M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, l’année 2014, avec une hausse du chômage de 5,7 %, a confirmé la tendance à l’œuvre depuis la crise financière et économique amorcée en 2007. Aucune inversion de la courbe du chômage n’a été constatée, malgré ce qui avait été initialement annoncé par le Gouvernement. En y regardant de plus près, on remarque que la catégorie d’âge la plus touchée par le chômage regroupe les plus de cinquante ans, qui sont 800 000 à connaître cette situation. Quant aux jeunes, même si le chômage des moins de vingt-cinq a connu une certaine stagnation en 2014, ils sont également très touchés.
Ces deux exemples me permettront de faire le lien entre l’évolution du chômage et la situation de l’industrie.
Selon l’INSEE, le secteur productif français a perdu 9 % de ses actifs depuis les années quatre-vingt. Dans la même période, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 35 % à 20 % seulement. Le chiffre d’affaires dans l’industrie, quant à lui, a baissé de 0,9 % en 2014.
Un récent rapport de la Commission européenne montre que, depuis 2007, les trois pays ayant détruit le plus d’emplois industriels sont l’Espagne, l’Italie et la France, tandis qu’un seul en créait, à hauteur de 60 000 : l’Allemagne.
En 1975, il y avait en tout 689 000 chômeurs dans notre pays. Ils sont aujourd’hui 3 496 000, dont, je l’ai dit, 800 000 âgés de plus de cinquante ans. Il convient donc d’analyser de manière très lucide ce qui s’est passé dans nos territoires, dans notre économie, pour que nous en arrivions là.
Mon propos consiste à faire le parallèle entre croissance du taux de chômage et baisse, année après année, de la production industrielle de notre pays ; entre croissance du taux de chômage et désindustrialisation de la France ; entre croissance du taux de chômage et perte de compétences dans notre pays.
Seuls 27 % des salariés de l’industrie suivent une formation. Cela doit nous interpeller, et nous inciter à nous poser des questions.
De 2005 à 2013, le nombre d’ingénieurs diplômés en France, mais partis travailler à l’étranger est passé de 13 % à plus de 15 %.
Certes, on pourrait se réjouir d’une hausse de la demande. Mais il faut mettre notre situation en perspective avec celle de l’Europe, qui est notre espace économique ; c’est à cet échelon que nous devrions normalement apporter des réponses en matière d’industrie et d’emploi. Or les besoins en postes d’ingénieurs progressent de 5,9 % à l’étranger, contre 3,8 % chez nous ! Il y a donc un tassement en France par rapport aux autres pays industrialisés, qui continuent de se développer.
Le tiers des ingénieurs qui quittent la France avec un tel niveau de formation le font à la demande de l’employeur. Autrement dit, les deux tiers le font de leur propre initiative…
Chaque fois qu’un jeune quitte notre territoire, c’est un appauvrissement pour notre territoire.
Chaque fois qu’un jeune perd l’envie d’entreprendre dans notre pays, c’est un appauvrissement pour notre pays.
Certes, créer une entreprise, c’est prendre le risque de l’échec, mais cela peut aussi mener au succès.
Pour gagner la bataille de l’emploi, il faut reconquérir une industrie de production.
Nous venons d’examiner le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Je suis heureux des positions que nous avons, ici, au Sénat, adoptées ensemble. Les mesures qui figurent dans le texte sont désormais plus conformes aux réalités du terrain. Il est absolument primordial de rapprocher l’économie des territoires, et confier clairement le rôle de chef de file en matière économique aux régions y contribue.
Nous devons créer des emplois partout en France, en nous appuyant sur les spécificités des territoires. À cet égard, la région est bien l’échelon adéquat de cette connaissance des spécificités de chaque territoire.
Nous devons assurer la vitalité de nos territoires, en leur offrant les meilleures conditions de réussite. Autrefois, en Lorraine, où je suis élu, les industries étaient au milieu des habitations et les investissements cohabitaient avec la vie locale. Aujourd'hui, pour des raisons que je ne conteste pas, le positionnement industriel est tout autre, mais ces bouleversements ne facilitent pas la compréhension et l’acceptation des choix faits sur notre territoire au nom de la production.
Il nous faut renforcer le couple formation/emploi. Il nous faut renforcer le couple formation/entreprise. Il nous faut renforcer le couple formation/production.
Le Sénat a pris la décision de rapprocher la responsabilité économique de la responsabilité de production.
L’été dernier, mon collègue Jackie Pierre et moi-même avons rencontré des chefs d’entreprise du secteur de la chaudronnerie qui avaient des postes à pourvoir et souhaitaient former des chaudronniers. Mais ils n’ont jamais pu le faire, l’autorisation de dispenser la formation dans le lycée tout proche n’ayant jamais été accordée.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Je prendrai un dernier exemple, celui des start-up, qui doivent constituer l’armature de l’industrialisation de la France ; une action énergique en leur faveur est nécessaire. Les jeunes entrepreneurs d’aujourd'hui doivent être nos capitaines d’industrie de demain. Nous devons plus que jamais faire confiance à la jeunesse de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à féliciter notre collègue Alain Fouché de son excellent travail.
À l’évidence, c’est un sujet qui intéresse chacune et chacun d’entre nous, tant la situation économique de notre pays est préoccupante, et ce depuis de nombreuses années.
Après avoir écouté les orateurs qui m’ont précédé à cette tribune, je pense que c’est avec la plus grande humilité que nous devons nous saisir d’une question qui, dans sa complexité, ressortit à de multiples champs, l’économie, la formation, le social, le sociétal et même, nous l’avons vu, la philosophie. Soyons donc un peu humbles.
Les nombreuses auditions et les non moins nombreux déplacements sur le terrain que notre collègue a organisés ont permis de nourrir une réflexion riche et, je le crois, aboutie. J’espère vivement que cela nous permettra d’ouvrir des pistes en vue de l’adoption de mesures réellement efficaces pour l’emploi.
Comme le souligne M. le rapporteur, il est très difficile de savoir avec certitude ce que sera l’emploi dans le futur, même un futur relativement proche. Les différentes raisons en ont été rappelées tout à l’heure.
En effet, malgré les très nombreuses statistiques disponibles et les analyses auxquelles elles donnent lieu, il n’est jamais aisé d’appréhender avec précision les métiers de demain.
C’est dû en partie, mais pas seulement, à l’évolution extrêmement rapide des nouvelles technologies, du numérique, mais aussi de la robotique. Selon le rapport, entre 30 % et 70 % de ces métiers d’avenir sont encore inconnus aujourd’hui. Ce chiffre est très important, mais il ne doit pas nous empêcher de réfléchir et de formuler des propositions. C’est ce qui a été fait. À mon sens, c’est là que le travail de notre délégation à la prospective a toute sa valeur.
Nous pouvons prendre de la hauteur et du recul, en particulier par rapport à l’évolution mensuelle des chiffres du chômage, pour nous consacrer à une véritable vision prospective et examiner ainsi divers scénarios. Je veux croire que ce travail peut contribuer à aider le Gouvernement dans l’orientation de ses politiques.
La lutte contre le chômage constitue un véritable défi pour les gouvernements successifs. La démarche que nous permet d’engager la délégation à la prospective nous offre la possibilité de nous dégager des méthodes prévisionnelles habituellement utilisées, qui supposent la reproduction du même modèle. Les résultats sont alors éminemment dépendants des hypothèses d’entrée, notamment le taux de croissance de l’économie française au cours des deux prochaines décennies.
J’en viens à présent aux préconisations de M. le rapporteur.
Il est proposé que les perspectives immédiates soient plus lisibles, notamment avec des projections en matière d’emploi moins complexes, plus maniables et d’une lecture plus accessible. Nous touchons là à deux problèmes majeurs dans notre pays : l’établissement de statistiques et l’utilisation que nous pouvons en faire.
M. le rapporteur souhaite également accroître la capacité d’accueil et l’orientation des effectifs dans les formations dédiées aux domaines déjà identifiés comme prometteurs. Certes, ces secteurs sont assez difficiles à cibler ; je l’ai évoqué précédemment. Néanmoins, les analyses convergent pour indiquer que les emplois devraient automatiquement augmenter dans les secteurs des nouvelles technologies, de l’aide à la personne et du médical et médico-social, en raison du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie. Ce ne sont évidemment pas les seuls secteurs. Mais le rapport montre que l’on ne peut pas tout déterminer avec une absolue certitude.
Je voudrais maintenant évoquer une action mise en place par le Gouvernement qui répond à l’une des préconisations de notre délégation à la prospective.
Actuellement, le ministère du travail estime que 350 000 offres d’emploi ne trouveraient pas preneur ; le chiffre est énorme. Nous le savons tous, c’est lié à une inadéquation entre l’offre et la demande. Je suis convaincu que notre système de formation mériterait une salutaire remise à plat, globale et ambitieuse. Cela me semble indispensable.
Je crois utile d’ouvrir une parenthèse, à ce stade. Si des offres d’emploi restent non satisfaites, ce n’est pas parce que les chômeurs ne recherchent pas activement un poste ou souhaitent profiter d’allocations. Cela va sans le dire, mais cela va encore mieux en le disant. Être au chômage et stigmatisé, c’est subir une double peine insupportable ! Mais je ferme la parenthèse.
La question se pose, et vous le soulignez fort justement, monsieur le rapporteur, de l’adéquation de notre système éducatif avec les mutations technologiques profondes que notre société doit supporter. La dernière enquête PISA constate malheureusement la dégradation depuis des années du niveau des jeunes Français en fin de scolarité, notamment s’agissant des fondamentaux éducatifs. C’est dès l’enseignement maternel et primaire que des efforts considérables doivent être entrepris ; on a commencé à le faire. Une formation générale performante permettra toujours une adaptabilité plus aisée. Cela n’exclut pas du tout des formations spécifiques ciblées. Au contraire, cela les facilitera.
Mais le point qui nous occupe, et sur lequel le Gouvernement a décidé d’agir, concerne les offres emplois non pourvues ; elles sont parfois retirées sans donner lieu à recrutement.
Cela reprend l’un des objectifs du rapport : dégager quelques grandes tendances et s’assurer que le système de formation, initiale ou continue, se mettait déjà en phase avec les futurs besoins.
Lors de la conférence sociale de juin 2013, le Gouvernement a souhaité se saisir de ce problème majeur. Il a donc mis en place le plan formations prioritaires pour l’emploi, qui consiste à offrir des formations ciblées pour permettre à des demandeurs d’emplois d’occuper ces postes. Cela concerne le commerce, les transports, les secteurs sanitaire et social, l’hôtellerie-restauration, le bâtiment et les travaux publics, mais également, évidemment, l’industrie.
Par ailleurs, le 19 janvier dernier, à l’occasion de ses vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi, le Président de la République est revenu sur les différentes mesures en cours de déploiement pour l’emploi et la formation, notamment en direction des jeunes. Il a dressé un premier bilan de cette opération. L’objectif initial était de faire entrer 30 000 demandeurs d’emploi dans ces formations spécifiques en 2013. Cet objectif a été largement atteint, et 80 000 demandeurs d’emploi ont été concernés en 2014, l’objectif étant de toucher 100 000 personnes en 2015.
Voilà un exemple de réalisation où l’on prend à bras-le-corps le problème de l’emploi et où l’on mise précisément sur l’indispensable formation spécifique.
M. le rapporteur préconise également, et à juste titre, de favoriser notre réindustrialisation. Mais nous ne vivons pas en autarcie. Rappelons que l’industrie européenne, pour ce qui la concerne, représente un potentiel impressionnant de savoir-faire : 2,3 millions d’entreprises, employant 35 millions de salariés et produisant plus de 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée chaque année.
Pourtant, la crise, mais aussi la mondialisation ont fortement mis à mal cette industrie, y compris sur notre continent. À titre d’exemple, au cours des dix dernières années, près de 1 200 milliards d’euros de déficit commercial ont été cumulés au détriment de l’Europe dans les échanges de produits manufacturés avec notre partenaire chinois.
Notre industrie nationale connaît également un fort recul, une dévalorisation. Cela se manifeste par des signaux inquiétants : pertes d’emplois, stagnation de l’effort d’innovation et déséquilibres commerciaux.
Cependant, le recul de l’industrie est une dimension qui a déjà été prise en considération. Un arsenal complet d’initiatives combinant des actions d’urgence et d’autres à plus long terme est d’ores et déjà mis en place, en particulier en direction des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries.
Pour ma part, je considère que tous les espoirs peuvent être autorisés pour l’industrie européenne et française, à condition qu’il y ait une volonté politique ferme et déterminée.
Enfin, l’une des dernières préconisations de notre rapporteur concerne la mobilité des salariés, tant professionnelle, sociale que géographique. Je partage ce point de vue.
Un risque, cependant, pèse sur les futurs salariés de notre pays, avec des conséquences sur toute notre économie : la précarité. En effet, il ne faudrait pas que ces futurs emplois – nous les appelons tous de nos vœux – aggravent encore un peu plus le phénomène de précarité actuel.
Le taux de précarité, c’est-à-dire la part des contrats à durée déterminée, l’intérim et les emplois précaires, rapportée à l’emploi total, est passé de 5,3 % en 1982 à 11,9 % en 2011, selon l’Observatoire des inégalités. La progression est énorme. Ce sont donc aujourd’hui 3,2 millions de salariés qui ont un statut précaire. Pour une très grande part, il s’agit de contrats à durée déterminée, qui représentent 7,4 % de l’ensemble des emplois, dont 5 % dans le privé et 2,4 % dans le public.
Il est à noter également que ces données sous-estiment l’ampleur du phénomène, puisqu’elles n’intègrent pas directement les emplois précaires des non-salariés. Or il existe aussi des emplois précaires parmi les non-salariés.
En conséquence, et quelle que soit la situation économique qui attend notre pays dans les prochaines années, nous devons veiller à offrir à nos concitoyens des emplois les plus stables possible.
Permettez-moi d’élargir mon propos quelques instants. Les emplois de demain, comme le sont ceux d’aujourd’hui, seront inéluctablement, eux aussi, soumis à concurrence. Or force est de constater que cette concurrence est actuellement souvent déloyale. C’est le cas, notamment, en Europe des travailleurs détachés, dont les cotisations sociales sont encore et toujours celles du pays d’origine et non celles du pays d’accueil. Nous sommes loin de l’Europe sociale dont nous pourrions rêver. Cependant, comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental dans son rapport sur l’état de la France en 2014, c’est souvent à l’issue des périodes de crises les plus aiguës que la construction européenne a progressé.
Je m’autorise donc à espérer, mes chers collègues, qu’entre 2020 et 2030 les États membres parviendront à s’entendre sur l’harmonisation de leurs législations sociales afin de créer un grand marché intérieur de l’emploi, car cela permettrait aussi un effet positif sur l’approche des emplois de demain.
« Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » disait Nietzsche. Je constate après les différentes interventions que nous sommes tous pris de doutes. Dans votre rapport, monsieur Fouché, il n’y a nulle certitude, mais des préconisations précises et clairement ciblées, ce dont je vous remercie.
Les dix préconisations que vous formulez en conclusion sont intéressantes et pertinentes. Monsieur le rapporteur, je souhaite que notre délégation à la prospective – nous l’avons évoqué à l’occasion d’une de nos réunions ainsi que l’a rappelé notre président – se donne la possibilité de faire un point d’étape d’ici une à deux années, afin d’apprécier la prise en considération de ces préconisations. C’est vrai pour ce rapport, mais il faut également que ce soit vrai pour l’ensemble des rapports que nous réalisons. Soyons précis, soyons également pragmatiques. C’est de cette manière que nous pourrons travailler de façon constructive dans l’intérêt de nos concitoyens, pour leur formation et leur emploi de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai en remerciant nos collègues de la délégation sénatoriale à la prospective qui ont participé à l’élaboration et la rédaction de ce rapport d’information.
Il s’agit d’un travail d’une grande qualité auquel le rapporteur, Alain Fouché, et les membres de la délégation ont eu l’ambition de donner une portée générale tout en prenant des exemples éclairants.
Quels emplois pour demain ? Cette question proposée au débat, ce soir, est plus que jamais un sujet d’actualité. Car nous le savons, l’emploi est conditionné par la croissance. Or, quand il y a une croissance quasi nulle et que le taux de chômage bat des records – on compte près de 3,5 millions chômeurs dans notre pays –, il est difficile de créer des emplois, et peut-être encore plus ceux de demain.
Dans ce contexte, quels sont les secteurs qui proposeront aux générations futures des débouchés professionnels tangibles ?
À la lecture du rapport d’Alain Fouché, certains chiffres ont retenu mon attention : entre un tiers et 70 % des métiers de demain sont encore inconnus aujourd’hui ; près de 35 % des employeurs expriment des difficultés de recrutement ; deux tiers des embauches se font en CDD, et, surtout, 150 000 jeunes quittent tous les ans le système scolaire sans bagage.
Dans le cadre de ce débat, j’insisterai sur trois points qui me paraissent indissociables : l’identification des emplois de demain ; la préservation des emplois existants ; l’adaptation des emplois existants.
Tout d’abord, comment identifier les emplois de demain ?
Au cours des cinquante dernières années, les évolutions technologiques, les mutations sociales et les transformations organisationnelles ont remodelé profondément la structure des métiers et modifié le contenu des emplois.
En effet, les natures et les techniques de chaque métier ont connu de profondes transformations sur le plan qualitatif et quantitatif. Ainsi, les agriculteurs sont passés en cinquante ans de plus de 30 % de la population active française à moins de 4 % désormais, tandis que le nombre de cadres supérieurs des entreprises et de l’administration a plus que doublé au cours des vingt-cinq dernières années, pour dépasser actuellement les 4 millions.
Aujourd’hui, les défis de l’accroissement de la population et de son vieillissement, les questions de la santé publique et des risques sanitaires, ainsi que la forte urbanisation, nous amènent à prévoir les filières du futur. Je prendrai quelques exemples.
Je citerai l’économie des personnes âgées, la « silver economy », avec le besoin des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, EHPAD, en personnels qualifiés, en matériels adaptés...
Je citerai encore les « smart cities », les villes intelligentes, avec les aspects aussi bien administratifs – gouvernance, transparence – qu’économiques – capacité à transformer la ville – ou encore le développement de mobilier urbain intelligent, qui offrira des services de proximité...
Je citerai aussi la santé publique, avec une explosion de la demande mondiale sur le modèle français : hôpitaux, médecins, etc.
Un autre secteur d’avenir est identifié, celui de la transition énergétique et de la croissance verte. Il me tient particulièrement à cœur en tant que membre de la commission du développement durable.
La révolution industrielle, la croissance démographique et la globalisation ont multiplié à un rythme exponentiel les besoins en énergie de la planète, jusqu’ici satisfaits par le progrès technique et des ressources naturelles abondantes. Mais l’épuisement des énergies fossiles ainsi que la progression constante de la pollution et du réchauffement climatique nous amènent à constater une rupture environnementale.
La nécessité de répondre aux défis environnementaux – nous le constatons avec le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte –, doit être un facteur majeur de transformation de nos modes de production et de consommation dans les prochaines décennies. Elle doit susciter des redistributions de l’emploi entre activités, sans pour autant bouleverser la structure des métiers.
Ainsi, dans le bâtiment, secteur particulièrement concerné par les nouvelles réglementations thermiques, l’enjeu est d’abord d’enrichir les compétences des professionnels. À l’inverse, la production d’éoliennes, pour ne prendre que cet exemple, fait appel à des techniques et à des métiers établis.
À mon sens, même si quelques tendances peuvent se dessiner, les emplois de demain seront en très grande partie ceux d’aujourd’hui : cuisinier, électricien, vendeur, médecin, chauffeur routier. Ces emplois devront s’adapter et évoluer dans le contexte de l’innovation numérique et environnementale.
Les emplois de demain sont donc aussi ceux d’aujourd’hui. Nous devons tout faire pour les préserver et les faire évoluer.
J’en arrive au deuxième point de mon intervention : comment préserver les emplois d’aujourd’hui ? En effet, nous ne pouvons pas réfléchir et débattre sur les emplois existants et sur ceux de demain sans évoquer les conditions du marché du travail qui doivent favoriser leur développement.
Je pose la question : le marché du travail aujourd'hui permet-il la préservation de l’emploi existant et la création des emplois de demain tant attendus ?
Ma réflexion portera tout d’abord sur la problématique des emplois non pourvus, puis sur celle des emplois détachés.
Près de 35 % des employeurs expriment des difficultés de recrutement. Les emplois vacants sont un phénomène important, difficilement explicable au grand public lorsque l’on constate simultanément un taux élevé de chômage. Il ressort du rapport qu’il est difficile de quantifier le nombre d’emplois non pourvus en France. En parallèle, nous savons que deux tiers des embauches se font en CDD.
Aujourd’hui, existe-t-il une adéquation entre l’offre et la demande ? Les conditions sont-elles réunies pour créer les emplois de demain, notamment en termes de formation ?
En fin d’année 2014, le prix Nobel d’économie, Jean Tirole, a fustigé la dualité du marché du travail – opposition entre CDD et CDI – et a proposé la solution du contrat de travail unique. Le Premier ministre, Manuel Valls, semblait intéressé par cette initiative. Je le cite : « Le fonctionnement du marché du travail n’est pas satisfaisant, car il ne crée pas assez d’emplois, il génère des inégalités importantes entre, d’une part, des salariés très protégés en CDI et, d’autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim ». Concernant le contrat de travail unique, le Premier ministre parle d’une « idée intéressante ».
Monsieur le ministre du travail, j’aimerais connaître votre position et celle du Gouvernement sur cette proposition. Ne pensez-vous pas que le contrat de travail unique permettrait la création et le développement des emplois de demain comme ceux d’aujourd'hui ?
Ma seconde réflexion porte sur les travailleurs détachés.
Comment préserver les emplois existants et créer les emplois de demain quand aujourd’hui le statut des travailleurs détachés concurrence celui des travailleurs français ?
Les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d’origine, ce qui, concrètement, permet à un employeur d’embaucher des travailleurs à moindre coût dans des pays aux cotisations sociales bien plus élevées. En revanche, le salaire et les conditions de travail de l’employé détaché relèvent des règles du pays dans lequel il travaille.
Officiellement, le détachement de travailleurs répond « au besoin de travailleurs spécialisés en vue d’effectuer une tâche de nature complexe dans un autre État membre de l’Union européenne confronté à un manque de main-d’œuvre dans ce domaine précis », comme le rappelle le rapport parlementaire en 2013 de notre collègue Éric Bocquet.
Le ministre Michel Sapin évoquait, en 2013, le chiffre de 350 000 travailleurs détachés, mais il paraît difficile d’être précis. Comme beaucoup de collègues ici, nous observons depuis des années l’arrivée de nombreux travailleurs détachés dans le bâtiment ou dans les secteurs de la métallurgie et de la mécanique, sans pour autant qu’il y ait une carence locale constatée dans ces domaines.
Ce qui m’étonne, monsieur le ministre du travail, ce n’est pas le fait que des salariés de l’Union européenne viennent en France travailler. Bien au contraire, la libre circulation des citoyens et des travailleurs est un principe de base de l’Union. Non, mais c’est le statut de travailleurs détachés qui pose question, car il est devenu un outil redoutable de concurrence déloyale.
En octobre 2014, monsieur le ministre du travail, vous aviez promis que le contrôle des travailleurs détachés allait être renforcé. Je ne doute pas que cela se fera, mais je crains que cela ne suffise pas. Il faut aller bien au-delà et tendre vers une harmonisation européenne fiscale et sociale du marché du travail, notamment s’agissant des cotisations sociales. Cette harmonisation permettra de préserver l’emploi d’aujourd’hui, et par conséquent de préserver celui de demain, mais aussi de développer celui de demain.
J’en viens ainsi au troisième et dernier point de mon intervention : les emplois d’aujourd’hui, pour devenir des emplois de demain, devront d’abord évoluer et s’adapter. Pour cela, la formation est la clé.
Comment préparer les jeunes aux métiers de demain quand 150 000 d’entre eux quittent tous les ans le système scolaire sans bagage…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Didier Mandelli. … quand, en moyenne, 19 % des élèves sortent de l’école sans savoir ni lire ni écrire parfaitement ? Ces chiffres, qui figurent dans le rapport, sont accablants. Ils nous interpellent. Nous devons réinsérer ces jeunes dans un processus de qualification. La formation est le passeport de l’insertion professionnelle. Pour cela, elle doit se faire en lien avec les entreprises et en fonction des besoins. L’interaction entre les professionnels et la communauté éducative doit aller encore plus loin.
Je rejoins également le rapporteur Alain Fouché quand il propose de préparer à l’employabilité les générations futures.
Les demandeurs d’emploi doivent être également préparés aux métiers de demain. J’encourage la simplification et la lisibilité des formations proposées, ainsi qu’un accompagnement adapté et individualisé par Pôle emploi, pour plus d’efficacité. Les moyens professionnels consacrés à la formation sont considérables, mais cloisonnés et complexes. Des passerelles doivent pouvoir se faire pour optimiser les dispositifs d’accompagnement à l’emploi.
Pour conclure, j’ajouterai que l’emploi nous concerne tous : élus, chefs d’entreprise, citoyens.
Nous le savons, l’emploi ne se décrète pas. Il faut créer les conditions favorables. Toute l’énergie du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement, doit être consacrée à cette mission du retour vers le plein-emploi. Si nous renouons avec la croissance et l’emploi, nous résoudrons de nombreux problèmes sociaux qui sont latents dans notre pays.
Derrière les statistiques, les chiffres, les taux, il y a des hommes, des femmes, des enfants, des familles qui souffrent, qui sont en désespérance au quotidien. On ne peut pas laisser nos concitoyens sans espoir : ce rapport doit être suivi d’effets pour le faire naître ou renaître ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)