M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à donner plus d’efficacité aux dispositifs existants en matière d’expulsion des squatteurs de domicile. Elle pose la problématique du difficile équilibre entre la protection du droit de propriété et la prise en compte de situations sociales souvent très délicates.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que cette initiative émane de notre collègue Natacha Bouchart, maire de Calais : la ville compte plus de 2 000 personnes en situation irrégulière, dont la présence est parfois liée à des bandes organisées. Cet été encore, un certain nombre de nouveaux squats ont été révélés, si l’on en croit la presse – le squat Vandamme, le squat de l’impasse des Salines, etc. –, ce qui montre, de nouveau, l’ingéniosité des bandes organisées et l’impuissance du droit actuel à répondre au désarroi des propriétaires.
C’est à cette instrumentalisation du droit existant que la présente proposition de loi tend à remédier. Remanié en commission, le texte élude le débat sur la fixation d’une durée précise de la flagrance, considérant à raison qu’une telle fixation ne pourrait que porter préjudice aux victimes. Cette notion devra donc être appréciée en fonction des circonstances, toute rigidité nous semblant mal venue en la matière.
Cette position, que nous partageons, ne permet malheureusement pas de mettre fin à l’application récurrente par l’administration d’un délai de quarante-huit heures, par crainte de censure des tribunaux, alors que ce délai ne figure pas dans les textes et que la jurisprudence elle-même reconnaît, à travers son standard de « temps très voisin de l’action », l’application d’une durée adaptable et circonstanciée.
Il est en revanche proposé d’incriminer le « maintien dans le domicile d’autrui ». Ainsi, les doutes qui pouvaient demeurer quant à la nature continue de l’infraction, en cas d’introduction dans les lieux avec manœuvres, voies de fait ou contrainte, laquelle qui se poursuivait par le maintien dans les lieux, sont dissipés, et la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui refusait dans une telle situation de caractériser une infraction continue, peut être abandonnée.
La modification ainsi introduite est d’autant plus bienvenue que les squats se multiplient dans les grandes agglomérations. Les offices d’HLM sont évidemment les premières cibles de cette délinquance lucrative, qui s’exerce le plus souvent au détriment des demandeurs de logements sociaux. Cette exploitation éhontée du dispositif législatif paraît aujourd’hui intolérable à nombre de nos concitoyens.
Je terminerai par quelques mots concernant la suppression par la commission de l’article 2 de la proposition de loi, lequel modifiait l’article 38 de la loi DALO en rendant également destinataires de la saisine du préfet les maires. Elle nous semble justifiée dans la mesure où, pratiquement, cette mesure paraît inutile, les maires et les préfets échangeant déjà sur le sujet. Une telle disposition ne ferait par conséquent que créer un risque de contentieux important en la matière : un propriétaire mécontent pourrait ainsi engager la responsabilité du maire qui aurait refusé de saisir le préfet.
Le dernier amendement adopté par la commission visait à modifier le titre de la proposition de loi. Le nouvel intitulé traduit mieux l’apport de ce texte, lequel ne crée pas de nouvelle voie de droit dans le domaine de l’expulsion des squatteurs, contrairement à ce que l’intitulé pouvait laisser penser, mais tente de renforcer l’efficacité de la procédure existante en matière de squat de domicile. Seuls ces derniers cas sont d’ailleurs visés par la présente proposition de loi.
En conclusion, au-delà de sa portée médiatique, ce texte repose sur une justification réelle. Nous soutenons donc cette initiative.
Nous saluons également la qualité du travail du rapporteur, Jean-Pierre Vial : les améliorations qu’il a proposées en commission permettent d’aboutir en effet à un texte équilibré.
Toutefois, pour répondre à l’ensemble des problèmes de squat, c’est-à-dire les squats de domicile, mais aussi les squats d’immeubles ou de bâtiments vacants, il faudra encore que de véritables décisions politiques soient prises, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, depuis 2007, c’est la troisième fois que je me retrouve dans cet hémicycle pour tenter de légiférer sur les squats. Les deux précédentes fois, nous avions, ensemble, parlementaires et ministres, réussi à progresser, lentement mais sûrement, après de très nombreux débats et même des manifestations.
La première fois, c’était en 2007, quand j’ai voulu que la loi DALO protège aussi ceux qui ont déjà un domicile ; la deuxième fois, c’était en 2010, lorsque le vol de domicile est devenu une infraction pénale.
Aujourd’hui, en 2014, c’est Natacha Bouchart qui prend le relais et tente d’aller plus loin pour protéger ceux qui subissent ces occupations illicites.
En France, il est souvent difficile de parler des squats ; il est plus facile de dénoncer le manque de logements sociaux. Certes, les squats sont la conséquence de la pénurie de logements, de la misère, des loyers élevés, mais ils sont aussi une atteinte inacceptable à la propriété, ce droit théoriquement reconnu par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
S’ils sont le fait de bandes organisées, comme cela a été dénoncé, ils sont aussi parfois le fait d’individus peu scrupuleux, de véritables voleurs qui abusent d’une loi qui protège avec excès ceux qui sont installés dans le logement, quelle que soit la façon dont ils s’y sont introduits.
Depuis 2007, je me bats pour protéger tout occupant, propriétaire ou locataire, qui se retrouve à la porte de chez lui à la suite du vol de son domicile.
Être mal logé n’autorise pas le squat. Le mal-logement ne doit pas être une prime à l’illégalité et à la légalisation des intrusions illicites.
Je suis fière d’avoir fait voter en 2007, à l’unanimité des groupes politiques, l’article 38 de la loi DALO – modifié par un sous-amendement socialiste et écologiste que vous aviez cosigné, monsieur le secrétaire d’État – qui accélère la procédure d’expulsion, pour éviter que ne se retrouve à la rue et sans logement quelqu’un qui en avait un.
Ce ne fut pas facile : la rédaction est issue de discussions dans cette enceinte, en pleine nuit, alors que des membres des associations Droit au logement et Jeudi noir manifestaient contre mon amendement. Si ces associations veulent loger les sans-abri, elles ne cautionnent pas pour autant le squat à tout-va.
Avec cette disposition, je croyais que la réintégration des occupants dans leur logement serait facilitée et accélérée. Mais il n’en est rien.
Ainsi, 2 047 condamnations ont été prononcées en 2004 et 2 050 en 2010. Contrairement à Mme la garde des sceaux, je ne me félicite pas de cette stabilité, car elle prouve que l’article 38 de la loi précitée n’est que peu ou pas appliqué depuis qu’il existe. M. le rapporteur, Jean-Pierre Vial, nous l’a dit : on dénombre dix recours seulement en l’espace de quatre ans.
Il suffit de lire la presse pour se rendre compte que ces actes ne s’arrêtent pas. Les victimes sont le plus souvent des personnes âgées, de retour d’une hospitalisation, ou alors parties en vacances ou en déplacement, c’est-à-dire les citoyens les plus modestes, ceux dont la maison n’est pas gardée par du personnel, ni sécurisée par une porte blindée ou par un digicode, des personnes qui ignorent l’existence de cet article 38 et que nul n’informera.
Je veux donc profiter de cette tribune pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler aux préfets, avant que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui ne soit définitivement adoptée, l’existence de cette procédure, qu’ils connaissent mal ou ne veulent pas appliquer.
Le délai de quarante-huit heures est trop souvent opposé alors qu’il ne s’applique pas lors d’une introduction illicite dans le domicile d’un particulier, sauf à détourner la volonté du législateur que je connais parfaitement bien.
La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté un amendement sur la taxation des résidences secondaires qui précise justement les notions de résidence. Ce serait peut-être l’occasion de les rapprocher et de pouvoir lever le flou sur ces notions.
Je crois que Natacha Bouchart a raison de vouloir aller plus loin que l’article 38 de la loi DALO, et je soutiens son amendement, qui vise à permettre au maire d’intervenir. Celui-ci est un acteur de proximité qui connaît mieux que le préfet la réalité de l’occupation et réagira plus vite, d’autant que c’est lui qui aura le devoir de reloger la personne qui se trouve jetée à la porte de chez elle.
Je soutenais pleinement la proposition de ma collègue de porter le délai à quatre-vingt-seize heures, mais je me rallie à celle de la commission, qui semble donner plus de force au dispositif.
Toutefois, pourquoi appliquer un délai aussi court ? Pourquoi a-t-on voulu transformer les cambrioleurs de domicile en occupants légaux au bout de quarante-huit heures ? En 2010, sur l’initiative de l’Assemblée nationale, un amendement a été adopté. Il visait à allonger le délai de flagrance du délit d’effraction de domicile à la période variable durant laquelle l’occupant en titre du logement ignore qu’il est squatté, quand il s’agit de sa résidence principale. Je continue à penser qu’il s’agissait d’une disposition de bon sens.
Enfin, je voudrais conclure sur la question de la sécurisation des justificatifs de domicile, en l’occurrence les contrats d’électricité. C’est la première étape recommandée par tous les sites internet expliquant comment squatter en toute liberté !
M. le ministre de l’intérieur m’a répondu qu’EDF prévoyait de sécuriser par des codes-barres 2D une attestation de contrat valant justificatif de domicile. J’aimerais savoir si cette mesure est appliquée.
J’espère que, aujourd’hui, au Sénat, nous adopterons, dans une troisième étape, la présente proposition de loi, qui permet d’aller un peu plus loin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée par notre commission des lois, ne concerne que les violations de domicile visées à l’article 226-4 du code pénal.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en droit pénal, le terme « domicile » désigne non seulement le lieu où une personne a son principal établissement, comme en droit civil, mais aussi le lieu où elle a le droit de se dire chez elle. C’est donc un lieu affecté à l’habitation réelle et effective d’une personne, qu’elle y réside en permanence ou non.
Dès lors, si je conçois que la question générale des squats suscite des émotions et des réactions passionnées, elle n’en est pas moins éloignée du texte qui nous réunit aujourd'hui. En effet, dans la plupart des situations évoquées par nos collègues, les difficultés qu’ils éprouvent dans leur circonscription tiennent à des immeubles vacants, des usines désaffectées, des hangars ou d’autres locaux qui ne sont en rien considérés comme des domiciles.
Contrairement à ces divers locaux inoccupés, le domicile est un élément de la vie privée protégé par notre droit positif, et en particulier par l’article 9 du code civil. Le respect du domicile de toute personne résidant sur notre territoire est constitutionnellement garanti en vertu des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Au niveau conventionnel, c’est l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Au titre de cette protection constitutionnelle et conventionnelle, le respect effectif du principe d’inviolabilité du domicile est d’ores et déjà assuré par plusieurs procédures juridiques, qui peuvent être rapides. Il existe actuellement une procédure civile, une procédure administrative et une procédure pénale.
La procédure civile protège les victimes, locataires ou propriétaires, des occupations illicites de leur domicile, et leur permet d’obtenir, par voie de référé ou de référé d’heure à heure, une décision du juge civil, qui statue à très brève échéance si l’urgence du retour de l’occupant légal dans les lieux est caractérisée.
La procédure administrative a été créée par l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite « loi DALO », article que nous devons à Catherine Procaccia. Il s’agit d’une procédure dérogatoire au droit commun permettant au propriétaire ou au locataire dont le domicile fait l’objet d’une occupation résultant « de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » de saisir le préfet pour qu’il procède à l’évacuation forcée des lieux. Il appartient aux victimes de déposer plainte, sans qu’il leur soit nécessaire d’avoir recours à un huissier pour constater l’occupation illégale. Le préfet adresse ensuite aux squatteurs du domicile une mise en demeure de quitter les lieux, assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures.
Toutefois, depuis la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », le préfet peut opposer aux locataires ou aux propriétaires la trêve hivernale, qui débute chaque année le 1er novembre et s’achève le 31 mars, pour refuser de faire procéder à l’expulsion des occupants illégaux au cours de cette période. Dans ce cas, les personnes seront contraintes de saisir le juge pour solliciter le prononcé de l’expulsion en référé. On peut légitimement s’interroger sur la justesse de cette évolution : s'agissant d’une installation par la force dans le domicile d’autrui, il semble surprenant que la trêve hivernale protège l’occupant illicite au détriment de l’occupant en droit.
Mme Catherine Procaccia. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Cependant, ce n’est pas le sujet du jour. Peut-être faudra-t-il, après l’hiver, faire rapidement le bilan de cette récente évolution législative, afin de voir si elle a permis de mieux protéger le droit au logement de chacun.
J’en viens à la procédure pénale. En cas de flagrant délit de violation de domicile au sens de l’article 226-4 du code pénal, les forces de police ou de gendarmerie peuvent intervenir immédiatement et diligenter une enquête permettant notamment d’arrêter l’auteur de l’infraction sur les lieux et de le placer en garde à vue. Dans ce cadre, les interventions des forces de l’ordre se font sous l’autorité du procureur de la République, et non sous celle du préfet, comme le prévoit la circulaire du 26 août 1994 relative à la prévention des expulsions de locaux et à l’exécution des décisions de justice prononçant une expulsion de locaux d’habitation.
Aux termes de l’article 53 du code de procédure pénale, « est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit. » L’article 226-4 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur, punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet ».
La présente proposition de loi vise à modifier les dispositions de l’article 226-4 du code pénal afin de faire de la violation de domicile une infraction continue. Concrètement, dès lors que l’introduction dans les lieux aura été illicite, il ne sera pas nécessaire de caractériser de nouveaux comportements illicites durant le maintien dans les lieux pour que les forces de l’ordre puissent intervenir dans le cadre de la flagrance. Il s’agit d’ajouter à l’article 226-4 du code pénal un alinéa permettant aux forces de l’ordre de diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance tant que les occupants se maintiennent dans le domicile. Peu importerait donc que l’intrusion ait eu lieu plusieurs jours ou plusieurs semaines auparavant.
Si ce texte venait à être adopté, il serait donc possible, à tout moment, y compris en période de trêve hivernale, d’avoir recours aux forces de l’ordre sans aucun contrôle juridictionnel et sans respect du principe du contradictoire. Si ce n’est pas la position actuelle de nos juridictions, c’est néanmoins ce qui ressort déjà d’une circulaire de la Chancellerie datant de mai 1993, qui précise que « le nouveau code pénal étend la répression à l’hypothèse du maintien dans le domicile d’autrui, transformant ainsi cette infraction instantanée en délit continu ».
Je souligne également que les dispositions de la proposition de loi, telles que corrigées par notre commission des lois, permettraient aux forces de l’ordre de qualifier pénalement un lieu de « domicile » ou une infraction de « maintien dans le domicile » au sens de l’article 226-4 du code pénal sans qu’aucun juge puisse se prononcer et, le cas échéant, requalifier les faits. N’y aura-t-il pas des cas où la police ou la gendarmerie, sur lesquelles le texte fait peser une lourde responsabilité, ne seront pas en mesure, par exemple parce que les faits remontent à plusieurs mois, de déterminer si l’introduction dans le domicile a bien eu lieu à l’aide de voies de fait ou de manœuvres ?
Il n’en demeure pas moins que la protection des victimes de violation de domicile, souvent fragiles et désemparées, exige des dispositifs rapides, lisibles et efficaces.
Madame Bouchart, nous connaissons la situation dont sont victimes les habitants de Calais : c’est un concentré de la misère et des conflits du monde, mais elle témoigne aussi, lorsque l’on regarde les migrants, de la force de l’espoir et de la volonté de s’en sortir de ces gens qui cherchent une terre accueillante pour eux, ou supposée telle.
Les difficultés doivent donc être appréhendées dans une vision globale, intégrant la crédibilité de notre politique d’asile et la gestion de l’immigration au niveau européen ; nous avons évoqué cette question la semaine dernière avec nos collègues britanniques, dans le cadre d’une audition de la commission des affaires européennes.
Nous nous en sortirons par une meilleure convergence européenne et une révision des règlements Dublin et Eurodac, afin que les pays européens les plus éloignés des zones d’arrivée des migrants ne rejettent pas toute la responsabilité de la gestion des flux et de l’accueil des migrants sur les pays qui constituent les frontières sud et est de l’Union européenne.
Nous nous en sortirons aussi en chassant résolument tous les réseaux et toutes les mafias qui prospèrent là où la misère et l’espoir des migrants convergent.
Cela étant, il ne faut en aucun cas légiférer dans l’émotion, en adoptant une loi de circonstance qui ne serait qu’un communiqué de presse ne résolvant en rien ces problèmes précis et tragiques.
La plupart des squats de Calais ne concernent probablement pas des domiciles. C’est donc une réponse beaucoup plus large qu’il faut apporter. Pour ce faire, vous avez besoin de la solidarité nationale et de la solidarité européenne, et non de remettre en cause, à travers deux amendements, l’ensemble de l’édifice destiné à protéger non seulement la propriété et l’inviolabilité du domicile, mais aussi le droit au logement des plus fragiles, des familles sans moyens pour lesquelles un toit volé est la seule option si elles veulent ne pas être à la rue avec leurs enfants.
Cette situation, indigne de notre pays, est la conséquence de la crise sociale, de la situation de l’emploi, de la crise du logement, des blocages de notre société et de la précarité rampante et croissante. Mas avons-nous vraiment le droit de déchirer, à la veille de l’hiver, les outils juridiques qui permettent de garantir à chacun l’indigne minimum, alors que nous n’avons rien d’autre à offrir ? Tel est bien l’objet de vos amendements, qui visent à étendre les dispositions de la proposition de loi à l’ensemble des locaux susceptibles d’occupations illégales, qu’il s’agisse d’habitations, d’usines désaffectées ou d’autres locaux abandonnés.
Le groupe socialiste du Sénat votera évidemment contre ces amendements, qui ne correspondent en rien aux dispositions adoptées par la commission.
Attachés au respect du droit des victimes de violation de domicile, nous avons décidé de nous abstenir sur le texte de la commission, mais nous voterons contre la proposition de loi si l’un des amendements que je viens d’évoquer est adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les squats soulèvent de nombreux problèmes, auxquels nous sommes tous confrontés dans nos départements : insalubrité, nuisances, colère des riverains, dégradations et parfois même violence.
Présidente de Côte d’Azur Habitat, le premier bailleur social des Alpes-Maritimes, je rencontre quotidiennement ces situations qui remettent en cause la justice sociale et le droit de propriété. Dans mon département, nous subissons même une accentuation de ce phénomène, notamment, mais pas seulement, au sein du parc social.
Mme Cécile Cukierman. Combien y a-t-il de logements sociaux dans les Alpes-Maritimes ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. Depuis cinq ans, en raison de la transformation du profil type du squatteur, des réseaux mafieux qui connaissent les limites de la loi ont fait du squat une économie souterraine. Nous sommes passés du marginal sans domicile qui fait face à un accident de la vie, avec ou sans sa famille, à de véritables réseaux de crime organisé.
Les grands bouleversements géopolitiques des dernières années ont entraîné l’arrivée de nouvelles populations sur notre territoire. Ces dernières n’hésitent pas à repérer des logements vacants puis à les affecter moyennant finances à des familles en déshérence sociale, en utilisant des méthodes techniques qui nécessitent de gros moyens. Je pense notamment à l’utilisation de disqueuses thermiques, qui permettent la violation de logements, mais sont également utilisées pour des cambriolages de commerces d’informatique et de téléphonie ou d’habitations de particuliers.
Mme Samia Ghali. C’est vrai !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Côte d’Azur Habitat, qui gère un patrimoine de 20 000 logements, a engagé plus de 140 procédures devant les tribunaux sur les deux dernières années, alors que la moyenne annuelle des années précédentes se situait à environ 40 squats. Le coût d’une procédure s’élève en moyenne à 8 900 euros par squat : 1 900 euros de frais de procédure et approximativement 7 000 euros de perte de loyers. Sur les deux dernières années, le coût financier s’est donc élevé à plus de 1,2 million d’euros ; cette dépense s’est faite au détriment de l’entretien du parc ou des logements des locataires en titre. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
En outre, lorsque les bailleurs réussissent à reprendre possession d’un logement squatté, ils le trouvent régulièrement saccagé, voire détruit, ce qui retarde son attribution à une famille qui a peut-être formulé sa demande plusieurs années auparavant. À cela s’ajoutent les nuisances, les portes défoncées, les raccordements sauvages à l’électricité, ainsi que la mise en danger des biens et des personnes qui résident dans le parc social. C’est le principe même de justice sociale qui disparaît, alors que certains demandeurs accomplissent le parcours du combattant pour obtenir un logement social.
Certaines situations montrent que l’usage juridique du délai dans lequel la flagrance peut être constatée est insuffisant et ne permet pas toujours de répondre aux besoins, notamment dans le parc social. En pratique, il est presque impossible d’obtenir l’intervention du préfet moins de quarante-huit heures après l’introduction de squatteurs. Même si la loi ne prévoit pas textuellement ce délai de quarante-huit heures, l’administration l’applique, par crainte d’une censure des tribunaux. Les organisateurs de squats le savent et en jouent !
Un logement squatté une veille de week-end a ainsi peu de chance de faire l’objet d’une intervention avant le début de la semaine suivante, car, même si la préfecture et les forces de l’ordre sont de bonne volonté, elles ne sont pas juges des conditions d’entrée dans les lieux. En outre, certains signes d’élection de domicile, comme un courrier préalablement envoyé par voie postale à ladite adresse, empêcheront tout simplement les forces de l’ordre d’intervenir et l’expulsion du squatteur relèvera du tribunal d’instance. Commence alors une véritable course pour connaître l’identité des occupants afin de pouvoir entamer la procédure.
Il existe un vide juridique relatif dans la mesure où, même si les juges ont la possibilité d’ordonner l’évacuation des locaux dans lesquels des personnes sont entrées sans titre ou par voie de fait, il arrive bien souvent que l’exécution des décisions de justice ne soit pas assurée. La procédure est donc largement perfectible.
Au vu des chiffres de mon département, les Alpes-Maritimes, il ne s’agit pas, avec cette proposition de loi, d’un texte d’affichage médiatique, mais bien de l’expression d’une volonté de renforcer nos moyens contre une forme de délinquance face à laquelle beaucoup d’élus, de propriétaires et de bailleurs se sentent impuissants.
Monsieur le secrétaire d'État, il serait également pertinent de s’attaquer, peut-être par voie réglementaire, aux sites internet de certaines associations qui font l’apologie du squat et encouragent le passage à l’acte en publiant un « guide du parfait squatteur ». (M. Jean-Patrick Courtois applaudit.) Elles incitent au détournement de la loi par la diffusion de méthodes de repérage ou de conseils visant à retarder les procédures, voire à les contrer. Les individus qui alimentent les réseaux sont complices de délits au regard du code pénal ; je tenais à vous le faire remarquer.
Nous espérons que cette proposition de loi permettra de mieux appréhender ces pratiques abusives et illégales. Nous nous devons en effet de venir en aide à nos concitoyens par l’écriture d’un texte lisible et efficace, afin que quiconque puisse laisser son domicile ne serait-ce que quelques jours en toute quiétude, sans risquer de se trouver démuni à son retour. Je terminerai en soulignant que la propriété, c’est la République ; sans propriété, il n’y a pas de République ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Cécile Cukierman. C’est la République des propriétaires !
M. Jean-Patrick Courtois. Sans propriétaires, pas de République !