à l’étranger de quitter le territoire français. C’est en effet le cas, mais parce que la loi le prévoit. Or nous sommes en train d’écrire la loi. Rien ne nous interdit par conséquent de prévoir qu’une décision de l’OFPRA peut valoir obligation de quitter le territoire français. Après tout, il s’agit là d’une décision administrative.
Par ailleurs, il ne s’agit pas pour le juge administratif d’apprécier la décision de la Cour nationale du droit d’asile, celle-ci ne se prononçant pas sur cette partie de la décision de l’OFPRA. Le texte adopté par la commission prévoit en effet que c’est non pas à elle de le faire, mais au juge administratif, comme c’est d’ailleurs le cas pour les obligations de quitter le territoire français.
Se pose ensuite la question du changement de situation du demandeur d’asile, en raison d’événements familiaux ou de problèmes de santé, lesquels sont d’autant plus probables que le demandeur est présent sur le territoire national depuis longtemps. Pour couvrir ce type de difficulté, le texte de la commission prévoit que, en raison de circonstances particulières, le rejet de la demande d’asile peut ne pas valoir obligation de quitter le territoire français.
Je rappelle à cet égard que, même si nous n’avions pas pris cette précaution, aux termes de dispositions impératives et incontournables de notre droit, l’octroi d’un titre de séjour pour raison de santé est de plein droit quand les conditions requises sont réunies. Naturellement, la commission des lois du Sénat n’entend pas déroger à cette exigence, qui a été clairement posée par le législateur.
Serait-ce plus compliqué de procéder comme nous le proposons ? Il y a du pour et du contre, monsieur le ministre ! Je viens d’une région – vous la connaissez bien – où l’on pèse le pour et le contre. (M. Jean-Claude Lenoir s’exclame.) Point positif, le fait de ne pas avoir à entamer une nouvelle procédure – au demeurant quand ? – auprès d’un préfet – lequel d’ailleurs, l’étranger ayant bien souvent été perdu de vue ? – permettra d’aller plus vite. En outre, un recours devant le juge administratif ne prendra pas plus de temps qu’un recours contre une décision préfectorale, car il est bien entendu que le juge administratif ne se prononcera sur la décision qui a été prise qu’en tant que mesure de police administrative.
Parmi les amendements que nous examinons, seul l’amendement de Mme Létard, identique à l’amendement n° 75, tend à conserver l’alinéa 18 de l’article 14, lequel prévoit qu’un étranger ne peut pas demander un titre de séjour à un titre autre que l’asile après avoir été débouté du droit d’asile. Je remercie Mme Létard d’avoir pris cet élément en compte.
Si des précisions sont nécessaires sur les modalités d’appréciation des circonstances particulières, je fais toute confiance au Gouvernement pour les faire figurer dans les décrets d’application qu’il est de son devoir de prendre. Il pourra naturellement compter sur le concours de la commission des lois pour l’y aider en tant que de besoin.
Par ailleurs, il me paraît important de souligner que si le texte de la commission n’était pas adopté, le débat serait alors définitivement clos sur ce sujet. C’est précisément ce que nous souhaitons éviter. S’il nous semble absolument indispensable que la disposition retenue par la commission puisse vivre sa vie, c’est parce que nous voulons avoir l’occasion de trouver un terrain d’entente avec les députés lors de la réunion de la commission mixte paritaire. De mon point de vue, c’est d’autant plus souhaitable que le Gouvernement a bien montré qu’il n’était pas hostile par principe aux propositions de la commission des lois, ses objections étant d’ordre juridique. Ne renonçons donc pas à progresser pour lever ces objections. Ouvrons plutôt le débat avec le Gouvernement et avec l’Assemblée nationale en adoptant les dispositions proposées par la commission.
Je tenais à vous expliquer les raisons qui justifient la position de la commission, monsieur le ministre, et à rendre compte de l’examen juridique auquel celle-ci a procédé, même si elle l’a fait dans des termes différents des vôtres. Comme dans tout débat juridique, il est bon, pour réussir progressivement à trouver la bonne solution, de confronter les points de vue, et nous agissons ainsi tout en faisant preuve de responsabilité.
Afin d’examiner l’amendement auquel vous avez fait référence, je propose que la commission des lois se réunisse.
Mme Nicole Bricq. M. le ministre a été précis, on a bien compris sa proposition !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ainsi, nous ne nous engagerons pas sans avoir été éclairés par les discussions contradictoires des membres de la commission. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne veux pas, mesdames, messieurs les sénateurs, me prononcer sur les modalités de travail du Sénat. Si la commission des lois souhaite se réunir, cela ne me pose pas de problème.
Permettez-moi simplement au préalable d’apporter deux précisions.
En bon normand – l’étant comme vous, je comprends votre approche, monsieur Bas –, vous dites qu’il y a du pour et du contre dans la proposition de la commission. Or j’ai peur, je le répète, qu’il n’y ait que du contre, et ce pour des raisons juridiques précises.
Pour que l’OQTF soit exécutoire, le préfet devra ouvrir un dossier, statuer sur un délai de départ volontaire et sur le pays de renvoi, comme le prévoit la directive Retour, que nous ne pourrons pas ne pas appliquer. De ce fait, un double contentieux sera ouvert, ce qui alourdira le dispositif, comme je l’ai indiqué tout à l’heure.
Pour ma part, je souhaiterais un système dans lequel il n’y aurait que du pour. Pour cela, je propose que l’OQTF soit prise par le préfet après que la dernière décision sur l’asile a été prononcée. Un tel dispositif aurait le mérite d’être efficace et de présenter zéro risque juridique.
Monsieur Bas, vous proposez que la commission des lois se réunisse pour statuer sur l’amendement n° 240, or elle l’a déjà fait,…
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … comme en atteste le compte rendu de ses travaux. Cela étant dit, je veux bien que nous en débattions une fois de plus si tel est votre souhait, cela ne me pose aucun problème.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous avez dit que vous aviez une proposition à nous faire !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Elle figure dans l’amendement n° 240 du Gouvernement, qui tend à prévoir qu’une fois qu’un étranger a été définitivement débouté du droit d’asile, le préfet prononce l’OQTF. Cette proposition a le mérite, je le répète, de ne présenter aucun risque juridique.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Nous en sommes tous d’accord, la situation d’inexécution des OQTF n’est pas satisfaisante en l’état. Toutefois, à la différence de certains de mes collègues, je fais confiance au Gouvernement pour se donner les moyens de mieux faire exécuter ces obligations de quitter le territoire français.
Je souscris tout à fait aux argumentaires de Mme Létard et de M. Leconte. Associer la décision de rejet de la demande d’asile à une OQTF n’est pas la bonne réponse à la question qui nous est posée.
À la suite de M. le ministre, qui a excellemment développé les arguments juridiques sur ce point, permettez-moi, mes chers collègues, d’en ajouter un autre.
La Haute Assemblée, en particulier la commission des lois, est très attentive à la clarté du droit. Or la proposition de la commission des lois contribue à brouiller les cartes, d’une part, entre droit d’asile et immigration irrégulière – ce brouillage n’est d’ailleurs peut-être pas totalement fortuit… – d’autre part, pour ce qui concerne le fonctionnement de nos institutions.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur la difficulté pour nos concitoyens aujourd'hui de déchiffrer les textes législatifs de plus en plus longs, de plus en plus complexes que nous écrivons au Parlement. Le fait que la commission des lois crée une confusion complète entre les autorités susceptibles de prendre des décisions graves – le rejet de la demande d’asile d’un côté, la décision d’obligation de quitter le territoire français de l’autre – ne peut que troubler nos concitoyens et alimenter leur défiance vis-à-vis de la loi et de ses rédacteurs.
Je souhaite donc que le Sénat fasse preuve, comme il le fait souvent, de rigueur dans la rédaction du présent projet de loi et dans son approche des liens existant entre les différentes institutions. Au préfet de délivrer des OQTF, à l’OFPRA et à la CNDA de statuer sur le droit d’asile ! Il serait bon de s’en tenir à cette distinction claire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je vais essayer de tenir un propos qui ne suscitera pas de protestations de votre part.
Si j’avais proposé que la commission des lois se réunisse, c’est parce que j’avais compris que le Gouvernement formulait une proposition nouvelle.
Or, monsieur le ministre, vous aviez en effet officiellement présenté votre proposition ; il s’agit de l’amendement n° 240, que nous examinerons dans quelques instants. Je rappelle qu’il tend à prévoir que le préfet a la faculté de prononcer l’obligation de quitter le territoire français en cas de rejet définitif d’une demande d’asile, mais non l’obligation de le faire, l’article L 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qu’il s’agit de modifier, prévoyant que l’autorité administrative « peut » obliger un étranger à quitter le territoire français dans un certain nombre de cas énumérés. Il est donc question d’ajouter un nouveau cas à l’énumération, mais laissons cela de côté provisoirement.
À ce stade de nos débats, je pense pouvoir dire, sans préjuger le résultat du vote, que nous sommes largement d’accord pour préserver l’alinéa 18 de l’article 14, lequel porte sur l’interdiction faite à un étranger de demander un titre de séjour à un autre titre que le droit d’asile une fois qu’il a été définitivement débouté du droit d’asile. Du moins est-ce ce que j’ai compris de nos débats sur l’amendement de Valérie Létard, qui, en raison de l’investissement qui est le sien en matière de droit d’asile, a fait les choses de manière précise.
Reste donc, de mon point de vue, une discussion sur l’alinéa 17. Madame Létard, si nous voulons aboutir à une rédaction consensuelle, ou qui du moins s’en approcherait, il faudrait que le texte résultant des travaux de la commission soit adopté, afin que nous puissions ensuite mettre à profit le délai qui nous sépare de la réunion de la commission mixte paritaire pour parvenir à un accord. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Au moins le Sénat aurait-il clairement exprimé sa volonté politique de faire en sorte que les déboutés du droit d’asile soient normalement reconduits à la frontière lorsqu’ils ont épuisé toutes les voies de recours.
S’il faut assouplir l’alinéa 17 sur tel ou tel point, notamment pour prendre en considération des situations particulières, je suis parfaitement ouvert à la discussion, tout comme, me semble-t-il, M. le rapporteur.
Je souhaite donc, ma chère collègue, que vous acceptiez de retirer votre amendement, de sorte que nous puissions avancer ensuite vers la recherche d’une solution définitive de qualité. (Mmes Nicole Bricq, Catherine Tasca et Esther Benbassa marquent leur désaccord.) Vous pourriez certainement accepter vous aussi une telle solution, mesdames, d’autant que j’ai compris que M. le ministre lui-même n’y était pas opposé par principe.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Nous nous trouvons dans une situation inextricable, alors même que nous sommes peu ou prou d’accord sur le fond. Nous devons donc trouver une solution qui permette à chacun de s’en sortir, tout en respectant les grands principes. Si nous voulons aboutir, nous devons naturellement nous respecter mutuellement et nous faire confiance.
La commission des lois souligne qu’il ne doit pas y avoir de délai entre une décision définitive de refus de droit d’asile émanant de l’OFPRA ou de la CNDA – le juge de l’OFPRA – et le départ du territoire français. En conséquence, elle fait œuvre d’innovation juridique en proposant que la décision administrative de l’OFPRA ou la décision juridictionnelle de la CNDA vaille décision de quitter le territoire français.
Nous sommes d’accord, tout comme Mme Létard, pour réduire les délais au maximum. J’insiste au demeurant sur le fait qu’il s’agit d’une question non pas de droit, mais d’humanité. Si l’on attend un an avant de délivrer un ordre de quitter le territoire français à une personne déboutée du droit d’asile, on crée une situation inhumaine pour celle-ci.
M. le ministre en convient et avance une solution. La commission en propose une autre, sur laquelle Mme Létard livre un avis frappé au coin du bon sens, qui s’appuie sur nos traditions juridiques les plus fondamentales. En effet, ce n’est pas parce qu’une décision vaudra ordre de quitter le territoire que l’on empêchera le dépôt d’un recours contentieux.
Si l’OFPRA refuse le droit d’asile, la personne déboutée pourra saisir la CNDA. Mais si cette décision vaut aussi obligation de quitter le territoire français, la même personne pourra également saisir le juge administratif de droit commun, seul compétent en la matière.
Si la décision émane de la CNDA, elle pourra être contestée, par la voie de la cassation, devant le Conseil d’État.
S’il s’agit de contester l’ordre de sortie du territoire, nous sommes alors dans le contentieux de l’annulation, et, nous le savons tous, les pouvoirs du juge de cassation ne sont pas les mêmes que ceux du juge de l’annulation. Nous allons donc créer de nouvelles difficultés.
M. le ministre prétend détenir la solution : quand une décision définitive de rejet est prise, le préfet doit statuer… Sauf que dans la loi, c’est le terme « peut » qui est employé, et non le terme « doit ». Je sais bien que cette rédaction traditionnelle permet de préserver la liberté d’appréciation de l’autorité de police, mais peut-être pourrions-nous, d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire, réfléchir à la possibilité de transformer cette faculté en obligation, ce qui pourrait constituer une solution satisfaisante pour tous, dégagée des clivages partisans. Car le droit d’asile se doit impérativement d’être transpartisan si l’on ne veut pas qu’il soit sans cesse modifié.
Il faudrait donc que la solution préconisée par M. le président de la commission puisse être précisée, en lien avec le Gouvernement, d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’intervention très intéressante de Michel Mercier nous permet d’avancer.
Si le problème est de choisir entre les verbes pouvoir et devoir, je vais rectifier mon amendement, afin de lever toute ambiguïté et de parvenir à une solution satisfaisante.
J’ajoute d’ailleurs que dans le texte réglementaire d’application de la loi en cours de préparation, il est précisé que, « après une décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA ou, le cas échéant, de la CNDA, l’autorité administrative statuera dans un délai d’un mois sur les droits au séjour de l’intéressé et, en l’absence d’un tel droit, prononcera une OQTF ». Ce texte est donc sans ambiguïté sur notre volonté de mettre en œuvre cette mesure.