M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour de la tenue de ce débat sur les emplois de demain et de cette occasion qui nous est offerte d’évoquer ensemble les grands défis que notre société devra relever dans les années à venir.
Nous pouvons d’ores et déjà prévoir la direction de certains des grands changements qui nous attendent : adapter nos formations pour développer des compétences correspondantes ; adapter nos règles de droit pour faire de la place à ces nouvelles activités.
Notre collègue Alain Fouché note dans le rapport d’information Quels emplois pour demain ? qu’il a rendu au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, que l’on estime aujourd’hui qu’entre un tiers et 70 % des métiers qu’exerceront plus tard les futurs actifs n’existent pas encore. Nos prévisions dans ce domaine présentent donc forcément une part d’incertitude.
De manière certaine, les constats que nous pouvons faire se limitent au pourcentage restant d’emplois de demain qui existent déjà aujourd’hui. Or ce que l’on note, c’est la disparition progressive de tout un volant de métiers artisanaux, alors même que l’artisanat emploie toujours aujourd’hui environ 3 millions d’actifs.
Toujours dans le même rapport, la délégation sénatoriale à la prospective observe que de nombreuses difficultés prévisibles du marché du travail de demain ne sont en réalité pas nouvelles, mais sont connues depuis de nombreuses années déjà. Parmi elles, on compte la valorisation de l’apprentissage, l’une des seules filières de formation capable de sauver les emplois de l’artisanat en France.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. C’est vrai !
M. Michel Savin. Le Président de la République a pourtant affirmé à plusieurs reprises sa détermination à relancer la filière de l’apprentissage.
Le Gouvernement a annoncé en 2013 son objectif de faire progresser le nombre d’apprentis de 435 000 à 500 000 à l’horizon de 2017.
En réalité, en 2013, le nombre de contrats signés a chuté de 8 % par rapport à 2012. Il a encore diminué de 14 % au cours de l’année 2014. Ce type de formation assure cependant aux jeunes des débouchés professionnels dans 70 % des cas, et ce dans des secteurs d’activité en manque chronique de main-d’œuvre.
À la conjoncture difficile s’ajoute un manque de visibilité pour les entreprises, ce qui ne les encourage pas à conclure des contrats de ce type : réduction du budget de l’apprentissage de 20 % en 2013, diminution du crédit d’impôt lié à la présence d’apprentis, réforme de la taxe d’apprentissage et concurrence des emplois d’avenir. Toutes ces mesures ont contribué à décourager les employeurs potentiels.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Michel Savin. En outre, les normes techniques et administratives encadrant la conclusion des contrats d’apprentissage et d’alternance sont aujourd’hui trop rigides et complexes pour les besoins des entreprises.
Un travail de fond s’impose sur ce sujet et les mesures prises par le Gouvernement n’apparaissent pas à la hauteur de l’enjeu. Si des objectifs chiffrés ont été fixés et des crédits alloués à une nouvelle aide en direction des employeurs, nous attendons l’annonce de propositions concrètes visant à inciter les jeunes et les entreprises à s’engager sur ces contrats d’apprentissage.
Enfin, je pense que nous sommes tous d’accord pour affirmer qu’il est indispensable que notre pays continue à se préparer aux grands changements qui toucheront à l’avenir un certain nombre de métiers, en particulier dans les domaines de l’environnement, de la santé, de la recherche, de l’énergie ou encore des télécommunications.
Mais il est aussi urgent de préserver tout un pan de notre économie et de notre savoir-faire qui aujourd'hui souffre beaucoup : je pense notamment à l’agriculture, à l’industrie, à l’artisanat, aux entreprises du bâtiment.
En conclusion, monsieur le ministre, nous pouvons dire que les emplois d’aujourd’hui seront encore des emplois de demain pour peu que l’on prenne la peine de mettre en place les mesures nécessaires à leur sauvegarde. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation, mes chers collègues, je voudrais à mon tour saluer le travail approfondi qu’a réalisé notre collègue Alain Fouché au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Beaucoup d’auditions, de rencontres ont été organisées, notamment sur le terrain, avec les organismes qui interviennent dans le domaine de l’emploi ou les représentants des acteurs de l’économie.
Mes chers collègues, l’actualité est lourde : 189 000 chômeurs de plus en 2014, ce qui porte le total des personnes actuellement au chômage à 3,5 millions !
La question que vous vous êtes posée il y a plus d’un an, cher Alain Fouché, n’en est que plus importante aujourd’hui : quels emplois pour demain ? Comment créer les conditions pour favoriser l’emploi ?
Puisqu’il s’agit pour nous d’adopter une démarche prospective, je centrerai mon propos sur trois leviers d’action décrits dans le rapport.
Le premier a été évoqué à l’instant par Michel Savin, je veux parler de l’apprentissage.
Bien sûr, nous connaissons le succès de ce dispositif chez nos voisins d’outre-Rhin. Chers collègues, étant élue à Strasbourg, je le connais plus particulièrement et j’en mesure toute la puissance.
Ce dispositif concerne non seulement des emplois manuels, mais aussi des jobs d’ingénieurs ou de comptables ; ainsi, ils ne sont pas marqués par une faible qualification.
Grâce à ce processus qui s’inscrit dans la durée, le jeune acquiert un savoir-faire professionnel et est accompagné humainement tout au long des événements qui peuvent survenir entre l’adolescence et la vie de jeune adulte. Voilà pour ce qui existe en Allemagne.
Et que faites-vous, monsieur le ministre ? Vous supprimez, à l’été 2012, la prime à l’embauche – l’été est la saison de recrutement des apprentis –, ce qui induit une baisse immédiate, encore confirmée, mon collègue Michel Savin a rappelé les chiffres.
Je tiens à le répéter ici solennellement, pour nous qui vivons en Alsace une situation intermédiaire, influencée par nos voisins allemands, l’apprentissage est vraiment un dispositif formidable, qui donne aux jeunes non seulement de la compétence, mais aussi de la confiance.
Mme Fabienne Keller. Cette confiance et cette compétence se transformeront, demain, en une capacité à créer, à innover, à s’adapter aux nouvelles conditions du marché et du métier.
M. Charles Revet. C’est vrai aussi de l’alternance !
Mme Fabienne Keller. Absolument !
Le deuxième levier permettant de favoriser la création de nouveaux emplois et, plus généralement, de l’emploi, ce sont les entreprises. Celles-ci ont besoin de confiance, de stabilité, de mesures claires.
Monsieur le ministre, on le sait bien, les charges sur les salaires sont trop fortes en France. Mais, au lieu de les baisser, vous avez créé une bête super-compliquée, le CICE.
Mme Fabienne Keller. Qu’on en juge : le remboursement de charges, à condition de faire la comptabilité des charges payées sur l’année précédente, est versé à la plupart des entreprises l’année suivante, ou déduit de leur impôt sur les sociétés, mais, pour les très grandes entreprises, trois ans après.
Il n’y a donc pas de lisibilité, pas d’effet d’incitation fort, mais plutôt un effet d’aubaine et, au passage, la création d’un passif pour l’État – l’évaluation précise ne nous en est pas donnée par le ministre du budget – de plusieurs milliards d’euros.
Je prends un deuxième exemple : le compte personnel de formation. Le CPF est une excellente idée pour tenir compte du fait que les carrières sont désormais fractionnées et pour accompagner le salarié tout au long de sa vie professionnelle. Mais nous avions déjà son petit frère, le droit individuel à la formation, le DIF. Pourquoi changer le nom, pourquoi changer l’administration du dispositif ? Des adaptations, certes moins attrayantes en termes de communication qu’un nouveau nom, auraient permis aux entreprises de mieux prendre en compte une innovation à la marge, en évitant les nouvelles charges administratives et technocratiques liées à la complexité de tout nouveau dispositif.
Monsieur le ministre, chers collègues, la baisse du chômage à laquelle nous aspirons tous ne peut être que le résultat de milliers de décisions microéconomiques de chefs d’entreprise entreprenants et audacieux, d’équipes de salariés motivés, mobilisés dans leur savoir-faire. Ce n’est pas le projet de loi « Macron », peu lisible et insuffisamment audacieux, qui posera le cadre macroéconomique de nature à privilégier au contraire simplicité et confiance. Il ne nous donnera pas le contrat de travail unique que notre collègue Didier Mandelli a évoqué, cette simplification du droit du travail tant attendue. Il ne nous offrira pas davantage la clarification et la stabilité de l’environnement économique que réclament les entreprises.
Monsieur le ministre, tout l’enjeu est de replacer l’entreprise au centre de notre société. C’est l’entreprise qui peut instaurer cette dynamique créatrice de richesse et d’emplois. Je vous propose donc, comme deuxième levier, la connaissance et le respect de l’entreprise dans l’ensemble de la société.
Permettez-moi d’évoquer, brièvement, monsieur le ministre, un troisième levier d’action : l’humain.
Ne sommes-nous pas arrivés au bout des politiques du chômage administré qui classent nos concitoyens en catégories ? Aux aspirations à retrouver un emploi, donc une utilité sociale, donc un rôle, sans parler des contacts humains au sein d’une collectivité de travail, on répond par des critères d’âges, de compétences formelles, de durée de périodes de chômage…
Ce faisant, on crée, monsieur le ministre, de la désespérance chez tous ceux qui sont dans la catégorie « chômeurs de longue durée », ou dans la catégorie des personnes cheminant de CDD en CDD avec des périodes d’interruption, ou encore dans la catégorie des jeunes avec peu de qualification ou dont l’adresse, ou le nom, sont liés à un quartier fragile.
« Il faut changer le logiciel de la lutte contre le chômage », comme l’a titré ce matin un grand quotidien, retrouver dans chaque chômeur une personne qui a des aspirations, un potentiel, des ressources, et que l’entreprise, ou peut-être l’acteur public, qui l’emploie et la dynamique collective du travail en équipe permettront de valoriser.
En conclusion, monsieur le ministre, je poserai deux questions précises qui résumeront mon intervention : quelles actions concrètes entendez-vous mener pour développer l’apprentissage ? Quels signaux clairs et forts adresserez-vous à ceux qui sont les créateurs des nouveaux emplois, les entreprises ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier l’éminent président Karoutchi des propos qu’il a tenus en ouvrant ce débat et du ton qu’il a employé, qui sied parfaitement à votre Haute Assemblée ainsi qu’aux travaux de la délégation sénatoriale à la prospective.
Je voudrais également saluer le travail mené par M. Fouché. Après de nombreuses auditions, votre collègue a commis un excellent rapport qui restera sûrement dans les annales du Sénat puisque nous allons nous y reporter pour voir comment les choses peuvent évoluer à partir de ses conclusions.
Vous avez procédé, monsieur le rapporteur, à de nombreuses auditions. Encore est-il heureux que vous n’ayez pas interrogé l’ensemble de nos concitoyens, car c’est un peu comme au Brésil avec le football, où il y a autant de sélectionneurs que de Brésiliens : en France, les personnes qui connaissent les solutions pour résoudre le problème du chômage sont aussi nombreuses que celles qui sont interrogées ! (Sourires.) Vous avez donc bien fait de vous arrêter à un moment et de poser vous-même certaines questions. Elles recoupent souvent les miennes sans que je puisse y apporter plus de réponses que vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Certaines interventions étaient très précises, d’autres moins ciblées, voire un peu décevantes, madame Keller.
Mme Fabienne Keller. Quel dommage !
Mme Fabienne Keller. Elle vous a donc touchée !
Mme Fabienne Keller. Votre vision est à court terme !
M. François Rebsamen, ministre. Non, car nous essayons ensemble de nous projeter pour envisager toutes les évolutions, les outils et les métiers du futur, les emplois d’avenir.
M. François Bonhomme. Pour quels résultats !
M. François Rebsamen, ministre. Nous ne sommes pas là aujourd'hui pour parler de la situation concrète du chômage, dont je suis d'ailleurs prêt à venir débattre si vous m’y conviez.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui sont intervenus pour verser au débat des éléments moins présents dans ce rapport, notamment sur la transition énergétique, dont tout le monde parle, même si l’on ne voit pas bien encore comment elle peut progresser. Nous en attendons néanmoins 15 000 emplois d’avenir. Certains ont évoqué les mobilités, à développer.
Parmi les bonnes choses qui sont communes aux uns et aux autres, je pense au crédit d’impôt recherche grâce auquel notre pays est aujourd'hui l’un de ceux qui attirent le plus de chercheurs.
M. Jacques Chiron. Tout à fait !
M. François Rebsamen, ministre. Beaucoup d’entreprises s’installent aussi chez nous grâce au crédit d’impôt recherche, toutes les études le montrent.
Je pense également, monsieur Mandelli, à la lutte nécessaire contre la concurrence déloyale des travailleurs détachés non déclarés, qui sont de plus en plus nombreux et qui menacent des professions entières.
Je reviendrai sur d’autres questions plus précises, notamment sur l’apprentissage, pour éviter de propager les bêtises que l’on peut entendre.
Le rapport Quels emplois pour demain ?, qui a été établi par la délégation sénatoriale à la prospective, soulève une question essentielle pour la France, pays de paradoxes.
En effet, alors que notre pays continue aujourd'hui à être traversé par cette crise économique et sociale sans précédent qui touche l’Europe tout entière, il est tout autant caractérisé par l’une des démographies les plus dynamiques d’Europe et est doté de capacités d’innovation technologique et scientifique qui comptent – n’en déplaise à M. Cadic – parmi les plus impressionnantes du monde.
À l’évidence, il nous faut, pour le moment, nous mobiliser pour répondre à l’urgence du chômage, priorité absolue des Français, personne ne le nie. Pour certains, d'ailleurs, le basculement dans le chômage, puis le chômage de longue durée, ne se rattrapera jamais, quelles que soient les occasions futures.
Le combat contre le chômage mobilise donc l’essentiel des énergies : l’effort en matière d’emplois aidés – ils existaient avant et perdureront –, de formation des demandeurs d’emploi, de moyens mis dans leur accompagnement a été maximal en 2014 et sera maintenu en 2015, avec notamment la mise en place d’un compte personnel de formation, qui n’a rien à voir avec le DIF – je pourrais en parler pendant des heures, ce que je ferai peut-être pour expliquer la différence à Mme Keller ! –, l’extension de la Garantie jeunes, l’accroissement des accompagnements renforcés de Pôle emploi.
Néanmoins, nous devons aussi, et dès à présent, nous tourner vers l’avenir pour saisir les chances qu’il semble nous offrir. Je pense notamment à l’essor des métiers du numérique ou de l’environnement, au renouvellement des métiers et à l’accroissement du nombre des postes dans les services d’aide à la personne, évoqués dans le rapport sur les métiers de 2022 publié conjointement par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, et France Stratégie.
Nous devons également prévenir les risques qui se profilent : une dualisation toujours plus profonde du marché du travail, les effets de la mécanisation et de l’automatisation sur les emplois, même les plus qualifiés, l’impact d’une concurrence qui s’étendra à des produits et services toujours plus sophistiqués, avec l’émergence de grands pays à l’économie de plus en plus innovante et diversifiée.
J’ai dit au président de la délégation à la prospective que j’aurais plaisir à revenir devant vous pour évoquer ces questions, à l’avenir, si je suis toujours là ! (Sourires.) En la matière, la prospective doit nous aider à nous repérer ; l’orientation et la formation, à nous préparer.
Au fond, j’ai la conviction qu’il serait vain d’opposer, d’un côté, un présent tout entier concentré sur la lutte contre le chômage, l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la satisfaction des offres pour les métiers dits en tension, et, de l’autre, une prospective arc-boutée sur le long terme, qui ne raccrocherait qu’à grand-peine des perspectives lointaines à des décisions opérationnelles à prendre aujourd’hui. Le traitement du présent et la préparation de l’avenir, en matière d’emploi, sont intimement liés.
L’action sur le marché du travail d’aujourd’hui n’est pertinente que si elle repose sur une connaissance intime des besoins et des grandes tendances qui dessinent le marché du travail de demain.
Notre capacité à anticiper les besoins en compétences de moyen terme repose largement sur la mise en place, dès aujourd’hui, de dispositifs d’orientation et de formation professionnelle qui soient réactifs, adaptables et orientés vers l’utilité pour l’économie.
Pour mieux faire jouer cette complémentarité entre prospective et formation, entre action sur le présent et anticipation de l’avenir, qui est bien au cœur de la philosophie du rapport de la délégation, deux orientations me semblent essentielles ; elles président à la politique que nous menons.
La première orientation, c’est de renforcer notre capacité à identifier les besoins des entreprises, aujourd’hui et demain.
Je partirai d’un postulat de bon sens : c’est d’abord en comprenant mieux le présent que l’on peut parvenir à lire l’avenir. L’essentiel des grandes transformations qui structureront les besoins futurs des entreprises en matière de compétences, de métiers, de profils sont déjà visibles aujourd’hui pour qui sait bien observer la vie.
La prospective en matière de métiers et de qualifications est un art difficile, qui n’a de sens que s’il est orienté vers la décision. Comme le montre le rapport de la délégation, une multiplicité d’acteurs et de dispositifs ont coexisté jusqu’à présent. Nous devons maintenant avoir des acteurs qui puissent intervenir aux niveaux national et territorial sans trop de redondance.
Parmi les changements à l’œuvre, cinq mutations structurelles profondes doivent retenir notre attention.
Premièrement, la nouvelle géographie mondiale des activités met fin à une division du travail qui réservait aux pays développés les productions à haute valeur ajoutée, et aux autres la concurrence par les prix et les coûts.
Deuxièmement, notre démographie est caractérisée à la fois par le dynamisme et le vieillissement, ce qui ne manquera pas de remettre en question les équilibres entre l’offre et la demande de travail. À cet égard, il faut être prudent quand on compare la situation de notre pays avec celle de l’Allemagne.
Troisièmement, on assiste à une évolution profonde de notre modèle familial : normalisation du travail des femmes – ce qui n’est pas le cas partout, notamment en Allemagne –, développement de familles recomposées ou monoparentales, entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail. Ces changements créent de nouveaux besoins en matière de services à la personne, de logement ou d’enseignement.
Quatrièmement, l’exigence de la transition écologique fait évoluer profondément les demandes des consommateurs et les compétences recherchées par les entreprises.
Cinquièmement, la révolution numérique et robotique a, elle aussi, des conséquences sur les compétences et, bien au-delà, sur toute la chaîne de valeur et la formation de celle-ci. Nous ne savons d’ailleurs pas si les emplois créés sont en nombre suffisant pour remplacer ceux qui sont détruits.
Bien sûr, il est nécessaire de se projeter plus finement dans l’avenir lorsque nous souhaitons créer les conditions de développement de certaines filières clés, comme celles du nucléaire ou du numérique, ou assurer la réussite de certains grands projets. Pour ce faire, nous disposons d’un outillage, notamment la GPEC. Toutefois, s’attaquer à la question de l’emploi dans les territoires requiert moins une capacité de projection sophistiquée qu’une capacité à aider les entreprises ayant un potentiel d’activité à le transformer concrètement en emplois, point qui n’a pas été suffisamment évoqué. C'est une véritable difficulté.
Dans le domaine des politiques de l’emploi, caractérisé par un foisonnement d’acteurs, nous avons probablement trop de futurologues, et pas assez d’accoucheurs ! Ma conviction est que les services de l’État doivent se recentrer sur l’aspect pratique, concret, sur le présent porteur d’avenir.
M. Michel Savin. Très bien !
M. François Rebsamen, ministre. Comment aider tout de suite une entreprise à recruter ? Comment espérer anticiper des créations d’emplois dans dix ans dans des entreprises qui, aujourd’hui, ne savent pas recruter ? Ce sont des questions simples, auxquelles les élus locaux sont confrontés.
Pour les entreprises ne disposant pas d’une fonction « ressources humaines » structurée, il nous revient d’aider les employeurs à répondre à ces questions très basiques : dois-je recruter ? Puis-je recruter ? Comment recruter ? Comment intégrer de manière pérenne le nouveau salarié ? Plus l’entreprise est petite, plus ces questions se posent avec acuité. Les services de l’État doivent se positionner en ensembliers de l’offre de services ici décrite, qui relève souvent de la compétence de plusieurs acteurs, tels que les chambres consulaires ou les opérateurs du service public de l’État.
La compréhension des évolutions profondes de l’emploi se joue dès à présent : les métiers évoluent dans leurs contours et leur contenu à une vitesse vertigineuse. Nous devons collectivement apprendre à suivre ces changements dans notre pratique quotidienne.
Le service public de l’emploi, qui doit rester un service public, doit être au contact réel de l’entreprise, ici et maintenant, car c’est là que s’acquiert la connaissance, ou l’intuition, des besoins. Il en va ainsi pour Pôle emploi, avec la mise en place de conseillers dédiés à la relation avec les entreprises ; les services déconcentrés de l’État doivent aussi s’engager dans cette voie, en rééquilibrant leurs relations, aujourd’hui largement tournées vers les partenaires institutionnels, au bénéfice des employeurs.
La connaissance des métiers passe également par la capacité à les décrire, à les définir et à les redéfinir sans cesse, pour tenir compte des évolutions. Par exemple, le ROME, le répertoire opérationnel des métiers géré par Pôle emploi, qui est aujourd’hui le seul référentiel « officiel » des métiers, doit être mieux actualisé, devenir un outil collaboratif et être pensé à partir des compétences, et non plus seulement des métiers. À notre demande, des travaux sont menés en ce sens par Pôle emploi.
Enfin, les diplômes et certifications professionnels doivent évoluer avec les besoins des acteurs de l’économie. Nous travaillons actuellement, notamment dans le cadre du plan de développement de l’apprentissage arrêté par le Président de la République le 19 septembre dernier, à améliorer les processus de création et de validation, afin que les partenaires sociaux et les experts soient plus et mieux sollicités.
Cette question de la compréhension des évolutions profondes se pose aussi pour les pratiques de recrutement et de recherche d’emploi, avec un rôle de plus en plus prégnant des réseaux sociaux et des outils en ligne d’évaluation ou de valorisation des profils.
Il revient aussi au service public de l’emploi de faire savoir comment les besoins évoluent et d’organiser le partage équitable de la connaissance, grâce à la pratique de l’open data sur les données du marché du travail, les besoins de recrutement, l’état de la main-d’œuvre disponible. Cela doit et va se traduire par la mise en place de plateformes collaboratives pour susciter la création d’outils d’analyse et d’aide à la décision. C’est tout l’objet de l’« emploi store », par lequel Pôle emploi met à disposition une partie de ses données pour inciter des développeurs à créer des applications utilisant celles-ci, afin de mettre en place de nouveaux services pour les employeurs et les demandeurs d’emploi.
La deuxième orientation de la réforme actuelle de la formation professionnelle tend, pour le dire simplement, à rendre le système d’orientation et de formation plus utile et plus accessible à tous.
S’il est difficile, au-delà de quelques certitudes, de faire de la prospective en matière de métiers, il est évident que plus notre appareil de formation est capable de s’adapter aux enjeux actuels et futurs de l’entreprise, plus nous serons certains d’assurer à notre économie et à notre société de pouvoir disposer des profils dont elles auront besoin. Plus notre système d’orientation sera capable de donner les bonnes informations aux bonnes personnes au bon moment, moins nous constaterons d’inadéquations entre les besoins des entreprises et l’offre de main-d’œuvre. À ce propos, on entend souvent dire qu’on ne trouve pas de chaudronniers, ce qui est malheureusement vrai dans certains bassins d’emploi : peut-être des salaires plus élevés rendraient-ils ce métier plus attractif…
La réforme actuelle et son prolongement à venir ont pour objet d’améliorer au maximum la pertinence de l’offre de formation et du système d’orientation professionnelle.
Monsieur Fouché, votre rapport pointe des défauts qui ont été corrigés – ou sont en passe de l’être – par la réforme de la formation professionnelle du 5 mars 2014 : passage, accompagné d’une baisse des cotisations pour les entreprises, d’une obligation de dépenser à une obligation de former, afin de faire de la formation professionnelle un véritable investissement de l’entreprise ; valorisation des formations certifiantes et des thèmes jugés prioritaires par les acteurs de l’entreprise au travers des listes d’éligibilité du compte personnel de formation, le CPF, pour concentrer l’effort sur ce qui est utile au regard des besoins de l’économie ; ouverture du bénéfice de la formation à tous, ce qui n’était pas le cas avec le DIF. Le compte personnel de formation constitue la première grande avancée depuis Jacques Delors, en 1971. (M. Jean Desessard approuve.) Il devient l’outil d’une formation tout au long de la vie, puisqu’il suivra la personne quels que soient les méandres de son parcours, y compris – ce qui n’est pas le cas aujourd'hui – en période de chômage, rendant toujours la formation accessible. Ce sont tout de même les chômeurs qui ont le plus besoin de formation !
Enfin, la définition de critères partagés permettant de mesurer la qualité des formations, notamment en termes d’adéquation aux besoins de l’entreprise, permettra d’installer un système de certification des organismes de formation et de pilotage de la performance des diverses formations disponibles.
J’ajoute que le compte personnel de formation est un succès : 200 000 comptes ont été ouverts en France entre le 5 et le 25 janvier.