PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
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Mises au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Lors du scrutin n° 80 de ce matin sur l'article unique du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, je souhaitais voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, lors du scrutin n° 80, je souhaitais, moi aussi, voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Adaptations au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (projet n° 119, texte de la commission n° 173, rapport n° 172).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi a pour objet de transposer en droit français trois directives communautaires : la directive du 27 septembre 2011 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, la directive du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines et la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.
Le contenu de ces directives étant essentiellement technique, le Gouvernement a fait le choix de transposer celles-ci par le biais d’une loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne.
Le choix d’un tel vecteur législatif se justifie également au regard du retard pris dans la transposition des deux premières directives. Pour remédier à cette situation a été retenue une procédure d’examen très rapide, à laquelle la Haute Assemblée, très sensible au respect de l’exigence de transposition, a bien voulu apporter son concours, en examinant, dans un délai très resserré, un texte technique et complexe.
La directive 2011/77/UE devait être transposée au plus tard le 1er novembre 2013. Les autorités françaises ne l’ayant pas informée des dispositions prises pour s’y conformer, la Commission européenne leur a adressé un avis motivé le 10 juillet dernier. En l’absence de transposition rapide de cette directive, la France pourrait donc faire l’objet d’un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne et se voir infliger une sanction pécuniaire équivalant à une somme forfaitaire d’une dizaine de millions d’euros et à des astreintes s’élevant à plusieurs centaines de milliers d’euros par jour.
Le retard de transposition de la directive 2012/28/UE est moindre, puisque celle-ci devait être transposée avant le 29 octobre dernier. Néanmoins, il expose lui aussi la France à une condamnation pécuniaire dans les prochains mois.
Compte tenu de cette situation, le projet de loi transpose également la directive 2014/60/UE, afin de respecter l’échéance de sa transposition, fixée au 18 décembre 2015.
En présentant le présent projet de loi, j’entends veiller au respect des exigences européennes qui s’imposent au ministère de la culture et de la communication. Ce texte est évidemment fondamental non seulement pour faire aboutir la transposition de textes attendus sur le fond, mais aussi pour assurer la pleine crédibilité de la France à propos des sujets européens relevant de la culture et du droit d’auteur, pour lesquels l’agenda des prochaines années sera lourd et important.
La première partie du projet de loi transpose la directive du 27 septembre 2011 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins.
La durée des droits de l’ensemble des titulaires de droits – auteurs, artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes et entreprises de communication audiovisuelle – est harmonisée depuis une directive du 29 octobre 1993 relative à cette question.
La directive de 2011 allonge la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical en la portant de cinquante à soixante-dix ans. Cette extension se justifie par une série de raisons, qui tiennent tant à l’équité qu’à la préservation de la diversité culturelle et à la compétitivité du marché européen.
Compte tenu de la contribution essentielle des artistes-interprètes à la création, il est inéquitable que ceux d’entre eux qui ont commencé leur carrière très jeune se voient privés de toute rémunération au titre de leurs premiers enregistrements. La durée de vie des artistes s’allonge, et des pans entiers du fonds de catalogue des années cinquante et soixante représentant une part très significative du patrimoine national dans le domaine des variétés tombent progressivement dans le domaine public, alors même que les interprètes sont encore vivants et que les enregistrements continuent d’être exploités.
L’allongement de la durée de protection est également nécessaire en termes de diversité culturelle, de renouvellement de la création et de financement de la filière musicale. De ce fait, les artistes-interprètes musiciens bénéficieront d’une source de revenus supplémentaire tout au long de leur vie. En outre, les producteurs de phonogrammes disposeront d’une capacité nouvelle pour financer de nouveaux talents et s’adapter à la diffusion dématérialisée.
Le projet de loi prévoit trois mesures destinées à garantir que les artistes-interprètes bénéficieront bien des effets de l’allongement des droits.
La première mesure instaure une obligation pour les producteurs d’exploiter les phonogrammes pendant la durée supplémentaire de protection, sous peine de perte définitive des droits. Ce dispositif permet aux artistes-interprètes de récupérer leurs droits dans l’hypothèse où le producteur ne commercialise pas leurs enregistrements pendant la période de protection additionnelle. De cette façon, l’artiste pourra soit trouver un autre producteur prêt à commercialiser sa musique, soit la commercialiser par lui-même – par exemple, par le biais d’internet.
La deuxième mesure prévoit que les musiciens de studio, qui sont le plus souvent rémunérés sur une base forfaitaire et dont les rémunérations n’augmentent pas avec le succès de l’enregistrement, bénéficient d’un droit à un paiement annuel financé par les producteurs de phonogrammes, lesquels sont tenus de verser au moins une fois par an 20 % des recettes provenant de l’allongement des droits.
Afin que cette disposition n’entraîne pas de charge disproportionnée et pour préserver les labels indépendants, le projet de loi en exempte certains producteurs considérés comme moyens ou petits, dans certaines conditions.
La troisième mesure a pour objet d’interdire au producteur d’artistes dont le contrat prévoit une rémunération proportionnelle de retrancher les avances ou déductions définies contractuellement au-delà de la période initiale de protection de cinquante ans, afin que ces artistes bénéficient réellement de l’augmentation de la durée des droits voisins.
La deuxième partie du projet de loi transpose la directive du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines.
Les technologies numériques créent de nouvelles opportunités pour l’exploitation d’œuvres anciennes, parfois oubliées de tous et ne faisant plus l’objet d’exploitation commerciale. Ces dernières années, cette évolution a entraîné l’apparition de projets de numérisation à grande échelle, dont certains visent à mettre en ligne gratuitement un très grand nombre d’œuvres sans garantir la rémunération des auteurs et d’autres à sauvegarder notre patrimoine culturel et à permettre son accès à tous, dans le respect de la propriété littéraire et artistique.
La directive du 25 octobre 2012 et le présent projet de loi, qui tend à la transposer, s’inscrivent dans cette seconde voie, en sécurisant les autorisations d’exploitation des œuvres orphelines, c’est-à-dire des œuvres pour lesquelles aucun auteur ne peut être identifié ou localisé à l’issue d’une recherche diligente, avérée et sérieuse, sans fragiliser la propriété littéraire et artistique.
Le texte que nous examinons ce jour permet ainsi aux bibliothèques, aux musées, aux services d’archives et aux organismes similaires mobilisés sur des objectifs d’intérêt public tels que l’éducation ou la préservation et la diffusion du patrimoine culturel de reproduire des œuvres orphelines et de les mettre à la disposition du public en toute légalité.
Il précise le champ des œuvres concernées : il s’agit des œuvres publiées sous la forme de livres, de revues, de journaux, de magazines ou d’autres écrits, ainsi que des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Concrètement, il reviendra aux institutions bénéficiaires, si elles le souhaitent, de procéder aux recherches appropriées, via, entre autres, la consultation de bases de données, pour pouvoir mettre en ligne l’œuvre reconnue comme orpheline, une fois l’absence d’identification ou de localisation des titulaires de droits établie.
Afin de préserver les intérêts des titulaires de droits, le projet de loi précise la nature des recherches qui devront être menées avant de déclarer une œuvre orpheline et encadre précisément les modalités d’exploitation des œuvres de cette nature, notamment en excluant tout usage commercial et en préservant les droits moraux de leurs auteurs.
Ce texte définit également les conditions dans lesquelles un titulaire de droits sur une œuvre déclarée orpheline peut se manifester auprès de l’organisme exploitant cette œuvre pour lui demander de cesser cette exploitation et de lui verser une compensation équitable du préjudice que celle-ci lui a fait subir.
La troisième partie du projet de loi transpose la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.
Dès son origine, l’Union européenne a envisagé la possibilité pour les États membres de protéger leur patrimoine, notamment en leur donnant la possibilité, prévue dès le traité de Rome, d’édicter des mesures de restriction de circulation pour les biens culturels qu’ils considéraient comme des « trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ». Cet objectif de protection rejoint la nécessité de lutter contre le trafic de biens culturels, dont le développement est devenu préoccupant au plan tant européen que mondial.
Après l’ouverture du marché unique européen, le 1er janvier 1993, l’Union européenne s’est dotée de deux instruments complémentaires concernant la protection des biens culturels : un règlement instituant un dispositif de contrôle à l’exportation à la sortie du territoire de l’Union européenne et une directive permettant aux États membres de se voir restituer leurs trésors nationaux ayant quitté illicitement leur territoire et ayant été retrouvés sur le territoire d’un autre État membre.
Pour ce qui concerne la directive relative à la restitution, les rapports réguliers établis par la Commission européenne à partir des informations fournies par les États membres depuis 1993 ont fait apparaître une efficacité limitée. Ce constat a conduit la Commission à entamer un processus de refonte destiné à améliorer le texte initial.
L’instrument révisé qui en résulte entend mieux garantir la restitution par un État membre de tout bien culturel considéré comme un trésor national ayant quitté illicitement son territoire après le 1er janvier 1993.
Pour atteindre cet objectif, le projet de loi transpose les points nouveaux introduits par la directive du 15 mai 2014. Il prévoit l’allongement du délai destiné à permettre aux autorités de l’État membre requérant de vérifier la nature du bien culturel trouvé dans un autre État membre et le porte de deux à six mois. Il vise également à allonger le laps de temps accordé pour exercer l’action en restitution, qui est porté de un à trois ans.
La directive révisée ayant un champ d’application désormais limité aux trésors nationaux, selon la définition retenue dans chaque État membre, à l’exclusion de tout autre critère, le projet de loi représente une occasion légitime d’insérer dans le code du patrimoine une définition plus précise de la notion de trésor national. Cette définition, qui continue à inclure notamment les œuvres des collections des musées de France et les objets mobiliers classés monuments historiques, vise aussi désormais, de manière explicite pour éviter toute ambiguïté préjudiciable en termes de protection patrimoniale, les biens relevant du domaine public, au sens du code général de la propriété des personnes publiques, et les archives publiques.
Enfin, en totale conformité avec la directive révisée, le projet de loi tend à appliquer en droit interne, dans le seul cas de demande d’indemnités, le transfert de la charge de la preuve au possesseur du bien culturel en cause. Dans cette perspective, il introduit des critères communs pour interpréter de manière harmonisée la notion de diligence requise de l’acquéreur au moment de l’achat.
Il est ainsi espéré que la directive susvisée conférera une protection plus efficace aux biens faisant partie de l’héritage culturel des États membres et contribuera à la prévention du trafic illicite de biens culturels et à la lutte contre ce phénomène.
Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de saluer le travail de qualité effectué par Mme la rapporteur, Colette Mélot, qui a conduit à trois modifications. Pour deux d’entre elles, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée. Quant à la troisième, elle méritera sans doute un réexamen.
La rédaction de l’alinéa 9 de l’article 2 a ainsi été précisée pour ce qui concerne l’assiette de la rémunération annuelle supplémentaire due aux artistes-interprètes dont le contrat prévoit une rémunération sur une base forfaitaire.
L’article modifié reprend désormais strictement la terminologie de la directive « Durée » à propos de la mise à la disposition du public et supprime de l’assiette servant de base au calcul de la rémunération le droit de location.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a également souhaité que la société de perception et de répartition des droits chargée de percevoir pour l’artiste-interprète la rémunération annuelle supplémentaire puisse, au même titre que les artistes, demander un état des recettes provenant de l’exploitation du phonogramme aux fins d’obtenir toutes les informations utiles pour calculer précisément le montant de la rémunération due.
Enfin, Mme la rapporteur a proposé de revenir sur la mesure adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale et instaurant une durée maximale de cinq ans au cours de laquelle l’organisme exploitant une œuvre orpheline pourra répercuter les coûts entraînés par la numérisation et la mise à la disposition du public. L’amendement déposé en ce sens a été adopté par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Si je comprends l’esprit de la démarche, je ne partage pas totalement la volonté de remettre en cause la disposition introduite par l’Assemblée nationale, par le biais d’un amendement déposé par Mme Attard et sur lequel le Gouvernement s’en était remis à la sagesse de l’assemblée. Néanmoins, je ne doute pas que nous puissions arriver à une écriture de compromis, compte tenu de l’esprit très constructif des débats qui se sont déroulés au sein des deux assemblées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.