Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 12, modifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission spéciale.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 142 :
Nombre de votants | 336 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 127 |
Le Sénat a adopté.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Article 13
I. – La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est ainsi modifiée :
1° Les III à VI de l’article 1er sont abrogés ;
2° L’article 5 est ainsi rédigé :
« Art. 5. – Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4.
« Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel.
« Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établi leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide judiciaire, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie. » ;
2° bis (nouveau) Après l’article 5, il est inséré un article 5-1 ainsi rédigé :
« Art. 5-1 (nouveau). – Par dérogation au deuxième alinéa de l’article 5, les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent postuler auprès de chacune de ces juridictions. Ils peuvent postuler auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
« La dérogation du dernier alinéa de l’article 5 leur est applicable. » ;
3° Le second alinéa de l’article 8 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’association ou la société peut postuler auprès de l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel dans lequel un de ses membres est établi et devant ladite cour d’appel par le ministère d’un avocat inscrit au barreau établi près l’un de ces tribunaux.
« Par dérogation au deuxième alinéa, l’association ou la société ne peut postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établi un de ses membres ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide judiciaire, ni dans des instances dans lesquelles ce dernier ne serait pas maître de l’affaire chargé également d’assurer la plaidoirie. » ;
4° L’article 8-1 est ainsi modifié :
a) À la deuxième phrase du deuxième alinéa, les mots : « les trois » sont remplacés par les mots : « le délai d’un » ;
b) (Supprimé)
5° Les quatre premiers alinéas de l’article 10 sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.
« En matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires, les droits et émoluments de l’avocat sont fixés sur la base d’un tarif déterminé selon des modalités prévues par décret.
« Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
« Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
« Toute fixation d’honoraires qui ne le serait qu’en fonction du résultat judiciaire est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d’un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu. » ;
6° Le 4° de l’article 53 est abrogé.
II. – (Supprimé)
III. – Les articles 1er, 5, 8, 8-1, 10 et 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans leur rédaction résultant du présent article, sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
III bis. – Le présent article est applicable sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon aux membres du corps des agréés aux îles Saint-Pierre et Miquelon.
En matière administrative, les agréés en exercice à Saint-Pierre-et-Miquelon peuvent postuler devant la cour administrative d’appel territorialement compétente pour connaître des appels interjetés à l’encontre des jugements du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon.
IV. – Les articles 1er, 5, 8 et 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 précitée, résultant des 1° à 3° et du 6° du présent I, sont applicables à titre expérimental dans le ressort de deux cours d’appel pendant trois ans à compter du premier jour du douzième mois suivant celui de la promulgation de la présente loi. Les cours d’appel concernées sont déterminées par un arrêté du garde des sceaux.
Six mois au moins avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport procédant à son évaluation.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet article aborde trois questions importantes.
La première concerne la postulation dans le ressort des cours d’appel que le Gouvernement voudrait rendre définitive et généraliser et que la commission spéciale souhaiterait voir passer, dans un premier temps, par une phase d’expérimentation. Cette question est déterminante pour l’avenir de la profession,…
M. François Pillet, corapporteur. Absolument !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. … car elle pourrait annoncer la mort des petits barreaux dans des départements déjà affectés par la disparition de nombreux services publics. L’accès au droit pour les justiciables serait ainsi remis en cause, comme il l’a été avec la fermeture de nombreux tribunaux. Ce serait un pas de plus vers un traitement inéquitable sur nos territoires, contraire aux principes de notre République.
Le Gouvernement a su mettre en avant les principes républicains en ce début d’année. Il conviendrait aujourd’hui de les voir se réaliser par des actes pour tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence.
Passer par une phase d’expérimentation pourrait effectivement permettre une étude d’impact dans le réel, mais nous savons tous que c’est aussi la porte ouverte à la généralisation à plus ou moins brève échéance.
Comme l’indique le rapport, « le risque d’une dévitalisation de certains territoires doit être pris en considération ». Des avocats situés sur le territoire du tribunal peuvent se voir dépossédés de nombreux dossiers – 70 % à 80 % selon le bâtonnier de Libourne. Cela peut conduire aussi à une réelle précarisation de la profession, comme le précise une note de l’observatoire du Conseil national des barreaux, qui « fait apparaître que, dans le classement des dix barreaux dans lesquels les revenus moyens des avocats sont les plus faibles, on retrouve cinq des barreaux situés dans une zone de multipostulation : trois barreaux de la cour d’appel de Paris – Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Essonne – ainsi que les barreaux de Libourne et d’Alès ».
L’expérimentation ayant été effectuée dans ces villes, on peut s’appuyer sur les effets produits. Pourquoi alors vouloir en ajouter une autre ? De notre point de vue, c’est inutile ! Nous y sommes opposés dans la mesure où nous en connaissons déjà les résultats. Programmer ainsi la mort des petits barreaux, la précarisation de la profession, y compris en passant par cette phase, n’est à nos yeux pas acceptable.
La deuxième question a trait à un assouplissement du régime de création des bureaux secondaires, dès lors que ce sont des bureaux réels avec une véritable activité.
La commission spéciale a maintenu la demande d’autorisation qui devait, dans le texte présenté au Sénat, se transformer en simple information du barreau.
La troisième question porte sur la décision de soumettre, dans le texte initial, à la DGCCRF les conventions d’honoraires des avocats. Le bâtonnier serait en quelque sorte dessaisi de cette question, puisqu’il ne serait pas associé aux perquisitions éventuelles, et le secret professionnel risque donc de ne pas être garanti.
Cet article, tel qu’il ressort des travaux de la commission spéciale, représente un progrès indéniable par rapport au texte d’origine, à la seule exception de l’expérimentation pour la postulation dans le ressort des cours d’appel.
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 14 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 288 rectifié bis est présenté par M. Détraigne, Mme Férat, MM. Savary, Guerriau, Kern, Longeot et Canevet, Mme Loisier, MM. Bockel, Roche, Marseille et Jarlier, Mme Joissains, M. Namy et Mme Billon.
L'amendement n° 338 est présenté par M. Joyandet.
L'amendement n° 769 est présenté par MM. Ravier et Rachline.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour présenter l’amendement n° 14.
M. Jean-Pierre Bosino. L’article 13, dans sa version initiale, étendait le périmètre de postulation des avocats du tribunal de grande instance à la cour d’appel. Bien que très largement atténué en commission spéciale, cet article n’en conserve pas moins son esprit d’origine, qui aboutit à un bouleversement complet de la carte judiciaire. J’en profite pour préciser que cet élargissement n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact, ce qui mériterait au moins un renvoi à la commission.
La commission spéciale a certes restreint le dispositif pour ne plus en faire qu’une expérimentation dans le ressort de deux cours d’appel pendant une durée de trois années. Cependant, la seule attitude positive à nos yeux aurait été de supprimer ces dispositions en l’absence d’évaluation.
Cette expérimentation peut sembler constituer un petit progrès, mais, en réalité, elle entérine le principe même de cette extension, tout en ne l’assumant pas, et remet en cause le monopole de la postulation des avocats dans le ressort de chaque tribunal de grande instance. Cela est d’autant plus vrai qu’une expérimentation de l’extension du périmètre de postulation des avocats a déjà été réalisée à Bordeaux, Libourne, Nîmes et Alès et qu’elle n’a pas produit d’effets positifs, bien au contraire.
Cet élargissement aura des conséquences sur l’équilibre économique et numérique des barreaux, notamment dans les régions rurales, mais pas seulement, et sur le maillage territorial de la justice. En portant le périmètre de postulation des avocats du tribunal de grande instance à la cour d’appel, on constatera l’apparition de déserts juridiques – après les déserts médicaux –, ce qui remettra en cause l’accès de tous les citoyens à la justice.
La diminution du nombre d’avocats dans les barreaux où les effectifs sont moindres constitue une source de difficultés juridiques : l’éloignement de l’avocat des justiciables, sans compter la répercussion en termes de coût que cet éloignement ne manquera pas d’avoir pour ces derniers. Ce phénomène d’élargissement aboutira en effet à une concentration des cabinets d’avocats autour de la cour d’appel, au regroupement de ces professionnels dans les mêmes zones, voire dans les mêmes cabinets, en fait, comme pour les notaires, là où ils pourront gagner de l’argent.
Une étude menée par le Conseil national des barreaux démontre que cette mesure affecterait en priorité les cabinets de petite taille situés dans les barreaux aux effectifs plus réduits, loin des grandes villes. Cela signifie donc tout simplement la fin d’une justice de proximité, par une concentration excessive de la présence des avocats dans de grandes villes, au détriment des zones moins peuplées, déjà désertées par les services publics.
Mme la présidente. Les amendements nos 288 rectifié bis, 338 et 769 ne sont pas soutenus.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 14 ?
M. François Pillet, corapporteur. Encore un sujet difficile ! Abordons-le avec la responsabilité et la sagesse qui nous caractérisent…
La suppression ou la modification de la postulation emporterait des conséquences très importantes pour le maillage territorial. Je m’explique : la postulation oblige un justiciable à passer par un avocat situé dans le ressort du tribunal de grande instance auprès duquel le dossier est attrait, ce qui procure à cet avocat une clientèle, locale ou provenant d’autres barreaux, et donc un chiffre d’affaires.
Si vous supprimez totalement la postulation, ce qui, je le crois, est l’objectif de certains à terme, que se passera-t-il ? Les cabinets d’avocats se regrouperont au siège de la cour d’appel et ouvriront éventuellement un bureau secondaire, forain, dans les villes du ressort de cette cour d’appel.
Si les barreaux n’ont plus assez, voire plus du tout d’avocats par suite de la baisse de leur chiffre d’affaires global, à qui demanderez-vous d’assurer les gardes à vue le samedi, le dimanche ou la nuit, de se rendre devant le juge d’instruction ou dans une gendarmerie située à l’autre extrémité du département ?
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. François Pillet, corapporteur. Certes, je le répète, la postulation procure aux avocats un chiffre d’affaires, mais, en contrepartie, ils assurent un service public à travers les gardes à vue et l’aide juridictionnelle.
Mme Évelyne Didier. Exact !
M. François Pillet, corapporteur. Aussi une réforme de la postulation exige-t-elle la plus grande prudence.
On peut parfaitement comprendre les motifs sur lesquels se fondent les auteurs de cet amendement de suppression. Néanmoins, vous l’aurez compris mes chers collègues, je suis avant tout pragmatique : comment se poursuivra la navette parlementaire si nous supprimons purement et simplement cet article ? Le texte du Gouvernement sera rétabli par l’Assemblée nationale, et le Sénat n’aura pas pu apporter une plus-value pourtant fondée sur une analyse intelligente de l’économie locale. Voilà pourquoi j’ai proposé d’instaurer un autre système. Ce dernier, je le concède, n’est pas parfait, mais il présente un avantage : si, comme je le pense, le dispositif du Gouvernement est dangereux, une expérimentation permettra de le démontrer. À l’inverse, si l’on observe que cette réforme n’a pas d’effets négatifs, elle pourra être mise en œuvre.
M. Charles Revet. Ce système, c’est l’apport du Sénat !
M. François Pillet, corapporteur. Tout cela, me direz-vous, ce sont des mots… Mais nous sommes d’ores et déjà en mesure d’analyser les effets d’une suppression ou d’un éclatement de la postulation. En effet, nous pouvons nous référer aux expérimentations menées par les barreaux de Bordeaux et Libourne et les barreaux de Nîmes et Alès.
Comme toujours, lorsqu’une mesure n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact assez précise, on peut dire tout et n’importe quoi à son sujet. Néanmoins, je dispose en la matière de bonnes références, au nombre desquelles l’étude menée par la Chancellerie dans laquelle le bâtonnier de Libourne indique que, depuis la mise en place de la multipostulation, les avocats ont perdu 70 % à 80 % des dossiers de postulation… Ce n’est pas fabuleux pour le barreau considéré !
M. Jean-Pierre Bosino. C’est bien ce que nous disons !
M. François Pillet, corapporteur. Par ailleurs, une note de l’observatoire du Conseil national des barreaux en date du 7 octobre 2014 – j’attends qu’elle soit contredite, ce qui, jusqu’à présent, n’a pas été pas le cas – dresse le constat suivant : parmi les dix barreaux où les revenus moyens des avocats sont les plus faibles figurent cinq des barreaux situés dans une zone de multipostulation. Il s’agit de trois barreaux de la cour d’appel de Paris, ceux de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et de l’Essonne, et des barreaux de Libourne et d’Alès.
Ainsi, les seuls documents dont nous disposons nous conduisent à penser que le terrain est défavorable au projet du Gouvernement. Voilà pourquoi je propose d’attendre ! De toute façon, ce n’est pas cette mesure qui va nous permettre de rembourser la dette nationale d’ici à quinze jours.
M. Roger Karoutchi. Allez savoir ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. François Pillet, corapporteur. Évaluons avec précision l’impact de la mesure gouvernementale par la voie d’une expérimentation, dont, au demeurant, les précisions que je viens d’apporter ne rendent pas compte de façon exhaustive. En effet, l’impossibilité de postulation ne s’étend pas à tout le ressort de la cour d’appel de Bordeaux, dont dépend Libourne. Pour ma part, je demande une expérimentation beaucoup plus large afin d’obtenir des résultats beaucoup plus précis.
Cette solution n’est pas idéale, je le sais, mais, si nos collègues députés émettent le souhait de ne pas aller trop loin, c’est la seule qu’ils peuvent éventuellement accepter.
M. Jean-Pierre Bosino. C’est de la technique parlementaire !
M. François Pillet, corapporteur. Voilà pourquoi, même si je comprends les positions radicales qui se font jour sur ce sujet, je vous propose cette solution. Je suis conscient qu’elle ne plaît à personne. Malgré cela, elle pourra peut-être satisfaire tout le monde si chacun se lance à la recherche d’un consensus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Plusieurs membres du groupe UDI-UC ont, à l’instar des sénateurs du groupe CRC, déposé un amendement tendant à supprimer cet article. On le voit, le sujet divise les groupes politiques. Pour ma part, pour les raisons que M. le corapporteur vient d’exposer, l’expérimentation proposée par la commission spéciale me semble pertinente.
À travers l’article 13, deux questions sont posées : celle de la postulation – faut-il ou non la conserver ? – et celle de sa territorialisation.
Sauf erreur de ma part, le maintien de la postulation ne fait pas débat. D’ailleurs, l’enjeu financier est, à mon sens, nul pour le Gouvernement. Ce dernier a déjà obtenu la suppression des états de frais, exception faite des procédures de saisie immobilière ou de licitation. J’ajoute que, si l’on cherchait à porter atteinte à la postulation, on se heurterait aussitôt à un problème, celui de la responsabilité des professionnels : la responsabilité d’un professionnel vis-à-vis de ses clients, vis-à-vis des usagers, joue notamment, dans le cadre de la postulation, vis-à-vis de la juridiction. Dès lors, le constat est clair : la postulation est bel et bien indispensable.
Reste la question de la territorialisation.
M. Bosino, au nom du groupe CRC, et M. le corapporteur viennent de nous détailler les arguments en faveur du maintien de la postulation au niveau de chaque tribunal de grande instance. Je souscris globalement à ces motifs. En matière judiciaire, gardons-nous de créer une France à deux vitesses !
Si vous me permettez un raccourci sans doute un peu hasardeux, je dirai que, en concentrant la postulation au niveau des cours d’appel, on appliquerait en quelque sorte une loi MAPTAM au monde de la justice. En d’autres termes, on mènerait, dans ce domaine, une politique de métropolisation. Pour ma part, je suis favorable au maintien d’un maillage territorial. Cependant, je constate que, face à cette question, les avocats eux-mêmes sont partagés. Les membres de la profession sont très majoritairement favorables à une postulation au niveau de chaque tribunal de grande instance, mais quelques avis divergents se sont également exprimés.
Au total, deux motifs justifient, à mon sens, le choix de s’en tenir au texte de la commission.
D’une part – M. Pillet l’a clairement expliqué –, le système présenté par M. le corapporteur constitue une solution équilibrée. Nous pourrions souhaiter une suppression pure et simple de l’article 13, mais, en la matière, il convient d’éviter un affrontement avec l’Assemblée nationale. Cet argument est pertinent. Nous connaissons tous le point de vue de Gérard Larcher, qui privilégie un travail de coconstruction législative entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Cette méthode est, du reste, le propre du bicamérisme.
D’autre part, si, en définitive, malgré sa pertinence, la proposition de notre commission spéciale n’emportait pas l’adhésion du Gouvernement, j’invoquerai un second argument : en imposant une postulation au niveau des cours d’appel, on créerait des coûts supplémentaires pour la justice française.
M. François Pillet, corapporteur. Très bon argument !
M. Philippe Bonnecarrère. Je m’explique : quel que soit le degré de perfectionnement des systèmes informatiques encadrant les procédures de mise en état – il s’agit du réseau privé virtuel des avocats, que l’on nomme, dans le jargon, le RPVA –, toutes les procédures conserveront nécessairement leurs spécificités. À un moment ou un autre, le praticien et le magistrat devront s’entretenir de vive voix, nonobstant la qualité des tuyauteries informatiques aujourd’hui en place.
M. François Pillet, corapporteur. Exactement !
M. Philippe Bonnecarrère. Ce dialogue entre les conseils et les magistrats exige bel et bien la territorialisation. Si l’on porte atteinte à cette dernière, la gestion des dysfonctionnements exigera de nouveaux dispositifs.
Monsieur le ministre, en d’autres termes, plus on voudra concentrer la postulation au niveau des cours d’appel, plus on aura besoin de magistrats et de greffiers pour traiter les problèmes qui ne manqueront pas de se produire.
Ainsi, que l’on raisonne, comme M. le corapporteur, dans la perspective d’une coconstruction entre l’Assemblée nationale et le Sénat ou que l’on se fonde sur des impératifs de technique économique, le système élaboré par la commission spéciale apparaît comme une solution de sagesse.
Certes, au sein du groupe UDI-UC, des positions divergentes ont pu s’exprimer quant à la suppression de cet article, mais, pour ma part, j’estime que la direction indiquée par M. Pillet est la bonne. Voilà pourquoi je voterai contre l’amendement n° 14.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !
M. François Pillet, corapporteur. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Ne nous trompons pas de débat et distinguons clairement les enjeux. De quoi parlons-nous ?
Historiquement, la postulation relevait de la profession d’avoué. Elle s’exerçait devant les tribunaux de grande instance, uniquement dans un certain nombre de matières, dont l’ampleur s’amenuise de plus en plus, et pour lesquelles on considérait qu’un auxiliaire de justice, l’avoué, devait déposer les écrits. Quant à l’avocat, il pouvait, ensuite, venir plaider.
Lorsqu’un justiciable doit être représenté, il ne peut être représenté que par un avocat. En contrepartie, ce dernier peut relever de n’importe quel barreau de France et peut se présenter devant toutes les juridictions, qu’il s’agisse des conseils de prud’hommes, des chambres sociales des cours d’appel, des tribunaux correctionnels, etc. Nous débattons donc d’un nombre de cas extrêmement limités.
J’entends ici ou là que la postulation est un moyen de défendre les territoires. Au reste, la Chancellerie n’est sans doute pas tout à fait hostile à cette procédure, car celle-ci permet de faire face à un réel problème : comment, demain, pourrons-nous disposer d’avocats assurant l’aide juridictionnelle si ces professionnels ne disposent pas d’un petit monopole, celui de la postulation, qui, cela étant, va sans doute fondre comme neige au soleil ?
La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale maintient un certain nombre de procédures – saisies immobilières, etc. –, qui resteront réservées aux avocats et qui seront assorties d’émoluments. Mais, dans les autres domaines, la profession à laquelle j’ai appartenu jusqu’au 1er avril 2014,…
M. Christian Cambon. Ça s’entend !
M. Jacques Bigot. … devra se bouger.
Je suis entré au barreau de Strasbourg en 1975. À cette époque, on y comptait 140 avocats. À l’heure actuelle, ils sont plus de 1 000 ! En réalité, les avocats devraient aujourd’hui conseiller à leurs jeunes confrères de s’inscrire à un petit barreau, non parce qu’il est petit mais parce que les habitants de son ressort ont besoin d’avocats, y compris pour plaider ailleurs. Voilà ce que doit faire la profession : se battre, comme on le ferait dans un secteur concurrentiel, en s’efforçant d’être présente sur le terrain.
Pourquoi certains barreaux de la grande couronne parisienne manquent-ils d’avocats ? Parce que la clientèle de ces territoires relève essentiellement de l’aide juridictionnelle et parce que les honoraires perçus à ce titre ne permettent pas à un avocat de vivre convenablement.
Mme Nicole Bricq. Et voilà !
M. Jacques Bigot. Ce problème, lui non plus, n’a pas encore été réglé par les gouvernements successifs, quels qu’ils soient.
Au sujet de la présence territoriale, la véritable question est la suivante : comment la profession va-t-elle s’organiser pour inciter les jeunes diplômés à s’installer dans les barreaux qui manquent d’avocats ? Je note que les médecins font face au même problème. Aujourd’hui, les jeunes praticiens veulent rester dans leur secteur universitaire, exercer dans les grandes villes. Il faut les aider à voir la réalité en face : mieux vaut être riche dans une petite province, quitte à prendre un TGV pour se rendre de temps à autre à Paris ou dans une grande ville, que rester pauvre dans une vaste agglomération. C’est ce qu’il faut expliquer aux élèves des écoles d’avocats, et ce dès leur admission !
À terme, les dispositions du présent texte poseront certes des problèmes en termes d’organisation territoriale. Peut-être devons-nous, au titre du code de l’accès au droit dont la commission spéciale souhaite la rédaction, nous poser la question suivante : comment faire pour qu’un justiciable français bénéficie effectivement d’une défense, quels que soient ses moyens, même si, pauvre ouvrier, il doit se défendre devant les prud’hommes ou devant un tribunal de grande instance, parce qu’il est à l’initiative ou fait l’objet d’une demande de divorce ?
Pour ces raisons, la suppression de l’article 13 me semble inutile. À force de repousser les décisions, on empêche l’évolution des choses. On a su, en un temps, avec la réforme de la carte judiciaire, supprimer divers tribunaux de grande instance. A-t-on alors réfléchi au fait que le justiciable de Dole devrait aller à Lons-le-Saunier, malgré les carences des réseaux de transports en commun ? En tout cas, on ne s’est pas préoccupé du sort des avocats. Les avocats sont restés à Dole mais les tribunaux, eux, sont partis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)