M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en ce lieu où Victor Schœlcher a siégé, après avoir aboli l’esclavage, en ce lieu où Victor Hugo s’est engagé en faveur du progrès, des libertés et de la République, nous souhaitons nous exprimer pour défendre le Sénat.
Il ne s’agit pas pour nous de protéger, dans une démarche corporatiste, une institution ; notre choix est motivé par notre profond attachement au travail que, tous, nous réalisons dans cet hémicycle.
Le grand tort de l’émission diffusée hier soir est de ne pas avoir parlé du travail législatif et du travail de contrôle que nous réalisons ici (Vifs applaudissements.), ni de notre rôle de représentation de nos départements, quels qu’ils soient !
Mes chers collègues, pourquoi sommes-nous profondément favorables au bicamérisme ? Parce que s’il n’y a qu’une seule assemblée, il n’y a plus de navette, il n’y a plus de débat, il n’y a plus ce long travail d’élaboration de la loi. Or toute ligne, tout mot dans la loi s’applique au peuple français tout entier. Et notre dignité, c’est de passer le temps qu’il faut, jour et nuit, chacun avec nos convictions, pour que la loi soit la meilleure possible.
Si nous défendons le Sénat, c’est non pas pour protéger une institution, mais pour défendre la loi, l’esprit de la loi, l’élaboration de la loi par les représentants du peuple, indissociables de la République. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, trois semaines à peine après les événements dramatiques qui ont frappé notre pays, quinze jours à peine après la mobilisation exemplaire de nos concitoyens pour rappeler l’importance de l’unité et du rassemblement, dans l’attachement aux valeurs de la République, le moins que l’on puisse dire, c’est que tout ce qui peut faire apparaître des failles, des interstices, des débuts de division dans cette unité est inapproprié.
En ce sens, l’intervention du président de l’Assemblée nationale était tout à la fois inadaptée et inopportune, car elle s’inscrivait dans un temps politique qui n’était pas convenable.
Cela dit, nous ne pouvons être seulement sur la défensive dès lors qu’il est question du bicamérisme. Nous, parlementaires écologistes du Sénat et de l’Assemblée nationale, avons toujours été pour le bicamérisme, un système qui permet de modérer l’action d’une chambre unique et d’éviter de réagir dans l’immédiateté. Le maintien du bicamérisme est aujourd’hui d’autant plus important que la quasi-concomitance de l’élection présidentielle et des élections législatives offre une majorité absolue au parti du président, qui n’a parfois obtenu que 27 % ou 28 % des voix au premier tour. (M. André Gattolin applaudit.)
La navette est essentielle en ce qu’elle nous permet de prendre le temps d’écrire les lois. Sur des sujets aussi graves que le terrorisme, la sécurité du pays, la nécessité de renforcer les valeurs de la République – à l’école ou dans le cadre de notre politique de la ville –, on ne peut se contenter de réagir à un événement, aussi dramatique soit-il, et de rédiger une loi à l’Assemblée nationale en seulement deux jours. C’est cela que nous devons dire et répéter. Il est évident que le bicamérisme est profondément ancré dans les institutions de notre pays !
Je tiens aussi à dire, avec la franchise et la sincérité que nous nous devons, que l’émission d’hier était catastrophique pour l’image du Sénat. Et notre seule réponse, chers collègues de l’UMP, ne peut être de dénoncer, comme je l’entends, ces affreux journalistes gauchistes de la chaîne publique…
Nous devons nous renforcer ; nous ne devons pas être sur la défensive. Répondons au président Bartolone que nous sommes utiles, que nous travaillons, que quelque 73 % des amendements adoptés dans la loi – cela a été rappelé – sont élaborés au Sénat.
M. Alain Gournac. Nous n’avons pas de comptes à lui rendre !
M. Jean-Vincent Placé. Nous devons aussi être exemplaires. Nous devons être transparents, tant sur les comptes de la maison Sénat et des groupes politiques que sur l’indemnité représentative de frais de mandat, l’IRFM, et sur tout ce qui constitue la vie des sénateurs. Nous ne sommes plus dans la situation de 1958.
Mes chers collègues, oui à l’unité et au rassemblement, oui au Sénat, oui au bicamérisme, oui à la rénovation et à la modernité ! Faisons avancer la rénovation du Sénat engagée par notre président Gérard Larcher, dont je tiens d'ailleurs à saluer l’action. Telle est la bonne réponse à apporter au président Bartolone ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous donne acte de l’ensemble de vos rappels au règlement.
Je veux simplement vous dire, que vous ayez ou non voté pour moi, que j’ai été élu président du Sénat pour assumer la responsabilité de cette institution.
Le bicamérisme, c’est plus de démocratie, plus de liberté, plus de représentation dans la diversité des territoires. Cette responsabilité, je l’assumerai totalement, pleinement, sans faiblesse – vous pouvez me faire confiance.
On me dit parfois rond, mais je suis aussi un homme de décision et d’engagement. Je n’ai pas besoin de nos clivages, j’ai besoin que nous soyons rassemblés autour d’un projet : celui de la République, même si l’on pense à la VIe de ce nom. Pour ma part, je crois fondamentalement à la Ve République, qui a d'ailleurs démontré ces dernières semaines qu’elle était bien utile au Président de la République quand il s'agit de traverser des moments difficiles.
Nos deux groupes de travail fonctionnent. Il nous faudra faire preuve de sens des responsabilités et d’une forme de courage pour adapter le mode de fonctionnement de nos assemblées, et pas simplement du Sénat. Mes chers collègues, vous ne serez pas déçus, me semble-t-il, par les propositions que nos trois rapporteurs vous feront le moment venu. Et je le répète, il faudra du courage.
Le bicamérisme, ce sont deux assemblées qui fonctionnent, qui dialoguent ; les commissions mixtes paritaires ne doivent pas être caricaturées.
Je crois le Sénat fondamentalement utile à la République. En ces temps de crise et de désarroi, on ne peut jouer ainsi avec les institutions de la République. L’unité nationale et le sursaut sont nécessaires, et ils impliquent aussi la diversité.
J’ai informé le Président de la République que je poursuivrai la mission sur l’engagement républicain et le sentiment d’appartenance nationale qu’il avait souhaité que je conduise. Je lui remettrai directement mes réflexions à la fin du mois de mars prochain.
Je pense qu’il est de ma responsabilité de contribuer, avec vous, à la réflexion collective. Nous devons sentir que nous appartenons à la même République – quel que soit son numéro –, pour, ensemble, défendre les valeurs fondamentales de notre pays, la modernité puisant dans les traditions la force du devenir. (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP et de l’UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement. – Mmes et MM. les sénateurs du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC applaudissent également.)
7
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.
Je rappelle également que l'auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
camps de concentration et soixante-dixième anniversaire de la libération d'auschwitz
M. le président. La parole est à M. François Aubey, pour le groupe socialiste.
M. François Aubey. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire.
Le 27 janvier 1945 est une date à jamais gravée dans la mémoire de l’Humanité.
Il y a soixante-dix ans, les troupes soviétiques découvraient le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, à l’ouest de Cracovie, en Pologne, où plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants avaient été tués. Elles libéraient plus de 7 000 détenus survivants et découvraient surtout l’horreur de ce que l’on allait appeler la Shoah.
Ce n’est que plus tard que l’opinion publique mondiale devait prendre conscience de l’ampleur de « la solution finale » organisée dans les camps du IIIe Reich, à savoir l’extermination méthodique, programmée, scientifique des Juifs.
La Shoah est le plus grand crime jamais commis. Ce crime, perpétré en terre d’Europe, fut unique par son ampleur : six millions de victimes, parmi lesquelles un million et demi d’enfants, soit les trois quarts des Juifs d’Europe, plus du tiers de la population juive dans le monde.
La République française, une et indivisible, n’oubliera jamais, comme le Président de la République en a pris l’engagement, mardi dernier, au Mémorial de la Shoah.
Ce devoir de mémoire est un combat qui ne saurait être cantonné aux seuls jours de commémoration. La transmission aux nouvelles générations de ce que fut la Shoah est aujourd’hui de notre responsabilité. Lutter contre l’oubli et l’ignorance, faire en sorte que les Français de confession juive se sentent pleinement chez eux dans notre pays doit demeurer une priorité.
Monsieur le secrétaire d'État, vous le savez, les inquiétudes sont vives. Que ce soit à Toulouse en mars 2012, en décembre dernier à Créteil ou il y a encore trois semaines, lors de l’attaque du supermarché casher de la porte de Vincennes, et plus globalement au quotidien, dans nos rues, dans les cours de nos écoles et sur les réseaux sociaux, personne ne peut nier aujourd’hui que le fléau de l’antisémitisme est bien là, utilisant toujours les mêmes ressorts, les mêmes thèses complotistes ou négationnistes, la même haine de l’autre.
Monsieur le secrétaire d’État, il y va de notre responsabilité collective ; nous devons être intraitables non seulement sur la question de la mémoire, de la sécurité des juifs de France, mais aussi en matière de sanctions, lesquelles doivent être fortes et adaptées. À cet égard, pouvez-vous nous confirmer que les sanctions à l’encontre des actes racistes et antisémites vont être renforcées, comme l’a annoncé le chef de l’État ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Aubey, je voudrais tout d’abord vous dire que je suis fier d’intervenir devant la Haute Assemblée. La présence nombreuse des membres du Gouvernement montre l’attachement et le respect que nous portons à votre institution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le Président de la République a annoncé la mise en place d’un plan global de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Ce plan appelle notamment le renforcement des sanctions à l’encontre des porteurs de haine. Le Premier ministre est intervenu en ce sens à plusieurs reprises devant les deux chambres du Parlement. L’ensemble du Gouvernement est mobilisé sur cette question, et tout particulièrement le ministre de l’intérieur, la ministre de la justice, le ministre de la défense et la ministre de l’éducation nationale.
Aujourd’hui, en France, personne ne doit avoir peur parce qu’il est juif, personne ne doit avoir peur parce qu’il est musulman, personne ne doit avoir peur parce qu’il est catholique, personne ne doit avoir peur parce qu’il croit ou parce qu’il ne croit pas.
Mme Françoise Cartron. Voilà !
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État. La Laïcité est le ciment de la nation, le fondement de notre République. L’État se doit de la garantir, et tout d’abord en mobilisant les forces nécessaires pour assurer la sécurité de tous. Telle fut notre première réponse, immédiate, aux lâches attentats du mois de janvier.
Nous devons maintenant améliorer la visibilité et l’efficacité des sanctions. Le Président de la République l’a souligné mardi dernier, au Mémorial de la Shoah, à l’occasion de la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz. La présence de nombreux déportés a conféré une émotion intense à cette cérémonie.
Toutefois, après l’émotion naît l’incontournable besoin de responsabilité. Après le silence, naît le besoin de parole ; une parole qui doit raconter, témoigner, transmettre.
Je vous remercie d’avoir rappelé la nécessité d’un renforcement des sanctions. L’ensemble du Gouvernement est pleinement engagé sur cette question.
Vous également évoqué le nécessaire devoir de mémoire. À cet égard, je me permets de rappeler quelques-unes des actions engagées par mon ministère : le Président de la République a annoncé, toujours mardi dernier, l’engagement d’une réflexion sur le concours national de la résistance et de la déportation. Cette épreuve doit associer plus de jeunes, venant de tous les horizons. Il faut permettre au grand public d’acquérir une meilleure connaissance de cette période : seuls le savoir, la connaissance et la transmission inviteront à la clairvoyance sur les sujets que vous avez évoqués.
Tous ceux qui mettent en cause les mémoires collectives, toutes les mémoires, doivent savoir qu’ils trouveront sur leur chemin la République et ses valeurs, dont nous défendons les trois piliers : liberté, égalité, fraternité ! (Vifs applaudissements.)
impact de l'envolée du franc suisse sur les emprunts contractés par les collectivités et les établissements publics
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe UDI-UC.
Mme Élisabeth Doineau. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.
Le 15 janvier dernier, la Banque nationale suisse a décidé d’abandonner la parité fixe qui liait le franc suisse à l’euro. Après s’être apprécié de plus de 20 %, le franc suisse cote désormais à parité avec notre monnaie.
Une différence de 20 %, monsieur le secrétaire d’État, c’est colossal ! Malheureusement, elle a des conséquences désastreuses pour de nombreuses collectivités. Une fois de plus, la douloureuse question des créances toxiques de nos territoires est posée.
En effet, pendant les années deux mille, de nombreuses collectivités ont pensé profiter de l’euphorie liée à la bulle financière. Sous l’influence de banquiers peu scrupuleux, plus de 1 500 collectivités et établissements publics se sont endettés en souscrivant des emprunts dont les taux d’intérêt, pourtant variables, étaient fréquemment libellés en franc suisse, une monnaie alors jugée très stable.
La suite, vous ne la connaissez que trop bien : la crise financière a conduit à une envolée des taux d’intérêt, devenus purement et simplement usuriers.
De nombreuses collectivités, des communes, des départements, mais aussi des établissements publics et des hôpitaux font face à une situation financière alarmante, qui remet parfois en cause jusqu’à leur capacité à assurer la continuité du service public.
Le stock d’emprunts contractés reste immense et son volume explose sous l’effet de l’appréciation du franc suisse. Le fonds de soutien que vous avez créé est sous-dimensionné ; il ne permet pas de faire face aux échéances de remboursements.
Or vous avez gelé les voies d’action contentieuses contre ces contrats dans la loi de sécurisation des contrats de prêts structurés. Nous voilà donc face à une créance dont le coût réel peut exploser une nouvelle fois, par la simple décision prise par une autorité étrangère.
Cette situation n’est pas acceptable. Nos concitoyens sont prisonniers de créances qui ont parfois été contractées il y a plus de dix ans, parfois par des équipes renouvelées à deux reprises entre-temps.
Au-delà du risque financier, un véritable problème démocratique est désormais posé par ces emprunts. Les élus locaux sont impuissants à y répondre. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je vous appelle à l’aide ; je souhaiterais connaître vos réponses destinées à pallier les effets du désordre monétaire suisse sur nos finances locales. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la sénatrice, le Gouvernement a constaté comme vous que la brutale appréciation du franc suisse, que personne n’avait anticipée, provoque l’inquiétude, pour ne pas dire plus, au sein des collectivités territoriales.
Vous l’avez rappelé, des collectivités territoriales ont opté, à un certain moment, pour un type de prêts structurés à risques. D’autres ont parfois été victimes de la politique commerciale agressive – c’est le moins que l’on puisse dire – de Dexia.
Le précédent gouvernement en avait tiré les conséquences, en logeant les emprunts toxiques dans une structure dédiée, la Société de financement local, ou SFIL, dotée, il faut le savoir, de la garantie de l’État, que le Parlement a accepté de donner il y a quelques années. Une défaillance de la SFIL serait donc immanquablement prise en charge par le budget national, c’est-à-dire par l’ensemble des contribuables français.
La situation est complexe, et les responsabilités, à l’évidence, sont partagées. Vous l’avez rappelé, le Gouvernement a mis en place, avec l’appui des deux assemblées, un fonds de soutien aux collectivités, dont le barème devra, naturellement, être revu pour prendre en compte la nouvelle donne.
C’est parce que cette nouvelle donne, dont vous faites mention, madame la sénatrice, doit être appréciée dans la durée – les mouvements d’une monnaie peuvent connaître des soubresauts avant de se stabiliser –, que le Gouvernement, notamment Michel Sapin, les services de Bercy et les représentants de la SFIL ont commencé à travailler. Nous sommes actuellement en train de quantifier, si je puis dire, cette nouvelle donne, dont le coût ne sera pas nul. Il pourrait en effet atteindre plusieurs centaines de millions d’euros, sans dépasser – du moins, je l’espère – un milliard d’euros.
En fonction du résultat de ces travaux, nous recevrons, dans les jours qui viennent, les représentants des collectivités territoriales, de l’association créée pour faire face aux emprunts toxiques, de l’Association des maires de France, de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des régions de France. Nous recevrons également, avec Marisol Touraine, des représentants du secteur hospitalier.
Nous allons examiner comment les règles pourront être mises en adéquation avec la nouvelle donne, laquelle, je le répète, n’a pas échappé au Gouvernement, surtout au moment où nombre d’élus locaux travaillent à l’examen du budget de leur collectivité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
politique pénale
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe UMP.
M. Jacques Grosperrin. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la garde des sceaux, notre pays tout entier s’est retrouvé dans un élan sincère et unanime pour dénoncer la barbarie qui a frappé notre sol, pour défendre la démocratie, la liberté, la République et ses valeurs. Mais que faisons-nous maintenant ?
« L’unité nationale ne doit pas devenir un petit calcul politicien visant à étouffer l’opposition », a rappelé le président de notre groupe au Sénat, Bruno Retailleau. C’est notre devoir de parler sans concessions.
Au gré des déclarations, notamment celles du Premier ministre, nous constatons que l’examen de conscience que nous espérions tarde à venir. Le déni est toujours là, alors que l’horreur et l’urgence de la situation commandaient la rupture.
Le Premier ministre a dénoncé un apartheid social ; il a même persisté et signé. Nous savons que cette déclaration va renforcer le sentiment de victimisation d’une population convaincue de souffrir sous un joug quasiment colonial. Comment, dès lors, espérer faire retomber les tensions ?
Lorsque Manuel Valls dit à la jeunesse qu’elle doit s’habituer à vivre durablement avec la menace terroriste, que penser ? Il s'agit d’impuissance pour certains, de calcul pour d’autres…
Lorsque vous-même, madame la garde des sceaux, vous opposez d’emblée au retour de la peine d’indignité nationale, alors que le Premier ministre a justement proposé aux deux présidents des commissions des lois des assemblées de réfléchir sur le sujet et de formuler des propositions, il y a un malaise.
Le défi de la lutte antiterroriste appelle de réels changements dans le fonctionnement de la justice. Pour mes collègues et moi-même, c’est moins la loi elle-même qui pose problème que son exécution.
Nous considérons que vous avez amorcé, madame la garde des sceaux, un véritable désarmement pénal, très préjudiciable au pays. Si deux lois, inspirées pour partie par la précédente majorité après l’affaire Merah, ont renforcé récemment notre droit, la réforme pénale de 2014 est symbolique d’une moindre rigueur dans l’exécution des peines.
Mme Catherine Tasca. C’est faux !
M. Jacques Grosperrin. Exit ce qui a été appelé bien abusivement le « tout carcéral » : vidons les prisons, allégeons le régime de sanctions pénales des récidivistes et facilitons les libérations ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Le plan quinquennal de constructions de prisons, prévu en 2011, a été purement et simplement supprimé, alors qu’il faudrait 30 000 places supplémentaires. La suppression des peines plancher, la contrainte pénale – un aménagement de peine plus qu’une peine, étendu d’ailleurs aux délits passibles de dix ans de prison –, le sursis avec mise à l’épreuve – une aubaine pour les djihadistes –(Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.),…
M. Jean-Pierre Caffet. C’est un scandale !
M. Jean-Louis Carrère. Cela suffit !
M. Jacques Grosperrin. … sont autant de réponses gravement inadaptées en cette période très troublée. (Mêmes mouvements, sur les mêmes travées.)
M. Jean-Louis Carrère. Vous faites de la provocation !
M. Simon Sutour. C’est cela, l’unité nationale ?
M. Jacques Grosperrin. Nous travaillons en ce moment, au sein du groupe UMP, à des propositions allant dans différentes directions, y compris les plus difficiles ; des propositions sur la nationalité, par exemple.
Mme Éliane Assassi. Calmez-vous !
M. Jacques Grosperrin. Nous les ferons connaître le moment venu.
Pour l’heure, pouvez-vous nous dire, madame la garde des sceaux, si, de votre côté, vous souhaitez enfin faire évoluer votre politique pénale, dans ce contexte de lutte contre le terrorisme ? Et si c’est le cas, comment ferez-vous ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. Retirez vos propos, monsieur Grosperrin ! Ils sont honteux !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, en écoutant votre question, notamment sa conclusion, je me suis rendu compte que vous n’aviez probablement pas eu le temps de prendre connaissance des dispositions contenues dans la réforme pénale, c’est-à-dire dans la loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
Ce texte de loi a été conçu de façon extrêmement rigoureuse ; il a donné lieu notamment à une conférence de consensus, qui a rassemblé des personnes de toute sensibilité politique, y compris de la vôtre, monsieur le sénateur. Nous avons en effet tenu à rassembler des expériences et des réflexions extrêmement diverses.
Cette évaluation extrêmement rigoureuse des politiques pénales précédentes nous a conduits à définir le contenu de ce texte, qui a été, je le souligne, abondamment travaillé en ces lieux.
Il est évident que l’efficacité des sanctions pénales est liée à l’individualisation de la peine. Nous avons donc introduit des dispositions visant à rendre aux magistrats leur liberté d’appréciation, afin qu’ils définissent très précisément la sanction la plus efficace.
Une autre disposition importante consiste à éviter que les personnes incarcérées ne sortent sans aucun encadrement, sans aucun suivi, sans aucune contrainte, ce qui était le cas avec la politique pénale précédente.
En effet, je pourrais facilement vous rétorquer, monsieur le sénateur, que la politique pénale précédente – nous l’avons évaluée – tendait à multiplier les récidives ; celles-ci ont été multipliées par trois entre 2001 et 2011, selon une appréciation dont nous ne sommes pas à l’origine. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Vergoz. Il était bon de le rappeler !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La surpopulation carcérale, la sortie de prison avec le système de surveillance de fin de peine, un automatisme sans aucun suivi, sans aucun contrôle et sans aucun encadrement, ont donné des résultats désastreux.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons donc voulu changer tout cela. Nous avons fait le choix d’une politique pénale responsable ; nous l’assumons.
J’en viens plus spécifiquement à la lutte contre le terrorisme. J’ai fait part à la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe – une commission véritablement visionnaire, car elle a été installée il y a plusieurs mois –, des dispositions que nous avons adoptées dans le domaine pénitentiaire, dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, dans le domaine judiciaire et en faveur du renforcement de la section antiterroriste de Paris. Je suis d’ailleurs à la disposition du Sénat pour de plus amples informations.
La politique est là, monsieur le sénateur ; il faut seulement éviter les confusions. Or la culture de la Haute Assemblée, c’est précisément le travail en commun, ce sont les rapports rédigés par un membre de l’opposition et par un membre de la majorité, ce sont des structures mêlant des expériences diverses. La commission que je viens d’évoquer rassemble ainsi des sénateurs de sensibilité politique différente et appartenant à plusieurs commissions législatives.
Nous, monsieur le sénateur, nous avons fait le choix de la responsabilité. Nous n’avons jamais pensé vous rendre responsables des crimes de Mohamed Merah en 2012, pourtant perpétrés sous la législature précédente et sous l’empire des lois que vous aviez votées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Caffet. Exactement !
M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même en pleine campagne électorale, l’actuel Président de la République, alors candidat, a été absolument exemplaire dans son attitude, afin de ne pas reporter sur les institutions et les responsables politiques des crimes commis par des individus. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.)