Mme Laurence Cohen. Je serai brève, parce que je souscris totalement aux interventions de mes deux collègues.
Nous devons faire attention au message que nous allons délivrer en votant cet amendement.
Comme nous l’avons tous dit dans nos interventions liminaires, avec nos sensibilités différentes, il est compliqué et long, pour une ancienne prostituée, de se reconstruire : cela nécessite tout un processus psychologique, pendant lequel cette personne a besoin d’être accompagnée.
Or, tout à coup, on a l’impression que la défiance revient dans ce débat, et, à nouveau, à l’égard des prostituées.
Les auteurs de l’amendement se justifient en disant que le texte créera un appel d’air pour les réseaux. Je crois qu’il faut cesser de raisonner de cette manière ! De toute façon, les criminels ont toujours beaucoup d’imagination pour détourner les lois… L’enjeu n’est pas là : il faut raisonner par rapport aux prostituées, qui sont engagées dans un parcours extrêmement difficile et qui ont besoin de temps.
Par conséquent, réduire l’autorisation provisoire de séjour à six mois les contraint à nouveau de manière très dure : elles ne sont pas forcément en capacité de faire des choix dans un délai aussi court.
Je crois donc qu’il faut au contraire laisser du temps au temps et en rester à l’autorisation de séjour d’un an qui est prévue dans le texte.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je vais apporter quelques précisions, parce que je ne voudrais pas que nous nous trompions de débat.
Il est maintenant prévu que la personne qui porte plainte ou décide de témoigner se voie automatiquement délivrer une carte de séjour temporaire. Pourquoi revenons-nous à une durée de six mois ? Parce que nous avons besoin de vérifier l’absence de manipulation éventuelle des réseaux. Et je peux vous dire que le risque existe !
Au reste, nous renforçons et la protection de la personne prostituée et l’automaticité de la carte de séjour temporaire, qui est renouvelable, d’autant plus pendant le temps de la procédure, jusqu’à la condamnation et le démantèlement du réseau.
Le texte ne marque donc absolument pas un recul ! Nous préférons simplement procéder en deux fois, et retenir, dans un premier temps, une autorisation de séjour de six mois renouvelable, même si la personne prostituée est couverte par une protection et par l’octroi d’une carte de séjour pendant toute la durée de la procédure.
Je le répète, nous avons besoin de vérifier que l’octroi des cartes de séjour ne fait pas l’objet de manipulation de la part des réseaux.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Mme la secrétaire d'État a été claire.
Je veux juste préciser que nous allons débattre plus loin d’un amendement qui prévoit que le renouvellement de l’autorisation de séjour est possible, justifiant que l’on s’en tienne à une durée de six mois. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Six mois renouvelables ou un an, c’est, in fine, la même durée !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour des personnes démunies, restreintes dans leur liberté, ce n’est pas la même chose !
M. Philippe Kaltenbach. Il faut aussi trouver un équilibre entre, bien sûr, la volonté de faciliter l’insertion des prostituées, mais aussi la nécessité de prendre toutes les garanties. À cet égard, une autorisation de séjour de six mois renouvelable me semble une proposition équilibrée.
Se demander si l’autorisation doit être de six mois renouvelable ou d’un an, c’est, me semble-t-il, couper les cheveux en quatre. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Une durée de six mois renouvelable permet de faire des vérifications et, ainsi, de mieux protéger tout le monde : et la prostituée, et ceux qui travaillent pour la réinsertion.
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas si facile de renouveler sa carte de séjour !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié bis, présenté par Mmes Blondin et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
projet d’insertion sociale et professionnelle
par les mots :
parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle
La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. L’article 6 reconnaît un droit de séjour pour les personnes prostituées victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme.
On l’a vu, il s’agit là d’un élément essentiel afin d’assurer l’efficacité des mesures que nous souhaitons mettre en place : c’est faire primer le droit des victimes, qu’elles aient porté plainte ou non contre leurs proxénètes.
Sur ce sujet, il apparaît toutefois nécessaire de sécuriser la situation des femmes étrangères victimes de la traite.
Tel est l’objet du présent amendement, qui vise à subordonner la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour à l’engagement dans un parcours de sortie de la prostitution.
En effet, ce parcours est le corollaire de tout projet d’insertion sociale et professionnelle pérenne. Il entend apporter une réponse durable et concrète en termes de soins, de sécurité, de logement, de revenus, de formation et d’accompagnement vers l’emploi.
Reconnaître un droit au séjour aux personnes prostituées qui s’engagent dans un parcours de sortie de la prostitution constitue, ainsi, une disposition essentielle à leur protection et à leur avenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Cet amendement vise à remplacer l’expression « projet d’insertion sociale et professionnelle » par celle de « parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle » s’agissant des conditions de délivrance de l’autorisation provisoire de séjour aux personnes victimes de la prostitution.
Il revient ainsi sur la position de la commission spéciale, qui avait suivi la demande formulée par un grand nombre des organismes et des associations entendus. Il s’agissait de ne pas imposer un parcours prédéfini à ces personnes, mais de construire, avec elles, un parcours personnalisé pour une insertion sociale et professionnelle durable.
Toutefois, il est vrai que la notion de « parcours de sortie de la prostitution » indique clairement une intention de cessation de la prostitution et permet peut-être ainsi d’éviter un risque d’instrumentalisation par les réseaux de proxénétisme, qui pourraient essayer d’obtenir des papiers pour des personnes prostituées sans que celles-ci cessent leur activité.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis de sagesse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je dois dire que cet amendement me chiffonne.
En effet, nombreuses sont les personnalités auditionnées par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes qui nous ont dit qu’il ne fallait pas s’attendre à un parcours facile. Au contraire, celui-ci sera probablement semé d’embûches, avec de possibles échecs, des interruptions momentanées, sans remettre en cause, sur le fond, l’intention de la personne prostituée de sortir de la prostitution.
Dans ces conditions, une formalisation aussi stricte m’inquiète beaucoup.
J’avoue donc que je ne suis pas très favorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je veux juste dire que je suis complètement d’accord avec ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin.
Elle reflète, du reste, la position de la commission spéciale que nous avions adoptée le 8 juillet dernier.
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour explication de vote.
Mme Maryvonne Blondin. On sait très bien que le parcours de sortie peut être interrompu, raison pour laquelle nous avons retenu l’expression « parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle », lequel peut durer plus longtemps.
En tout état de cause, nous avons préféré à la notion de « projet d’insertion sociale et professionnelle » celle de « parcours de sortie », qui prend en compte les préoccupations que vous venez de formuler.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis d’accord avec mes collègues Brigitte Gonthier-Maurin et Jean-Pierre Godefroy : l’expression « parcours de sortie » est très limitée. En tout cas, elle est plus limitative que le terme de « projet », qui suppose une avancée, un futur et qui est beaucoup plus ouvert !
Il faut donner cette chance aux personnes qui veulent s’insérer socialement et professionnellement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié bis.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président. L'amendement n° 18 rectifié bis, présenté par Mmes Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, dernière phrase
Remplacer le mot :
renouvelée
par le mot :
renouvelable
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Cet amendement relevant de la même philosophie que l’amendement n° 16 rectifié bis, qui a été rejeté, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 18 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
(Suppression maintenue)
Article 8
À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 851-1 du code de la sécurité sociale, après la première occurrence du mot : « défavorisées », sont insérés les mots : « , les associations agréées en application de l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ». – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
Au dernier alinéa de l’article L. 345-1 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « humains », sont insérés les mots : « , du proxénétisme et de la prostitution ».
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi le début de cet article :
À l'avant-dernier alinéa de ...
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Il s'agit d’un amendement de coordination avec la création d'un nouvel alinéa à l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Article 9 bis
(Supprimé)
Article 10
(Non modifié)
Au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale, après la référence : « 225-4-5 », sont insérées les références : « , 225-5 à 225-10 ». – (Adopté.)
Article 11
I. – L’article 2-22 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 2-22. – Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l’objet statutaire comporte la lutte contre l’esclavage, la traite des êtres humains, le proxénétisme ou l’action sociale en faveur des personnes prostituées, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimées par les articles 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12-2, 225-14-1 et 225-14-2 du code pénal, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée. Toutefois, l’association n’est recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l’accord de la victime. Si celle-ci est un mineur ou un majeur protégé, l’accord doit être donné par son représentant légal. »
II. – (Non modifié) La loi n° 75-229 du 9 avril 1975 habilitant les associations constituées pour la lutte contre le proxénétisme à exercer l’action civile est abrogée.
M. le président. L'amendement n° 40, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer les mots :
doit être
par le mot :
est
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de nature rédactionnelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.
(L'article 11 est adopté.)
Article 12
(Non modifié)
Au troisième alinéa de l’article 306 du code de procédure pénale, après le mot : « sexuelles, », sont insérés les mots : « de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, réprimé par les articles 225-7 à 225-9 du code pénal, ». – (Adopté.)
Section 2
Dispositions portant transposition de l’article 8 de la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil
Article additionnel avant l’article 13
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Avant l'article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La fonction de rapporteur national sur l’évaluation de la politique publique de lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains est assurée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. La directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil prévoit que les États membres mettent en place des rapporteurs nationaux indépendants chargés d’évaluer la politique publique mise en œuvre en matière de lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains.
Le plan d’action national contre la traite des êtres humains pour la période 2014-2016, adopté par le conseil des ministres le 14 mai 2014, confie dans son point 23 à la Commission nationale consultative des droits de l’homme, CNCDH, autorité administrative indépendante, la fonction de rapporteur national.
L’objet du présent amendement est d’inscrire dans la loi cette fonction de rapporteur national attribuée à la CNCDH par le plan d’action national adopté en conseil des ministres, et ce afin qu’elle puisse exercer de manière pérenne son rôle d’évaluation des résultats des actions engagées par les pouvoirs publics et la société civile dans la lutte pour prévenir et réprimer la traite ainsi que l’exploitation des êtres humains et protéger les victimes.
Il existe en France, comme vous le savez, une mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, ou MIPROF, créée par le décret n°2013-7 du 3 janvier 2013 et constituée de deux personnes. Cette mission interministérielle a mis en place un plan national de lutte, qui ne peut qu’être évalué par une institution indépendante de celle-ci.
Depuis son institution en 1947, la CNCDH a fourni de nombreux travaux et a répondu à de nombreuses auditions au Sénat et à l’Assemblée nationale à propos de la traite et de l’exploitation des êtres humains - douloureux sujet au cœur de ses missions.
Parallèlement à la MIPROF, il existe aussi en France une délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, ou DILCRA, le rapporteur national sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, qui, au titre de l’article 2 de la loi 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, remet chaque année au Premier ministre depuis plus de vingt ans son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Le rapport 2014 sera remis au Premier ministre le 8 avril 2015.
Je n’ai pas compris pourquoi la commission spéciale a rejeté cet amendement. La traite des êtres humains et la prostitution sont-elles un domaine à ce point spécifique qu’elles ne sauraient relever que d’une structure interministérielle ? Il n’est pas possible d’être à la fois juge et témoin. Nous devons peut-être réfléchir sur ces questions, j’attire votre attention sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
La fonction de rapporteur national, que vous décrivez, est déjà prévue par la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011, et le plan d’action national contre la traite la confie déjà à la CNCDH.
L’inscrire dans la loi aurait pour effet de figer une situation qui peut évoluer. D’autres instances peuvent aussi assurer ce rôle à l’avenir.
En outre, pour le moment, la CNCDH n’a pas de domaine de compétence spécifique confiée par la loi qui obligerait à la saisir de tout projet de texte dans ce domaine. Il n’est pas forcément souhaitable de créer un précédent spécifique pour la traite et l’exploitation des êtres humains.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 24 est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 13
(Non modifié)
L’article 225-10-1 du code pénal est abrogé.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cette intervention sur l’article 13 ne préjuge en rien du vote que j’émettrai sur cet article. Je souhaite simplement formuler quelques interrogations à l’orée de cette discussion.
À mon sens, l’article 13 et l’article 16 auraient pu faire l’objet d’un article unique concernant la pénalisation, dans la mesure où ils sont indissociables l’un de l’autre. Ils sont même tellement indissociables que le vote préalable de l’un peut fausser le vote sur l’autre. À défaut de pouvoir les réunir dans un article unique, j’aurais souhaité que l’on puisse les examiner en même temps.
Je voudrais aussi rappeler à mes collègues que la procédure accélérée n’a pas été engagée. Autrement dit, le texte que nous examinons aujourd’hui, en navette, sera renvoyé à l’Assemblée nationale avant de revenir au Sénat ; peut-être fera-t-il même l’objet d’une commission mixte paritaire. Par conséquent, nous avons encore le temps de la réflexion. Même si parfois nous souhaitons avancer rapidement, il me semble nécessaire, sur des sujets aussi importants, de prendre le temps de la réflexion et, le cas échéant, de dialoguer avec le Gouvernement et les députés.
J’avais émis beaucoup de réserves sur l’article 13 lorsque Mme Benbassa avait déposé sa proposition de loi. À cette époque, la ministre au banc m’avait affirmé que ce sujet serait traité à nouveau dans un texte sur la prostitution. Seulement, force est de constater que nous retrouvons sur ce sujet le texte que nous avons voté ici même dans son intégralité, ce qui me chagrine un peu.
En effet, le délit de racolage tel qu’il est conçu aujourd’hui ne me paraît pas adapté. Comme cela a souvent été souligné, la mise en œuvre de ce délit de racolage a eu bien des inconvénients, et majeurs, au niveau sanitaire et social, mais aussi en ce qu’il a éloigné les prostituées notamment des associations qui sont à même de prendre contact avec elles.
Dans le texte de 2003, l’article 225-10-1 prévoit l’interdiction du racolage « par tous moyens », et c’est là que se situe le nœud du problème, puisque même une « attitude passive » serait passible de sanction.
En 2003, l’objectif était surtout d’obtenir des résultats chiffrés et de faire en sorte que les prostituées ne soient plus visibles dans un certain nombre de lieux, notamment à Paris ou dans d’autres grandes villes, ce qui a eu d’importantes conséquences sanitaires.
Aujourd’hui, l’article 13 prévoit d’abroger l’article 225-10-1 du code pénal, ce qui entraîne par là même la suppression de toute législation sur le racolage. Mais n’est-il pas nécessaire que le code pénal statue sur le racolage ? Je m’interroge à haute voix, mes chers collègues, car la question se pose.
D’autant plus que, dans toutes les auditions que nous avons menées depuis maintenant deux ans, les représentants de la Brigade de répression du proxénétisme, la BRP, et ceux de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, l’OCRET, ainsi qu’un certain nombre de magistrats, ont insisté systématiquement sur le fait que le délit de racolage est un moyen pour eux de lutter contre les réseaux et d’obtenir des informations pour pouvoir remonter ensuite un certain nombre de filières. Par conséquent, il semble nécessaire de le maintenir.
On nous a dit aussi que le délit de racolage permet parfois d’avoir un contact avec des personnes prostituées qui viennent de pays étrangers, notamment du Nigeria, même si le contexte de la garde à vue n’est malheureusement pas très agréable. Les personnes prostituées ont souvent tellement peur de l’uniforme, de tout ce qui représente l’ordre en général, parce qu’elles ont subi tellement de violence au cours de leur trajet pour venir en France de ces mêmes représentants de l’ordre, qu’elles ne prendront jamais directement contact avec les institutions. Voilà pourquoi une suppression totale du délit de racolage m’interpelle.
Je pense donc qu’une réflexion plus profonde est nécessaire sur ce point, voire une réécriture de l’article. De la même manière, je vous proposerai plus loin une rédaction différente de l’article 16 qui pourrait satisfaire un certain nombre de nos collègues.
Je suis donc tenté de m’abstenir sur ce texte, pour la raison que je viens de vous donner, et parce que je ne peux pas m’engager sur l’article 13 tant que je ne connais pas le vote du Sénat sur l’article 16.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. Contrairement à mon collègue, je pense qu’il est extrêmement important de faire en sorte qu’il n’y ait plus de délit de racolage et donc de sanction à ce titre.
Je suis inquiète quant au sort réservé à cet article, dans la mesure où la commission spéciale a émis un avis favorable sur l’amendement de M. Jean-Pierre Vial.
La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, plus connue sous le nom de « loi Sarkozy », a renforcé la répression de la prostitution. La création du délit de racolage passif avait pour objectif, il faut le redire, de maintenir la tranquillité publique en limitant la visibilité des activités de prostitution.
Douze ans après, nous devons examiner les éléments qui nous permettent de faire le bilan de cette loi.
L’objectif était double : limiter la prostitution « de rue » et atteindre les proxénètes à travers les quelque 80 000 prostituées vivant en France, ces dernières, comme vient de la rappeler notre collègue, étant susceptibles de livrer des renseignements lors de leur interpellation.
Or, si des informations peuvent être effectivement obtenues lors des gardes à vue, la corrélation entre la création du délit de racolage et une plus forte répression du proxénétisme semble inexistante. Le Casier judiciaire national constate ainsi une évolution plutôt stable du nombre de condamnations des proxénètes au cours des dix dernières années, entre 600 et 800 par an, alors qu’il enregistre des fluctuations beaucoup plus importantes en ce qui concerne les gardes à vues pour racolage.
Même au plus haut du nombre de gardes à vue pour racolage passif – 4 712 en 2004 – les gardes à vue pour proxénétisme plafonnent à moins de 1 000. L’objectif principal de la création de ce délit semble donc caduc : l’incrimination du racolage ne permet pas de démanteler un réseau.
De plus, cela a contribué à déplacer la prostitution et à fragiliser encore davantage les prostituées, qui plus est en les criminalisant. Sans parler bien évidemment du caractère discutable et flou de la définition même du racolage.
Le bilan est donc plus que mitigé. Nous avons eu l’occasion de le constater encore avec le rapport de notre collègue Virginie Klès, lors de l’examen de la proposition de loi d’Esther Benbassa.
La suppression du délit de racolage est attendue par l’immense majorité des associations. Elle a aussi fait l’objet d’une recommandation de la CNCDH, selon laquelle « la convention de 2005 comme le droit pénal français prévoient que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte ». La CNCDH rappelle avec raison que « les victimes de traite ou d’exploitation contraintes à commettre des crimes ou des délits doivent être considérées avant tout comme des victimes de délinquance forcée et doivent être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits. »
Mes chers collègues, il est très important de prendre cela en compte et, si nous rétablissions le délit de racolage, ce serait un très mauvais signal, totalement contraire à la proposition de loi, qui vise notamment à accompagner les prostituées pour les aider à sortir de ce système prostitutionnel.
Je ne comprends pas bien pourquoi l’article 13 et l’article 16 sont mis en corrélation. Je pense qu’il nous faut poser le problème du système prostitutionnel dans sa globalité et, exerçant notre libre choix, décider que les prostituées ne sont pas des criminels, qu’elles ne sont pas à pénaliser et qu’il faut au contraire poursuivre les réseaux et responsabiliser les clients.
Ce débat abolition/prohibition est malvenu dans le contexte de cette proposition de loi, j’en profite pour le dire.
Pour conclure, je reprendrai ici les propos de Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du nid, association bien connue qui accompagne les personnes prostituées dans leurs démarches : « Si le Sénat prend la décision de mesures de répression contre les prostituées et parallèlement d’impunité pour les auteurs d’achats d’actes sexuels, il aura travaillé seize mois pour revenir dix ans en arrière ! »
J’en appelle donc à votre réflexion, mes chers collègues.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.