Article 28
(Non modifié)
I. – Après l’article L. 521-16 du code de l’énergie, sont insérés des articles L. 521-16-1 à L. 521-16-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 521-16-1. – Lorsque le concessionnaire est titulaire de plusieurs concessions hydrauliques formant une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés, l’autorité administrative peut procéder, par décret en Conseil d’État, au regroupement de ces concessions, afin d’optimiser l’exploitation de cette chaîne au regard des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4.
« Le décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa du présent article comporte la liste des contrats de concession regroupés. Il substitue à leur date d’échéance une date d’échéance commune calculée à partir des dates d’échéance prévues par les cahiers des charges des contrats regroupés, au besoin en dérogeant au 2° de l’article L. 521-4 du présent code et à l’article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
« Les modalités de calcul utilisées pour fixer cette nouvelle date commune d’échéance garantissent au concessionnaire le maintien de l’équilibre économique, apprécié sur l’ensemble des concessions regroupées.
« Les contrats de concession faisant l’objet, en application du troisième alinéa de l’article L. 521-16, d’une prorogation jusqu’au moment où est délivrée une nouvelle concession peuvent être inclus dans la liste des contrats mentionnée au deuxième alinéa du présent article. Les dates d’échéance retenues pour le calcul de la date commune mentionnée au même deuxième alinéa tiennent compte des prorogations résultant de l’application des deux derniers alinéas de l’article L. 521-16 à hauteur des investissements réalisés.
« Un décret en Conseil d’État précise les critères utilisés pour ce calcul et les conditions et modalités du regroupement prévu au présent article.
« Art. L. 521-16-2. – Lorsque des concessionnaires distincts sont titulaires de concessions hydrauliques formant une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés, l’autorité administrative peut fixer, par décret en Conseil d’État, une date d’échéance commune à tous les contrats dans le but de regrouper ces concessions lors de leur renouvellement, afin d’optimiser l’exploitation de cette chaîne au regard des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4.
« Le décret mentionné au premier alinéa du présent article comprend la liste des contrats de concession à regrouper. Il substitue à leur date d’échéance une date d’échéance commune calculée à partir des dates d’échéance prévues par les cahiers des charges des contrats, au besoin en dérogeant au 2° de l’article L. 521-4 du présent code, à l’article 2 de la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d’aménagement du Rhône, de la frontière suisse à la mer, au triple point de vue des forces motrices, de la navigation et des irrigations et autres utilisations agricoles, et créant les ressources financières correspondantes, et à l’article 40 de la loi n° 93-112 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
« Les modalités de calcul utilisées pour fixer cette nouvelle date commune d’échéance garantissent le maintien de l’équilibre économique, apprécié globalement sur l’ensemble des concessions concernées.
« Pour garantir également l’égalité de traitement entre les concessionnaires, et notamment entre ceux titulaires de concessions à ouvrage unique et ceux titulaires de concessions à plusieurs ouvrages, le décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa du présent article peut, le cas échéant, fixer la date commune d’échéance en retenant, pour les concessions à plusieurs ouvrages, la date la plus éloignée entre le terme de la concession et la moyenne pondérée des dates des décrets autorisant les différents ouvrages de la concession, augmentée d’une durée maximale de soixante-quinze ans.
« Le décret en Conseil d’État mentionné au premier alinéa fixe le montant de l’indemnité due par les opérateurs dont les concessions ont été prolongées, au profit de ceux dont la durée des concessions a été réduite, du fait de la mise en place pour ces concessions d’une date commune d’échéance.
« Pour les contrats dont la durée est prolongée, si la date commune d’échéance déterminée conduit à modifier l’équilibre économique du contrat malgré le versement de l’indemnité mentionnée au cinquième alinéa du présent article, le décret en Conseil d’État prévu au premier alinéa du présent article fixe également le taux de la redevance mentionnée au quatrième alinéa de l’article L. 523-2, en tenant compte des investissements supplémentaires, non prévus au contrat initial, que le concessionnaire s’engage à réaliser, afin de garantir que l’application du présent article préserve l’équilibre économique des contrats, apprécié globalement pour chaque concessionnaire sur l’ensemble des concessions regroupées qu’il exploite.
« Les contrats de concession faisant l’objet, en application du troisième alinéa de l’article L. 521-16, d’une prorogation jusqu’au moment où est délivrée une nouvelle concession peuvent être inclus dans la liste des contrats mentionnée au deuxième alinéa du présent article. Les dates d’échéance retenues pour le calcul de la date commune mentionnée au même deuxième alinéa tiennent compte des prorogations résultant de l’application des deux derniers alinéas de l’article L. 521-16 à hauteur des investissements réalisés.
« Un décret en Conseil d’État précise les critères utilisés pour le calcul de la date d’échéance et de l’indemnité mentionnée au cinquième alinéa du présent article, les conditions et modalités du regroupement prévus au présent article, ainsi que les catégories de dépenses éligibles au titre des investissements mentionnés au sixième alinéa.
« Art. L. 521-16-3. – Lorsque la réalisation de travaux nécessaires à l’atteinte des objectifs mentionnés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 et non prévus au contrat initial l’exige, la concession peut être prorogée, dans les limites énoncées à l’article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, au besoin en dérogeant au 2° de l’article L. 521-4 du présent code et à l’article 2 de la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d’aménagement du Rhône, de la frontière suisse à la mer, au triple point de vue des forces motrices, de la navigation et des irrigations et autres utilisations agricoles, et créant les ressources financières correspondantes. À la demande de l’État, le concessionnaire transmet un programme de travaux. »
II. – Le premier alinéa de l’article L. 523-2 du même code est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Pour toute nouvelle concession hydroélectrique, y compris lors d’un renouvellement, il est institué, à la charge du concessionnaire, au profit de l’État, une redevance proportionnelle aux recettes de la concession. Les recettes résultant de la vente d’électricité sont établies par la valorisation de la production aux prix constatés sur le marché, diminuée, le cas échéant, des achats d’électricité liés aux pompages. Les autres recettes sont déterminées selon des modalités définies par arrêté du ministre chargé de l’énergie.
« Le taux de cette redevance ne peut excéder un taux plafond, déterminé pour chaque concession par l’autorité concédante dans le cadre de la procédure de mise en concurrence.
« Les concessions dont la durée est prolongée en application de l’article L. 521-16-3 sont soumises à la redevance mentionnée au premier alinéa du présent article. Le taux est fixé par l’autorité concédante, dans le respect de l’équilibre économique du contrat initial.
« Les concessions dont la durée est prolongée en application de l’article L. 521-16-2 sont également soumises à la redevance mentionnée au premier alinéa du présent article. Le taux est fixé par l’autorité concédante au regard des principes mentionnés au même article L. 521-16-2. »
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l'article.
M. Daniel Chasseing. Nous abordons l’examen d’une série d’articles relatifs à l’hydroélectricité, dont chacun sait bien qu’elle est ancienne – certains sites existent depuis la fin du XIXe siècle – et qu’elle occupe une place importante dans notre pays depuis l’entre-deux-guerres. L’importance qu’elle présente aujourd’hui ne tient pas seulement à sa contribution à la production d’énergie, elle tient aussi à son caractère propre, qui en fait l’une des énergies les plus acceptables par tous.
Deuxième source d’électricité en France après le nucléaire, cette énergie se caractérise par sa souplesse de fonctionnement, sa rapidité et sa capacité d’adaptation.
EDF exploite 80 % de la puissance totale du parc hydroélectrique français et réalise les deux tiers de la production moyenne de ce parc. Il s’agit d’un opérateur connu et respecté des élus locaux, qui s’engage auprès des territoires et sait évaluer les besoins des communes, en particulier rurales. De surcroît, l’opérateur national stocke 75 % des réserves d’eau de surface, soit 7,5 milliards de mètres cubes, ce qui lui confère une importance stratégique dans le dispositif national de gestion et de conservation de l’eau.
À elle seule, la Société hydroélectrique du Midi, qui exploite cinquante-huit usines et douze grands barrages répartis dans mon département, la Corrèze, mais aussi dans le Cantal, le Lot, l’Aveyron, le Tarn-et-Garonne, le Tarn, la Haute-Garonne, les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques, soit une bonne partie des régions Limousin, Midi-Pyrénées et Aquitaine, produit une quantité d’électricité équivalant à la consommation de 1 million d’habitants ou, si l’on préfère, à la production d’un réacteur nucléaire.
Le réseau de barrages sur la Dordogne produit 1 500 mégawattheures, et le réseau de la Truyère 2 000 mégawattheures. Le renouvellement de ces concessions, prévu en 2020 pour la Dordogne et en 2023 pour la Truyère, présente donc une grande importance.
Afin de réunir l’ensemble des ouvrages d’une chaîne multi-opérateurs au sein d’une seule concession, l’article 28 du projet de loi autorise, sous certaines conditions, le regroupement des concessions. Il prévoit également la possibilité de proroger la concession si des investissements sont réalisés pour financer des travaux d’intérêt national, par exemple des travaux d’optimisation énergétique.
Proroger les concessions permettrait de mettre en place une redevance hydroélectrique proportionnelle aux recettes de la concession, au profit non seulement de l’État, mais aussi des collectivités territoriales. Ainsi, des investissements pourraient être réalisés, dont certains sont essentiels pour l’aménagement du territoire. Je pense notamment aux stations de transfert d’énergie par pompage, les STEP, qui sont des réservoirs hydroélectriques destinés à réaliser des transferts d’énergie d’un bassin à l’autre au sein d’une usine équipée de groupes réversibles ; ce système est un moyen de stocker l’énergie pour la restituer lorsqu’elle est plus rare, ce qui est conforme aux orientations fixées dans le présent projet de loi, en particulier en matière d’énergies renouvelables.
Un projet de ce type est à l’étude dans mon département, qu’il devrait contribuer à développer de manière importante par la création d’emplois dans une zone très rurale voisine du Lot, la Xaintrie, qui en a bien besoin. Ce projet, déjà envisagé il y a trente ans, dit « projet de Redenat », devrait déboucher, après de larges concertations et des études approfondies, sur une réalisation écologique permettant le stockage de l’énergie hydroélectrique et sa restitution à la demande. Grâce à cet équipement, la quantité d’énergie produite sur la Dordogne pourrait doubler.
L’Assemblée nationale a introduit dans le code de l’énergie un nouvel article L. 521–16–3, aux termes duquel la durée de certaines concessions pourra être prorogée afin de permettre la réalisation de travaux nécessaires à l’atteinte des objectifs de la politique énergétique nationale, sous réserve, naturellement, du respect des règles en vigueur.
Elle a également modifié la rédaction de l’article L. 523–2 du même code, relatif à la redevance hydraulique, pour soumettre à cette redevance les concessions dont la durée sera prorogée du fait de travaux entrepris dans le cadre du regroupement de concessions relevant d’opérateurs différents.
Toutes ces mesures me paraissent aller dans le bon sens. Elles sont de nature à optimiser l’exploitation des chaînes d’aménagements hydrauliques liés du point de vue du volume de production comme de la gestion de l’eau, et propre à contribuer à l’indépendance énergétique de la nation, sans compter qu’elles rapporteraient d’appréciables recettes aussi bien à l’État qu’aux collectivités territoriales.
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure.
M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, je vous remercie par avance des informations que vous voudrez bien nous communiquer en ce qui concerne la prorogation des concessions hydrauliques accordées à l’opérateur national, et plus particulièrement à la Société hydroélectrique du Midi dans son territoire d’activité traditionnel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, sur l'article.
M. Jean-Pierre Bosino. En dépit du désastre Ecomouv’, du scandale des concessions autoroutières, qui n’est pas terminé, et de l’augmentation des tarifs de l’électricité et du gaz, bien réelle quoi que l’on dise pour nous persuader du contraire, on s’obstine à poursuivre l’ouverture forcée du secteur de l’énergie à la concurrence. Madame la ministre, nous ne comprenons pas l’acharnement du Gouvernement à libéraliser un secteur qui fonctionne correctement et qui assure une rente profitant aux consommateurs. En effet, aucune amélioration de la qualité de service n’est proposée aux usagers !
Le rapport Battistel est pourtant sans appel au sujet de la méthode des barycentres, que vous avez adoptée. Avec elle, l’État perdra la main sur le parc hydroélectrique français pour quarante ans et, une fois les concessions attribuées, il ne pourra en retrouver le contrôle qu’en versant une très lourde indemnité d’éviction – nous retrouvons là l’affaire des autoroutes.
On nous parle d’obligations et d’injonctions européennes ; l’argument n’est pas convaincant, car les relations entre l’Union européenne et ses États membres sont certes un rapport de droit, mais aussi un rapport de force, dont la résistance peut être une modalité. De fait, nombres d’États ont simplement renouvelé leurs concessions !
La résistance s’impose en la matière, comme pour la reconnaissance de la primauté du droit de l’Union européenne sur notre droit constitutionnel ou en matière d’OGM. Sans parler de la déstructuration volontaire du secteur ferroviaire, elle aussi justifiée par l’argument européen et que nous n’avons reconnu que tardivement pour une erreur. N’avons-nous rien appris ? Nous ne pouvons pas systématiquement nous cacher derrière la Commission européenne pour masquer les volontés libérales !
Dire que M. le ministre Macron entend réserver la part la moins chère de la production hydroélectrique aux entreprises électro-intensives, de surcroît sans aucune contrepartie, alors que ces entreprises bénéficient déjà de tarifs préférentiels ! Dire aussi que de nombreux industriels énergivores souhaitent devenir actionnaires de barrages, et ainsi récupérer une part de la production ! Reconnaissez que nous sommes loin du discours un peu naïf sur la participation des riverains…
À la vérité, le présent projet de loi et le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques organisent le financement d’industriels du CAC 40 par les particuliers. Madame la ministre, nous proposerons la suppression des articles 28 et 29, parce qu’il n’est plus possible de continuer à marcher ainsi sur la tête. Non à la grande braderie que ces deux projets de loi organisent ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.
M. Roland Courteau. L’hydroélectricité est, en effet, un atout majeur pour la production nationale d’énergie.
Les concessions hydroélectriques, concessions de service public, sont aussi des outils indispensables à la réalisation de plusieurs missions d’intérêt économique général. Ils contribuent notamment à la gestion de la ressource en eau, un bien commun dont les usages et la gestion doivent être conformes à l’intérêt général.
Faut-il rappeler que les retenues hydroélectriques représentent 75 % des réserves nationales d’eau de surface ? Elles sont donc optimisées, dans une logique d’intérêt général, au service de l’irrigation, de l’eau potable, de la navigation, du tourisme ou du sport.
À l’évidence, les concessions hydroélectriques contribuent à la sécurité du système électrique et à l’approvisionnement du territoire. De plus, grâce à ses capacités de stockage, l’hydroélectricité répond aux besoins lors des pointes et des extrêmes pointes de consommation. Elle est un facteur clef pour la réussite de la transition énergétique.
Enfin, l’énergie hydraulique est un bien public, dont l’État se doit de conserver l’usage.
La question de l’avenir du parc hydroélectrique français se pose, du fait de l’arrivée à échéance d’une partie des contrats. Depuis toujours, l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques nous pose problème, ne serait-ce que parce que les barrages constituent des biens publics nationaux, dont la construction et l’entretien ont été financés par nos concitoyens. De surcroît, la réciprocité est loin d’être acquise au plan européen. Nous sommes également inquiets à l’idée que des concessionnaires étrangers, à la faveur de l’ouverture à la concurrence, puissent bénéficier d’ouvrages amortis pour revendre une électricité très compétitive à des clients situés hors du territoire national.
À cela s’ajoutent les incertitudes pesant sur le maintien à terme des personnels non directement rattachés aux sites de production et sur la préservation de la gestion de l’eau et de ses différents usages.
Je vous rappelle que le programme de renouvellement des concessions a été annoncé en 2010. Ce processus est aussi la conséquence de la transformation d’EDF en société anonyme, en 2004, ce changement de statut ayant fait entrer les concessions hydroélectriques dans le droit commun des délégations de service public.
Bref, en 2010 et les années suivantes, on nous pressait d’ouvrir à la concurrence. Il fallait faire vite, comme si la concurrence allait accroître le débit des fleuves et des rivières ! Cette ouverture fut d'ailleurs qualifiée d’ouverture à la concurrence « sèche », d’où nos plus vives inquiétudes. C'est la raison pour laquelle j’avais déposé, avec les collègues de mon groupe, une proposition de loi visant à prolonger de vingt-quatre ans les concessions hydroélectriques sous réserve de la réalisation d’un programme d’investissement. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Force est de constater que nous n’en sommes plus à l’ouverture à la concurrence sèche – c'est déjà ça ! Le texte que vous nous proposez, madame la ministre, prévoit un premier dispositif pour le regroupement des concessions par vallée préalablement à leur mise en concurrence, suivant la méthode du barycentre, et un deuxième dispositif permettant la création de sociétés d’économie mixte hydroélectriques.
Nous proposons un amendement qui, reprenant notre proposition de loi, tend à ouvrir une troisième option : la prolongation des concessions contre investissement. Je reconnais que cette option présente quelques ressemblances avec la vôtre, qui consiste à permettre la prolongation de la concession lorsque la réalisation des travaux est nécessaire à l’atteinte des objectifs de la loi. J’y reviendrai lorsque je présenterai notre amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Les articles 28 et 29, qui ont trait à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques à l’occasion de leur renouvellement, participent à une privatisation pure et simple de la production hydroélectrique et n’ont d’autre objectif que de libéraliser encore plus le secteur énergétique – je souscris tout à fait aux propos de Jean-Pierre Bosino et Roland Courteau.
L’attribution à des opérateurs européens, privés ou publics – ils sont déjà nombreux sur les rangs –, de l’exploitation d’ouvrages hydrauliques jusqu’alors concédés au titre du « droit de préférence » aux concessionnaires sortants – EDF, GDF et la CNR, la Compagnie nationale du Rhône – n’est pas sans soulever interrogations et inquiétudes. Il y va en effet de la sécurité des ouvrages et de l’approvisionnement en électricité, de l’aménagement des territoires, de l’environnement, de la gestion des usages de l’eau, du coût d’exploitation, de la situation des salariés… Bref, il y va de la maîtrise publique de l’énergie hydroélectrique et de la gestion de l’eau.
En région Rhône-Alpes, seraient ainsi livrés au marché trois ouvrages sur le Drac, en Isère – le Sautet, Cordéac ainsi que Saint-Pierre-Cognet –, celui du Lac Mort dans la vallée de la Romanche, cinq ouvrages dans le Beaufortin, ainsi que ceux de Bissorte et Super Bissorte en Maurienne. Mais des barrages sont également concernés dans d’autres régions, par exemple en Midi-Pyrénées. D’une façon générale, tous les ouvrages seront concernés avant 2025.
Or les inquiétudes sont déjà grandes dans ce secteur – notre collègue Daniel Chasseing en a parlé. Certaines concessions pourraient faire l’objet d’une rupture de contrat anticipée. L’État et EDF, le gestionnaire actuel, discutent d’un tarif d’indemnisation. Aux termes des textes, les concessionnaires actuels ont l’obligation de mettre à niveau les installations avant la mise en concurrence. Bien sûr, les futurs concessionnaires devront s’acquitter d’une redevance hydroélectrique proportionnelle au chiffre d’affaires de l’ouvrage, mais elle sera plafonnée, ce qui accroîtra leurs profits.
La recherche d’une rentabilité maximale fait craindre une concurrence exacerbée entre les différents exploitants de la ressource hydrologique. Les ouvrages étant largement amortis, ils généreront des revenus financiers très importants pour ces nouveaux concessionnaires, ce qui n’est pas une garantie de baisse ni même de maintien des tarifs. Bien au contraire, ces nouveaux concessionnaires devant s’acquitter d’une redevance, rien ne les empêchera d’en répercuter le prix sur les usagers.
Madame la ministre, parce que nous partageons sur le fond les ambitions affichées par votre projet de loi – réduire les émissions de gaz à effet de serre, réduire la consommation d’énergie finale, réduire la consommation d’énergies fossiles, augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique, réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité –, nous ne pouvons accepter le sort que réserve ce texte à l’énergie hydraulique et à la production d’hydroélectricité.
L’hydroélectricité contribue aux multiples usages de l’eau, comme la gestion des crues – Roland Courteau a très bien développé ce point –, mais elle permet également de répondre aux exigences des périodes de pointe de consommation. Elle permet en outre de faire face à l’intermittence des énergies renouvelables comme l’éolien ou le photovoltaïque. Avec ses barrages, elle est essentielle pour assurer la stabilité du réseau.
L’un des arguments que vous présentez est que les concessions hydroélectriques seront exploitées par des sociétés d’économie mixte, ou SEM, c’est-à-dire des sociétés anonymes à capital public et privé. En effet, 34 % de ce capital reviendrait au public, qui détiendrait alors une minorité de blocage, 34 % appartiendrait à l’exploitant et 32 % aux investisseurs tiers. Or rien ne garantit que les collectivités, dont les financements sont malmenés par le Gouvernement, ne revendront pas leurs participations ou qu’elles privilégieront la production d’électricité plutôt que le tourisme, la pêche ou encore les intérêts privés.
Enfin, cette évolution entraînerait de graves répercussions pour les personnels, à l’image de ceux d’Écomouv’. À cet égard, les syndicats alertent sur le fait que le projet de loi contient un article instituant des sanctions à l’encontre des salariés qui interviendraient dans le cadre d’un mouvement social sur leur outil de travail. Par contre, rien n’est dit sur le devenir des salariés concernés ni sur le maintien du statut des IEG, les industries électriques et gazières.
Comment accepter qu’un patrimoine financé par les citoyens français et essentiel au développement économique du pays et à la transition énergétique que nous souhaitons soit ainsi dilapidé au nom d’une « concurrence libre et non faussée » ? Comment accepter que le savoir-faire et le statut social de milliers de techniciens et ingénieurs du secteur, tout comme notre industrie hydroélectrique dans son ensemble, soient ainsi bradés ? À coup sûr, l’usager en paiera les conséquences, ce que mon groupe juge inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron, sur l'article.
M. Jacques Chiron. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui vise notamment à sécuriser dans la durée les concessions hydrauliques au regard des exigences du droit communautaire. À cette fin, le Gouvernement a décidé de s’inspirer du dispositif des SEM à opération unique, définitivement adopté au Sénat le 18 juin dernier par un vote à l’unanimité. Les sociétés prévues dans le présent projet de loi, bénéficiaires des contrats de concession hydraulique, seront en effet constituées entre l’État, les collectivités locales qui le souhaiteront et l’actionnaire industriel choisi par appel d’offres.
Je fais observer à nos collègues que les collectivités locales ayant des barrages sur leur territoire n’ont pas aujourd'hui droit à la parole. Elles ne font que percevoir des taxes, et ça s'arrête là ! Demain, celles qui le voudront – il pourra aussi s'agir des régions – pourront siéger au conseil d'administration. Elles seront alors acteurs à part entière.
Par ailleurs, j’insiste sur le fait que la part de 34 % du capital détenue par le secteur public ne pourra pas être vendue à une personne privée. Par conséquent, ceux qui disent qu’une collectivité pourra se retirer au profit d’une personne privée se trompent : le texte même qui régit les SEM à opération unique s'y oppose. Au reste, l’État et les collectivités auront la présidence de ces sociétés d’économie mixte et siégeront au conseil d'administration pour défendre le bien public et l’intérêt collectif. Ils auront aussi une vue d’ensemble sur les travaux à réaliser.
Je rappelle que, lorsqu’un contrat est passé avec une société privée, l’objectif des SEM à opération unique est de vérifier si la gestion est bonne, si les travaux et les investissements sont faits. Avec une DSP, une délégation de service public, on ne sait pas si les travaux sont faits ou non à temps, et nous savons tous que les provisions servent à autre chose. Dans nos collectivités territoriales, nous en avons tous fait l’expérience pour d’autres actions économiques. Prenons les ouvrages de stationnement : on sait bien que les grands groupes – Vinci et d’autres – font remonter ces provisions à leur maison mère pour développer des activités ailleurs que dans la collectivité où ils ont travaillé.
On parle d’EDF, mais excusez-moi, c'est du privé ! C'est tout de même une société anonyme qui fait ce qu’elle veut avec les barrages ! Il faut donc arrêter de ne jurer que par EDF, même si c'est une très belle société et que je conçois que l’on y soit attaché. Les collectivités gagneront ici un droit de regard sur les barrages, alors que, aujourd'hui, je le répète, celles qui sont le long du Drac n’ont strictement rien à dire et ne font que percevoir les taxes.
En définitive, ce type de SEM à opération unique à la tête desquelles on retrouvera l’État, c'est une assurance. J’ajoute que cette « SEMOP d’État », qui comprend les collectivités, est le résultat de notre travail collectif, au Sénat, pour sécuriser nos entreprises publiques locales. Je me réjouis donc de voir encore une fois que les SEM sont capables de s’adapter à l’économie réelle tout en ménageant une vraie présence de l’État et des collectivités.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Comme nous abordons les articles sur l’hydroélectricité, je voudrais rappeler les raisons de notre attachement commun à ce pilier de la transition énergétique.
Tout d'abord, c'est le premier moyen de production d’énergie renouvelable électrique en France : 75 % de l’électricité renouvelable est aujourd'hui hydroélectrique, avec 68 térawattheures en 2014, soit 12,5 % de l’électricité française. Avec 25 600 mégawatts de puissance électrique installée, elle représente, à elle seule, le quart de la puissance électrique française. Sa contribution est donc essentielle pour atteindre notre objectif de porter la part des énergies renouvelables à 23 % en 2020, puis à 32 % en 2030, comme le propose l’article 1er, que vous avez adopté.
Ensuite, la contribution de l’hydroélectricité est majeure pour la sécurité du système électrique. En effet, c'est une énergie flexible, essentielle pour assurer la sécurité du réseau électrique. Elle produit très rapidement la puissance électrique disponible et modulable et, à elle seule, elle constitue les deux tiers du parc de production d’électricité de pointe. C'est donc l’énergie la plus sollicitée au moment des pics de consommation d’électricité. Cette flexibilité lui permet de favoriser l’insertion des énergies intermittentes renouvelables – comme l’éolien, le photovoltaïque, la biomasse – dans le système électrique. En ce sens, on peut dire que c'est une énergie doublement renouvelable…
En outre, elle est la seule à disposer d’une capacité de stockage de l’électricité. Les barrages sont les outils de stockage d’électricité les plus intéressants d’un point de vue technico-économique, même si les investissements nécessaires restent encore élevés. Les stations de transfert d’énergie par pompage, type particulier d’installation hydroélectrique, permettent ainsi de pomper l’eau quand la demande d’électricité est faible et de la restituer au cours des pics de consommation. Ce stockage joue un rôle très important pour maintenir l’équilibre entre la production et la consommation, et donc pour la sécurité du réseau électrique. Le développement des moyens de stockage est nécessaire pour bien intégrer les énergies renouvelables intermittentes.
Enfin, c’est un moyen de production bon marché, les usines hydroélectriques figurant parmi les moyens de production d’électricité les moins coûteux, 20 euros à 30 euros le mégawattheure pour des installations au fil de l’eau, 30 euros à 50 euros pour les lacs et 60 euros pour les STEP. Il s’agit donc d’un outil de compétitivité économique et de préservation du pouvoir d’achat des Français.
Je vous propose le maintien du régime de concession pour gérer les barrages. Je le souligne, la concession n’est pas la privatisation. Je me permets de rappeler que, lorsque je suis arrivée à la tête de ce ministère, l’ouverture à la concurrence totale avait été décidée, à la demande des instances européennes.
M. Roland Courteau. Tout à fait !