Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, je souhaite simplement rappeler un élément à M. Didier Guillaume. Notre règlement ne prévoit pas que les commissions se saisissent des résolutions ; les résolutions sont l’affaire des groupes politiques !
D'ailleurs, notre commission a tenté de s’autosaisir, en vue de trouver un accord, qui n’a pas pu être trouvé. C’est un choix de parti qui a été fait, et non un choix de commission.
Dans ces conditions, la commission n’avait pas à s’exprimer dans ce débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. C’est dommage ! Nous aurions préféré les commissions aux partis…
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Suite du débat
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en une période de montée des nationalismes et d’antisémitisme virulent, dans l’Europe de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, les promoteurs du sionisme eurent pour objectif de normaliser l’existence juive et de la sécuriser. Cherchant une solution à la « question juive », ils n’en créèrent pas moins une « question arabe ».
Martin Buber, le grand penseur juif allemand, rapporte à cet égard une anecdote étonnante. Max Nordau, l’intellectuel du mouvement sioniste naissant, bras droit de Herzl, apprenant soudain la présence d’une population arabe en Palestine, se serait précipité, affolé, chez Herzl, pour lui dire : « Je ne le savais pas ! Si cela est vrai, nous commettons une injustice ! »
Herzl, ses amis, ses successeurs, imprégnés par l’idéologie coloniale du XIXe siècle, s’imaginèrent qu’en apportant les bienfaits de ce qu’on appelait alors la « civilisation », ils réussiraient à convaincre les Arabes de Palestine d’accepter une implantation juive massive. Le roman d’anticipation de Herzl, Altneuland, traduit en français sous le titre Terre ancienne, terre nouvelle et paru en 1902, décrit une Palestine imaginaire vingt ans après la constitution d’un État juif. Il a son héros arabe, le notable Rachid Bey, à qui Herzl fait dire, naïvement : « L’immigration juive fut une bénédiction pour nous. »
Pourtant, dès 1891, le publiciste juif russe Ahad Ha-Am avait lancé une claire mise en garde : « Il ne faut pas nous cacher que nous allons vers une guerre difficile. » Voilà ce qu’il disait en parlant de la présence arabe sur place. La revendication d’un « droit historique » sur la terre de Palestine, terre biblique, terre des pères fondateurs du peuple juif, n’en occulta pas moins longtemps, aux yeux de ses promoteurs, la réalité d’une présence arabe, qui pouvait, elle, se prévaloir d’un « droit national », tout aussi légitime, sur cette même terre.
On ne reviendra, certes, pas en arrière. L’État d’Israël est né en 1948, et nul ne songe à contester son droit à l’existence et à la sécurité.
M. Roger Karoutchi. Et le Hamas ?
Mme Esther Benbassa. Ce qui, pour beaucoup de juifs, après l’épreuve tragique de l’extermination, a marqué le temps d’une renaissance a bel et bien ouvert, pour les Palestiniens, le temps du déracinement, puis de l’occupation, à partir de 1967.
En 1930, Martin Buber le disait déjà à sa manière : l’objectif n’est pas « une cohabitation l’un contre l’autre », mais une « cohabitation en commun ». Buber rêvait alors d’un État binational. Peu en rêvent encore aujourd’hui. Ainsi, en 1993, lors de la signature des accords d’Oslo, Yitzhak Rabin déclarait plus humblement : « Notre destin nous force à vivre ensemble, sur le même sol, sur la même terre. » Deux États indépendants, démocratiques et contigus sur la même terre ? Oui, car c’est bien là la seule issue à des décennies de déni mutuel, de guerres meurtrières, de destructions et de souffrances. C’est la seule issue à des décennies d’occupation dévastatrice pour l’occupé, dont le dernier épisode est la mort, hier, du ministre palestinien, Ziad Aboud Ein.
La paix se construit en général sur des décombres, hélas ! N’abandonnons pas le terrain aux extrémistes des deux bords. Messianisme et irrédentisme conduisent inéluctablement au désastre. Opposons à la violence et au terrorisme, d’où qu’il vienne, un discours de raison. Et agissons avant que la naissance d’un État palestinien viable devienne tout simplement impossible.
En 1976, Yeshayahou Leibowitz, penseur israélien religieux et iconoclaste, écrivait : « Il se peut que l’histoire des relations israélo-arabes de ces dernières décennies soit un "chaos irréparable". D’évidence, dans la situation créée à la suite de la conquête par les juifs de tout le territoire de la Palestine au cours de la guerre des Six Jours, il est impossible que les juifs et les Arabes en viennent à s’entendre pour la partition du pays entre les deux peuples et qu’ils le fassent de leur plein gré. C’est pourquoi il faut souhaiter une solution imposée aux deux parties par les superpuissances. » Pour ma part, je ne crois pas à la toute-puissance des « superpuissances ». Je crois pourtant que nous pouvons et que nous devons peser. Voter la présente résolution serait un moyen de le faire.
J’ai vécu de longues années en Israël. J’ai consacré nombre de mes travaux de recherche, comme universitaire, à l’histoire du peuple juif et à celle du sionisme. Je suis profondément attachée à ce pays. Je n’en suis pas moins consciente de la tragique injustice faite au peuple palestinien. J’ai vu de près les terribles souffrances, les humiliations quotidiennes et la désespérance.
Aujourd’hui, c’est en citoyenne, en élue de notre République et en écologiste que je m’exprime. Les écologistes, dont je porte la parole, voteront unanimement cette proposition de résolution, dont ils sont tous signataires.
Mme Michelle Meunier. Très bien !
Mme Esther Benbassa. Ils savent en effet que nous avons tout à perdre à laisser fructifier dans notre pays les amalgames, les défiances réciproques entre juifs et musulmans, les identifications malsaines, l’antisémitisme – les récents actes antisémites commis à Créteil sont regrettables –, et que nous avons en revanche tous et tout à gagner à dire clairement ce que nous dicte notre exigence de justice à l’égard d’Israël et de la Palestine.
N’écoutons que la voix de notre conscience ! Quelle que puisse être par ailleurs notre sensibilité politique, n’hésitons pas à appeler le gouvernement de la France à reconnaître enfin l’État de Palestine ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Hervé Marseille. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de résolution est un texte de circonstance, un texte déséquilibré, un texte qui n’a pas sa place ici !
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Hervé Marseille. C’est un texte de circonstance. Ainsi que M. Cambon l’a souligné avec brio, cette proposition a de toute évidence des relents d’électoralisme !
M. Jean-Louis Carrère. Dont vous n’êtes pas capables…
M. Hervé Marseille. Je compte sur vous pour nous montrer vos talents en la matière, mon cher collègue. (Rires sur les travées de l'UMP.)
Nous avons vu fleurir trois propositions de résolution, émanant, l’une de Mme Éliane Assassi, la deuxième de Mme Esther Benbassa et la troisième de M. Gilbert Roger. M. Guillaume ayant été plus rapide et plus habile, c’est le groupe socialiste qui est arrivé en tête et qui a pris l’initiative de cette discussion.
M. Didier Guillaume. Dans un débat sur l’avenir du conflit israélo-palestinien, de tels propos ne sont vraiment pas au niveau !
M. Jean-Louis Carrère. C’est vulgaire !
M. Gaëtan Gorce. Et médiocre !
Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Marseille a la parole.
M. Hervé Marseille. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, est-il encore possible de s’exprimer dans cet hémicycle ou faut-il voter sans attendre pour votre résolution ?
Ainsi qu’une simple lecture de la presse suffit à s’en rendre compte, les auteurs de ce texte cherchent à s’attirer à moindres frais les bonnes grâces de communautés qui se sont détournées du vote de gauche depuis l’élection du Président de la République. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Exactement !
Mme Samia Ghali. C’est n’importe quoi !
M. Hervé Marseille. Il s’agit de vous permettre de retrouver le chemin du second tour des élections, que vous avez perdu depuis déjà quelques mois !
Encore une fois, c’est un texte de circonstance. Ainsi que M. Guillaume l’a rappelé, 135 pays ont déjà reconnu l’État de Palestine. Or cela ne nous a pas rapprochés d’un iota de la résolution du conflit.
M. Christian Cambon. Absolument !
M. Hervé Marseille. Je ne suis pas certain qu’un cent-trente-sixième vote en faveur de la reconnaissance de cet État fasse davantage progresser la situation. Nous savons très bien que le problème ne pourra se régler que par un accord global, fruit d’une négociation. À ce jour, malgré des décennies de discussion, un tel accord n’a jamais pu être trouvé.
Chers collègues socialistes, si vous aviez réellement voulu que ce débat aboutisse, vous auriez donné droit aux discussions qui ont eu lieu – M. Cambon y a fait référence – au sein de la commission des affaires étrangères.
M. Didier Guillaume. Nous l’avons fait !
M. Hervé Marseille. Ainsi aurions-nous disposé d’un texte moins unilatéral, moins inconditionnel.
La résolution ne mentionne ni la place du Hamas ni sa charte, qui prévoit la destruction d’Israël. Elle ne fait pas état de l’accord de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, qui jette un doute sur le comportement des uns et des autres. Il n’est plus question de la place de Jérusalem.
M. Didier Guillaume. C’est faux !
M. Hervé Marseille. Pourtant, il s’agit, nous le savons, d’un point fondamental pour un éventuel accord.
Si vous l’aviez voulu, ce texte aurait donc pu progresser et recevoir un large assentiment.
M. Jean-Louis Carrère. Puisqu’il est de circonstance…
M. Hervé Marseille. En effet, sur toutes les travées, chacun admet qu’il faut aller vers la reconnaissance d’un État palestinien. Toute la question est de savoir quand et dans quelles conditions.
La résolution qui nous est proposée est un texte incantatoire. Appartient-il au Parlement de jouer un tel rôle dans la politique internationale de la France ? À l’évidence, non !
M. Jean-Yves Leconte. Belle idée du rôle du Parlement !
M. Hervé Marseille. C’est l’apanage du Président de la République ; c’est son domaine réservé ! Que le Gouvernement reconnaisse l’État de Palestine s’il le veut et s’il en a le courage ! Qu’il n’attende pas « le moment venu », pour paraphraser M. Laurent Fabius ! Qu’il le fasse !
Lorsque les forces armées sont engagées dans des opérations extérieures, on ne vient pas demander au Parlement son avis. Quand on l’en informe, on ne lui demande même pas de voter ! On vient simplement lui annoncer ce qui a été unilatéralement décidé. Pour autant, nous soutenons l’action du Président de la République dans ces cas-là !
Quand nous parlons de l’Arménie et de la reconnaissance du génocide arménien, on nous explique qu’il ne nous appartient pas de faire l’Histoire, tout en nous enjoignant de ne pas voter la reconnaissance. Aujourd'hui, on nous invite au contraire à reconnaître l’État de Palestine.
Mme Bariza Khiari. Ce n’est pas la même chose !
M. Hervé Marseille. L’article 34-1 de la Constitution, auquel il est fait référence, proscrit les propositions de résolution contenant des injonctions au Gouvernement. À l’Assemblée nationale, notre collègue Roger-Gérard Schwartzenberg a parlé d’« injonction courtoise », c'est-à-dire d’injonction atténuée.
M. Didier Guillaume. Il s’agit d’une invitation !
M. Hervé Marseille. En fait, c’est bien une injonction qui est donnée au Gouvernement. On serait donc en droit de s’interroger sur le fondement constitutionnel de la démarche.
Bien sûr, on peut se jeter à la figure les femmes qui pleurent et les enfants qui meurent ! Il y en a partout dans le monde, et nous aurions des motifs d’en parler tous les matins ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un argument qui ne tient pas !
M. Hervé Marseille. Je continuerai à le dire, que cela vous plaise ou non !
J’ai écouté l’intervention de M. Didier Guillaume. La seule démonstration qui aura été faite ce matin, et qui affaiblira la position de la France, c’est celle de la division du Parlement sur la question ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Laurence Cohen. Qui divise ?
M. Hervé Marseille. Nous ne sommes pas tenus de nous conformer à ce que vous demandez ! Souffrez que nous ayons une opinion différente ! (Mêmes mouvements.)
Le Parlement va donc faire état de sa division. Je ne suis pas certain que cela aide le Gouvernement…
M. Jean-Louis Carrère. En tout cas, cela vous satisfera !
M. Hervé Marseille. … ou l’action du Président de la République dans un pays comptant tout à la fois la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d’Europe. On le sait, nos travaux, nos débats sont regardés avec intérêt et vigilance par ces communautés.
Vous l’aurez compris, je ne voterai pas ce texte.
Mme Éliane Assassi. C’est bien dommage !
M. Hervé Marseille. Mon choix n’est pas motivé par des raisons dérisoires, comme je l’ai entendu tout à l’heure. Ce texte ne fait tout simplement pas progresser la paix ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Jean-Louis Carrère. Encore un progressiste… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Ayant écouté l’intervention de M. Guillaume, je vais modifier mon intervention. Notre collègue aura au moins influencé une personne, même si cela ne change pas mon vote.
Mme Bariza Khiari. Quel dommage !
M. Roger Karoutchi. N’ayez aucune crainte à cet égard, madame Khiari.
Ce qui change, ce n’est pas ma position ; c’est ma manière d’aborder le problème. Par un seul vote, je vais dire trois fois « non » !
Tout d’abord, et presque tous les orateurs ont soulevé cette question, que vient faire un tel débat au Parlement ?
Mme Éliane Assassi. Ce sont les droits du Parlement !
M. Roger Karoutchi. Veuillez me laisser parler, madame Assassi ; je n’ai interrompu personne.
M. Jean-Louis Carrère. Ça dépend…
M. Roger Karoutchi. J’ai défendu la réforme constitutionnelle de 2008 à l’Assemblée nationale et au Sénat. Mon collègue Henri de Raincourt s’est ensuite chargé de la mettre en application. La création des résolutions de l’article 34-1 avait alors suscité un débat.
J’entends encore certains députés socialistes – François Hollande n’était alors pas Président de la République – m’expliquer que ces résolutions, envisageables pour les questions économiques, sociales ou politiques, n’avaient pas lieu d’être en matière de défense nationale ou d’affaires étrangères, deux domaines régaliens qui dépendent directement de l’exécutif et sont placés sous sa compétence.
Je constate que cette position, défendue par les députés socialistes en 2008, ne leur paraît plus valide en 2014 !
M. Gaëtan Gorce. C’est parce que Nicolas Sarkozy n’a pas été convaincu ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roger Karoutchi. Je ne soutiens évidemment pas – c’est le moins que l’on puisse dire – le chef de l’État et le Gouvernement. Je les combats !
M. Alain Néri. Jusque-là, c’est vrai !
M. Roger Karoutchi. Mon cher collègue, vos commentaires sont certainement très intéressants, mais veuillez attendre votre tour ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je reconnais que le Gouvernement, et lui seul, doit avoir la main en matière de diplomatie et d’affaires étrangères.
Les parlementaires, indépendamment de leurs qualités – je ne doute pas que tous les sénateurs présents en ont beaucoup -, disposent de beaucoup moins d’informations que le Gouvernement. Une diplomatie secrète est-elle en action ? Des contacts sont-ils noués ? Par définition, le Gouvernement, M. Laurent Fabius ou vous-même, monsieur le secrétaire d’État, disposez d’éléments qui ne sont pas portés à notre connaissance. Et c’est heureux ! Sinon, à quoi servirait-il d’avoir une diplomatie et des représentants partout dans le monde ?
Par conséquent, comment nous, parlementaires, qui ne disposons pas de toutes les informations auxquelles vous avez accès, pouvons-nous vous expliquer ce qu’il convient de faire ? En d’autres termes, l’interférence n’a pas de sens !
En outre, cette résolution n’est pas équilibrée. Vos propos à cette tribune l’étaient davantage, monsieur Guillaume ! Ainsi que vous l’avez rappelé, avec d’autres, le Hamas est une organisation terroriste qui envoie des missiles sur Israël et avec laquelle il est difficile de négocier. Pour preuve, le président Mahmoud Abbas a annulé un certain nombre de manifestations que son mouvement devait organiser à Gaza, du fait de la destruction du siège du Fatah ou des attaques perpétrées par le Hamas sur certains de ses éléments.
Vous le voyez, le problème demeure. Pour ma part, je suis pour l’existence de deux États. Mais encore faut-il qu’il s’agisse d’États dotés d’un gouvernement ayant une véritable autorité sur l’ensemble du territoire concerné. Aujourd'hui, je le rappelle, nous avons une organisation terroriste, le Hamas, qui envoie des missiles sur Israël ! Cela n’invalide pas tout ce qui a été dit. Oui, les morts, de deux côtés, sont de véritables drames ! On ne peut qu’appeler à la paix ! Mais, pour faire la paix, il faut être deux !
Il faut évidemment encourager le Gouvernement à prendre des initiatives, notamment pour permettre l’organisation de véritables conférences internationales, et ce même si, pardon de le rappeler, le Hamas reproche dans sa charte à ces conférences internationales de n’avoir aucun sens et refuse d’y participer, souhaitant purement et simplement que l’État d’Israël soit rayé de la carte. Certes, on peut m’opposer qu’il n’appliquera pas sa charte… Mais s’il pouvait commencer par l’abroger, ce serait déjà un geste ! Pour le moment, ce n’est pas le cas.
Ainsi la résolution ne me paraît pas suffisamment équilibrée.
Si l’on incitait le Gouvernement français à œuvrer pour l’existence de deux États, mais, sous réserve que cela soit envisageable, deux États démocratiques et exempts de tout mouvement terroriste organisé, je pourrais être plus favorable au texte. Or il n’en est rien ! La résolution est bien trop unilatérale pour que nous puissions la voter. Elle évoque la responsabilité d’Israël, que je ne conteste pas, mais n’aborde pas celle d’une organisation terroriste qui, par définition, n’a pas à être « diluée » dans le processus de paix.
Mme Éliane Assassi. Il mélange tout !
M. Roger Karoutchi. Cette organisation existe, et nous ne savons pas comment la traiter. Le président Abbas lui-même ne le sait pas non plus.
Oui, il faut prendre des initiatives. Mais ne demandons pas au Gouvernement de reconnaître la Palestine sans se soucier de l’État ou du Gouvernement susceptible d'être mis en place ou même de l’existence d’organisations terroristes au sein du système. Une telle demande serait-elle acceptable ?
Je suis d’accord avec M. Guillaume pour affirmer que tous les sénateurs devraient réfléchir au problème. Mais cette réflexion doit être celle de démocrates, issus de la philosophie des Lumières et de la Révolution française. Peut-on accepter d’encourager notre propre gouvernement à aller de l’avant sans se soucier du reste alors qu’un peuple se trouve sous la menace d’une organisation terroriste ? Non ! Des gestes sont attendus des deux côtés ! Ils ne peuvent provenir d’un seul camp !
Enfin, je n’aurais pas évoqué ce point si Didier Guillaume ne l’avait pas, lui-même, souligné, le Parlement a une responsabilité collective. Il peut l’exprimer sur la scène internationale dans un mouvement de passion ou de compassion, mais elle s’exerce avant tout vis-à-vis des citoyens français.
Personne, à moins que nous ne soyons tous devenus aveugles et sourds, ne peut ignorer la situation actuelle du pays, avec les tensions et les drames. Les agressions ont été évoquées, mais c’est tout un climat qu’il faut relever. Étant très gaulliste, j’appelle de mes vœux l’unité nationale. Au-delà des communautés et des clivages, il faut des signes. À défaut, ou si les signes qui sont envoyés à une communauté qui ne se sent déjà pas très bien aujourd'hui sont des signes négatifs, ce sera terrible !
Avec cette résolution, vous n’allez pas faire progresser la paix en quoi que ce soit : vous n’allez ni contribuer à faire disparaître le terrorisme ni entamer la volonté d’Israël de poursuivre sa politique de colonisation, que vous condamnez. En revanche, vous allez donner, d’une manière ou d’une autre, un signal qui va être très mal interprété ; peut-être à tort, sans doute excessivement, mais c’est ainsi !
Nous sommes, depuis des mois, dans une situation critique, qu’ont dénoncée Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Sur le fond, ils ont raison, et je les soutiens dans leurs affirmations républicaines. Cependant, cette situation, un certain nombre de nos compatriotes la vivent particulièrement mal. Alors, faut-il encore leur envoyer un signal négatif, leur dire d’une certaine façon : « vous êtes mal, mais tant pis » ?
Ne faut-il pas plutôt leur dire que nous, le Sénat, l’Assemblée nationale, nous sommes d’abord là pour retisser du lien social et faire en sorte que tous les citoyens français se sentent chez eux dans notre pays ? Ce n’est pas le message qu’adresse cette proposition de résolution ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec cette proposition visant à la reconnaissance de l’État de Palestine, il s’agit pour le Parlement d’exprimer, dans le respect de son rôle institutionnel, une attente des citoyens français, à savoir une tentative de résolution du conflit israélo-palestinien avec l’avènement de deux États viables vivant en paix et en sécurité, conformément au droit international, c’est-à-dire dans les frontières de 1967.
Le vote positif du Sénat manifesterait la volonté de la représentation nationale de voir s’instaurer une paix juste et durable au Proche-Orient.
Alors qu’il n’a pas force de loi, qu’il n’a pour lui que la puissance des mots, ce vote est aussi un vote historique. Et, en dépit de toutes les limites de cet exercice, notre débat suscite, ici et hors de nos frontières, une grande espérance.
Pourquoi ?
Parce que c’est la voix de la France et que la France est riche de la première communauté juive d’Europe. Beaucoup de nos concitoyens ont des liens profonds, consubstantiels, dirai-je, avec Israël : des membres de leur famille y vivent.
Parce que la France est aussi un pays façonné politiquement par le combat contre le colonialisme. Les déchirements de notre histoire récente sont constitutifs de notre identité politique. Plus que d’autres grandes nations européennes, la France sait, pour reprendre les mots d’Aimé Césaire, que « la colonisation déshumanise l’homme, même le plus civilisé ». En cet instant, j’ai une pensée pour le ministre palestinien tué hier, Ziad Abou Eïn.
Parce que la civilisation européenne a, d’abord, sombré moralement en laissant naître et prospérer en son sein ce qui aboutira à la Shoah et que, ensuite, la France d’après 1945 s’est sentie comptable de la France de Vichy. C’est une dette de sang que la France a contractée à l’égard de ceux de ses citoyens qui en ont été les victimes. Cette dette s’est exprimée par la reconnaissance de l’État d’Israël. Mais cette dette, ce n’est pas aux Palestiniens de la payer.
Ceux qui déplorent l’importation du conflit israélo-palestinien en France, ou qui la redoutent, font, me semble-t-il, une erreur d’analyse. Cette question, parce qu’elle fait écho à notre histoire, se pose en France depuis bien des années. Mais la ligne de fracture n’oppose pas les uns aux autres, n’oppose pas le Bien et le Mal. La ligne de fracture se trouve dans la conscience de chacun d’entre nous.
Cette ligne traduit un conflit de principe. La bienveillance pour Israël puise ses racines dans la faute de Vichy et se nourrit aussi de l’extraordinaire vitalité d’une partie de la société civile. Cependant, ce capital de sympathie, réel et puissant, n’interdit pas de constater l’asymétrie des forces et, par conséquent, l’injustice faite aux Palestiniens.
Nous, Français, avons pleinement conscience que l’on ne peut honorer une dette en tolérant une autre injustice.
La France républicaine s’est construite, non sans égarements, non sans contradictions, mais toujours avec passion, dans le combat pour la justice, l’égalité et le respect du droit international. Notre conscience politique, née de notre histoire récente, fait que toute entreprise coloniale, au-delà de la question du droit international, suscite notre réprobation.
Les parlementaires qui sont allés au Proche-Orient ont pu constater le développement rapide de la politique de colonisation, qui s’étend jusqu’à Jérusalem-Est, lieu éminemment symbolique. Cette stratégie est contraire au processus d’Oslo et au droit international.
L’appel à la négociation à huis clos est devenu une arme pour tuer dans l’œuf toute vraie négociation et le tête-à-tête entre les différentes parties a montré ses limites. Il faut donc sortir de ce cercle infernal et prendre des initiatives.
Aujourd’hui, le constat est terrible : le dialogue s’avère impossible entre les protagonistes. Alors même que, depuis soixante ans, la communauté internationale ne cesse de déployer tous les efforts possibles pour obtenir un accord de paix, l’avenir de la région a rarement été aussi sombre, la détresse si forte.
De fait, notre initiative parlementaire ne vient pas perturber un processus. Bien au contraire, elle tente de le réanimer.
L’attachement de la France et de ses gouvernements successifs à la création de l’État d’Israël, à sa sécurité, a été constant. La position de la France en faveur d’un État de Palestine a été exprimée à maintes reprises, tant par la droite que par la gauche.
Notre initiative vient également relayer la voix de la société civile israélienne. Plusieurs centaines d’intellectuels israéliens nous encouragent à voter cette reconnaissance de l’État de Palestine. Tous les partisans de la paix ont besoin de notre vote. Ils nous disent qu’il n’y a pas de solution militaire tenable et que la situation actuelle présente un réel danger pour Israël.
Sans horizon politique, c’est la violence aveugle qui domine. L’espoir, même fragile, que la paix puisse advenir peut servir d’antidote à la violence qui nourrit les actes de désespoir.
Israël, parce que c’est une démocratie, suscite de notre part plus d’attentes, plus d’exigences quant au respect de certaines valeurs, et notamment le prix d’une vie humaine.
Je suis, comme vous, mes chers collègues, persuadée que l’avenir d’Israël et celui de la Palestine sont liés, que la garantie de la sécurité d’Israël est l’État de Palestine.
C’est en outre, me semble-t-il, une erreur d’imaginer qu’en votant contre cette proposition on pourrait contribuer à lutter contre les actes antisémites qui minent notre pacte républicain ; bien au contraire !
Je déplore que le crime commis à l’encontre de ce couple de Créteil, notamment de la jeune femme, n’ait pas suscité l’indignation nationale qu’on pouvait attendre, si l’on excepte, bien sûr, la vigoureuse condamnation exprimée par le Gouvernement, tout comme je dénonce l’apathie des réactions quand des actes islamophobes meurtrissent nos concitoyens de confession musulmane. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je regrette, mes chers collègues, que nous ayons perdu notre capacité d’indignation, pourtant si nécessaire : comme le disait saint Augustin, « à force de tout banaliser, on finit par tout supporter, à force de tout supporter, on finit par tout tolérer, à force de tout tolérer, on finit par tout accepter et à force de tout accepter, on finit par tout approuver ».
Luttons, condamnons et punissons les propos et actes racistes, d’où qu’ils viennent. Formons les consciences des jeunes générations et contribuons, par notre vote, à soutenir ceux qui, en Israël, en Palestine et ailleurs dans le monde, en dépit des épreuves et des drames, continuent à croire en la paix et à vouloir la paix.
Imaginons, mes chers collègues, que cette proposition de résolution soit votée et que ce vote devienne utile pour la reprise des négociations. Imaginons que ces négociations permettent d’aboutir à la paix. Imaginons un instant un Proche-Orient pacifié. C’est une vision qui peut paraître utopique tant la désespérance s’est incrustée dans le cœur des hommes. Et pourtant, il n’y a pas de fatalité !
Avec notre vote, la France et le Royaume-Uni, membres du Conseil de sécurité, pourront se prévaloir du soutien de leur représentation nationale. Le président des États-Unis, libéré de la contrainte électorale, aura davantage de marge de manœuvre. Le moment est venu d’imaginer un Proche-Orient pacifié.
Il restera, bien sûr, à fonder la bienveillance envers l’autre, c’est-à-dire à porter sur soi le destin de l’autre. C’est ce vers quoi doivent tendre Israéliens et Palestiniens : aller d’une paix froide signée en bas d’un parchemin à une réconciliation des cœurs.
Cet horizon ne pourra être atteint sans la volonté des deux parties, sans la vigilance et surtout l’impartialité de la communauté internationale. La France, pays ami des peuples israélien et palestinien, ne peut que prendre, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, des initiatives pour sortir de ce face-à-face sans issue.
Il nous appartient à nous, membres de la représentation nationale, de leur apporter notre soutien en posant la première pierre : le vote de cette résolution pour la reconnaissance de l’État de Palestine.
Mes chers collègues, soyons à la hauteur de ce moment ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)