M. André Reichardt. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’effroi suscité par les récents attentats meurtriers et les réactions parfois contrastées qu’ils ont provoquées nous ont naturellement conduits à nous interroger sur la transmission des valeurs républicaines.
En effet, si une grande partie de la communauté nationale s’est retrouvée pour condamner ces actions meurtrières et marquer son attachement aux valeurs qui fondent notre société, au premier rang desquelles la liberté et la laïcité, très vite, cependant, ont été mises en lumière les failles de cette union, et les attentats ont rapidement été perçus comme le symptôme d’un mal dont souffre une partie de notre jeunesse et, n’ayons pas peur de le dire, d’un dysfonctionnement de notre société.
Le chef de l’État a marqué sa volonté d’améliorer la cohésion nationale et la transmission des valeurs de la République. Le développement du service civique est assurément l’un des vecteurs pour parvenir à cet objectif. Cela étant, faut-il le présenter comme la panacée pour restaurer ce sentiment d’appartenance à la Nation qui semble être devenu étranger à nombre de nos concitoyens et donc, logiquement, le rendre obligatoire ? Je n’en suis pas si sûre.
Dès la loi de 1997 mettant fin à la conscription obligatoire, le vide engendré en termes de lien social, de sentiment d’appartenance à la communauté nationale, de transmission des valeurs de la République et de brassage tant social que culturel a été constaté.
Après la loi sur le volontariat civil, c’est à la suite de la crise des banlieues de 2005 que la loi pour l’égalité des chances a donné un statut officiel au service volontaire civil. Cependant, entre 2006 et 2009, seuls 3 000 volontaires sont effectivement entrés dans le dispositif.
La loi du 10 mars 2010 a donc créé le service civique, au statut plus homogène, plus lisible et plus attractif, dans le souci de renforcer les valeurs civiques et républicaines d’une société en mal de repères. Cinq ans plus tard, ce constat est encore terriblement d’actualité.
Que faire, dans ces conditions ?
Plusieurs sondages publiés récemment révèlent que 78 % des Français sont favorables à une extension du service civique à tous les jeunes de 16 à 25 ans.
Rappelons, à cet égard, l’exposé des motifs de la proposition de loi de 2010, qui précisait que le dispositif proposé, « basé sur le volontariat », constituerait une période transitoire, préalable à la création d’un service civique obligatoire.
Mais une seule donnée suffit à refroidir les ardeurs de ceux qui, en toute bonne foi, appellent de leurs vœux un service obligatoire : alors même que les volontaires sont quatre fois plus nombreux, seuls 35 000 jeunes ont bénéficié du service civique en 2014. Dans ces conditions, même si l’intention est louable, il est parfaitement illusoire de rendre obligatoire un engagement que les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de proposer dans de bonnes conditions.
L’aspect financier n’est pas le seul en cause ici, même si François Chérèque, le président de l’Agence du service civique, rappelle qu’il faudrait 600 millions d’euros de budget, à rapporter aux 170 millions actuels, pour accueillir tous les jeunes volontaires.
Avec l’instauration d’un service civique universel, projet porté par le Président de la République et le Gouvernement, l’essentiel est bien de permettre à tous ceux qui en manifestent le désir d’effectuer ce service.
Or la Cour des comptes, dans un rapport publié en février 2014, appelait l’attention sur deux écueils, encore plus évidents dans la perspective d’une montée en puissance du dispositif.
Tout d’abord, ce sont près de 160 000 missions de qualité qu’il s’agit de faire émerger. C’est un véritable défi quand on sait que la Cour s’inquiétait déjà de savoir s’il existait un gisement de 100 000 missions. De surcroît, il faut veiller avec une particulière attention à éviter les risques de substitution à l’emploi qui peuvent être importants dans les secteurs concernés. À l’heure où le chômage des jeunes est si préoccupant, il importe de ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Monsieur le ministre, vous devez, demain, à l’issue de la concertation interministérielle, préciser les contours de la réforme. Pouvez-vous d’ores et déjà nous donner quelques éléments, notamment quant aux secteurs à mobiliser ? En effet, il semble bien que les acteurs publics puissent être davantage sollicités, dans la mesure où 84 % des organismes offrant des missions sont des associations.
Il y a quelques jours, vous signiez avec la ministre de l’écologie une déclaration d’engagement pour la création de plusieurs milliers de missions, dans le cadre d’un programme « Transition énergétique, climat et biodiversité ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l’avancée de ce programme, notamment en termes d’arbitrage financier ?
D’autres programmes sont-ils en cours de finalisation ? Je pense en particulier à une sollicitation des hôpitaux ou des collectivités locales.
Par ailleurs, une concertation est-elle établie avec le ministère des affaires étrangères ? L’ouverture à l’international du service civique demeure en effet très marginale. À la fin de 2012, 1,7 % seulement des jeunes engagés effectuaient leur mission à l’étranger. Il me semble qu’une véritable réflexion doit être menée, car cette ouverture culturelle à l’autre est un moyen sûr de lutter contre le repli identitaire et de se forger une conscience nationale.
Dans ce cadre, ce sont d’abord les États européens qui doivent se mobiliser pour le service civique européen. Comme le rappelle l’Office franco-allemand pour la jeunesse, ce service civique, pensé en termes de réciprocité, permet même de doubler les bénéfices pour le jeune comme pour la société. Plus précisément, je ne doute pas que des missions puissent émerger en collaboration avec le secrétariat d’État au développement et à la francophonie. Monsieur le ministre, cet axe de réflexion a-t-il été engagé ?
Le service civique est un levier essentiel de citoyenneté et il est primordial d’abord de répondre favorablement aux jeunes qui souhaitent s’engager en faveur de l’intérêt général, se rendre utiles, trouver leur place dans la société, mais aussi être mieux reconnus et valorisés.
Toutefois, n’oublions pas qu’une démarche civique ne s’impose pas : elle s’apprend. C’est donc, dans un premier temps, à l’école que revient ce rôle. C’est bien elle qui devra faire naître la conscience d’appartenir à une communauté nationale et susciter ce désir d’engagement. À cet égard, la série de mesures marquant l’engagement résolu du Gouvernement de former les futurs citoyens aux valeurs de la République que Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem a présentée le 22 janvier est à saluer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : service civil, volontaire ou obligatoire ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Telle est la question !
M. André Reichardt. Ainsi posée, cette question en suscite immédiatement d’autres : pour quoi faire ? Quel est l’objectif du service civil ? S’agit-il de mettre le pied à l’étrier à des jeunes en décrochage scolaire, sans formation, sans diplôme et donc, dans les circonstances actuelles, sans emploi ? Ou s’agit-il d’une planche de salut pour une société aux prises avec un communautarisme de plus en plus prégnant et qui cherche à renforcer sa cohésion nationale ?
Selon la réponse apportée à cette dernière question, l’interrogation sur le caractère volontaire ou obligatoire du service civil prendra immanquablement un autre éclairage.
De quoi s’agit-il en effet ? Une période de six à douze mois – huit, en moyenne – pendant laquelle un jeune de 16 à 25 ans effectue une mission d’intérêt général, au sein d’une association, d’une collectivité locale ou d’un établissement public, plus particulièrement dans les secteurs de la santé, de la solidarité et du sport, mission pour laquelle il est rémunéré 573 euros par mois exactement.
Ainsi défini et conçu, le service civil peut effectivement servir à tous les jeunes qui, sans formation et sans emploi, ont le sentiment d’être sans avenir et qui, pour un certain nombre d’entre eux, malheureusement, basculent dans la petite délinquance, la drogue ou autres parcours de vie chaotiques.
Ceux-ci, que la société française, système scolaire en tête, laisse, hélas, au bord du chemin, doivent assurément être aidés. Le service civil peut constituer à leur égard une première occasion de reprendre confiance en eux, de se sentir utiles, de faire des rencontres différentes, d’apprendre des choses, bref, de retrouver foi en leur avenir.
Certes, des dispositifs autres permettent déjà de lutter dans cette direction. Je pense particulièrement à l’apprentissage, célébré hier, lors des Quinzièmes rencontres sénatoriales de l’apprentissage. Il obtient des résultats extraordinaires et il faut absolument le développer, en lui donnant les moyens qui lui manquent. Cela étant, ces dispositifs complémentaires laissent encore trop de jeunes hors de leur champ d’action et les besoins, on le sait, sont si importants !
Dès lors, pour cette catégorie de personnes, il me semble que l’efficacité du service civil ne peut pas reposer sur son caractère obligatoire, mais bien plutôt sur la qualité de la mission et de l’engagement proposé. Il y a actuellement à peu près cinq candidats pour chaque mission : à cet égard, le défi prioritaire est non pas d’augmenter le nombre de postulants en rendant ce service civil obligatoire, mais bien plutôt de faire émerger beaucoup plus de missions de qualité, comme le prônait déjà la Cour des comptes en 2014.
C’est de cette capacité à offrir un nouvel horizon à ces jeunes, avec des encadrants de qualité – cela ne va pas de soi, car on ne s’improvise pas référent de jeunes en difficulté – que dépendra la montée en puissance du service civil. Il devra, soit dit en passant, continuer à être rémunéré, et garder une durée en relation avec le sens d’un engagement civil, au sens étymologique et strict du mot « engagement. »
Par ailleurs, le service civil peut incontestablement constituer un outil en faveur de la cohésion nationale et reconstituer le creuset républicain, perdu depuis la suspension du service militaire obligatoire en 1997. L’école, à laquelle aurait pu incomber cette tâche, n’y parvient malheureusement pas. Au lieu de combler les inégalités de départ, elle les aggrave même parfois.
Dès lors, le service civil qui, souvenons-nous, était déjà une forme d’alternative au service militaire obligatoire, ne pourrait-il pas, à nouveau, jouer ce rôle et devenir lui-même obligatoire aujourd’hui ?
Pour ma part, j’y suis plutôt favorable, mais à la double condition que, d’une part, l’on ne transige pas avec le concept d’« engagement civil », et que, d’autre part, l’on en trouve les moyens.
Ne pas transiger avec la notion d’« engagement civil » signifie clairement que l’on ne diminue pas la durée du service, par exemple à trois mois, comme certains ont proposé de le faire, notamment le Président de la République. En effet, ne consacrer que quelques semaines à une mission qui ne présentera inévitablement qu’un intérêt mitigé, et que le jeune souvent n’aurait pas choisie, s’apparentera plus pour lui à une perte de temps – comme l’était pour certains le service militaire, mes chers collègues – voire à une punition, plutôt qu’à un engagement sociétal.
Par ailleurs, dès lors qu’il s’agit de créer, à l’instar du service militaire, ce creuset républicain où se rencontreront des jeunes issus de cultures et de niveaux sociaux différents – c’est la définition même du creuset -, ce sont 800 000 missions de qualité qu’il s’agira de mobiliser chaque année, correspondant à la totalité d’une classe d’âge.
Pour y parvenir, la réflexion devra porter à tout le moins sur une redéfinition totale de la notion de « service civil ». À cet égard, les inégalités dans le choix des missions pour les différentes catégories de jeunes devront être proscrites, sinon, cela n’aura servi à rien.
Nous devons également poser la question des moyens à mobiliser. Dans la mesure où le service civil serait obligatoire, conviendrait-il de le rémunérer à l’identique ? En maintenant la durée du service et le niveau de rémunération actuels, ce sont vraisemblablement de 3 et 4 milliards d’euros qu’il faudrait mobiliser chaque année !
Quoi qu’il en soit, même si l’on décidait de revenir sur le niveau de rémunération ou sur le principe même d’une rémunération, se poserait la question de la prise en charge des dépenses de la vie courante pour tous ces jeunes pendant la durée de leur service. L’enveloppe financière resterait assurément très importante.
En conclusion, le service civil obligatoire, s’il trouve sa justification dans la refondation – indispensable - du pacte républicain, devra, s’il veut être efficace, s’entourer d’exigences de qualité fortes. Il aura également un coût élevé. Mais, faute d’une autre forme de creuset républicain, à moins de rétablir le service militaire, et face à la perte de repères civiques de tant et tant de jeunes, n’est-ce pas le prix à payer ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation, à la suite de l’heureuse initiative du groupe CRC, ainsi que de la qualité des remarques que j’ai pu entendre aujourd’hui, ce à quelques jours du cinquième anniversaire de la création du service civique.
Cette nouvelle politique publique ne souffre pas, manifestement, de graves polémiques partisanes. Le service civique a été créé, institutionnellement, par un gouvernement de droite, et ce sont les forces de gauche qui vont lui donner un nouvel essor. À cette date, mesdames, messieurs les sénateurs, 80 000 jeunes sont passés dans le dispositif et 76 millions d’heures d’engagement ont ainsi été recensées.
Dans ce moment si particulier où la cohésion nationale est pour le moins fragile, un tel dispositif n’est pas la réponse unique et miraculeuse, mais il est l’un des éléments importants de la solution, qui a du sens, parce qu’il promeut l’engagement et le service à la collectivité.
Le service civique est aussi utile aux jeunes qu’il l’est aux organismes d’accueil : utile aux jeunes, car il leur permet de se mettre au service de l’intérêt général, de développer de nouvelles compétences, de réfléchir à leur parcours ; utile aux organismes d’accueil, car les missions pouvant être confiées à des jeunes en service civique permettent de développer de nouvelles actions, qui n’auraient pas été confiées à du personnel permanent.
Je prendrai un exemple : les jeunes en service civique dans plusieurs hôpitaux, comme, à Créteil, au centre hospitalier intercommunal et à l’hôpital Henri-Mondor, accompagnent aujourd’hui des personnes malades. Ils les aident à se rendre jusqu’au lieu de consultation et à remplir les formulaires administratifs, autant de missions qui améliorent la qualité de l’accueil en milieu hospitalier. Je m’en suis récemment entretenu avec M. François Chérèque : nous avons là, manifestement, un gisement d’au moins 20 000 à 25 000 services civiques potentiels en secteur hospitalier.
Je prendrai comme autre exemple celui des jeunes qui accompagnent les ménages en situation de précarité énergétique. Ils les forment aux écogestes, apportant ainsi une plus-value essentielle à l’action des bailleurs sociaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le service civique est un outil formidable au service de l’engagement des jeunes. D’abord, parce qu’il leur donne les moyens de s’engager sur une période longue, de six à douze mois, grâce à une indemnité de 573 euros - sans oublier les droits ouverts à la sécurité sociale ainsi que les trimestres de cotisation pour la retraite -, mais aussi parce qu’il propose aux jeunes des missions à la fois utiles aux autres et à eux-mêmes.
Le service civique est une expérience de vie ; les jeunes en retirent de nouvelles compétences, de nouveaux projets d’avenir, parfois une nouvelle orientation personnelle, voire professionnelle.
Et, contrairement à une idée reçue, il y a une demande d’engagement chez les jeunes. Aujourd’hui, pour quatre jeunes souhaitant effectuer un service civique, un seul obtient une réponse favorable.
La France compte plus de 3 millions de jeunes bénévoles dans le secteur associatif, soit une augmentation de 30 % en trois ans. Leur enthousiasme à se mettre au service des autres nous oblige à apporter une réponse à la hauteur, en qualité comme en quantité.
La qualité est au rendez-vous aujourd’hui. L’enjeu, c’est de garder ce même niveau de qualité tout en visant au moins 150 000 jeunes en service civique.
Je souhaite donc que ce dispositif monte en charge dans sa forme actuelle, en termes de durée, d’indemnité, de qualité des missions, pour atteindre dès cette année un nombre de 70 000 jeunes, soit un doublement par rapport à 2014, et 150 000, voire 170 000 jeunes en 2016.
Pour se faire, dès 2015, il nous faut mobiliser 237 millions d’euros. Je tiens à vous informer que 65 millions d’euros ont été débloqués pour atteindre ce chiffre, ce qui répond à la préoccupation de M. Jackie Pierre en la matière.
Mesdames, messieurs les sénateurs, après cette phase expérimentale, il faudra en quelque sorte passer du stade artisanal au stade industriel, pour offrir à tous les jeunes qui le souhaitent l’opportunité de vivre cette expérience de vie unique qu’est le service civique.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, une mobilisation interministérielle massive est indispensable. Comme j’ai déjà commencé à le faire avec Mme Ségolène Royal et M. Bernard Cazeneuve, je vais aller vendre – permettez-moi cette expression – le service civique à tous mes collègues du Gouvernement, pour que les administrations centrales et déconcentrées accueillent des jeunes.
Aujourd’hui, 84 % d’entre eux sont accueillis dans le secteur associatif. Si l’on veut tenir nos engagements, le secteur public devra nécessairement ouvrir davantage ses portes. Je pense encore une fois que c’est une chance pour les structures d’accueil.
La question se pose aussi pour la fonction publique territoriale. Nous travaillons actuellement à un protocole d’accord avec les associations d’élus – Association des maires de France, Assemblée des départements de France, Association des régions de France, Assemblée des communautés de France – afin de mobiliser les collectivités territoriales, car elles seront des acteurs essentiels de cette montée en charge, comme le rappelait M. Jacques-Bernard Magner.
Le service civique à l’international devra également se développer, comme l’ont souhaité Mme Lepage et M. Billout. En effet, je sais combien une expérience de mobilité à l’étranger est source d’enrichissement, combien elle participe au développement de l’autonomie et à l’émancipation des jeunes. Un travail sur ce sujet a été engagé par mes soins avec Mme Michaëlle Jean, nouvelle secrétaire générale à la francophonie.
M. Gattolin a fait part de sa réticence à ce qu’il soit fait appel à des financements privés pour assurer la montée en charge du service civique. À titre personnel, je suis favorable au développement du mécénat et des partenariats, tant qu’ils respectent les valeurs et les principes du service civique. Par exemple, la fondation Agir contre l’exclusion va financer une partie de l’ingénierie du grand programme que Ségolène Royal et moi-même avons lancé. Je pense que c’est une bonne idée et qu’il convient de permettre aux entreprises qui le souhaitent de participer à l’effort national en faveur du service civique.
En revanche, comme M. Gattolin, je considère que le financement du service civique doit relever de l’échelon interministériel. Pour ce qui concerne sa proposition de mobiliser la réserve parlementaire, j’avoue que je n’en attendais pas tant… (Sourires.)
M. Jacques-Bernard Magner. Nous ne sommes pas d’accord !
M. André Reichardt. Nous non plus !
M. Patrick Kanner, ministre. S’agissant de la proposition de donner un caractère obligatoire au service civique, avancée, notamment, par Mme Assassi, j’en comprends la logique : cela permettrait de toucher l’ensemble des jeunes, y compris ceux qui aujourd’hui « échappent à nos radars », tels les décrocheurs, les jeunes en difficulté d’insertion ou sans perspective.
Cependant, je crois profondément à la force de l’engagement, et donc du volontariat : on ne fera pas l’unité nationale contre la volonté des citoyens, en l’occurrence contre celle des jeunes. Il faut convaincre et susciter l’adhésion. Le service civique s’adresse essentiellement à des majeurs, à des adultes autonomes. Dès lors, n’usons pas d’un registre qui pourrait paraître infantilisant ou « punitif », pour reprendre un mot ayant été employé par l’un d’entre vous. M. Requier, qui, avec les membres de son groupe, a fait partie des pionniers en matière de service civique, sait combien cette condition est importante. Le dispositif actuel du service civique rencontre le succès, et j’ai plutôt tendance à vouloir préserver ce qui marche, même si j’ai bien sûr entendu les préoccupations exprimées par d’autres orateurs, en particulier M. Lemoyne.
De même, je reste très sceptique, et c’est un euphémisme, sur l’opportunité de rétablir une forme de service militaire ou de mettre en place un encadrement exclusivement militaire de ce temps d’engagement, car j’estime que le monde associatif et l’ensemble des pouvoirs publics y ont toute leur place. En outre, l’appel sous les drapeaux a été suspendu en 1997, pour des impératifs de professionnalisation de nos armées : il convient de ne pas abandonner cette démarche, qui a porté ses fruits. Par ailleurs, je rappelle que moins de 300 000 jeunes Français avaient participé à la dernière conscription, alors qu’une classe d’âge regroupe aujourd'hui entre 750 000 et 800 000 jeunes.
M. Jacques-Bernard Magner. Tout à fait !
M. Patrick Kanner, ministre. En revanche, je suis ouvert à l’idée de travailler à un autre dispositif complémentaire, qui toucherait l’ensemble des jeunes. À mon avis, celui-ci devrait plutôt être tourné vers les mineurs, et mis en place en lien avec l’éducation nationale.
À ce stade, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne souhaite pas répondre aux propos provocateurs de votre collègue d’extrême droite. Sa proposition de créer des milices reflète sa nostalgie d’un temps où les valeurs de la République étaient foulées aux pieds. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) J’observe qu’il a d’ailleurs quitté l’hémicycle,…
Mme Éliane Assassi. Telle est son habitude !
M. Patrick Kanner, ministre. … ce qui est discourtois à mon égard et, surtout, au vôtre. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
J’examinerai avec beaucoup d’intérêt les conclusions des travaux que les deux assemblées mèneront sous l’égide de leurs présidents sur le thème de l’engagement, conformément au souhait du Président de la République.
Par ailleurs, je serai particulièrement vigilant sur deux points.
Premièrement, il faut veiller à la qualité des missions, qui ne doivent pas se substituer à des emplois, ainsi que le rappelaient très justement MM. Mouiller et Reichardt, chaque ministère devant élaborer, en lien avec l’Agence du service civique, des référentiels types permettant d’encadrer les missions pouvant être proposées dans son champ d’intervention, soit dans ses administrations, soit auprès des associations. Il existe de nombreuses possibilités de servir l’intérêt général, dans le respect des principes du service civique. Ce sont ces gisements que nous devrons mettre au jour, dans les meilleurs délais. Pour lutter contre les éventuels abus, des contrôles seront mis en place à l’échelon déconcentré. En outre, la formation des tuteurs sera renforcée : c’est une condition indispensable à la montée en puissance du service civique.
Deuxièmement, nous devons nous attacher à permettre à tous les jeunes, quel que soit leur profil, des moins qualifiés aux plus qualifiés, de bénéficier d’un service civique, comme le soulignait justement M. Hervé. Cela étant, les chiffres montrent que, dès à présent, le service civique prend en compte la diversité de la jeunesse française, puisque, sur 100 jeunes volontaires, 18 sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville, 25 ont un niveau inférieur au baccalauréat et 43 un niveau supérieur ou égal.
Peut-être convient-il d’ouvrir plus encore le service civique aux jeunes qui en ont le plus besoin. Que nous appelions cela « discrimination positive » ou « rétablissement de l’égalité des chances », l’objectif, au-delà de la sémantique, est politique : nous devons redonner l’espoir à ces jeunes en grande difficulté.
Pour ce faire, les missions que nous définirons ne devront requérir aucune compétence préalable, de manière à ne pas favoriser les seuls jeunes surdiplômés. Dans le même esprit, si une formation est nécessaire en amont du service civique, elle devra être proposée au jeune pour lui permettre d’accroître ses compétences et d’accomplir correctement sa mission. À titre indicatif, pour le grand programme « environnement », c’est le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, qui sont responsables du pilotage de ces formations, l’objectif étant de recruter 15 000 jeunes au titre du service civique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le service civique ne doit pas devenir un dispositif exclusivement réservé aux jeunes en difficulté ou ouvert uniquement aux jeunes surdiplômés : il doit demeurer à l’image de la jeunesse, dans sa pluralité, dans sa diversité. Son évaluation s’impose pour garantir sa qualité.
Mon illustre prédécesseur Léo Lagrange aimait à répéter qu’« aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes ». Pour ce qui me concerne, je me tiens à votre disposition pour poursuivre nos échanges, dans un esprit de construction collective. En effet, après les attentats de janvier dernier, après le temps de la sidération, de la compassion, le temps de la construction est venu. Ce débat montre que des réponses consensuelles se dégagent.
La montée en charge du service civique mérite de mobiliser l’attention de tous. Je souhaite la promouvoir dans un esprit de rassemblement, avec l’ambition de permettre à tous les jeunes voulant s’engager dans un service civique de pouvoir le faire dès que possible.
La promesse républicaine se construit pour les jeunes, mais surtout avec eux. La nouvelle prime d’activité, annoncée voilà vingt-quatre heures, permettra quant à elle d’apporter une réponse aux jeunes de moins de 25 ans qui travaillent. Le service civique contribuera de manière significative à relever les défis qui ont été évoqués. C’est aussi une priorité du Gouvernement de la France.
Pour conclure, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’évoquer la mémoire de Claude Dilain. Il manquera à vos débats. Il manque déjà à ses amis ; j’ai l’honneur d’avoir été l’un d’eux. (Applaudissements.)