M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Nous en venons au transfert des collèges et des autres compétences scolaires du département vers la région, qui a fait l’objet de maintes discussions au cours des derniers mois.
Dans l’esprit du Gouvernement, former un bloc de compétences rassemblant lycées et collèges paraît utile et de nature à rationnaliser la dépense publique, à mutualiser des dépenses de même nature, qu’il s’agisse d’un lycée ou d’un collège. Je pense aux dépenses de fonctionnement, à la gestion des personnels techniques, ouvriers et de service, les fameux TOS, qui sont si utiles dans tous les aspects de la vie quotidienne d’un l’établissement.
Telles sont les raisons qui ont conduit le Gouvernement à proposer le transfert des collèges aux régions.
Nous savons que ce transfert pose problème à certains d’entre vous. Beaucoup s’inquiètent, de surcroît, du nombre d’établissements scolaires, lycées et collèges, dans lesquels devront siéger les futurs conseillers régionaux : ceux-ci auront sans doute beaucoup de mal à concilier leurs différentes missions dans leur emploi du temps.
Il faut avoir présent à l’esprit ce fait que Marylise Lebranchu et moi-même ne cessons de rappeler : le Parlement a décidé la création des conférences territoriales de l’action publique. Même si cette création a suscité à l’époque beaucoup de réticences, notamment au Sénat - je m’en souviens, j’étais sénateur (Sourires.) -, force est de reconnaître que la CTAP y fait maintenant l’unanimité.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme quoi tout le monde évolue !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Comme quoi le Sénat a compris à quel point Marylise Lebranchu avait eu raison de proposer la création de cette CTAP dans chaque région ; elle permettra aux différents niveaux de collectivités d’exercer au mieux les compétences, de la façon la plus pragmatique qui soit.
Tel est le sens de cet amendement, qui vise à transférer les collèges au niveau régional. Certes, nous aurions pu également envisager l’inverse, à savoir le transfert des lycées aux départements.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Dominique de Legge. Cela aurait été mieux !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Ce qui compte, c’est d’être pragmatique !
Dans mon département, l’Isère, nous n’avons pas attendu ce projet de loi pour envisager la mutualisation avec la région Rhône-Alpes des dépenses de fonctionnement, des dépenses courantes de gestion des personnels qui s’occupent des lycées et des collèges, à partir des maisons du département implantées par le conseil général sur tout son territoire. Nous allons la mettre en pratique dès cette année.
C’est le pragmatisme qui doit nous guider. Nous savons que les sénatrices et les sénateurs en sont, tout autant que le Gouvernement, pleinement convaincus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous nous sommes évidemment appuyés, pour déterminer notre position, sur les travaux de la commission de la culture, saisie pour avis sur ce qui relève de son domaine. Ces travaux nous ont permis d’affiner les raisons pour lesquelles nous ne sommes pas favorables au transfert des collèges aux régions.
Comme il y a plus de collèges que de lycées, je pense depuis longtemps, monsieur le secrétaire d'État, que les lycées pourraient être transférés aux départements.
Mme Catherine Procaccia. C’est la logique !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’y a pas de raison que ce soit dans un sens plutôt que dans l’autre !
Cependant, certains lycées, notamment les lycées professionnels, comportent de nombreuses sections post-baccalauréat. C’est pour cette raison, je vous le dis franchement, que je me suis abstenu de déposer un amendement en ce sens. Sinon, les départements sont bien plus à même de gérer un grand nombre de personnels. C’est bien pour cela que les conseils généraux ont réussi à absorber le transfert des TOS, qui dépendaient auparavant de l’État.
Les régions ne savent pas très bien gérer de grandes masses d’agents, essentiellement de catégorie C. Les régions gèrent du personnel de conception plutôt que du personnel d’exécution ; c’est leur vocation. En Île-de-France, par exemple, pas moins de 800 collèges viendront s’ajouter aux près de 470 lycées : on mesure la masse de personnels à gérer !
En outre, certains ont considéré que le collège devait tisser un lien très fort avec l’enseignement primaire.
Pour toutes ces raisons, la commission souhaite maintenir la compétence des départements en matière de collèges et est donc défavorable, madame la ministre, à votre amendement n° 767.
Vous nous reprochez de ne rien céder, mais vous ne cédez rien non plus ! Depuis le début, vous nous dites que l’on peut discuter de tout, mais vous demandez le rétablissement de toutes les dispositions que nous entendons supprimer ! Comme si les travaux de l’ensemble des commissions du Sénat qui se sont penchées sur ce texte, et pas seulement ceux de la commission des lois, n’avaient aucun intérêt ! C’est tout de même dommage, vous en conviendrez !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Chacun s’en doute, je ne suis pas d’accord avec le choix du Gouvernement de rétablir l’article 12 dans sa rédaction initiale.
À vrai dire, sur le papier, l’idée de transférer les collèges aux régions paraît séduisante. Pour ma part, je suis plutôt régionaliste que départementaliste et j’avais songé que, sur un plan théorique, un tel transfert pourrait se justifier. Toutefois, lorsque les commissions étudient les projets de loi, elles s’efforcent de vérifier avec rigueur le bien-fondé des décisions que le Parlement s’apprête à prendre. Je rappellerai donc les quelques raisons objectives qui ont conduit notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication à s’opposer à ce transfert des collèges aux régions.
En premier lieu, je m’appuierai sur les propos tenus par le président de la commission des lois, Philippe Bas, qui a souligné tout à l'heure que nous avions choisi, in fine, le maintien des départements.
Dès lors que les départements perdurent, il faut considérer que c’est l’échelon le plus adapté à l’exercice des compétences dites de proximité, dont fait partie, selon moi, la gestion des établissements scolaires que sont les collèges.
Je me permets de rappeler que nous parlons là du transfert du fonctionnement quotidien de 5 271 collèges publics, qui viendront s’ajouter aux 2 513 lycées. Cela présente-t-il un véritable intérêt pour des régions stratèges, chargées d’une compétence économique renforcée, de l’emploi, de la planification des formations, d’assurer parallèlement un fonctionnement au quotidien ? Au sein de notre commission, nous ne le pensons pas.
J’ai interrogé mon président de conseil régional, Nicolas Mayer-Rossignol, et mon président de conseil départemental, Nicolas Rouly. Vous nous avez d’ailleurs réunis voilà quelques semaines, à Rouen, dans le cadre d’un débat républicain, pour connaître vous-même nos interrogations au sujet de ce projet de loi. Or l’un et l’autre sont défavorables à ce transfert, pour les raisons que j’ai commencé à évoquer.
Il faut savoir que ce transfert constituerait un véritable changement d’échelle pour les conseils régionaux, qui seraient contraints de mettre en place, de leur côté, de manière parallèle, une administration régionale de l’éducation ; ce serait source et de coûts et de complexité.
Permettez-moi de citer quelques chiffres, mes chers collègues. La région issue de la fusion de l’Aquitaine, du Limousin et de Poitou-Charentes devrait assurer la gestion de 751 établissements publics du second degré. Le nombre atteint même 757 pour la nouvelle région issue de la fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie.
Vous en êtes bien conscient, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous l’avez vous-même souligné, un tel transfert aboutirait inévitablement à une distension très importante des liens entre les élus locaux, c'est-à-dire désormais les élus régionaux, et les établissements dont ils ont la charge. On voit mal comment les conseils régionaux pourront assurer un réel suivi par la présence de leurs membres dans les conseils d’administration des établissements.
Vous évoquez la CTAP, monsieur le secrétaire d'État, mais je ne relève pas de proposition concrète qui permette de voir comment elle pourrait jouer un rôle en la matière.
D’aucuns arguent de la possibilité que détient désormais le président de l’assemblée délibérante de désigner, pour siéger dans un conseil d’établissement, par exemple, une personne qui n’est pas membre de ladite assemblée. Nonobstant le respect que je porte aux fonctionnaires de l’éducation nationale ou de nos collectivités territoriales, cela revient en somme à envoyer des fonctionnaires à la place des élus ! Voulons-nous vraiment nous dessaisir de nos compétences, de ce pour quoi nous avons été choisis dans nos collectivités pour traiter des sujets qui les concernent ? Je ne le pense pas. Si les élus commencent à déserter les lieux de décision, de partage, de réflexion, autant qu’ils restent chez eux !
Les économies d’échelle qui ont été évoquées semblent pour l’instant incertaines. Le Gouvernement, je suis au regret de le dire, n’a jamais fourni d’estimation fiable des économies qui pourraient résulter de la mutualisation des moyens. Notre commission a auditionné Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, ainsi que la direction générale des collectivités locales : personne n’a été capable de nous donner le moindre chiffre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est sûr, on n’en sait rien !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. En revanche, les coûts d’un tel transfert seraient, dans un premier temps, importants.
Il faut en avoir conscience, le transfert des personnels adjoints techniques territoriaux des établissements d’enseignement, les ATTEE, gérés par les départements, aboutirait à une hausse de plus de 50 % des effectifs gérés par les conseils régionaux. Ce transfert entraînera, comme après la loi de 2004, des surcoûts importants liés à l’alignement des régimes indemnitaires, ainsi que des dépenses d’administration et d’encadrement supplémentaires.
Sur le plan pédagogique – et cet aspect ne saurait être négligé –, le transfert méconnaît totalement les orientations fixées par la loi pour la refondation de l’école de la République, dont nous avons débattu ici il y a un peu plus d’un an. Je rappelle que cette loi assure le continuum entre l’enseignement primaire et le collège, notamment par la création d’un cycle de consolidation CM1, CM2, sixième, et d’un conseil école-collège.
Ces comités de pilotage sont en train de se mettre en place. Dans mon département, ceux qui travaillent sur ces sujets au niveau de l’inspection académique me mettent en garde : la mise en place des nouveaux rythmes scolaires est déjà compliquée, me disent-ils, et le transfert des collèges aux régions au même moment provoquerait un véritable imbroglio. C’est encore un point qui mérite qu’on y réfléchisse.
En conclusion, la commission de la culture a estimé que le transfert des collèges aux conseils régionaux présentait plus d’inconvénients que d’avantages, compte tenu de l’expérience acquise par les collectivités comme de la nécessité de maintenir une gestion de proximité et de garantir l’efficacité de la dépense publique.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Je voudrais insister, à la suite de Mme la présidente Morin-Desailly, sur le fait que les collèges sont vraiment des établissements de proximité, en milieu rural comme dans les villes, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire et dans les quartiers en rénovation urbaine, où un travail de proximité, précisément, est mené avec les partenaires sociaux.
Déconnecter les collèges des départements aboutirait à éloigner ces établissements des populations locales : ce serait vraiment une grave erreur.
Je veux souligner le continuum existant entre les établissements primaires et le collège, c'est-à-dire entre le CM1, le CM2 et la sixième. Des comités de pilotage ont été mis en place. Il semble qu’on veuille mettre à bas la loi pour la refondation de l’école de la République, qui a été votée en 2013. Tout cela n’est vraiment pas raisonnable !
J’illustrerai mon propos en prenant l’exemple de la Seine-et-Marne, qui est, au sein de la très grande région d’Île-de-France, un très grand département, dans lequel les collèges sont nécessairement disséminés. Dans un tel contexte, le rattachement des collèges à la région apparaît comme une très mauvaise idée. Mieux vaudrait d’ailleurs faire l’inverse : dès lors que l’on souhaite, à juste titre, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mutualiser les moyens, pourquoi ne pas placer les lycées sous la tutelle des départements ?
Quoi qu’il en soit, les collèges sont des établissements de proximité et ils doivent le rester.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bonne intervention !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Nous avons voté sans état d’âme, et même avec enthousiasme, la loi qui a permis de revoir la carte des régions. Pour ma part, je l’ai fait parce que je pensais qu’elle permettait de créer des régions atteignant la masse critique leur conférant une plus grande efficience sur le plan économique et les dotant de plus de force pour se battre dans le grand concert de la compétition européenne et mondiale.
En quoi leur transférer les collèges leur permettra-t-elle d’être encore plus efficientes ?
J’observe d’abord que le président de l’Association des régions de France a déclaré publiquement ne pas être demandeur à ce sujet.
On évoque les économies et la mutualisation qui pourraient être réalisées. Mais la mutualisation existe déjà – je pense aux ensembles mixtes.
Au demeurant, il faut être circonspect quant aux avantages de la mutualisation. Dans mon département, j’ai voulu mettre en place des groupements d’achats. Or cela peut aussi conduire à obliger les collèges à cesser de se fournir chez le boucher du coin. Finalement, cela peut nuire aux intérêts locaux et à la ruralité. Nous devons donc faire très attention quand nous prenons certaines décisions.
La décision de transférer les collèges aux régions a été prise lorsqu’il a été envisagé de supprimer les départements. Je me félicite que le Gouvernement ait manifesté sa capacité d’écoute et su entendre les remarques que nous avions émises, sur toutes les travées.
Les départements ont finalement été confortés dans leur rôle de collectivités chargées des solidarités territoriales et des solidarités entre les hommes. Ce sont eux qui doivent assumer les missions de proximité. Or, s’il est un domaine où il est impératif d’agir dans la proximité, c’est bien celui des établissements scolaires.
Quitte à opérer un transfert en matière d’enseignement, c’est plutôt celui des lycées aux départements qu’il aurait fallu envisager, surtout avec régions très élargies, de manière à assurer à ces établissements une gestion de proximité.
Pour ma part, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, je ne suis pas favorable à votre amendement et je regrette que le Gouvernement ait souhaité rétablir l’article 12. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Si l’on cherchait un exemple des méfaits de l’esprit de système, nous en aurions là un excellent !
On nous parle de mutualisation, mais il y a une forme de mutualisation qu’on ignore, c’est celle qui pratiquée entre les collèges, au travers des équipements qu’ils abritent, et les communes ou les intercommunalités.
Dans le département du Var, que je représente, nous avons mis en place une politique qui me semble assez intéressante : les équipements sportifs et culturels – gymnases, salles de théâtre, auditoriums, etc. – des collèges sont considérés comme des équipements de proximité, qui peuvent servir aux communes. Je rappelle en effet que les collèges ne fonctionnent, pour leur destination première, qu’une centaine de jours par an…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Davantage, tout de même !
M. Pierre-Yves Collombat. Disons que, entre les vacances scolaires, les week-ends et les soirées, ces équipements sont largement disponibles pour d’autres usages que l’usage scolaire.
Nous avons donc réussi à faire en sorte que les équipements du collège implanté dans ma commune fonctionnent tout le temps, au bénéfice de toutes les collectivités du canton. Grâce à des conventions, chacun a pu trouver ses marques.
Négocier des conventions – dans mon cas, entre les enseignants, le département et les collectivités locales – est déjà un sport de haut niveau, chacun cherchant à tirer la couverture à lui. Si on doit le faire avec la région, je pense que rien ne se fera !
Plutôt que de parler abstraitement de mutualisation, il serait préférable de considérer les collèges comme des équipements qui peuvent servir à l’ensemble du territoire où ils sont implantés. Cela évitera que des communes construisent des salles qui ne serviront qu’une fois de temps en temps !
La mutualisation des moyens est le premier argument qui me conduit à penser que le transfert des collèges à la région ne ferait que compliquer les choses.
On nous a aussi expliqué que le transfert à la région permettrait de faire des économies en ce qui concerne la gestion des personnels. J’en doute ! Peut-être aurait-ce été le cas si l’on y avait pensé dès le début, mais, maintenant, les départements ont pris leurs marques en matière de gestion des personnels, tout comme les régions ; et cela a été suffisamment compliqué ! Dans ma région, il a fallu, paraît-il, trois ans pour qu’on s’y retrouve entre les différents statuts…
Je ne vois pas bien ce que le transfert des collèges à la région entraînerait en termes d’améliorations et d’économies. D’ailleurs, comme l’a dit une collègue, on n’a jamais vu le commencement du début de ces économies, qu’on ne sait évidemment pas chiffrer pour la bonne raison qu’on n’en fera pas !
Enfin, le transfert des lycées aux régions a considérablement alourdi la gestion de ces dernières. En effet, auparavant, elles ne géraient ni personnels ni dépenses de fonctionnement. Ces collectivités servaient à structurer l’ensemble d’un territoire, pour y faire des investissements et l’animer économiquement. On veut transférer les collèges à la région, mais on refuse de lui donner la compétence en matière d’emploi. Comprenne qui pourra !
La solution adoptée par la commission des lois me semble donc satisfaisante.
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Je partage beaucoup des observations qui viennent d’être formulées.
Dans ce projet de loi, le transfert des collèges aux régions est sans doute l’une des mesures les plus négatives et l’une de celles qui inquiètent le plus nos concitoyens. En tout cas, elle inquiète énormément la communauté éducative.
Les collèges sont avant tout des établissements de proximité. L’éloignement qu’engendrerait leur transfert, demain, aux grandes régions préoccupe beaucoup les enseignants, les parents d’élèves et les élus locaux. Dans un collège, on a souvent besoin d’être réactif : il faut trouver des remplaçants du jour au lendemain pour les personnels absents, décider des travaux en urgence, etc. Les départements se sont organisés pour répondre rapidement.
Nous avons hérité des personnels techniques, qui avaient été laissés dans un incroyable état d’abandon par l’État. Il faut se rappeler le niveau de formation, souvent très faible, de ces personnels, les problèmes de santé auxquels ils étaient parfois confrontés, à quoi s’ajoutaient des différenciations extrêmement importantes en matière de régime indemnitaire. Ce travail a été pris à bras-le-corps par les conseils généraux. Les départements ont fait de la politique qu’ils menaient à l’égard des collèges leur cœur de métier, avec des résultats tout à fait remarquables, quelles que soient d’ailleurs les majorités politiques.
Des investissements considérables ont été consentis pour la modernisation des collèges existants, qu’il fallait parfois quasiment reconstruire, et pour la construction de nouveaux collèges. Aujourd’hui, on veut revenir sur tout cela : c’est évidemment un recul.
Il s’agit aussi d’un recul de la démocratie. Si l’on confie demain les collèges aux régions, il est clair que les élus seront très rarement en mesure de siéger effectivement aux conseils d’établissement. En Île-de-France, il faudra gérer 1 300 établissements avec 200 élus ! Et cette région présente en outre la particularité de ne faire siéger dans les conseils d’établissement que les élus de la majorité, et non tous les élus, comme c’est le cas dans mon conseil général. Il n’y aura donc plus d’élus de la collectivité responsable dans les conseils des collèges. Nous finirons par le payer, car cette distance avec l’institution finira par engendrer du mécontentement.
Je souhaite également aborder la question du lien avec les politiques départementales.
Notre collègue Collombat a déjà évoqué la mutualisation des équipements abrités par les collèges. En effet, les collèges construits maintenant incluent une salle de sport, qui est utilisée le soir par les clubs sportifs locaux. C'est la proximité avec la vie associative locale qui permet cela. Si, demain, tout est géré à l’échelon des très grandes régions, on perdra cette proximité.
Mais il y a plus important encore, et je pense là aux jeunes qui, dans nos quartiers, sont en difficulté. Par exemple, les départements gèrent les équipes d’éducateurs de rue, les clubs de prévention. Ainsi, nous essayons de faire en sorte qu’il y ait un lien étroit entre les éducateurs et les établissements scolaires, notamment pour lutter contre l’absentéisme scolaire et être attentifs aux jeunes qui décrochent. On sait combien il importe que ces jeunes puissent rester dans le milieu scolaire ; les événements que nous venons de vivre nous le rappellent, malheureusement. Cela nécessite une intervention des enseignants et des parents, mais aussi, parfois, des travailleurs sociaux – éducateurs et assistantes sociales –, qui sont gérés par les départements.
Il serait néfaste de déstabiliser cette organisation, qui fonctionne plutôt bien. C'est la raison pour laquelle il faut soutenir la proposition de la commission, et conserver cette compétence aux départements.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. La question de la gestion des collèges est essentielle dans notre pays, qui compte plus de 5 000 collèges publics. Nous avons commencé à en débattre en juin dernier, quand le texte du Gouvernement prévoyait la disparition, à terme, des départements. Se posait donc alors, évidemment, la question de la réaffectation des compétences départementales. À l’époque, le projet de loi prévoyait que les régions seraient chargées de la gestion des collèges.
Depuis, cela n’a échappé à personne, les termes du débat ont sensiblement évolué. Le Gouvernement a été réellement à l’écoute des sénateurs de tous les groupes, qui ont unanimement réclamé le maintien du département, au moins dans les zones rurales. C’est ainsi que, après une discussion très approfondie, le choix a été fait de maintenir et même de renforcer le département sur tout le territoire national, sauf dans les zones où il y aura, demain, des métropoles.
Cela crée, à l’évidence, une nouvelle situation.
On peut comprendre que, par cohérence, on confie à la région les compétences liées à l’économie, à tout ce qui concerne le transport, la mobilité en général, même s’il y a peut-être encore quelques ajustements à trouver, notamment en matière de transports scolaires ou de voirie départementale ayant un intérêt stratégique. Sur ces derniers sujets, nous n’avons pas encore épuisé le débat et nous aurons sûrement l’occasion d’affiner le découpage des compétences d’ici à la fin de l’examen du texte.
Cependant, à partir du moment où le département est maintenu, on peut vraiment s’interroger sur l’opportunité de transférer les collèges aux régions. Bon nombre d’arguments ont été avancés par nos collègues. Les membres du groupe socialiste ont beaucoup réfléchi sur cette question et sont majoritairement parvenus à la conclusion selon laquelle ce transfert ne présentait pas un grand intérêt aujourd'hui : puisque les départements sont pérennisés, autant qu’ils continuent à assumer cette compétence ! Bien sûr, cela n’empêchera pas les mutualisations, qui, d'ailleurs, existent déjà.
L’Île-de-France, où je suis élu, compte de nombreuses cités scolaires, dont les bâtiments abritent à la fois un collège et un lycée. Toutes ces cités sont d'ores et déjà gérées par une même entité, les départements et la région s’étant organisés en ce sens. Nous pourrons continuer à développer ce type d’organisation.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Philippe Kaltenbach. Pourquoi décider aujourd'hui d’un transfert aux conséquences importantes, comportant beaucoup de contraintes, nécessitant beaucoup de travail, et au coût financier élevé, au moins dans un premier temps ? En l’état du débat, la raison voudrait que les collèges continuent à être gérés par le département.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Philippe Kaltenbach. Les écoles aux communes, les collèges aux départements et les régions aux lycées : nos concitoyens se sont habitués à ce partage des rôles.
En revanche, le transfert des lycées vers les départements ne me semble pas devoir être envisagé dans la mesure où les lycées recrutent souvent leurs élèves au-delà des frontières du département où ils sont implantés, notamment dans le cadre des formations professionnelles ou post-bac.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Philippe Kaltenbach. Sans doute convient-il de ne pas bouleverser l’équilibre auquel nous sommes parvenus.
Ce projet de loi entraîne déjà des changements importants. Je pense, en particulier, au transfert de l’intégralité de la compétence économique aux nouvelles régions, au renforcement de leurs compétences en matière de transport… Autrement dit, les élus locaux ont déjà pas mal de pain sur la planche ! Ne chargeons pas la mule !
Le groupe socialiste souhaite donc que les départements puissent conserver la gestion des collèges.
Ce geste à l’intention de M. Hyest et des membres de la commission montre d’ailleurs que nous sommes à l’écoute et que nous souhaitons trouver des solutions consensuelles. Je suis sûr que cela ne manquera pas d’entraîner un geste en retour de la part de M. Hyest, afin de trouver un équilibre sur la compétence large en matière de transport et de mobilité. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je ne suis pas marchand de tapis ! (Nouveaux sourires.)